La Monnaie Et Ses Mcanismes (PDF)

Document Details

GenialKoto

Uploaded by GenialKoto

2004

Dominique Plihon

Tags

monnaie économie monétaire politique monétaire finance

Summary

This book, "La monnaie et ses mécanismes," explores the various forms of money throughout history, from commodity money to virtual money. It examines the functions of money as a unit of account, a medium of exchange, and a store of value. The book also delves into the role of banks in creating money, the circulation of money in the economy, and the evolution of monetary policy in modern financial systems.

Full Transcript

Dominique Plihon La monnaie et ses mécanismes Quatrième édition Éditions La Découverte 9 bis, rue Abel-Hovelacque 75013 Paris Catalogage Électre-Bibliographie PLIHON, Dominique La monnaie et ses mécanismes. – 4e éd. – Paris : La Découverte, 2004. – (Repères ; 295) ISBN 2-...

Dominique Plihon La monnaie et ses mécanismes Quatrième édition Éditions La Découverte 9 bis, rue Abel-Hovelacque 75013 Paris Catalogage Électre-Bibliographie PLIHON, Dominique La monnaie et ses mécanismes. – 4e éd. – Paris : La Découverte, 2004. – (Repères ; 295) ISBN 2-7071-4340-5 Rameau : économie monétaire politique monétaire monnaie Dewey : 332.4 : Économie financière. Monnaie. Politique monétaire Public concerné : 1er cycle-Prépas, DEUG. Public motivé Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du photocopillage. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expres- sément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, pro- voquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc qu’en application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur. Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit d’envoyer vos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hove- lacque, 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel À la Découverte. Vous pouvez également retrouver l’ensemble de notre catalogue et nous contacter sur notre site www.editionsladecouverte.fr.  Éditions La Découverte, Paris, 2000, 2001, 2003, 2004. Introduction La monnaie est l’un des instruments les plus utilisés dans notre vie quotidienne. En effet, dans une économie d’échange complexe et décentralisée comme la nôtre, la monnaie remplit une triple fonction de calcul économique, de paiement et de réserve de valeur. La monnaie sert, en premier lieu, à évaluer le prix de tous les biens, c’est une unité de compte qui permet de mesurer la valeur de biens hétérogènes. Elle ramène les multiples éva- luations possibles d’un bien en termes d’autres biens (prix réels ou relatifs) à une seule évaluation en monnaie (prix nominal ou absolu). L’utilisation de la monnaie permet une économie d’information et de calcul, grâce à la simplification du système de prix. La monnaie est ensuite un bien directement échangeable contre tous les autres biens, un instrument de paiement qui permet d’acquérir n’importe quel bien ou service, y compris le travail humain. On dit qu’elle est un « équivalent général ». C’est, en effet, un instrument admis partout et par tout le monde, en toutes circonstances, et dont le simple transfert entraîne de façon définitive l’extinction des dettes. Nos éco- nomies sont monétaires dans la mesure où les produits ne s’échangent pas contre des produits, mais contre de la monnaie qui, à son tour, s’échange contre des produits. Cela suppose évidemment qu’il existe un consensus social et la croyance que l’on peut obtenir à tout moment n’importe quel bien en échange de monnaie. Cette confiance peut être renforcée par l’autorité 3 de l’État et de la banque centrale qui oblige l’ensemble des acteurs économiques à accepter la monnaie en lui donnant un pouvoir libératoire et légal. Le chapitre I présente les différentes formes prises par la monnaie dans sa fonction d’instrument de paiement, en mon- trant que, au terme d’une longue évolution historique, la monnaie créée par les banques — la monnaie scripturale — sous l’égide de la banque centrale est devenue l’instrument le plus utilisé. On montre également que les nouvelles techno- logies ont fait émerger de nouveaux instruments de circulation de la monnaie scripturale, tels que la monnaie électronique. La monnaie, enfin, est une réserve de valeur, elle est une des formes de la richesse — un actif de patrimoine — qui pré- sente la particularité de pouvoir à la fois être conservée et rester parfaitement liquide, c’est-à-dire de garder sa valeur et d’être immédiatement utilisable pour l’échange de biens et services. Le chapitre II étudie la place de la monnaie parmi l’ensemble des actifs susceptibles d’être détenus par les agents écono- miques dans le cadre de la gestion de leur patrimoine. Le chapitre III s’intéresse à la circulation de la monnaie dans l’économie. La monnaie est d’abord créée par les banques, à l’occasion de leurs opérations de crédit, en réponse aux besoins de financement des agents déficitaires, les entreprises en parti- culier. Ces dernières utilisent cette monnaie pour payer les salaires. Les salariés ne dépensent pas immédiatement leurs encaisses monétaires. Car la monnaie permet de différer l’uti- lisation des ressources d’une période à l’autre, soit par pré- caution face à l’incertitude des ressources futures, soit parce que les formes alternatives de détention de richesse, et notamment les placements financiers, présentent un risque de variation de valeur. Ces comportements d’accumulation d’encaisses puis de dépense des encaisses monétaires se tra- duisent par une variation de vitesse de circulation de la monnaie et peuvent être source de déséquilibres entre pro- duction et demande de biens et services. Le chapitre IV montre comment la place de la monnaie et des banques dans l’économie a été affectée par les transfor- mations qui ont bouleversé le système financier français depuis les années quatre-vingt. Il décrit la montée en puissance des marchés financiers et les nouveaux comportements de 4 placement et de financement des particuliers, des entreprises et de l’État. Le passage à l’euro et ses conséquences sont analysés. Une autre mutation majeure est la globalisation financière, c’est-à-dire la création d’un marché planétaire des capitaux. Ce processus a entraîné une internationalisation des monnaies nationales qui circulent de plus en plus en dehors de leur espace d’émission. Le chapitre V décrit le développement explosif des marchés financiers internationaux et du marché des changes sur lequel les monnaies sont échangées entre elles. Il analyse les mécanismes qui commandent les relations entre les monnaies, fondés notamment sur l’évolution des prix et des taux d’intérêt. Sont également étudiées les transformations du système monétaire international induites par la globalisation financière et par l’émergence de l’euro comme monnaie inter- nationale, concurrente directe du dollar. Ces transformations affectent l’orientation et les modalités de la politique monétaire qui a dû renoncer aux interventions réglementaires (du type encadrement du crédit) pour une action beaucoup plus incertaine, visant à affecter les taux d’intérêt et les anticipations sur les marchés de capitaux. Le chapitre VI donne les éléments nécessaires à une bonne compréhension des objectifs et des instruments de la nouvelle politique moné- taire, ainsi que des mécanismes par lesquels celle-ci affecte le fonctionnement de l’économie. On explique comment la politique monétaire a dû évoluer face aux mutations de son environnement liées à trois séries de facteurs : les inno- vations financières (par exemple les produits dérivés) ; la montée en puissance des marchés financiers internationaux, qui sanctionnent immédiatement les moindres erreurs de politique monétaire, et la création de l’euro qui a bouleversé le contexte dans lequel est menée la politique monétaire en Europe. Pour conclure, on montre dans le chapitre VII que la monnaie n’est pas uniquement un instrument économique mais qu’elle a une dimension politique et sociale forte, comme le suggèrent les questions soulevées par la création de la monnaie unique européenne, et la mise en place de l’euro fiduciaire. I / La monnaie, instrument de paiement Au cours de l’Histoire la monnaie a pris des formes diverses (1). Suivant un processus de dématérialisation, les formes monétaires sont passées de la monnaie-marchandise à la monnaie virtuelle dans l’ère contemporaine. Actuellement, la monnaie est essentiellement scripturale, c’est-à-dire constituée d’avoirs matérialisés par une inscription dans les comptes ban- caires ou postaux dont les principaux instruments de circulation sont les chèques et les cartes bancaires (2). Les banques ont le monopole de la création de monnaie scripturale tandis que la monnaie fiduciaire est émise par la banque centrale. Cette « monnaie centrale » représente près de 10 % du total des encaisses des agents non financiers (entreprises, ménages, administrations), principalement sous la forme de billets. La monnaie centrale joue un rôle important dans le système moné- taire car elle est utilisée — sous forme de monnaie scrip- turale — dans les règlements interbancaires nécessités par les transferts effectués par les clients d’une banque à l’autre (3). 1. Évolution des formes de la monnaie Les premières formes de monnaie seraient apparues cinq mille ans avant notre ère. Au départ, la monnaie a pris la forme de biens ayant une valeur intrinsèque : c’est la monnaie- marchandise. Si l’on met à part les monnaies primitives (coquillages, étoffes, ou bétail qui se disait pecus en latin, ce 6 qui a donné le mot « pécuniaire »), les monnaies-marchandises ont été constituées, dès la plus haute Antiquité, par des métaux précieux. Par la suite, avec le développement des échanges, les signes monétaires ont pris des formes « nominales » : ce sont les billets et la monnaie scripturale qui n’ont pas de valeur intrinsèque, à la différence des espèces métalliques. La monnaie métallique La monnaie métallique a connu trois grandes étapes : — la monnaie pesée : en Égypte, deux mille ans avant notre ère, la monnaie pesée apparut sous forme de lingots encom- brants dont il fallait mesurer le poids au moment de chaque transaction ; — la monnaie comptée : vers 800 avant Jésus-Christ, les lingots furent divisés en pièces, invention qui se généralisa sous l’Antiquité, en Grèce puis à Rome, ainsi qu’en Chine, en Inde et dans le monde islamique ; — la monnaie frappée : les monnaies métalliques furent peu à peu frappées d’une inscription indiquant le poids de la pièce. La valeur de la pièce en unités de compte est fixée par son poids en métal. La fiabilité du système de paiement est garantie par la pérennité du métal. L’objectif des systèmes monétaires métalliques est de garantir la stabilité de la monnaie contre l’arbitraire politique en imposant des règles concernant la définition et l’usage de celle-ci. En France, la monnaie métallique a d’abord régné avec un régime bimétalliste or-argent, avant que ne triomphe l’or après 1870. Le système de l’étalon-or, qui a disparu à la suite de la guerre de 