Droit des services publics PDF

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This document is an introduction to French public service law. It examines the evolving concept of "service public", its legal framework, and its connection to the state. The document explores the historical background and legal aspects influencing the notion of public service.

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Droit des services publics Introduction : La notion de « service public » La notion de service public est évolutive, protéiforme et donc difficile à cerner. En effet, avant d’être une notion juridique, c’est une notion politique. Elle a alors été, et est toujours, instrumentalisée par les...

Droit des services publics Introduction : La notion de « service public » La notion de service public est évolutive, protéiforme et donc difficile à cerner. En effet, avant d’être une notion juridique, c’est une notion politique. Elle a alors été, et est toujours, instrumentalisée par les différents courants politiques. La notion évoluant en permanence, le juge n’a jamais souhaité poser des critères clairs de définition du « service public », afin de laisser au politique la marge de manœuvre indispensable à l’appréhension d’une telle notion. Au surplus, le « service public » est une notion instrumentale dans la définition, par le juge administratif, du « droit administratif » et de se propre compétence. L’évolution de la notion est alors tributaire de l’objectif poursuivi par le juge. Aujourd’hui, un élément supplémentaire vient rajouter un degré de complexité supplémentaire à la notion : l’ouverture du droit français au droit de l’Union européenne. La notion de « service public » et les modalités de sa gestion sont spécifiquement françaises, on parle d’ailleurs de « service public à la française ». Or, le droit européen relatif aux services publics est fondé sur des concepts différents, notamment ceux de « service intérêt économique général » ou de « service universel ». Cette ouverture est alors une facteur supplémentaire de complexité de la notion. À la notion, il faut rajouter le régime. Définir le « service public » ce n’est pas déterminer son régime juridique. Or, ce dernier se laisse aussi difficilement appréhender que la notion. En effet, le régime des services publics n’a jamais été uniforme. La distinction entre les « services publics administratifs » (dits SPA) et les « services publics industriels et commerciaux » (dits SPIC) rappelle la dualité des régimes juridiques des services publics. Mais, elle ne doit pas cacher la très grande diversité qui va bien au-delà d’une opposition SPA / SPIC, ou encore droit public / droit privé. En effet, le droit des services publics varie d’un service à l’autre : de l’éducation nationale à la fourniture d’électricité, de l’Opéra de Paris aux ponts à péage, en passant par le Trésor public ou la gestion des piscines municipales, la diversité des services publics conduit inévitablement à un éclatement du régime juridique. L’introduction va rappeler les déterminants historiques de cette diversités (Chapitre introductif), les contours juridiques de la notion (Partie 1) et les grandes lois applicables au service public (Partie 2). 1 Chapitre introductif : Les services publics et l’État La notion de « service public » est consubstantielle à l’idée d’État. En effet, il y a, au cœur de la fondation de l’État, le besoin de prise en charge par une institution tierce des activités que les individus ou la collectivité ne peuvent assurer spontanément. En effet, le rôle de l’État ne se limite pas à la sécurité, qu’il n’est pas réellement possible de qualifier de « service public ». Ce dernier est lié à un impératif d’une autre nature : assurer la reproduction de la collectivité, garantir sa pérennité par le maintien des conditions nécessaire à cette reproduction. Pour une large collectivité, la sécurité au sens stricte est insuffisante, il faut assurer le renouvellement des conditions, matérielles notamment, du pacte social, du vivre-ensemble, et c’est le rôle de l’État de prendre en charge ces conditions. C’est alors qu’émerge la notion de « service public ». À titre d’exemple, l’alimentation en eau, l’évacuation des eaux usées et des déchets était déjà une préoccupation chez les grecs et les romains. Lorsque l’État va réellement émerger en tant qu’institution, il sera lié à l’idée de répondre aux besoins collectifs. L’État existe, en partie, parce que certaines activités doivent être gérées de manière collective. Mais, ce lien rend délicate l’appréhension de la notion de « service public ». En effet, les besoins de la collectivité, et donc les « services publics » qui y répondent, dépendent assez largement des spécificités (géographiques, historiques, culturelles, structurelle, etc.) de la collectivité en cause. Certains services qualifiés de « services publics » aujourd’hui n’existaient pas il y a cent ans. La notion juridique de « service public » qui émerge au début de 20 ème siècle est l’héritière de ces ambiguïtés. Le juge ne doit pas poser des critères trop contraignants, il se doit de préserver la plasticité de l’idée de « service public » en ne l’enfermant pas dans une qualification juridique trop étroite. La définition juridique doit être suffisamment souple pour pouvoir permettre l’adaptation permanente de la notion aux évolutions sociales. L’étude historique du « service public » démontre l’évolution des tâches prises en charge par l’État. La variation dans le temps de la définition même du « service public » est le révélateur des mutations des activités confiées à la gestion de l’État et donc du rôle qui lui est dévolu. Schématiquement, il est possible de dégager trois périodes, où la définition de l’idée de « service public » va évoluer. Lorsque l’État apparaît, au sens contemporain du terme, le rôle qui lui est assigné dans la société est très limité (section 1). Plus l’État va s’ancrer dans le droit et dans les consciences, plus la gamme des services publics va s’élargir et avec elle la perception du rôle de l’État va changer (section 2). Aujourd’hui, c’est la mutation de l’encadrement 2 juridique des services publics qui révèle une évolution du rôle de l’État, qui perd notamment de son exorbitance (section 3). Section (1 ) Le service public : signe d’un État limité Chronologiquement, la notion de « service public » apparaît avec la jurisprudence du Conseil d’État au 19ème siècle, mais dans un sens globalement limité : le service public est assimilé à l’État et aux activités de l’État (§1) signe d’une conception globalement libérale de l’État où sa marge d’action est limitée (§2). § (1) Le service public : activité de l’État Il existe, par essence, des activités qui relèvent de l’État et d’autres des individus. La véritable question est celles de frontières entre l’une et l’autre. Il n’y a pas de réponse unanime à cette question (A). En revanche, à partir du 19ème siècle, une qualification émerge, notamment en jurisprudence, pour désigner les activités qui relèvent de l’État : le « service public » (B). A) Sphère privée et sphère publique La question du rôle assigné à l’État est aussi ancienne que l’État. Elle peut s’appréhender avec l’idée de « sphères ». À la « sphère » de l’autonomie individuelle, les activités que les individus peuvent poursuivre sans rencontrer d’obstacles imposés par l’État, s’oppose la « sphère publique », la sphère des activités que l’État doit prendre en charge, pour assurer la reproduction des conditions de pérennité de la collectivité. Dans la mesure où certaines activités individuelles peuvent remettre en question les conditions de cette pérennité, la sphère publique doit alors intervenir dans la sphère privée. La question fondamentale est alors celle des limites de ces sphères privées et publiques. L’idée de balance entre les intérêts publics et les intérêts privés est esquissée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La propriété́ entant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité́ publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité́ » (art. 17). Mais la relativité de la frontière est illustrée par la Constitution de l’an III, selon laquelle : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler » (art. 21). En effet, la Convention a largement intégré l’idée d’activités d’intérêt général, que ce soient les hôpitaux, les messageries ou l’assistance sociale. Condorcet qualifiait d’ailleurs l’instruction d’« écoles du service public ». L’opposition entre la Déclaration de 1879 et la Constitution de l’an III souligne que les frontières de la sphère publique, et donc celle de la sphère privée, sont mouvantes, notamment 3 selon l’opinion ou le courant politique dominant. Il n’est alors pas possible de les fixer une fois pour toutes. En revanche, la jurisprudence va déterminer une chose de manière certaine : les activités prises en charge par la « sphère publique » sont des « services publics ». B) L’émergence de la notion juridique de « service public » Le terme de « service public » est utilisé, à l’origine, par le Conseil d’État dans objectif de justifier sa compétence. Durant la première moitié du 19ème siècle, il y a un conflit de compétence entre le Conseil d’État et la Cour de cassation. En effet, les règles de partage de compétences entre elles sont floues (1), conduisant à une opposition, qui se résoudra, en partie, avec la notion de « service public » (2). 1) Des règles de compétences floues Il faut rappeler les trois textes qui partagent les compétences entre le juge judiciaire et la juridiction administrative émergente. La loi du 22 décembre 1789 pose seulement la frontière entre le pouvoir administratif et la juge judiciaire. Elle précise notamment que les Assemblées : « ne pourront être troublées dans l’exercice de leurs fonctions administratives par aucun acte du pouvoir judiciaire » (section 3 art. 7). Ce principe est rappelé avec force par la loi des 16-24 août 1790, (art. 13) qui rappelle que « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives », en conséquence : « Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». Ceci est rappelé, par le Décret du 16 Fructidor an III dont l’article unique précise que : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ». Dès le début du 19ème siècle, le débat va alors se porter sur la définition des « actes d’administration », au sens de ce dernier texte. En effet, ce sont les « actes d’administration » qui vont sceller la répartition des compétences entre le juge judiciaire et la juge administratif. 