Droit constitutionnel PDF
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Université Libre des Pays des Grands Lacs
2013
Jean-Louis Esambo Kangashe
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Summary
This work on constitutional law examines the fundamental norms organizing power distribution and exercise within a state. It explores the evolution of constitutional thought, from customary frameworks to codified constitutions, and highlights the ongoing relationship between constitutional law and the promotion and protection of human rights. The author also explores the unique characteristics of African political systems in relation to constitutionalism.
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Jea n-L ou is Esa m bo K a nga sh e droit Le constitutionnel international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 LE DROIT CONSTITUTIONNEL international.scholarvox.com:ENCG M...
Jea n-L ou is Esa m bo K a nga sh e droit Le constitutionnel international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 LE DROIT CONSTITUTIONNEL international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 Jean-Louis ESAMBO KANGASHE LE DROIT CONSTITUTIONNEL international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 D/2013/4910/16 ISBN 13 : 978-2-8061-0101-3 © Academia-L’Harmattan s.a. Grand’Place, 29 B-1348 LOUVAIN-LA-NEUVE Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque pro- cédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit. www.editions-academia.be international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 À la mémoire du professeur Victor Jean-Claude DJELO EMPENGE-OSAKO international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 AVANT-PROPOS Branche, par excellence, de droit public, le droit constitutionnel est, au sens classique, une discipline qui étudie la Constitution entendue comme norme fondamentale qui aménage la dévolution et l’exercice du pouvoir dans un État. Même si, dans sa forme actuelle, la Constitution écrite n’est apparue, notamment pour les nécessités de stabilité juridique des États, qu’au XVIIIe siècle, le droit constitutionnel existait déjà, sous une configuration coutumière. Ce cadre organique de l’autorité n’avait donc pas besoin d’être formalisé dans un corpus de règles destinées à régenter la vie politique. Plus qu’une science normative, le droit constitutionnel s’est, progressi- international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 vement, occupé de l’analyse du pouvoir politique et des institutions poli- tiques consacrées ou non par la Constitution. Droit normatif ou institutionnel, le droit constitutionnel est essentiel- lement un droit politique même si, à cette époque, il s’occupait moins de la question de la promotion et de la protection des droits de l’homme et des libertés publiques pourtant indispensables à sa compréhension. Le souci d’assurer une efficace promotion des droits de l’homme et des libertés publiques a ainsi facilité l’établissement d’une attache entre la Constitution et les droits de l’homme et libertés publiques mais également entre ces derniers et le juge chargé de leur protection ; pour que soit aisé- ment constaté un lien fertile entre les droits de l’homme et libertés pu- bliques et le droit constitutionnel. Ce processus d’extension et de mutation du champ opératoire de la dis- cipline débouche indubitablement sur le passage d’un droit constitutionnel virtuel vers un droit constitutionnel réel, celui qui vit et se vit. La prise en charge des droits de l’homme et des libertés publiques parti- cipe, aujourd’hui plus qu’hier, de leur prestige et de leur force. Se justifie un engouement très prononcé vers le contentieux juridictionnel à la simple évocation ou constatation des violations des droits de l’homme et des libertés publiques. Le rôle que joue le juge dans la protection de ces droits et des libertés donne un nouveau tournant au droit constitutionnel qui cesse d’être un droit dogmatique, imagé se servant du dispositif juridique abstrait (droit constitutionnel) au profit d’un droit concret, celui qui vit et se vit (le droit constitutionnel). Cette nouvelle perception imposée à la discipline conduit inévitable- ment à la réorientation de son enseignement obligé de s’intéresser, désor- mais, à la question de promotion et de protection des droits de l’homme et 8 Le droit constitutionnel des libertés publiques (droit constitutionnel des libertés publiques) en plus des pré-acquis formés du cadre normatif (droit constitutionnel normatif) et institutionnel (droit constitutionnel institutionnel) de la dévolution et de l’exercice du pouvoir. C’est, assurément, la mobilisation du droit constitutionnel en direction de la protection juridictionnelle des droits de l’homme et des libertés pu- bliques que convoite l’intitulé de l’ouvrage, « le droit constitutionnel ». international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 PRÉFACE Il s’agit d’un livre à vocation pédagogique, une forme de manuel de quelque 340 pages qui, certes, passe en revue les thèmes traditionnels d’enseignement et de recherche en droit constitutionnel : l’État, la consti- tution, le pouvoir politique, la limitation du pouvoir, les régimes poli- tiques, les partis politiques et groupes de pression. Mais, quelles que soient les qualités que je reconnaisse à ces présentations et analyses d’un contenu somme toute classique, il me semble que les vertus innovantes de ce livre se trouvent ailleurs. Je vais, peut-être au-delà du rôle traditionnel du préfacier, engageant une réflexion ouverte sur le renouvellement de la pensée constitutionnaliste et le international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 rôle du constitutionnaliste en République Démocratique du Congo. Dans cette dimension spécifique, je retiendrai quelques-unes de ses probléma- tiques, notamment le lien établi entre, d’une part, constitution, droit consti- tutionnel et droits et libertés individuels et, d’autre part, le phénomène de juridicisation, et, même, de judiciarisation, de la vie politique à travers le droit constitutionnel considéré comme un droit « politique ». Mais, avant cela, ce ne serait pas sans intérêt que le lecteur pourrait uti- lement prêter son attention aux développements consacrés aux régimes politiques, spécialement sur la typologie des régimes politiques d’où il res- sort que les régimes politiques « africains » sont un type de régime poli- tique à part. L’auteur met en exergue le phénomène de l’hypertrophie de la présidence qui avait marqué les constitutions post-coloniales. Surtout, l’on constatera que