Histoire moderne CM, Université Paris Nanterre PDF

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Université Paris Nanterre

2024

Vincent Meyzie

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histoire moderne villes européennes sociétés urbaines histoire

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Initiation à l'histoire moderne des villes et des sociétés urbaines européennes, du XVIIe au XVIIIe siècle. Le cours complet proposé par Vincent Meyzie, de l'Université Paris Nanterre, explore les dynamiques sociales et urbaines de cette période en Europe.

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Université Paris Nanterre Service d'enseignement À distance Bâtiment E - 3ème étage 200, Avenue de la République 92001 NANTERRE CEDEX 1ère année LICENCE D’HISTOIRE (EAD)...

Université Paris Nanterre Service d'enseignement À distance Bâtiment E - 3ème étage 200, Avenue de la République 92001 NANTERRE CEDEX 1ère année LICENCE D’HISTOIRE (EAD) 1er semestre 2024-2025 Initiation à l’histoire moderne Villes et sociétés urbaines en Europe, XVIIe-XVIIIe siècles 4H1HM01D Vincent Meyzie CM cours complet (91 pages) Avertissement : Cette œuvre est protégée par le Code de la propriété intellectuelle. Toute diffusion illégale peut donner lieu à des poursuites disciplinaires et judiciaires. 1 BIBLIOGRAPHIE Instruments de travail --- généraux DELON Michel, sd., Dictionnaire européen des Lumières, Paris, PUF, 1997. Christian TOPALOV, COUDROY DE LILLE Laurent, DEPAULE Jean-Charles, MARIN Brigitte, sd., L’aventure des mots de la ville, Paris, Robert Laffont, 2010. --- pour la France BÉLY Lucien, sd., Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, PUF, 1996. BOUTIER Jean, sd., Atlas de l’histoire de France. La France moderne, XVIe-XIXe siècle, Paris, Autrement, 2006. CORNETTE Joël, Les années cardinales. Chronique de la France (1599-1652), Paris, SEDES, 2000. CORNETTE Joël, Chronique du règne de Louis XIV, Paris, SEDES, 1997. GRENIER Jean-Yves, BEGUIN Katia, BONZON Anne, Dictionnaire de la France moderne, Paris, Hachette, Carré-Histoire, 2003. --- pour d’autres pays : atlas et lexiques BEAUREPAIRE Pierre-Yves, Atlas de l’Europe moderne : de la Renaissance aux Lumières, Paris, Autrement, 2019. CHASSAIGNE Philippe, Lexique d’histoire et de civilisation britannique, Paris, Ellipses, 1997. DUBY Georges, Atlas historique mondial, Paris, Larousse, 2000 (nouvelle édition). HELIE Jérôme, Petit atlas historique des Temps modernes, Paris, Armand Colin, 2000. MOLINIE-BERTRAND Annie, Vocabulaire historique de l’Espagne classique, Paris, Nathan, 1997 (1993). Approches d’ensemble à l’échelle de l’Europe * CLARK Peter, European cities and towns, 400-2000, Oxford-New-York, Oxford University Press, 2009. * FRIEDRICHS Christopher R., The Early Modern City, 1450-1750, Londres-New-York, Longman, 1995. ** ZELLER Olivier, dir., La ville moderne, XVIe-XVIIIe siècle. Histoire de l’Europe urbaine-3, Paris, Seuil, nouv. éd. actualisée 2012 (1ère éd. 2003). Approches d’ensemble à l’échelle nationale ou d’une partie de l’Europe --- France * LE ROY LADURIE Emmanuel, sd., La ville des temps modernes de la Renaissance aux Révolutions, Paris, Seuil, 1998 (1ère éd. 1980). DURAND Stéphane, Les villes en France, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Hachette, « Carré Histoire », 2006. ** SAUPIN Guy, Les villes en France à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, 2002. --- îles Britanniques ** CLARK Peter, dir., The Cambridge Urban History of Britain, vol. 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BRIZAY François, L’Italie à l’époque moderne, Paris, Belin, 2001. CARRANGEOT Delphine, CHAPRON Emmanuelle et CHAUVINEAU Hélène, Histoire de l’Italie du XVe au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2015. DEDIEU Jean-Pierre, L’Espagne de 1492 à 1808, Paris, Belin, sec. éd. 2005. DENYS Catherine, PARESYS Isabelle, Les anciens Pays-Bas à l'époque moderne (1404- 1815). Belgique, France du Nord, Pays-Bas, Paris, Ellipses, sec. éd. 2016. JETTOT Stéphane, RUGGIU François Joseph, L’Angleterre à l’époque moderne. Des Tudors aux derniers Stuarts, Paris, Armand Colin, 2017. LEBEAU Christine, GANTET Claire, Le Saint Empire, 1500-1800, Paris, Armand Colin, Collection U, 2018. LEBECQ Stéphane, BENSIMON Fabrice, LACHAUD Frédérique, RUGGIU François- Joseph, Histoire des Iles britanniques, par PUF, 2013 (1ère édition 2007). SCHNAKENBOURG Eric, MAILLEFER Jean, La Scandinavie à l‘époque moderne (fin XVe–début XIXe siècle), Paris, Belin, 2001. Quelques travaux majeurs sur des villes (en particulier pour la France) BRAUDEL Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, Paris, 1979 (nombreuses rééditions). 3 t. CERUTTI Simona, La ville et les métiers : naissance d’un langage corporatif Turin 17e-18e siècles, Paris, Ed. de l’EHESS, 1990. DEYON Pierre, Etude sur la société urbaine au XVIIe siècle. Amiens capitale provinciale, Paris-La Haye, Mouton, 1967. GARDEN Maurice, Lyon et les Lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, Les Belles lettres, 1970. GARRIOCH David, La fabrique du Paris révolutionnaire, Paris, La Découverte, 2015 (1ère éd. langue anglaise 2002). FRIEDRICHS Christopher R., Urban Society in an Age of War : Nördlingen, 1580-1720, Princeton, Princeton University Press, 1979. GOUBERT Pierre, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, préf. Daniel Roche, Publications de la Sorbonne, coll. “Les Classiques de la Sorbonne”, 2013 (1ère éd. 1960). GUIGNET Philippe, Le pouvoir dans la ville au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, Paris, Ed. de l’EHESS, 1990. PERROT Jean-Claude, Genèse d’une ville moderne : Caen au XVIIIe siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1975, 2 t. 3 Les fondements et les logiques urbaines dans l’Europe moderne (XVIIe-XVIIIe siècles) --- les définitions et les représentations de la ville * LEPETIT Bernard, Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988. LEPETIT Bernard, « La ville moderne en France. Essai d’histoire immédiate », p. 173-207 dans Jean-Louis Biget, Jean-Claude Hervé, eds, Panoramas urbains. Situation de l’histoire des villes, Paris, éd. ENS Fontenay/St-Cloud, 1996. WEBER Max, La ville, Paris, La Découverte, 2014 (1921). --- les grands trends de l’urbanisation de l’Europe moderne DUPÂQUIER Jacques, sd., Histoire de la population française, 2. De la Renaissance à 1789, Paris, PUF, 1995 (1ère éd. 1988). ** BARDET Jean-Pierre, DUPÂQUIER Jacques, dir., Histoire des populations de l’Europe, Paris, Fayard, 1997, 3 vol., tomes 1 et 2. * HOHENBERG Paul M., LEES Lynn Hollen, La formation de l’Europe urbaine 1000-1950, Paris, PUF, 1992 (1ère éd. langue anglaise 1985). DE VRIES Jan, European Urbanization, 1500-1800, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1984. --- les armatures urbaines et les types de villes * BELLEGUIC Thierry, TURCOT Laurent, dir., Les histoires de Paris (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Hermann, 2012, tomes I et II. CLARK Peter, dir., Small Towns in Early Modern Europe, Cambridge-Paris, CUP-MSH, 1995. CLARK Peter, Bernard LEPETIT, dir., Capital Cities and their Hinterlands in Early Modern Europe, Aldershot, 1996. * FAVIER René, Les villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, Grenoble, Presses de l’Université de Grenoble, 1993. * LAMARRE Christine, Petites villes et fait urbain en France au XVIIIe siècle. Le cas bourguignon, Dijon, Presses de l’Université de Bourgogne, 1993. LE MAO Caroline, Les villes portuaires maritimes dans la France moderne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2015. NIERES Claude, Les villes de la Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2004. SAUPIN Guy, dir., Villes atlantiques dans l’Europe occidentale du Moyen Age au XXe siècle, Rennes, PUR, 2006. Pouvoirs, sociétés et économies des villes de l’Europe moderne (XVIIe-XVIIIe siècles) --- le gouvernement urbain et son exercice AMALOU Thierry, Le Lys et la Mître. Loyalisme monarchique et pouvoir épiscopal pendant les guerres de religion (1580-1610), Paris, éd. du CTHS, 2007. BERLIERE Jean-Marc, DENYS Catherine, KALIFA Dominique et MILLIOT Vincent, dir., Métiers de police. Être policier en Europe, XVIIIe-XXe siècle, Rennes, PUR, 2008. * BLICKLE Peter, sd., Résistance, représentation et communauté, Paris, PUF, Les origines de l’État moderne en Europe, 1998. 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SAUPIN Guy, Nantes au XVIIe siècle, vie politique et société urbaine, Rennes, PUR, 1996. * SAUPIN Guy, dir., Le pouvoir urbain dans l’Europe atlantique du XVIe au XVIIIe siècle, Nantes, Ouest Editions, 2002. --- la société urbaine : hiérarchies, dynamiques et tensions * BEIK William, Urban protest in seventeenth-century France. The culture of retribution, Cambridge, CUP, 1997. BEROUJON Anne, Peuple et pauvres des villes dans la France moderne de la Renaissance à la Révolution, Paris, Armand Colin, 2014. BOTTIN Jacques, CALABI Donatella, sd., Les étrangers dans la ville. Minorités et espaces urbains du bas Moyen Age à l’époque moderne, Paris, éd. de la MSH, 1999. CALABI Donatella, CHRISTENSEN Stephen Turk, éd., Cultural Exchange in Early Modern Europe. Volume 2, Cities and Cultural Exchange in Europe, 1400-1700, Cambridge, CUP, 2007. COSTE Laurent, Les bourgeoisies en France. Du XVIe au milieu du XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2013. ** GUIGNET Philippe, Les sociétés urbaines dans la France moderne, Paris, Ellipses, 2006. * MARRAUD Mathieu, De la Ville à l’Etat. La bourgeoisie parisienne, XVIIe -XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2009. * RUGGIU François-Joseph, Les élites et les villes moyennes en France et en Angleterre (XVIIe et XVIIIe siècles), Paris, L’Harmattan, 1997. RUGGIU François-Joseph, L’individu et la famille dans les sociétés urbaines anglaise et française (1720-1780), Paris, Presses de la Sorbonne, 2007. --- l’économie urbaine BLONDE Bruno, BRIOT Eugénie, COQUERY Natacha et VAN AERT Laura, dir., Retailers and consumer changes in Early Modern Europe. England, France, Italy and the Low Countries, Tours, Presses Universitaires de Tours, 2005. * EPSTEIN S. R., éd., Town and Country in Europe, 1300-1800, Cambridge, CUP, 2001. FARR James R., Artisans in Europe, 1300-1914, Cambridge, CUP, 2000. HANNE Georges, Le travail dans la ville. Toulouse et Saragosse des Lumières à l’industrialisation. Etude comparée, Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail, 2006. KAPLAN Steven L., Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988. * KAPLAN Steven L., La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001. MARIN Brigitte, VIRLOUVET Catherine, sd., Nourrir les cités de Méditerranée. Antiquité- Temps Modernes, Maisonneuve et Larose-Maison méditerranéenne des sciences de l’homme- Universidad Nacional de Education a Distanciai, 2003. --- l’aménagement des villes et ses acteurs BAUMIER Béatrice, Tours entre Lumières et Révolution. Pouvoir municipal et métamorphoses d’une ville (1764-1792), Rennes, PUR, 2007. * HAROUEL Jean-Louis, L’embellissement des villes : l’urbanisme français au XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1993. TEISSEYRE-SALLMANN Line, Métamorphoses d’une ville. Nîmes de la Renaissance aux Lumières, Seyssel, Champ Vallon, 2009. 