2) Le service public, acte d’administration Il n’y a aucun problème lorsqu’il existe véritablement un « acte d’administration », réglementaire ou individuel. La question est beaucoup plus délicate lorsqu’il n’y a aucun acte de l’administration, et notamment dans le cas de la responsabilité extracontractuelle lorsqu’il n’est fait aucun usage des prérogatives de puissance publique. Dès 1850, le Tribunal des conflits va raisonner à partir de l'objet de l’activité pour qualifier celle-ci et trancher sur la compétence juridictionnelle. Dans sa décision du 26 juin 1850 Asnif- Louftyan (à propos des paquebots à vapeur sur la méditerranée), il emploie une formule assez 4 lapidaire selon laquelle la loi et l’ordonnance : « ont entendu subordonner cette opération aux nécessités et aux règles qui affectent le service public ». Le raisonnement du commissaire du gouvernement Cornudet est plus clair : « ce service a été organisé dans le but d’imprimer un plus grand développement à nos relations commerciales, à notre marine, à notre influence politique ; c’est essentiellement un service d’intérêt public (…) Si c’est un service public, un service administratif, l’État ne peut l’accomplir à titre privé ». Deux conclusions peuvent être tirées de cette décision : un début d’assimilation totale entre le service public et le droit administratif ainsi que le raisonnement finaliste du juge démontrant la nature contingente et politique du service public qui dépend, et dépendra toujours, du choix du législateur. Cette approche est confirmée par le Conseil d’État dans son arrêt du 6 décembre 1855 Rothschild : « c’est à l’administration seule qu’il appartient, sous l’autorité de la loi, de régler les conditions des services publics ». Cet arrêt signe le début d’un mouvement d’installation progressive de la notion de service public par le Conseil d’État et ses commissaires du gouvernement comme critère de compétence du juge administratif et donc de reconnaissance des spécificités de l’activité administrative. Le raisonnement est particulièrement clair dans les conclusions du commissaire du gouvernement Teissier sous la décision du Tribunal des conflits Feutry du 29 février 1908 : « tous les actes accomplis par la puissance publique ou ses agents, pour assurer la gestion des services publics, sont des actes administratifs ». D’ailleurs, il rejette une éventuelle distinction entre police et service public : « tout fonctionnement d’un service public implique l’exercice de pouvoirs de police et, inversement, un très grand nombre d’actes de commandement, pris en forme d’arrêtés de police, n’ont d’autre objet que d’assurer la gestion d’un service ». Il y a alors une assimilation totale entre service public et activité de l’administration. Certaines définitions doctrinales suivent ce courant et identifient le service public au droit administratif. Pour Gaston Jèze en 1925 : « Le droit public et administratif est l’ensemble des règles relatives aux services publics. Tout pays civilisé a des services publics, et, pour le fonctionnement régulier de ces services, il existe nécessairement des règles juridiques spéciales. On peut donc affirmer que dans tout pays qui est arrivé à la notion de service public (…) c’est-à-dire dans tout pays civilisé, il y a un droit administratif ». Ainsi, il est possible de délimiter la sphère d’action de l’administration avec la notion de « service public ». Mais, une telle qualification n’est que d’une maigre utilité. En effet, comme le raisonnement précité de Cornudet le souligne, le service public dépend assez largement de la volonté du législateur et donc du rôle assigné à l’État. 5 § (2) Le domaine limité d’activité de l’État Au début du 19ème siècle, d’un point de vue théorique, l’État est conçu de manière minimale : ses prérogatives sont limitées, notamment aux fonctions régaliennes. En effet, la distinction entre sphère publique et sphère privée se traduit dans une répartition des tâches entre l’État et le marché, lieu d’épanouissement privilégié de la sphère privée. La répartition des tâches entre l’État et le marché est claire. L’État est le garant du bon fonctionnement du marché, dans le fonctionnement duquel il ne doit pas s’immiscer. L’histoire du service public est enchâssée dans les relations entre l’État et le marché. Elle est liée à la doctrine politique et économique dominante, le libéralisme. Ainsi, dans un premier temps le service public est au service du marché (A) dont il est juridiquement exclu de la sphère (B). A) Le service public au service du marché Les premières activités prises en charge par la Couronne sous l’Ancien Régime, sous le nom de « services du Roi », avaient pour objectif de soutenir la construction du marché. L’existence d’activités d’ampleur nationale est assez ancienne. Par exemple, dès 15ème siècle, les premiers réseaux nationaux, la Poste sous Louis 11 ou les routes sous Henri 4, apparaissent. La prise en charge par la Couronne de ces activités sera le moteur des transformations sociales afin de fournir les infrastructures nécessaires au fonctionnement du marché, mais aussi à l’unification du territoire, nécessaire à l’affirmation et l’affermissement du pouvoir royal. Il en va ainsi de la création en 1746 par Trudaine du service public des « Ponts et Chaussées ». Puis, à partir de la Révolution, mais aussi du progrès technique avec la révolution industrielle, ces activités vont croître : poste et télégraphe en 1790 et chemins de fer en 1840. Or, ce sont là les infrastructures nécessaires au marché, mais qui lui sont extérieures. En effet, elles ne modifient pas les conditions de fonctionnement du marché. Au surplus, dans majorité domaines, le mode exercice ce ces services publics naissant est la concession : ces services publics sont assurés par des entreprises privées auxquelles l’exploitation est concédée. Par exemple, en matière de chemins de fer, le financement des équipements est le fruit de la puissance publique, notamment à partir de 1883 de lignes peu rentables. D’ailleurs, en 1859, l’État garantit à ces entreprises un profit minimal à travers l’encadrement des tarifs. B) L’exclusion des services publics de la sphère du marché Cette exclusion est très visible dans la jurisprudence du Conseil d’État qui ne consacre qu’une capacité limitée, pour les collectivités territoriales, d’intervenir dans des domaines théoriquement réservés au marché. La consécration par le Conseil d’État de la « liberté du 6 commerce et de l’industrie » comme principe général du droit public, en se fondant sur loi 2- 17 mars 1791, conduit logiquement à l’interdiction pour les services publics de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie. L’idée sous entendue dès l’arrêt du Conseil d’État du 29 mars 1901 Descroix et Casanova, dans lequel il évoque des circonstances « exceptionnelles », pour l’intervention économique locale des collectivités territoriales. Cette doctrine ne sera formalisée qu’assez tard, avec l’arrêt du 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce de détail de Nevers, selon lequel le service public doit répondre à un « intérêt public » et, pour cela, il faut démontrer qu’il vient « palier la carence du marché ». Cette doctrine, consacrée par le Conseil d’État seulement dans les années trente, résume parfaitement l’esprit du 19ème siècle en matière de service public. L’État libéral minimal doit se contenter de venir compléter le marché, palier à ses carences, mais jamais intervenir dans son fonctionnement. L’arrêt est pourtant paradoxal car, en 1930, le rôle de l’État avait déjà largement évolué vers la prise en charge d’activités plus nombreuses, qui n’allaient pas tarder à venir concurrencer le marché ou corriger son fonctionnement. En effet, à partir du début du 20ème siècle, l’État libéral minimal la place à l’État providence. Section (2 ) Le service public : définition d’un État providence La première notion de « service public » est à la fois trop large : elle englobe l’ensemble des activités de l’État alors que toutes ne constituent pas un « service public », et trop étroite : matériellement les activités prises en charge par l’État vont se révéler insuffisantes pour garantir la stabilité sociale. En effet, le progrès technique, et notamment l’industrialisation, ainsi que les mutations sociales, avec l’apparition de la classe ouvrière vont faire naître de nouvelles revendications liées à de nouveaux besoins et donc de nouvelles activités pour l’État. Or, ce mouvement de revendication va rencontrer un courant jurisprudentiel et un courant doctrinale de redéfinition du service public. La conjonction de ces phénomènes conduit à une extension du domaine du service public (§1) et donc à l’émergence d’une nouvelle conception de l’État (§2). § (1) L’extension du domaine du service public Il convient de décrire un mouvement cumulatif complexe entre la jurisprudence et la doctrine. En effet, la notion de service public devient l’une des clés de définition du droit administratif et donc du champ de compétence du Conseil d’État, qui va alors instrumentaliser la notion pour élargir son champ d’intervention (A). Au même moment, la notion est 7 appréhendée par la doctrine pour donner une définition spécifique du service public et de l’État qui vient identifier l’un à l’autre. En pratique, la portée de cette École du service public s’avèrera limitée, mais elle influencera profondément la conception française de l’État et des services publics, comme vecteur de légitimité de l’État (B). A) L’évolution de la définition du service public Un mouvement jurisprudentiel de réduction du rôle des service public dans la définition du droit administratif s’amorce. Il n’est, cependant, pas contradictoire avec l’extension du service public. Au contraire, il facilite cette extension par la multiplication des possibilités de prise en charge des services public. L’approche classique, rappelée précédemment, identifiant service public, puissance publique et droit administratif sera dépassée. Cela participe d’une vision limitée du service public censé combler les lacunes du marché. A partir du début 20ème une nouvelle approche plus large des services publics, détachée de la puissance publique, émerge. Ceci facilite alors son développement. Ainsi, le conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sous arrêt l’arrêt Terrier du 6 février 1903, relatif aux chasseurs de vipères, distinguent: « les opérations des corps administratifs » utilisée pour : « les actes d’autorité, de commandement » et les autres cas où « l’administration intervient comme une personne privée ». Cette approche sera confirmée par la décision du Tribunal des Conflits du 22 janvier 1921 Société commerciale de l’Ouest Africain (dit Bac d’Eloka). Celle-ci reconnaît la possibilité pour une personne publique d’exploiter un service public dans mêmes conditions qu’une entreprise et donc de soumettre cette exploitation à un régime au droit privé. Cette reconnaissance aura pour effet, paradoxal, d’étendre le service public. En effet, s’il est exploité dans les mêmes conditions que des entreprises privées, la contradiction avec la liberté du commerce et de l'industrie disparaît. Cette extension sera favorisée ensuite par un arrêt du Conseil d’État, du 13 mai 1938, Caisse primaire aide et protection qui reconnaît la possibilité pour une personne privée d’exercer une activité reconnue de service public. Cette extension du domaine du service public sera soutenue par des décisions politiques et notamment la loi du 3 août 1926 et l’adoption, le 28 décembre 1926, d’un décret-loi relatif aux régie municipales qui autorisent les communes à exploiter directement des services publics à caractère industriel et commercial. De telles autorisations législatives constituent le fondement juridique d’une atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, dans les cas où jurisprudence s’applique toujours. 