même ceux de ces régimes issus du « renouveau démocra- tique » ont toujours une particularité qui se justifie par leur « africanité », ce que le professeur Jean-Louis Esambo appelle « des traits communs qui assurent leur unité géographique et politique ainsi que leur originalité ». Sur cette base, l’auteur propose « quelques grilles de présentation » ; mais, Jean-Louis Esambo avoue que ces régimes ne sont pas classables dans les typologies traditionnelles. Tout observateur remarquera que ces régimes théoriquement différents mais proches par cette inclassabilité, ont, même si l’auteur ne l’explicite pas, une caractéristique commune indépas- sable : toutes les combinaisons conçues ou inventées ont toujours eu pour objet ou pour effet de renforcer les pouvoirs présidentiels, soit dans le cadre de l’hyper présidentialisation d’un régime dont l’ossature ferait pen- ser au régime présidentiel ou de prépondérance présidentielle, que la men- talité politique des acteurs renforce au-delà du régime classique en atténuant tout ce qui pourrait établir des contrepoids ou des garde-fous : il n’y a pas un seul pays dans lequel, quels que soient les qualificatifs juri- 10 Le droit constitutionnel diques, tout ne tourne pas autour du chef de l’État. On n’est pas vraiment, dans l’ensemble, éloigné des diverses formes du régime dit « présidentia- liste » longtemps considéré, non sans raison, comme caractéristique de l’Afrique ; ces régimes s’éloignent assez de typologies classiques pour que l’auteur en fasse un groupe à part. Pas grand-chose n’a changé. Le lien entre constitutionnalisme, constitution, droits de l’homme et libertés individuelles. Je peux dire que, si ailleurs ces notions sont mises ensemble pratiquement de façon artificielle sans justification logique autre que la volonté de faire des droits de l’homme et libertés publiques l’un des contenus et des objets du droit constitutionnel, en tant qu’ils sont garantis et, parfois, réglementés par la constitution, le professeur Esambo s’engage avec bonheur dans la voie ouverte par quelques-uns parmi nous en mettant en lumière le lien logique, et co-naturel, de par l’histoire même du constitutionnalisme, entre constitution et droits et libertés individuels. C’est ici que l’auteur trouve dans l’histoire non seulement l’origine du international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 cours de droit constitutionnel mais aussi du droit constitutionnel et de la constitution elle-même. Dans le propos préliminaire il dit que « le souci d’assurer une efficace promotion des droits de l’homme et des libertés publiques a facilité l’établissement d’une attache, tout à la fois théorique et pratique, entre, d’une part, la constitution et les droits de l’homme et les libertés publiques et, d’autre part, entre ces derniers et le juge chargé de leur protection ». De la même manière, il découvre que la création d’une chaire de droit constitutionnel coïncide « avec quelques événements qui ont marqué la deuxième moitié du XVIIIe siècle au cours de laquelle il est observé une réclamation de plus en plus accrue de la liberté contre l’autorité détenue et exercée par le monarque ». En fait, c’est là toute l’histoire et tout le sens des constitutions dans l’évolution de l’organisation des communautés humaines en États. C’est que, dans son origine, le constitutionnalisme était loin de ne signifier que le fait banal d’établissement ou de processus d’établissement des constitu- tions : il avait plutôt, de par les circonstances historiques de son appari- tion, une signification et une fonction idéologique et sociétale précises, à travers notamment le but recherché par les promoteurs américains et fran- çais du mouvement constitutionnel1. Cette idée a, dès le départ, conduit les promoteurs des constitutions ré- volutionnaires américaine et française à assigner à la constitution une fonction aussi bien idéologique que politique, celle de limiter le pouvoir des gouvernants et de promouvoir et garantir les libertés des gouvernés 1 Lire à ce sujet, MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO A., Espoirs et déception de la quête constitu- tionnelle congolaise. Clé pour comprendre le processus constitutionnel du Congo-Kinshasa, AMA éd. BNC, Nancy-Kinshasa, 2005. Préface 11 ainsi promus à la citoyenneté. Au point où les révolutionnaires français de 1789 ont lié l’établissement d’une constitution et les droits de l’homme, et vice-versa, ainsi que le prescrit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en son article 16 : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». L’existence d’une constitution devient ainsi le sym- bole de la garantie des droits et libertés ainsi que de la limitation du pou- voir par la « séparation des pouvoirs » si connue aujourd’hui. L’équation, simple, était donc « sans constitution, pas de liberté ; pas de liberté sans constitution ». C’est ce que, toujours les révolutionnaires français expri- ment par ailleurs : « Tout peuple qui n’a pas de constitution n’est point un peuple libre ». Depuis, on a pris l’habitude de consacrer certaines dispositions consti- tutionnelles aux droits de l’homme, droits humains ou droits du citoyen et libertés fondamentales. La première pratique sur ce point fut assez simple, consistant à faire figurer des « déclarations de droits » dans les constitu- international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 tions, tel fut le cas de la pratique américaine depuis la constitution de 1787, même si, depuis, des « amendements » sont venus compléter le mé- canisme par l’insertion de droits nouveaux dans la constitution. Tel fut également et est encore la pratique française, qui consiste à faire figurer en tête de la constitution une déclaration assez succincte des droits du citoyen et, même par la simple référence à la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », étant entendu que depuis la constitution du 27 octobre 1946, dite de la IVe République, une nouvelle déclaration, des droits récents notamment les droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu’une Charte de l’environnement adoptée en 2004 sont venues s’ajouter, au fronton de la constitution du 4 octobre 1958, comme une sorte de préambule. Si, dans bien des pays, l’on se contente de l’évocation de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Na- tions Unies en 1948, un certain nombre de pays, même européens, ont innové en consacrant tout un titre ou chapitre de la constitution aux droits de l’homme, cette fois-ci alors détaillés et comprenant les droits tradition- nels et les droits de conception plus moderne (droits économiques, sociaux et culturels, droits dits « communautaires » relatifs à la paix, au dévelop- pement et à l’environnement et, en général, à la qualité de la vie). Le Con- go-Kinshasa s’est rallié à cette dernière pratique et consacre tout le titre II de sa constitution du 18 février 2006 aux « droits humains, libertés fon- damentales et devoirs du citoyen et de l’État ». Alors que des spécialistes français venus à la rescousse en 2005, suivis en cela par une partie d’experts congolais, « conseillaient » de ne pas « alourdir » le texte avec des matières qui, selon eux, ne devaient pas y figurer, une autre partie d’experts expliqua le bien-fondé de ce titre qui tient compte des « réalités congolaises », à savoir la propension des poli- tiques congolais à méconnaître la constitution (a fortiori les choses non 12 Le droit constitutionnel explicitées) et qui, d’ailleurs, continuait une tradition déjà ancrée dans l’histoire constitutionnelle congolaise. On voit cependant une innovation, avec cette insertion, aujourd’hui as- sez généralisée dans les constitutions africaines, des devoirs des citoyens, déjà présente dans une déclaration française de 1793, et que la constitu- tion du Congo-Kinshasa amplifie en « devoirs du citoyen et de l’État ». En fait cette tradition a surtout été suivie par des États dictatoriaux (comme fut le régime de 1793 que les Français ont abandonné aussitôt), acceptant avec réticence les droits du citoyen et en atténuant la portée par ces « de- voirs du citoyen » comme si les droits naturels de l’homme ne peuvent lui être garantis que contrebalancé par des devoirs ; tandis que ces soi-disant « devoirs de l’État » ne traduisent que des devoirs « réflexes » des droits reconnus au citoyen. Il est vraiment bon que le professeur Jean-Louis Esambo Kangashe ait fait connaître à nombre de nos concitoyens et, sans doute, à nombre de nos dirigeants et législateurs, cette réalité ignorée d’eux que la fonction de la international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 constitution est avant tout de garantir les droits des citoyens et de limiter le pouvoir de l’État, réalité aujourd’hui confortée par le droit international qui consacre aux droits et libertés plusieurs instruments juridiques obliga- toires. Dans ce sens, bien des textes qui se font appeler « constitution » n’en sont pas vraiment. Il s’en suit, et nous en verrons ci-après par l’importance qu’en manifeste l’auteur, que la méconnaissance, par la viola- tion, de la constitution porte largement atteinte aux droits et libertés des citoyens. Autre point méritant : l’identification par l’auteur du Droit constitu- tionnel comme un droit « politique » met en exergue la juridicisation et la juridiciarisation de la vie politique. L’auteur cherche à expliquer le lien, qui paraît caractéristique du droit constitutionnel, entre ce dernier et la politique. Cette affirmation est exacte : en tant qu’il s’intéresse aux phé- nomènes de pouvoir politique et d’État, on peut dire que la matière du droit constitutionnel est la politique. C’est, me semble-t-il, dans cette signi- fication matérielle-objective qu’il faut entendre l’expression « droit poli- tique ». Certes, en se frottant à la chose politique, même, comme il le faut, avec des questionnements et éclairages sociologiques, le droit constitution- nel peut se voir teinté par la politique, mais il n’en devient pas pour autant de la science politique. C’est pourquoi l’auteur analyse les rapports entre le droit constitutionnel et les autres branches des sciences sociales et en marque nettement les différences ; ainsi, en affirmant qu’on a, avec le droit constitutionnel, un droit « politique », il faut entendre par là qu’il s’agit d’un corps de normes juridiques qui « se rapporte au gouvernement de l’État », à la chose et à la vie politiques. C’est vrai que, à ce titre, comme l’écrit Jean-Louis Esambo, le droit constitutionnel « est un ensemble de règles juridiques applicables au pouvoir politique dans un État donné. Il encadre les pouvoirs et les acteurs politiques » (c’est moi qui souligne). Préface 13 On peut, dès lors, affirmer que le droit constitutionnel, en soumettant la vie politique à des normes juridiques (contenues dans la constitution), juridicise la vie politique et en fait un objet du droit et un cadre d’application du droit. On ne peut donc pas, comme le font certains politi- ciens, prétendre que la politique n’a rien à voir avec le droit, au point de complexer des juristes qui osent scruter les pratiques politiques à l’aune du droit, c’est-à-dire essentiellement à l’aune du respect ou non de la constitu- tion et des lois de la République. Pourtant, le bon sens c’est qu’il n’est pas possible de prétendre faire la politique en écartant le droit alors que la vie politique, les acteurs politiques et leur action sont encadrés par la constitu- tion : la politique doit respecter la constitution ; ou alors on réintègre la jungle où il n’y a ni foi ni loi. On pourrait tenir le même jugement pour ceux qui, toujours très nombreux chez-nous, opposent politique à morale, prônant et pratiquant l’amoralisme et, dans la foulée, l’immoralisme. On pourrait dire la même chose de l’incompatibilité que les mêmes décrètent entre politique et raison, prônant le sentimentalisme, l’empirisme et international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 l’improvisation comme principes et moteurs de la politique. Mais en nous en tenant aux deux ordres normatifs, le juridique par la constitution, et le moral par l’éthique, nous remarquons que leur négation comme régulateurs de la vie politique conduit aux dérives que nous déplo- rons : violations massives du droit et immoralité gestionnaire ambiante ainsi qu’impunité ; d’ailleurs, droit et morale sont intimement liés même en politique, car l’observation du droit par les acteurs politiques et les diri- geants est la première règle de l’éthique politique ou de l’éthique de la gou- vernance des cités. Merci à Jean-Louis Esambo d’avoir porté ces vérités à raison desquelles je me suis toujours insurgé contre les conceptions et pratiques rétrogrades sur le rapport de la politique au droit : droit « poli- tique » ne signifie pas droit « dominé par la politique » ou « au service du politique », mais cela signifie un droit dont l’objet est de réglementer la vie politique, le pouvoir, l’État, les questions de dévolution (suffrage et élec- tions) et d’exercice du pouvoir ; parce qu’il s’agit d’un DROIT, il doit être respecté. C’est ce qui permet à l’auteur d’attacher à la constitution, aux droits de l’homme et aux libertés publiques