1914, présente trois caractéristiques : — l’or circule sous forme de lingots et de pièces d’or qui ont un pouvoir libératoire illimité, c’est-à-dire que ces instruments métalliques étaient acceptés pour payer toutes les transactions ; — les billets et la monnaie scripturale, dont l’usage se répand, sont convertibles en or auprès du système bancaire ; — le franc, comme toutes les grandes monnaies (livre, dollar), est défini par un certain poids d’or, ce qui facilite les rapports de change entre monnaies. Ainsi, au XIXe siècle, le franc vaut 0,29 gramme d’or et la livre sterling 7,32 grammes d’or, ce qui 7 implique qu’une livre vaut 25,24 francs (7,32 / 0,29). L’or étant librement exportable, le cours de la livre en francs sur le marché des changes ne s’éloigne guère de cette parité offi- cielle, puisqu’il est toujours possible d’effectuer les paiements en or, quitte à supporter les frais de transport et d’assurance dont le montant détermine les points d’entrée et de sortie de l’or (gold points). Ainsi, sans être la forme exclusive de la circulation monétaire, l’or est-il la base du système monétaire international. L’abandon du rôle monétaire des pièces d’or fut décidé en France en 1914. Les pièces furent échangées contre des billets. La dernière référence à l’or est celle du franc « Poincaré » en 1928. La crise de 1929 et ses suites ont contraint l’ensemble des pays à abandonner toute convertibilité en or. L’or a continué de jouer un rôle monétaire à l’échelle internationale, la valeur du dollar étant définie au taux de 35 dollars l’once d’or (31 grammes) dans le cadre du régime de l’étalon de change-or (gold exchange standard) institué par les accords de Bretton Woods en 1944. Même si les banques centrales conservent de l’or dans leurs réserves de change, la démoné- tisation de l’or au niveau international est effective en 1976, lorsque toute référence à l’or est supprimée dans les statuts du Fonds monétaire international. La monnaie de papier La monnaie de papier — c’est-à-dire les billets — constitue une étape importante dans le processus de dématérialisation des signes monétaires. C’est un instrument monétaire dont la valeur faciale est dissociée de sa valeur intrinsèque, à la différence de la monnaie métallique. Il est accepté en vertu de la confiance accordée à son émetteur, d’où le nom de monnaie fiduciaire donné aux billets (fiducia veut dire confiance en latin). Si la prééminence du billet apparaît après 1914, son déve- loppement a connu plusieurs étapes. Au départ, le billet est un certificat représentatif de métaux précieux, ces derniers étant laissés en dépôt dans les coffres des banques. Puis, dès le XVIIe siècle, les banques qui émettent les billets contre dépôt d’or comptent sur le fait que la totalité des porteurs ne récla- meront pas ensemble leur conversion en or et émettent des 8 billets « à découvert » à l’occasion de leurs opérations de crédits. Le volume des billets devient supérieur à l’encaisse métallique et les banques prennent un risque d’illiquidité. Au début du XIXe siècle, deux thèses s’affrontent en Grande- Bretagne à propos des conditions de l’émission des billets : — le currency principle (école de la circulation) : soucieux d’éviter une émission excessive de billets qui aurait engendré de l’inflation, les partisans de ce principe — dont Ricardo est le principal représentant — soutiennent que le montant des billets en circulation dans le public doit être réglé d’après celui de l’encaisse métallique de la banque émettrice ; — le banking principle (école de la banque) : ses défenseurs, parmi lesquels Tooke et Thornton, se prononcent au contraire pour la liberté d’émission monétaire en fonction des besoins de l’économie, sous contrainte de convertibilité. Le currency principle est appliqué en Grande-Bretagne : l’émission de billets par la Banque d’Angleterre qui obtient le monopole en 1844 doit être couverte à 100 % par une encaisse-or à l’exception d’une quantité limitée émise à découvert contre des bons du Trésor. La France, en revanche, applique le banking principle, c’est-à-dire la liberté d’émission à la condition d’être en mesure d’assurer à tout moment la convertibilité-or des billets émis. À partir de 1848, la Banque de France reçoit le monopole de l’émission de billets. Un plafond d’émission de billets est d’abord imposé à l’institut d’émission. Puis il est décidé que la Banque de France doit conserver une encaisse métallique au moins égale à 35 % de ses engagements à vue (billets et dépôts à vue au passif de son bilan). Les porteurs de billets peuvent être tentés, en certaines cir- constances graves se traduisant par une crise de confiance (troubles politiques, guerres), de réclamer le remboursement en or de la totalité des billets. Si la valeur des billets en circu- lation est supérieure à l’encaisse-or, il y a un risque de faillite de l’institut d’émission. Pour éviter un tel risque, l’État fait décider le « cours forcé » des billets, c’est-à-dire qu’il autorise l’institut d’émission à ne plus accepter la conversion des billets contre des espèces métalliques. De plus, les billets acquièrent un « cours légal » : la loi définit l’équivalent-or des billets et oblige les agents économiques à accepter les billets au même titre que les espèces métalliques. 9 Au départ, le cours forcé fut déclaré en France au moment des périodes de trouble, en 1848 et en 1914. Puis, le cours légal a été définitivement adopté en 1939 par un décret-loi qui a supprimé toute règle de pourcentage de couverture des billets par l’encaisse-or de la Banque de France. L’émission de billets dépend désormais de la demande des agents économiques et de la politique monétaire. Dans cette ultime étape de l’évolution de la monnaie de papier, le billet ne tire plus sa valeur de sa convertibilité en or mais de son pouvoir libératoire imposé et garanti par les autorités monétaires. La monnaie scripturale La monnaie scripturale est ainsi dénommée parce qu’elle est inscrite sur les livres des établissements émetteurs, essentiel- lement les banques. Historiquement, les formes initiales de monnaie scripturale sont apparues avec les premières banques, donc bien avant les billets de banque dont l’invention ne date que du XVIIe siècle, comme on vient de le voir. Mais ce n’est qu’à une période récente que s’est effectuée la diffusion de la monnaie scripturale dans le public, sous forme de virements de compte à compte, en même temps que se développent et se diversifient les échanges. Les Grecs et les Romains connaissaient déjà les virements entre comptes, de même que les Arabes qui les utilisaient au IXe siècle. Leur véritable développement date du XVIIIe siècle grâce aux marchands italiens et flamands. Au début, il s’agit de virements effectués à partir de comptes courants de mar- chands tenus par les banquiers changeurs. Les règlements se faisaient comme aujourd’hui par débits et crédits de compte. Des transferts pouvaient s’opérer entre banques qui réalisaient des opérations de compensation entre elles (définition p. 23). Ainsi étaient effectués par écriture sur une vaste échelle des règlements dont le montant dépassait ceux réalisés en pièces métalliques dès les XIVe et XVe siècles. Une innovation importante a été la lettre de change ou traite, apparue au XIVe siècle, qui a joué un rôle important dans les règlements à distance des échanges commerciaux. Reconnais- sance de dette entre négociants, la lettre de change est un 10 instrument de crédit, largement utilisé à l’échelle internationale pour des opérations impliquant un échange entre des monnaies, d’où le nom qui lui a été donné. Par exemple, un marchand lyonnais reçoit d’un marchand-banquier italien 1 000 ducas à rembourser dans trois mois. Pour obtenir son prêt, le marchand lyonnais enjoint l’un de ses clients hollandais qu’il a fourni en soieries de payer, dans un délai de trois mois, 100 000 deniers. L’ordre, par lequel le marchand lyonnais demande à son confrère hollandais de payer les 100 000 deniers, est matérialisé par une lettre de change. Cette lettre est signée par le marchand lyonnais (le preneur), puis remise par celui-ci au marchand-banquier italien (le donneur) qui la fait parvenir à son correspondant d’Amsterdam (le béné- ficiaire) pour qu’il la présente à l’échéance au marchand hol- landais (le payeur). Cette opération donne lieu à un crédit et à un échange entre monnaies réalisés par le banquier moyennant rémunération (exemple donné par Marchal et Poulon ). La lettre de change est l’ancêtre des techniques ultérieures plus sophistiquées, dont le chèque bancaire, et qui fonctionnent sur le même principe (voir p. 14). La généralisation de ces techniques, notamment dans le cadre des foires, va donner naissance à de vastes systèmes de compensation multilatérale dans lesquels des intermédiaires spécialisés — les banquiers — vont s’interposer pour centra- liser les lettres de change, évaluer la qualité de celles-ci, et effectuer les opérations de change lorsque celles-ci sont libellées dans des monnaies différentes. Se mettent ainsi en place les premiers systèmes de paiement centralisés qui préfi- gurent les systèmes de paiement modernes. L’escompte, apparu à partir du XVIIIe siècle, va donner une nouvelle dimension à l’activité des banques. En pratiquant l’escompte, la banque achète une traite à son client et lui remet en échange des billets ou des espèces ; la banque fait ainsi du crédit. Cette opération nécessite que la banque détienne des liquidités en réserve, ce qui sera le point de départ d’une autre activité des banques, celle de collecter des dépôts auprès du public. On peut ainsi considérer que les techniques d’escompte sont à l’origine des opérations d’intermédiation bancaire tradi- tionnelles, qui sont de collecter des dépôts, d’effectuer des crédits, et de gérer les moyens de paiement [Plihon, 1999b]. 11 2. Les moyens de paiement actuels : prédominance de la monnaie scripturale En France, M1 était composée en 2004 par de la monnaie manuelle (billets et pièces) à hauteur de 10 %, et pour une proportion beaucoup plus importante (près de 90 %) par de la monnaie scripturale, c’est-à-dire par les dépôts à vue dont la part n’a cessé de croître (tableau 1). Les billets, traditionnellement dénommés monnaie fidu- ciaire, sont émis par la banque centrale, institut d’émission qui en possède le monopole. Ces billets ont à la fois « cours légal » — ils ne peuvent être refusés comme moyens de paiement — et « cours forcé » — ils sont inconvertibles en or. Le montant global des billets émis figure au passif du bilan de la banque centrale. Dans le cadre de l’union monétaire européenne, les billets en euro seront enregistrés, à partir de janvier 2002, au bilan consolidé du système européen des banques centrales (SEBC) ; leur mise en circulation sera assurée par les banques centrales nationales (cf. encadré p. 92). TABLEAU 1. — COMPOSITION DES MOYENS DE PAIEMENT (M1) EN FRANCE En % 1960 1970 1980 1990 2000 2004 (a) Monnaies division- naires (pièces) 1,2 1,1 1,2 1,0 0,8 — Billets (monnaie fiduciaire) 41,0 31,6 20,0 14,0 11,8 10,0 (b) Dépôts à vue (mon- naie scripturale) 57,8 67,3 78,8 85,0 87,4 90,0 Total 100 100 100 100 100 100 (a) Estimation de l’auteur. (b) Monnaies divisionnaires et fiduciaires confondues pour 2004. Source : Banque de France. Les pièces, ou monnaies divisionnaires, sont émises par le Trésor, fabriquées par l’administration des Monnaies et Médailles, mais mises en circulation par la Banque de France en fonction des besoins. 