Cours de Psychologie du Développement - Niveau 1 - 2023-2024 PDF

Document Details

EnrapturedJasmine1136

Uploaded by EnrapturedJasmine1136

Université Clermont Auvergne

2024

Sylvie Droit-Volet

Tags

psychology developmental psychology human development educational psychology

Summary

Ce document est un cours de psychologie du développement au niveau 1, semestre 1 de l’année universitaire 2023-2024. Le cours couvre des sujets tels que l’introduction à la psychologie du développement, les méthodes d’étude de l’enfant, le développement précoce, moteur, sensoriel, de la mémoire et affectif.

Full Transcript

© Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 1 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) UFR DE PSYCHOLOGIE, SCIENCES SOCIALES, SCIENCES DE L’EDUCATION UNIVERSI...

© Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 1 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) UFR DE PSYCHOLOGIE, SCIENCES SOCIALES, SCIENCES DE L’EDUCATION UNIVERSITE CLERMONT AUVERGNE 34 Avenue Carnot TSA 60401- 63001 Clermont-Ferrand cedex 1 COURS D’ENSEIGNEMENT EAD - PASS DE PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT NIVEAU 1 Semestre 1 – Année Universitaire 2023-2024 Cours élaboré par la Professeure Sylvie Droit-Volet Dans le cadre de ce cours, vous trouverez 5 dossiers : Dossier 1. Cours Dossier 2. Figures (illustrations du cours) Dossier 3. Vidéos (illustrations du cours) Dossier 4. Textes dont la lecture est obligatoire (4 textes). Dans le cadre de votre formation, il faut toujours compléter un cours par la lecture de nombreux ouvrages ou textes. Mais, dans le dossier 4, vous ne trouverez que les textes dont la lecture est obligatoire, c’est-à-dire qui font l’objet de questions lors des examens. Dossier 5. Description des modalités d’examen (A lire avec attention). Dossier 1. Cours PLAN DU COURS I - La psychologie du développement : introduction II - Les méthodes d’étude de l’enfant III - Le développement précoce : de la fécondation à la naissance, prématurité et plasticité IV - Le développement moteur V - Le développement sensoriel VI - Le développement de la Mémoire à long terme VII – Introduction au développement affectif et à la notion l’attachement I. La psychologie du développement : introduction A – Définition Vous avez choisi d’étudier la psychologie ! Mais, quelle est votre représentation de l’HOMME dont vous souhaitez étudier la psychologie ??? © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 2 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) En fait, l’homme « moyen », l’homme « normal » n’existe pas ! L’homme peut être petit, grand, maigre, gros, beau ou encore très moche. Et sa taille, son poids ou sa beauté peut impacter son comportement au quotidien. Son comportement ne sera effectivement pas le même s’il souffre de complexes, s’il est sujet à des moqueries, à de la discrimination, ou encore si son apparence l’empêche d’accéder au métier dont il rêve. L’homme peut être aussi une femme ! Il peut également être un enfant ou une personne âgée. Et cet enfant peut n’avoir aucun problème particulier ou souffrir d’une grave maladie. La psychologie du développement reconnaît et respecte les différences entre les individus (variabilité interindividuelle) et les différences au cours de la vie d’un même individu (variabilité intra-individuelle). On n’est effectivement pas le même à 15, 20 et 60 ans. Son objectif est d’apporter des connaissances sur ces variabilités inter et intra-individuelles afin de trouver des solutions adaptées à chacun suivant son âge. Selon le domaine d’application envisagé (clinique, éducation, formation, insertion, consommation (publicité, industrie du jouet, etc.), organisation du travail, ergonomie, sécurité, etc.), des solutions spécifiques à l’âge de la personne en cause sont donc envisagées. Par exemple, un professeur va adapter sa pédagogie à l’âge de ses élèves sur la base de ses connaissances sur leurs aptitudes, des connaissances qui sont en l’occurrence fournies par la psychologie du développement. De la même façon, un créateur de jeux vidéo va adapter son jeu aux caractéristiques des joueurs qui changent suivant leur âge. En usine, un directeur des ressources humaines va aussi affecter les opérateurs à des postes de travail différents selon leur âge. Un opérateur n’a effectivement pas la même force physique, la même dextérité, à 60 ans qu’à 20 ans. Enfin, en psychologie clinique, un psychothérapeute choisira sa thérapie en fonction de l’âge de son patient, de ses caractéristiques (personnalité, impulsivité, etc.), et de ses troubles et sa maladie, qui changent également avec l’âge du patient. En conclusion, la psychologie du développement apporte des connaissances fondamentales sur les changements et continuités dans les fonctionnements psychologiques au cours de la vie permettant de trouver des solutions propres à chaque individu. A.1. L’étude des changements tout au long de la vie. Sans en être toujours conscients, nous nous comportons différemment face à un enfant et un adulte parce que nous sommes tous un peu des psychologues du développement. Nous savons tous qu’un enfant n’est pas un adulte. Par exemple, nous pardonnons à l’enfant qui profère des gros mots, mais sommes outrés dès qu’il © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 3 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) s’agit d’un adulte. Nous acceptons les trépignements d’un enfant dans une salle d’attente et non ceux de l’adulte. Un adulte bien élevé doit savoir se contrôler, contrôler ses émotions, et doit donc pouvoir garder son calme malgré la longueur de l’attente. De la même façon, nous acceptons qu’un enfant ne comprenne pas ce qu’on lui explique, alors que nous traitons d’idiot l’adulte qui ne comprend pas. Notre attitude différente devant un enfant et un adulte s’explique par le fait que nous savons qu’ils sont réellement différents. En l’occurrence, nous sommes plus tolérants envers un enfant parce que nous nous attendons à ce qu’il change, à ce qu’il ne reste pas le même, tandis que nous pensons que l’adulte ne changera plus. Etudier l’enfant, c’est précisément étudier les changements et les continuités dans les comportements, autrement dit étudier le développement. Le développement est donc l’ensemble des étapes qui conduisent un organisme d’un état élémentaire, plus primitif, vers un état plus complexe, plus élaboré, ainsi que les processus qui assurent le passage d’une étape à l’autre. Le développement ainsi défini renvoie à la notion d’ontogenèse. L’ontogenèse est définie en biologie comme l’ensemble des processus de développement et d’acquisitions propre à l’individu depuis l’œuf fécondé jusqu’à la réalisation de son phénotype, c’est-à-dire l’ensemble des traits associés à l’information génétique portée par un organisme à l’état adulte (Bideaud, Houdé & Pedinielli, 1993). La notion de développement va cependant au-delà de celle de l’ontogenèse définie sous l’angle biologique. Le comportement de l’homme résulte aussi de ses expériences personnelles et de ses interactions avec son environnement, qui elles- mêmes peuvent changer au cours de la vie, avec l’âge. Une personne de 40 ans, par exemple, ne ressemble pas à une personne de 25 ans et encore moins à une personne de 60 ans. Or, entre 25 et 40 ans, les différences de comportements ne s’expliquent pas par des bouleversements biologiques importants, mais par des modes de vie différents, ou des valeurs sociales qui évoluent quand on trouve du travail et que l’on devient responsable d’une famille. Entre 40 et 60 ans, elles s’expliquent aussi par des changements sociaux importants qui interviennent lors du départ à la retraite, auxquels s’ajoutent bien entendu des problèmes de vieillissement cognitif et physique. Pour différentes raisons à la fois d’ordre biologique et environnemental, il n’y a donc pas que les enfants qui changent. Les adultes changent aussi et ceci tout au long de la vie. Rien n’est jamais figé ! C’est pour cette raison que l’étude du développement ne se réduit pas à l’étude de l’enfance. En psychologie du développement, on étudie tous les changements et les continuités de comportements qui se manifestent de la naissance à la mort. En anglais, on utilise le terme « life span psychology », en français « psychologie de l’empan de la vie ». Toutefois, dans un souci d’expertise, les psychologues sont obligés de restreindre leur domaine d’étude et de se spécialiser (ce que vous ferez progressivement au cours de vos études). Ils n’ont pas le choix ; les domaines d’étude de la psychologie sont tellement variés et les comportements de l’homme tellement complexes. Ils étudient donc de façon plus approfondie soit une tranche d’âge particulière, soit des processus de changement pour une fonction donnée (langage, motricité, mémoire, attention). On trouve par exemple des psychologues spécialisés dans les troubles de l’attention chez l’enfant et d’autres dans l’étude d’une tranche d’âge particulière comme l’adolescence. En fait, on a donc deux principaux angles d’étude (d’approche) de la psychologie du développement, qui déterminent l’orientation d’un cours ou d’un manuel de psychologie du développement : un angle d’étude centré sur le type de sujet étudié, et un angle d’étude centré sur les processus de changement. © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 4 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) * Etudes centrées sur le type de sujet étudié. La majorité des psychologues du développement se spécialisent sur une tranche d’âge particulière. Généralement, ils se spécialisent sur l’étude des périodes où les changements sont les plus nombreux et les plus rapides, c’est-à-dire aux deux extrémités de l’empan de la vie : pendant l’enfance et l’âge de la retraite. On parle alors de la psychologie de l’enfant (Master Psychologie de l’enfant) pour l’étude des enfants allant de 0 à 14-15 ans, et de la psychologie du vieillissement pour celle des personnes âgées (> 65 ans) (Master Psychologie du vieillissement, Master Gérontologie). De plus, certains psychologues se spécialisent sur des tranches d’âge encore plus courtes comme les bébologues qui n’étudient que les comportements des nourrissons (Master Psychologie du jeune enfant de 0 à 3 ans) ou les psychologues de l’adolescence qui ne s’intéressent qu’aux adolescents (Psychologie de l’adolescent). * Etude centrée sur les processus. Dans cette spécialité, on va trouver la psychologie génétique et la psychologie du développement. Ces psychologies sont très proches l’une de l’autre, et de la psychologie de l’enfant. On les confond d’ailleurs souvent. Cependant, la psychologie de l’enfant va s’intéresser à l’enfant en tant que tel, ce qu’un enfant va être capable de faire à tel ou tel âge. En revanche, la psychologie génétique et celle du développement vont plus s’intéresser aux processus sous-jacents aux changements, autrement dit aux mécanismes à l’origine de la « genèse des conduites et des systèmes qui les structurent » (grand dictionnaire de la psychologie, 1991). La psychologie génétique ou celle du développement va alors se fonder sur des conceptions théoriques (des modèles) de la genèse des conduites. On va donc y trouver des théories générales ou des modèles généraux du développement. Parmi, les psychologues qui ont proposé des théories générales du développement, on peut citer Jean Piaget (1886-1980) qui est sans aucun doute le plus célèbre psychologue du développement. Jean Piaget a proposé toute une théorie du développement de l’intelligence où il décrit différents stades intellectuels où l’enfant passe d’un mode de raisonnement à l’autre. Ces travaux sont si importants que certains cours de psychologie du développement se réduisent à la présentation de sa théorie. C’est pour cette raison que vous avez une lecture obligatoire (LO1) qui décrit la théorie de Jean Piaget dans les grandes lignes. Cependant, comme nous le verrons, il faut admettre que sa théorie générale du développement cognitif est largement critiquée à notre époque. La majorité des psychologues, dont je fais partie, préfère des théories plus spécifiques, propres à chaque système de fonctionnement, plus simplement dit à chaque fonction : théorie du développement du langage, théorie du développement des capacités perceptives, théories des capacités attentionnelles, etc. Si l’on doit parler de théorie générale du développement, alors il faut plutôt envisager une théorie des systèmes dynamiques, que nous évoquerons plus tard dans le cours. Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’angle d’étude adopté, on parle toujours de psychologie du développement, de la psychologie où l’on étudie tous les changements au cours de la vie. Dans ce cours de niveau 1 introductif, nous nous centrerons sur le développement de certaines fonctions chez l’enfant après avoir défini la psychologie du développement et ses méthodes. Au cours de votre formation, le développement d’autres fonctions sera abordé ainsi que le développement de la personne âgée. A.2. L’étude des changements des fonctionnements à travers les comportements : de l’universel à l’individuel. © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 5 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) Nous sommes tous différemment les uns des autres. Les changements observés sont donc propres à chaque individu. Chaque individu est unique. En effet, ce qu’un individu est, ce qu’il fait à un âge donné dépend de l’interaction entre différents facteurs. Cela va dépendre de son patrimoine génétique, de son éducation, de sa culture, de son environnement social et économique ou encore de ses expériences personnelles. Par exemple, la rencontre d’un professeur (expérience personnelle) peut changer toute une vie ou un comportement. A la rencontre d’un professeur de musique, un enfant qui n’avait aucune appétence pour la musique peut développer de nouvelles compétences, des compétences musicales jusqu’à là insoupçonnées. Dans le même milieu socio-économique, la réussite scolaire de deux frères ne sera évidemment pas la même si l’un est plus intelligent que l’autre (patrimoine génétique). Mais, en réalité, c’est plus compliqué que cela. Vous pouvez avoir des enfants qui ont de grandes capacités cognitives et qui pour autant seront en échec scolaire. Les causes sont multiples. Elles peuvent relevées de leur milieu de vie (milieu socio-économique) ou d’autres choses. Pour faire une analogie, on peut dire que ce n’est pas le tout d’être bien équipé (cerveau qui fonctionne bien), d’avoir un moteur puissant dans sa voiture, le fonctionnement de la voiture dépend aussi de celui qui la conduit et de l’état de la route ! Ainsi, même si deux frères jumeaux ont le même potentiel génétique, le même niveau de vie, ils seront différents. Une simple expérience, un simple vécu différent peut modifier la dynamique des conduites et de leurs changements au cours de la vie. Dès qu’il est dans l’action (dans la psychologie appliquée), le psychologue est confronté à un individu unique (« individuel »). En psychologie clinique, le psychologue est face à un cas, face à un patient particulier. Il doit alors trouver une solution spécifique, adaptée à ce cas. Pour trouver la meilleure solution possible, adaptée à ce cas, il se base sur des connaissances tirées des généralités (« universel »), c’est-à-dire des similarités observées entre les individus. On pourrait dire des comportements et des capacités généralement (moyenne + 1 écart-type) observés à un âge donné. La psychologie du développement concourt donc à apporter des éléments de connaissance sur des changements communs aux individus, c’est-à-dire partagés par tous (changement universel). Dans la pratique, on passe donc sans cesse du niveau individuel au niveau universel. Et la psychologie du développement apporte seulement les connaissances sur l’universel qui permettent de traiter l’individuel. Par exemple, un psychologue reçoit un jeune patient âgé de 24 mois (individu). Il peut alors constater un retard de langage. Ce constat se fonde nécessairement sur ses connaissances du développement du langage et des capacités langagières des enfants âgés de 24 mois (universel). Toutefois, en tant que scientifique, il se doit de faire le bon diagnostic, c’est-à-dire envisager tous les facteurs susceptibles d’être à l’origine d’un retard du langage. Il formule alors une série d’hypothèses (dysfonctionnent neurologique, milieu éducatif pauvre, traumatisme, problèmes familiaux, etc.) qui relèvent de l’individuel ou de l’universel. Il cherche ensuite à valider chaque hypothèse au moyen d’outils de la psychologie du développement pour établir un bon diagnostic. Enfin, après avoir établi son diagnostic, il choisit la thérapie, « le remède » le plus approprié à son patient. A.2.1 Changements communs aux individus a- La notion de Maturation et de normes selon l’âge. Certains changements (ex. âge d’apparition de la marche, âge de production des premiers mots) semblent suivre un programme prédéterminé. On parle alors de © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 6 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) changements dus à la maturation. Arnold Gesell (1880-1961) définit la maturation comme un processus séquentiel de changements programmés génétiquement par une sorte d’horloge biologique. Il s’agit plus précisément de l’ensemble des changements déterminés par les informations contenues dans le code génétique, et communs à tous les membres d’une même espèce. Certains changements apparaissent donc aux mêmes âges, à des âges que Gesell (1949) qualifie de cruciaux parce qu’ils correspondent à des « périodes d’équilibre relatif dans les progrès vers la maturité ». Dans la perspective maturationniste, Gesell a surtout travaillé sur le développement physique. Il a ainsi déterminé des normes d’âge pour le développement de caractéristiques physiques comme la taille et le poids. Mais, avec d’autres collègues, il a aussi défini des normes d’apparition de certaines aptitudes motrices et mentales. Prenons maintenant trois exemples où la maturation joue un rôle déterminant. Le premier exemple concerne le développement moteur pour lequel nous consacrerons un chapitre entier. Concernant le développement moteur, on a identifié des tranches d’âges précises pour l’apparition de tel ou tel comportement moteur. Le maintien de la tête s’effectue par exemple à 2 mois, le contrôle de la tête en position verticale à 5 mois et l’acquisition de la marche entre 10 et 18 mois. Au delà de ces tranches d’âge (étude statistique sur les normes d’âge d’apparition d’un comportement -> Moyenne), on parlera d’un retard moteur. Bien entendu, on admet la grande différence interindividuelle dans l’acquisition des comportements (variabilité autour de la moyenne → 2 écart-types). Aussi, dès qu’on repère un retard de comportement chez un jeune enfant, il faut le suivre pour vérifier que tout rendre rapidement dans l’ordre. Cependant, au delà de la « variabilité tolérée », on parle bien de retard moteur qu’il faut prendre en charge. Le psychologue du développement se doit donc de connaître les normes d’apparition des comportements. Son objectif est en effet d’être capable de repérer un retard de développement nécessitant une prise en charge. Pour ce faire, au cours de sa formation, il fréquente des enfants pour se forger une représentation de ce qu’est un enfant à chaque âge, il achète des ouvrages décrivant les comportements des enfants et prend de nombreuses notes (fiches), et il apprend les outils (questionnaires, tests neuropsychologiques, entretiens, etc.) lui permettant d’estimer un retard et d’en comprendre sa cause. Le deuxième exemple relatif à la maturation concerne les courbes de corpulence de l’enfant en fonction de l’âge. Sur la Figure 1, on trouve les normes de développement du poids selon l’âge de l’enfant pour les filles (gauche) et les garçons (droite) (IMC = Poids/Taille2). Sur ces courbes, on note la moyenne des changements de corpulence avec l’âge et la variabilité interindividuelle autour de cette moyenne. Cette variabilité est dite acceptable car on reste dans les normes. En deçà de cette variabilité acceptable, l’enfant présente une insuffisance pondérale et au delà des problèmes de surpoids, voire d’obésité. On voit ici l’intérêt des normes. Connaître les normes, permet de repérer un trouble, ici un trouble du comportement alimentaire. Je rappelle que de plus en plus d’enfants souffrent d’obésité. Or, un enfant gros à 4-5 ans à 65 % de risque d’être obèse à l’âge adulte, avec tous les problèmes que cela va poser en termes de santé physique et psychique. Un enfant ne doit pas être gros ! A partir de cet exemple, on comprend de nouveau l’importance de connaître les normes et de repérer l’écart aux normes dans une perspective de prévention et d’action. Le troisième exemple que je veux prendre concerne les réflexes. Les © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 7 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) psychologues ont établi une liste des réflexes archaïques (voir aussi chapitre sur le développement moteur) : réflexe de Moro, réflexe de marche automatique, réflexe de succion, réflexe des points cardinaux, réflexe d’agrippement, réflexe d’extension croisée. On observe ces réflexes chez tous les bébés jusqu’à l’âge de 3 mois. La norme est donc d’observer ces réflexes chez le bébé. Des comportements en dehors de cette norme sont considérés comme des indicateurs (signes) de dysfonctionnement neurologique. Ces dysfonctionnements peuvent être liés à des troubles de développement neurologique (ex. Infirmité Motrice Cérébrale ; Syndrome de Down) ou un traumatisme précoce (ex. Syndrome de l’enfant secoué). Les comportements en dehors de cette norme peuvent consister en : une absence de réflexe à la naissance, une hypotonie ou hypertonie musculaire, une asymétrie dans le mouvement, une persistance des réflexes au-delà de 3-5 mois. Aussi, dès la naissance, ces réflexes (normes) sont testés chez le bébé (ex. Test D’Apgar) afin de repérer un dysfonctionnement précoce. En conclusion, sur la base de ces 3 exemples, on peut comprendre que les normes d’âge sont toujours d’actualité ! Elles sont utilisées dans l’évaluation du développement de l’enfant pour diagnostiquer un retard ou un trouble de développement, et le prendre en charge le plus tôt possible. Etudier la psychologie du développement, c’est donc aussi apprendre les normes d’âge pour l’apparition d’un comportement donné. Par ailleurs, en tant que développementaliste, Gesell a adopté une position maturationniste radicale. Pour lui, la maturation est la seule cause du développement, l’expérience