le contrôle par le juge. La vie politique est aujourd’hui traversée par le droit, l’existence de celui-ci entraîne auto- matiquement celle du juge chargé d’assurer la suprématie de la constitu- tion et des droits et libertés qu’elle garantit. D’où, l’importance et le rôle du contrôle de constitutionnalité, de la soumission des politiques et des gouvernants au droit et de leur obligation de se soumettre au contrôle. Car, comme l’écrivait The Federalist (un recueil d’articles, écrit entre 1787 et 1788 par James Madison, Alexander Hamilton et John Jay, publié en vue d’une promotion de la nouvelle Constitution des États-Unis d’Amérique) : « Si les hommes étaient des anges, il n’y aurait pas besoin de gouvernement. Si les anges devaient gouverner les hommes, il n’y aurait 14 Le droit constitutionnel pas besoin de contrôle ». Sans doute, ces patriarches du constitutionna- lisme avaient oublié que même les anges pèchent et auraient besoin d’être contrôlés, la preuve c’est qu’ils ont été les premiers occupants de l’enfer. En politique, la première forme de contrôle est le contrôle parlemen- taire qui met en jeu la responsabilité politique des gouvernants devant la représentation nationale. Mais, s’y est ajouté progressivement le contrôle judiciaire ou juridictionnel en matière pénale (graves infractions de cor- ruption, concussion, détournement, ou toutes autres de droit commun…) ou politique et constitutionnelle (contentieux électoral, inconstitutionnali- té, haute trahison, etc.). On peut dire que, par ce rôle actif joué par le juge et les juridictions, après avoir été juridicisée, soumise au droit, la vie poli- tique se juridictionnalise ou se judiciarise, elle est contrôlée par les juridic- tions, elle devient objet de contrôle juridictionnel ou judiciaire et va être ponctuée et marquée par de plus en plus de décisions de justice. La juridic- tionnalisation ou judiciarisation est aujourd’hui une conséquence normale de l’évolution du droit constitutionnel ; c’est un bonheur qui ne doit pas international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 être terni par la fausse crainte d’un soi-disant « gouvernement des juges » que feignent d’afficher certains, y compris des constitutionnalistes. De telle sorte que tout celui qui détient une parcelle du pouvoir d’État doit être soumis et se soumettre de bonne grâce au contrôle institué par la constitution, sans que son évocation n’effarouche personne et ne soit con- sidérée comme un crime de lèse-majesté. Le contrôle ne doit pas effrayer, il ne doit pas être considéré comme une malveillance ou de la méfiance à l’égard de qui que soit, il n’insinue pas que les dirigeants ainsi soumis au contrôle soient malhonnêtes ; c’est une culture qu’il faut acquérir et il doit, à ce titre, être inculturé dans la vie politique comme facteur positif et exi- gence de la bonne gouvernance. Mais, ainsi que le montrent les exemples retenus par Jean-Louis Esam- bo dans l’exposé sur le contrôle de constitutionnalité, il doit s’agir d’un contrôle institutionnel, de sorte que le contrôle qui dépend du bon vouloir d’un seul n’en est pas vraiment un ; le contrôle doit également être réel et effectif, sans se limiter à une disposition dont les conditions d’application rendent celle-ci impossible : une disposition pour rien ou pour faire sem- blant ou destinée intentionnellement à ne pas être appliquée. Nous apprenons de l’auteur que, sans tous ces mécanismes qui garan- tissent, par un contrôle effectif, l’autorité et la suprématie de la constitu- tion « contrariée par les violations fréquentes des règles », peut se poser le problème de « l’utilité de la constitution », sentiment que les Congolais expriment très souvent. Il écrit, en effet, que « les dispositions constitu- tionnelles ne valent que par l’usage qu’on en fait. Une constitution ne doit pas se résumer en un creuset de dispositions programmatrices ne renfer- mant que des vœux pieux insusceptibles d’application par le juge chargé justement de recevoir les doléances des gouvernés sur les violations (des dispositions) », au risque de « amener les citoyens à désobéir aux gouver- Préface 15 nants », sous diverses formes pouvant aller de la simple désobéissance à un coup de force, en passant par la révolte et la révolution. Il convient de terminer cette réflexion inspirée de l’ouvrage du professeur Esambo en partageant ses préoccupations concernant le rôle du constitu- tionnaliste et, en particulier, de l’enseignant du droit constitutionnel, à par- tir de toutes ces considérations, notamment de celles que j’ai signalées ici comme d’heureuses innovations. Notamment, l’auteur constate que, par cette promiscuité entre le droit constitutionnel et le couple politique-vie politique, le maniement, par le constitutionnaliste et l’enseignant, des ins- truments de droit constitutionnel aux confins avec la politique, est délicat. Se pliant à cela, nous voyons que, le plus souvent, l’enseignant congo- lais a ignoré la fonction idéologique du droit constitutionnel en tant que le constitutionnalisme a historiquement accompagné les conquêtes dans le domaine de la reconnaissance et de la protection des droits fondamentaux des citoyens. Alors que, par ses compétences techniques en la matière et ses convictions, le constitutionnaliste, loin de se faire l’expert institution- international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 nel limité par une lecture purement littéraliste et, au mieux, exégétique, des règles statiques du fonctionnement des États, devrait prendre en compte ce qui, par l’essor du constitutionnalisme révolutionnaire, caracté- rise aujourd’hui le droit constitutionnel, c’est-à-dire la formidable percée du mouvement, de l’idéologie et du droit des droits de l’homme. L’ouvrage de Jean-Louis Esambo, arrivant dans cette voie après celui d’Ambroise Kamukuny2 démontre la nécessité d’un nouvel éclairage sur le constitutionnalisme, le rôle et la fonction idéologique du droit constitu- tionnel, en tout cas chez les constitutionnalistes congolais jusque-là forma- tés par le formalisme traditionnel dans l’enseignement du droit constitutionnel au Congo. Au lieu de chercher à tout prix à devenir, comme dit le professeur Kamukuny, « les chouchous » au sein de l’élite du pouvoir, les constitutionnalistes devraient, dans ces perspectives du vrai constitutionnalisme, mettre à nu la pratique de la constitution par ceux qui sont chargés de sa mise en œuvre mais qui s’évertuent au contraire à creu- ser le clivage entre les idéaux et valeurs constitutionnels et les déviances et violations que, fallacieusement, certains assimilent à la « coutume constitu- tionnelle ». Tant il est vrai, comme l’écrit le professeur Évariste Boshab, que « les dirigeants politiques, qui auraient pu s’ériger en protecteurs indi- qués des dispositions constitutionnelles, semblent plutôt préoccupés par la patrimonialisation du pouvoir de sorte qu’il s’en suit une personnalisation à outrance, insusceptible de favoriser une meilleure applicabilité des textes »3. 