12 La monnaie scripturale est constituée par les dépôts à vue et les comptes créditeurs que les agents non financiers (ANF) possèdent dans les établissements de crédit et aux centres de chèques postaux (CCP), et qui permettent d’effectuer des paiements grâce aux instruments qui seront décrits au para- graphe suivant. Toutes les entreprises sont titulaires de comptes bancaires. La quasi-totalité des particuliers dispose d’un compte bancaire ou postal. Cette forte « bancarisation » a été favorisée par la loi qui impose le règlement en monnaie scrip- turale pour des raisons de contrôle fiscal et de lutte contre le blanchiment des capitaux. De même en est-il de la reconnais- sance du « droit au compte » — qui n’est pas assimilable à un droit au carnet de chèques — dans un établissement bancaire de son choix pour toute personne physique résidant en France. Le développement rapide de la monnaie scripturale, dont la part dans les moyens de paiement est passée de 58 % à 90 % de 1960 à 2004 (tableau 1), s’explique également par des qualités de commodité — les règlements par jeux d’écriture évitant les déplacements — et de sécurité puisque la preuve du paiement apparaît dans la comptabilité des organismes gestionnaires des comptes. La monnaie scripturale figure au passif du bilan des établis- sements habilités à gérer celle-ci. En France, ce privilège de gestion des dépôts à vue transférables est actuellement réservé à cinq groupes d’institutions financières : les banques, les CCP, les caisses d’épargne depuis 1978, le Trésor public et la Banque de France. Dans la réalité, la plus grande partie de la TABLEAU 2. — RÉPARTITION DE LA MONNAIE SCRIPTURALE PAR RÉSEAUX GESTIONNAIRES En % 1980 1990 2000 2002 Banques 64,8 66,4 70,6 70,4 La Poste 13,7 11,4 8,9 8,7 Caisses d’épargne 0,6 2,7 4,5 6,4 Trésor public 9,7 9,5 11,5 13,0 Autres (dont Banque de France) 11,2 9,9 4,5 1,5 Total 100 100 100 100 Source : Banque de France. 13 monnaie scripturale est gérée par le Trésor public (environ 13 % en 2002), les centres de chèques postaux (9 %) et, surtout, les banques (70 %) (tableau 2). Instruments de circulation de la monnaie scripturale Il faut soigneusement distinguer la monnaie scripturale, c’est-à-dire la provision d’un compte, et les instruments qui permettent de la faire circuler. Le rôle de ces instruments est de matérialiser l’ordre, donné par le débiteur au gestionnaire de son compte, de verser une somme déterminée à lui-même ou à un tiers. Le développement de ces instruments s’est déroulé en trois étapes, qui correspondent à un processus de dématé- rialisation progressive des supports utilisés : ce sont les ins- truments papier, puis les instruments automatisés et enfin la monnaie électronique qui n’en est qu’à ses débuts. Les instruments « papier » prennent quatre formes : — le chèque bancaire est un ordre adressé par le titulaire d’un compte dans une banque, ou dans un autre établissement habilité à gérer de la monnaie scripturale, de payer immédiatement au porteur du chèque la somme inscrite sur celui-ci. Ce dernier transmettra le chèque, qu’il aura barré et endossé (signé), à sa propre banque ou, plus rarement, en touchera le montant en billets au guichet de la banque du payeur (chèque non barré) ; — le titre interbancaire de paiement (TIP), ou avis de prélè- vement, est un formulaire comportant le montant et les réfé- rences du paiement ainsi que le numéro de compte et le code de la banque du débiteur. Ce dernier n’a plus qu’à signer et à retourner le titre à son créancier qui l’enverra à l’encais- sement. Cet instrument est largement utilisé pour le règlement des factures EDF, Trésor et assurances ; — le virement bancaire consiste en une écriture comptable débitant le compte d’un client pour créditer le compte d’un autre client. Ce système est plus souple que le chèque : un ordre de virement peut être donné par télex, fax ou Minitel ; — les effets de commerce, titres de crédit interentreprises qui fonctionnent sur les mêmes principes que la lettre de change déjà citée (p. 10), sont également un moyen de faire circuler la monnaie scripturale. 14 Le coût de traitement des instruments papier est très élevé (le coût unitaire de traitement des chèques est de l’ordre de 0,45 à 0,75 euro) ; il représente une part importante des frais d’exploitation des banques. Aussi, ces dernières ont-elles cherché à développer de nouveaux instruments moins coûteux grâce une automatisation poussée. Les instruments automatisés sont la LCR, le virement et le prélèvement automatisés, et la carte bancaire : — la lettre de change relevé (LCR) est l’enregistrement des effets de commerce sur support magnétique pour leur trai- tement sur ordinateur ; — le virement automatisé est un ordre permanent donné à la banque soit d’avoir à payer à un tiers un montant donné à une date fixe (salaires, loyer…), soit de virer d’un compte à vue sur un compte à terme producteur d’intérêts des fonds au-delà d’un certain montant ; — le prélèvement automatique est l’autorisation permanente donnée à la banque d’honorer des factures présentées par un agent désigné par le titulaire du compte. Cet instrument est utilisé, en concurrence avec le TIP, pour le paiement des factures EDF, téléphone, Trésor ; — la carte bancaire est le plus connu des instruments destinés à faire circuler la monnaie scripturale sans support papier. En France, à la différence de ce qui se passe à l’étranger, un seul type de carte bancaire (la carte bleue) est valable sur l’ensemble du réseau bancaire et remplit simultanément trois fonctions. C’est d’abord un instrument de paiement permettant d’effectuer les paiements chez les commerçants affiliés au réseau. La carte bleue est ensuite un instrument de retrait des billets dans les distributeurs automatiques de billets (DAB), ce qui contribue à accroître la substituabilité entre monnaie scripturale et monnaie fiduciaire. La carte bancaire peut constituer, en troisième lieu, un instrument de crédit qui donne à son titulaire la possibilité d’effectuer des achats à paiement différé. La France est, après les États-Unis, le pays qui bénéficie du plus fort taux d’utilisation des moyens scripturaux par habitant. De 1985 à 2003, le nombre d’opérations scripturales a plus que doublé, passant de 4,6 à 10,5 milliards d’opérations (tableau 3). 15 On s’attend à ce que cette progression se poursuive dans les prochaines années. La structure des moyens de paiement scripturaux se trans- forme profondément au cours du temps. Jusqu’au début des années deux mille, le chèque était le moyen de paiement le plus utilisé en France, à la différence d’autres pays, comme la Suisse ou l’Allemagne. Mais, au cours de la dernière décennie, le paiement par carte bancaire a fortement pro- gressé, cet instrument étant plus efficace et moins coûteux pour les banques. Pour la première fois en 2003, la proportion des opérations effectuées par carte bancaire (34,4 %) a dépassé la part qui revient aux chèques (32,6 %) (tableau 3). Ce succès du chèque en France s’explique par une série de facteurs, parmi lesquels sa gratuité, imposée par un décret-loi de 1935 et pérennisée par les décrets Debré de 1967 qui impo- saient simultanément la non-rémunération des dépôts à vue. Cette doctrine du « ni, ni », spécifique à la France, est remise en cause dans le contexte du marché unique européen. TABLEAU 3. — ÉVOLUTION DES PAIEMENTS EN MONNAIE SCRIPTURALE Échanges interbancaires officiels (en millions d’opérations) 1985 1990 2000 2003 % % % % Chèques 3 414 73,8 3 750 58,7 3 762 38,4 3 647 32,6 Virements interbancaires 559 12,0 803 12,6 1 481 15,6 1 681 15,8 Effets de com- merce/LCR 122 2,6 150 2,3 117 1,2 107 1,0 Avis de prélè- vement/TIP 337 7,3 560 8,8 1 462 15,4 1 727 16,2 Cartes bancaires 194 4,1 1 128 17,6 2 782 29,3 3 660 34,4 Total 4 626 100 6 391 100 9 604 100 10 504 100 Source : Banque de France. 16 La monnaie électronique ou monétique constitue la troi- sième vague d’innovations en matière d’instruments de paiement scripturaux. La monnaie électronique peut être définie comme l’ensemble des techniques informatiques, magnétiques, électroniques et télématiques permettant l’échange de fonds sans support de papier. L’avènement de la monnaie électronique va de pair avec l’utilisation des nou- velles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Le concept de monnaie électronique est apparu avec la technologie de la carte à microcircuit et son utilisation dans des projets de cartes prépayées multiprestataires. Plus récemment, les nouvelles perspectives offertes par des réseaux ouverts de type Internet ont élargi les potentialités de développement de la monnaie électronique qui prend deux formes principales : — le porte-monnaie électronique (PME), qui repose sur l’uti- lisation du microprocesseur d’une carte, sur lequel sont enre- gistrés des signes électroniques représentant un pouvoir d’achat transférable à un nombre élevé de bénéficiaires potentiels ; — le porte-monnaie virtuel (PMV), pour lequel ces mêmes signes électroniques sont stockés dans la mémoire d’un ordi- nateur et permettent d’effectuer des transactions à distance, en utilisant les réseaux de télécommunications du type Internet. Dans la plupart des pays européens, des formules de porte- monnaie électronique ont été mises en place au cours des années quatre-vingt-dix. Le premier projet français est Monéo qui réunit les principaux établissements bancaires. Monéo permet de charger 100 euros sur une carte à puce à partir d’une borne et de payer des dépenses de 1 centime à 30 euros. Son utilisation devrait se généraliser auprès des commerces, des autoroutes et des transports collectifs. La monnaie électronique est appelée à se développer rapi- dement, ce qui pourrait avoir d’importantes implications sur le métier de banquier et transformer les relations entre la banque et sa clientèle. En effet, l’extension de la monétique devrait se traduire à terme par une disparition progressive des chèques, dont le traitement est très coûteux pour les banques, et par une réduction de l’usage des règlements en espèces (billets et pièces). Dans un futur peut-être assez proche, les particuliers seront en mesure d’acquitter la plupart de leurs transactions sur simple présentation de carte à puce, l’opération de débit étant 17 transmise en temps réel par un terminal placé chez les commerçants à la banque gestionnaire du compte. Ce qui donne à la monétique un caractère de liquidité parfaite (au sens de la disponibilité immédiate). 