5 Conseils méthodologiques pour le travail personnel Votre travail personnel consiste avant tout à compléter et à enrichir la lecture attentive du cours - prolongé par un dossier d’accompagnement comprenant divers documents - et du TD associé par celle prioritaire de l’ouvrage de synthèse indispensable d’Olivier Zeller pour l’Europe et du dense manuel de Guy Saupin pour la France (en gras dans la bibliographie ci- dessus). Avec ce cours (table des matières à la fin du fichier) et le TD lié, ces deux livres fondamentaux vous apporteront le solide matelas de connaissances vous permettant de traiter les sujets de dissertation et les commentaires de textes et documents auxquels vous serez confrontés lors des examens. La bibliographie comprend différents instruments de travail qui jouent aussi un rôle essentiel. En complément des manuels, ils vous donnent accès à des cartes et chronologies, indispensables pour situer avec précision les phénomènes étudiés dans l’espace et le temps. Par ailleurs, les dictionnaires et lexiques mentionnés (en sus d’instruments classiques et généraux comme l‘Encyclopédia Universalis pour les biographies de personnages notables), doivent être utilisés pour définir le vocabulaire et les notions historiques ; l’initiation aux usages des principaux instruments de travail sera l’un des objectifs importants du TD. En outre, comme toute bibliographie universitaire visant à présenter la richesse de la littérature scientifique portant sur un domaine (et à en faire prendre conscience), la bibliographie présentée contient des ouvrages plus spécialisés. Ils portent sur des espaces plus réduits ou des pays de l’Europe, sur des thématiques majeures de l’histoire urbaine ou correspondent à des livres considérés comme des références dans ce champ de l’histoire. En fonction du travail demandé en TD, de vos curiosités et de vos affinités à l’égard de telle ou telle ville, vous pourrez bien sûr y trouver des exemples, informations, démonstrations, analyses et notions complémentaires. Les manuels, synthèses et livres spécialisés les plus utiles et/ou les plus riches sur la question traitée sont signalés par un astérisque (voire deux astérisques). Dans le cours, les noms des historiens entre parenthèses vous permettent aussi de retrouver si besoin la référence livresque d’une démonstration mobilisée ou d’un cas cité. 6 CONSEILS METHODOLOGIQUES POUR LA DISSERTATION EN HISTOIRE La dissertation en histoire permet d’apprécier vos capacités à mobiliser de manière judicieuse vos connaissances historiques dans le cadre d’une démarche au service d’une démonstration. L’exercice nécessite l’emploi d’une langue correcte (syntaxe et orthographe), d’un vocabulaire adéquat et d’un style soutenu au service d’une argumentation logique. Il implique par ailleurs l’acquisition personnelle d’une culture historique grâce à des lectures variées et pertinentes, notamment en utilisant les pistes bibliographiques proposées. Les conseils présentés sous forme de points majeurs ont pour but de vous rappeler les principales règles de méthodes pour l’exercice. Pour une approche méthodologique plus développée, nous vous renvoyons à l’ouvrage synthétique de Vincent Milliot, Olivier Wieworka, Méthode pour le commentaire et la dissertation historiques, Paris, Nathan, « Histoire 128 », 1994 (avec des exemples pour l’histoire moderne). 1) Objectifs Elle permet d’évaluer vos capacité à proposer une réponse argumentée, raisonnée et nourrie d’exemples adéquats à un sujet posé. La problématique constitue le fil directeur d’une démonstration organisée selon une progression logique. Impliquant une sélection et une hiérarchisation des connaissances, la dissertation est un exercice de raisonnement historique. 2) Travail préparatoire __ un préalable indispensable : une lecture et une analyse attentives du sujet L’analyse précise de l’ensemble des termes sert à appréhender le sens et l’extension du sujet. Il convient en particulier de définir les notions proposées, de préciser les limites spatiales et les bornes chronologiques ou de les relier à des événements ou à des évolutions significatives. Cette analyse préalable vous permet de dégager un questionnement adéquat, une problématique pertinente. La compréhension des questions historiques sous-jacentes au sujet posé évite les écueils classiques du hors-sujet, total ou partiel, ou de la simple compilation-narration désordonnée de connaissances. __ la mise en ordre des connaissances Il convient tout d’abord de prévoir à titre provisoire les parties et sous-parties de votre développement, structurée autour d’idée forces. Il convient de dresser l’inventaire des 7 connaissances utiles à votre démonstration (thèmes, événements, notions historiques, personnages, dates, personnes…) et de les organiser, c’est-à-dire de les classer et de les hiérarchiser au sein des parties et des sous-parties prévues. Il convient enfin de réaménager de manière définitive les articulations de votre plan afin que les parties et les sous-parties soient équilibrées et conduisent à une véritable progression. 3) La structure de la dissertation en histoire __ l’introduction --- la définition des termes et du sens du sujet (après une phrase introductive pertinente, elle consiste en une reprise ordonnée des résultats de la lecture et de l’analyse préalables) --- l’exposition de la problématique (par rapport aux enjeux historiques du sujet) --- l’annonce du plan __ trois remarques sur le développement --- une argumentation dynamique et hiérarchisée Chaque paragraphe (sous-partie) doit être construit en fonction d’une idée essentielle, mise en exergue au début du paragraphe. Un exemple pertinent et détaillé (portant sur un thème, une évolution, un événement, une notion, un personnage…) permet de l’appuyer et de la développer. Elle peut ensuite être nuancée, relativisée grâce à d’autres connaissances historiques. Vous devez privilégier le choix d’exemples pertinents, peu nombreux mais bien maîtrisés et expliqués et proscrire toute énumération allusive de connaissances historiques. --- la logique du raisonnement historique matérialisée par une mise en page ordonnée. Les parties sont matérialisées par des sauts de ligne, les paragraphe par des retraits. L’enchaînement logique entre les parties implique de construire de brèves introductions et des conclusions partielles en guise de transitions. --- le choix d’un type de plan La lecture et l’analyse attentives du sujet suggèrent a priori le choix d’un type de plan. Plusieurs grands types de plan existent en histoire, les trois plus fréquents sont les suivants : le plan analytique consistant à expliquer un événement (selon le triptyque causes, faits, conséquences qui nécessite de mouler avec souplesse dans ce cadre logique la spécificité du raisonnement historique ; exemple : la Saint-Barthélemy) 8 le plan chronologique visant à reconstituer les étapes d’une évolution (une difficulté spécifique tient au choix de dates charnières pertinentes et justifiées ; exemple : la noblesse en France au XVIe siècle) le plan tableau ou plan thématique (il s’agit de rassembler et d’ordonner les caractéristiques essentielles du sujet en évitant toutefois d’être statique ; exemple : la monarchie française en 1610) __ la conclusion --- un bilan synthétique Ce premier paragraphe synthétise avec vigueur les principaux apports du devoir permettant qui répondent à la problématique posée. --- un élargissement Il ouvre sur de nouveaux problèmes tels que la portée des phénomènes étudiés pour la période postérieure, les liens avec des problèmes historiques plus généraux concernant la période étudiée, une comparaison pertinente avec un autre pays ou une autre zone géographique à la même époque…. 9 Introduction générale Ce cours a pour objectif de mettre en exergue les spécificités du phénomène urbain durant les XVIIe et XVIIIe siècles à l’échelle de l’Europe. Il concerne, sur l’ensemble de la période et des pays, une part minoritaire, souvent et durablement très minoritaire, des Européens puisque la grande majorité d’entre eux sont des ruraux et, surtout, des paysans. Ce monde urbain minoritaire, qui concentre les pouvoirs (religieux, politique, économique, culturel), demeure toutefois très varié et l’espace le plus remarquable de la diversité dans les sociétés modernes. Il s’agit notamment dans ce cours de scruter les rythmes et les espaces de l’urbanisation, d’être attentif à la diversité croissante des villes au cours de la période moderne et à l’apparition de nouveaux types urbains, de prendre en compte la promotion des capitales politiques, d’étudier les gouvernements urbains en relation avec le renforcement des Etats territoriaux qui engendre fréquemment la déqualification des pouvoirs locaux dans de nombreux pays, de présenter les fondements et les logiques de hiérarchisation et de structuration des sociétés urbaines ainsi que les principales modalités de leur régulation sociale et politique, le fonctionnement d’économies urbaines intégrées à des économies préindustrielles, de prendre en compte les aménagements au sein des villes. Les bornes spatiales du cours correspondent à une Europe définie sur un plan géographique comme allant de l’Atlantique à l’Oural. Cette délimitation inclut donc la partie européenne de la Russie ; en revanche, les villes sous domination ottomane dans les Balkans ainsi que Istanbul ne sont pas inclues du fait de leur appartenance à l’empire ottoman, système impérial plus vaste que le cadre européen. Cette Europe ainsi définie regroupe évidemment des héritages urbains diversifiés. Dans son livre de synthèse European cities and towns, 400- 2000 (voir bibliographie), Peter Clark distingue ainsi quatre espaces urbains de référence : Europe méditerranéenne ; Europe de l’Ouest ; Europe du Nord ; Europe de l’Est. Ce découpage géographique, commode, est aussi évidemment discutable dans le détail des frontières établies : la France est ainsi classée en totalité dans l’espace urbain de Europe de l’Ouest ; or, les villes de son littoral méditerranéen, relevant en partie d’une filiation gréco- romaine, pourraient être rangées dans la première catégorie distinguée. La diversité sur la logue des trajectoires urbaines engendre ainsi l’existence de « plusieurs modèles de villes européennes » (Jean-Luc Pinol). 