Carthage : de la colonie tyrienne à la mégapole hellénistique PDF

Summary

This PDF is a scholarly article about the history of Carthage, focusing on its transformation from a Tyrian colony to a Hellenistic metropolis. It analyzes archaeological evidence and examines the urban development, commerce, and organization of the city.

Full Transcript

Publications de l'École française de Rome Carthage : de la colonie tyrienne à la mégapole hellénistique Serge Lancel Citer ce document / Cit...

Publications de l'École française de Rome Carthage : de la colonie tyrienne à la mégapole hellénistique Serge Lancel Citer ce document / Cite this document : Lancel Serge. Carthage : de la colonie tyrienne à la mégapole hellénistique. In: Mégapoles méditerranéennes. Géographie urbaine rétrospective. Rome : École Française de Rome, 2000. pp. 506-533. (Publications de l'École française de Rome, 261); https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_2000_act_261_1_6277; Fichier pdf généré le 08/03/2024 Serge Lancel Carthage : de la colonie tyrienne à la mégapole hellénistique Il faut commencer par dire que, s’il y a une petite possibilité d’inclure la Carthage punique dans le panorama des mégapoles du monde antique, c’est à l’action conjuguée de la République tunisienne et de l’Unesco que nous le devons. Au début des années soixante-dix, on ne connaissait encore que par bribes l’his 506 toire du site, en dépit du travail méritoirement accompli sur le terrain par les cher¬ cheurs français. À partir de 1974, vingt années de fouilles internationales ont considérablement renouvelé et enrichi notre savoir sur l’histoire urbaine de la pre¬ mière Carthage. Si, comme on le constatera chemin faisant, trop de zones d’ombre subsistent encore pour qu’on puisse envisager un exposé suivi, quartier par quartier, comme au début de ce siècle Aug. Audollent l’avait fait pour la Carthage romaine, il devient possible aujourd’hui de dresser au moins des plans de phase schématiques. Ce sont ces plans, obtenus par le report de vestiges mainte¬ nant identifiés, qui nous permettront de dire à partir de quand et dans quelle mesure Carthage est devenue une « mégapole », selon certains des critères rete¬ nus dans l’épure du projet de recherche. Il s’agit, on l’a compris, des critères qui sont fournis par les données archéo¬ logiques : essentiellement des critères quantitatifs, spatiaux et dimensionnels ; qualitatifs aussi cependant, dans la mesure où la qualité de l’urbanisme, de l’architecture et du décor architectural est caractéristique du statut d’une ville ; fonctionnels, aussi, pour autant que ce que nous savons de la « logis¬ tique » urbaine d’une cité antique est révélateur de son statut. Faute de docu¬ mentation épigraphique - à une ou deux exceptions près, on le verra -, en l’ab¬ sence de sources textuelles relatives à l’administration de la cité, et aux règlements édilitaires, à l’activité économique et à l’organisation sociale, c’est en effet la documentation archéologique qu’il faut surtout interroger pour ten¬ ter d’évaluer le poids urbain de la Carthage punique aux différentes époques de son histoire. L'époque archaïque (fin vme-vie siècle) La connaissance de la Carthage d’époque archaïque est un acquis récent. Pour ce qui est des premières implantations urbaines, on doit surtout aux tra¬ vaux de F. Rakob et d’H.-G. Niemeyer, dans une moindre mesure à ceux de S.Ellis et de son équipe, d’avoir mis en évidence ce que l’ampleur et la richesse des aires funéraires permettaient de soupçonner dès la fin du siècle dernier. Outre que ces nécropoles donnaient à penser qu’il y avait, leur correspondant, une cité des vivants à la mesure du nombre et de l’importance des monuments dédiés aux morts, ces nécropoles délimitaient topographiquement cette pre¬ mière cité, en particulier du côté de l’ouest (partie sud de la colline de Byrsa), du nord-ouest (nécropole de la colline dite de Junon), ainsi qu’au nord et nord est (zones funéraires de Douimès et de Dermech). Mais l’enveloppe restait ouverte au sud et il restait à déterminer et à caractériser son contenu. Des fouilles récentes on peut tirer plusieurs enseignements, et d’abord d’ordre chronologique. L’analyse faite par M. Vegas du matériel archaïque pro¬ venant des fouilles et sondages de l’Institut archéologique allemand et de l’Université de Hambourg en plusieurs points du site a établi que de la céra¬ mique grecque du géométrique récent a été importée à Carthage en quantité significative dès le milieu du vme siècle, et peut-être même avant si l’on consi¬ dère un fragment de coupe à une anse de la classe V de Lefkandi, trouvé dans un sondage rue Septime-Sévère ; ce fragment pourrait être antérieur à 750 T. Il 507 semble que les relations commerciales aient été intenses, dès le milieu du vme siècle, entre Carthage et Pithecoussai, la colonie eubéenne de l’île d’ischia. Ces analyses n’ont pas pour seul bénéfice de réduire l’écart chronologique, de plus en plus mince, qui subsiste encore entre la date (814) suggérée par les traditions littéraires et les premières attestations archéologiques. Elles mon¬ trent aussi que des échanges actifs se développent à date haute entre Carthage et le monde grec archaïque, ainsi qu’entre Carthage et l’Andalousie phéni¬ cienne. Car il semble bien que des tessons d’amphores trouvés à Carthage, qui présentent une grande similitude avec du matériel de Toscanos, soient ceux d’objets provenant des comptoirs du sud ibérique, et qu’inversement on ait trouvé à Toscanos de la poterie à engobe rouge de Carthage 2. Ces faits à eux seuls tendraient à indiquer que dès la seconde moitié du vuie siècle la colonie tyrienne était une cité prospère et organisée. Plus positivement encore, les structures mises au jour dans les fouilles et sondages mettent en évidence la consistance et l’étendue de la ville archaïque. La consistance est révélée par des superpositions de sols correspondant à plusieurs états d’un même habitat, dès le milieu du vme siècle comme dans le « terrain Ben Ayed », exploré en 1983 3, ou encore sur le site des fouilles de l’Université de Hambourg, avec quatre phases bien différenciées entre la fin du vme siècle et la fin du vue siècle 4. L’étendue apparaît considérable si l’on considère que les données acquises pour ce qui est de l’époque archaïque déterminent une superficie globale déjà importante (fig. 1). Vers le nord, l’attestation d’habitat archaïque la plus proche du domaine funéraire est celle qui résulte des observations faites par une équipe britannique dirigée par S. Ellis à l’occasion de la pose de canalisa¬ tions d’égouts (point 6 sur la fig. 1) : des couches datées par du matériel du vie siècle en constituent un témoin, sous l’actuelle rue Sophonisbé, entre les decumani romains II et III nord 5. Plus au sud, des couches du début du vne siècle, mais sans structures in situ, fournissent un jalon supplémentaire à \60\80\100 Junon Dermech/Oouimes Tophet Fig. i - Plan schématique de la Carthage archaïque (fin VIIIe-début Vie siècles). Les zones en grisé plus foncé signalent les nécropoles archaïques : pente sud de Byrsa, colline de Junon, aires funéraires de Douimès et de Dermech. Sur le sommet de Byrsa, la présence dès cette époque de l’acropole est une hypothèse probable. i : fouilles allemandes en fece de l’ex-Palais beylical ; 2 : sondage du terrain Ben Ayed ; 3 : fouilles de l’Univ. de Hambourg ; 4 : fouille tunisienne pente sud-est de Byrsa ; 5 : fouille tunisienne ave¬ nue de la République ; 6 : sondages rue Sophonisbé ; 7 : fouilles rue Ibn Chabat ; 8 : vestiges sous la « basilique du Supermarché » (entre cardines IX et X) ; 9 : vestiges sous le cardo IX ; 11 : vestiges au sud-est de l’av. Bourguiba entre cardines XII et XIII. l’angle de l’avenue Bourguiba et de l’avenue de la République 6. C’est cepen¬ dant dans la partie centrale de la plaine littorale que les vestiges d’habitat archaïque sont les mieux attestés. Aux résultats du sondage de 1983 - ci-des¬ sus mentionnés - sous les niveaux du decumanus maximus romain se sont ajou¬ tés