3. Le processus de création monétaire La monnaie contemporaine est principalement scripturale et émise par les banques, comme on vient de le voir. Il est donc important de préciser par quels mécanismes les banques créent de la monnaie et participent à la croissance de la masse monétaire. La monnaie scripturale correspond aux dépôts à vue (DAV), inscrits au passif des banques et détenus par les agents non bancaires. La monnaie scripturale circule par l’intermédiaire des différents instruments qui en permettent la circulation (chèques, cartes bancaires). Le dépôt est la provision d’un compte, celui-ci pouvant être alimenté soit par une remise de billets, soit par un virement d’un autre compte, soit grâce à un crédit accordé par la banque. Ce dernier procédé est celui qui provoque l’augmentation de la masse de monnaie en circulation. Dans un système de banque unique Supposons, pour simplifier, que le système bancaire soit composé d’une seule banque, et qu’il n’existe donc pas de pro- blèmes de conversion d’une monnaie dans une autre. Cette hypothèse sera levée au paragraphe suivant. Prenons le cas d’une entreprise qui emprunte auprès de sa banque. Le méca- nisme de la création monétaire se réalise par un accroissement simultané de l’actif et du passif de l’établissement bancaire concerné, illustré par le schéma ci-après : (actif) Banque (passif) (actif) Entreprise (passif) Crédit + 100 DAV + 100 Avoir à la Dette + 100 banque + 100 F F 18 La monnaie créée se concrétise par une inscription au compte (DAV, pour dépôts à vue) du client emprunteur qui figure au passif du bilan bancaire ; la contrepartie est inscrite à l’actif à un poste créance sur le client. Le remboursement du crédit aboutira, de façon symétrique, à une destruction de monnaie en diminuant à la fois l’actif et le passif du bilan ban- caire. La masse monétaire — constituée essentiellement par la monnaie scripturale — s’accroît lorsque les flux de rembour- sements sont inférieurs aux flux des crédits nouveaux, de la même manière que le niveau d’une piscine s’élève lorsque le flux d’écoulement est inférieur au flux de remplissage. Tous les crédits ne donnent pas nécessairement lieu à de la création monétaire : c’est le cas d’un crédit « interentreprises », pour lequel le financement s’opère par prélèvement sur res- sources existantes. De même en est-il de certains établis- sements qui ouvrent des comptes à leurs clients — les services financiers de La Poste par exemple — mais ne peuvent financer ceux-ci qu’en drainant une épargne préexistante. Les banques commerciales collectent également de l’épargne ; la part des crédits financés sur épargne ne participe pas, par définition, à la création de monnaie. La création monétaire ne résulte pas uniquement des opé- rations de crédit. Par exemple, lorsqu’un exportateur apporte à sa banque des devises étrangères et demande des euros en échange, le compte du client est crédité, selon les écritures ci-après : Banque Exportateurs Devises + 100 DAV + 100 Avoirs en devises – 100 Avoirs en euros + 100 F F La banque a réalisé une opération de création monétaire ; la masse monétaire en euros augmente. Dans ce cas, l’accrois- sement de la masse monétaire a pour contrepartie une augmen- tation des créances du système bancaire sur l’extérieur, ce qui sera analysé plus loin au chapitre III (p. 45). 19 Dans un système bancaire diversifié Dans la réalité, le système bancaire est composé d’une mul- tiplicité d’établissements et de plusieurs formes de monnaies. Cette diversité tient, en premier lieu, à la coexistence de monnaie scripturale et de monnaie fiduciaire. L’émission de billets est le monopole de la banque centrale, souvent qualifiée pour cette raison d’« institut d’émission ». Les banques, de leur côté, ont le monopole de la création de monnaie scripturale. Ce privilège n’est accordé qu’aux établissements qui ont reçu un « agrément » des autorités monétaires pour la mise à dispo- sition de la clientèle des moyens de paiement. Ce pouvoir de création monétaire des banques n’est pas illimité ; il est contraint par les « fuites » de liquidité subies par les banques lorsqu’elles doivent assurer la conversion de leur monnaie dans une autre forme de monnaie. Ainsi, les banques doivent répondre aux demandes de retrait de billets et assurer la conversion de monnaie scripturale en billets. Supposons qu’une banque crée de la monnaie scripturale à hauteur de 100 euros à la suite d’un crédit accordé à un parti- culier (1). Ce dernier décide ensuite (2) de convertir ses avoirs en billets pour un montant de 30 euros. La banque subit une « fuite » de 30 euros correspondant aux billets qu’elle doit se procurer auprès de la banque centrale. Son compte à la banque centrale est débité d’autant, selon les écritures ci-dessous : Banque Particulier 1. Crédit + 100 DAV + 100 1. Avoir à Dette + 100 la banque + 100 2. Compte à la banque DAV – 30 }2.à laAvoir banque – 30 centrale – 30 Billets + 30 } Banque centrale Billets + 30 Compte de la banque – 30 À la suite de ces opérations, la création de monnaie scrip- turale, inscrite au passif de la banque, est limitée à 70 euros. 20 Toutefois, la masse monétaire dans son ensemble (billets et dépôts à vue) a augmenté de 100 euros. La diversité des systèmes bancaires modernes provient éga- lement de la multiplicité des banques. Chaque banque émet sa propre monnaie (la monnaie « Crédit lyonnais », la monnaie « Crédit agricole »…) et toute banque est tenue d’assurer la conversion de « sa » monnaie dans celle des autres. Cette conversion entre les monnaies émises par les différentes banques constitue une autre forme de « fuite » pour chaque banque qui vient limiter son pouvoir de création monétaire. Supposons que le Crédit lyonnais crée 100 euros à la suite d’un crédit accordé à l’entreprise Renault (1) et que cette der- nière utilise ce crédit à hauteur de 50 euros pour payer son fournisseur Michelin (2). Michelin est client du Crédit agricole qui reçoit ces 50 euros en dépôt. Le Crédit lyonnais subit une « fuite » de 50 euros qu’il finance par un emprunt « interban- caire » auprès du Crédit agricole selon les écritures suivantes : Crédit lyonnais Crédit agricole 1. Crédit + 100 DAV + 100 2. DAV – 50 2. Crédit DAV de au CL + 50 Michelin + 50 Dette + + envers CA + 50 Renault Michelin 1. Avoir Dette + 100 au CL + 100 _ _ 2. Avoir 2. Avoir au CL – 50 au CA + 50 Au total, la création de monnaie « Crédit lyonnais » a été limitée à 50 euros par suite de la conversion de cette monnaie dans celle du Crédit agricole. Mais la création monétaire globale, au niveau de l’ensemble du système bancaire, s’est élevée à 100 euros. Celle-ci est répartie entre les deux réseaux bancaires. 21 Circuits de la monnaie scripturale et systèmes de paiement Le pouvoir de création monétaire d’une banque dépend de l’importance du circuit monétaire géré par celle-ci [Béziade, 1989]. Un circuit monétaire est constitué par l’aire de circu- lation d’une monnaie dans laquelle ne se pose pas de pro- blème de conversion ou de transfert. Ainsi en est-il lorsque la monnaie scripturale circule dans les comptes d’une même banque ; en ce cas, il s’agit d’une simple question de pas- sation d’écritures : la banque débite le compte du « tireur » et crédite celui du bénéficiaire, comme dans le cas d’un système de banque unique analysé précédemment. En revanche, lorsque les règlements concernent des établissements différents, ceux-ci doivent être en mesure d’assurer la conversion en monnaies d’autres circuits. Les transferts d’un réseau à l’autre constituent des « fuites » qui posent aux émetteurs de monnaie un problème de liquidité, qu’ils pourront satisfaire en empruntant soit auprès de la banque centrale, soit auprès d’autres établissements de crédit (sur le marché interbancaire), comme dans l’exemple précédent. La masse considérable de règlements qui transitent entre les banques repose sur une organisation de plus en plus complexe — appelée système de paiement — afin de satisfaire les exigences d’efficacité et de sécurité. Les innovations tech- nologiques récentes dans le domaine du traitement et de la cir- culation de l’information ont permis d’importants progrès. La question de la gestion des systèmes de paiement est devenue un enjeu central pour le fonctionnement des systèmes bancaires et financiers modernes. Le système de paiement français s’articule autour de deux circuits empruntés par les moyens de paiement pour apurer les opérations de règlement : d’une part, le circuit des opérations de masse de petits montants (chèques, cartes bancaires, vire- ments-prélèvements…) et, d’autre part, le circuit des gros montants (virements de trésorerie, règlements contre livraison de titres, marché monétaire et de change…). Ces deux circuits ont des caractéristiques très différentes : au milieu des années quatre-vingt-dix, le circuit des opérations de masse traite près de 9 milliards d’opérations par an pour un montant global de 400 milliards de francs par jour, tandis que 22 le circuit des gros montants traite 9 millions d’opérations pour un montant de 1 200 milliards par jour. L’une des fonctions majeures des systèmes de paiement est d’assurer les opérations de compensation, c’est-à-dire de solder les créances et les dettes entre établissements. Une part crois- sante de la compensation est automatisée. Pour les opérations de masse, on a créé en 1994 le système interbancaire de télé- compensation (SIT). Les opérations de gros montants sont traitées par plusieurs systèmes, dont le système net protégé (SNP), mis en place en 1997, et le système RELIT (règlement- livraison titres) à grande vitesse, opérationnel depuis 1998 pour la compensation des opérations sur titres. La monnaie « centrale » et le rôle de la banque centrale La banque centrale émet deux types de monnaies : les billets pour lesquels elle a un monopole, et de la monnaie scrip- turale qui circule essentiellement entre les intermédiaires financiers. Tous les établissements de crédit, ainsi que le Trésor public dont la banque centrale gère les disponibilités, ont obli- gation de détenir un compte courant à la banque centrale qui leur permet de régler entre eux leurs dettes. C’est par l’inter- médiaire de ce compte que s’effectuent les opérations de « compensation » entre banques présentées plus haut. De plus, la banque centrale gère les réserves de change du pays : les banques s’adressent à elle pour acheter ou vendre des devises étrangères lorsqu’elles ne peuvent équilibrer ces opérations entre elles sur le marché des changes. Ce rôle de « banque des banques » donne à sa monnaie — la monnaie centrale — une importance capitale dans la réalisation de l’unité du système monétaire. La banque centrale a une fonction de « bouclage » de la liquidité du système monétaire : elle alimente ce dernier en liquidité et utilise cette fonction pour influencer le processus de création monétaire d’après ses objectifs de politique monétaire (voir p. 91). En cas de diffi- cultés, lorsqu’il y a un risque grave d’insuffisance de liquidité dans le système de paiement — par exemple, à la suite de la défaillance d’un établissement —, la banque centrale peut intervenir pour éviter une crise : on qualifie cette fonction de prêteur en dernier ressort. 