10 Les bornes chronologiques retenues des XVIIe et XVIIIe siècles constituent un arc chronologique suffisamment ample, pour une mise en exergue à la fois des caractéristiques spécifiques de la ville de la période moderne (s’inscrivant en partie dans les continuités médiévales) et des mutations notables au cours de cette période biséculaire, notamment durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. En effet, même si elles ne correspondent pas forcément aux bornes plus élargies mais variables qu’adoptent des auteurs de synthèses (1500 à 1800 pour Peter Clark dans le livre cité ; 1450-1750 pour Christopher R. Friedrichs dans son ouvrage de synthèse, la date aval correspondant à la fin de la early modern history selon la terminologie anglo-saxonne), elles s’avèrent suffisamment larges pour appréhender la ville moderne sur la durée. Entre 1600 à 1800 (dates rondes, souvent retenues pour mesurer l’urbanisation), des phénomènes fondamentaux de longue durée influent ainsi sur les évolutions urbaines : basculement, amorcé au cours du XVIe siècle, définitif du centre du gravité économique de l’Europe de la Méditerranée vers l’Atlantique et promotion liée des villes portuaires de la façade atlantique ; renforcement des Etats territoriaux et effacement politique des cités-Etats. En aval, la Révolution française marque une rupture pour les villes en France (dès la révolution municipale de 1789) ; pour les autres cités européennes, ce sont surtout les guerres et l’expansion napoléoniennes qui constituent une fréquente césure dans leur histoire urbaine. Les limites chronologiques choisies servent aussi à mettre de côté les questions, complexes, de la diffusion du protestantisme en milieu urbain et des phénomènes de coexistence et de conflictualité inhérentes aux conflits religieux du XVIe siècle. La structuration du cours vise aussi à mettre en avant et en évidence les perspectives de l’histoire urbaine, champ scientifique ayant pour objectif de saisir la spécificité du fait urbain dans l’histoire. Cette saisie opère à différentes échelles : --- les relations des villes avec les systèmes sociaux, politiques et culturels auxquelles elles appartiennent --- les relations des villes entre elles à l’échelle régionale, nationale et internationale (selon la formule de Brian Barry de 1964 : « cities as system within system of cities ») --- les relations intra-urbaines impliquant les compréhension des interactions entre les différentes fonctions et les structures urbaines Par essence, l’histoire urbaine se situe en interaction avec les autres disciplines et savoirs de l’urbain (pour les termes et notions de géographie urbaine et d’analyse spatiale rencontrés dans le cours, vous pourrez recourir à des dictionnaires de géographie). 11 cours 1 : Qu’est ce qu’une ville à l’époque moderne ? L’intérêt des historiens pour les villes est ancien en Europe. La genèse de l’historiographie des villes remonte à deux traditions érudites, celle de l’histoire municipale et celle de l’histoire ecclésiastique, des XVIIe et XVIIIe siècles. Pendant longtemps, les cités ont été prioritairement envisagées selon les perspectives de l’histoire politique (au XIXe siècle avec l’école méthodique en France par exemple). La constitution de l’histoire urbaine comme champ autonome demeure tardive, au cours de la seconde moitié du XXe siècle ; celle-ci a pour visée l’étude des phénomènes urbains dans leur spécificité et dans leur autonomie (formes matérielles, organisations sociales, logiques économiques, modes de gouvernement). Nous présenterons dans un premier temps quelques jalons majeurs de l’histoire urbaine, en particulier pour l’historiographie française, en nous intéressant aux approches du phénomène urbain par les historiens. Nous mettrons en exergue dans un second temps les évolution de la représentation de la ville au cours des deux siècles en nous intéressant aux approches et définitions du phénomène urbain par les hommes de l’époque moderne, avec l’émergence fondamentale d’une conception dynamique et fonctionnelle - c’est-à-dire fondée sur ses fonctions spécifiques - de la ville au cours du XVIIIe siècle. I) Quelques approches et définitions historiennes du phénomène urbain Il n’est pas possible d’avoir un consensus pour établir une définition stable de l’objet ville car, pour reprendre les termes du géographe Marcel Roncayolo dans son ouvrage sur La ville et ses territoires (1990), « sous le nom de ville, s’accumule une somme d’expériences historiques, plus que ne se profile un concept ». La réduction impossible de la ville à des critères démographiques et morphologiques simples et intemporels ouvre donc la possibilité de lectures diversifiées de la part des historiens. 1) Quelques repères sur l’histoire urbaine La formation tardive de l’histoire urbaine comme champ autonome au sein discipline historique s’opère durant la seconde moitié du XXe siècle. Elle s’opère surtout à partir des décennies 1960 et 1970 dans la plupart des pays européens. Le poids des traditions 12 historiographiques nationales, en lien avec l’importance variable du phénomène urbain dans l’histoire et dans la mémoire des différents pays (notamment dans la construction étatique) s’avère déterminant ; le poids respectif des autres savoirs s’intéressant à l’urbain joue aussi un rôle important. Ainsi, en France, l’articulation avec histoire sociale, notamment produite par les historiens des Annales, demeure forte et durable. En Italie, une tradition très prégnante étudie le poids majeur des cités dans l’histoire politique des Etats italiens. Ce rôle déterminant des villes dans l’histoire de la péninsule depuis au moins le XIIe siècle est mis en évidence dans le livre célèbre de Carlo Cattaneo en 1858 sur « la cité comme principe idéal de l’histoire italienne ». L’influence forte de la sociologie de Max Weber en Allemagne sur l’histoire urbaine nécessite de s’arrêter un peu sur cet auteur et, en particulier, sur son livre sur La Ville. Dans cet ouvrage, portant en termes de champ d’investigation historique sur villes antiques et surtout médiévales, le sociologue s’intéresse notamment aux spécificités politiques et juridiques des villes occidentales ainsi qu’à leur appréhension comme lieux d’innovation (avec les politiques économiques urbaines en autres). Dans ce texte inachevé, Max Weber étudie la ville en tant que forme d’organisation politique spécifique à l’Occident, c’est-à-dire comme commune. Cette étude s’inscrit dans son projet plus large de faire la généalogie de la bourgeoisie occidentale (la polysémie en allemand du terme de Bürger est notable ; il signifie bourgeois, citoyen, citadin). L’établissement d’un idéal-type de la ville occidentale comme commune repose sur cinq critères : posséder des fortifications, être un lieu de marché, avoir un tribunal et un droit propre, constituer un groupement (groupe social dans sa forme la plus général), bénéficier d’un autonomie et d’une autocéphalie relatives (à la fois établissement de règlements par les communes pour la première notion et désignation de leurs dirigeants par elles-mêmes pour la seconde notion, par opposition aux deux notions d’hétéronomie et de hétérocéphalie). Le cas de l’historiographie française de l’histoire urbaine montre à la fois une articulation durable avec l’histoire sociale et une forte proximité avec la géographie. L’histoire urbaine permet tout d’abord l’élargissement du questionnaire de l’historien selon les perspectives dressées par « l’école des Annales » : elle a le souci d’un savoir global, avec un enrichissement fondé sur le recours aux méthodes et aux notions des autres disciplines. L’influence des autres sciences sociales (géographie, sociologie urbaine, anthropologie) et des savoirs de l’urbain (urbanisme, aménagement) permet une saisie de la ville comme phénomène total, reposant sur l’imbrication de tous les niveaux de la réalité (économique, politique, social et culturel). 13 Au départ, durant les décennies 1950 et 1960, elle s’inscrit dans le prolongement de l’histoire sociale (travaux de Pierre Goubert sur Beauvais, de Pierre Deyon sur Amiens comme capitale provinciale) et de ses controverses (débat société d’ordres versus société de classes avec Roland Mousnier et Camille-Ernest Labrousse). La ville se révèle alors comme « un cadre commode » (Pierre Deyon) en raison de l’imbrication des réalités historiques et de la complexité des mondes sociaux qu’elle abrite. La mutation majeure intervient au milieu de la décennie 1970 : elle consiste à envisager la ville à la fois comme objet et sujet d’histoire (selon les analyses rétrospectives de Bernard Lepetit). Le livre de Jean-Claude Perrot, Genèse d’une ville moderne : Caen au XVIIIe siècle (présenté ci-dessous dans le 3), joue un rôle essentiel dans cette mutation qui étudie la ville non pas comme la somme des éléments la composant mais comme une entité originale qui, par son existence même, est productrice et créatrice d’effets propres, spécifiquement urbains. De nombreuses pistes ouvertes par l’ouvrage ont été suivies depuis sa publication. Par ailleurs, la proximité demeure maintenue avec les questions posées par l’histoire sociale et leur renouvellement puisque, désormais, les perspectives se sont déplacées des catégories aux pratiques sociales des acteurs. Les apports de la géographie urbaine et économique représentent un exemple d’ouverture interdisciplinaire essentielle pour l’historiographie française de l’histoire urbaine. Le savoir géographique exerce une forte influence sur les historiens français du fait notamment de la proximité des deux disciplines au sein de la formation académique. Ces apports sont nombreux : description des différentes fonctions urbaines et classement des villes selon le niveau et le type des fonctions ; proposition de typologies des villes et des hiérarchies urbaines. Ils consistent ainsi à la fois en instruments d’analyse et en une série de questions sur le fonctionnement économique des villes d’une part et les spécificités des armatures urbaines de la période préindustrielle d’autre part. 2) L’approche braudélienne : la prééminence des facteurs économiques et l’intérêt pour la dimension spatiale Les villes occupent une place et un rôle essentiels dans l’histoire pour Fernand Braudel. Cette attention particulière au fait urbain apparaît logique en raison de l’accent mis par l’historien sur les dynamiques économiques et leur dimension spatiale. Cet intérêt, manifeste dès son ouvrage sur la Méditerranée saisie sur un long XVIe siècle, aboutit à une réflexion majeure dans sa trilogie de 1979 sur Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle. Les villes sont pour Braudel comme des « transformateurs électriques » (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle Tome 1 Les 14 structures du quotidien) du fait de leurs capacités spécifiques à l’accélération des échanges, en particulier économiques, et à produire une intense circulation des idées. L’historien insiste sur des lieux spécifiques (en particulier le marché comme élément essentiel à la ville) et des acteurs sociaux privilégiés (marchands, négociants, financiers). Dans le premier tome de sa trilogie, il présente les spécificités de la ville européenne, occidentale en termes de modernité politique et économique (dans le prolongement notamment des réflexions de Max Weber) ; il met en avant l’articulation intrinsèque entre la ville et le capitalisme financier, articulation qu’il estime spécifique à l’Occident. Il met aussi en exergue le rôle essentiel des capitales politiques à l’époque moderne dans la sphère politique (fabrication des Etats), la sphère économique (fabrication des marchés nationaux), la sphère culturelle (lieux d’innovation). Dans le troisième tome de sa trilogie, il étudie le rôle majeur des villes dominantes au sein des « économies-mondes » (Civilisation matérielle, économie et capitalisme tome 3 Le Temps du Monde). Braudel définit une « économie-monde » comme « un morceau de la planète économiquement autonome, capable de se suffire à lui-même pour l’essentiel et auquel ses liaisons et ses échanges internes confèrent une certaine unité organique ». Dans les sociétés anciennes, plusieurs « économies-mondes « peuvent par conséquent coexister au sein de l’économie mondiale. Trois grandes conditions permettent d’identifier une « économie- monde » : des limites nettes et à évolution lente ; l’existence d’une ville dominante ; l’organisation spatiale en trois espaces