n’ayant pas d’effet réel sur le développement. Pour lui, le développement n’est donc qu’une affaire d’actualisation à un moment donné des potentialités génétiques. Il écrit en 1949 que « ce qui est fondamental, ce n’est pas le rôle du milieu, même s’il joue un rôle évident, c’est le développement du système nerveux central », et il ajoute « c’est le plus fondamental, si fondamental que l’acquisition de la culture ne peut jamais dépasser la maturation ». Il établit alors ce qu’il appelle des lois du développement : (1) Loi de progression céphalo-caudale : Pour tous les individus, le développement du contrôle postural commence par le haut du corps, la tête, et descend progressivement vers le bas, allant du tronc vers les membres inférieurs (ex. l’enfant maintient sa tête vers 2 mois, tient assis vers 4 mois, tient debout vers 8 mois, et marche vers 11-12 mois), (2) Loi de développement proximo-distal : le contrôle moteur s’exerce sur les parties du corps à proximité des centres nerveux (le tronc) avant de s’exercer sur des parties plus lointaines comme les bras et les mains. Selon les lois de Gesell, ces évolutions du contrôle moteur seraient donc universelles, c’est-à-dire observables chez tous les enfants, quels que soient leur expérience motrice et leur pays d’origine. Il est vrai qu’il existe des âges pour l’apparition de certains comportements qui sont dépendants de la maturation du système nerveux. Par exemple, on n’a pas besoin d’apprendre à marcher, ni besoin d’apprendre à produire des sons de parole. En l’absence de pathologie, tout le monde marche et parle ! On peut donc dire que ces comportements sont innés. Néanmoins, comme nous le verrons concrètement à propos de développement du système nerveux (SNC), la plupart des chercheurs n’adoptent plus actuellement une position maturationniste radicale, comme celle de Gesell, et se refusent d’opposer de façon simpliste l’inné à l’acquis. Comme le disent De Schonen et Livet (1999), l’idée de contraintes génétiques sans environnement ou d’environnement sans contraintes génétiques n’a pas de sens. Si par exemple le © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 8 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) langage fait partie du patrimoine génétique humain, personne ne peut nier le rôle important de l’environnement pour son développement. Inversement, l’environnement à lui seul ne permet pas au cerveau de développer la capacité à apprendre le langage. Le programme génétique ne fabrique donc pas directement une représentation du langage, mais des mécanismes de développement du cerveau qui pourront à un moment donné de leur fonctionnement interagir avec l’environnement et permettre l’émergence du langage. Les contraintes génétiques sont donc en amont de l’émergence même du langage et, sans les effets de l’environnement, il n’y a pas de langage. De plus, comme nous le verrons, lors de certaines périodes critiques du développement, où la plasticité cérébrale est importante, les stimulations issues de l’environnement peuvent influencer la maturation, comme l’ont clairement montré les études sur l’effet des stimulations sensorielles sur le développement du système nerveux (voir chapitre III). b-Expériences partagées par le groupe social (communes aux individus). Par ailleurs, certains changements associés à l’âge peuvent être provoqués non par la maturation, mais par des expériences qui sont également communes aux enfants et faîtes aux mêmes âges (partagés par tous). Un peu partout dans le monde, on donne des jouets aux enfants dès qu’ils peuvent les tenir dans les mains. On les stimule donc tous de la même façon et au même moment quand cela devient possible. De la même façon, les enfants débutent généralement l’école entre 5 et 7 ans. Or, on sait que la scolarisation façonne le développement de l’enfant en l’orientant vers de nouveaux modes de pensées. Il s’agit donc ici d’expériences que l’on pourrait également qualifier d’universelles ou de quasi-universelles. Et ces expériences ont elles aussi le pouvoir de produire des changements de comportement liés à l’âge. En résumé, le développement est le fruit à la fois de la maturation et d’expériences sociales communes qui ont lieu aux mêmes âges. Parmi les expériences communes, spécifiques au groupe social, on peut identifier des effets sur le développement de l’enfant de la culture, de la cohorte ou encore de la famille. Chaque culture possède ses propres normes sociales d’éducation basées sur ses propres représentations du développement de l’enfant, qui peuvent changer selon les époques. Par exemple, dans certaines cultures, on emmaillote les bébés dans leur berceau (Mongolie, Tibet), et dans d’autres on les transporte sur le dos. En France, les enfants ont été emmaillotés jusqu’à la fin du 18 ème siècle, même si dans certaines régions (Poitou) la pratique a perduré. A l’époque, les paysans trouvaient qu’accrocher son bébé à un clou pendant qu’ils travaillaient était bien commode. Trêve de plaisanterie, c’est bien ce qu’il faisait à l’époque. De nous jours encore, certains recommandent, non d’accrocher les bébés au mur, mais de l’emmailloter à l’ancienne (voir la pratique de « swaddling »). Quoi qu’il en soit, des études ont montré que l’âge d’apparition de certaines habiletés motrices est plus ou moins précoce selon le mode d’éducation choisi (motricité plus précoce dans le cas du portage du bébé). Toutefois, les différences initiales dans les habiletés motrices s’amenuisent avec le temps, avec l’âge. Pour prendre un autre exemple concernant la culture, dans certains pays, les jeunes filles se marient dès l’âge de 12-13 ans, et dans d’autres 10 ans plus tard. Ceci affecte nécessairement leur développement cognitif et affectif. L’effet de cohorte sur le développement est également bien connu. La cohorte est un groupe d’individus d’une même tranche d’âge qui a connu des expériences de © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 9 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) vie similaire, c’est-à-dire un même environnement culturel, des mêmes conditions sociales et économiques ou un même niveau d’instruction. Or, des conditions de vie particulières, propres à une époque, peuvent affecter le développement des enfants. Prenons deux exemples. En France, les enfants ont travaillé jusqu’à la fin du 18 ème siècle. Au 19ème siècle, certains garçons étaient encore placés comme valet de ferme à la campagne et certaines filles comme domestiques chez des patrons. Il est évident que ces conditions de vie ont affecté d’une manière ou d’une autre le développement physique et intellectuel de ces enfants (à une époque donnée). En deuxième exemple, on peut citer les problèmes des écrans à notre époque (smartphone, tablette, télévision) qui ont affecté et affectent encore le développement des enfants. A notre époque, on trouve des troubles de développement liés aux écrans qui n’existaient auparavant : troubles du sommeil, troubles de l’attention, troubles de la coordination motrice, troubles du langage (retard de parole), obésités. Or, ces troubles, qui peuvent perdurer à l’âge adulte s’ils ne sont pas pris en charge, résultent d’un effet de cohorte. Ils n’existaient pas avant et ils n’existeront plus à l’avenir… (car vous interdirez les écrans à vos jeunes enfants et limiterez le temps passé sur les écrans quand ils grandiront). Enfin, des expériences familiales communes à des enfants de la même fratrie peuvent également façonner la vie des enfants et, par conséquent, leur développement. Les exemples sont nombreux tant il y a de différents types de famille. Nous n’évoquerons ici que le cas d’une famille avec des parents maltraitants ou d’une famille monoparentale avec de grandes difficultés financières. c- Les changements propres à chaque individu. Enfin, il y a des expériences purement individuelles, personnelles, qui influencent aussi le développement de l’enfant. Comme nous l’avons évoqué, un enfant peut devenir un grand musicien à la suite de quelques cours avec un professeur de musique exceptionnel. De la même façon, des enfants avec le même patrimoine génétique (jumeaux monozygotes) deviendront des individus différents par les expériences, les rencontres différentes qu’ils feront tout au long de leur vie. Cependant, en ce qui concerne les expériences purement individuelles, on ne connaît pas de façon scientifique leurs conséquences réelles sur le développement. On ne sait pas par exemple si le divorce des parents, à un âge donné de l’enfant, a une réelle influence sur son développement, et si oui laquelle. Pour certains enfants, le divorce des parents provoquera un certain traumatisme et pour d’autres il n’aura aucun effet. A ce propos, on n’a donc que des théories sur la probabilité des effets de certaines expériences personnelles sur la psychologie de l’individu. Ces théories supposent par exemple qu’un événement dit traumatisant a une grande probabilité de provoquer un traumatisme. Mais il ne s’agit que de probabilité ! Parfois, ces événements provoquent un traumatisme, parfois ils ne provoquent aucun traumatisme. C’est ce qu’on l’observe dans certains phénomènes dits de résilience psychologique. La résilience est l’aptitude de certains individus à surmonter les traumatismes et à se construire malgré de nombreuses blessures psychologiques. Dans le cadre de ce cours et d’un travail personnel obligatoire, qui peut donc faire l’objet d’une question à l’examen terminal, vous devez aller rechercher sur internet la définition en psychologie de la notion de résilience et l’apprendre, et regarder les travaux intéressants de Boris Cyrulnik à ce sujet. Finalement, chaque individu est unique parce qu’il est le fruit des interactions complexes et uniques entre un patrimoine génétique et la combinaison de multiple expériences collectives (communes) et individuelles. S’occuper d’un © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 10 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) enfant sur le plan psychologique, c’est donc s’occuper d’un cas particulier. Autrement dit, c’est tenter de comprendre et de changer éventuellement le comportement de cet enfant en agissant sur ses différents déterminants, à la fois biologiques et environnementaux (expérience traumatisante, famille, conditions socio-économiques, etc.). Néanmoins pour arriver à comprendre un cas particulier, il faut aller au-delà de ce cas particulier, au-delà des variations interindividuelles, et posséder des connaissances sur le développement des comportements en général, c’est-à-dire lié à la maturation et aux expériences communes aux enfants d’une même tranche d’âge. C’est en effet à partir de ces connaissances du développement général - de la psychologie du développement - que l’on peut repérer d’éventuels retards ou dysfonctionnements de développement et bâtir des programmes d’éducation, de formation, et de prise en charge des troubles adaptés aux enfants selon leur développement. B - Aperçu historique B.1. Les prémices d’une psychologie de l’enfant dans des principes philosophiques d’éducation. Essayer de mieux comprendre l’enfant a toujours été au cœur des préoccupations des hommes, mais initialement non dans le but de connaître la spécificité des capacités des enfants à différents âges, mais de promouvoir une éducation qui permettrait à l’enfant de