23 Au total, les comptes courants banque centrale par lesquels circule la monnaie centrale permettent : — le règlement des opérations de compensation des banques ; — la conversion de la monnaie scripturale bancaire en billets ; — enfin, la communication avec l’ensemble des monnaies étrangères grâce aux comptes que les institutions interna- tionales ou étrangères détiennent à la banque centrale. La monnaie centrale a ainsi une suprématie sur les autres formes de monnaies auxquelles elle est hiérarchiquement supé- rieure, ce qui en fait un instrument de la politique monétaire. En effet, comme on le verra au chapitre VI, c’est en agissant sur la quantité de monnaie centrale en circulation, principalement par le canal des interventions sur le marché monétaire, que les banques centrales cherchent à réguler la création monétaire et les taux d’intérêt. II / La monnaie, actif de patrimoine, et ses substituts Si la monnaie est d’abord un moyen de paiement, elle est également un instrument de réserve de valeur, une des formes que peut prendre la richesse. Elle offre l’avantage, par rapport à d’autres actifs de patrimoine — tels que les valeurs mobi- lières et les immeubles —, d’être l’actif le plus liquide, c’est-à- dire d’être immédiatement disponible et sans risque, sauf en cas d’inflation. En contrepartie, la monnaie a l’inconvénient d’être faiblement ou non rémunérée (1). Cependant, les inno- vations financières ont multiplié les produits de placement aisément convertibles en moyens de paiement et qui pro- curent un revenu financier sans grand risque : les « actifs financiers liquides ». Les agents sont donc incités à substituer dans leur patrimoine ces actifs « quasi monétaires » à la monnaie elle-même, sans que cela affecte leur capacité de dépense (2). Cette évolution rend de plus en plus floue la fron- tière entre les moyens de paiement et les actifs financiers liquides, ce qui gêne la délimitation des « agrégats moné- taires », indicateurs destinés à mesurer la masse monétaire et à éclairer les autorités monétaires sur les capacités de dépense des agents économiques (3). De même, on constate une aug- mentation de l’importance, dans les patrimoines, des pla- cements financiers correspondant à une volonté d’épargne et pouvant à tout moment se transformer en moyens de paiement (4). 25 1. La gestion de patrimoine Chaque agent économique détient un patrimoine qui se décompose en deux éléments : ses actifs et ses dettes. Les actifs prennent trois formes principales : les actifs réels, les actifs financiers et les avoirs monétaires. Les actifs réels corres- pondent aux biens de production (immeubles, machines, stocks) et aux biens de consommation durables (voitures, meubles, équipement électroménager, œuvres d’art). Les actifs financiers correspondent aux titres à long terme (actions, obli- gations) et à court terme (bons du Trésor, billets de trésorerie, certificats de dépôt) négociables sur les marchés de capitaux. Les actifs monétaires concernent la monnaie sous ses diffé- rentes formes. Chaque agent cherche à répartir la composition de son patri- moine entre ses différents actifs de manière à ce que celui-ci lui procure une satisfaction maximale, compte tenu de ses objectifs et de ses préférences. Plus précisément, deux critères sont pri- vilégiés pour assurer la gestion du patrimoine : le risque et le rendement des actifs. On distingue deux types de rendement : le rendement d’usage et le rendement financier. Le rendement d’usage découle des services rendus par un actif, par exemple de l’uti- lisation d’une voiture par son propriétaire ; ce service peut être évalué, en termes monétaires, par le coût de location d’un véhicule similaire. Ce rendement d’usage concerne essentiel- lement les biens réels, mais peut provenir également des actifs monétaires, comme on le verra plus loin. Les rendements financiers comprennent deux éléments : d’une part, les revenus procurés par les actifs : loyers des immeubles, intérêts sur les titres, dividendes des actions, et, d’autre part, les gains (ou les pertes) en capital correspondant aux plus-values (moins-values) réalisées lors de la revente d’immeubles ou d’actifs financiers. Les risques liés à la détention d’un patrimoine sont de quatre ordres : (a) le risque d’insolvabilité correspond à la perte qui se matérialise en cas de non-remboursement du débiteur. Ainsi en est-il lorsqu’une entreprise fait faillite et que les dettes émises par cette entreprise perdent tout ou partie de leur valeur. (b) Le risque de taux d’intérêt provient des pertes de revenus liées à 26 une évolution défavorable des taux d’intérêt. (c) Le risque de capital découle des pertes liées aux fluctuations brutales des prix des actifs réels et financiers. De tels risques apparaissent, par exemple, lorsque les prix des actifs baissent brutalement lors d’un krach immobilier ou financier. Ce risque de marché se matérialise lorsque l’actif est « liquidé » à perte, c’est-à- dire qu’il est revendu à un prix inférieur à son prix d’achat. Enfin, (d) le risque d’illiquidité correspond à la situation où un agent ne dispose pas des « liquidités » suffisantes, c’est-à-dire des moyens de paiement pour payer une dépense ou rem- bourser une dette : il encourt alors des frais, provenant de la vente urgente d’une partie de ses actifs réels ou financiers pour se procurer les moyens de paiement nécessaires. Ces frais sont de deux ordres : des coûts de négociation (par exemple, commissions perçues par les banques) liés à la vente d’actifs, et des coûts de liquidation, provenant des pertes éventuelles dues à la cession d’actifs aux conditions du marché. Ces considérations permettent de montrer le rôle spécifique de la monnaie dans la gestion du patrimoine. Singularité des actifs monétaires La monnaie se distingue des actifs réels et financiers parce qu’elle ne présente, en principe, aucun des risques men- tionnés précédemment. C’est un actif sans risque ; on dit que c’est l’actif le plus liquide. Un actif liquide a deux caractéristiques principales : — sa valeur nominale est stable : il ne présente pas de risque de variation de sa valeur nominale (absence de risque de capital) ; — il est immédiatement disponible pour le règlement des tran- sactions : un actif liquide peut être converti, sans coûts et sans délai, en moyens de paiement (absence de risque d’illiquidité). La monnaie possède ces deux propriétés au plus haut point. À la différences des autres actifs, réels et financiers, dont les prix fluctuent au gré des variations de l’offre et de la demande, la monnaie a une valeur nominale stable, déterminée hors marché et garantie par les banques et le Trésor, institutions cau- tionnées par l’État (absence de risque d’insolvabilité). De plus, comme on l’a vu, les établissements émetteurs de monnaie ont 27 la capacité de convertir entre elles les différentes formes de monnaie. Enfin, les actifs monétaires sont aisément divi- sibles, et peuvent prendre des valeurs très variables, s’adaptant à l’ensemble des transactions, quel que soit leur montant. Deux restrictions doivent cependant être apportées à ces qualités de la monnaie. En premier lieu, la stabilité de la monnaie ne concerne que sa valeur nominale et non pas son pouvoir d’achat exprimé en fonction des biens que celle-ci permet d’acquérir : il est clair, en effet, que le pouvoir d’achat de la monnaie (qui correspond à la quantité de chaque bien obtenue pour chaque unité de monnaie) se modifie en fonction des variations des prix des actifs réels et financiers. Par exemple, si l’inflation s’accélère, le pouvoir d’achat de chaque unité de monnaie diminue, même si la valeur nominale de celle-ci est stable. En second lieu, la stabilité de la valeur nominale de la monnaie n’est assurée que dans le pays d’émission de celle-ci : c’est la stabilité monétaire interne. En revanche, la stabilité de la monnaie sur les marchés extérieurs (stabilité monétaire externe) n’est généralement pas assurée puisque la plupart des taux de change des monnaies ne sont pas fixes mais fluctuent dans le système monétaire international actuel (voir chapitre V). La préférence pour la liquidité Ces propriétés de la monnaie, qui en font l’actif le plus liquide, expliquent pourquoi les agents économiques cher- chent à détenir une partie de leur patrimoine sous forme de monnaie. Le premier économiste à avoir insisté sur la notion de liquidité est Keynes qui, dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie , explique la détention de monnaie comme un comportement de « préfé- rence pour la liquidité ». Selon Keynes, les agents écono- miques recherchent la monnaie pour faire face à l’incertitude, c’est-à-dire à leur incapacité de prévoir l’avenir. L’économie de marché est, en effet, incertaine par nature. Car, si les évo- lutions macroéconomiques font preuve d’une relative régularité statistique, il n’en est pas de même au niveau microéconomique où sont prises les décisions individuelles. Les agents écono- miques individuels font souvent face à une incertitude radicale, 28 c’est-à-dire à un manque d’informations sur l’avenir. On trouve ici un aspect essentiel de l’économie monétaire, admira- blement décrit par Keynes. D’un côté, la monnaie est détenue parce qu’elle inspire confiance, du fait de sa qualité d’actif sans risque, garantie par le système bancaire et par l’État ; mais, d’un autre côté, les agents économiques recherchent la monnaie pour faire face à leur défiance à l’égard de l’avenir, découlant de l’incertitude. Il y a incertitude parce qu’il y a imperfection des prévisions concernant : — la synchronisation des dépenses et des recettes. Par exemple, les retards de paiement d’un débiteur ou la défaillance d’une entreprise entraînent des difficultés pour les créanciers : la détention d’actifs liquides constitue une protection contre les risques induits d’illiquidité ou d’insolvabilité ; — l’évolution des prix des actifs risqués : la détention d’actifs liquides évite les risques de perte de capital attachés aux actifs réels et financiers dont la valeur fluctue sur les marchés. Le rendement d’usage des actifs liquides réside dans le fait que ces derniers permettent d’éviter les coûts et les risques liés à la détention d’actifs risqués. Si la monnaie est l’actif le moins risqué, c’est également l’actif dont les rendements financiers sont le moins élevés. Ainsi, les actifs monétaires détenus sous forme de comptes de dépôts à vue bancaires (monnaie scrip- turale) ne sont pas rémunérés en France (cf. p. 16). Mais si les détenteurs d’actifs monétaires se contentent d’un ren- dement financier nul, supportant ainsi un manque à gagner dit coût d’opportunité, c’est parce que la monnaie leur apporte un rendement d’usage important. Les trois motifs de la demande de monnaie Afin d’expliquer le comportement des détenteurs d’encaisses monétaires, les économistes ont élaboré une théorie de la demande de monnaie. La théorie de la « préférence pour la liquidité » de Keynes en constitue le point de départ. Pour Keynes, la détention d’encaisses monétaires répond à trois motifs principaux : — le motif de transaction recouvre le besoin de disponibilités monétaires pour faire face aux dépenses courantes (achats de 29 biens et services des ménages, paiement des salaires et autres dépenses d’exploitation des entreprises) ; — le motif de précaution : la détention de monnaie permet de faire face aux imprévus budgétaires prenant la forme d’une perte inopinée de revenus ou de la survenance d’une dépense imprévue ; — le motif de spéculation désigne le choix des agents écono- miques entre liquidité et placement, c’est-à-dire l’arbitrage entre la réserve de valeur nominale stable qu’est la monnaie et les autres réserves de valeur nominale variable que sont les actifs réels et financiers. Les agents économiques arbitrent ainsi entre monnaie, biens et titres en fonction de considérations de risque et de ren- dement ; et c’est au terme de cette comparaison qu’ils défi- nissent la structure réelle, financière et monétaire de leur patrimoine. 