2 KAMUKUNY MUKINAY A., Droit constitutionnel congolais, Kinshasa, Éditions Universitaires Africaines, 2011. 3 Préface à l’ouvrage de KAMUKUNY MUKINAY A., Contribution à l’étude de la fraude en droit constitutionnel congolais, Louvain-la-Neuve, L’Harmattan-Academia, 2011. 16 Le droit constitutionnel C’est à ce prix que l’on pourra encore ressentir ce que le professeur Esambo appelle « l’utilité de la constitution » et, bien évidemment, du droit constitutionnel. Puisse le constitutionnaliste, face à l’omniprésence des violations et à la prétention des politiques de s’émanciper du respect de la constitution, continuer, envers et contre tout, d’affirmer la suprématie de la constitution et d’en dénoncer sans relâche les violations. Auguste MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO Professeur de Droit Public international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 LISTE DES SIGLES ET PRINCIPALES ABRÉVIATIONS Al : alinéa Alii : autres ARC : Armée Révolution du Congo Art : article Bull : Bulletin des Arrêts Bur : Bureau CÉDÉAO : Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 CDHC : Campagne pour les Droits de l’Homme au Congo CDU : Christlich Demokratische Union CNDP : Convention Nationale pour la Défense du Peuple CPP : Convention Peoples Party CSU : Christlich Soziale Union CÉI : Commission Électorale Indépendante CÉNA : Commission Électorale Nationale Autonome CÉNI : Commission Électorale Nationale Indépendante CNCÉ : Commission Nationale de Centralisation des Élections Col : Colonne Coll. : Collection CRÉDILA : Centre de Recherche, d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines CSJ : Cour Suprême de Justice D.L : Décret Législatif Dir : Ouvrage rédigé sous la direction de Éd : Édition Élecam : Élection Cameroun ÉNA : École Nationale d’Administration ÉU : Éditions Universitaires ÉUA : Éditions Universitaires Africaines HCDH : Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme Ibidem : auteur cité deux fois successives dans une même page Idem : auteur cité pour la deuxième fois In : œuvre tirée de LGDJ : Librairie Générale de Droit et de la Jurisprudence M23 : Mouvement du 23 mars MNSD : Mouvement National pour la Société du Développement 18 Le droit constitutionnel MPR : Mouvement Populaire de la Révolution N° : numéro NORAF : Nouvelles Rationnalisés Africaines Op.cit : ouvrage déjà cité P : page PP : de la page à la page PCT : Parti Congolais du Travail PDCI : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire PDGE : Parti Démocratique de Guinée-Équatoriale PP : de la page x à la page y PPT : Parti Progressiste Tchadien PUC : Presses Universitaires du Congo PUF : Presses Universitaires de la France PUK : Presses Universitaires de Kinshasa R.A : Rôle administratif RE : Rôle électoral international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 RCE : Rôle de contentieux électoral RCE/DN : Rôle de contentieux électoral /Députation nationale R. Const : Rôle constitutionnel SF : siège fictif SR : siège réel SS : pages suivantes T : tome TSR : Toutes sections réunies UDR : Union pour la Démocratie et la République UDPM : Union Démocratique du Peuple Malien UÉMOA : Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine UNC : Union Nationale Cameroun SOMMAIRE Introduction Chapitre I : Les données constitutionnelles et politiques Section 1 : Le droit constitutionnel Section 2 : Les institutions politiques Section 3 : Les rapports entre le droit constitutionnel et la science politique international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 Chapitre II : L’État Section 1 : La notion d’État Section 2 : Les formes d’État Section 3 : Les fonctions de l’État Chapitre III : La Constitution Section 1 : La notion de Constitution Section 2 : La suprématie de la Constitution Section 3 : Le contrôle de constitutionnalité des lois Chapitre IV : Le pouvoir politique Section 1 : La source du pouvoir Section 2 : La structure du pouvoir Section 3 : Le choix démocratique des gouvernants Chapitre V : La limitation du pouvoir Section 1 : Le droit naturel, instrument de limitation du pouvoir Section 2 : La théorie de libertés publiques et l’aménagement du pouvoir 20 Le droit constitutionnel Chapitre VI : Les régimes politiques Section 1 : La notion de régime politique Section 2 : La théorie de la séparation des pouvoirs Section 3 : La typologie des régimes politiques Chapitre VII : Les partis politiques et les groupes de pression Section 1 : Les partis politiques Sections 2 : Les groupes de pression international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 INTRODUCTION La recherche de l’origine du droit constitutionnel permet d’identifier l’objet de la discipline et l’intérêt qu’elle présente auprès des étudiants en droit et en science politique mais également des pouvoirs publics et des citoyens. Le choix d’une méthodologie adaptée aux besoins de l’enseignement rend compte de la nécessité d’imbriquer, dans un seul corps des règles juridiques, des phénomènes jadis séparés : l’internationalisation du droit constitutionnel répond ainsi à ce besoin d’uniformatisation des modèles constitutionnels dans un monde devenu, par l’effet de la mondialisation, de plus en plus interdépendant. international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 1. L’origine du droit constitutionnel L’origine du droit constitutionnel est difficile à établir tant la doctrine n’est pas encore parvenue à imposer, avec exactitude, une date à partir de laquelle on peut situer la naissance de cette discipline. Les recherches pa- raissent, a priori, contre-productrices même pour identifier les pères fon- dateurs. Devant cette gêne pourtant surmontable, on se contentera d’indiquer que, contrairement aux autres branches de droit notamment le droit civil, le droit privé ou le droit pénal dont l’établissement remonte à des siècles, sinon à des millénaires, la création d’une chaire de droit constitutionnel est un phénomène relativement récent. Elle n’est pas loin de coïncider avec quelques événements qui ont marqué la deuxième moitié du XVIIIe siècle au cours de laquelle il s’est observé une réclamation, de plus en plus accrue, de la liberté contre l’autorité détenue