8 Au surplus, mais là encore avec retard, le contrôle du Conseil d’État se fera de moins strict. A propos de la création de services publics locaux, il entendra l’« intérêt public local » de plus en plus largement et le critère de la carence de l'initiative privée passera au second plan (voir infra Chapitre 2, Section 2. B) L’École du service public Cette École est particulièrement bien représentée par Duguit. Ce dernier intègre le service public, non dans un raisonnement lié à la définition et aux contours du droit administratif, mais aux fondements de l’État dans sa globalité. Ainsi, la pensée de Duguit est représentative du rôle social joué par les services publics dans la construction de l’État et de sa légitimité. De manière synthétique, la pensée de Duguit a une double spécificité. En premier lieu, elle se fonde sur l’idée de « droit objectif ». Selon lui, le droit d’être doit soutenu par une « règle sociale », il faut que « dans la conscience générale des individus (…) idée qu’il est légitime que cette règle soit socialement sanctionnée ». Ceci souligne le rôle du service public, qui sera ancré dans le corps social. En second lieu, il acte une transformation du rôle de l’État. Il récuse l’approche classique de l’État : « L’État n’est pas (…) une puissance qui commande, une souveraineté ». Pour lui, « il est une coopération de services publics organisés et contrôlés par les gouvernants ». Au passage, cependant, il estime clairement que « Le droit public est le droit objectif des services publics ». Donc, selon Duguit, l’État est au service des gouvernés. Au surplus, il inverse la relation entre gouvernants et gouvernés. Le pouvoir des gouvernants est limité et il se doit d’être exercé non plus dans intérêt des gouvernants mais dans celui des gouvernés et sous leur contrôle. Il propose aussi une définition des « services publics » au moyen de deux critères liés : l’un organique et l’autre finaliste. Un service public est : « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être assurée complètement que par l’intervention de la force gouvernante ». Les services publics, et donc l’État, sont nécessaire à « l’existence commune » et la « satisfaction de ces besoins communs ». L’État tire alors sa légitimité des services qu’il rend aux individus. La vision du Duguit accompagne l’apparition de l’État providence. Il souligne que le rapport à l’État a changé et qu’il convient dorénavant, pour lui, de se mettre au service de l’individu. 9 § (2) L’apparition de l’État providence Apparition du service public s’accompagne d’un changement de l’approche du rôle de l’État. L’État libéral était perçu, avant tout, comme une autorité et par le biais de ses prérogatives de puissance publique : il impose ses décisions, la question de sa légitimité était secondaire. Avec le service public, la légitimité de l’État est liée à son activité : l’État est perçu comme légitime parce qu’il agit. Il faut souligner l’importance fondamentale de cette théorie dans l’approche du service public, qui est lié à la volonté politique. Il n’existe pas de service public naturel, à savoir des activités que par essence la puissance publique doit prendre en charge ; mais seulement des activités que les préférences politiques d’un moment donné estiment relever de « l’intérêt général » et qui doivent donc être soumises au régime spécifique du service public. Ainsi, au fil du temps, le domaine des services publics s’accroît (A), conduisant à une nouvelle conception du rôle de l’État (B). A) La croissance progressive des services publics La croissance des services publics s’est avérée nécessaire (1), sa poursuite a été le fruit d’une volonté politique (2) 1) La croissance nécessaire Cette croissance est la conséquence de la reconnaissance de la spécificité des services publics et notamment du refus de les soumettre uniquement aux lois du marché. Au début du 20ème siècle, la gestion de certains services par le secteur privé s’avère défaillante, démontrant le besoin d’une gestion publique. En effet, celle-ci présent un triple avantage : la prise en charge du long terme indispensable pour, par exemple, de lourdes infrastructures, la garantie d’un égal accès de chacun à des services indispensables à la vie en société et la possibilité de renforcer le lien social à travers ces services. Les exemples de l’électricité (a) et du chemin de fer (b) le démontrent. a) L’électricité La reconnaissance de la fourniture d’électricité comme étant un « service public » s’est faite en deux temps. Dans un premier temps, la production d’électricité était locale et donc le fruit de multiples entreprises. Au début du 20ème siècle, la production était d’origine privée et quasiment individuelle, notamment au moyen de générateurs dans les ateliers des manufactures. Puis les réseaux locaux sont apparus, notamment pour éclairage public. Le législateur a alors souhaité encadrer cette activité par la loi 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie. La loi organise la 10 concession de la distribution électricité mais moyennant certaines obligations, qualitatives et tarifaires, pour le concessionnaire. Dans un deuxième temps, le progrès techniques a permis d’accroître les capacités de production et les conditions de transport ont été améliorées. Ceci a favorisé la concentration de l’activité et conduit à l’apparition de larges monopoles locaux, par la concentration progressive des fournisseurs. Par exemple, en 1898 il existait six compagnies d’électricité pour Paris. Elles sont entrées en conflit avec la chambre des députés, qui proclame alors l’électricité comme un « service d’utilité générale », puis en 1907 comme un « service d’utilité publique » Au surplus, à partir 1930, le comportement de certaines entreprises s’avère problématique en raison de la pratique de tarifs élevés, du refus de desservir certaines zones éloignées et du manque d’investissement. Or, dans le même temps, l’énergie est de plus en plus conçue comme indispensable, elle apparaît alors dans la conscience collective comme un service public. La loi du 8 avril 1946 nationalise l’ensemble des compagnies d’électricité par la constituante et la création d’Électricité de France. De même, en matière de gaz, de chemin de fer, de poste et de communication. b) Le chemin de fer En matière de Chemin de fer, les concessionnaires ont rapidement abusé de leur position. Ainsi, en 1881, pour Léon Gambetta il fallait procéder à la « révision des contrats ayant aliéné la propriété publique ». L’idée de nationaliser ces entreprises apparaît à partir en 1907. D’autant que, en 1908, l’État est obligé de racheter la « compagnie de l’Ouest » en faillite. A partir de 1914, il devra renflouer certaines compagnies et de socialiser les pertes. En 1938, la SNCE sera fondée. Ces deux exemples démontrent que certains secteurs ne peuvent pas être intégralement soumis aux lois du marché, celles-ci s’avèrent défaillantes pour assurer une gestion au profit de l’ensemble de la collectivité. Cependant, le modèle du « service public à la française » est délibérément choisi. Il aurait possible d’imposer des obligations spécifiques aux exploitants privés (ce qui se fait aujourd’hui, voir infra, section 3). Or, c’est une volonté politique qui conduit à cette croissance du service public. 2) La croissance choisie La croissance des services publics est le fruit d’une évolution sociale et technologique. De nouveaux risques vont apparaître, imposant à la puissance publique de les prendre en 11 compte, le choix sera alors fait par le troisième République de les intégrer dans le service public (a). L’après-guerre verra l’apogée de ce mouvement (b). a) La troisième République L’apparition de la classe ouvrière et de ses besoins spécifiques, de sa demande de protection et de sa montée en puissance dans le corps électoral démontrent la nécessité pour l’État de prendre en charge de nouveaux services publics de protection. Cette croissance se fait, à la fois, au niveau central et au niveau local. A l’échelon territorial, sous l’impulsion de la doctrine du « socialisme municipal », de nouveaux services, que le marché n’assure pas, seront pris en charge au niveau municipal : abattoirs, ordures ménagères, l’eau, le chauffage collectif, etc. A l’échelon national, la Troisième République sera largement influencée par l’idée de solidarisme. Cette doctrine du début du 20ème siècle souligne la solidarité inhérente au corps social et la nécessité pour État de prendre en charge cette solidarité. C’est ainsi la conjonction entre les risques nouveaux et propres à la condition ouvrière et une doctrine ouverte à leur prise en charge par l’État qui va conduire à cette croissance du service public. Ainsi, vont être adoptées : la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités sur les accidents du travail, la loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, puis les lois des 5 avril 1928 et 30 avril 1930 sur les assurances sociales, et enfin celle du 11 mars 1932 sur les allocations familiales. Il ne faut pas oublier la crise de 1929 et ses conséquences économiques et sociales. A titre exemple, en 1936, le Front Populaire va créer l’Office national interprofessionnel du blé. En effet, depuis la crise de 1929, les prix du blé sont extrêmement instables. Cela conduit à une paupérisation des travailleurs du secteurs. L’État va alors assumer le rôle de fixer les prix et il se charge du monopole de l’importation et l’exportation de la farine et des céréales. Il prend donc alors en charge le marché dans l’intérêt des travailleurs. b) L’après-guerre Ce mouvement culmine après 1945. Il est théorisé par le programme du Conseil nationale de la résistance, qui sera mis en œuvre par des nationalisations et la création de la sécurité sociale. Le programme du Conseil national de la résistance du 15 mars 1944 comporte un volet de réformes économiques et sociales qui démontre l’esprit majoritaire de l’après-guerre. Le programme propose l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. Il souhaite une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée 12 à l’image des États fascistes. Selon lui, il faut garantir l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État, après consultation des représentants de tous les éléments de cette production. Cela doit passer par le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques, etc. L’après-guerre va alors voir la nationalisation des grandes entreprises. C’est la concrétisation de l’idéologie d’une extension du service public, bien résumée par l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Ces nationalisations sont aussi portées par la volonté de punir entreprises, et surtout entrepreneurs, ayant collaboré avec l’occupant. Par exemple, la 8 avril 1946 : nationalise 1400 sociétés électricité et de gaz, crée EDF-GDF, permettant à la France de disposer de l’électricité la moins chère d’Europe. Au surplus, en 1945, la sécurité sociale est créée au moyen d’une ordonnance du 4 octobre 1945. Ainsi, dès l’immédiat après-guerre, le secteur public est profondément transformé. Ses activités vont de la sécurité sociale, à l’électricité et aux transports, sans oublier les services régaliens de l’État. C’est en réalité une nouvelle conception de l’État, l’État doit jouer un rôle actif dans l’épanouissement des individus. Cette nouvelle conception est parfaitement résumée par l’alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». B) L’évoluons de la conception de l’État Cette croissance du services public conduit à l’apparition d’une « idéologique du service public »1, fondée sur un « triple présupposé de bienveillance, d’omniscience et d’infaillibilité »2. La bienveillance souligne que l’action publique mue par l’intérêt général, elle est donc supérieure aux intérêts particuliers. De ce fait, elle nécessite un régime juridique propre permettant, si besoin, de soumettre les intérêts particuliers à l’intérêt général incarné par l’État. L’omniscience car l’action publique est capable de voir au-delà des intérêts individuels pour garantir l’intérêt général. L’action publique a la capacité cognitive de vouloir à la place des individus et de garantir par cela leur bien, notamment en raison du caractère désintéressé de l’action de l’État. 1 F. Rangeon, L’idéologie de l’intérêt général, Econmica, Paris, 1993 ; cité par P. Bauby, Service public, services publics, La documentation française, 2016, p. 14. 