concentriques. La seconde condition attribue une place centrale au fait urbain. En premier lieu, « une ville capitaliste dominante » ou « ville-monde » peut posséder ou non « l’arsenal complet de la puissance économique ». Par exemple, pour le XVIe siècle, Anvers détient le capitalisme marchand sans avoir une flotte ; la prospérité de Gênes repose sur sa seule primauté bancaire. En second lieu, la hiérarchie urbaine connaît des modifications dans le temps : Braudel fait la démonstration du rôle essentiel de Venise puis d’Anvers puis de Gênes au cours du XVIe siècle ainsi que de la prééminence d’Amsterdam au XVIIe siècle. L’effacement ou la promotion de la ville dominante est en lien logique avec le déplacement du centre du gravité économique de l’Europe de la Méditerranée vers Atlantique, de l’Italie du Nord à l’Europe du Nord-Ouest. La dernière ville marque une rupture majeure : « Avec Amsterdam se clôt l’ère des villes à structure et vocation impérialistes. (…) Les villes seules, ou presque seules, insuffisamment appuyées par l’économie proche qui les renforce, ne feront bientôt plus le poids. Les Etats territoriaux prendront la relève. » 15 3) Une œuvre majeure : Genèse d’une ville moderne : Caen au XVIIIe siècle (1975) de Jean-Claude Perrot Ce travail innovant, achevé en 1973 et publié en 1975, a exercé une forte influence sur l’histoire urbaine en France, notamment de la période moderne. Il s’agit d’une thèse d’Etat entamée sous la direction d’Ernest Labrousse et achevée sous la tutelle de Pierre Vilar. L’innovation repose tout d’abord sur deux choix essentiels de méthode : la saisie prioritaire de l’interdépendance des phénomènes sociaux, démographiques, économiques, urbanistiques et culturels (avec le postulat que « tout le sens est dans le rapport entre les différents niveaux ») ; l’utilisation polysémique de la documentation reposant sur l’usage répétitif et croisé des mêmes sources en lien avec le premier choix méthodologique. Jean-Claude Perrot affirme et vise ainsi à la fois l’autonomie de l’urbain et sa forte complexité. Son ouvrage s’avère aussi innovant par la présentation de deux caractéristiques fondamentales de la modernité urbaine (moderne au sens d’appartenant au temps de celui s’exprimant, donc ici l’historien du XXe siècle) : le passage d’une économie stationnaire à une économie de mouvement, avec l’identification d’une chronologie spécifique de l’urbain, marquée par l’apparition vers 1730- 1740 de la plupart des rôles de la ville contemporaine ; l’invention du fonctionnalisme. L’invention du fonctionnalisme est démontrée par la mise en évidence des changements majeurs dans les représentations et les pratiques des citadins à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ces changements correspondent à une série de principes liés définissant le fonctionnalisme : décomposition nécessaire du système socio-économique en fonctions distinctes ; existence de relations et de co-variations entre les fonctions (par exemple entre niveau de fortune et mortalité ou entre maladies et activités professionnelles) ; relation entre la fonction et l’espace ou elle s’exerce. Les analyses de Jean-Claude Perrot montrent ainsi l’effacement progressif des images anciennes de la ville de Caen et l’émergence de représentations nouvelles relevant du fonctionnalisme. Le recul des conceptions anciennes apparaît manifeste durant la première moitié du XVIIIe siècle. Ainsi, dans un texte important pour la cité normande intitulé Origines de la ville de Caen de 1702, l’auteur, Huet, qui est évêque d’Avranches, critique les origines mythiques de la cité et propose une multiplication des points de vue. Les images fonctionnelles se mettent en place durant la seconde moitié du XVIIIe siècle : évaluation de la population, avec un premier recensement sans but fiscal ou administratif en 1775 ; rôle économique de ville (présent par exemple dans les rapports des inspecteurs des manufactures). La diffusion des nouvelles thématiques dans l’opinion publique est perceptible dans les annales poétiques scolaires. Ces nouvelles représentations de la ville mettant en 16 exergue l’ouverture et les circulations apparaissent portées par trois groupes sociaux- professionnels : les négociants ; les administrateurs royaux (autour de l’intendant) ; les ingénieurs des ponts et chaussées et les médecins. Elles seront traduites dans les pratiques par les politiques d’aménagement et d’embellissement urbain. II) Les définitions historiques de la ville et leurs évolutions Le poids des continuités médiévales dans les villes des XVIIe et XVIIIe siècles s’avère fondamental. Il marque en premier lieu les définitions de la ville. Il apparaît aussi particulièrement dans la morphologie et le paysage urbains : le parcellaire, le système viaire, le découpage territorial des paroisses, les églises paroissiales et les couvents édifiés au Moyen Age qui contribuent à modeler les rythmes urbains et le paysage sonore par leurs cloches (« la ville sonnante » de Pierre Goubert). Toutefois, l’émergence et la mise en place à la fin de période moderne d’une « nouvelle image de la ville » (Bernard Lepetit), perceptible dans la présentation des villes dans les tableaux géographiques des dictionnaires ou d’autres types d’ouvrages ou dans la cartographie urbaine et au fondement de notre conception actuelle du fait urbain, marque un changement dans les représentations à l’échelle de l’Europe occidentale. 1) Le paysage urbain au début du XVIIe siècle Il se caractérise par la permanence dans les plans et l’aspect d’un urbanisme hérité de la période médiévale : agrégat de maisons, surtout en bois ; rues souvent étroites ; rareté des places et circulation difficile ; maintien de caractères ruraux comme des parcelles cultivées ou des espaces non bâtis (nombreux pour les couvents). La fréquence des maisons à colombage (ossature de bois visible et remplie de torchis, de briques ou de blocage de cailloux remplis d’un enduit de plâtre) est ainsi notable. La pierre (ou la brique) est surtout réservée aux édifices publics civils et religieux (dont les hôtels de ville, monuments symboles de la puissance urbaine). Toutefois, la progression de la pierre sur le bois, à des rythmes très variables selon les villes, caractérise la période. La progression est effective à Paris à partir du règne de Henri IV ; en revanche, d’autres villes du nord du royaume demeurent toujours marquées par le bois (c’est toujours le cas à Rouen au XVIIIe siècle tandis que à Cambrai le remplacement par la pierre est observable à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle). Une modalité essentielle dans l’extension du bâti demeure l’accroissement en hauteur de la maison citadine, attesté par exemple pour les maisons du quartier des Halles à Paris entre la seconde 17 moitié du XVIe siècle et la seconde moitié du XVIIe siècle (avec une rareté toutefois des maisons supérieures à quatre étages). Plusieurs contraintes récurrentes d’ordre urbanistique et juridique entravent la réalisation d’aménagements d’ampleur. Les murailles, indicateur d’urbanité, constituent aussi un obstacle à l’expansion citadine (à l’exception notable de l’Angleterre). La fréquente appropriation seigneuriale du sol représente une seconde limite. En France, la nécessité de paiement de lods et ventes lors des mutations de propriétaires constitue un frein au marché immobilier. La répartition du sol urbain entre différentes censives à Paris montre que les trois plus importantes en superficie sont celle du roi, de l’archevêque et de l’abbaye de Saint- Germain des Prés. La troisième limite correspond à la stabilité du parcellaire. 2) La prégnance durable de la définition culturaliste : la ville close La représentation de la ville comme ville close et immobile constitue une conception héritée et durable parmi les élites sociales jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Les contemporains mettent en avant plusieurs marqueurs essentiels de la ville : la muraille, l’ancienneté de sa fondation, la détention de privilèges. Les tableaux de la France dressés par les géographes aux XVIIe et XVIIIe siècles forment un genre révélateur des représentations lettrées de la ville. Voici la description de Saint-Etienne dans le tableau géographique de la France de Piganiol de la Force en 1718 qui rassemble les marqueurs essentiels (à comparer à celle postérieure de la même ville présentée ci-dessous dans le 3) : « Elle n’était qu’un bourg lorsque les habitants obtinrent du roi Charles VII la permission de se clore de murailles ; et dans la suite les manufactures et le commerce y ont attiré tant de monde qu’on y compte aujourd’hui plus de 18 000 âmes » (citée et analysée par Bernard Lepetit, p. 61). L’attribution de la muraille urbaine constitue bien un événement fondateur et constitutif. Elle s’articule aussi fortement avec l’origine politique de la ville, liée à la volonté du pouvoir, et à l’attribution du privilège fondateur. La muraille demeure porteuse d’une image de la ville valorisant « l’enracinement temporel » et « l’immobilité spatiale » (Bernard Lepetit). C’est le marqueur dans l’espace d’une limite majeure entre monde urbain et monde rural. La hiérarchisation des villes selon superficie de l’espace à l’intérieur de l’enceinte délimitée par le mur demeure prégnante à l’époque moderne. Toutefois, la présence de la muraille à elle seule n’est pas un critère suffisant pour définir la ville car l’existence de bourgs, avec une faible population, mais détenteurs de murs d’enceinte brouillent la frontière entre l’urbain et le rural (par exemple, en Provence, les nombreux « bourgs urbanisés » selon l’expression de Maurice Agulhon). 