et exercée par le mo- narque. Sous l’influence des publicistes et des philosophes des Lumières, ce siècle a, ensuite, sonné le glas d’une époque où l’exercice de la liberté ne pouvait franchir les limites que lui imposaient les prescriptions mais éga- lement les us et coutumes d’une monarchie préoccupée, par ailleurs, par la création d’un corps de règles destinées à régenter la vie publique. La garan- tie de la protection et de la promotion des libertés publiques et des droits fondamentaux des citoyens relevait ainsi des matières de seconde zone. L’exercice, dans un même espace et peut-être en même temps, de la li- berté et de l’autorité créera, enfin, le besoin pour chaque État de disposer d’un paquet de règles destinées à y régir les différents rapports sociopoli- tiques. La conquête et l’exercice de la liberté vont largement influer sur la 22 Le droit constitutionnel mise en place du constitutionnalisme entendu comme mécanisme d’établissement des Constitutions. Initialement produit par la doctrine anglo-saxonne, le constitutionna- lisme a fini par conquérir toute l’Europe occidentale et le reste du monde. Son expansion s’est accompagnée de l’évolution de son contenu : le con- cept cesse d’être cette technique de production constitutionnelle pour se situer dans la perspective de la limitation, du contrôle et de l’encadrement du pouvoir par la voie de l’écriture constitutionnelle. La revendication, enfin, d’un document contenant l’ensemble d’ordonnancements juridiques relatifs à la dévolution et à l’exercice du pouvoir ainsi qu’à la garantie et à la protection des droits de l’homme et des libertés publiques va enrichir les réflexions sur la création, en droit et, plus tard, en science politique, d’une discipline dont l’objet serait l’étude de la Constitution. Une précision s’impose à ce niveau : il est faux d’affirmer qu’avant le XVIIIe siècle, les États ne disposaient pas de Constitution. En Europe international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 comme ailleurs, les rapports sociaux au sein des Empires et Royaumes traditionnels étaient régis par des règles coutumières obligatoires et impo- sables à tous. Ces sociétés n’avaient donc pas besoin de se doter d’une Constitution écrite pour conduire la dévolution et l’exercice du pouvoir. Le XVIIIe siècle constitue, cependant, une étape décisive qui consacre la victoire de la liberté sur l’autorité et l’exigence, pour chaque État, de dis- poser d’une Constitution écrite sur laquelle repose l’ordre juridique de tout État. Il décline, ensuite, un indicateur indispensable à la connaissance et à l’évolution du mouvement de production, à travers le monde, des Constitu- tions écrites. À peine consacré, le droit constitutionnel éprouve déjà des difficultés à s’affirmer comme discipline autonome, sans doute, en raison des vicissi- tudes qui ont souvent entouré son enseignement. 2. L’objet du droit constitutionnel Bien que d’origine relativement récente, le droit constitutionnel con- serve, tout de même, une place de première importance parmi les disci- plines juridiques. Il est, hiérarchiquement, supérieur aux autres branches de droit. Traditionnellement tourné vers l’étude de l’État en tant qu’institution organisée dans et par la Constitution, le droit constitutionnel avait une portée limitée à l’étude de l’État-nation consacré, jusque-là, au XVIe siècle. Malgré la clarté et la précision dans la fixation des repères assignés à la discipline, cette conception du droit constitutionnel ne couvre pas tous les aspects de la question. Elle apparaît, donc, par l’évolution de la société, dépassée. Actuellement, on attribue au droit constitutionnel un objet plus large dépassant la simple analyse de l’État-nation, pour s’occuper d’une matière Introduction 23 si sensible qu’est le pouvoir politique, naturellement, exercé dans un cadre organisé. L’organisation d’une société en État confère ainsi au pouvoir politique toute sa légitimé, son caractère institutionnalisé et contraignant. Loin de se repousser, ces deux conceptions de la discipline se rejoignent au contraire : le droit constitutionnel ne se limite plus à l’étude de la Cons- titution de l’État, il établit un lien entre la Constitution et le pourvoir poli- tique dans sa triple dimension génétique (au moment de sa naissance), organisationnelle (pendant sa dévolution) et fonctionnelle (dans son exer- cice et peut-être à l’occasion de sa perte). L’exercice du pouvoir politique est, par les divers avantages qu’il pro- cure, source de convoitises et, parfois, de dérapages. Il importe de lui im- poser des limites qui permettent d’assurer son contrôle au bénéfice du constitutionnalisme. Une telle ambition peut être aisément réalisée au moment de l’établissement d’une Constitution qui consacre, par ailleurs, la séparation des pouvoirs, la limitation et le contrôle du pouvoir ainsi que la protection et la promotion juridictionnelle des droits de l’homme et des international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 libertés publiques. De tout temps, en effet, on remarque que les règles constitutionnelles ne s’accommodent pas toujours de la pratique du pouvoir ; un divorce plus ou moins profond est souvent constaté entre les prescriptions constitu- tionnelles et l’exercice du pouvoir. Un double sentiment se dessine donc au tour du constitutionnaliste. Il lui revient, d’une part, d’inventorier et de diffuser, au profit des pouvoirs publics et surtout des citoyens, les matériaux indispensables à la connais- sance, dans un État, du processus de dévolution et d’exercice du pouvoir ; ceci, d’autre part, peut le placer, parfois, en porte à faux avec les gouver- nants qui redoutent, non sans raison, ses analyses et critiques sur la dévo- lution et l’exercice de leur pouvoir. Étant donné que l’étude du pouvoir politique peut conduire au dévoi- lement, voire à la démystification des conditions et de la procédure qui ont présidé à son accession ou à son exercice, la responsabilité du constitu- tionnaliste apparaît, du point de vue moral et, même politique, exigeante. Si l’étude du droit constitutionnel revêt particulièrement un caractère délicat en raison de son objet qui porte sur le pouvoir politique, une mise en perspective pédagogique s’avère indispensable. Elle révèle l’impression de facilité d’une discipline a priori connue de tous eu égard à la familiarité apparente que l’on a des questions qui y sont abordées (État, Constitution, pouvoir politique, élection, démocratie, régime politique, partis politiques, société civile…) et qui sont généralement relayées par la presse, les pério- diques, des divers matériaux produits à l’occasion des ateliers, des confé- rences ou réunions politiques. Plus qu’une invention des institutions ou des organes politiques, ces questions sont le reflet des données que la socié- té offre à la science constitutionnelle. 