2 Idem. 13 Enfin, l’infaillibilité car l’État incarne la volonté générale et donc, il ne peut pas mal faire. L’État est donc supérieur au marché car le marché agrège seulement les intérêts privés alors que l’État incarne l’intérêt collectif. Ce dernier lui est donc supérieur moralement et plus efficace. Cette évolution conduit à l’apparition d’un « modèle français du service public ». Cette expression même traduit la nature « mythique »3 du service public en France. Dans la conscience collective, l’État est identifié au service public, lui-même identifié à l’intérêt général. Cela a eu une profonde imprégnation dans les consciences, et notamment la rhétorique de l’intérêt général et du service public est fréquemment utilisée par les gouvernants et les fonctionnaires pour justifier leur pouvoir. Aujourd’hui, la succession de crises que connaît la France, la crise des gilets jaunes suivies par la pandémie, démontrent le délaissement par l’État du service alors même que celui-ci a rôle social fondamental pour la légitimité de l’État. D’ailleurs, le service public a modelé un rapport spécifique des Français à l’État axé sur la question de ce que l’État peut faire pour eux ; si la réponse est « rien », cela remet en cause l’État dans son existence même. Or, depuis les années soixante-dix, l’État a connu de profondes réformes néolibérales, qui ont changé son rapport au service public, assez largement privatisé ou soumis à des règles de nature privée. Ces réformes se concrétisent aujourd’hui par une inefficience de certains services publics, notamment sanitaire. Pour autant, la demande de prise en charge par l’État n’a jamais été aussi grande, produisant une profonde incompréhension entre l’État et les citoyens. Section (3 ) Le service public : symbole de l’État néolibéral Cette dernière mutation en date du service public ne passe pas par de nouvelles extensions, mais par un changement dans les modalités de gestion courante des services publics. Ce changement est révélateur d’un renversement dans la perception de l’État. Le passage s’opère d’une approche de l’État symbolisé par l’Ecole du service public selon laquelle, de manière caricaturale, il est bon car il prend en charge les services publics, il le fait car il est supérieur au marché. A partir des années soixante-dix, mais surtout quatre-vingt, s’enclenche une mutation néolibérale idéologique qui vient renverser cette présomption. Selon cette idéologie, le marché est supérieur à l’État, notamment en raison des faiblesses de la gestion publique. Il devient alors urgent de réformer l’État, et notamment sa gestion des services publics. Cette évolution des mentalités est accompagnée par la montée en puissance de l’Union européenne qui impose certaines règles du marché aux services publics. C’est donc le 3 J. Chevallier, Le service public, Que-sais-je ?, Paris, 2018. 14 changement de la conception de l’État (§1) qui conduit à une redéfinition des modes de gestion des services publics (§2). Victime de l’accélération des transformations sociales depuis l’avènement des nouvelles technologiques de l’information et de la communication, l’État néolibéral est, déjà, en train de se transformer en « État plateforme » (§3). § (1) La conception néolibérale de l’État Le néolibéralisme est un courant de pensée politique et économique, qui se développe théoriquement à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, et qui s’implante politiquement depuis le début des années quatre-vingt, notamment avec la figure de M. Thatcher et R. Reagan. Depuis, les idées néolibérales se sont largement diffusées, pour devenir le consensus dominant, poussé par l’ouverture des économies, la mondialisation des échanges et l’approfondissement de l’intégration européenne. Il faut alors revenir sur la conception néolibérale de l’État (A), qui a justement souligné certaines apories de la gestion contemporaine des services publics (B). A) La conception théorique La théorie néolibérale se fonde sur une remise en cause profonde de l’État providence par une renversement du présupposé au cœur de l'idée même de service public : celui de la supériorité de l’État sur le marché (1). Ce renversement impose alors la soumission de l’État au marché (2). 1) La supériorité du marché De manière schématique, cette supériorité se résume ainsi : la capacité cognitive de l’État est inférieure à celle du marché. En effet, les marchés sont conçus comme une entité abstraite agissante, à l’image de la main invisible. Il obtient un équilibre économique par la coordination spontanée des décisions de l’ensemble des individus, il prend donc en compte les préférences de chacun pour déterminer l’équilibre collectif. Or, l’État, qui s’incarne dans des individus, est incapable de prendre en compte les préférences de l’ensemble des individus. Les dirigeants de l’État ne disposent pas de la capacité cognitive qui est celle du marché d’intégrer l’ensemble des informations propres à chaque individu. Par nature alors, les décisions prises par l’État sont moins bonnes que celles issues de la coordination spontanée des préférences individuelles par le marché, car la capacité des acteurs publics beaucoup est plus limitée que celle du marché. 2) La soumission de l’État au marché Dans cette logique, l’État doit être soumis au marché. La première étape passe par un retour à la théorie classique selon laquelle, l’État ne doit pas troubler le jeu du marché. Le rôle de État se limite à fournir outils, juridiques notamment, pour 15 le fonctionnement optimal du marché. Cette théorie insiste d’ailleurs sur l’effet abêtissant de l’excès d’intervention de l’État. Les individus habitués à obéir et à ne plus prendre de décisions individuelles sont déresponsabilisés. Or, les décisions individuelles étant au cœur de la logique du marché, il faut réduire le domaine de l’État pour accroître celui de la responsabilité individuelle. La deuxième étape, la nouveauté de la doctrine néolibérale, est de vouloir transformer les modes d’action de l’État, dans les domaines où son intervention est nécessaire. La supériorité de la logique du marché sur celle de l’État impose d’intégrer dans la gestion publique les modes de raisonnement du marché afin améliorer son fonctionnement. Il s’agit alors de transformer les techniques d’administration, qui sont notamment mises en œuvre dans la fonction publique. Ceci passe par l’importation des méthodes de « management » privé dans les administrations par le biais du « new public management ». Cette pensée théorique fait écho à certaines insuffisances constatées dans la gestion des services publics. B) Les difficultés de gestion des services publics Ces difficultés sont nombreuses. Certaines concernent l’ensemble des services publics (1), d’autres uniquement les SPIC (2). 1) Les difficultés touchant l’ensemble des services publics La gestion des services publics lors des trente-glorieuses a démontré certaines imperfections, qui confirment, en partie, le diagnostic néolibéral. L’emprise grandissante des services publics, leur multiplication et donc la complexité administrative nécessaire à leur gestion ont démontré leurs limites. La croissance de l’administration s’accompagne toujours de difficultés de gestion, d’un manque de transparence et de compréhension de l’action administrative, y compris pour les dirigeants mais aussi les bénéficiaires des services publics. Ainsi, le phénomène du « non-recours » aux services publics s’est accru. De nombreux bénéficiaires de services publics, notamment les personnes vulnérables n’ont pas recours aux services qui leur sont destinés, faute d’être informés de leur existence, de comprendre les procédures pour en bénéficier ou de réussir à remplir l’ensemble des formalités. Le non-recours est l’illustration des difficultés inhérentes à un service public trop complexe. Au surplus, l’extension du domaine des services publics à généralisés le recours à l’État comme réponse aux problèmes. Le domaine des services publics n’ayant jamais été circonscrit, celui- ci s’est imposé comme une panacée pour l’ensemble des maux de la société. L’effet de déresponsabilisation individuelle joue alors à plein. Les individus ne cherchent plus eux-mêmes 16 la solution à leurs problèmes mais s’en remettent quasiment immédiatement à l’État, qui ne peut satisfaire l’ensemble de leur demande, conduisant à un accroissement de la défiance envers lui. Cette défiance s’est d’ailleurs accrue avec les scandales qui ont touché la gestion de certains services publics. Dans le cadre municipal, par exemple, les revenus de certains services publics ont été détournés pour financer les campagnes électorales de la majorité en place, voire tout simplement pour enrichir personnellement les maires ou leur équipe. C’était notamment le cas des revenus des offices HLM ou des régies d’eau. Le renforcement de la transparence depuis les années quatre-vingt-dix a permis de réduire ces pratiques, sans les anéantir. 2) Les difficultés touchant les SPIC Certaines difficultés touchent certains SPIC et notamment ceux gérés par des grandes entreprises publiques en situation de monopole. Cette situation les isole de la pression concurrentielle et leur octroie une « rente de situation ». Ainsi assurées de leur revenus, les entreprises publiques sont gérées de manière hasardeuse, la qualité du service s’en ressent et les investissements nécessaires sont parfois oubliés. Au surplus, les entreprises publiques ont parfois été instrumentalisées politiquement par les gouvernants pour des objectifs conjoncturels de politique économique ou industrielle. L’objectif du service public n’était alors plus de fournir une prestation indispensable à la communauté. L’entreprise était utilisée comme un outil au service d’objectifs économiques, parfois contradictoires avec l’intérêt du service public. D’ailleurs, ces objectifs contradictoires pouvaient parfois être le fait des dirigeants de ces entreprises publiques. En effet, ces dirigeants profitent d’une asymétrie d’information et d’expertise par rapport aux gouvernants ou aux fonctionnaires, chargés de contrôler leur gestion. Ils pouvaient alors développer des objectifs propres, en dehors de tout contrôle public. L’ensemble de ces dysfonctionnements ont conduit à la disparition du mythe du fonctionnaire neutre et impartial et au profit de l’idée que les fonctionnaires sont mus, comme n’importe quel autre individu, par leur intérêt propre. L’État serait alors composé de fonctionnaire soumis à leurs intérêts privés. Il devient alors logique de de soumettre l’État à la globalité des intérêts privés représentée par le marché ! Ces constats objectifs des errements dans la gestion des services publics et les évolutions intellectuelles décrites précédemment ont inciter aux réformes de l’État et notamment de sa gestion des services publics. 