ceux de deux autres sondages réalisés sur le même axe, l’un au croisement du cardo X est, l’autre au carrefour du cardo XIII est (point 3 et 7) : là ont été mis en évidence des tronçons de murs et des sols datés de la fin du vme siècle et du début du vue siècle 7. Plus près du bord de mer actuel, entre l’implantation des cardines romains XIII et XIV est, le long de la rue Septime-Sévère, une fouille a révélé en 1987-1988 une succession de onze niveaux de sols, dont les plus anciens sont datables du vme siècle et comportent des traces évidentes d’acti¬ vité industrielle : métallurgie, ateliers de teinturerie 8. Il semble bien que là, en bordure d’un rivage qui, à cette époque, se situait à plusieurs dizaines de mètres en retrait de sa ligne actuelle, il y ait eu un quartier artisanal périphé¬ rique, entre le bord de mer et l’habitat proprement dit. Au sud de l’axe formé par le decumanus maximus romain, et entre cet axe et la zone du tophet, les traces d’occupation à l’époque archaïque sont encore 509 minces. Leur indication la plus claire porte sur l’existence, jusqu’à un point fixé vers le sud à une trentaine de mètres au nord du decumanus IV sud romain (point 9 sur la fig. d’un autre quartier artisanal caractérisé par des fours de 1), potiers datables entre la deuxième moitié du vne siècle et le vie siècle : une sorte de faubourg industriel, à haute époque, qui s’interposait entre les quartiers d’habitation et le tophet 9. Dans la mesure où des investigations ponctuelles permettent des plans de phase, il semble bien le premier noyau urbain, saisis - sable dès la seconde moitié du vme siècle, se soit constitué dans le secteur nord de la plaine littorale, et au droit des collines de Junon et de Byrsa, pour s’étendre ensuite vers l’est, en gagnant sur la mer, et surtout vers le sud, en direction du tophet, dont il était à l’origine distant de près d’un kilomètre. Cette progression vers le sud a d’abord été le fait d’implantations précoces d’activités artisanales et elle n’a pu concerner l’ensemble de cette zone méri¬ dionale du site. La stratigraphie des sondages effectués dans ce secteur a en effet montré que dans sa partie basse la plaine littorale était inutilisable avant d’être remblayée en deçà de la courbe du niveau des 5 m au-dessus du niveau : de la mer régnait alors une côte lagunaire qui est restée en dehors de la pre¬ mière organisation urbaine de Carthage I0. Quant aux installations portuaires dont les lagunes actuelles renvoient l’image, elles n’existaient pas encore, du moins sous cette forme TI. Des points d’ombre demeurent cependant, outre notre ignorance relative aux premiers ports de la Carthage archaïque. Le premier d’entre eux est l’irri¬ tant problème posé par la colline de Byrsa. Il est infiniment probable que la citadelle n’a pas varié dans son emplace¬ ment au cours des temps puniques et qu’elle était déjà, à l’époque archaïque, située là où la localise Strabon (XVII, 3, 14 : « Au milieu de la ville se trouvait l’acropole, qu’on appelait Byrsa »), et plus nettement encore que Strabon, les divers textes relatifs à la prise de la ville en 146 avant notre ère I2. C’est-à-dire sur factuelle colline de Byrsa, autrefois dite de Saint-Louis. À ces données textuelles s’ajoutent les indications de la topographie. On vient de voir que la première cité, à partir du milieu du VIIIe siècle, s’est déve¬ loppée au plus près des nécropoles archaïques, et en particulier dans la partie nord et médiane de la plaine littorale, entre les collines qui la ferment vers l’ouest, et la mer. Il y a donc de sérieuses raisons de penser aussi sur la base de ces données topographiques que ces collines - et en particulier celle de Byrsa - portaient la ville haute correspondant aux habitats archaïques reconnus dans la plaine. Malheureusement, l’un des acquis - en l’occurrence négatif- des tra¬ vaux de la mission archéologique française a été d’apporter la preuve que le sommet de la colline avait été à l’époque augustéenne arasé et transformé en plateau, opération qui a fait disparaître toutes les pièces à conviction au-des¬ sus de la cote des 55 m. Au-dessous de cette cote, une nécropole occupée de façon dense au vue siècle est bien attestée sur le flanc sud et exclut tout habitat. Cependant, une fouille de sauvetage faite par une équipe tunisienne en bordure est de cette nécropole, environ à la cote 30 m, semble avoir révélé des couches d’occupa 51 0 tion datables du vme siècle *4. Sur le versant est, des tombes dont la réalité n’est pas certaine, compte tenu de l’état dans lequel les a trouvées leur inventeur, ont été signalées jadis par Ch. Saumagne au niveau de la cote des 45 m, entre les cardines romains IV et V est, à peu de distance au nord du decumanus maxi¬ mus romain, et à dix mètres de la voie romaine, pour l’une de ces tombes J5. Si l’on tient compte aussi, à une cote plus basse, du sondage dans le terrain Ben Ayed déjà signalé et de la fouille de l’Université de Hambourg dirigée par H.-G. Niemeyer (points 2 et 3 sur le plan de la fig. 1), on peut avec F. Rakob faire l’hypothèse que, à peu près dans l’axe de ce qui sera plus tard le decumanus maximus romain un couloir d’habitat continu a pu au moins faire la liaison entre la citadelle, qui reste supposée sur le sommet de la colline de Byrsa, et la ville basse l6. Il faut souhaiter que l’investigation archéologique apporte à cette hypothèse une confirmation qui renforcerait grandement la probabilité que, dès l’époque la plus haute, la citadelle, même en grande partie ceinturée de nécropoles, ait été établie sur le sommet disparu de Byrsa. Un autre problème mal résolu pour l’époque haute est celui des orienta¬ tions. Pour l’époque archaïque, faute de structures dégagées en continuité suffisante, peu d’orientations peuvent être relevées de façon certaine. C’est cependant le cas dans la fouille de l’Université de Hambourg (point 3), dans celle du terrain Ben Ayed (point 2) et dans celle de la mission allemande devant l’ex-palais beylical (point 1). On voit qu’il s’agit d’une orientation en gros parallèle à la ligne du rivage, tandis qu’à une cote plus élevée (fouille tunisienne, point 4) une orientation nettement divergente pourrait signifier que les éléments d’habitat susceptibles d’être mis au jour sur le versant est de Byrsa auraient l’orientation rayonnante qui de fait y est attestée à l’époque hellénistique. Mais ces orientations ne paraissent pas systématiques. On peut prendre l’exemple de la fouille profonde récemment menée par F. Rakob, rue Ibn Chabat, entre les cardines XII et XIII est romains, et à quelques dizaines de mètres au sud du decumanus maximus. Au niveau bas, à une cote située à 4/5 ni au-dessus du niveau de la mer, les vestiges d’époque archaïque mani¬ festent, avec une déclinaison de près de 300 par rapport à la cadastration romaine, une différence d’orientation assez importante, qu’au même endroit les structures d’époque postérieure ne corrigeront que peu. Un mot encore sur le problème des ports. On sait ce qu’il en est. Les fouilles britanniques et américaines récentes ont établi la réalité des deux ports (mili¬ taire et de commerce), à l’emplacement des lagunes actuelles à partir du 111e siècle - ou, au plus tôt, de la fin du IVe siècle l8. Pour une époque antérieure, les hypothèses qu’on peut faire reposent sur un faisceau d’indications dont les plus anciennes remontent à des observations faites par Ch. Saumagne dans les années trente dans la zone jouxtant au nord la lagune circulaire. Plus récem¬ ment, l’identification d’une sorte de chenal recoupant tout le secteur sud de la plaine littorale et débouchant vraisemblablement dans le lac de Tunis autorise une reconstitution qui mettrait les installations portuaires primitives en rap¬ port avec le tophet et le lac de Tunis *9 (fig. 2). Il faut ajouter que cette incerti ® / A Fig. Restitution hypothétique du port à l’époque archaïque. 