18 La mise en avant de l’ancienneté de la ville constitue un second marqueur fondamental. La fondation de la cité et sa délimitation s’articulent fréquemment au recours à des héros fondateurs mythiques (modèle romain) et à des datations valorisant sa plus haute antiquité dans les histoires de villes. La fondation de Nîmes a ainsi lieu 590 avant Rome et celle de Nantes en l’an du monde 2715. Troisième marqueur, l’attention ancienne dans la conception culturaliste aux fonctions administratives, fonctions spécifiques permettant la distinction avec le monde rural, apparaît comme une caractéristique partagée par de nombreux pays européens. L’importance de l’administration religieuse pour les pays catholiques (la ville comme siège épiscopal) arrive en premier lieu, notamment dans des pays comme France et en Italie. Le niveau d’équipement civil (administrations royales ou princières) arrive en second lieu. Les fonctions administratives sont des fonctions valorisantes car elles confèrent une prépondérance au sein d’une hiérarchie urbaine conçue avant tout comme une hiérarchie administrative. Les classifications émanant des pouvoirs politiques, évidemment variables selon les pays, configurent ainsi les représentations de la ville. En Angleterre, le vocabulaire apparait révélateur d’une hiérarchie administrative des localités qui s’est mise en place au XVIe siècle. La distinction essentielle sépare les cities, villes avec un statut au sein de la hiérarchie et détentrices d’une charte (obtention de la personnalité morale – incorporation – par de nombreuses villes aux XIVe et XVe siècles), des simples towns sans acception juridique. Le terme de borough désigne la localité avec la capacité d’élire au parlement et détentrice d’une autonomie politique relative. Les promotions hiérarchiques sont possibles : lors de la création de nouveaux évêchés par Henry VIII, l’attribution du titre de city aux boroughs devenus sièges épiscopaux est effectuée. La formalisation des différences statutaires entre city, borough et town est réalisée par le grand juriste Blackstone au XVIIIe siècle. Un nombre significatif de centres urbains, notamment ceux favorisés par la première industrialisation, sont alors dépourvus du degré d’autonomie des villes à charte (Manchester par exemple). En Italie, les classifications administratives apparaissent durables de la fin du Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle. Le critère majeur pour la définition comme ville (città) est d’être siège d’évêché. C’est un principe à forte valeur politique puisque les sièges diocésains étaient situés en général dans les chefs lieux provinciaux de l’empire romain, point souligné par le juriste Bartolo da Sassoferrato (Bartole) : il constitue ainsi la manifestation de la condition durable et ancienne d’une prééminence juridictionnelle. Dans les classifications, plusieurs termes désignent les implantations urbaines sans autonomie juridictionnelle : terra (habitat 19 ceint de murs, avec une nette physionomie urbaine) ; castello (centre mineur fortifié) ; enfin, pour le monde des campagnes, villa (implantation rurale sans mur d’enceinte). Le terme de cittadino désignent ceux pouvant se dire membres de la communauté politique de la città, c’est-à-dire ceux appartenant à la noblesse occupant des charges urbaines. Il définit un statut social avec des droits et des privilèges afférents (notamment un régime fiscal privilégié). Le titre de città joue donc un rôle essentiel dans la construction de l’identité des élites municipales. 3) La mise en place d’une nouvelle représentation fonctionnaliste de la ville durant la seconde moitié du XVIIIe siècle : la ville ouverte Au XVIIIe siècle, de nets changements marquent la mise en place d’une conception dynamique et fonctionnaliste de la ville. Elles correspondent tout d’abord à « la déroute des deux mythes fondateurs » (Bernard Lepetit) que sont la muraille urbaine et l’ancienneté de la fondation de la ville. Elles correspondent ensuite à deux évolutions majeures : l’intérêt pour les fonctions distinctives de la ville ; la prise en compte des variations et des dynamiques des activités, du nombre des hommes et leur saisie par la mesure (donc l’historicisation des activités et surtout de la population). Voici la description de Saint-Etienne - à comparer à celle antérieure - dans le tableau géographique de la France de Robert de Hesseln en 1771 : Saint- Etienne « doit au commerce son prodigieux accroissement ; car ce n’était qu’un bourg sous le roi Charles VII. Son étendue surpasse aujourd’hui dix fois la première enceinte dont les habitants se fermèrent en 1444, et il n’en reste presque plus de vestiges » (citée et analysée par Bernard Lepetit, p. 61). Elle apparaît révélatrice des évolutions survenues dans les représentations en cinquante ans : prise en compte du changement, notation symbolique de l’effacement matériel de la muraille, rôle moteur de l’économie (il s’agit ici du cas rare pour la France d’une ville avec une très forte croissance démographique du fait de la première industrialisation). En résonance avec ces représentations, les attitudes des populations en France vis à vis de la muraille marquent leur détachement relatif du fait de la baisse de son rôle défensif et de sa perception grandissante comme entrave aux circulations. La dégradation des murailles médiévales est effective faute d’entretien régulier ; à partir du règne de Louis XIV, la démilitarisation de l’intérieur au profit du renforcement des frontières intervient (la démolition massive a lieu seulement durant le dernier tiers du XVIIIe siècle). Toutefois, elle demeure une limite juridique (exemptions fiscales notamment) et économique toujours vivace : pour les municipalités, elles permettent de contrôler les entrées et les sorties de 20 marchandises sur lesquelles sont assis les octrois mais aussi de fermer les portes à l’annonce d’une épidémie. L’intérêt pour les fonctions distinctives de la ville participe du fonctionnalisme (mis en évidence dans le cas caennais par Jean-Claude Perrot). La découverte des fonctions urbaines au XVIIIe siècle engendre un sens nouveau de la fonction administrative et marque un net déplacement en regard de la conception culturaliste antérieure. L’appréhension nouvelle de la fonction administrative en termes de puissance et de richesse pour la cité est notable : par exemple, pour les villes sièges de juridictions, les justiciables sont aussi envisagés comme des consommateurs pour le logement et la nourriture. La mise en place d’une conception fonctionnaliste correspond ainsi à l’inclusion de l’économie dans la formation du fait urbain. Des économistes du XVIIIe siècle, comme Cantillon, accordent un rôle essentiel aux fonctions urbaines conçues en termes économiques ; la diversité des activités de services en milieu citadin apparait alors comme un critère discriminant essentiel entre ville et campagne. Le fonctionnalisme implique aussi deux autres éléments : une conception plus complexe de l’espace avec l’idée de liens de causalité entre les différents domaines de l’activité humaine ; des liens saisissables et mesurables entre fonction, activité, richesse et peuplement. Un célèbre récit de voyage, celui Arthur Young en France, est un révélateur pertinent de cette nouvelle image de la ville. L’agronome anglais visite le royaume des Bourbons pour étudier l’agriculture à la veille de la Révolution, de 1787 à 1789. Deux caractéristiques apparaissent notables et récurrentes dans sa description des localités urbaines : la perception de la ville comme catégorie de l’économie (lieu de production, lieu d’échange et lieu d’accumulation de la rente) ; sa sensibilité positive aux espaces de circulation au sein de l’urbanisme public (rues, places, promenades) et, en réaction, sa déploration des marqueurs d’un urbanisme plus ancien (étroitesse, entassement). Pour Arthur Young, la fonction majeure de la ville est donc d’être un accélérateur de communication. 21 cours 2 : L’urbanisation de l’Europe moderne (XVIIe-XVIIIe siècles) : rythmes, espaces et logiques La notion d’urbanisation a un contenu polysémique. Jan de Vries la décline selon trois acceptions : dans sa dimension démographique, elle correspond à la croissance de la population urbaine par rapport à la population globale ; dans sa dimension culturelle, elle se réfère à l’adoption par les populations de comportements de type urbain ; dans sa dimension structurelle, elle traduit la concentration des activités dans les espaces urbains. Appréhendée ici dans ses seuls aspects démographiques, l’urbanisation recouvre des phénomènes complexes et notables concernant la répartition citadine des populations européennes. Deux évolutions majeures, en filigrane pour la seconde dans ce cours, sont particulièrement importantes : le déplacement des dynamiques de l’urbanisation à partir du XVIIe siècle vers l’Europe occidentale, les Pays-Bas puis l’Angleterre et les îles britanniques, au détriment de l’Europe méditerranéenne ; la croissance variable des villes selon leur position dans la hiérarchie urbaine, avec en particulier la concentration des dynamiques urbaines dans les capitales politiques et les villes portuaires. La première partie scrute les rythmes de l’urbanisation, progressive, de l’Europe moderne, durant deux siècles en fonction des espaces nationaux. La seconde partie présente les principales logiques de la démographie urbaine en lien avec l’urbanisation et le explications d’ordre économique et politique qui rendent compte de la croissance urbaine. I) Les rythmes et les espaces de l’urbanisation en Europe (XVIIe-XVIIIe siècles) L’estimation de l’urbanisation à l’échelle de l’Europe s’avère délicate durant une période largement pré-statistique. Plusieurs auteurs l’ont tenté comme Jan de Vries et Paul Bairoch dont les tentatives apparaissent parmi les plus abouties. Les chiffres demeurent des ordres de grandeur, avec une fiabilité plus forte pour le XVIIIe siècle. Les seuils statistiques retenus pour définir la ville de 5 000 habitants par Paul Bairoch et de 10 000 par Jan de de Vries (tableau ci-dessous) sont élevés et visent avant tout à limiter les marges d’erreur. Toutefois, ils ont pour inconvénient de minimiser l’urbanisation effective car de nombreuses 22 petites villes se situent entre 2 000 et 5 000 habitants. Dans d’autres estimations, Paul Bairoch utilise aussi le seuil des 2 000 habitants pour procéder à l’évaluation du « nombre réel probable » de citadins : il arrive ainsi à environ 30 millions en 1800. Les taux d’urbanisation à l’échelle des pays sont aussi des indicateurs à prendre avec prudence. En effet, une relative stabilité sur le temps long peut dissimuler des évolutions notables à l’échelle régionale. Ainsi, la légère progression du taux d’urbanisation dans le cas espagnol (1500 : 18,4 % ; 1800 : 19,5 %) occulte à la fois une réorganisation des hiérarchies, au détriment des villes du Sud (déclin démographique de Séville au XVIIe siècle) et une désurbanisation nette pour des provinces, notamment en Vieille-Castille. Ce tableau livre trois constats : la proximité dans l’établissement des taux d’urbanisation en dépit d’estimations nettement différentes de la population globale (mais les différences résident dans les niveaux d’urbanisation) ; l’accroissement de la proportion de la population urbaine par rapport à la population totale attestant d’une urbanisation lente mais avérée (plus rapide au XVIe siècle et au XVIIIe siècle ; plus lente au XVIIe siècle) ; la croissance urbaine comme reflet de la croissance globale sous une forme amplifiée car la croissance du nombre de citadins apparaît plus forte en période de forte croissance. Tableau : la population et l’urbanisation en Europe, 1500-1800 selon Jan de Vries et Paul Bairoch de Vries Bairoch (1984) (1985) population année population part urbaine totale part urbaine totale en % (population en % urbaine) 75 1500 65 8,6 10,7 (8,16) 95 1600 83 9,9 11,5 (10,9) 1650 77 10,6 / / 102 1700 90 / 12,3 (12,6) 120 1750 101 11,0 12,2 (14,7) 154 1800 129 12,1 12,1 (18,6) nb : plusieurs livres de la biblio. (celui d’Olivier Zeller notamment) fournissent les indispensables cartes et tableaux en complément du cours (+ dossier d’accompagnement) 23 1) L’Europe urbaine en 1600 : une urbanisation inégale Les contrastes en termes d’urbanisation sont importants à l’échelle européenne. Deux espaces apparaissent marqués par de fortes urbanisations : l’Italie du Nord et les Pays-Bas, en particulier la Hollande, le Brabant et les Flandres. Les citadins représentent de 30 à 40 % de population et les densités de population rurale sont aussi élevées. En opposition, l’urbanisation demeure modeste pour l’Europe centrale, orientale et nordique : une « Europe urbaine périphérique » (Finn-Einar Eliassen) caractérise l’espace scandinave, mais aussi danubien, avec la rareté des grandes villes supérieures à 30 000 habitants. Toutefois, deux phénomènes sont notables dans l’Europe nordique : une croissance importante au cours du siècle précédent