17 § (2) L’évolution de la gestion des services publics Dans cette évolution l’Union européenne a joué un rôle fondamental. Elle a accompagné, voire encouragé, le changement paradigmatique du néolibéralisme. Son droit, et ses politiques, ont cherché à placer le marché et la concurrence au cœur de la gestion des « services publics » (A). En France, le vecteur le plus important a été celui de la réorganisation de l’administration et se son activité autour de la culture du marché et donc intégration de celle-ci dans la gestion des SP (B). A) L’influence européenne L’Union européenne a été un facteur très important de réforme des services publics. Deux points permettent de le comprendre. Il faut rappeler que, d’un point de vue formel, l’Union exerce une forme tutelle, par laquelle elle influence la gestion des services publics (1). Cette tutelle a une dimension matérielle, l’intégration européenne privilégiant le dogme de la supériorité des marchés (2). 1) La tutelle européenne La tutelle européenne désigne la capacité de l’Union d’influencer les politiques nationales, soit par la contrainte (a), soit par la pression (b). a) La contrainte La contrainte est juridique, à savoir le rôle joué par la primauté du droit de l’UE. En effet, l’action des États membres est soumise à la compatibilité avec certaines règles européennes, imposant alors de réformer les régimes juridiques nationaux contraires au droit de l’UE. Trois exemples, liés à la question des services publics le démontre : - Le droit de la concurrence, et notamment l’article 102 du TFUE, interdit les « abus de position dominante », à savoir le fait pour une entreprise d’exploiter la caractère oligopolistique d’un marché. Selon l’article 105 la Commission : « veille à l’application des principes fixés par les articles 101 et 102 ». Or, les services publics passent parfois par la création de positions dominantes à travers de « droits exclusifs » octroyés à des gestionnaires de service public. Sur le fondement du droit de la concurrence, la Cour interdit le « abus inhérent au droit exclusif » (CJCE, Höfner, 23 avril 1991 § 27). - Le droit des aides d’État, à travers l’article 107 TFUE interdit les aides qui « faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». L’article 108 confie à la Commission le soin d’approuver, préalablement à leur versement, les aides qui peuvent être considérées comme « compatibles avec le marché intérieur ». Cela impose aux États de consulter la 18 Commission, notamment avant de confier la gestion d’un service public à une entreprise qui sera soutenue financière pour la charge financière que ce service fait peser sur elle (ce qu’on appelle les « compensation de service public »). - Le droit de la libre circulation, soit des marchandises (l’article 34 TFUE prohibe mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives) ou des services (art. 56 TFUE), interdit les discriminations entre les entreprises selon leur État d’origine, rendant inconventionnel le soutien à producteurs nationaux, y compris en matière de service public (voir CJCE, 23 octobre 1997, Commission c. France). Dans tous les cas, cela conduit à une disparition de la présomption d’intérêt général des mesures nationales, imposant de les justifier au regard d’éléments externes, sous le contrôle des institutions européennes. Par exemple, si Commission estime une aide incompatible avec le marché intérieur, celle-ci doit être reversée par son bénéficiaire. De même, si la Cour de justice estime que des mesures nationales sont contraires à la libre circulation, l’État doit alors changer l’encadrement national. b) La pression Les procédures européennes ne sont pas toujours totalement contraignantes, parfois elles se fondent sur pression ou la négociation. Par exemple, la coordination des politiques économiques (article 121 à 126 du TFUE) ne se fonde sur aucune délégation de compétence à l’Union européenne. Son influence se fait ressentir par l’obligation des États de rendre des rapports précisant en quoi ils respectent les grandes orientations de politique économique adoptées par l’Union. Cette logique dite de comply or explain impose aux États de prendre en compte les préconisations de l’Union dans la détermination de leurs politiques économiques. Par exemple, en 2019 (2020 étant une année atypique), le Conseil de l’UE par le biais des « recommandations par pays », insiste sur le besoin d’assainissement budgétaire de la France (p. 29). Il propose notamment de limiter les dépenses dans deux domaines importants pour les services publics : la « des systèmes de retraite et de prestations de chômage » (cons. 26). Cependant, il n’y a dans ce domaine aucune réelle sanction. Si ce n’est la pression exercée par les marchés financiers. En effet, les États ont l’obligation de s’endetter sur les marchés (art. 123 TFUE) aux mêmes conditions que les investisseurs privés (art. 124 TFUE). Ils sont alors traités par les marchés comme n’importe quel autre investisseur privé. La politique nationale doit alors être cohérente avec les attentes du marché sinon l’État ne pourra plus se financer. 19 Ce dernier exemple démontre la complémentarité entre l’influence européenne et celle du marché. 2) Le dogme européen Le dogme européen est celui du marché. L’objectif premier de l’Union européenne est création d’un grand marché, conduisant à la soumission des impératifs nationaux au prisme du marché. Évidemment, il existe des dérogations permettant de faire primer intérêt général sur les lois du marché. Mais, on assiste à une inversion de la logique, les mesures nationales doivent être justifiées par rapport à l’intérêt du marché. Ceci est très clair dans le domaine des services publics avec l’article 106 TFUE. Son premier paragraphe interdit par principe les « mesures contraires aux règles des traités » lorsque l’État octroi par les États de « droit spéciaux ou exclusifs », pour la gestion d’un service public. Au surplus, l’article 106 §2 impose aux « entreprises chargées de la gestion d’un service économique d’intérêt général (SIEG) ou présentant le caractère d’un monopole fiscal » de se soumettre aux « règles des traités » sauf si ces règles font « échec à l’accomplissement de la mission qui leur est impartie ». Ainsi, par principe, les SIEG sont soumis au droit du marché et de la concurrence, sauf justification. Il n’y alors plus de présomption d’intérêt général dans le services publics, ceux-ci doivent montrer leur utilité par rapport au marché. La Commission le confirme dans sa communication du 11 janvier 2012 : « il ne serait pas opportun d’assortir d’obligations de service public spécifique une activité qui est déjà fournie ou peut l’être de façon satisfaisante et dans des conditions compatibles avec l’intérêt général par des entreprises exerçant leurs activités dans des conditions commerciales normales » (§ 48). Cette tutelle européenne, imposant le dogme du marché, participe des réformes opérées en France des services publics et, plus largement, de l’administration. B) Les réformes françaises L’évolution du rapport aux services public est particulièrement visible dans les réformes successives de l’administration depuis trente ans (1). L’évolution de la gestion des services publics en réseau le montre bien (2). 1) Les réformes de l’administration Depuis le début années quatre-vingt-dix, on assiste à une longue série de réformes avec volonté de réformer l’administration, sous l’influence du new public management. Cette approche est prônée, depuis trois décennies, notamment par l’OCDE ou la Banque mondiale, qui préconisent une transformation du modèle bureaucratique par : le découpage administration 20 en structure autonomes plutôt que services pléthoriques, le passage à la contractualisation pour la gestion administrative, l’intégration de techniques de ressources humaines pour la gestion du personnel de administration, et l’exigence de résultat et de qualité pour fonctionnement de administration. L’objectif affiché est de rendre l’administration plus qualitative et plus économe. Ceci s’est traduit par une série de réformes en France, avec un élargissement progressif. A l’origine les réformes ne concernaient que les services publics (a), puis elles ont été étendues à l’État dans sa globalité (b). a) La réforme des services publics L’idée, voire l’idéologie, de la « réforme » traverse les courants politique. En 1986, la nouvelle majorité de droite, lance une « démarche qualité » dans les services publics, avec la mise en place de « cercles de qualité » pour évaluer les prestations fournies dans les services publics. Avec l’alternance, une nouvelle approche dite de « renouveau du service public » est mise en place à partir de 1989. Elle se concrétise par une circulaire du Premier Ministre Michel Rocard du 23 février 1989 relative au « Renouveau du service public » qui insiste sur la « nécessité d'une adaptation de l'État pour accompagner ou devancer les mutations profondes que connaît la société française » et se fonde sur « une gestion plus dynamique des personnels », un « devoir d’évaluation des politiques publiques » ou encore un « effort de personnalisation des relations entre les agents et les usagers » avec un programme « Administration à votre service ». A partir de 1995, et du gouvernement Juppé, la démarche passe à un stade supérieur. Le nouveau Premier ministre lance une : « réforme de l’État et des services publics » (circulaire du 26 juillet 1995). Selon cette circulaire, il faut clarifier la position de l’État par rapport au marché et aux acteurs économiques, à l’Union européenne et aux collectivités territoriales. Il est frappant que cette énumération place en premier les marchés. La circulaire engage aussi une réflexion sur : « la frontière entre les missions qui incombent aux personnes publiques et celles qui peuvent relever des acteurs privés (marchés, entreprises ou acteurs sociaux) » (1.1) et « un examen attentif des conditions dans lesquelles les grands services publics, industriels et commerciaux doivent s'adapter aux évolutions techniques et à des conditions de concurrence croissante doit être entrepris » (idem). Mais, le véritable tournant s’opère au début des années 2000 avec la LOLF et les réformes en profondeur de l’État. 21 b) La réforme de l’État Cette réforme se fait en deux étapes : la transformation de la gestion budgétaire avec la LOLF (i) et les réformes successives de l’action administrative (ii). i. La LOLF La rupture fondamentale se fait avec « Loi