1 : tophet ; 2 et 3 : tronçons attes¬ 2 - tés du chenal ; 4 : ligne du rivage à l’époque archaïque ; 5 : ligne de côte actuelle ; 6 : extrémité nord-est de la taenia (ou glossa) ; 7 : situation hypothétique du port archaïque dans une anse du lac de Tunis ; 8 : débouché hypothétique du chenal, non loin de l’anse du port archaïque (schéma S. Lancel). tilde sur les ports de la haute époque est d’autant plus fâcheuse que tout porte à croire qu’au moins jusqu’au vie siècle, Carthage n’était en terre d’Afrique qu’une tête de pont sans arrière-pays, et vivait essentiellement de ses commu¬ nications maritimes. Cette absence d’hinterland a été mise en évidence par un survey récent (fig. 3) 20. /CARTHAGE 019 * Fig. 3 - Carthage et son arrière-pays du VIIe au Ve siècle (d’après J. Greene). La Carthage des ve-ive siècles Notre connaissance de la topographie urbaine de Carthage fait un bond quantitatif et surtout qualitatif important à partir du Ve siècle, et l’impression que donnent les résultats acquis depuis une quinzaine d’années est que la ville, alors, s’organise d’une façon plus cohérente. En particulier, son organisation systématique en bordure de mer, et notamment dans la zone fouillée par la mission allemande en face de l’ex-palais beylical, est maintenant connue (fig. 4). Une stratigraphie des couches de la « rue de la Porte de Mer », qui remonte jusqu’au début du Ve siècle, a été récemment publiée 2I. De ce côté, les POLIS ? Saïda/BordJ Jedid Porte et mur de mer JL Agora? Tophet zone portuaire ? S.L. del. A Fig. 4 - Carthage (Ve-début IIIe siècle). En grosses hachures horizontales, les nécropoles tar¬ dives. Les zones industrielles sont repérées par des cercles : noir plein pour les ateliers métallur¬ giques, blanc sur noir pour les ateliers de potiers, noir sur blanc pour un atelier de foulon, i : cf. Cedac Carthage, Bull. 3, juin 1980, p. 17-18 ; 2 : cf. Cedac Carthage, Bull. 1, sept. 1978, p. 19 ; 3a : cf. World Archaeology, vol. 9, n° 3, 1978, p. 339 ; 3b : cf. ibid. ; 4 : cf. Byrsa 1, 1979, p. 29-30 ; 5 : cf. Byrsa II, 1982, p. 217-260 ; 6 : cf. P. Gauckler, Nécropoles puniques de Carthage, IIe partie, 1915, p. 512-516 ; 7 : cf. H. Bénichou-Safàr, Les tombes puniques de Carthage, 1982, p. 20 ; 8 : cf. BCTH, 1923, p. LXXIII-LXXIV 9 : cf. F. Rakob, MDAI, Rom. Abt., 91, 1984, p. 5-12 ; 10 cf. World Archaeology, ; : vol. 9, n° 3, 1978, p. 338-339. En grisé clair, la « vieille cité « avec l’emplacement hypothétique de l’agora ; au nord, sur les hau¬ teurs de Sidi bou Saïd et vers Gamart, les développements (Ve-IVe siècles ?) de la Nea Polis signa¬ lée par Diodore de Sicile (XX, 44, 1) à l’époque de l’expédition d’Agathocle (308 av. J.-C.). quartiers d’habitation ont progressé en s’établissant sur des remblais d’époque archaïque l’avancée vers la mer est de l’ordre de plusieurs dizaines : de mètres. La voie d’axe perpendiculaire à la ligne du rivage ci-dessus men¬ tionnée - et sur laquelle s’établira plus tard le decumanus I nord de la Carthage romaine - aboutit à une porte monumentale, flanquée de tours, ouverte dans un rempart maritime qu’on peut dater du milieu du Ve siècle. Les fouilleurs ont relevé à la base des fondations de ce rempart une encoche creusée par le flot durant la période antérieure à la mise en place d’un brise-lames dont les gros blocs ont été retrouvés 22. Or, cette trace se situe en élévation à cinquante cen timètres au-dessous du niveau marin actuel. Cela signifie qu’au pied du rem¬ part du ve siècle s’étendait alors une large grève sablonneuse battue par les vagues et propice à de futures expansions. La fouille et l’observation minu¬ tieuse des alentours autorise de fait la distinction de plusieurs états de cette zone. En un premier temps, des unités d’habitation de proportions assez modestes et de plans variés et atypiques sont construites de façon à laisser entre elles et la mer un espace libre évalué à soixante coudées (soit une tren¬ taine de mètres) (fig. 5). Au sud de la « Porte de la Mer », des trouvailles faites 514 A Fig. 5 - Le rempart maritime et le quartier littoral central de Carthage (Ve-IHe siècles avant J.-C.) (dessin G. Stanzi, Mission archéologique allemande). en différents points du rivage soit de blocs de couronnement, soit même de fondation ou de socle ont permis à F. Rakob de proposer pour le rempart mari¬ time un tracé continu au moins jusqu’aux abords de la lagune circulaire. Là, en effet, très près de la grève actuelle, a été retrouvée une structure de fonda¬ tion qui a pu appartenir à une tour ou à un bastion du rempart 23. Seules des fouilles étendues en surface, que l’état actuel de l’urbanisation moderne rend bien problématiques, permettraient de fixer dans cette zone sud de la plaine littorale les limites de la cité du ve siècle. Mais des observations déjà faites anciennement, notamment par Ch. Saumagne, donnent à penser que la ville de cette époque n’a pas pu s’étendre beaucoup vers le sud, du moins dans le secteur proche du rivage maritime. Il semble même assez pro¬ bable que jusqu’à l’époque hellénistique une partie des terrains situés plus bas que la cote actuelle des 5 m, en retrait du mur de mer bâti au Ve siècle, sont res¬ tés, sinon totalement inemployés, du moins non compris dans le réseau de rurbanisation systématique. Entre le secteur où, par hypothèse, on peut situer l’agora signalée par les textes et la mer, il y avait, semble-t-il, une zone maré¬ cageuse qui se prolongeait plus au sud encore par la zone lagunaire où plus tard s’établiront les ports intérieurs ou « cothons » *4. Que peut-on dire de ces installations portuaires à l’époque qui nous inté¬ resse (vrve siècles) ? On a déjà ci-dessus fait allusion au chenal qui parcourt la partie méridionale de la plaine côtière dans un axe sud-sud-ouest/nord nord-est approximativement parallèle à la ligne de côte (fig. 6). Reconnu aussi Fig. 6 - Le chenal, reconnu aux abords du tophet et dans Pilot du port circulaire (relevé mission américaine de PUniv. de Chicago). bien par l’équipe américaine aux abords du tophet que par les Britanniques dans l’îlot circulaire du port de guerre, on peut par extrapolation le suivre sur une longueur d’environ 400 m, sa largeur étant comprise entre 15 et 20 m, pour une profondeur d’environ 2 m. L’analyse de sa vase de remplissage a mis en évidence des sédiments et des restes malacologiques qui suggèrent une liai¬ son avec un milieu marin stagnant et saturé d’hydrogène sulfuré, donc avec le lac de Tunis plus probablement qu’avec la mer libre. On peut raisonnablement penser que ce chenal qui longeait le tophet, non loin de sa limite est, débou¬ chait sur une anse ou échancrure du lac de Tunis, qui remontait à haute époque vers le nord, c’est-à-dire en direction de la colline de Byrsa, avec une ligne de rivage lacustre qu’on peut pratiquement situer à la limite actuelle de la ligne isométrique des 5 m. Là a pu se situer, non pas à l’est du tophet, mais plutôt au sud ou au sud-ouest de l’aire sacrificielle, le port le plus ancien de Carthage 25 (cf. supra, fig. 2). Si l’époque du creusement et de l’aménagement de ce chenal ne peut être précisée, en revanche son envasement définitif est daté par le matériel céra¬ 516 mique du milieu ou au plus tard de la deuxième moitié du ive siècle. Tout au moins - car le comblement de ce chenal n’est pas nécessairement intervenu simultanément sur toute la longueur de son tracé - sur le site de l’îlot du futur port circulaire. Là, le fouilleur britannique, H. Hurst, a noté plusieurs périodes de structures en bois, en particulier des cales exactement parallèles entre elles, à la différence des rampes « en éventail » du début du 11e siècle 26. Cette phase des « timber structures », de la deuxième moitié du rve siècle au milieu ou à la fin du me siècle, pourrait bien avoir été celle d’un chantier naval, en liaison avec les anciens ports, la partie sud du chenal restée en eau permettant de mettre les navires construits à la mer. Il faut rappeler à ce sujet un texte de Diodore de Sicile (XV, 73, 3-4) qui nous apprend que les arsenaux () de Carthage brûlèrent en 368 la mise en relation de ce texte avec les structures en bois sus¬ : mentionnées semble s’imposer. On constate au demeurant que