2. Les formes actuelles des actifs financiers liquides Les agents économiques disposent aujourd’hui d’une gamme très complète de produits pour placer leur richesse financière. On a assisté, en particulier, au développement de placements présentant à la fois une grande liquidité (au sens défini précé- demment) et un rendement financier significatif, de telle sorte que la frontière entre actifs monétaires et actifs financiers a eu tendance à s’estomper. Les actifs financiers liquides correspondent à cette caté- gorie intermédiaire d’actifs qui, tout en rapportant un revenu financier, sont néanmoins peu risqués et peuvent être aisément transformés en moyens de paiement. Ces placements, rémunérés par un taux d’intérêt et non directement utilisables dans les paiements, ne sont pas de la monnaie au sens strict de M1, mais constituent un pouvoir d’achat potentiel pris en compte par les responsables de la politique monétaire. Ces actifs financiers liquides rentrent dans la composition des agrégats monétaires élargis M2 et M3, comme on le verra plus loin (p. 34). On peut classer ces actifs monétaires en deux caté- gories, selon que ceux-ci sont remboursables à leur valeur 30 nominale par les établissements émetteurs, ou qu’il s’agit d’actifs négociables sur les marchés. Les actifs liquides non négociables Cette première catégorie comprend les créances à vue ou à court terme (durée égale ou inférieure à deux ans), libellées en francs (en euros à partir du 1er janvier 2002), émises par les établissements de crédit ou le Trésor et qui sont rembour- sables au guichet de ces établissements à leur valeur nominale. Ces créances peuvent prendre des formes variables : comptes de dépôts et à terme, bons non négociables. Parmi les comptes de dépôts, on trouve les placements à taux réglementés qui sont pour la plupart défiscalisés, ce qui contribue à expliquer leur grand succès en France : livrets A, Bleu, comptes épargne-logement et comptes pour le dévelop- pement industriel (Codevi). Certains comptes sont soumis à l’impôt (notamment les livrets B et bancaires). Les comptes à terme dans les banques ou au Trésor sont des dépôts bloqués jusqu’à une échéance donnée, mais la possi- bilité est laissée à leurs détenteurs d’obtenir des retraits avant terme sur ces comptes, moyennant une réduction de l’intérêt versé. Les comptes d’épargne contractuelle (plans d’épargne- logement, plans d’épargne populaire ou PEP) reçoivent éga- lement une épargne de plus longue durée et, comme les comptes à terme, permettent des retraits avant terme. Les bons non négociables émis par les établissements de crédit et le Trésor peuvent également faire l’objet d’un rem- boursement anticipé à la demande du souscripteur à un barème fixé à l’avance : il s’agit notamment des bons de caisse des banques. Les actifs liquides négociables Cette seconde catégorie comprend les titres à court et moyen termes — dix jours à sept ans — négociables sur des marchés ouverts à tous les agents, financiers et non financiers. La valeur de ces titres varie ; ils sont donc sujets au risque de capital. On peut distinguer trois catégories d’actifs liquides négociables : 31 les titres des OPCVM monétaires (organismes de placement collectif en valeurs mobilières), les titres de créance négo- ciables (TCN) et enfin les avoirs en devises étrangères. Les organismes de placement collectif en valeurs mobi- lières (OPCVM) gèrent des portefeuilles d’actifs financiers pour le compte d’épargnants qui sont leurs actionnaires. L’actif des OPCVM est composé de leur portefeuille de titres ; leur passif est constitué par les parts représentant leur capital et qui sont émises dans le public. Il y a deux types d’OPCVM, les sociétés d’investissement à capital variable (SICAV), et les fonds communs de placement (FCP) qui n’ont pas de person- nalité juridique. Ces organismes présentent trois avantages : la gestion collective par des spécialistes, la diversification d’un portefeuille important qui assure la répartition des risques, et le remboursement au guichet des actions de SICAV ou des parts de FCP sur la base de leur valeur liquidative (valeur moyenne du portefeuille au jour du remboursement), ce qui assure la liquidité du placement, mais n’exclut pas le risque de perte en capital. Deux types d’OPCVM se sont développés : les OPCVM de long terme qui détiennent des valeurs mobilières (obligations et actions) et les SICAV monétaires dont le porte- feuille est essentiellement composé de titres négociables sur le marché monétaire (TCN). Les titres de ces SICAV moné- taires peuvent être considérés comme une réserve de moyens de paiement bien qu’il s’agisse de valeurs mobilières. Les titres de créance négociables (TCN) peuvent être regroupés en quatre catégories : — les certificats de dépôts, créés en septembre 1985, émis par les établissements de crédit (durée de dix jours à sept ans) ; ils représentent des dépôts à terme pour lesquels un rembour- sement anticipé n’est pas possible et qui permettent la cession de ces titres sur le marché lorsque leur détenteur a besoin de liquidités ; — les bons du Trésor négociables (BTN), émis par le Trésor sur le marché par adjudication, c’est-à-dire aux enchères (durée de quatre semaines à cinq ans) ; — les bons des institutions et sociétés financières, créés en décembre 1985, mai 1986 et mars 1987 selon le type d’insti- tution (durée de dix jours à sept ans) ; 32 — les billets de trésorerie, créés en décembre 1985, émis par les grandes entreprises industrielles et commerciales. Ces titres ne sont pas cotés sur les marchés comme les valeurs mobilières émises par les entreprises, mais font l’objet d’une notation (rating) par des agences d’évaluation financière (ADEF) en France. Enfin, la Banque de France inclut dans les actifs liquides les dépôts et titres de créance négociables en devises étrangères. Ces actifs, aisément convertibles en moyens de paiement en francs (ou en euros), présentent un risque particulier, qui est le risque de change, c’est-à-dire le risque de perte lié aux fluc- tuations des taux de change entre les monnaies nationales. Ce risque supplémentaire montre que tous les actifs financiers liquides ne sont pas strictement équivalents du point de vue de la nature des risques qu’ils présentent pour leurs détenteurs. 3. Monnaie et actifs financiers liquides : la délimitation des agrégats monétaires Les agrégats monétaires sont des indicateurs statistiques élaborés par les autorités monétaires et censés refléter la capacité de dépense des agents économiques. Le rôle de ces indicateurs est de fournir des informations aux banques cen- trales devant permettre à celles-ci de guider au mieux les évo- lutions monétaires en fonction de leurs objectifs. La définition de ces agrégats suppose que l’on trace une frontière entre les différents actifs financiers détenus par les agents non financiers afin de déterminer ceux qui représentent une réserve de pouvoir d’achat. Cependant, les frontières entre actifs financiers, selon leur degré de liquidité, sont rendues floues par la multiplication des innovations financières qui tendent à atténuer les diffé- rences entre les catégories d’actifs liquides. La mise en place de l’euro a été l’occasion d’une réflexion des onze pays membres de la zone euro sur la définition d’agrégats communs et harmonisés [Banque centrale euro- péenne, 1999]. Le concept d’institutions financières moné- taires (IFM) a été élaboré dans ce but par l’Institut monétaire européen (IME) en collaboration avec les banques centrales nationales. Les IFM comprennent trois catégories d’institutions 33 émettrices d’actifs monétaires. La première recouvre les banques centrales. La deuxième correspond aux établis- sements de crédit résidents de la zone euro (principalement les banques et les caisses d’épargne). Ceux-ci sont définis comme des « entreprises dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à consentir des crédits ». La troisième catégorie regroupe l’ensemble des autres institutions financières résidentes dont l’activité consiste à recevoir des dépôts et/ou des substituts proches des dépôts de la part d’entités autres que les IFM et à consentir des crédits, ou à effectuer des placements en titres. Cette catégorie comprend essentiellement les OPCVM monétaires. Partant de ce cadre d’analyse, les autorités monétaires euro- péennes ont défini trois agrégats monétaires, du plus étroit (M1) au plus large (M3), construits par intégration successive des actifs à caractère monétaire figurant au passif consolidé des IFM, et dont l’évaluation est donnée dans le tableau 4. TABLEAU 4. — LES AGRÉGATS MONÉTAIRES DE LA ZONE EURO Encours en janvier 2004 Milliards En % de M3 d’euros M1 2 713 44 % Billets et pièces en circulation 397 6% Dépôts à vue 2 316 38 % M2 5 259 85 % Dont dépôts à terme < 2 ans 1 030 17 % dépôts avec préavis < 3 mois 1 516 25 % M3 6 156 100 % Dont OPCVM monétaires 593 10 % titres de créance < 2 ans 91 1% Produit intérieur brut* 7 254 * Décembre 2003. Source : Banque centrale européenne. Ces trois agrégats correspondent aux actifs liquides suivants dans le contexte institutionnel français : — l’agrégat monétaire étroit (M1), qui représente la monnaie au sens strict, ne comprend que les actifs ayant le caractère de 34 moyens de paiement, c’est-à-dire la monnaie fiduciaire (billets et pièces) et la monnaie scripturale qui correspond aux dépôts à vue dans les banques et à La Poste transférables de compte à compte par chèques, cartes de paiement… — l’agrégat « intermédiaire » (M2) comprend, en plus de (M1), les placements à vue effectués sur des comptes sur livrets à taux réglementés, notamment les livrets A des caisses d’épargne, les comptes d’épargne-logement, les comptes pour le développement industriel (CODEVI), les livrets d’épargne populaire (LEP), les livrets « jeunes ». Ces placements — parfois qualifiés de quasi-monnaie — ont la caractéris- tique d’être disponibles à tout moment mais, contrairement aux actifs qui constituent M1, ils ne peuvent servir directement à effectuer des paiements. Les actifs inclus