de villes aussi ports, notamment celles comportant en sus des fonctions gouvernementales (Copenhague, Stockholm) ; le développement des petites villes, notamment par la création de villes-marchés et de « micro-villes » en Norvège et en Suède. Deux types d’armature urbaine existent en Europe occidentale et méditerranéenne. En Italie du Nord et aux Pays-Bas, une grande diversité de villes liées entre elles structure l’espace. Les villes sont nombreuses, avec un dense semis urbain et se situent au sein d’armatures équilibrées. Celles-ci comportent des grandes villes mais sans domination par une unité urbaine ; des reclassements peuvent intervenir au sein de la hiérarchie (Amsterdam profite ainsi du net recul d’Anvers suite au sac espagnol de 1576). Ce maillage dense résulte de deux séries de conditions : l’émiettement politique des territoires, avec dix-sept provinces des Pays-Bas et une dizaine de principautés et cités-Etats en Italie du Nord et la priorité aux activités économiques et aux connexions avec les espaces lointains. Le second type concerne la France et l’Angleterre avec une armature très hiérarchisée et dominée par la capitale politique. L’armature comporte trois échelons : __ des petites agglomérations, entre 2 000 et 5 000 habitants : ce maillage de base est composée par environ 600 villes-marchés en Angleterre (market-towns) et en France par des villes pourvues de juridictions royales ordinaires qui organisent la vie économique et administrative sur un territoire de 10 à 15 km de rayon. __ des capitales provinciales : ce sont en Angleterre des villes de 10 000 à 20 000 habitants, c’est-à-dire des centres administratifs, sièges d’évêchés, de cours de justice mais aussi des cités avec des fonctions portuaires ou artisanales comme Norwich, Bristol, Exeter. En France, l’échelon est plus fourni avec des villes détentrices d’un siège épiscopal, d’une cour présidiale puis au dessus les cités parlementaires (Bordeaux, Aix, Grenoble, Toulouse, Rennes…) et les grandes places commerciales (Rouen, Lyon). 24 __ les capitales politiques en situation de macrocéphalie du fait à la fois de la disproportion de leur population et de la concentration des fonctions de commandement : la croissance nette pour Paris au cours du siècle précédent lui a permis d’atteindre 250 000 habitants ; la croissance est spectaculaire pour Londres (environ 50 000 habitants au début de la période Tudor et 152 000 habitants en 1592-1593). Sa macrocéphalie est plus marquée avec la concentration de 10 % de la population du pays à la fin du XVIe siècle tandis que Paris en concentre seulement 2,5 %. Le cas de Londres permet de préciser la concentration des fonctions de commandement. Les fonctions économiques correspondent à sa situation de ville des compagnies commerciales et des merchants adventurers, avec un port important, accessible aux navires de pleine mer par la Tamise, et de centre des affaires (fondation de la Bourse, le Royal Exchange en 1566-1570, à l’initiative de Thomas Gresham). Les fonctions politiques sont essentielles avec la réunion à Westminster de l’abbaye, lieu de couronnement du monarque ; d’un palais aussi siège du parlement ; de Whitehall avec les services de l’administration royale et de la résidence royale depuis l’installation de sa cour par Elisabeth Ire. Selon la formule de Braudel, « Westminster, c’est donc à la fois Versailles, Saint-Denis, plus, pour faire le poids, le Parlement de Paris. ». Les fonctions culturelles demeurent variées, avec en particulier les écoles de droit (quatre Inns of Court) et le théâtre élisabéthain. 2) La stagnation urbaine dominante, vers 1650-vers 1750 La stagnation urbaine concerne de nombreuses parties de l’espace européen. L’exception la plus notable en termes de croissance est l’Angleterre. En Europe du Nord et de l’Est, la croissance est largement limitée à quelques villes, en particulier les capitales (Copenhague, Stockholm, Saint-Pétersbourg créée par Pierre le Grand en 1703). Les effets durables de l’importante dépopulation engendrée par la guerre de Trente Ans persistent dans nombre de villes allemandes. Les pertes de citadins, notamment par les épidémies et les maladies transportées par la soldatesque ont ainsi engendré la réduction d’environ la moitié de la population à Augsbourg, des deux tiers entre 1620 et 1640 à Nördlingen (ville moyenne de Souabe). Le rattrapage démographique demeure lent pour la plupart de ces cités. Celles protégées par leurs remparts et/ou leurs positions diplomatiques ont toutefois été fréquemment préservées (Strasbourg, Hambourg…). Par ailleurs, certaines villes sont affectées postérieurement par les campagnes militaires de Louis XIV (sac du Palatinat). Toutefois, les villes-résidences (Residenzstädte) font exception par leur dynamisme démographique, en particulier Berlin [voir aussi cours 3]. 25 Les conséquences démographiques pénalisantes de la guerre de Trente Ans se font aussi ressentir en Europe de l’Est. Les pertes sont parfois considérables : 40 % de ses habitants en Wroclaw en Silésie ; Prague passe de 47 000 habitants à 27 000 habitants de 1610 à 1650 (avec l’abandon concomitant de la moitié des habitations). Le rattrapage intervient progressivement pour Prague : 40 000 habitants en 1698, 59 000 habitants en 1750. En revanche, l’affaiblissement des villes de Bohême se prolonge. La stagnation, voire le déclin, affecte une part importante des villes méditerranéennes. En Italie, elle affecte la majeure partie des centres urbains majeurs (Milan, Gênes, Florence, Venise), à l’exception de Naples (en dépit de la peste de 1656). Dans la péninsule ibérique, la désurbanisation de la Castille, nette entre 1570 et 1650 et durable par la suite (à l’exception des trois villes de Madrid, Séville et Murcie), apparaît comme un phénomène frappant pour les contemporains. Il correspond aussi au déplacement du centre de gravité démographique espagnol des plateaux centraux vers les provinces périphériques. Par ailleurs, le phénomène du déclin de grandes villes du XVIe siècle dissimule aussi quelque peu la promotion au statut politique et économique urbain de bourgs et de gros villages par la politique monarchique. En revanche, en Catalogne, le renouveau de Barcelone est notable : il repose sur l’industrie textile des petites villes et des campagnes à la fin du XVIIe siècle puis, au siècle suivant, sur le commerce colonial et la production des indiennes (calicots). L’arrêt de l’âge d’or des villes des Provinces-Unies survient dès la fin du XVIIe siècle. Depuis la décennie 1660, l’interconnexion des quatre réseaux de canaux de barques de traits pour les passagers assure leur mise en relation par la régularité de liaisons quotidiennes. Une légère baisse du taux d’urbanisation caractérise la période (42 % en 1672 à 39 % en 1750). Elle s’explique par des raisons économiques avec la concurrence de produits étrangers manufacturés ; des raisons politiques avec les guerres comme interruptions du commerce et facteurs de lourdes taxes ; le déplacement des capitaux vers des investissements fonciers et financiers. Ainsi, à Leyde, la chute de la production textile de 40 % et la baisse de la population de 60 000 en 1670 à 37 000 en 1749 sont nets. Amsterdam, qui a été bénéficiaire d’un afflux de réfugiés des Pays-Bas espagnols à la fin du XVIe siècle (notamment venant de Gand et d’Anvers), fait exception par son dynamisme. La France connaît une croissance urbaine modérée, correspondant à des situations contrastées. En prenant comme critère démographique pour la définition de la ville le seuil de 2 000 habitants agglomérés, la population urbaine passe de 2,7 millions d’habitants en 1600 (soit 14 % de la population française) à 3,5 millions d’habitants en 1650 (soit 17,3 %) puis à 3,9 millions d’habitants en 1700 (soit 17,4 %). La croissance concerne en particulier les ports 26 de l’Atlantique et Paris tandis que la stagnation ou le déclin affecte des capitales provinciales et des cités de taille moyenne comme Orléans, Tours, Dijon, Reims ou Angers ainsi que des petites villes. La stabilité caractérise sa trame urbaine avec seulement une demi-douzaine de créations au cours du XVIIe siècle : Versailles ; Richelieu en 1631 en Poitou qui constitue un échec sur le plan démographique ; surtout des ports dans le cadre de la politique mercantiliste de Colbert (Lorient en 1666, Rochefort en 1669, Sète en 1670 et Brest en 1681). Rochefort et Brest, arsenaux pour la marine de guerre du Ponant, apparaissent comme des créations urbaines réussies avec environ 15 000 habitants pour chacune à la fin du règne de Louis XIV. L’Angleterre représente l’exception la plus notable par sa croissance forte et généralisée à l’ensemble de la hiérarchie urbaine. Elle concentre 57 % de croissance urbaine nette de l’Europe durant la première moitié du XVIIIe siècle selon E. A. Wrigley. Ses fondements reposent sur l’augmentation de la productivité agricole, l’amélioration des revenus, la révolution commerciale, la proto-industrialisation, le développement des réseaux des transports. Au sommet de l’armature, Londres poursuit sa croissance avec environ 750 000 habitants en 1750 [voir cours 3]. La croissance concerne aussi la grande majorité des villes provinciales, capitales régionales comme Norwich, Bristol (avec un doublement ou un triplement de leur population) ou villes de taille moyenne dans les comtés comme Gloucester, Maidstone. Elle bénéficie aussi à une majorité des petites villes. Un phénomène notable consiste en l’apparition de villes spécialisées de type inédit au début du XVIIIe siècle : villes portuaires de l’Atlantique (Liverpool), villes industrielles (Manchester, Birmingham, Liverpool) et villes de loisirs avec l’apparition des premières villes balnéaires (Bath). 3) La croissance urbaine de la seconde moitié du XVIIIe siècle L’importance de la croissance urbaine au sein de l’Europe occidentale apparaît comme un phénomène majeur. Plusieurs raisons cumulées en rendent compte : le rôle de la première industrialisation ; l’expansion du commerce colonial avec les Amériques et l’Asie ; le développement des secteurs du commerce de détail (en lien avec la révolution commerciale) et des services. Ces raisons jouent à plein en Angleterre dont la croissance demeure forte et concerne une grande partie des villes : Londres ; des capitales provinciales anciennes comme Norwich ou Bristol ; les villes industrielles (Manchester, Birmingham, Liverpool…) ; les villes de loisirs avec l’apparition de nouvelles villes balnéaires (Weymouth, Brigthon…). Outre la poursuite de l’urbanisation anglaise, la croissance urbaine apparait notable pour les Pays-Bas autrichiens, la France et l’Allemagne durant cette période. 