les structures récemment relevées dans ce secteur méridional de la Carthage punique de cette époque médiane sont des vestiges, non d’habitat, mais d’ateliers : notés sur le plan (fig. 4) en noir pour les ateliers métallurgiques, en blanc sur noir pour les ateliers de potiers, en noir sur blanc pour un atelier de foulon (point 1 la structure la plus méridio¬ : nale datant de cette époque, fouille d’une équipe tunisienne au Kram, où le premier état appréhendé par la fouille est celui d’un atelier de foulon). Aussi sûrement que la ceinture des nécropoles au nord et à l’ouest, ces zones artisa¬ nales marquent vers le sud la limite d’extension des quartiers d’habitation. En revanche, dans la zone centrale de la plaine littorale, les dernières fouilles confirment le grand effort d’urbanisation systématique et de mise en place d’une voirie et d’un centre monumental entrepris à cette époque. En témoigne en particulier le sondage profond de la rue Ibn Chabat, déjà men¬ tionné pour ses résultats relatifs à la haute époque, où l’on a mis au jour le sou¬ bassement d’un édifice en grand appareil, peut-être un temple. Encore mal assurée, cette hypothèse d’identification est toutefois confortée par le fait qu’on observe à cet endroit une continuité monumentale à l’époque romaine, : et à un niveau très supérieur, une basilique fait suite à ce monument d’époque punique, qui semble avoir été implanté au ve siècle 27 (fig. 7). Cette continuité Fig. 7 - L’angle nord-est (A) de l’édifice en grand appareil (Ve siècle av. J.-C.), surmonté par le blocage en maçonnerie de la fondation de la basilique romaine ; fouille de la rue Ibn Chabat (photo mission archéologique allemande). monumentale suggère à F. Rakob qu’on pourrait peut-être situer là l’agora de la ville punique à laquelle aurait fait suite le /orum (rappelons qu’on se trouve ici en bordure du decumanus maximus romain). L’hypothèse est intéressante, sédui¬ sante même, car la situation de l’agora à cet emplacement est en terme d’urba¬ nisme plus favorable - cette situation est plus centrale - que là où on la place d’ordinaire, sur la foi du texte d’Appien (Lib., 127) relatant la phase finale de l’assaut des soldats de Scipion Émilien, après la prise du port de guerre. On notera l’orientation de la construction monumentale d’époque punique du sondage profond de la rue Ibn Chabat : elle fait un angle d’environ 200 par rap¬ port à la cadastration romaine, qui était déjà celui des tracés puniques proches et notamment de ceux de la fouille devant l’ex-palais beylical. Cette orienta¬ tion divergente peut être commentée de deux façons. On peut dire que les tra¬ cés urbains de la Carthage de cette époque (ve-rve siècles) n’ont pas la cohé¬ rence qu’on cherche parfois à y retrouver. On peut aussi voir dans cette inclinaison la matérialisation d’une sorte de pivot, de « rotule », qui ménage¬ rait la transition entre les orientations en gros parallèles à la mer de la plaine - et ceci dès le Ve siècle - et les tracés « en éventail » des pentes de la colline de Byrsa. Plus constructive et plus ambitieuse, cette deuxième hypothèse a encore besoin d’étais. On a rapidement indiqué plus haut que la ville du Ve siècle bute au nord contre l’emprise persistante des nécropoles. Il convient de s’arrêter un instant sur cette permanence des nécropoles de cette époque, au demeurant malaisément déce¬ lable. On sait que le Ve siècle à Carthage a fait problème en raison d’une difficulté longtemps éprouvée à identifier correctement les matériels attribuables à cette époque, notamment ceux qui provenaient des tombes. Tout un travail de révi¬ sion, dû en particulier à J.-P. Morel, a permis de redonner sa place à cette époque, notamment dans le contexte funéraire z8. On peut constater ainsi qu’il n’y a pas véritablement de nécropole du Ve siècle, si ce n’est peut-être à Dar el-Morali de ; l’autre côté de la voie du TGM, du secteur dit de Douimès jusqu’aux abords des Thermes d’Antonin, les tombes de cette époque apparaissent très dispersées, disséminées au milieu de sépultures plus anciennes, dans des contextes des vne et vie siècles. Au sud du petit secteur d’Ard et-Touibi, P. Cintas a fait en 1942 une fouille restée longtemps en grande partie inédite qui a révélé, en lisière ouest des Thermes d’Antonin, les plus méridionales de ces tombes datables du Ve siècle, peut-être même, pour certaines d’entre elles, du IVe siècle 29. La situation est différente dans la partie sud du site funéraire de Carthage. Notons que les masques mis au jour par Ch. Saumagne dans le secteur bas de la pente sud de Byrsa ont été datés du Ve siècle, ainsi que l’œnochoé en bronze doré qui provient de l’un des tombeaux bâtis fouillés par le P. Delattre sur le 518 flanc sud-ouest 30. Ces datations ne sont cependant pas certaines. Comme le dit avec prudence Mme Bénichou-Safar, « il est probable que la nécropole de Byrsa, qui a livré des sépultures remontant aux vne, vie, ive, 111e et 11e siècles, en a également abrité du ve siècle, mais aucun témoin irréfutable n’a pu être isolé » 31. En tout état de cause, nous ne connaissons aucun vestige d’habitat sur la pente sud de Byrsa avant le début du 11e siècle. Reste, à l’ouest, la colline dite de Junon. Mme Bénichou note qu’ « aucune sépulture attribuable en toute certitude à cette époque (c’est-à-dire au Ve siècle) n’y a été retrouvée ». On doit cependant faire état d’une tombe dégagée en 1921 dans la propriété Renault sur le versant nord-est de cette colline, datée par L. Poinssot du Ve siècle, datation reprise ensuite par J. Vercoutter. Si, comme le pense Mme Bénichou, cette tombe doit être descendue au IVe siècle, elle n’en est pas moins importante, car elle tranche dans ce secteur sur un ensemble funéraire homogène datant de la fin du vme siècle au vie siècle 32. On constate ainsi, à considérer un plan de phase schématique valable pour cette époque, que la place laissée libre par les nécropoles pour le développe¬ ment de la cité des vivants est encore mesurée : encore au début du ive siècle, Carthage voyait à l’ouest (du côté des collines de Byrsa et de Junon) et surtout au nord-nord-est son horizon d’extension possible borné par une ceinture de nécropoles qui n’avaient guère cédé de terrain depuis le vne siècle (fig. 8). Autant qu’on puisse les dater, les vestiges - des citernes et des niveaux de sols - d’habitat punique mis au jour dans l’emprise actuelle du parc des Thermes d’Antonin ne semblent pas antérieurs au 111e siècle. Pour s’étendre dans ces directions, vers le plateau de l’Odèon et plus au nord vers l’actuel vil¬ lage de Sidi bou Saïd, la cité des vivants a dû enjamber, par d’assez étroits pas¬ sages, le domaine des morts. Et c’est bien de ce côté que nous oriente le seul texte qu’on puisse, pour cette période, confronter aux données archéologiques. C’est celui du récit fait par Diodore de Sicile (XX, 44, 1-6) des mouvements de troupes qui eurent lieu dans Carthage lors du coup d’État fait par Bomilcar pour tenter de s’emparer du Junon B/rsa Tophet. Zone portuaire? A Fig. 8 - Site des nécropoles puniques du Ve siècle à Carthage et emplacement présumé (en grisé) de la ville correspondante, le sommet de la colline de Byrsa étant réservé. Dès cette époque, si le développement urbain apparaît bloqué par des zones funéraires encore actives au nord et à l’ouest (partie sud de Byrsa), des extensions vers le sud sont possibles, ainsi qu’entre les collines de Byrsa et de Junon (schéma S. Lancel). pouvoir lors de l’expédition d’Agathocle en 308 avant notre ère. Diodore montre Bomilcar passant ses troupes en revue en un lieu-dit Nea Polis, situé, ajoute-t-il, « à peu de distance de la vieille Carthage ». Puis, conservant avec lui quelques milliers de soldats, il les divise en cinq colonnes qui se dirigent vers l’agora par les rues de la ville ancienne. Là, Bomilcar et ses partisans se heur¬ tent à une résistance et sont contraints de se replier « par des rues étroites », vers la « Nouvelle Ville », où ils se retranchent en un « lieu élevé ». Il est permis de tirer de ce texte quelques