dans (M2 – M1) cor- respondent en grande partie aux actifs liquides non négociables présentés précédemment ; — la masse monétaire au sens large (M3) recouvre (M2) ainsi que les instruments négociables émis par les institutions finan- cières monétaires (IFM). Il s’agit en particulier des titres d’OPCVM monétaires et des titres de créances négociables (TCN), notamment les certificats de dépôt. Les actifs compris dans (M3 – M2) correspondent pour l’essentiel aux actifs liquides négociables présentés ci-dessus. Au niveau de la zone euro, en janvier 2004, la valeur globale des agrégats monétaires s’échelonnait de 2 713 milliards d’euros pour M1 à 6 156 milliards d’euros pour M3 (tableau 4), ce qui représentait respectivement 37 % et 85 % du produit intérieur brut (PIB). La proportion de ces agrégats monétaires circulant en France est de l’ordre de 20 %, ce qui correspond approximativement au poids du PIB français dans la zone euro. 4. La place de la monnaie dans l’ensemble des actifs financiers Les agents économiques ont la possibilité de répartir leur portefeuille (patrimoine financier) entre un ensemble d’actifs très large qui va des actifs financiers liquides aux actifs financiers risqués, sans oublier les placements d’assurance vie. 35 Les actifs financiers risqués correspondent pour l’essentiel aux valeurs mobilières négociables sur les marchés financiers qui sont de deux grands types : — les titres d’associés tels que les actions qui sont un droit de propriété sur les actifs sociaux de la société émettrice avec participation aux bénéfices réalisés, une partie de ceux-ci étant versée sous forme de dividendes et une autre mise en réserve, ce qui contribue à accroître les actifs nets de l’entreprise (autofinancement) ; — les titres de créance du type obligations, source d’un intérêt généralement fixe (le coupon), payés quels que soient les résultats de l’entreprise émettrice. Les valeurs mobilières se négocient aux conditions du marché. Leurs cours fluctuent en fonction de l’offre et de la demande, et dépendent de plusieurs facteurs fondamentaux : — pour les actions, les cours dépendent de la valeur actualisée des bénéfices futurs de l’entreprise émettrice. Les bénéfices sont fonction de facteurs internes à l’entreprise (la qualité de sa gestion) et externes, tels que les perspectives de croissance de l’économie et de la branche où opère l’entreprise ; — pour les obligations à intérêt fixe, le cours varie en sens inverse de l’évolution des taux d’intérêt. Si les taux s’élèvent, il est plus avantageux de souscrire des titres nouvellement émis dont la rémunération est supérieure à celle des obligations émises antérieurement. Les cours de ceux-ci vont donc baisser de manière à compenser l’écart de rémunération et il baissera d’autant plus que l’échéance (date du remboursement) est loin- taine (voir encadré p. 39). Les nouveaux comportements de placement des ménages Le patrimoine financier des ménages s’est profondément modifié en une décennie, comme le montre le tableau 5. Tout d’abord, passant de 998 à 1 964 milliards d’euros entre 1990 et 2002, la taille de ce patrimoine a pratiquement doublé. À titre de comparaison, le revenu disponible des ménages a aug- menté de 50 % pendant cette période, soit une progression deux fois moindre. En second lieu, la composition du patrimoine financier s’est transformée avec un accroissement du poids relatif des actifs financiers. De plus, les ménages ont cherché à 36 TABLEAU 5. — PLACEMENTS DES MÉNAGES FRANÇAIS (a) 1990 2002 Encours Milliards Milliards % % euros euros Épargne courte — Moyens de paiement (M1) 155 15,5 229 11,7 — Livrets non imposables (b) 192 19,2 251 12,8 — Placements à terme 65 6,5 63 3,2 — OPCVM monétaires (c) 116 11,6 47 2,4 — TCN (d) 1 0,1 12 0,6 — Total 530 53,1 602 30,7 Épargne longue — Épargne contractuelle (e) 81 8,1 253 12,9 — Obligations 52 5,2 50 2,5 — Titres d’OPCVM long terme 116 11,6 222 11,3 — Actions cotées 86 8,6 70 3,6 — Assurance vie 133 13,3 767 39,0 — Total 468 46,9 1 362 69,3 Total 998 100,0 1 964 100,0 Revenu disponible 610 988 (a) Ménages et entrepreneurs individuels. (b) Livrets A, Bleu, Codevi, comptes d’épargne-logement. (c) OPCVM placées en titres du marché monétaire. (d) Titres de créance négociables (cf. p. 32 et 56). (e) PEP, plans d’épargne-logement. Source : Banque de France. accumuler une épargne plus longue et moins liquide, comme l’illustre le tableau 5. On note ainsi un intérêt plus marqué pour les placements en actions qui sont les actifs les plus risqués. Par ailleurs, les ménages ont fait preuve d’un grand engouement pour les placements en assurance vie, dont la part est passée de 13,3 % à 39 %, ce qui a entraîné une concurrence acharnée entre banques et compagnies d’assurances. En contrepartie, on constate une baisse du poids relatif des actifs monétaires dans le patrimoine des ménages, même si ces derniers ont manifesté récemment une préférence marquée pour l’épargne contractuelle à taux administrés (plans d’épargne), 37 dont les revenus défiscalisés sont attractifs. Il est remarquable que, en une décennie, de 1990 à 2002, le poids des actifs liquides et à court terme ait baissé de plus de 20 points parmi l’ensemble des actifs détenus par les ménages, passant de 53 % à 31 %. Ces transformations dans la structure du patrimoine financier des ménages révèlent de nouveaux comportements de gestion de portefeuille. Les ménages cherchent, en effet, à réduire la part de leur patrimoine financier détenue sous forme d’encaisses monétaires non (ou faiblement) rémunérées, pour se porter vers des actions aux rendements plus élevés, et vers des actifs liquides et rémunérés tels les produits d’assurance vie ou les produits dits d’épargne contractuelle. Dans un système financier moderne, la liquidité d’un agent ne peut plus être définie par la seule détention d’encaisses monétaires dans la mesure où, d’une part, il existe des actifs rémunérés trans- formables immédiatement en moyens de paiement et, d’autre part, les ménages peuvent disposer de crédit en cas de besoin. La notion de « contrainte de liquidité » n’est plus assimilable à la détention préalable de moyens de paiement non rémunérés ; elle dépend de la richesse financière des ménages et de leur facilité d’accès à l’endettement. Ces nouveaux comportements des ménages ont plusieurs séries de causes. La baisse de l’inflation et les incitations fiscales ont rendu moins risquée et plus attractive l’épargne longue. L’incertitude concernant l’emploi et les retraites a amené les ménages à constituer une épargne de précaution. Enfin, les placements financiers des ménages ont été rendus possibles par les innovations et les nouveaux produits financiers offerts par les banques et par l’ensemble des inter- médiaires financiers. Ces actifs fournissent des services de liquidité qui ne sont que faiblement inférieurs à ceux des dépôts à vue faiblement ou non rémunérés. De plus, les actifs financiers à long terme (obligations et actions) ont vu leur liquidité s’accroître avec le développement de la taille des marchés financiers de telle sorte que la frontière entre actifs financiers liquides et actifs financiers risqués est devenue de plus en plus floue. 38 La relation entre le taux d’intérêt et le cours des obligations Prenons le cas d’une obligation per- que les rendements de chaque obli- pétuelle émise à taux fixe. Une obli- gation s’égalisent, le rendement d’une gation de 1 000 euros à 10 % rapporte obligation étant le rapport des intérêts 100 euros tous les ans, quoi qu’il (ici 100 euros) au prix de l’obligation. arrive. Son taux d’intérêt ne varie pas, Ainsi, si les taux baissent à 8 %, un le coupon reste le même (100 euros), coupon de 100 euros devra repré- mais le cours (le prix) de l’obligation senter 8 % du nouveau cours de peut varier en fonction de l’offre et de l’ancienne obligation qui s’établira la demande de titres sur le marché donc à 1 250 euros (100/1 250 = 8 %). secondaire (où s’échangent les titres Le marché des obligations s’équilibre déjà émis) des obligations. de façon à rendre identiques l’acqui- Les cours des obligations varient en sition d’une ancienne obligation et fonction de l’évolution des taux celle d’une nouvelle obligation. d’intérêt. En effet, si les taux offerts Inversement, si les taux montent, sur le marché pour les nouvelles les anciennes obligations seront moins émissions obligataires (marché pri- attrayantes et leur cours baissera. maire) passent de 10 % à 8 %, les Ainsi s’explique la relation inverse nouvelles obligations seront moins entre les taux d’intérêt et les cours. Si intéressantes que celles précédemment les taux montent, les cours des obli- émises au taux de 10 %. Ces dernières gations diminuent ; si les taux seront donc recherchées et leur cours baissent, ces prix augmentent. montera. Ce cours montera jusqu’à ce III / La circulation de la monnaie Créée par le système bancaire, la monnaie circule entre les agents économiques en fonction de leurs comportements de financement, de placement et de dépense. La circulation de la monnaie dans l’économie est ainsi déterminée par les prin- cipales opérations économiques (production, consommation et épargne) (1). La création monétaire a trois sources principales, correspondant aux trois catégories d’agents qui s’adressent au système bancaire pour satisfaire leurs besoins de financement : les ménages et les entreprises, l’État et les non-résidents dont le poids s’accroît avec l’ouverture extérieure de l’éco- nomie (2). Les comportements de dépenses et de placements financiers des acteurs économiques se répercutent sur l’intensité d’utilisation de la masse monétaire : sa vitesse de circulation. L’évolution de cette dernière dépend des compor- tements des agents économiques en matière de dépense et d’épargne, mais également des habitudes de paiement et des innovations financières et technologiques qui permettent d’accélérer la rotation des encaisses monétaires (3). 