devenir un être de raison, facilement insérable dans la société. L’origine de la psychologie de l’enfant se trouve donc dans des principes d’éducation prônés par les philosophes, et ceci dès l’Antiquité. Au début, l’âge était peu mentionné. L’enfant était considéré comme un adulte à part entière, capable de responsabilité. Au IV siècle, Saint Augustin (354-430) écrivait que « la faiblesse des corps est innocente chez l’enfant, mais pas son âme ». Néanmoins, on trouve l’idée de stades de développement dès le XVIe siècle dans les essais de Montaigne (1533-1592). A son époque Montaigne identifie 4 stades : (1) La petite enfance, de la naissance à 2 ans. Selon lui, il s’agit d’une époque où les enfants dépendent totalement de leurs parents. Cette période finit avec l’apparition d’une certaine autonomie motrice et l’apparition du langage. (2) L’enfance de 2 à 5-6 ans. Il s’agit ici d’une période où l’enfant passe son temps à jouer. Il est trop faible pour travailler et son esprit est trop confus pour étudier. (3) La dernière enfance de 5-6 à 14 ans. A partir de 5-6 ans, l’enfant est, comme le dit Montaigne, prédisposé à travailler, à apprendre à lire et à écrire. (4) Enfin, vient la jeunesse ou l’âge de l’indépendance de 11-14 ans à 18-21 ans, une période qu’il appelle l’âge de la raison. L’enfant est alors considéré comme un être rationnel et responsable. C’est du reste à cette période que les enfants étaient séparés de leurs parents pour aller chez un maître d’apprentissage et y rester jour et nuit jusqu’à l’âge de 21 ans. On retrouve cette notion de stade dans les travaux de Rousseau (1712-1778) qui ont profondément influencé nos conceptions de l’éducation. Rousseau était connu pour être un piètre précepteur et un piètre père. Il a en effet confié à l’assistance publique les 5 enfants que lui avait donnés sa servante, qu’il n’a d’ailleurs jamais épousée. Toutefois, cela ne l’a pas empêché d’écrire un traité d’éducation sous la forme d’un roman, publié en 1762, intitulé « L’Emile ». Il a néanmoins éprouvé le besoin de se justifier en disant : « hors d’état de remplir la © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 11 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) tâche la plus utile, j’oserai du moins essayer la plus aisée : à l’exemple de tant d’autres, je ne mettrai point la main à l’œuvre mais à la plume ». Plutôt qu’un traité d’éducation des enfants en général, L’Emile est un traité d’éducation des garçons. Dans ses écrits, Rousseau ne différencie pas les filles des garçons jusqu’à l ‘âge de 11-14 ans. Mais, après cet âge, il écrit que tout change car la femme doit être au service de l’homme : « La femme doit faire l’application des principes de l’homme. Femme honore ton chef, c’est lui qui travaille pour toi, qui te gagne ton pain, qui te nourrit, voilà l’homme ». L’éducation n’était donc plus nécessaire pour les femmes au regard des fonctions qu’elles devaient assurer. Quoi qu’il en soit, selon Rousseau, « tout est bien sortant de l’auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme ». Ce principe fondamental oriente sa conception de l’éducation. En effet, pour lui, l’enfant doit découvrir les choses par lui-même. Ceci ne signifie pas qu’il faut laisser l’enfant agir comme il l’entend en toute chose et en toute circonstance. Le précepteur doit être présent. Mais son rôle n’est pas dans l’apport de règles rigides et autoritaires. Celui-ci doit s’adapter à l’enfant pour lui apporter au moment opportun des connaissances qu’il est prêt à recevoir. On trouve ici l’idée très importante de périodes critiques dans l’apprentissage, c’est-à-dire d’un moment idéal pour initier l’enfant à une activité donnée. Comme le dit Rousseau, « le fer doit être battu quand il est chaud, le faire avant ou après gâterait le produit ». Il défend donc l’idée qu’il faut connaître l’enfant avant d’établir tout un programme rigide d’éducation. Il écrit en effet qu’on ne connaissait point l’enfance et de ce fait on s’égarait sur leur éducation. Il ajoute que « les plus sages s’attachent à ce qu’il importe aux hommes de savoir sans considérer ce que les enfants sont en état d’apprendre. Il cherche toujours l’homme dans l’enfant sans penser ce qu’il est avant d’être homme ». C’est donc dans les écrits de Rousseau que l’on trouve les premières justifications de la nécessité de créer une science de l’enfant ou du développement, dont le but est d’apporter des connaissances sur l’enfant. Il faut toutefois attendre la fin du XIX siècle pour que la psychologie du développement devienne une discipline scientifique distincte et complémentaire des sciences de l’éducation. C’est ce que nous allons maintenant voir. Toutefois, concernant Rousseau, on peut ajouter que ses connaissances sur l’enfant sont restées très rudimentaires, bien qu’il ait défendu la nécessité de mieux le connaître. Il définit ainsi une série de stades commençant par le développement physique, puis mental et enfin social et moral. Au début, il parle du stade de la petite enfance jusqu’à 2 ans, où il faut essentiellement penser à fabriquer des enfants robustes sur le plan physique, le nourrisson n’ayant pas de sentiments réels et ne faisant point preuve de pensée. Puis, Rousseau évoque une période entre 2 et 12 ans, où il faut former le corps et les sens, et une période entre 12 et 15 ans où l’on peut enfin former l’esprit parce que l’enfant rentre dans une période critique pour le développement de la raison. Néanmoins, l’âge de raison et des passions n’apparaîtrait qu’entre 15 et 25 ans, 15-25 ans constituant une période critique pour la socialisation et pour atteindre ce que Rousseau appelle la vraie moralité. L’âge de 25 ans correspond au développement complet, à l’âge qu’il qualifie de la sagesse et du mariage. Bien que la description de ces stades puisse sembler simpliste de nos jours, il faut savoir que jusqu’à l’émergence d’une psychologie scientifique du développement, ce sont des conceptions de l’enfance essentiellement philosophiques, institutionnelles, voire religieuses, qui ont influencé nos représentations de l’enfant et nos choix dans le domaine de l’éducation. © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 12 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) B.2. Les fondements scientifiques de la psychologie du développement. L’étude scientifique du développement est assez récente. On la situe au XIXe siècle à la parution des travaux de Charles Darwin. En effet, Charles Darwin est souvent considéré comme le premier à avoir abordé les problèmes de développement d’une manière scientifique. Toutefois, comme ses recherches s’inscrivent dans le cadre de la théorie de l’évolution, on ne peut pas réellement le considérer comme le premier développementaliste. Pourtant, c’est l’un des premiers à avoir publié un article sur le développement de l’enfant. Il a en effet publié en 1877 un article intitulé « a biographical sketch of an infant » dans la revue « Mind » rapportant ses observations sur le comportement de son fils Doddy. Dans cet article, on trouve 3 points essentiels pour la psychologie du développement : (a) Le développement y est considéré par Darwin comme un long processus d’adaptation progressive de l’enfant à son environnement. L’interaction sujet - environnement est ainsi conçue comme le moteur du développement de l’enfant. (b) Avec sa théorie sur l’évolution naturelle de l’intelligence à travers la phylogenèse, c’est-à-dire l’évolution de l’espèce, Darwin suscite aussi un regain d’intérêt pour l’origine de la pensée de l’homme (donc du développement). (c) Par ailleurs, et certainement le point le plus déterminant, grâce à son approche scientifique, Charles Darwin montre que l’étude du développement n’est possible que par le recours à une méthode scientifique, comme les observations systématiques qu’il a effectuées sur le comportement de son enfant. Bien qu’il ait édifié les premières fondations de la psychologie du développement, à son époque, on ne parlait pas encore d’un domaine à part entière de la psychologie. Ce n’est qu’en 1882 que cette spécialité est réellement apparue en tant que telle. La date de 1882 correspond à la parution du premier livre entièrement consacré au fonctionnement de l’enfant. Ce livre a été écrit par un physiologiste Allemand du nom de Wilhelm Preyer. Son titre est « Die Seele des kindes » qui signifie en français l’esprit de l’enfant. Dans son livre, Preyer rapporte ses observations sur le développement de sa propre fille depuis sa naissance jusqu’à l’âge d’1 an et demi. Comme Darwin, Preyer insiste sur la nécessité d’utiliser une procédure scientifique pour construire des éléments de connaissance sérieux sur l’enfant. A l’époque, il préconise l’utilisation d’observation systématique, notamment d’écrire tous les jours ce que l’enfant fait, et de noter à chaque fois quand une nouvelle habileté apparaît. Le livre de Preyer a été traduit an anglais en 1888. À la suite de sa traduction, on a vu émerger toute une série de biographies de bébé. La psychologie de l’enfant avait enfin pris son essor. B.3. L’évolution de la psychologie de l’enfant : Un simple Aperçu B.3.1. Evolution dans les méthodes utilisées. De l’observation systématique à l’expérimentation. Dans les premiers travaux en psychologie de l’enfant, les chercheurs utilisaient essentiellement des méthodes d’observation. Comme nous le verrons ci- dessous, l’observation est l’investigation d’un phénomène, sans que le chercheur intervienne dans son déroulement. Le chercheur qui va dans une classe et note les © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 13 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) comportements des élèves pratique l’observation. Le psychologue du travail qui note les comportements de l’ouvrier sur son poste de travail pratique aussi l’observation. Cette méthode est intéressante. Néanmoins, elle a été jugée comme étant une méthode insuffisante pour réussir à appréhender de façon précise des activités cognitives complexes, qui ne sont pas observables par définition. Aussi, de nos jours, dans le domaine de la recherche en psychologie de l’enfant, les psychologues préfèrent utiliser l’expérimentation, en veillant à ce que les situations expérimentales utilisées aient une signification « écologique » pour l’enfant (voir cours de méthodologie). La méthode dite expérimentale est une méthode scientifique qui consiste à tester par des expériences répétées la validité d'une hypothèse et à obtenir des données quantitatives permettant d’affiner cette dernière. Des études papier – crayon aux nouvelles technologies. Parallèlement au développement de la méthode expérimentale, l’émergence des nouvelles technologies a conduit les chercheurs à mettre de côté le papier crayon utilisé lors des observations pour n’utiliser que les nouveaux outils technologiques mis à leur disposition : ordinateur, eye tracker, etc. De nos jours, plus « aucune » étude ne s’effectue sans qu’elle soit programmée sur ordinateur. La contrepartie est que les compétences des chercheurs en psychologie se diversifient de plus en plus. Maintenant, les jeunes chercheurs en psychologie sont tous aussi des « informaticiens », ou du moins capables de programmer des expériences sur ordinateur. Une autre contrepartie est que la recherche s’effectue de plus en plus en équipe, regroupant des