indications minimales : le lieu-dit Nea Polis, point de départ et de repli de Bomilcar, comporte des hauteurs, par rapport à l’adora, que nous savons située dans la plaine littorale, quel que soit son emplacement exact ; ce lieu-dit comporte aussi des espaces non bâtis propres à la manœuvre de plusieurs milliers d’hommes. Bref, une sorte de faubourg, avec un habitat encore assez lâche. On n’hésitera pas trop à situer ce faubourg sur le plateau de l’Odèon, et au-delà sur les terrains qui montent plus au nord vers Sidi bou Saïd. On admettra qu’au plus tard vers la fin du ive siècle le développement urbain de Carthage s’est notamment matérialisé par la formation d’une « Villeneuve-lès-Carthage », débordant largement au nord la ceinture des nécropoles (cf. fig. 4). Et l’on peut y voir l’amorce du vaste quartier suburbain, véritable ville en bordure et pour partie en ceinture de l’ancienne, que les textes feront un peu plus tard connaître sous le nom de Megara. La Carthage des guerres puniques Carthage commence peut-être, à la fin du ive siècle, à ressembler à une « mégapole ». Mais tous ceux qui ont travaillé à Carthage dans le cadre de la récente campagne internationale savent que le grand essor urbain de la métro¬ pole punique se situe très tardivement, dans son dernier siècle d’existence, et même plus précisément dans le dernier demi-siècle. Outre les évolutions per¬ ceptibles dans les quartiers où l’urbanisation est apparue plus ancienne, 520 comme sur le chantier de la mission archéologique allemande en face de l’ex palais beylical, les résultats obtenus sur deux grands chantiers l’attestent très clairement : celui de la mission britannique, dont les travaux ont montré que l’aspect du port de guerre décrit par Appien (Lib., 96), avec sa parure monu¬ mentale, date du début du ne siècle et celui de la mission française, où l’on voit à la même époque surgir sur la pente sud de la colline de Byrsa un nouveau quartier d’habitation, sur un site fort bien exposé et cependant jamais loti auparavant. L’archéologie témoigne de cet essor, mais aussi un des rares textes qu’on puisse mettre en regard de ses données la fameuse « inscription urbanis¬ : tique », malheureusement trouvée hors contexte, et dont le lieu de trouvaille - en remploi dans des structures romaines d’époque tardive - ne peut être pris en considération. Plusieurs lectures ont été données de ce texte d’inter¬ prétation difficile, mais en dépit des divergences quelques données s’impo¬ sent. D’abord en ce qui concerne les réalités urbanistiques auxquelles elle se réfère : il s’agit, soit du percement d’une rue en direction de la « place de la Porte Neuve » 33, soit du percement de la muraille et de la construction d’une nouvelle porte 34 ; les deux lectures impliquent l’existence d’un mur et proba¬ blement donc de l’enceinte du centre urbain, par rapport à la grande enceinte. Ensuite en ce qui concerne les acteurs de cet ouvrage édilitaire : un ensemble de corporations diverses, marchands, porteurs, fondeurs, potiers, « embal¬ leurs qui sont dans la plaine de la ville ». Le texte renseigne donc, s’il en était besoin, sur l’existence de corporations rassemblant les divers corps de métiers et aussi, chose plus importante dans notre perspective, sur l’existence d’une « ville basse » (que désigne la « plaine de la ville ») par rapport à une ville haute. Peut-être pourrait-on dire qu’il confirme la distinction implicite dans le texte de Diodore relatif aux événements de 308 entre « ville basse » et « ville haute ». L’inscription qui mentionne deux sufïètes inconnus, est mal¬ heureusement très imprécisément datée du me siècle, selon des critères paléo¬ graphiques. Le plan de phase que l’on peut proposer pour cette période terminale de la ville illustre bien cette accélération du développement urbain de Carthage à l’époque des guerres puniques, même si l’image du centre urbain apparaît encore très partielle et incomplète (fig. 9). En particulier, l’extension topogra¬ fi E G/A R A Tophet A Fig. g - Plan schématique de Carthage au début du Ile siècle avant J.-C. En grisé, par bandes horizontales, les nécropoles tardives les plus importantes : sur le plateau de l’Odèon et de Salda, en remontant vers Sidi bou Saïd, et les tombes tardives sur la pente sud-ouest de la colline de Byrsa. Quelques tombes tardives isolées (au Kram - au sud des ports -, ainsi qu’à Sidi bou Saïd et à La Marsa, au nord du site urbain), ne figurent pas sur ce plan (cf. H. Bénichou-Safar, Les tombes puniques de Carthage, Paris, 1982, plan de la fig. 36). En noir plein, les vestiges repérés non funéraires ; les rectangles sont reportés sur le plan de manière à matérialiser les orientations constatées ; par commodité, les habitats qu’ils représen¬ tent sont figurés à une échelle double ou triple des dimensions réelles. Les triangles figurent les vestiges dont l’orientation est mal connue ou peu précise. 1 : habitat fouillé dans le secteur sud de Salammbô, en face du stade ; 2 : « chapelle Carton », à côté de la gare de Salammbô ; 3 : fouille au sud du decumanus VI sud (Cedac Carthage, Bull. 1, p. 19) ; 4a ; fouille américaine sur le quai ouest du port de commerce ; 4b : fouille britannique sur Pilot du port de guerre ; 5 : fouille du terrain Clariond (BCTH, 1946-1949, p. 676-678 ; 6 : fouille sous la basilique du Supermarché ; 7 : fouille mission archéologique allemande, face à l’ex-Palais beylical ; 8 : fouille équipe tunisienne, rue Astarté ; 9 : Fouilles mission archéologique française, pente sud de Byrsa ; 10 : fouilles Ch. Saumagne, pente est de Byrsa ; 11 : fouille suédoise, pente nord de Byrsa ; 12 : fouille Ch. Saumagne pente sud-est de Junon (BCTH, 1930-1931, p. 641-659) ; 13 : fouille P. Cintas, pente est de Junon (Manuel, I, p. 441, et II, p. 78 et 124-125) ; 14 : fouille Delattre à Douimès (Mém. Soc. Nat. Des Ant. de France, LVI, 1897, p. 268 sq) ; 15 : fouille Ch. Saumagne de la « maison du Paon » (BCTH, 1934-1935, p. 51-58) ; 16 : fouille F. Chalbi, rue Florus ; 17 : « fontaine aux mille amphores » ; 18 : fouille J. Renault à Trik dar Seniat; 19 : fouille A. Merlin à Sidi bou Saïd (BTCH, 1919, p. 178-196) ; 20 : vestiges puniques tardifs sous la « maison des auriges grecs » ; 21 : citernes puniques tardives des terrains Ben Atar et d’Ancona (fouilles P. Gauckler). phique est évidente dans le secteur méridional du site, où les vestiges d’habi¬ tation débordent largement, au sud-ouest, le quartier des ports : le point i matérialise, au Kram, un habitat punique d’époque finale sous lequel la fouille avait décelé les restes d’un atelier de foulon daté du rve siècle, époque à laquelle, on l’a vu, cette zone était encore occupée par des installations indus¬ trielles et artisanales. On n’insistera pas ici sur les ports, dont on sait maintenant de façon cer¬ taine qu’ils sont aménagés en leur forme définitive depuis environ le milieu du me siècle. Quelque peine qu’on ait à admettre cette datation inattendue, sur Pilot du port circulaire ou port de guerre, la mise en place de la parure monu¬ mentale apparaît encore plus tardive, ainsi que les aménagements des instal¬ lations de l’avant-port, ou chôma (fig. io). Tout à fait paradoxal est le dévelop 522 ILÛT CE L'AMIRAUTÉ Fig. io - Plan et coupes des installations restituées de Pilot amiral du port de guerre de Carthage, état première moitié du IIe siècle (dessin mission britannique). pement des installations portuaires, notamment militaires, à cette époque consécutive à la paix intervenue après la défaite de Zama, qui avait réduit à rien la flotte de guerre punique et lui interdisait en principe de se reconstituer. Mais tout dans les constats archéologiques porte par ailleurs aussi à croire que le relèvement de Carthage après la fin désastreuse de la seconde guerre punique fut rapide et puissant. On verra en particulier que la conquête de nouveaux quartiers à une urbani¬ sation planifiée est patente sur la pente sud de la colline de Byrsa. Mais la zone médiane de la plaine littorale apparaît maintenant organisée de façon très