27 La forte croissance urbaine dans les Pays-Bas autrichiens repose avant tout sur des raisons économiques. Elle est liée au développement d’industries textiles bénéficiant de conditions économiques et politiques favorables, avec des bas salaires et le soutien de l’administration autrichienne (Bruxelles, Anvers, Gand). Bruxelles, qui compte 75 000 habitants en 1784, bénéficie aussi de fonctions politiques accrues comme centre gouvernemental, ce que traduit la création d’un nouveau quartier officiel. Les petites villes du Brabant connaissent aussi une nette croissance : aires urbaines et industrielles de Liège et Verviers (avec l’apport technologique anglais, notamment de William Cockerill dans le textile et l’acier) et Mons-Charleroi (charbon). La France et l’Allemagne connaissent une croissance urbaine significative. La nette croissance urbaine en France se concentre sur la période 1740 à 1775 (Bernard Lepetit). Elle concerne l’ensemble de la hiérarchie : Paris ; les capitales provinciales avec une croissance démographique entre 10 et 20 % pour Toulouse, Lyon, Rouen ; la poursuite de l’expansion des villes portuaires de l’Atlantique. La croissance notable des villes allemandes concerne avant tout les villes résidentielles et sous autorité princière (Berlin pour la Prusse, Dresde pour les électeurs de la Saxe par exemple). Elle traduit aussi le rattrapage de cités pénalisées par la guerre de Trente Ans. Elle bénéficie enfin aux villes portuaires comme Hambourg ou Brême. Des espaces demeurent en dehors de la croissance urbaine de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les Pays-Bas forment la principale exception avec une majorité des villes de Hollande et de Zélande en stagnation ou en déclin. Celles-ci sont notamment pénalisées par la concurrence des industries rurales et des produits manufacturés étrangers. La Haye, centre du gouvernement, et les villes portuaires de l’Atlantique d’Amsterdam et Rotterdam constituent des cas à part au sein de l’espace néerlandais par leur dynamisme. Les pays méditerranéens (Italie, Portugal et Espagne) connaissent un recul de leur taux d’urbanisation selon Paul Bairoch. Toutefois, il estime que dans leur cas la notion de désurbanisation est non pertinente car ces pays bénéficient d’une augmentation en valeur absolue du nombre de leurs citadins. Les évolutions demeurent fortement différenciées selon les villes. En Italie, la croissance concerne des cités comme Naples, Florence avec le renouveau de l’industrie de la soie, Vicenze avec l’essor de l’industrie de la céramique. En Espagne, elle bénéficie à Barcelone et aux villes catalanes ; en revanche, la stagnation affecte des cités comme Tolède ou Ségovie. 4) L’Europe urbaine en 1800 La distinction de deux espaces (Paul Bairoch) constitue la première caractéristique de l’Europe urbaine en 1800. Le déplacement de son centre de gravité vers le Nord (avec 28 toutefois la résistance de l’Europe méditerranéenne urbaine, notamment de l’Italie du Nord) permet de distinguer, de part et d’autre d’un méridien correspondant au Rhin, deux espaces. L’Europe à l’Ouest de ce méridien se caractérise par la densité du semis urbain et la présence de villes importantes. Ce pôle est formé du sud de l’Angleterre, des Provinces-Unies, de la future Belgique et de quelques villes allemandes. L’Europe à l’Est comprend un tissu urbain plus lâche et des cités de plus petite taille. Toutefois, la progression de la ville au cours du XVIIIe siècle est parfois remarquable. C’est le cas de la réurbanisation en Hongrie après le départ des Ottomans (traité de Karlowitz) : elle correspond notamment à la dotation d’institutions municipales en faveur des agro-villes importantes créées pendant l’expansion ottomane et pouvant dépasser les 20 000 habitants. Par ailleurs, les espaces italien et allemand demeurent marqués par un polycentrisme urbain durable. La seconde caractéristique de l’Europe urbaine en 1800 correspond à la promotion et à la multiplication des villes importantes. A cette date, vingt villes sont supérieures à 100 000 habitants (1600 : dix villes ; 1500 : 4 villes) et elles sont les lieux de résidence de 20 % des citadins européens. Londres est presque une ville millionnaire ce qui constitue la première fois en Europe depuis le déclin de la Rome antique. La troisième caractéristique de l’Europe urbaine en 1800 est d’abriter deux types de villes ayant eu une forte croissance durant les trois siècles de la période moderne. Ce sont les villes portuaires de la façade atlantique (doublement de la population pour Nantes et Bordeaux entre le règne de Louis XIV et celui de Louis XVI) et les capitales politiques. II) Les logiques démographiques et les modèles explicatifs de l’urbanisation à la période moderne La première partie a livré des explications ponctuelles (politiques, économiques) de la promotion ou de la régression de telle ou telle ville que les lectures d’ensemble de l’urbanisation de la période moderne envisagées ici permettent de replacer dans des cadres globaux. Les apports des travaux de la démographie historique, notamment sur la France (Pierre Goubert sur Beauvais, Jean-Pierre Poussou sur Bordeaux, Maurice Garden sur Lyon, Jean-Pierre Bardet sur Rouen) demeurent ici importants. 1) Les logiques démographiques : un solde naturel déficitaire de manière chronique Un déficit naturel chronique affecte les villes de la période moderne. Les sources comportent parfois le risque de sous-estimation de la mortalité (avec la mise en nourrice) ou 29 de sous-enregistrement ; elles entraînent aussi un risque de surestimation de la natalité (possible double compte pour les enfants abandonnés). Deux raisons expliquent ce déficit naturel : la surmortalité urbaine avec l’image de la « ville-tombeau ; la natalité réduite avec des taux inférieurs aux campagnes environnantes. Il est particulièrement marqué dans les grandes villes (avec de possibles exceptions comme sans doute Varsovie au XVIIIe siècle) alors que les bilans naturels apparaissent plus équilibrés, voire positifs pour les petites villes. La surmortalité urbaine correspond avant tout à une très forte mortalité infantile (durant la première année) et à une forte mortalité juvénile (entre un et quinze ans). La première oscille autour de 300 pour mille et son recul, à l’exception du cas de Genève (Alfred Perrenoud), apparait faible au XVIIIe siècle (voire inexistant dans le cas des villes allemandes). La pratique sociale typiquement urbaine de la mise en nourrice se révèle être une pratique très mortifère : environ 5 500 enfants sont morts en nourrice à Bordeaux entre 1760 et 1789 (dont 4 500 enfants trouvés). Elle prend trois formes différentes : pour les enfants des élites ; ceux des populations laborieuses du fait du travail féminin ; les enfants abandonnés et recueillis par les hôpitaux. Dans toute une partie de l’Europe comme le sud de l’Allemagne, la mise en nourrice se limite à la pratique élitaire. Les deux dernières pratiques sont importantes pour les villes françaises ; l’envoi en nourrice a lieu dans un espace nourricier spécifique (le Morvan pour Paris ou la Savoie pour Genève). La troisième forme est la plus meurtrière (taux de mortalité de 90 % pour Rouen au XVIIIe siècle, de 66 % pour Lyon en 1771-1773). Dans le contexte de la seconde moitié du XVIIIe siècle, une forte augmentation du nombre d’enfants abandonnés affecte les villes françaises ; plusieurs facteurs l’expliquent : accroissement des migrations, paupérisation sociale, augmentation du nombre de naissances illégitimes. La surmortalité urbaine résulte aussi de l’importance de la mortalité générale, notamment en raison de la sensibilité plus forte des villes aux crises démographiques du fait de leurs densités de population et de l’entassement citadin. Ce second facteur apparaît comme un révélateur de la coïncidence entre la géographie de mortalité et la géographie sociale : les taux de mortalité les plus élevés lors des épidémies se situent dans les quartiers les plus pauvres qui cumulent promiscuité et insalubrité. Diverses pathologies infectieuses apparaissent virulentes en milieu urbain, en particulier les affections de type pulmonaire et typhoïde. La pollution des eaux du fait d’activités artisanales polluantes (tanneries, activités textiles…) et de la présence des animaux les favorisent. Le paludisme peut aussi toucher les quartiers pauvres périphériques à proximité de marais (les paluds de Bordeaux par exemple). Le typhus est souvent transmis par les soldats dans les villes de casernes et d’arsenaux. Les 30 crises démographiques les plus fortes sont celles articulant crises de subsistances, virulence épidémique et effets des guerres. La peste demeure présente dans les villes d’Europe occidentale jusqu’au début du XVIIIe siècle. La peste atlantique de la fin du XVIe siècle a une portée importante en Espagne notamment ; la peste de Londres en 1665 touche lourdement la cité. Ses épidémies sont particulièrement redoutées du fait d’un très fort taux de létalité d’environ 75 % ; l’ampleur de la ponction sur la population est de l’ordre de 20 à 40 %. L’évaluation du nombre global de morts pour la France sur un long XVIIe siècle se situe entre 2 millions 200 habitants et 3 millions 400 habitants. Ainsi, la peste de 1628-1632, originaire d’Europe du Nord, qui est la plus virulente du siècle et affecte tout le pays, engendre la perte de presque la moitié de la population à Lyon. La dernière peste en Europe occidentale a lieu en Provence en 1720-1721. Elle entraîne la perte de 45 % de la population dans les villes principales de la province (estimation à 120 000 morts pour toute la région dont 40 000 à Marseille). Le cantonnement par une politique de cordon sanitaire est mis en place par l’Etat royal en collaboration avec les autorités municipales et joue un rôle essentiel dans l’absence de propagation de l’épidémie aux provinces voisines. Diverses raisons ont été avancées pour expliquer la disparition de la peste en Europe : une mutation des couches virales ; la rupture de la chaîne de contamination du rat à l’homme via la puce ; l’amélioration des conditions matérielles de vie ; l’accroissement de l’efficacité des politiques de quarantaine. La natalité demeure réduite dans les villes européennes. Elle se situe entre 35 à 40 pour mille au XVIIe siècle puis se rapproche de 30 pour mille au siècle suivant. Le taux est en net recul au cours du XVIIIe siècle : ainsi à Mayence, avec un passage de 37 pour mille au début de la décennie 1740 à 31,9 pour mille à la fin des années 1780. La spécificité d’un célibat notable en milieu urbain en rend compte pour une large part, avec des taux de nuptialité plus faibles qu’à la campagne. Il résulte surtout de l’immigration importante comprenant des hommes jeunes n’ayant pas encore réuni les conditions matérielles et financières de leur installation et du célibat imposé touchant la domesticité masculine et féminine (le poids du célibat ecclésiastique dans les villes catholiques demeure secondaire). La réduction des descendances urbaines durant la période étudiée constitue un fait démographique majeur. Elle s’inscrit dans une tendance globale correspondant à un mécanisme d’autorégulation des populations : la mise en place du modèle du mariage tardif en Europe occidentale, entamée durant la seconde moitié du XVIe siècle et achevée durant le XVIIe siècle. L’élévation de l’âge moyen au premier mariage constitue une phénomène 31 commun aux mondes ruraux et urbains : il s’élève en France au XVIIIe siècle à 27 ans pour les filles et à 29 ans pour les garçons. Selon les termes de Pierre Chaunu, elle représente « l’arme contraceptive de l’Europe classique ». La mise en place d’une contraception d’arrêt a été constatée et étudiée dans les villes françaises. Le cas a notamment été analysé pour Rouen avec les passage d’une descendance moyenne par femme de 7,37 pour 1640-1649 à 4,54 pour 1760-1789. Des groupes sociaux sont en position de précurseurs (les notables comme « pionniers » selon Jean-Pierre Bardet) puis, selon un processus d’imitation sociale descendante, ils sont rejoints par d’autres groupes sociaux en position de « suiveurs » (comme les boutiquiers). En raison de la difficulté de reconstitution des familles urbaines , la précocité de la réduction des descendances a surtout été prouvée dans les grandes villes françaises (Rouen, noblesse parlementaire à Bordeaux durant la seconde moitié du XVIIIe siècle) et à Genève. 