organique relative aux lois de finance » du 1er août 2001 (dite LOLF). Elle remplace la règle de répartition du budget par Ministère par une répartition : « par mission relevant d’un ou plusieurs services ou plusieurs ministères » (art. 7.1). Ensuite, chaque mission subdivisée est en « programmes », avec chacun un responsable nommé, eux-mêmes divisés en actions. Pour chaque programme, un projet annuel de performances doit être rédigé. Ce projet justifie les crédits et les autorisations d’emplois demandés selon des objectifs. Les objectifs sont choisis selon trois critères : l’efficacité socio-économique, la qualité du service et l’efficience de la gestion. Les objectifs sont transcrits dans des indicateurs permettant de suivre la réalisation de la performance. Le budget 2020 contient 398 objectifs et 775 indicateurs (48% d’efficacité, 17% de qualité et 35% d’efficience). En fin d’année le responsable de chaque programme rend un « rapport annuel de performance ». La LOLF impose alors l’intégration de la logique de l’évaluation dans l’ensemble des politiques publiques. Elle soumet les administrations, et donc les services publics, à des objectifs chiffrés de performance. Il s’agit alors d’intégrer une culture de performance dans l’ensemble de la gestion public, ce qui sera favorisé par des réformes de fond de l’administration. Vingt ans après son adoption, le bilan de la LOLF est mitigé, comme l’ont souligné l’Assemblée nationale et la Cour des comptes. ii. Les réformes de l’administration La LOLF sera suivie d’une série de réformes préconisées par les majorités successives. - A partir de 2006 le Révision générale des politiques publiques (RGPP) Suite au Rapport Pébereau remis au Ministre de l’économie et des finances selon lequel : « les déficits publics sont le résultat de la lourdeur et des incohérences de notre appareil administratif » (p. 13), il devient alors nécessaire de faire des économies en réformant l’administration. Ce sera l’objectif de la RGPP. Celle-ci consiste en un screening de l’ensemble des politique publiques. Elle a été pilotée par un « Conseil de modernisation des politiques publiques », avec à sa tête le Président de la République. Il s’agissait d’interroger l’ensemble des ministères et de leurs directions générales, qui devaient évaluer, parfois avec l’aide de cabinets d’audit, leur action au moyen de sept questions : « 1) Que faisons-nous ? 2) quels sont 22 les besoins et attentes collectives ? 3) faut-il continuer de la sorte ? 4) qui doit le faire ? 5) qui doit payer ? 6) comment faire mieux et moins cher ? 7) quel scénario de transformation ? ». La RGPP a conduit à l’adoption de 503 mesures autour de trois priorités : améliorer la qualité du service rendu (à savoir la volonté que 80% des usagers soient satisfaits) notamment par le développement du numérique, la réduction des dépenses publiques (le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la réduction nombre de services, la réforme de la carte judiciaire, etc.) et la modernisation de la fonction publique (changement modalités d’avancement de la carrière des fonctionnaires en fonction de leur performance). L’inspection générale des finances, dans un rapport de 2012, a critiqué la RGPP notamment an raison : de l’appel à des consultants privés qui « traduit une défiance injustifiée à l’égard de la fonction publique », de la « focalisation sur la seule obtention d’économie », et de l’« absence de dialogue social ». - A partir de 2012 (jusqu’à 2017) : la modernisation de l’action publique (MAP). Elle a été pilotée par un « Comité interministériel de modernisation de l’action publique ». Elle s’est notamment concrétisée par le « choc de simplification » annoncé par le Président de la République en 2013 → Comité : 17 juillet 2013 : 200 mesures de simplification. Au surplus, le Comité affirmé sa volonté d’approfondir la transition numérique. Il souhaite : « transformer les systèmes d’information des administrations au profit de l’innovation dans le service public et au bénéfice de l’agent et de l’usager, dans un contexte d’économie exigeantes ». - A partir de 2017 : « Action publique 2022 » La réforme passe par la création de deux directions : « Direction interministérielle de la transformation publique » (DITP) et la « Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État ». La DITP a pour objectif de « mieux prendre en compte les attentes des usagers, des agents et des partenaires de l’État et d’améliorer la qualité du service ». Mais alors que la RGPP et la MAP étaient des processus de transformation verticaux par l’adoption de mesures centralisées, après évaluation des services, Action publique 2022 propose la transformation par l’incitation. Un budget de 700 millions d’euros sur 5 ans est alloué pour des projets répondant à quatre critères : le caractère stratégique et novateur du projet, l’amélioration de la qualité du service aux usagers et des conditions travail, la cible de rendement d’un euro d’économie trois ans après l’investissement d’un euro et la gouvernance du projet. Il s’agit pour les services de proposer eux-mêmes des projets de modernisation, avec la possibilité de se voir alors allouer des budgets supplémentaires. Pour cela, ils sont assistés par des consultants privés. La réforme est pilotée un « Comité interministériel de la 23 transformation publique », sous l’égide du Premier Ministre et assisté par un comité co-présidé par le Président de Safran, la secrétaire générale de Nexity et le directeur de Science-Po. Il ne s’agit plus alors seulement de faire intégrer par l’administration certaines pratique publiques, mais d’intégrer directement des acteurs privés à la réforme de l’administration pour faciliter l’intégration des techniques privées. Le programme « Action publique 2022 » est le dernier programme ambitieux de réforme. Il se poursuit, son avancée peut être vérifiée par le biais d’un « baromètre » disponible en ligne, pour suivre les réformes par département. En 2021, le Gouvernement a enrichi le programme de 11 nouvelles réformes comme : le soutien aux collégiens, l’insertion professionnelle des condamnés ou le rénovation énergétique des logements. Ces derniers exemples démontrent qu’il n’y a plus véritablement de « réforme de l’État » mais de réforme des « politiques publiques » pour atteindre des objectifs déterminés. Avec cette série de réforme, c’est la logique même de l’administration qui se transforme. La référence à la poursuite de l’intérêt général disparaît au profit de nouvelles références, liées à la qualité. Comme le précise le 10 juillet 2007 le Premier ministre François Fillon : « L'efficacité, la qualité, la réactivité de nos administrations doivent donc être mises au service d'un État non pas minimal mais optimal dans son fonctionnement, ses résultats, mais aussi son coût ». Il s’agit alors de soumettre l’administration à une culture du résultat. Cela fait relativement consensus parmi les dirigeants, de droite comme de gauche. Ainsi, pour le Président François Hollande, en janvier 2014 : « l'État lui-même est jugé trop lourd, trop lent, trop cher ». Ces réformes n’ont pas pour objectif de réduire le rôle de l’État mais de transformer ses modalités d’intervention. Il s’agit presque d’un retour à un État qui construit le marché sans intervenir. Une inflexion semble poindre avec le nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron. En effet, le septième « Comité interministériel de la Transformation publique » insiste sur deux séries d’engagements : « Renforcer les services publics fondamentaux » et « Assurer les fondamentaux des services publics ». Le huitième Comité prolonge ces priorités. Il se prononce en faveur de « services publics plus proches, plus simples, plus humains ». Pour cela, il annonce deux priorités : « Mettre l’IA et le numérique au service des Français » (et notamment : « Re- humaniser le service public grâce à l’intelligence artificielle » !) et « Débureaucratiser à tous les étages ». 24 Ainsi, longtemps délaissés, le services publics reviennent au cœur du discours gouvernemental. Cependant, sur le fond, les réformes gardent la même logique : numérisation simplification, qualité accompagnant alors la mue vers l’État plateforme. 2) L’exemple topique des services publics en réseau Les services publics en réseau désignent ceux fondés sur de lourdes infrastructures et notamment : l’électricité, les télécoms, et les transports. Ils ont longtemps incarné le « service public à la française » : un monopole public géré par le biais d’une entreprise publique. Sous influence de l’Union européenne, le monopole a progressivement été remplacé par une situation de concurrence, en réalité assez limitée. La première étape a été la privatisation du monopole et la séparation des activités entre : la gestion du réseau (les infrastructures) et l’exploitation commerciale (fourniture effective du service). Il était alors, dans une deuxième étape, possible d’ouvrir l’exploitation à la concurrence sans que l’utilisation des infrastructures ne soit entravée par l’ancien monopole. Mais, il fallait néanmoins garantir l’application de règles spécifiques à chaque secteur, à travers la mise en place d’une autorité de régulation chargée de chaque secteur (Commission de régulation de l’énergie, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes ou encore l’Autorité de régulation des transports). Cependant, la nature de service public étant maintenue, une exigence de « service universel », à savoir une forme de « service minimal » est imposée à certains intervenants. Cela a conduit à des régimes juridiques très complexe, sans que cette politique soit véritablement un succès. La démarcha a été réussie dans le secteur des télécoms, mais elle reste beaucoup plus compliquée comme dans le domaine de l’énergie où, en France, EDF reste largement majoritaire pour la fourniture d’électricité, 10 ans après l’ouverture à la concurrence. En réalité, la concurrence est très complexe à installer dans le domaine de l’électricité en raison des coûts de production de celle-ci par des très lourdes infrastructures, tels que les barrages hydroélectriques ou les centrales nucléaires. Cela démontre les difficultés d’intégrer la concurrence dans domaine où le monopole est naturel. Cela est visible aussi avec le changement de statut de l’exploitant des réseaux ferroviaires. En 1997, Réseaux ferrés de France, un EPIC séparé de la SNCF, est créé pour gérer et exploiter les réseaux ferroviaires. Suite à des lourds déboires financiers, en 2012, RFF est réuni avec SNCF, devient une part du groupe sous le nom de SNCF réseau. Ce dernier exemple démontre que la logique du marché poussée parfois trop loin peut être contre-productive. Un monopole d’État a été remplacé par une structure administrative et juridique complexe, sans réel gain pour les usagers. Au surplus, en période d’augmentation des 25 coûts de l’énergie, les fournisseurs d’électricité autres qu’EDF connaissent une crise et l’État doit venir à leur secours. C) Le retour des services publics ? Mais, plus théoriquement, cela souligne le paradoxe de l’évolution des services publics. Ceux- ci ont tendance à s’accroître à mesure que le capitalisme se développe et que le progrès technique