cohérente. Dans la ville basse, à des cotes inférieures à la courbe actuelle des 20 m, on constate la généralisation, à de faibles différences angulaires près, d’une orientation dont l’attestation la plus sûre a été fournie par les niveaux puniques tardifs mis au jour sous les niveaux augustéens - et parfois en contact avec eux - dans la fouille de la mission allemande en face de l’ex-palais beylical (point 7 sur le plan de phase, fig. 9). Là, les fondations des murs pré¬ romains, ainsi qu’un tronçon de la rue qui aboutit au mur de mer matériali¬ sent de façon certaine une orientation utilisée au moins depuis le milieu du nie siècle, et sans doute, mais de façon moins précise, depuis la première mise en place du quartier, au cours du ve siècle, comme il a été dit plus haut. C’est l’orientation, inclinée à 300 vers le nord-est, qui a été adoptée et étendue par la suite par les arpenteurs romains responsables de la cadastration augustéenne. Différentes structures relevées dans le même secteur reproduisent cette orien¬ tation, soit presque exactement dans les parties basses (ainsi un tronçon de mur sous-jacent à des niveaux paléochrétiens, avenue Bourguiba : point 6), soit avec une légère déclinaison aux environs de la cote des 20 m (et c’est le cas d’une citerne mise au jour dans un sondage près de la voie du TGM, en aval de l’actuelle rue Kennedy : point 8d sur la fig. 11). A Fig. ii - Les diverses orientations de l’habitat punique tardif sur les pentes nord, est et sud de la colline de Byrsa. À l’ouest, Fi et F2 sont des zones funéraires tardives (schéma S. Lancel, G. Robine). Il faut reconnaître que l’imprécision des publications et l’absence de plans de situation ne permettent pas d’être affirmatif dans un sens ou dans l’autre quand il s’agit de vestiges de découverte ancienne. Cette incertitude qui pèse sur les constats anciens ne permet pas d’affirmer qu’une cadastration régu¬ lière, parfaitement uniforme, régissait toute cette zone du site urbain depuis le 111e siècle, voire depuis le ve siècle. Ce qui est vrai, c’est que les corrections d’angle, les rattrapages d’orientation qu’on enregistre à partir du ve siècle ou du ive siècle dans les remaniements d’un édifice ou d’un ensemble d’édifices montrent qu’on tendait à généraliser partout dans la partie basse de la ville l’orientation bien attestée sur le site devant l’ex-palais beyiical. Un exemple bien net de ces rattrapages d’orientation est donné par les structures puniques tardives repérées dans la fouille de la rue Ibn Chabat, nettement divergentes des structures monumentales datées du Ve siècle - cf. ci-dessus -, et qui sont à quelques degrés près alignées sur la cadastration romaine. En revanche, parmi les constats les plus récents, il n’en manque pas qui mettent en évidence les libertés prises avec cette orientation privilégiée. On peut citer le cas des citernes puniques sous-jacentes aux bâtiments d’époque impériale romaine tardive ( maison des auriges grecs ») fouillés par une équipe américaine (point 20 sur la fig. 9). Autre exemple, fourni par un constat un peu plus ancien : dans la zone de Dermech, Ch. Saumagne a noté sous les niveaux romains de la « Maison du Paon » une citerne punique qui mani¬ feste par rapport à la cadastration romaine un angle de plus de 200 et dont l’axe marque donc une franche rupture par rapport aux orientations de la plaine lit¬ torale (point 15) 35. Ce qu’on peut affirmer au minimum c’est que cette orienta¬ 524 tion parallèle à la ligne du rivage, une orientation « naturelle », en quelque sorte, avait été privilégiée dans la zone centrale de la cité punique partout où les contraintes du relief ne s’exerçaient pas et où il était possible de la mettre en œuvre sans vastes travaux de terrassement Les urbanistes de l’époque d’Auguste n’ont pu que constater les avantages évidents sur le site de cet axe incliné à 300 vers le nord-est, même s’ils ne l’ont pas trouvé partout mis en œuvre de façon systématique. L’esprit de système a été le leur, puisque pour le faire prévaloir aussi sur les pentes des collines ils n’ont pas hésité à entreprendre un véritable remodelage des parties hautes du site urbain, comme on le constate à Byrsa. Quand on pense à Sélinonte ou à Solunte, où sur des sites à fort relief on n’avait pas hésité à la même époque à entreprendre des remodelages impor¬ tants pour obtenir un urbanisme orthogonal régulier, on est surpris de consta¬ ter que sur la colline de Byrsa ce sont des solutions souples qui ont prévalu à l’époque tardive. Nous disons époque tardive en pensant aux fouilles fran¬ çaises de la pente sud, qui n’ont révélé aucun habitat antérieur au début du 11e siècle, mais en ayant aussi présentes à l’esprit les fouilles anciennes de Ch. Saumagne sur le versant est et les investigations récentes des archéologues suédois sur ce même versant et sur le versant nord. Deux éléments peuvent expliquer que sur les pentes moyennes de la colline de Byrsa on n’ait pas mis en œuvre d’autres solutions que celles qui tenaient compte du modelé naturel des versants et des courbes de niveau. Le premier est que l’on peut faire l’hy¬ pothèse - on sait que l’arasement du sommet à l’époque augustéenne a fait disparaître les pièces à conviction - que de telles solutions avaient, sans doute dès l’époque archaïque, été appliquées sur les parties hautes de la colline lors de la construction d’édifices ou d’ensembles cultuels - on pense au fameux temple d’Eschmoun - dont la forte charge religieuse interdisait le remanie¬ ment. Le deuxième n’a rien d’hypothétique : la mémoire collective conservait évidemment le souvenir que sur la pente sud de Byrsa avait été pendant plus de deux siècles en service une nécropole que des terrassements profonds n’au¬ raient pas manqué de bouleverser. On fera abstraction des versants ouest et nord-ouest, où la situation archéo¬ logique à l’époque punique n’est pas connue (mais on sait qu’une partie de ce versant, en contrebas des anciennes fouilles Delattre, a continué d’avoir une utilisation funéraire jusqu’à la chute de Carthage) 36. Sur les autres versants, du sud au nord, on constate un système polygonal qui comporte de petits quartiers à l’intérieur desquels ont été mis en œuvre des tracés orthogonaux avec des changements d’axe de place en place, les différences angulaires d’un petit quartier à l’autre présentant des valeurs à peu près égales, de l’ordre d’une vingtaine de degrés. Trois orientations distinctes ont été repérées dans les fouilles récentes de la mission archéologique française. Elles sont matérialisées non seulement par les axes des citernes, mais aussi et surtout par des murs, et, en particulier dans le cas de l’orientation 9c, par des rues et des blocs de maisons (fig. 11). Vers l’est, 8a est l’axe attesté par deux citernes mises au jour dans la fouille de l’équipe suédoise ; 8b et 8c, orientations identiques, correspondent respectivement aux structures relevées dans une fouille (fouille F. Chelbi) rue Astarté ainsi que dans un sondage à un niveau plus élevé sur la pente de la colline, rue Kennedy ; 10a et b résultent 525 des fouilles anciennement faites par Ch. Saumagne sur le flanc est et 11 est l’axe fourni par une citerne punique tardive mise au jour par la mission suédoise sous les niveaux d’une domus d’époque romaine tardive à l’emplacement du col qui sépare la colline de Byrsa de celle de Junon. Une question dès lors se pose, celle de savoir s’il y a eu dans la mise en place de ce système polygonal une planification, une cohérence que des datations pourraient éventuellement mettre en évidence. L’écrêtement de la colline à l’époque augustéenne, et la dissipation d’une épaisseur de tissu historique de l’ordre de quatre à cinq mètres rendent malheureusement la réponse à cette question pratiquement impossible. Une chose est sûre, c’est que le lotissement le mieux attesté, celui des orientations du groupe g (les fouilles de la mission archéologique française), est sans antécédent, puisque le terrain y était occupé par une nécropole à l’époque archaïque, puis par des ateliers