2) Les logiques démographiques : la variable essentielle des migrations Le rôle de l’immigration urbaine pour pallier le déficit naturel chronique est déterminant. Plusieurs sources permettent de l’appréhender : les actes de mariages dans les registres paroissiaux ; les contrats de mariage les contrats d’apprentissage dans les sources notariées. Des données chiffrées à l’échelle nationale livrent une estimation pour les villes anglaises entre 1776 et 1811 : 60 % de leur croissance est alors due à l’immigration. Des bilans chiffrés existent aussi à l’échelle d’une ville : à Lyon (Maurice Garden), le nombre des époux qui sont nés à l’extérieur de la ville est élevé au XVIIIe siècle (de 1728 à 1730 : 43,1 % ; 1786-1788 : 55,3 %) et le phénomène apparaît ancien et structurel (au XVIe siècle : les pourcentages oscillaient aussi entre 40 et 55 % environ). La mise en apprentissage ou le placement sont parmi les moyens les plus fréquents de l’implantation en ville. L’immigration concerne ainsi surtout des personnes jeunes et des hommes. Le rôle des solidarités à l’échelle locale (du village), de la province ou du pays favorise l’installation dans des migrations internes ou internationales (à Madrid, avec la domination des Auvergnats au sein des migrants français) ainsi que les spécialisations professionnelles (par exemple des boulangers français à Tolède au XVIIe siècle). L’attractivité urbaine détermine des aires d’influence selon les lieux d’origine des migrants. Ils proviennent des campagnes mais aussi de villes de petite taille ou de rang moyen, avec des migrations interurbaines fonctionnant par étapes. Le cas des bassins migratoires de Bordeaux au XVIIIe siècle montre nettement les cercles concentriques qui s’élargissent en fonction de l’expansion citadine (Jean-Pierre Poussou). Une première aire 32 délimite un cercle correspondant à l’actuel département de la Gironde, avec surtout des domestiques provenant du monde rural et des compagnons et artisans souvent issus de petites villes. La deuxième aire, après 1740, s’étend à l’ensemble du Sud-Ouest : elle regroupe à la fois une migration montagnarde ancienne de métiers spécialisés (maçons, scieurs de bois…) et une immigration urbaine de marchands et d’artisans attirés par l’expansion du négoce bordelais. Une troisième aire fonctionne à l’échelle internationale avec les marchands étrangers (dont l’envoi de fils de négociants dans le cadre de leur formation pratique). L’incessant renouvellement démographique au sein des villes, en particulier des plus peuplées, engendre l’existence d’une importante population flottante ou de passage. Le fonctionnement de la « ville-passoire » (Bardet) est patent à Rouen : la cité accueille 120 000 arrivants durant le XVIIIe siècle, et en redistribue de la moitié. Il a été aussi démontré pour des cités comme Lyon ou Madrid. Parmi les individus de passage, on trouve notamment des artisans : ainsi, Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier parisien et auteur d’une autobiographie, a laissé le récit de ses voyages de ville en ville de 1757 à 1764 lors de son tour de France pour parfaire sa formation (Daniel Roche). Une conséquence essentielle des mouvements migratoires dans les deux sens est « le dualisme urbain » (Paul M. Hohenberg, Lynn Hollen Lees) des villes européennes. En effet, elles comportent d’une part un noyau stable d’habitants et d’autre part un important groupe, fluctuant et composite, qui comprend des immigrés récents, des résidents temporaires (comme des étudiants) et des personnes de passages (comme des compagnons). Les caractéristiques démographiques des deux composantes semblent différentes : faible fécondité des immigrants (selon la théorie émise en 1978 par Allan Sharlin et discutée), nuptialité moindre avec un retard au mariage plus marqué (Bordeaux, Rome). 3) Modèle maritime, modèle continental et armatures urbaines préindustrielles L’explication des armatures urbaines préindustrielles par deux types de modèles est classique en histoire urbaine (Bernard Lepetit). Elle apparaît aussi stimulante car elle attire l’attention sur les moteurs essentiels de la croissance urbaine (échange économique ou administration). Le modèle maritime se fonde sur le grand commerce comme moteur du développement urbain et principe majeur de différenciation entre villes, avec une croissance assurée par le négoce à longue distance et reposant sur le faible coût du transport maritime. Il fonctionne à une échelle internationale, avec une logique de réseaux et de flux. La hiérarchie urbaine présente de forts contrastes et de forts liens de dépendance entre les villes. Les villes sont avant tout des places économiques avec pour rôle fonctionnel de relier la région au reste 33 du monde par des réseaux de commerce, financiers et d’information. Ce modèle donne une explication probante de l’expansion des métropoles fortement engagées dans ces activités économiques (Gênes, Amsterdam, Londres…). Le second type, le modèle continental, se fonde sur le pouvoir politique comme moteur du développement urbain et principe majeur de différenciation entre villes. Il s’inscrit dans la filiation de la théorie des lieux centraux (formulée par le géographe allemand Walter Christaller en 1933 à partir du cas de l’Allemagne du Sud et fortement discutée depuis par la géographie urbaine). Il fonctionne à l’échelle locale ou régionale, avec une logique de stocks. La hiérarchie urbaine fonctionne selon un mode de juxtaposition en termes d’aire d’influence urbaine, selon la logique du semi. Les villes ont pour rôle fonctionnel de fournir les différents services (administratifs, commerciaux, culturels) aux populations et de contribuer ainsi à la structuration des territoires environnants selon le niveau des services fournis. Paul M. Hohenberg et Lynn Hollen Lees utilise la distinction entre les deux modèles, formulée par la distinction entre systèmes réticulaires et systèmes des lieux centraux. Pour les deux auteurs, la simultanéité et la complémentarité dans le temps et dans les espaces des deux modèles demeurent fondamentales. Le modèle continental est important car il attire l’attention sur les liens régionaux des villes et leurs capacités à permettre le commerce des surplus ruraux et à exercer une administration territoriale. De nombreuses villes de taille importante appartiennent aux deux systèmes (Londres, Bristol…). Ainsi, Bordeaux au XVIIIe siècle est une capitale régionale selon le modèle des lieux centraux avec une domination de la hiérarchie urbaine et une structuration de la hiérarchie administrative et politique provinciale (intendance de Guyenne ; ressort des cours souveraines, en particulier du parlement). C’est aussi un maillon essentiel au sein du système des villes atlantiques, reliant Europe du Nord Ouest et Nouveau-Monde, avec un rôle important au sein du négoce et du commerce colonial selon le modèle réticulaire. Les deux modèles fonctionnent aussi à l’échelle régionale comme le montre le cas de l’urbanisation dans les provinces du nord du royaume de France à la fin du XVIIIe siècle. Il s’agit ici d’un espace de hautes densité urbaines (135 habitants au km2 dans le département du Nord en 1790) appartenant à l’Europe fortement urbanisée, selon la diagonale reliant les Pays- Bas au Nord de l’Italie, et marquée par le système réticulaire. Le processus d’urbanisation apparaît toutefois plus complexe lorsqu’il est étudié à l’échelle provinciale. Dans ce cas précis, il correspond à la surimposition sur un semis hérité du Moyen Age d’une logique réticulaire, avec le développement proto-industriel. La hiérarchie urbaine en Flandre wallone montre la nette primauté de la capitale régionale, Lille ; en Hainaut-Cambrésis, la bicéphalie 34 domine avec le couple Valenciennes-Cambrai et surtout en Artois avec Saint-Omer et Arras. Pour le Hainaut, la répartition assez équilibrée des villes est en conformité avec la théorie des lieux centraux. 4) Le poids des facteurs politiques et étatiques : le cas des « villes d’Ancien Régime » en France L’expansion de l’Etat royal dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles favorise la promotion des « villes d’Ancien Régime » (Bernard Lepetit). Il s’agit majoritairement de cités de taille moyenne qui bénéficient pour l’essentiel de l’expansion de l’Etat d’offices qui se traduit notamment par l’implantation de nouveaux sièges judiciaires et de nouvelles administrations. La définition de la « ville d’Ancien Régime » proposée par Bernard Lepetit se fonde sur une typologie fonctionnelle de la ville, à partir de plusieurs critères : elle a pour intérêt de mettre en exergue l’importance des fonctions étatiques et politiques, avec la présence d’administrations et d’institutions monarchiques comme facteur d’urbanisation. En effet, cette présence étatique entraîne d’une part le renforcement du groupe des officiers royaux au sein des cités et engendre d’autre part d’importantes activités induites. L’enquête initiée par Colbert en 1665 est un bon révélateur du poids croissant et de la diversité du monde de l’office au sein des villes au début du règne personnel de Louis XIV. Elle permet de dénombrer 40 611 officiers alors que l’enquête antérieure de 1573 comptait 19 752 officiers. La présence des officiers royaux apparaît surtout notable dans les cités des pays d’élection avec 33 000 serviteurs recensés ; la majorité d’entre eux sont des officiers de justice (26 000 individus) comme les parlementaires (appartenant à la noblesse de robe) ou les magistrats des bailliages ou des présidiaux (officiers moyens) et des auxiliaires de justice (officiers inférieurs). La hiérarchie ternaire du monde de l’office se fonde sur la hiérarchie de valeur et de dignité respectives des charges (offices supérieurs anoblissants, offices moyens sources d’honorabilité, offices inférieurs). Par ailleurs, l’Etat d’offices est source d’activités urbaines directes ou indirectes significatives. Ainsi, la présence de cours souveraines (Parlement, Chambre des comptes) génère à Dijon au XVIIe siècle du travail pour 10 % d’une population estimée à 20 000 habitants. Le départ forcé d’une institution royale engendre a contrario un déclassement pour la ville. L’exil en 1675 à Vannes du parlement de Rennes entraîne pour cette dernière la perte de 10 000 résidents sur 50 000 habitants (domestiques, artisans suivant les parlementaires à Vannes). La création de présidiaux durant les décennies 1630-1640 constitue un aspect essentiel de l’expansion étatique dans la France du XVIIe siècle, facteur de croissance urbaine. La 35 création d’une vingtaine de sièges présidiaux entre 1629 et 1642 (Tulle, Sarlat, Valence, Libourne…) participe de la croissance de l’Etat d’offices et du renforcement de l’Etat de justice. Elle marque aussi la convergence entre les logiques du pouvoir royal et les attent

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