chercheurs et des ingénieurs de recherche, avec des compétences variées. De l’étude longitudinale à l’étude transversale du développement. Au début de la psychologie du développement, la plupart des observations étaient des observations longitudinales réalisées sur un nombre restreint d’enfants, généralement les propres enfants des psychologues. Dans une étude longitudinale, on étudie les mêmes sujets à diverses reprises pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, c’est-à-dire à des âges différents. Ce type d’étude avait l’avantage de permettre de repérer avec précision le moment d’apparition d’un comportement (changement du comportement), et de limiter les biais liés aux différences interindividuelles. Après les premiers travaux en psychologie du développement, les développementalistes ont eu le souci de systématiser davantage leurs données initialement obtenues à partir d’observations. Ils ont alors réalisé un nombre considérable de recherches en mettant au point, pour l’essentiel, des études non longitudinales mais transversales. Une étude transversale est une étude qui consiste à observer et à évaluer en même temps plusieurs groupes de sujets d’âges différents, par exemple 10 enfants âgés de 3 ans, 10 de 5 ans et 10 autres de 8 ans. Ce type d’étude a en effet l’avantage d’être moins difficile à entreprendre à cause de sa durée plus courte et du risque plus réduit de perte de sujets. Elle évite aussi les effets d’apprentissage des enfants d’un test à l’autre, et les biais d’échantillonnage liés au nombre réduit des enfants étudiés. Le risque est en effet de généraliser à tous les enfant le comportement observé chez un enfant particulier. Enfin, comme la durée des expériences est plus courte, les délais de publication se réduisent, ce qui répond aux exigences actuelles d’évaluation de la recherche. Pour ces différents © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 14 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) avantages, actuellement, les développementalistes réalisent donc essentiellement des études transversales. B.3.2. L’évolution dans les théories : d’une conception générale à une conception modulaire du développement. Une conception initiale d’un développement général de type linéaire. Avec l’émergence de la psychologie du développement, on a assisté à l’élaboration de plusieurs théories du développement général. Lors du premier congrès sur les stades de développement organisé en 1955 par l’association de psychologie scientifique de langue française, plus de 18 systèmes différents de stades ont été répertoriés, avec des chronologies qui n’étaient pas toujours concordantes. Dans ces théories, le développement de l’enfant était souvent conçu comme un processus linéaire, comme une amélioration progressive des capacités des enfants avec l’âge, l’enfant passant d’un stade où il ne sait pas faire à des stades successifs où il sait de plus en plus faire. Autrement dit, plus l’enfant est âgé et plus il sait (savoir) et sait-faire (savoir-faire). Cette conception d’un développement « linéaire » correspond à la représentation que l’on se fait du développement (plus on est grand, plus on sait !). Cependant, nos représentations du monde et de son fonctionnement ne correspondent pas toujours à la réalité. Parfois, on observe des changements brutaux dans les comportements de l’enfant, celui-ci passant d’un jour à l’autre d’un état où il ne sait pas faire à un état où il sait faire. Dans un domaine donné, on peut également observer une réduction des compétences avec l’âge (qui se spécialisent) plutôt qu’une augmentation. Jean Piaget a été le premier à remettre en cause une conception purement linéaire du développement en proposant une théorie dite constructiviste et structuraliste de la genèse de l’intelligence. La théorie constructiviste et structuraliste du développement de Jean Piaget (voir Lecture obligatoire). Dans sa théorie, Jean Piaget s’intéresse au développement de l’intelligence, qui est conçu comme la construction continue de connaissances, dont le but est d’améliorer l’adaptation du sujet à son environnement (constructiviste). Selon sa théorie, le développement ne se fait pas de façon linéaire, mais par stades avec des changements relativement brutaux d’un stade à l’autre. Ces changements interviennent lorsque le sujet est en état de déséquilibre, autrement dit quand il n’arrive plus à s’adapter à son environnement. Par exemple, lorsque la pensée réflexive se met en place, l’enfant n’arrive plus à faire ce qu’il faisait auparavant de façon purement automatique (stade sensori-moteur). Le développement de son intelligence, de ses capacités de réflexion sur ce qu’il fait et pourquoi il le fait, le force à changer de mode de fonctionnement intellectuel (stade opératoire). Il passe ainsi d’une pensée sensorimotrice à une pensée opératoire (voir lecture obligatoire 1). Selon Piaget, chaque stade de développement de l’intelligence est donc une forme d’équilibre dans les sous-systèmes constituant une structure cognitive d’ensemble (« mode de pensée »). Une structure est définie ici comme un système d’opérations en interrelation dont les rapports sont réglés par des lois, c’est-à-dire un mode de fonctionnement cognitif (ex. opératoire, formelle) (structuraliste). © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 15 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) Il différencie ainsi 4 stades, chacun caractéristique d’un mode d’intelligence spécifique : (1) Le stade de l'intelligence sensori-motrice (de la naissance à 2 ans) (2) Le stade de l'intelligence pré-opératoire (de 2 à 7-8 ans) (3) Le stade de l'intelligence opératoire concrète (de 7-8 ans à 11-12 ans) (4) Le stade de l’intelligence formelle (de 11-12 ans à 16 ans) Selon Piaget, le passage d’un stade à l’autre se fait par le jeu de 2 processus qu’il nomme assimilation et accommodation. En biologie, un organisme assimile de la nourriture, quand il absorbe des substances et les transforme. En psychologie, l’assimilation correspond à un processus similaire d’intégration, mais au niveau fonctionnel. L'enfant applique ce qu’il sait et ce qu’il sait faire - ses conduites (ses schèmes) et ses connaissances - aux nouveaux objets, aux nouvelles situations qu’ils rencontrent. Toutefois, quand ce qu’il sait ou sait faire ne s’avère plus approprié pour comprendre ou résoudre une nouvelle situation, l’enfant se voit obliger de mettre en œuvre des processus d’accommodation. Il va alors ajuster ou modifier ses conduites et ses connaissances aux nouvelles situations rencontrées. Il passe ainsi d’une forme d’intelligence à une autre forme d’intelligence. Prenons un exemple. Au début, le jeune enfant met en place un schème de succion pour explorer les objets qui l’entourent. Plus simplement dit, il met tout ce qu’il trouve à sa bouche. Ce schème est au début très efficace. Il l’applique à tout ce qu’il touche : sa tétine, puis sa petite girafe, puis la bride du sac de sa mère. Cependant, en grandissant, quand il accède à un autre environnement, ce schème peut s’avérer problématique. Il essaie de sucer l’oreille du chien, mais celui-ci le mort. Il suce les poils du balai. Mais, sa mère se met en colère et retire immédiatement le balai de sa bouche. Il comprend alors que ce schème ne peut plus être appliqué (assimilation) à tout ce qu’il touche. Il doit en prendre un autre pour certains objets particuliers (accommodation). De la même façon, l’enfant applique initialement le schème de préhension sur les objets qu’il voit. Aussi, quand il en a l’occasion, devant une flaque d’eau, il essaie de prendre l’eau dans ses mains. Mais, il se rend bien compte que cela ne marche pas. C’est impossible ! Par un processus d’accommodation, il va donc progressivement mettre en œuvre une autre stratégie : utiliser notamment un récipient (un outil) pour prendre l’eau. Pour finir sur les travaux de Jean Piaget, on peut citer les principales acquisitions de l’enfant qu’il a étudiées. On notera simplement la permanence de l’objet (erreur A – non B) au stade sensori-moteur (voir chapitre sur la méthode), et la réussite aux épreuves de conservation des substances au stade opératoire avec les arguments opératoires (identité, réversibilité, réciprocité) (voir Lecture obligatoire et vidéo ConservationLiquide4ansStade1). Remises en cause des théories générales du développement : vers une théorie des systèmes dynamiques. La théorie de Piaget a souvent remise en cause car le développement s’avère encore plus complexe qu’il ne l’a pensé (c’est peu dire !). Comme nous l’avons entrevu, il résulte en effet de l’interaction entre de multiples facteurs de nature différente. De sa théorie, on a donc seulement gardé l’idée intéressante d’équilibre entre différents sous-systèmes en interaction. En fait, la plupart des psychologues rejettent actuellement les grandes théories générales du développement. Pour eux, il n’y a pas un seul et unique développement, mais des développements propres à © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 16 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) chaque fonction, à chaque domaine de compétences (ex. perception visuelle, mémoire à court terme, attention, calcul mental, émotion, relations sociales, etc.). Ils adoptent donc une conception modulaire du développement (un pattern de développement propre à chaque module, à chaque fonction). Ainsi, pour certaines fonctions, on va assister à une amélioration des performances croissante avec l’âge (linéaire). Pour d’autres, les capacités vont au contraire décroitre avec l’âge. Des études ont par exemple montré que les capacités de discrimination des sons de parole diminuent au cours de la première année avec la spécialisation dans le traitement des sons de la langue maternelle. Les bébés japonais (entre 2 et 6 mois) arrivent par exemple à détecter la différence entre le son « r » et le son « l », ce dont sont incapables les adultes japonais, car ces deux phonèmes n’existent pas dans la langue japonaise. Pour d’autres fonctions encore, on va observer une stabilisation de la performance tout au long de la vie (ex. mémoire procédurale), ou une évolution en U révélant que le jeune enfant sait faire, puis ne sait plus faire, et sait de nouveau faire. Par exemple, dans le programme de conditionnement opérant à intervalle fixe (FI), on demande à l’enfant d’espacer ses réponses (appuis sur un bouton) d’un temps donné (ex. intervalle fixe de 10 s). Si l’enfant attend 10 s entre deux appuis, chaque appui donne lieu à un renforcement ; il voit un dessin animé de quelques secondes. S’il appuie pendant l’intervalle, ses appuis sont sans conséquence. Les études utilisant ce type de procédure ont observé des comportements d’attente chez les nourrissons et chez les enfants âgés de plus de 6 ans. En revanche, les enfants âgés entre 4 et 5 ans font n’importe quoi. Leur patron de réponse est totalement erratique. Ils appuient parfois tout au long de l’intervalle, s’interrompent et reprennent leurs appuis. L’évolution des performances avec l’âge forme ainsi une courbe en U. L’échec des enfants âgés de 4-6 ans s’expliquent en fait par un changement dans le mode de fonctionnement. Les enfants passent d’un apprentissage initial par conditionnement (automatique, guidé par les résultats de l’action) à un apprentissage par raisonnement, fondé