métallurgiques jusqu’à la fin du ine siècle. Plus généralement, rien n’est attesté sur l’ensemble des versants en dehors des réalités funéraires - si l’on excepte un pan de mur en 8d, au niveau bas du versant sud-est. On ne peut donc dire que le système polygonal qu’on constate à l’époque hellénistique repose sur des réalisations plus anciennes, et l’on a vu plus haut que pour ce qui est de l’époque archaïque on peut seulement faire l’hypothèse qu’un « couloir », dans l’axe de ce qui sera par la suite le decumanus romain, a pu faire la liaison entre le sommet de la col¬ line - site probable de l’acropole - et la zone médiane de la plaine côtière. Une incertitude de taille, comme on voit, et qui donne une idée des progrès qui res¬ tent à accomplir dans la connaissance archéologique de la Carthage punique. Plus positivement, cette connaissance a bénéficié dans le détail d’acquis très importants en ce qui regarde en particulier le dernier demi-siècle de la cité, et les spécificités de son urbanisme. En bord de mer, tout d’abord, où sur le site fouillé par la mission allemande, en face de l’ex-palais beylical, le tracé du rempart maritime est modifié, et abo¬ lie l’importante réserve foncière qui s’interposait entre le rempart du ve siècle et les espaces lotis à la même époque. Sur les terrains ainsi devenus dispo¬ nibles les anciennes unités d’habitation, plus compactes, font place à des demeures aux plans plus aérés, centrées sur de véritables péristyles (fig. 12). À cet enrichissement du quartier doit correspondre une évolution sociologique dont nous ignorons tout. ' 'ÿ1'11"1·1·1..... y.....— æ·1· '"Si Fig. 12 - Le rempart maritime et le quartier du bord de mer au début du IIIe siècle avant J.-C. (dessin G. Stanzi, mission archéologique allemande). Mais les conditions archéologiques du site font cependant que ce que nous connaissons le mieux dans le détail de l’architecture domestique n’est pas ce « quartier patricien » mais l’habitat groupé en insulae de la pente sud de Byrsa, où un remblai protecteur a comme figé - sauf en quelques points bouleversés par de profondes fondations romaines - les situations résultant de la destruc¬ tion de la ville en 146. Ce groupe d’habitations n’ayant été mis en place qu’au début du ne siècle, comme l’indiquent des datations fournies par la céramique campanienne et les estampilles d’amphores rhodiennes 37, il s’agit donc d’un quartier qui n’a vécu qu’un demi-siècle, parfois moins dans le cas de certains de ces îlots, et qui pourtant a évolué en ce court espace de temps, dans le cadre d’un tracé orthogonal directeur probablement établi dès l’origine. On peut dis¬ tinguer quatre phases (fig. 13). En un premier temps, tout au début du 11e siècle, mise en place suivant un axe nord-nord-ouest/sud-sud-est d’une série d’îlots de mêmes dimensions (C a été fouillé en totalité, les limites de A et de E sont connues). Les longueurs sont de 31,30 m pour des profondeurs de 15,65 m, soit des rapports 2:1 obser¬ vés ailleurs (à Herculanum (88 m 44 m), mais aussi dans l’Orient séleucide, A Fig. 13 - Les quatre phases de mise en place du quartier punique tardif de la pente sud de Byrsa (schéma S. Lancel). à Antioche, à Doura-Europos, à Laodicée, à Palmyre. Si l’on retient par hypo¬ thèse une coudée probable de 52,18 cm, ces mesures métriques se convertis¬ sent en 60 coudées sur 30 coudées, ce rapport 2:1 étant exprimé selon le sys¬ tème de mensuration sexagésimale d’origine sémitique qui avait toute chance d’être encore en usage même dans une Carthage profondément hellénisée 38. Ces îlots sont séparés par des rues d’une largeur comprise entre 5,50 m et 7 m, largeur moyenne des rues des cités de l’époque hellénistique. Les deuxième et troisième phases ne comportent pas d’édifications nou¬ velles, mais d’une part la pose de gros bourrelets confortatifs notamment aux angles des îlots existants, très probablement pour contrecarrer l’action de sape des eaux de ruissellement sur une pente assez forte, et d’autre part la mise en place de volées de marches et même de véritables escaliers destinés à racheter cette pente, en particulier entre les îlots C et E, à l’entrée de la rue III. La quatrième phase est la plus importante. Elle est marquée par l’édification d’une nouvelle série d’îlots parallèle à la première (les îlots B et D) mais de plans plus restreints. Cette nouvelle mise en place entraîne un aménagement complet de la rue II, qui devient, dans un axe sud-sud-est/nord-nord-ouest (c’est-à-dire descendant en direction des ports, en droite ligne) la rue princi¬ pale de ce petit quartier, de largeur plus grande (sept mètres), et comportant de place en place des petits escaliers pour racheter la dénivellation. L’analyse de cette constitution graduelle du quartier montre à l’évidence que l’élément premier du plan directeur est l’îlot : c’est lui qui introduit un module dans la division du site. Par rapport à lui, la rue est secondaire à tous les sens du mot. Cette chaussée demeure d’ailleurs rustique, de façon surprenante quand on songe aux voies dallées des cités comparables, par exemple en Sicile. Ce sont des chaussées de terre battue, et les eaux usées n’y sont pas drainées par un égout axial, mais recueillies unité d’habitation par unité d’habitation dans des puisards ou puits perdus raccordés aux caniveaux des maisons par des canali¬ sations parfois rudimentaires ou réparées de façon rudimentaire. Ravinées par 528 les eaux de pluie, ces chaussées étaient rechargées de temps à autre, et les niveaux refaits. Les coupes transversales le montrent et aussi l’examen des enduits protecteurs des bourrelets de confortation, dont la dernière croûte de réfection apparaît plus haute, car elle était appliquée à partir d’un niveau de chaussée surélevé par des recharges. Quant aux koprolofloi, aux employés de voirie, ils semblent bien avoir fait défection en particulier dans les toutes der¬ nières années vécues par ce quartier, probablement celles du siège (149 146) : car l’accumulation des détritus et surtout des éclats et tessons de pote¬ rie domestique est telle que cette couche est parvenue à oblitérer rapidement la marche basse de la volée de marche établie sur la rue II au carrefour des rues II et III 39. On ne peut se défendre de l’impression que ce quartier nouveau n’a pas eu le temps de parvenir, pour ce qui est de la voirie, à son développement ultime, avant même de souffrir, comme toute la cité, des misères du siège. Car en assez fort contraste avec cette rusticité des abords est le soin apporté aux constructions elles-mêmes et à l’aménagement des intérieurs. La qualité des enduits externes et internes, celle des stucs de décoration intérieure, la variété et la finition des revêtements de sols sont à tous égards celles d’un habitat de capitale, et d’une capitale prospère. Certes les surfaces habitables sont exi¬ guës, comme on peut s’y attendre dans des immeubles d’habitation collectifs à plans standardisés ; certes aussi, comme partout ailleurs - dans cette Carthage punique - pas plus qu’ils ne bénéficiaient d’un système collectif d’évacuation des eaux usées, les habitants ne disposaient d’un système public d’adduction d’eaux ; mais une étonnante batterie de citernes, nombreuses et de grande capacité, y pourvoyait. Et un minimum de vie artisanale et commer¬ ciale (une meunerie, une échoppe de bijoutier, celle d’un coroplathe) contri¬ buait à l’équilibre de ce petit quartier (fig. 14). Pour compléter l’image que l’on peut avoir de la ville à l’époque hellénis¬ tique, reste à apprécier sa distribution dans son plan d’ensemble à l’intérieur de son enveloppe fortifiée. (boutiqu·) «Or 529 Fig. 14 - Le quartier punique tardif de la pente sud de Byrsa (schéma S. Lancel) Les textes dont on dispose pour cette époque, ceux de Strabon et d’Appien, notamment, mais aussi ceux de Florus et d’Orose, distinguent très nettement deux grands secteurs urbains, ou plutôt un secteur urbain proprement dit, Byrsa, et une zone suburbaine, Mégara. Dans une contribution récente, nous avons montré que par l’appellation