24 Le droit constitutionnel L’impression de facilité que recouvre l’enseignement du droit constitu- tionnel contraste avec une complexité déduite de la connaissance simulta- née d’autres disciplines telles que la science juridique, la philosophie du droit, la psychologie juridique, l’histoire du droit, la géographie politique, la science politique ou la sociologie politique. Toutes ces disciplines proposent au constitutionnaliste un ensemble de matières nécessaires à la meilleure perception des phénomènes constitu- tionnels et politiques de sa société. 3. L’intérêt de l’étude du droit constitutionnel En droit tout comme en science politique, l’enseignement du droit cons- titutionnel présente un intérêt certain et évident. Cet intérêt tient à plu- sieurs facteurs. On relève, tout d’abord, que le destin de chaque nation semble reposer sur l’importance et le volume des pouvoirs accordés à ceux qui en assurent international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 la commande ou qui ont le pouvoir de vouloir pour les citoyens. L’on croit, en effet, que le développement d’une nation est largement tributaire des prérogatives dont bénéficient les détenteurs du pouvoir : plus les gouver- nants disposent de pouvoirs importants dans la conduite des affaires de l’État, plus, en théorie, les citoyens sont portés à en tirer un bénéfice en termes de développement dont ils ont besoin. Qu’il s’agisse de la crise économique et financière internationale, de ré- volutions provoquées en Europe orientale par la perestroïka, de la con- quête de la liberté en Asie et en Amérique latine, de la vague des conférences nationales africaines ou du printemps arabe en Afrique du Nord…, la solution aux problèmes de la gestion de l’État met en exergue la responsabilité des institutions consacrées par la Constitution. Le droit constitutionnel apparaît ainsi comme le cadre le mieux indiqué pour en percevoir le bien-fondé et y suggérer les solutions adéquates. Étant donné que le droit constitutionnel s’occupe, ensuite, de l’étude des règles sur la dévolution et l’exercice du pouvoir, il contribue, dans une certaine mesure, à l’encadrement politique et civique des citoyens. La con- naissance par ces derniers de leurs droits constitutionnels est un indica- teur important de leur participation à la conduite aussi bien qu’à la gestion des affaires de l’État. Dans sa perception actuelle, le droit constitutionnel est tout à la fois un droit passéiste et tourné vers l’avenir. Contrairement au droit privé dont la plupart des règles constituent des standards, dévoilant par là leur caractère statique, le droit constitutionnel est dynamique. Les questions y abordées exigent le dépassement de la simple analyse normative ou exégétique des textes pour se situer dans l’examen des faits constitutionnels offerts par la société. Le droit constitutionnel se définit, enfin, comme un ensemble des règles juridiques applicables au pouvoir politique dans un État donné. Il a voca- Introduction 25 tion à encadrer le comportement des acteurs politiques et des pouvoirs publics. Dans la mesure où ce sont, précisément, les gouvernants qui font les lois, édictent des normes réglementaires opposables à tous, lesquelles sont interprétées par les décisions des cours et tribunaux, on peut affirmer que le droit constitutionnel est à la source de toutes les autres branches du droit (droit civil, droit pénal, droit commercial, droit du travail, etc.)4. Procureur de la lumière et de l’énergie nécessaires à l’existence d’autres disciplines juridiques, le droit constitutionnel les conditionne : il passe, en définitive, pour un droit fondamental et supérieur. Cette supériorité est, certes, contrariée par les violations fréquentes des règles qu’il a mises en place, ce qui pose le problème de l’utilité de la Constitution. Si, en effet, la violation des stipulations contractuelles ou des dispositions légales en ma- tière pénale paraît, à première vue, facile à sanctionner, il n’en est pas de même pour la transgression des règles constitutionnelles. Les faiblesses constatées dans la cohérence entre les dispositions consti- tutionnelles et la pratique du pouvoir conduisent à penser à l’inexistence, international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 en droit constitutionnel, des sanctions contre la violation de la Constitu- tion. L’observation incite, néanmoins, à soutenir l’effectivité des contraven- tions aux règles édictées par la Constitution. Cette effectivité dépend, en effet, de la manière dont la Constitution, elle-même, a été mise en place et des objectifs qu’elle s’est assignés. Dans l’agencement des pouvoirs entre les différents organes de l’État, la Constitution peut être amenée à assurer l’équilibre institutionnel empê- chant l’abus du pouvoir au bénéfice d’une institution. Elle favorise ainsi l’harmonie et la cohésion institutionnelle avec, en toile de fond, la possibi- lité de contrôle des unes vis-à-vis des autres. Dans un régime présidentiel, par exemple, la consécration de la séparation des pouvoirs ou le contrôle de la constitutionnalité des lois constituent des garde-fous contre tout abus du pouvoir. Il en est, également, ainsi de la responsabilité politique ou pénale des gouvernants, en régime parlementaire, et qui dévoile l’idée d’assurer l’effectivité des sanctions juridiques organisées. Norme fondamentale de tout État, la Constitution aménage la surveil- lance du pouvoir par l’agencement des mécanismes de contrôle de consti- tutionnalité des lois et des autres textes qui en tiennent lieu. Modulée par la Constitution ou par des lois spécifiques, cette double responsabilité peut conduire à une sorte de « juridictionnalisation » de la vie politique5. Les sanctions qui pourraient en découler sont, sans doute, juridiquement non organisées. 4 Le POURHIET, A.-M., Droit Constitutionnel, Paris, 2e éd., Economica, 2008, p. 1. 5 COMMAILLE J., DUMOULIN L. et ROBERT C., La juridicisation de la politique, Paris, LGDJ, Lextenso Éditions, Coll. Droit et Société, 2010, pp. 14-15. 