sur des hypothèses verbales de comment cela pourrait fonctionner (et si j’attendais !). A 4-6 ans, ils accèdent à ce mode de raisonnement dit hypothético-déductif, ce qui leur permet de rompre avec un mode d’adaptation plus primitif. Cependant, ils n’ont pas encore les moyens d’envisager toutes les solutions possibles. Leur comportement reste donc incohérent. Et s’ils formulent une hypothèse, ils la maintiennent même si celle-ci s’avère inefficace. Pour des raisons liées au développement des fonctions exécutives, ils n’ont pas encore la flexibilité mentale suffisante leur permettant de changer de stratégie et d’en tester d’autres. Finalement, les développementalistes, qui s’intéressent aux évolutions de la science, préfèrent utiliser et étudier les théories spécifiques au développement de chaque fonction ou domaine de connaissances. Les seules théories générales du développement qui semblent de nos jours être crédibles sont celles basées sur les théories des systèmes dynamiques complexes, comme celle développée par Ester Thelen (1995). Selon cette théorie, le comportement observé (émergeant) à un âge donné, et dans un contexte donné, résulte de l’interaction dynamique entre différents sous-systèmes (modules) en développement. Ainsi, un comportement (marche) peut ne pas émerger à un âge donné bien que le sous-système en cause soit fonctionnel (marche automatique, flexion extension des jambes), parce qu’un autre sous- système en développement empêche son émergence (ex. tonus musculaire). Par exemple, on pensait que les bébés étaient incapables d’exploration visuelle (sous- système). Or, dès que l’on maintient leur tête dans l’axe du tronc (autre sous- système), alors ils s’en montrent capables. Le développement plus lent du maintien de la tête entrave ainsi l’émergence du comportement d’exploration visuelle. Le © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 17 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) comportement observé à un âge donné résulte donc de la dynamique entre différents systèmes en développement. Ainsi, pour conclure et me répéter, en psychologie du développement, on préfère de plus en plus étudier le développement de chacun des sous-systèmes (modules). On peut également noter que cette conception du développement de type modulaire (systèmes) a conduit aussi à une conception particulière de la prise en charge de l’enfant. Il ne s’agit plus de traiter l’enfant sous le prisme d’un a priori, d’une seule théorie, d’une seule solution, mais d’identifier (de diagnostiquer) par une démarche scientifique (série d’hypothèses validées ou non par différentes méthodes : observations, tests psychologiques, expérimentation) les différents facteurs (sociaux, affectifs, cognitifs, perceptifs, moteurs, neurologiques) en cause dans les problèmes rencontrés par l’enfant, et d’essayer d’agir sur chacun de ses facteurs en parallèle. Plus de facteurs seront pris en charge (du côté de l’enfant comme du côté de la famille et/ou de son environnement), plus les comportements de l’enfant s’amélioreront, et mieux il s’en portera. Aussi, dans le cadre de ce cours, nous n’aborderons pas directement des théories générales du développement, mais des théories plus spécifiques du développement de certaines grandes fonctions. Bibliographie Pour en savoir plus Ariès, P. (1960). L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Paris : Le seuil. Houdé, O. (2004). La psychologie de l’enfant. Que sais-je ? Paris : PUF. Piaget, J., & Inhelder, B. (1966). La psychologie de l’enfant. Paris : PUF. Thelen, E., & Smith, L. (1995). A dynamic systemic approach to the development of cognition and action. Cambridge : MIT Press. Thomas, M., & Michel, C. (1994). Théories du développement de l’enfant. Bruxelles : DeBoeck Université. II. Les méthodes d’étude de l’enfant. Comme nous allons le voir, en psychologie du développement, il n’y a pas de méthode d’étude idéale. La méthode utilisée doit simplement être la meilleure au regard de l’âge de l’enfant étudié et du problème posé. Il est évident que la méthode change si l’enfant est verbal ou non, s’il peut ou non comprendre des instructions verbales. Dans une démarche scientifique, il faut donc connaître les différentes méthodes existantes afin d’être en mesure d’apporter une série d’arguments en faveur du choix de l’une ou de l’autre de ces méthodes. En tant que psychologue praticien, il faut aussi toujours rester conscient de l’efficacité (limites, avantages) de la méthode de prise en charge utilisée pour l’enfant dont on a la responsabilité. Il ne faudrait pas choisir une méthode pour sa facilité d’utilisation ou simplement notre ignorance des autres méthodes existantes (formation continue tout au long de la carrière d’un psychologue nécessaire), et trouver des justifications a posteriori nous permettant de préserver notre égo, notre bonne conscience professionnelle. Je rappelle que le doute et la conscience de son ignorance sont des moteurs puissants de la connaissance. Comme le dirait Drozda-Senkowska (2018, p.107) dans son chapitre sur la psychologie de la connerie, « à condition que l’on sache qu’on ignore et que l’on sache ce que l’on ignore ». © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 18 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) Ainsi, pour chaque cas, pour chaque problème rencontré, pour chaque question posée, un diagnostic préalable (validation d’hypothèses) s’impose toujours, permettant de choisir la méthode la plus appropriée. Un médecin ne donne pas toujours le même médicament. Il fait au préalable un diagnostic. C’est la même chose en psychologie, on fait un diagnostic et, selon le cas rencontré, on choisit la thérapie la plus appropriée. On peut décider par exemple de mener une longue série d’entretiens pour des patients ressentant un mal-être si on a bien vérifié au préalable qu’ils ne souffrent pas de troubles plus graves. En revanche, ces entretiens auront peu d’efficacité chez les personnes souffrant de phobies. D’autres méthodes sont plus rapides et plus efficaces. J’y reviendrai. Les connaissances en psychologie du développement, mais aussi la pratique professionnelle, facilitent donc le diagnostic et le choix des méthodes. A - L’observation. L’observation est certainement la méthode la plus ancienne et la plus souvent utilisée. Comme nous l’avons vu, il s’agit de l’investigation d’un phénomène sans que le chercheur intervienne. On distingue 2 types d’observation : (1) l’observation libre et (2) l’observation fermée. Dans le cas des observations libres, les observations sont faites sans cadre prédéfini. Le psychologue observe l’enfant dans une classe ou dans une salle de consultation et prend des notes sur ce qu’il constate. Ces observations peuvent être soit directes, soit indirectes. Dans le premier cas, c’est le psychologue qui observe directement, c’est-à-dire par lui-même, l’enfant. Dans le second cas, il recueille des observations de façon indirecte au moyen d’entretiens avec ceux qui ont fait ces observations. Il s’agit le plus souvent des parents ou des enseignants. Cette dernière méthode est couramment utilisée pour sa commodité. Mais, il faut savoir qu’elle a beaucoup été critiquée pour plusieurs raisons. Une première raison réside dans le manque d’objectivité de l’observateur. Par exemple, une mère peut raconter que son enfant est insupportable, alors que c’est elle qui n’est plus en mesure d’assumer son enfant. Une deuxième raison est la tendance inconsciente de l’observateur à vouloir confirmer ses hypothèses de départ, valider ses formations d’impression. L’attention du psychologue est alors plus centrée sur les aspects du comportement venant valider plutôt qu’infirmer ses hypothèses. S’il est convaincu que la source des problèmes de l’enfant est d’ordre sexuel, il risque alors d’aller rechercher le moindre indice validant ses hypothèses quitte parfois à déformer un peu la réalité. Une troisième critique est relative au moment où est faite l’observation (t) qui n’est toujours représentatif de la généralité. Par exemple, l’enfant peut se montrer agressif mais uniquement dans des circonstances particulières que l’observateur rencontre rarement en présence de l’enfant. De plus, la seule présence de l’observateur peut changer le comportement de l’enfant, celui-ci inhibant ses comportements agressifs habituels. Enfin, l’observation libre ne permet pas d’analyser les pensées de l’enfant qui, par définition, ne sont pas observables. Conscients des limites de la méthode d’observation libre, les psychologues préfèrent utiliser la méthode d’observation fermée. Dans le cas d’observations fermées, le psychologue utilise une grille d’observation. Celle-ci est construite afin d’observer et d’analyser des comportements bien particuliers, définis au préalablement sur la base des hypothèses du psychologue. De nos jours, lorsque les psychologues utilisent cette méthode d’observation fermée, ils ne se contentent plus de cette dernière pour tirer des conclusions. Ils utilisent toute une série d’autres © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 19 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) méthodes, dont les tests neuropsychologiques qui relèvent de la psychométrie, que nous allons maintenant évoquer de façon très succincte. B - Psychométrie - tests d’évaluation neuropsychologique : principes de base. B.1. Identification des troubles : Troubles neurologiques, Troubles du développement. Parmi les méthodes les plus souvent utilisées en psychologie du développement, on trouve celles qui relèvent de l’évaluation neuropsychologique de l’enfant (voir Mazeau, 2003 et cours de psychologie clinique). Il s’agit d’une série de tests permettant de dresser un bilan neuropsychologique de l’enfant. Ce bilan correspond aux résultats d’un enfant à toute une série de tests évaluant ses différentes capacités sensori-motrices et cognitives. Ce bilan s’impose toujours afin d’aider au diagnostic des problèmes rencontrés par l’enfant et d’en valider ou d’en infirmer les sources neurologiques. Il permet notamment d’identifier 2 types de troubles : (1) des troubles neurologiques et (2) des troubles de développement. Les troubles neurologiques sont liés à un problème cérébral clairement identifié ou à une pathologie « organique » (handicap moteur, handicap mental, IMC). Des malformations, des lésions sont donc généralement visibles en neuroimagerie. Elles peuvent provenir d’une (1) malformation neurologique, (2) d’une tumeur ou (3) d’un accident vasculaire (traumatisme, hémiplégie cérébrale). Par exemple, des enfants peuvent présenter des troubles précoces de coordination motrice qui sont dus à une tumeur du cervelet diagnostiqué généralement avant l’âge de 5 ans pour 40 % des enfants et entre 5 et 9 ans pour 31 % d’entre eux (Medulloblastome). Les troubles du développement surviennent quant à eux sans précédents neurologiques ou causes neurologiques clairement identifiées par imagerie cérébrale. Néanmoins, ces troubles du développement peuvent être dus à des microlésions au niveau cérébral non visibles par IRM, ou à des dysfonctionnements dans les neuromédiateurs ou dans la liaison entre différentes régions du cerveau. Quoi qu’il en soit, dans ce cas, on parle de pathologie fonctionnelle ou de dysfonctionnement fonctionnel. Il peut s’agir de dysphasie développementale, de