de Byrsa on entendait en fait deux réali¬ tés d’une part, stricto sensu, la citadelle (1’ hypercentre », comme il est dit par¬ : fois d’un mot malheureux dans nos modernes métropoles), et d’autre part, lato sensu, le noyau urbain central, le « centre ville » (le « down town » des Anglo Saxons). Ce centre ville, Byrsa au sens large, comprend, outre la citadelle - c’est-à-dire l’actuelle colline de Byrsa - la plaine côtière terminée au sud par les installations portuaires et par la baie du Kram, au sud de laquelle s’ouvrait à cette époque le chenal qui faisait communiquer le lac de Tunis avec la mer libre. Il est probable qu’au nord ce centre ville était limité par la ligne des hau¬ teurs qui passe par la colline dite de Junon et le plateau de Bordj Jedid car au : nord de cette ligne s’étendaient des zones funéraires toujours en service encore aux IIIe et 11e siècles, sur le plateau de Salda, comme l’ont montré les fouilles du P. Delattre dans sa « nécropole des Rabs », et sur le plateau de l’Odèon, où les fouilles récentes - celles de la mission italienne, celles de la mission cana¬ dienne - ont mis en évidence des sépultures puniques tardives. Au vu des textes - notamment de ceux d’Appien - il est très probable que ce noyau urbain constitué par la vieille ville (par opposition à la Néa Polis de Diodore, XX, 44, 1) avant son enceinte propre, sans doute appuyée sur la ligne des hauteurs, et qui, du côté du sud, était, comme le disent les textes - notamment Orose - com¬ mune à la vieille ville et à la grande Carthage. Quant à cette grande Carthage elle-même, son étendue contraste fortement avec la relative exiguïté du noyau urbain central (fig. 15). En s’appuyant à la fois sur les textes et les données archéologiques - les précieuses observations faites 530 LAC DE TUNIS A Fig. 15- L’enceinte périurbaine de Carthage à l’époque de la troisième guerre punique : réalités et hypothèses. 1 : 1er camp de Censorinus (été 149) ; 2 : 2e camp de Censorinus sur la taenia (fin 149 : Appien, 99) ; 3 : Triple mur sur l’isthme, retrouvé par le Gral Duval ; 3 bis : Retour du triple mur vers l’est au bord du lac : constats de 1912 et de 1951 ; 4 : Prolongement hypothétique du triple mur ; 5 : Attaque de Scipion en 147 sur deux points du mur simple ; 6 : Attaque manquée, début 147 (Appien, 113), de Mancinus par la falaise côtière (schéma S. Lancel). au début du siècle par le Dr Carton et les investigations ordonnées par le géné¬ ral Duval - on peut tenter de préciser le tracé de cette grande enceinte qui posa tant de problèmes au corps expéditionnaire romain entre 14g et 146 41. On peut, sur ces bases, estimer son développement à une trentaine de kilomètres, ce qui correspond aux valeurs qu’on trouve dans l’Epitomé de Tite-Live et chez Orose. Une question importante, qu’on laissera provisoirement sans réponse, serait de savoir à quelle époque fut pour la première fois mise en place cette enceinte. On peut penser, mais sans indices suffisants pour être affirmatif, aux années qui suivirent l’expédition d’Agathocle (fin rve siècle), c’est-à-dire la dater très largement du me siècle. À l’intérieur de cette grande enveloppe, une prospection récente a fait état d’un certain nombre de sites apparemment occupés pour la période envisagée (me-ne siècles) 4*. On constate sans surprise que l’emprise de ces sites ne s’étend pas jusqu’à la limite du tracé de l’enceinte, du côté ouest, sur l’isthme. À supposer qu’elle soit possible, une fouille extensive montrerait probable¬ ment que l’implantation de la muraille (la triple enceinte occidentale) est sans rapport avec la surface habitée selon des critères véritablement urbains. En fait son tracé répond à des objectifs purement défensifs : la fortification coupe l’isthme au plus étroit, là où le barrer par une triple défense était à la fois effi¬ cace et économique. Pas plus que dans le cas de Samos ou de Syracuse, à une époque sans doute un peu antérieure, il ne faut dans le cas de Carthage tirer argument du vaste périmètre de ses défenses extérieures pour tirer des conclu¬ sions en termes d’habitat et d’importance démographique. À propos de sa propre cité, Mégalopolis, Polybe (IX, Vili, 26a) avait déjà fustigé l’erreur de ceux qui veulent juger de la taille réelle des cités à l’aune de leur périmètre for¬ tifié. Nous savons au demeurant par le témoignage des textes qu’en dehors d’un habitat semi-rural, dont la fouille de Gammarth publiée par M.H. Fantar peut fournir le modèle 43, la grande zone suburbaine de Carthage, Megara, était en grande partie occupée par des jardins 44. Quelque prudence qu’il faille légitimement manifester sur la réalité urbaine de la « grande Carthage », on n’hésitera pas trop, en dépit des lacunes encore bien réelles de l’information archéologique - et malgré ses immenses progrès ces dernières années - à considérer qu’à l’échelle du monde hellénistique Carthage, du moins la Carthage des 111e et 11e siècles, était bien une « méga pole ». Particulièrement regrettables sont ces lacunes quand il s’agit des édi¬ fices publics de la cité, en dehors des installations portuaires. Ainsi pour ce qui est des temples : le dossier textuel concernant les édifices cultuels (le « temple d’Eschmoun », le « temple d’Apollon », le « temple de Kronos ») est assez fourni, mais les réalités archéologiques à mettre en regard sont rares et ne viennent pas en coïncidence 45. C’est la carence de l’épigraphie qu’il faut ici incriminer, alors que dans les cités du monde classique les inscriptions consti¬ tuent de si précieuses données identificatrices. Et c’est peut-être pour cela sur¬ tout qu’il faut considérer le dossier de la Carthage punique comme « méga pole » comme un dossier encore très largement évolutif. Au moins peut-on dire que Rome a reçu à Carthage, à l’état de « squelette » utilisable et suggestif, au moins partiellement, un bel héritage urbain qu’elle a su transformer en mégapole. Notes i. Cf. en dernier lieu M. Vegas, 1992, p. 181-189. 2. Analyses de Susan Pringle citées par M. Vegas, 1989, p. 224. 3. Cf. F. Rakob, 1984, p. 3-4. 4. Cf H.-G. Niemeyer, 1990, p. 45-52. 5. Cf S. Ellis, 1987, p. 12. 6. Cf F. Chelbi, 1983, p. 80. 7. Cf F. Rakob, 1990a, p. 34-37. 532 8. Cf F. Rakob, 1990a, p. 36. 9. Cf F. Rakob, 1990a, p. 39-41. 10. Cf S. Lancel, 1990, p. 12-13. h. Cf S. Lancel, 1992, p. 297-315. 12. Cf S. Lancel, 1988, p. 61-89. 13. Cf S. Lancel, 1985, p. 732-733. 14. Cf. MDAI, Rom. Abt., 94, 1987, p. 338 (= sondage T4 sur le plan dépliant de la fig. 2). 15. Cf Byrsa 1, Rome, 1979, p. 35 et fig. 2, p. 307. 16. Cf F. Rakob, 1987, p. 338. 17. Cf F. Rakob, 1991, p. 33-80. 18. Cf H. Hurst et L. Stager, 1978, p. 333-342. 19. Cf S. Lancel, 1992, p. 308-310. 20. Cf J. A. Greene, 1986. 21. Cf M. Vegas, 1987, p. 351-412. 22. Cf R, PaskofF, H. Hurst et F. Rakob, 1985, p. 613-617. 23. Cf. F. Rakob, 1987, p. 335 etpl. 149, 1. 24. Cf S. Lancel, 1990, p. 12-14. 25. Cf. S. Lancel, 1992, p. 310. 26. Cf H. Hurst, 1979, p. 23. 27. Cf F. Rakob, 1991, p. 76-78. 28. Voir les références dans S. Lancel, 1992, p. 271-272. 29. Cf S. Lancel, 1989, p. 35-51. 30. Cf. S. Lancel, 1992a, p. 277. 31. Cf. H. Bénichou-Safar, 1981, p. 308. 32. Cf. S. Lancel, 1992a, p. 278. 33. Cf. A. Dupont-Sommer, 1968, p. 116-133. 34. Cf. M. Sznycer, 1978, p. 560. 35. Cf. S. Lancel, 1990, p. 28. 36. Sur cette utilisation funéraire de la pente sud-ouest et ouest de Byrsa jusqu’aux derniers jours de la cité, cf. Byrsa I, Rome, 1979, p. 20 22 et S. Lancel, 1988, p. 85-86. 533 37. Sur ces datations, cf. Byrsa II, Rome, 1982, p. 19-21 et 205 notam¬ ment 38. Sur ces indications métrologiques, cf. Byrsa II, p. 370-372. 39. L’analyse des niveaux de rue a été publiée dans Byrsa II, Rome, 1982, p. 34-39 et fig. 32-34. 40. S. Lancel, 1988, p. 61-89. 41. Sur ce tracé, ainsi que sur les relations entre la grande enceinte et le rempart proprement urbain, cf. S. Lancel, 1989a, p. 251-278. 42. Cf. J. Greene, 1986. 43. Cf. M.H. Fantar, 1985, p. 3-18. 44. Appien, Libyca, 117. 45. Cf. M.H. Fantar, 1993, p. 144-154.

Use Quizgecko on...
Browser
Browser