advient. De nouveaux risques apparaissent sans cesse, l’État doit alors prendre position. Les réformes néolibérales condamnent certaines techniques d’interventions directes de l’État sur le marché au profit de techniques de régulation. Le service public n’est donc plus la réponse privilégiée à l’apparition de ces risques. Or, au cœur de ces réformes se trouve un impensé : l’accroissement du recours au « tiers-secteur », à savoir le secteur non-marchand privé par le biais les associations. Celles-ci sont devenues des relais du besoin de service public. Le tiers secteur permet de réduire le poids de la bureaucratique dans la gestion des services publics mais sans la soumission à la logique marchande. Les crises traversées depuis l’élection d’Emmanuel Macron invitent à revoir la place des services publics, notamment au niveau territorial. La crise des gilets jaunes, comme la pandémie, ont démontré que les politiques de rentabilités des services publics ont conduit à la désertion de certains territoires. L’éloignement des services publics devient alors un éloignement de l’État, envers lequel les habitants de ces territoires nourrissent, au mieux, une indifférence et, au pire, un ressentiment. Mais ce rapprochement semble passer par de nouvelles techniques, favorisées par l’émergence des nouvelles techniques de l’information et de la communication, qui transforment l’État en plateforme et les citoyens en multitude. § (3) L’État plateforme Il devient commun d’opposer l’État silo et l’État plateforme. Le premier désigne le modèle classique d’État légal-rationnel, fondé sur une administration obéissant au principe hiérarchique, dans la pure logique de la légitimité démocratique vantée par Max Weber. Inversement, l’État plateforme est l’État agile, celui qui – grâce aux nouvelles technologies – s’adapte en permanence aux besoin des citoyens – devenus surtout des usagers – avec lesquels il co-construit les services publics. Cette transformation de l’État est l’ultime avatar des politiques de modernisation, qui passe dorénavant par une numérisation de l’action publique (A). Le service public est alors profondément bouleversé dans sa construction comme dans son fonctionnement (B). 26 A) La numérisation de l’action publique La numérisation de l’action publique est au cœur des réformes depuis vingt ans (1). Néanmoins, depuis quelques années, se développe en parallèle un retour à la présence physique de l’État avec les « maisons France Service » (2). 1) Réforme et numérisation Les programmes de réforme de l’État et des services publics se sont fondés, en partie, depuis 1998 sur une action en faveur de la numérisation de l’action publique. Dès 1998, un « Programme d’action gouvernementale pour la société de l’information » est mis en place. Son objectif était, notamment, la création de site Internet pour l’ensemble des administrations et la mise en ligne des formulaires requis. Dès 2000, ce Plan sera complété par l’action du « Comité interministériel pour la réforme de l’État ». Ce Comité repose sur 3 piliers : la « gestion publique » (avec notamment la mise en place de la LOLF), la « gestion des ressources humaines au sein de l’État » mais aussi : « l’administration électronique ». Depuis, réforme et numérisation vont de pair. Aujourd’hui, ces deux mouvements sont pilotés (depuis 2017) par le « Comité interministériel de la transformation publique ». Il est secondé par la « Direction interministérielle de la transformation publique » et la « Direction interministérielle du numérique » (DINUM). La loi est venue, à deux reprise, soutenir ce mouvement avec la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, complétée par celle du 7 décembre 2020 par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique. Ainsi modernisation et numérisation de l’État vont de pair. Ceci s’explique par deux raisons. En premier lieu, elle permet de diminuer certains coûts. Les démarches en lignes mobilisent moins de personnel que les démarches physiques. En second lieu, pour pouvoir effectuer de telles démarches en ligne, il faut préalablement réorganiser et rationnaliser l’administration. Par exemple, la mise en ligne de formulaire est l’occasion de repenser, à la fois, la nécessité du formulaire (et donc supprimer des démarches inutiles ou redondantes) et repenser le contenu du formulaire (simplifier ses exigences). Comme le précise une circulaire du Premier ministre du 7 mars 2013 : « L’efficacité de l’Administration, dans ses relations aux usagers comme dans son fonctionnement interne, est désormais intimement liée à la qualité de son système d’information et de communication ». Les techniques modernes permettent une meilleur interaction entre l’État et les usagers. Ainsi advient l’État plateforme, celui dont le fonctionnement s’inspire des plateformes numériques qui, de UBER à Amazon en passant par Netflix, se fondent sur une individualisation des prestations – grâce à la collecte des données de leurs utilisateurs et au sein 27 desquelles la satisfaction de ces derniers est au cœur du système. L’État plateforme conduit alors à une autre vision du service public et de ses prestations. Mais, le service public n’est rien s’il n’atteint pas les citoyens. Or, pour ce faire, une présence physique semble indispensable. 2) Les maisons France Services Les réformes de l’État se sont accompagnées d’une remise en cause territoriale de son rôle. En effet, les réformes ont principalement été portées par une logique financière visant à réduire les dépenses administratives. Il s’en est suivi de nombreuses fermetures de services déconcentrés dans les territoires ruraux, voire urbains. Ce désengagement territorial de l’État a été très mal perçu, la légitimité de l’État étant largement liée à son implication quotidienne. L’État ayant transformé le citoyen en « usager des services publics », il se doit alors d’être présent pour lui rendre ces services. Très rapidement alors, une nouvelle logique de représentation territoriale a vu le jour avec les « maisons des services publics ». Créés par la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (art. 27 et s.), elles ont pour objectif de : « faciliter les démarches des usagers et d'améliorer la proximité des services publics sur le territoire en milieu urbain et rural ». Elles reposent cependant sur une logique nouvelle. Il ne s’agit plus de déconcentrer des services de l’État, mais de conventionner une structure capable de prester plusieurs services en même temps. Leur dénomination a évolué mais cette logique est toujours la même. En effet, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a changé leur nom en « Maison des services publics », sans réellement en changer le principe. Ainsi, elles peuvent regrouper des services, originellement, offerts par : l’État, les collectivités, les intercommunalités mais d’autres organismes nationaux ou locaux chargés d’un service public. Ils doivent, collectivement, signer une convention qui va préciser, notamment, la zone couverte et les services rendus (voir le décret d’application). La convention précise aussi les modalités de financement et donc la participation respective de chaque signataire, avec le soutien de divers fonds nationaux (voir ici). Ces maisons peuvent être portées par différents types d’acteurs (voir ici) : des collectivités (715 maisons), mais aussi par le groupe La Poste (503) ou pas des associations (122, depuis la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux). Cette dernière innovation est la conséquence du développement relativement lent des maisons, qui n’étaient que 320 en 2013. C’est pour cela que la loi NOTRe, à la suite du rapport de la Mission pour l’amélioration de la qualité́ et de l’accessibilité́ des services au public dans les territoires fragiles, a cherché à faire encore évoluer le périmètre des maisons en intégrant la possibilité pour ces maisons – 28 uniquement dans le cas où elles sont gérées par des EPCI à fiscalité propre et en cas « d'inadaptation de l'offre privée » - d’imposer aux maison « des obligations de service public destinées à assurer la présence effective de certains services sur leur territoire ». Pour l’Assemblée nationale, cette innovation permet alors de fournir : « les services de proximité tels que les distributeurs automatiques de billets de banque, les commerces de bouche, les stations- services » La majorité actuelle, dans le prolongement de la crise des gilets jaunes – perçue comme une crise liée au manque de présence territorial de l’État – et du grand débat, a décidé d’enrichir l’activité de ces maisons en créant un label « Maisons France Services » que les « Maisons des services publics » peuvent se voir reconnaître à condition de respecter un cahier des charges précis. L’objectif est celui d’une maison par canton en 2022 Pour obtenir ce label, une Maison doit accueillir au moins deux agents en permanence et rassembler des services provenant de dix organises : La Poste, Pôle emploi, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), la Caisse de retraite complémentaire des salariés de l’agriculture, du commerce, de l’industrie et des services (Agirc-Arrco), la Mutualité sociale agricole (MSA), les services de la Direction générale des Finances publiques (DGFIP), des services du ministère de l’intérieur, et des services du ministère de la justice. Mais elles peuvent aussi fournir d’autres services tels : « bornes SNCF, banques, formalités relevant des collectivités (inscriptions scolaires, service social, covoiturage…), mais aussi des espaces de coworking, des salles de formation, des cafés associatifs ». Enfin, ces maisons ont aussi pour rôle de « favoriser l’inclusion numérique » et notamment : « d’accompagner ces personnes en difficulté dans leurs démarches en ligne ». Elles cherchent alors à faire le pont avec la transformation numérique de l’État dans l’objectif de ne laisser aucun citoyen-usager sans accès aux services publics. Le dispositif a été évalué globalement favorablement par la Cour des comptes, dans un rapport datant de septembre 2024. Elle évalue à 2840 le nombre d'espaces ouvert à la fin de l'année 2023. Il traite environ 9 millions de demandes, 82% d'entre elles sont traités directement dans une maison. Le taux de satisfaction des usagers et supérieur à 90%. Si ces maisons retrouvent l’idée d’une accessibilité universelle aux services publics, leurs objectifs et leurs structures traduisent toujours l’idée d’une mutation vers un État prestataire de services dans une organisation concertée. Le rassemblement de plusieurs services en un lieu démontre parfaitement la volonté d’être au service des citoyens, en faisant fi des structures administratives classiques et ainsi en rassemblant des services issus de différents types de personnes publiques, dont le périmètre territorial varie. La frontière du service public 29 devient floue avec l’inclusion d’activité habituellement privée, devenue service public par la carence de l’initiative privée. Elles participent alors de la transformation de l’idée de service public, largement impactée par la numérisation. B) La transformation du service public L’apparition de l’État plateforme participe de la transformation du service public. Conçu pour la satisfaction d’un intérêt général, le service public peut dorénavant se mettre au service de tous les usagers, s’adapter à eux et les faire contribuer à la définition des prestation, à présent beaucoup plus individualisées. C’est notamment le cas, depuis déjà plusieurs années, pour certains services publics comme ceux de la santé ou des transports. En effet, ces services sont aujourd’hui profondément transformés grâce à la numérisation de l’action publique. Ce processus itératif entre l’usager et le prestataire de service a lieu en amont (1) comme en aval (2) de la prestation. Cependant, le sens même d’amont et d’aval se perd car l’aval d’une prestation devient l’amont d’une autre. Le modèle des « start-up d’État » résume parfaitement cette évolution (3). 