dyspraxie développementale, de troubles développementaux de l’attention ou de troubles des fonctions exécutives caractérisés par une importante lenteur, etc. B.1.2. Distribution normale des scores : moyenne et variabilité. En psychologie du développement, on apprend donc les différents tests neuropsychologiques et, pour chaque test, les normes de performance en fonction de l’âge de l’enfant. Dans ce cours, nous noterons seulement que les normes de performance à un test donné permettent de repérer un retard de développement. Par exemple, si l’on utilise le test de la mémoire des chiffres du WISC-IV (extraits ci- dessous), on calcule la note obtenue à ce test par l’enfant, âgé par exemple de 7 ans. Puis, on convertit cette note brute en note standard dépendant de l’âge de l’enfant. En effet, une même note brute n’a pas la même signification si l’enfant est âgé de 7 ans ou de 10 ans. Enfin, on analyse la différence entre cette note standard et la note moyenne obtenue par un échantillon d’enfants du même âge. Quand l’enfant obtient une note standard qui diffère de cette note moyenne (norme à un âge © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 20 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) donnée), alors on peut subodorer un problème de développement pour la fonction en cause. Extraits du Test de mémoire de chiffres du Wisc-4 → Subtest : Ordre direct Consigne : “Je vais te lire une série de chiffres et tu dois la répéter dans le même ordre que celui que je viens de te donner.” Item 1 Essai 1 : 2-9 Note : 0 – 1 Essai 2 : 4-6 Note : 0 – 1 Item 2 Essai 1 : 3-8-6 Note : 0 – 1 Essai 2 : 6-1-2 Note : 0 – 1 → Subtest : Ordre inverse Consigne : “Je vais te lire une série de chiffres et tu dois les répéter dans le sens inverse.” Item 2 Essai 1 : 3-5 Note : 0 – 1 Essai 2 : 6-4 Note : 0 – 1 Item 3 Essai 1 : 5-7-4 Note : 0 – 1 Essai 2 : 2-5-9 Note : 0 – 1 Cependant, pour chaque tranche d’âge, il existe une certaine variabilité interindividuelle. On est tous différents, plus ou moins intelligents. C’est normal ! Il faut le reconnaître et l’admettre. Nos enfants ne seront pas des prix Nobel. Mais, nous ne sommes pas des prix Nobel ! Tant que ces différences d’intelligence restent dans le « normal » - la norme - elles ne posent pas de problème. Elles ne permettent pas de prédire les échecs ou réussites individuelles. Les performances varient donc d’un enfant à l’autre ! Cette variabilité interindividuelle est dite normale ou du moins représentative de la population normale. Par exemple, sur la Figure 3, on peut voir la distribution des résultats au Quotient intellectuel (QI) pour une population donnée. Chez l’adulte, la moyenne du QI est 100 (90-110) avec une certaine dispersion en deçà et au-delà de cette moyenne (écart-type = 15). On parle alors de retard de développement uniquement si la performance de l’enfant est en dessous de 2 écart-types de la moyenne. Un adolescent avec un QI supérieur à 70 est donc dans la norme gaussienne, même si avec ce QI inférieur à 90 il rencontrera des difficultés scolaires. La déficience mentale ne commence en tant que telle qu’à une valeur de QI inférieure ou égale à 70. Selon l’OMS, les sujets sont classifiés comme présentant : - (1) une déficience mentale profonde pour un Q.I. inférieur ou = à 25 - (2) une déficience mentale sévère pour un QI entre 25 et 40 - (3) une déficience mentale modérée pour un QI entre 40 et 55 - (4) une déficience mentale légère pour un QI entre 55 et 70 - (5) une déficience mentale limite pour un QI entre 70 et 85. En revanche, ils sont considérés comme : © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 21 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) - (6) doués pour un QI entre 115 et 130, - (7) et surdoués pour un QI au dessus de 130. Le psychologue, notamment le psychologue scolaire, commence toujours par calculer le QI de l’enfant, lorsque ce dernier rencontre des difficultés dans les apprentissages, en utilisant le plus souvent l’échelle K-ABC. C’est pour cette raison que les étudiants en psychologie sont formés ou doivent se former à l’utilisation des échelles d’intelligence. Il faut donc connaître par cœur le nom des échelles d’intelligence suivantes utilisées pour une tranche d’âges donnée : - WAIS (Wechsler Adult Intelligence Scale) pour les adultes âgés de 16 ans à 89 ans. - WISC (Wechsler Intelligence Scale for Children) pour les enfants âgés de 6 à 16 ans. - WPPSI (Wechsler Preschool and Primary Scale of intelligence) pour les enfants âgés de 2.6 à 7.3 ans. - K.ABC (Kaufman Assessment Battery for Chidren) pouvant également être utilisée pour des enfants âgés de 2 ans ½ à 12 ans ½. Cependant, il faut bien garder à l’esprit qu’un QI n’est qu’un indicateur grossier permettant de repérer des retards intellectuels importants qui seraient à l’origine de grandes difficultés scolaires. On ne peut en effet se contenter de cet indicateur global. Un enfant intelligent peut très bien avoir des difficultés cognitives particulières qui causent son échec scolaire. Par exemple, un enfant souffrant de troubles d’attention avec hyperactivité est aussi intelligent que les autres, mais ses problèmes d’attention l’empêchent souvent d’apprendre, de réussir à l’école, voire de réussir un test de QI. Pour autre exemple, un enfant peut avoir un faible score de QI, qui n’est pas lié à son manque d’intelligence, mais à des problèmes d’acquisition du français, tel qu’il obtient toujours de mauvaises notes aux tests verbaux du QI. Il faut donc utiliser toute une série d’autres tests neuropsychologiques spécifiques, ou des subtests d’une échelle donnée (ex. test de la mémoire des chiffres du WISC-IV évaluant les capacités de mémoire de travail) afin d’évaluer les différentes capacités cognitives, relatives par exemple à l’attention, la vitesse de traitement de l’information, la mémoire de travail ou l’imagerie mentale. Il s’agit ici de l’approche modulaire que nous avons déjà évoquée. C - Les méthodes expérimentales d’étude du comportement. Pour étudier les compétences de l’enfant d’un point de vue scientifique, on préfère utiliser la méthode expérimentale. La procédure expérimentale utilisée change en fonction des objectifs du chercheur. Cependant, pour appréhender les compétences des très jeunes enfants, qui sont incapables de comprendre des consignes verbales, des méthodes particulières sont utilisées dont nous allons présenter quelques exemples ci-dessous. C.1. La réaction aux événements impossibles. Dans le dossier 4, vous trouverez un texte (Lecture obligatoire 2) à lire obligatoirement qui décrit la méthode utilisée par Karen Wynn en 1992 pour mettre © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 22 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) en évidence les compétences numériques du bébé. Cette méthode est basée sur les résultats d’études précédentes montrant la faculté des bébés âgés de 4-5 mois à détecter des événements physiquement impossibles. En effet, ces études ont montré que le très jeune enfant manifeste une forte surprise lorsqu’il voit des transformations qui ne respectent pas certaines lois fondamentales de la physique, ou plus simplement dit, certaines propriétés du réel. Le bébé est par exemple étonné quand il voit un premier objet (une boule) en heurter un second (une boule) sans que cela provoque de façon immédiate son déplacement (relation causale). Il est également étonné quand 2 objets physiques occupent la même place dans l’espace, deux objets ne pouvant s’interpénétrer. Si l’on place un grand bâton derrière un écran avec les 2 bouts de ce bâton qui dépassent (a), et l’on retire ensuite l’écran (b), il est également étonné de voir deux morceaux de bâton séparés par un vide, s’attendant à voir un seul bâton (c) (unité de l’objet, Kellman & Spelke, 1983). (a) (b) (c) De même, le bébé est fort surpris quand on cache un objet derrière un écran et qu’il ne le voit plus lorsque l’écran s’abaisse (Baillargeon, Spelke & Wasserman, 1985). Pour lui, l’objet devrait s’y trouver car il possède ce qu’on appelle la permanence de l’objet, que nous avons déjà évoquée. Pendant longtemps, sous l’influence des travaux de Piaget (Permanence de l’objet / Epreuve A non B), on pensait que le bébé n’était pas capable de « permanence de l’objet ». Piajet considérait que jusqu’à l’âge 2 ans « l’univers de l’enfant était un monde sans objet ne consistant qu’en tableaux mouvants et inconsistants, qui apparaissent puis se résorbent totalement, soit sans retour, soit en réapparaissant sous une forme modifiée ou analogue » (p. 20, Piaget & Inhelder, 1966). Autrement dit, il pensait que, pour le très jeune enfant, les objets ne continuent pas à exister lorsqu’ils ne sont plus visibles (dans le cadre du travail personnel demandé, vous devez rechercher à quoi correspond l’Epreuve A non B afin d’être capable de décrire cette épreuve) (voir aussi vidéo Dossier 3). Or, Jean Piaget s’est trompé ! Grâce à l’étude des réactions des enfants aux événements impossibles, Rénée Baillargeon de l’université d’Illinois a démontré que, dès l’âge de 4-5 mois, la permanence de l’objet est acquise. Contrairement à ce que pensait Piaget, le bébé possède bien des connaissances de base lui permettant de vivre dans un mode cohérent (Spelke, 1994). Quoi qu’il en soit, dans toutes les situations dites d’événement impossible, la surprise de l’enfant se traduit par une augmentation du temps qu’il consacre à regarder la scène dite « impossible » par rapport à une scène de contrôle où les lois évidentes de la physique ne sont pas violées. Dans ses travaux sur les compétences numériques des bébés, Karen Wynn a donc étudié leurs réactions aux événements impossibles dans la situation où l’on montre à l’enfant le résultat d’une addition ou d’une soustraction possible, c’est-à-dire juste (1 + 1 = 2 ; 3 – 1 = 2) ou impossible, c’est-à-dire fausse (1 + 1 = 1 ; 1 + 1 = 3 ; 2 – 1 = 2). Plus précisément, Karen Wynn utilise deux Mickey et une sorte de petit théâtre de marionnettes doté d’un écran amovible (LO2). Elle dépose d’abord un premier Mickey sur le devant de la scène, puis l’écran se lève et masque Le Mickey. Ensuite, elle retire sa main. Elle prend © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 23 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) alors le deuxième Mickey et le glisse derrière l’écran, puis retire de nouveau sa main. Enfin, l’écran s’abaisse et l’enfant voit 2 Mickey (événement possible) ou 1 seul Mickey (événement impossible), Karen Wynn en ayant retiré un subrepticement. Elle enregistre alors la durée de fixation de l’événement perçu par l’enfant. Les résultats montrent que les bébés de 5 mois fixent plus longtemps l’événement impossible que l’événement possible. Ceci prouve qu’ils sont surpris par l’événement impossible. Or, s’ils jugent cet événement surprenant, c’est qu’ils ont anticipé l’événement possible. Ils s’attendaient à ce que 1 + 1 = 2. L’utilisation de cette méthode des réactions aux événements impossibles a donc permis de montrer que le bébé âgé de 4-5 mois est capable d’une certaine forme de calcul numérique élémentaire (évaluation des petites quantités). Cette méthode est maintenant couramment utilisée pour évaluer les connaissances précoces des bébés. C.2. Les méthodes d’apprentissage. Pour évaluer les compétences des jeunes enfants, les chercheurs