1. Le circuit simplifié de la monnaie La monnaie circule entre les agents économiques un peu comme le sang circule entre les organes du corps humain. En allant à l’essentiel, on peut dire que la monnaie circule entre trois catégories d’agents : les banques qui créent la monnaie, 40 les entreprises qui l’empruntent, et les ménages qui la dépensent ou l’épargnent. GRAPHIQUE 1. — CIRCULATION DE LA MONNAIE DANS L’ÉCONOMIE Banques 3 6 Re t en mb Prêt pô iem ou Dé e pa rse ts me d ns nt ye Mo 4 2 Salaires 1 Ménages Consommation 5 Entreprises On peut représenter la circulation de la monnaie dans l’éco- nomie par un schéma, comprenant trois pôles (les trois agents principaux) et six flux décrivant les opérations économiques de base qui se déroulent en deux périodes : — première période (flèches en traits pleins) : les entreprises cherchent à produire ; pour atteindre cet objectif, elles doivent résoudre un problème lié à un décalage inévitable entre leurs dépenses et leurs recettes : il leur faut obtenir des ressources pour engager la production (embaucher des travailleurs) avant de disposer des recettes liées à la vente de leur produit. Le rôle des banques est de prêter (1) aux entreprises pour leur permettre de combler ce décalage entre recettes et dépenses ; puis les entreprises vont payer les salaires (2) aux travailleurs ; enfin, ces derniers laissent leurs revenus en dépôt auprès des banques (3) ; — deuxième période (flèches en pointillés) : les ménages uti- lisent leurs dépôts bancaires comme moyens de paiement (4) 41 pour acheter des biens de consommation auprès des entre- prises (5) ; ces dernières utilisent ces ressources pour rem- bourser leurs emprunts (6) auprès des banques. Le circuit monétaire est bien bouclé : la création monétaire initiale, nécessaire pour amorcer le démarrage du circuit éco- nomique par la production des entreprises, se traduit in fine par une destruction de la monnaie créée au départ. Plusieurs conclusions se dégagent de cette analyse en termes de circulation de la monnaie : — les banques ont une double fonction essentielle dans l’éco- nomie : d’une part, elles financent les agents économiques, et d’autre part, elles gèrent les moyens de paiement. Ces deux fonctions sont simultanées et indissociables, comme l’illustre le célèbre adage selon lequel « les crédits font les dépôts ». À ce sujet, on a déjà vu (p. 19) que, lorsqu’une banque accorde un crédit à une entreprise, cette opération se traduit immédia- tement par deux écritures au bilan de la banque : le prêt accordé apparaît à l’actif, et le montant des liquidités ainsi créées figure au passif de la banque car elles constituent un dépôt dans cette banque sur le compte de l’entreprise emprunteuse ; — la création monétaire est le privilège des banques : celles-ci créent de la monnaie en « monétisant » leurs créances et en émettant des dettes qui ont la particularité d’être acceptées comme moyens de paiement. La plupart du temps, les créances bancaires correspondent à des crédits : il s’agit de la monnaie de crédit, créée ex nihilo par les banques à l’occasion de leurs prêts. On verra plus loin (p. 64) que la monétisation de leurs créances par les banques ne se limite pas aux crédits bancaires, mais peut également concerner des créances détenues par les banques sous forme de titres financiers (actions, obligations). L’évolution de la masse monétaire résulte du décalage entre la création et la destruction de monnaie lié aux opérations de prêt et de remboursement (de même que la population évolue en fonction de la différence entre naissances et décès). Dans une économie en croissance, dépenses et recettes des agents écono- miques progressent ainsi que leurs besoins de financement, ce qui amène une augmentation de la monnaie de crédit, les nou- veaux crédits étant supérieurs aux anciens crédits venant à échéance ; 42 — la création et la circulation monétaire sont directement liées au fonctionnement de l’économie : elles sont endogènes à l’économie. Il y a, en particulier, un lien direct entre l’offre de monnaie des banques et les besoins de financement du secteur productif (les entreprises). La création monétaire est déterminée par le niveau de l’activité économique. Par leurs prêts, les banques permettent aux entreprises d’anticiper sur leurs revenus à venir. Elles partagent de ce fait les risques pris par les entreprises et qui sont liés à l’incertitude du futur. Les banques et la création monétaire jouent donc un rôle actif dans le développement de l’activité économique : la monnaie n’est pas neutre. Cette conception de la monnaie et de son rôle dans l’éco- nomie est à l’opposé de celle défendue par la théorie quanti- tative de la monnaie (cf. encadré p. 44). 2. Les trois sources de la création monétaire Le circuit monétaire présenté ci-dessus a le mérite d’être simple et de mettre en lumière des résultats fondamentaux. Mais ce circuit doit être complété : le nombre d’agents et d’opérations est évidemment plus important dans la réalité. Deux agents supplémentaires doivent être pris en compte : en premier lieu, l’État qui est l’agent dont le poids est le plus important dans l’économie, en raison de ses fonctions budgé- taire et monétaire. Le système bancaire (banques commerciales et banque centrale) entretient des relations financières mul- tiples avec l’État. Ainsi, les banques sont amenées à financer le budget de l’État, essentiellement en achetant une part impor- tante des titres (bons du Trésor) émis par le Trésor, banquier de l’État, pour couvrir le déficit budgétaire. Ce financement du déficit budgétaire par les banques entraîne de la création monétaire : il y a « monétisation » de la dette publique. Le second agent qu’il convient d’introduire dans le circuit moné- taire est l’« extérieur » : l’économie française est largement ouverte sur l’économie mondiale ; aussi une part non négli- geable de la création monétaire a un lien direct avec les opé- rations avec l’étranger (cf. l’exemple donné p. 19). 43 La théorie quantitative de la monnaie Énoncée dès le XVI e siècle, puis atteindre qu’un seul niveau parce que reprise sous différentes formes par la les « lois du marché » sont censées suite, la théorie quantitative de la garantir le plein emploi des res- monnaie (TQM) explique la hausse sources, notamment du travail) ; des prix par une émission excessive de (2) V est exogène (dépend des monnaie par rapport à la production. habitudes et des institutions) ; (3) dans Soit M la masse monétaire, P les ces conditions, le niveau de M prix, T les quantités échangées détermine le niveau des prix P et, si M pendant l’année et V la vitesse de cir- culation de la monnaie (nombre de augmente (par exemple, par suite de paiements que chaque unité moné- la création monétaire des banques), taire effectue en moyenne pendant P augmente dans les mêmes pro- l’année). L’équation des échanges portions. En conséquence, le niveau MV = PT, énoncée par l’économiste général des prix dépend directement et américain Fisher (1867-1947), est une uniquement de la masse monétaire. évidence comptable : par définition, la Pour contrôler l’inflation, il suffit que valeur des transactions (c’est-à-dire la banque centrale contrôle l’évo- les prix P multipliés par les quan- lution de la masse monétaire. Selon la tités T, autrement dit une grandeur qui théorie quantitative la monnaie est évolue comme la valeur de la pro- neutre : elle n’agit pas sur le niveau de duction) est égale à la quantité la production et des échanges. Cette d’unités monétaires (M, la masse monétaire) multipliée par le nombre théorie correspond à une conception moyen de paiements effectués par dichotomique de l’économie (sépa- chaque unité. ration des phénomènes réels et des La théorie quantitative soutient phénomènes monétaires). que : (1) T est exogène (T ne peut On considère traditionnellement qu’il y a trois sources principales de la création monétaire. Celles-ci correspondent aux opérations de financement du système bancaire avec (1) l’extérieur, (2) l’État et (3) l’économie, c’est-à-dire les entreprises et les ménages. Les statistiques monétaires publiées par la Banque centrale européenne permettent de mettre en évidence les principaux canaux de la création monétaire. Ces informations sont fournies par l’actif du bilan consolidé du système bancaire qui enre- gistre les créances de ce dernier envers les agents non financiers (tableau 6). Quant au passif consolidé du système 44 TABLEAU 6. — M3 ET SES CONTREPARTIES BILAN CONSOLIDÉ DES IFM* DE LA ZONE EURO Encours en milliards d’euros en janvier 2004 ACTIF PASSIF Créances nettes 274 M3 6 156 sur l’extérieur Ressources financières 4 154 Créances sur l’État 2 248 Capital, réserves Créances sur l’économie 8 173 et divers 385 Total 10 695 Total 10 695 * Institutions financières monétaires, cf. p. 33-34. Source : Banque centrale européenne. bancaire, il recense les agrégats monétaires (M1 à M3) qui représentent une dette du système bancaire, comme on l’a vu (p. 34). Les banques financent une partie de leurs opérations de crédit par des ressources financières qui correspondent à l’épargne contractuelle et aux ressources non monétaires ins- crites à leur passif (tableau 10 du chapitre IV). Ces finan- cements sur ressources financières, c’est-à-dire sur une épargne préexistante, ne donnent pas lieu à de la création monétaire pour des raisons expliquées précédemment (p. 19). On fait ainsi apparaître les trois sources principales de création monétaire, dénommées « contreparties » de la masse monétaire : — la contrepartie extérieure : c’est la création monétaire qui résulte des opérations externes dont on peut distinguer deux catégories : en premier lieu, les opérations de la banque cen- trale, notamment à l’occasion de ses interventions sur le marché des changes (voir p. 94 et [Plihon, 2001]) ; en second lieu, les opérations des banques : lorsque celles-ci prêtent (empruntent) de l’euro à l’extérieur de la zone euro, elles créent (détruisent) de la monnaie à cette occasion. L’évolution de la contrepartie extérieure est liée directement à la situation de la balance des paiements. Si la balance globale (qui regroupe les transactions courantes et les mouvements de capitaux à long terme) est excédentaire, cela induit une création monétaire d’origine extérieure, par l’accumulation de réserves de change de la Banque centrale européenne et de créances extérieures du système bancaire ; 45 — la contrepartie « créances nettes sur l’État » retrace la création monétaire qui résulte de l’endettement de l’État. Ces créances sont détenues, pour l’essentiel, par les banques et la banque centrale ; — la contrepartie « créances sur l’économie » correspond aux financements consentis par le système bancaire aux agents non financiers autres que l’État (ménages, entreprises). Comme on peut le voir sur le tableau 6, cette contrepartie représente de loin la principale source de création monétaire (près de 76 % en janvier 2004), tandis que les autres sources de création moné- taire représentent respectivement 21 % pour les créances nettes sur les administrations publiques et 3 % pour les opérations avec l’extérieur. Pour calculer le montant de la création monétaire, on inclut les crédits bancaires classiques ainsi que les titres négociables (valeurs mobilières, titres à court terme) émis par les entre- prises et le Trésor, et qui sont achetés par les banques sur les marchés financiers. En effet, dans les deux cas, les banques pro- duisent elles-mêmes les ressources nécessaires à l’acquisition de ces créances en effectuant de la création monétaire. On verra au chapitre suivant (p. 64) que cette deuxième forme de création monétaire, par la monétisation des titres négociables, prend une importance croissante dans le système financier actuel. 3. La vitesse de circulation de la monnaie Les comportements de dépense et de placement financier des agents économiques se répercutent sur l’intensité de l’utili- sation de la masse monétaire : sa vitesse de circulation. À cer- taines périodes, la monnaie reçue par les agents économiques est aussitôt dépensée, échangée contre des actifs réels ou financier

Use Quizgecko on...
Browser
Browser