1) En amont En amont, la numérisation permet de mieux concevoir la prestation grâce à des meilleurs informations, notamment, sur les besoins des usagers. En premier lieu, les usagers sont fréquemment consultés sur leurs besoins. Ils peuvent exprimer ceux-ci dans des processus de consultation collaboratifs et itératifs de co-construction. Il ne s’agit pas seulement d’écouter les besoins, mais d’intégrer ceux-ci dans le processus même de choix des modalités précises de le prestation. Ainsi, par exemple, dans certaines zones commerciales, industrielles ou rurales, les services de transport en commun se font à la demande (voir le services « Filor » dans la Métropole rouennaise). En second lieu, les données servent à construire le meilleure service. La multiplication des données, et la facilitation de leurs collectes et de leur traitement par l’intelligence artificielle permet aujourd’hui de mieux connaître les besoins des usagers et la manière d’y répondre. 2) En aval En aval, les prestations sont dorénavant notées et évaluées par les usagers. Ces évaluations permettront alors d’améliorer pour le futur les prestations. Elles sont d’ailleurs aujourd’hui publiques : un « observatoire de la qualité des démarches en ligne » permet de connaître le degré de satisfaction des usagers. Plus généralement, les « big-data » deviennent un outil central dans l’amélioration des services publics. 30 3) Les start-ups d’État L’État a aujourd’hui créé son propre modèle de développement de services innovants par le biais de start-up d’État. Le modèle croise, à la fois, celui de l’administration et celui de la start- up pour créer de nouveaux services. Le programme est intitulé beta.gouv.fr. Il s’agit d’une mission au sein de la Direction interministérielle du numérique. Son objectif est de : « construire des services numériques utiles, simples, faciles à utiliser et qui répondent vraiment aux besoins des gens ». L’approche résume assez bien les évolutions subies par l’État depuis deux décennies. En effet, il n’est que rarement question de hiérarchie ou d’intérêt général. La démarche est pragmatique : diagnostiquer des besoins précis, faire confiance aux agents pour trouver la solution dans un processus d’interaction avec les usagers. Le programme de construction d’une start-up d’État, portée par beta.gouv.fr, a 4 phases. - La phase d’investigation : elle commence à l’initiative d’une administration qui détecte un problème. Celle-ci devra identifier un « intrapreneur » qui sera détaché deux jours par semaine pour travailler avec une équipe ad hoc constituée avec beta.gouv.fr. Son rôle sera alors de participer à l’ensemble du projet avec un rôle central : « Pour son plus grand bonheur, son rôle est à la croisée entre les métiers de responsable de produit numérique (Product Manager) et de directrice / directeur de projet SI, le tout dans un esprit résolument entrepreneurial » ! Une fois ce besoin détecté par une administration, celle-ci doit trouver un « sponsor » qui doit être « au plus niveau hiérarchique de l’administration portant le projet ». Celui-ci sera la garant, à la fois, du sérieux de la démarche, mais aussi de l’autonomie du projet et de son financement. La phase d’investigation a pour but de : « mieux cerner le problème auquel on souhaite s’attaquer, de s’assurer que des solutions qui y répondent n’existent pas déjà et de confirmer qu’il est pertinent d’investir dans un service numérique pour le résoudre ». - La phase de construction : cette phase est menée directement par l’intrapreneur, qui sera conseillé par un « coach » de beta.gouv.fr. Ensemble, ils pourront recruter 2 à 4 31 personnes pour former une équipe autonome. Le recrutement peut se faire aussi bien parmi des fonctionnaires, que parmi de consultants ou des contractuels. L’équipe devra, « dès les premières semaines », proposer une solution qui sera immédiatement testée puis améliorée, puis à nouveau testée, etc. pendant six mois à un an. - La phase d’accélération : il s’agit de la phase de déploiement de la solution développée par l’équipe. Celle-ci a déjà été largement testée, il faut alors déterminer les modalités permettant de garantir son fonctionnement à plus grande échelle. Ici, l’administration à l’origine et le sponsor sont amplement consultés pour valider avec eux les différentes caractéristiques du service développé. A l’issue de cette phase, un comité devra valider la solution. Depuis 2019, les administrations sont soutenues dans cette phase par Fast (Fonds d’accélération des Startups d’État et de Territoire). Ce fonds permet d’octroyer un budget équivalent à celui octroyé par l’administration pour l’ensemble de la phase d’accélération. - Si le service est validé, il entrera alors en phase de consolidation ou de transfert dont l’objectif est de permettre le développement à grande échelle du nouveau service. De nouveaux services ont ainsi émergé comme la possibilité de gérer la « traçabilité des déchets » ou la possibilité de « partager l’historique de son véhicule ». L’effet potentiel de ces transformations tient alors dans la disparition des services publics. En effet, la transformation numérique peut réduire les coûts, privés, et certains services qui deviendraient rentables, alors qu’ils ne l’étaient pas avant. Ainsi, le privé pourra investir la sphère de l’action publique qui, en conséquence, se réduira. L’État deviendra alors seulement l’interface entre les consommateurs-citoyens et les prestataires. Par exemple, l’État ou les collectivités pourraient se défaire de certains services publics culturels, comme le théâtre, en finançant directement ceux qui souhaitent bénéficier de prestations culturelles et ainsi financer seulement indirectement la création. Plus radicalement, en encourageant des initiatives comme l’application MySos, l’État peut se défaire des services de secours d’urgence. En effet, l’application permet de se mettre en rapport avec un médecin ou sauveteur proche de soi pour intervenir en cas de problème. La notion de service public est alors en pleine mutation dans l’apparition de l’État plateforme. Il n’en reste pas moins des invariants juridiques sur lesquels elles se construit : toute activité ne peut pas être un service public (Partie 1), néanmoins : tous les services publics sont 32 soumis à des règles communes (Partie 2) et leur création et suppression répond à des règles spécifiques (Partie 3). 33 Partie 1. L’état des services publics L’introduction a démontré l’évolution historique de la conception des services publics et de leur gestion. Il a surtout souligné la variation dans l’appréhension de la notion de « service public », les différents secteurs d’intervention des services publics et donc implicitement la diversité des régimes juridiques applicables. Cette diversité rend difficile une présentation synthétique de la matière couverte par le « droit des services publics ». Ainsi, décrire l’état des services publics, à savoir la situation actuelle des services publics et de leur régime juridique est particulièrement complexe. Le droit de l’Union européenne a été un profond facteur d’évolution de celui-ci. D’ailleurs, ce droit a une ligne directrice assez claire, centrée autour de l’application du droit de la concurrence à certains services publics. Le corpus européen vient alors encadrer la gestion française du droit des services publics (Chapitre 1). Le régime français ne dispose pas de la même cohérence. Au contraire, construit de manière casuistique dans des contextes juridiques, politiques, économiques et théoriques différentes, il souffre d’une assez grande variété, difficile à présenter de manière simple (Chapitre 2). 34 Chapitre 1 L’encadrement européen L’Union européenne n’a jamais formulé de politique autonome en matière service public, tout simplement parce qu’elle n’est pas compétente pour agir dans ce domaine. Au surplus, les États ont longtemps été frileux, voire réticents, à permettre l’immixtion de l’Union dans leurs services publics. C’est alors majoritairement la Cour et la Commission qui ont construit l’encadrement européen des services publics. En effet, la Cour a commencé à donner plein effet à l’article 106 TFUE à partir du début des années quatre-vingt-dix. Elle a ensuite été suivie par la Commission, qui a cherché à libéraliser elle-même certains domaines, au risque de se mettre à dos les États. Dans années quatre-vingt-dix, la Commission a notamment utilisé l’article 106 §3 du TFUE pour adopter des directives dans le domaine des télécoms (Directive 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996, modifiant la directive 90/388/CEE en ce qui concerne la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications). Cette ouverture sectorielle s’est poursuivie, mais avec le concours du Conseil et du Parlement, dans les secteurs de l’énergie ou du transport. Il ne s’agit pas ici de présenter ce droit sectoriel mais d’appréhender les règles générales applicables dans le domaine des services publics. Il faut, en premier lieu, souligner qu’il n’existe pas de définition européenne de la notion de « service public », mais une série de « notions autonomes », à savoir des notions propres au droit de l’Union, transcendant les notions utilisées en droit national (section 1). Le droit de l’Union va majoritairement s’appliquer à une notion en particulier : les services d’intérêt économique général, SIEG (section 2). Section (1 ) Les notions autonomes Les notions autonomes sont des notions développées par le droit européen, qui viennent supplanter les qualifications nationales. Ainsi, un service qui correspond à l’une des définitions européennes, notamment celle de SIEG, se verra appliquer le régime juridique des SIEG (voir infra §2) quel que soit sa qualification nationale. Mais, il n’existe pas une seule notion en droit de l’Union. La notion centrale, et générale de « services d’intérêt général » (SIG) aujourd’hui reconnue par les Traités (§1) recouvre beaucoup d’autres notions spécifiques (§2). § (1) Les services d’intérêt général Les SIG sont aujourd’hui mentionnés par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit là du symbole de la prise en compte progressives de la problématique des services publics en droit de l’UE (A) pour leur fournir une véritable protection (B). 35 A) L’émergence progressive d’une protection européenne Une période d’ignorance (1) précède une période de conflit (2) qui s’achève par un apaisement (3). 1) L?

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