utilisent aussi des méthodes d’apprentissage. Dans le cadre de ce cours, nous allons voir les 3 types d’apprentissage qui sont le plus souvent utilisés pour l’étude des compétences des très jeunes enfants : l’habituation, le conditionnement classique et le conditionnement opérant. C.2.1. L'habituation. L’habituation. L'apprentissage par habituation correspond à un des apprentissages les plus simples. On le trouve chez tous les organismes, y compris des organismes unicellulaires. Le phénomène d'habituation a été plus particulièrement étudié par Kandel (1970) chez l'Aplysie de Californie, un gros mollusque marin ressemblant à une limace de mer. Si l’on stimule de façon tactile son manteau, celui-ci se rétracte momentanément. Mais si l’on répète cette stimulation tactile à intervalle régulier, cette réaction disparaît. L'Aplysie a donc appris à ne plus répondre à une stimulation donnée. Le phénomène d'habituation se définit alors comme une diminution progressive de l'intensité ou de la fréquence d'apparition d'une réponse à la suite de la présentation répétée d'une stimulation donnée. Cette forme d ‘apprentissage est fondamentale à la survie de l'animal car elle lui permet de s'adapter à son environnement, c'est-à-dire d'apprendre à ignorer ce qui n'est pas dangereux, pour ne réagir, de façon rapide, qu’à ce qui l'est réellement. La sensibilisation. La première fois qu'un organisme est exposé à un stimulus, il réagit souvent de façon très vive. Un chiot, par exemple, est tout apeuré lorsqu’il rentre pour la première fois dans sa nouvelle maison. Il sursaute au moindre bruit. On appelle ce phénomène "un phénomène de sensibilisation". Il s'agit de l'augmentation rapide et temporaire d'une réponse à un stimulus nouveau. Cette augmentation est temporaire parce qu’elle apparaît seulement au cours des premières présentations du stimulus. Elle laisse ensuite rapidement place au phénomène d'habituation. Après quelques minutes, notre petit chiot se promène tranquillement dans la maison. © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 24 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) L'habituation n’est pas de la fatigue. Le phénomène d'habituation correspond à une diminution de la réponse avec la présentation répétée d'un même stimulus. Toutefois, on peut penser qu'il s'agit simplement d'un problème de fatigue physique. Sur la Figure correspondant à l’habituation, nous avons représenté ce qui correspondrait à de la fatigue et ce qui correspondrait à de l'habituation. Prenons le cas de la fatigue musculaire. Si une réponse motrice est trop répétée, on observe effectivement une diminution graduelle de la réponse. Le phénomène d'habitation n'est donc pas le seul à pouvoir provoquer une réduction de la réponse. Cependant l'habituation se distingue de la fatigue parce qu'elle est spécifique à un stimulus, alors que la fatigue est spécifique à une réponse. Par exemple, si on présente à un nourrisson un stimulus (stimulus 1) et que l'on enregistre comme variable dépendante le temps de fixation visuelle, au bout d'un certain nombre de présentations, le temps de fixation va diminuer. On assiste à une certaine fatigue physique. Le nourrisson est en effet plus fatigué en fin qu'en début de séance. Ensuite, on lui présente un nouveau stimulus (stimulus 2). Dans le cas de la fatigue, il ne réagit pas au nouveau stimulus car la fatigue physique en tant que telle reste la même, voire s'accentue. Le nourrisson n’a donc plus l’énergie physique suffisante pour pouvoir répondre. En somme, la fatigue est propre à une réponse donnée et non à un stimulus. Contrairement à la fatigue, l'habituation est sélective, dans le sens où elle est spécifique à un stimulus. Reprenons l'exemple précédent. D'abord, on présente au nourrisson le stimulus 1 de façon répétitive. L'enfant s'y habitue, c'est-à-dire que le temps de fixation visuelle diminue, comme pour la fatigue. Puis, on présente le stimulus 2. Mais cette fois, on constate que le temps de fixation visuelle augmente à nouveau. Pourquoi ? Parce que précisément, l'habituation est sélective. Elle s'est effectuée pour le stimulus 1 et non le stimulus 2. Le phénomène de déshabituation. Comme son nom l'indique, la déshabituation correspond à une sorte d'annulation de l'habituation. Il s'agit d'une réapparition de la réponse après une phase d'habituation. Ceci se produit normalement pour le même stimulus. Mais, par généralisation un peu abusive, on parle maintenant de déshabituation pour tous les cas, que ce soit pour la présentation d'un même stimulus ou d'un stimulus nouveau, différant plus ou moins de celui présenté dans la phase d'habituation. La déshabituation correspond donc à une augmentation de la fréquence ou de l'intensité de la réponse à la présentation d'un stimulus partiellement ou totalement nouveau par rapport au stimulus présenté dans la phase d'habituation. Le phénomène de déshabituation peut s'observer dans 2 cas principaux : * Lorsque le sujet perçoit un changement, c’est-à-dire une différence entre deux stimuli : le stimulus "habituel" et le stimulus jugé nouveau. La déshabituation s’apparente alors à une réaction à la nouveauté. * Lorsqu'un certain temps s'est écoulé depuis la phase d'habituation. Dans ce cas, on parle d'une récupération spontanée de la réponse habituée. Cette récupération spontanée existe pour la plupart des réponses. Toutefois, le niveau de réponse obtenu dans ce cas est généralement inférieur au niveau de réponse initial. © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 25 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) En outre, plus les séances d'habituation sont répétées, plus la récupération de la réponse est faible. Il s'agit ici de ce qu'on appelle la potentialisation de l'habituation. La méthode d’habituation est certainement celle qui a été la plus utilisée pour mettre en évidence les capacités de discrimination du très jeune enfant. Elle a notamment été utilisée dans la plupart des études sur la discrimination des sons de parole chez le bébé. A ce propos, on peut rapidement décrire la procédure utilisée par Peter Eimas (Figure 4). Dans son étude, Peter Eimas a enregistré la succion non nutritive des bébés en introduisant un capteur de pression à l’intérieur d’une tétine. La succion nutritive est une activité rythmique, composée d’une phase de succions (pression sur la tétine) suivie d’une phase de pause. Il a alors enregistré la fréquence de succion du bébé à chaque présentation de la syllabe Ba. Comme on peut le voir sur la Figure 4, la fréquence de succion diminue au fur et à mesure des essais, ce qui témoigne d’un phénomène d’habituation au son Ba. Ensuite, Peter Eimas a présenté une autre syllabe, au lieu de présenter Ba, il a présenté Pa. On observe alors que la fréquence de succion augmente à nouveau. En revanche, si au lieu de Pa, on continue à présenter le son Ba, rien ne change. Ceci révèle que le bébé perçoit clairement la différence entre le son Ba et Pa. Il discrimine donc bien ces 2 syllabes. C.2.2. Le conditionnement classique. Les procédures de conditionnement classique ont aussi été souvent utilisées pour mettre en évidence les compétences des jeunes enfants. Le principe du conditionnement classique étudié par Ivan Pavlov, un psychologue russe, sur le réflexe de salivation du chien est maintenant très connu. Vous l’étudierez dans d’autres unités d’enseignement. Rappelons néanmoins son principe. Lorsqu’on utilise un son, chez un chien, ce son va déclencher une réponse d'orientation : il dresse les oreilles. Mais, ce son n’a pas le pouvoir en lui-même de déclencher le réflexe de salivation. On parle donc d’un stimulus initialement neutre (SN), dans la mesure où, avant le conditionnement, il ne provoque pas la réponse inconditionnelle (RI) de salivation. En revanche, la vue de la nourriture, d'une poudre de viande, provoque cette réponse de salivation. La nourriture est donc un stimulus inconditionnel (SI) qui provoque une réponse inconditionnelle, la salivation (RI). Lors de la phase de conditionnement, la présentation du son est suivie de près de celle de la poudre de viande. La poudre de viande joue donc le rôle de renforcement. Elle renforce la capacité du SN (son) à provoquer la salivation. Vers la 5e présentation renforcée du SN, la salivation apparaît avant la présentation de la poudre de viande. Une liaison conditionnelle a donc été établie entre le son et la salivation. Ainsi, le stimulus neutre est-il devenu un stimulus conditionnel (SC) qui provoque une réponse non plus inconditionnelle, mais conditionnelle (RC). Le principe du conditionnement classique a été utilisé pour étudier les capacités d’apprentissage du nouveau-né. En exemple, nous citerons l’expérience réalisée par Brackbill et Fitzgerald (1972) à propos du conditionnement au temps de la réaction de dilatation ou de constriction de la pupille chez les bébés âgés de 1 à 3 mois. Dans leur expérience, le bébé était placé soit dans une salle sombre (lampe éteinte), soit dans une salle éclairée (lampe allumée). Toutes les 20 secondes, l’expérimentateur changeait l’éclairage de la salle pendant 4 s (essais), il allumait ou éteignait la lampe, ce qui déclenchait respectivement une réaction de constriction et de dilatation des pupilles. Puis, après le conditionnement à ce changement d’éclairage toutes les 20 secondes, des essais « test » ont été introduits pendant © Droit-Volet, Clermont-Ferrand, 2021-2022 26 (©Respect des droits d’auteur - Divulgation et reproduction de ce cours interdites sans autorisation préalable) lesquels aucun changement d’éclairage n’était effectué. Les chercheurs ont alors obtenu chez le bébé des réactions de constriction ou de dilatation des pupilles alors qu’il n’y avait eu aucun changement d’éclairage. Brackbill et Fitzgerald ont ainsi mis en évidence un conditionnement au temps de la réponse pupillaire chez le très jeune enfant. Depuis lors, on sait que d’autres comportements peuvent être conditionnés de façon précoce, notamment des comportements alimentaires. C.2.3. Le conditionnement opérant (dit aussi intrumental). Dans la vie quotidienne, il existe de nombreuses situations d'apprentissage instrumental que l’on appelle également de conditionnement opérant. Le principe commun à toutes ces situations est que le sujet produit d’abord un comportement. L’enfant dit par exemple un gros mot ou accepte un bonbon donné par un étranger. Ce comportement a une conséquence sur l'environnement (réaction des parents). Et, selon la nature de cette conséquence - appétitive (félicitations des parents) ou aversive (désapprobation des parents) - la probabilité de réapparition de ce comportement change. La conséquence d'un comportement a donc le pouvoir de changer sa probabilité d’apparition. On parle de renforcement du comportement quand les conséquences de l’action ont pour effet de modifier à la hausse sa probabilité de réapparition (augmentation de la fréquence du comportement). On parle de punition quand les conséquences de l’action (stimulus) ont pour effet de modifier à la baisse sa probabilité de réapparition (diminution de la fréquence du comportement). De plus, le renforcement ou la punition peut être positif ou négatif. A la notion de renforcement et de punition, on ajoute le qualificatif de positif quand on apporte une conséquence

Use Quizgecko on...
Browser
Browser