26 Le droit constitutionnel Les dispositions constitutionnelles ne valent que par l’usage qu’on en fait. Une Constitution ne doit pas se résumer en un creuset des disposi- tions programmatrices ne renfermant que des vœux pieux insusceptibles d’application par le juge chargé, justement, de recevoir les doléances des gouvernés sur leurs violations6. En principe, la Constitution ne demande pas au législateur de prendre des mesures particulières pour assurer l’effectivité des droits qu’elle con- sacre. La jouissance de ces droits étant normalement immédiate, la mé- connaissance autorise la victime de s’en prévaloir devant le juge en vue d’obtenir une sanction adéquate. Ces droits permettent, donc, à toute personne de faire échec à tout indi- vidu ou groupe d’individus qui prendraient le pouvoir par la force ou qui l’exerceraient en violation de la Constitution. Bien que constitutionnelle- ment organisés, ces droits risquent d’apparaître, en l’absence des lois d’application, comme une fiction, leur plein exercice étant subordonné à l’édiction, par le législateur, de lois spécifiques. Il en est ainsi du droit à la international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 désobéissance civile ou à la résistance à l’oppression. Dans un régime démocratique, la Constitution est le fondement, par ex- cellence, du pouvoir politique. L’interruption ou la méconnaissance de l’équilibre institutionnel qui y est consacré peut amener les citoyens à désobéir aux gouvernants. Cette désobéissance est susceptible de couvrir les modalités diverses allant de la rébellion au coup d’État en passant par la révolution, le coup de force ou le putsch et le coup de balais. En droit constitutionnel, la rébellion procède d’une résistance organisée ou pas, utilisant la violence ou les voies de fait comme moyen pour s’opposer à un gouvernement régulièrement établi ou pour accéder au pouvoir. À la différence de la rébellion, la révolution consiste en un mouvement social réalisé brusquement par la force populaire, en méconnaissance des règles constitutionnelles ou légales en vigueur et, ayant pour but le chan- gement violent et complet de l’ordre constitutionnel établi. Elle conduit, généralement, au remplacement d’un gouvernement légal par un autre. La révolution se distingue, également, du coup d’État en ce qu’elle a pour auteur le peuple et non une autorité constituée. Par coup d’État, on entend un acte par lequel une autorité constituée (parlement, gouvernement ou pouvoir judiciaire) s’empare, de manière brutale, du pouvoir ou s’y maintient illégalement. Le coup d’État vise, donc, une prise du pouvoir par des moyens illégaux en recourant souvent à la force armée. 6 ESAMBO KANGASHE, J.-L., La Constitution Congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du consti- tutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, Coll. Bibliothèque de droit africain, 2010, pp. 180-181. Introduction 27 Synonyme de putsch, le coup de force est un procédé par lequel une partie de l’armée décide de prendre le pouvoir ou de s’y maintenir en viola- tion des règles établies. Il aboutit à l’établissement, sans effusion de sang, d’un nouveau régime. Contrairement au coup de force, le coup de balais fait intervenir, non pas une unité de l’armée mais un groupe d’officiers dans le processus de prise ou de maintien au pouvoir. N’étant pas consacrées par la Constitution, ces différentes modalités d’accession ou de maintien au pouvoir constituent des sanctions politiques inorganisées. 4. Les méthodes de recherche en droit constitutionnel La nature et le nombre des méthodes en droit constitutionnel divisent encore la doctrine. La controverse a atteint son paroxysme avec la confu- sion délibérément entretenue entre une méthode et une approche. Une opinion a, d’ailleurs, affirmé qu’en droit, il n’existe que deux méthodes de international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 sciences sociales (juridique et sociologique), les autres n’étant que des techniques7. Sans méconnaître l’apport, combien important, qu’offrent le droit et la sociologie dans l’appréhension des questions constitutionnelles, une opi- nion suggère de recourir à d’autres méthodes, notamment la comparaison, l’histoire, la dialectique, la diachronique ou la systémique. Un auteur pense, à juste titre, qu’il n’existe pas une seule méthode de travail en droit public. Et quand bien même cette méthode existerait, elle risque de se transformer en un dogme sclérosant la pensée du chercheur8. Souscrivant à cette position affirmée, dix-neuf ans auparavant par Feyerabend9, l’auteur adhère à l’idée de pluralité de méthodes en droit public, lesquelles varient selon la personnalité du chercheur et l’objet de son étude. Cette controverse conduit à une distance, obligatoirement nécessaire, à prendre à l’égard d’un dogmatisme méthodologique et à considérer qu’en cette matière, il n’y a pas de « prêt-à-porter » ni de « copier-coller ». Aussi, convient-il de soutenir la terminologie « approche » qui paraît plus large que « méthode ». L’étude du droit constitutionnel suggère, donc, que l’on fasse appel à une double approche, juridique et de science politique. 7 KITETE KEKUMBA OMOMBO A., Droit Constitutionnel et Institutions Politiques, Kinshasa, EU, 2010, p. 1. 8 COHENDET CHASLOT, M.-A, Les méthode de travail en droit public, Paris, 3e éd., Montchres- tien, 1998, pp. 13-15. 9 FEYERABEND P., Contre la méthode, esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Paris, Seuil, Coll. Sciences, 1979, pp. 35-40. 28 Le droit constitutionnel 4.1. L’approche juridique L’approche juridique comporte plusieurs méthodes. Traditionnellement portée sur l’analyse des textes, la méthode exégétique s’impose au juriste et l’invite à rechercher, en toutes circonstances, le droit positif applicable à la question posée. La démarche se limite donc à une simple analyse grammati- cale ou littérale du texte constitutionnel dans sa forme normative. Cloisonné dans une sorte de juridisme opaque, le juriste ne devrait pas s’occuper d’explorer d’autres recettes, en dehors de la loi, susceptibles de l’aider à répondre à la question qui lui est soumise. Il faut bien se garder de considérer la référence à la méthode exégétique comme une chasse gardée des juristes. Les chercheurs d’autres domaines, notamment, les philosophes et les théologiens s’en servent à l’occasion de l’interprétation des textes. Le recours à cette méthode permet, toutefois, de connaître la direction donnée à la Constitution par ses auteurs. L’étude du droit constitutionnel ne se réduit pas à la seule connaissance du droit positif, elle doit tendre vers une perception plus générale des ré- international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 elles intentions du constituant. Fondée sur le contexte de son élaboration, l’étude de la Constitution procure, par cette méthode, l’avantage de la maî- trise du cadre dans lequel s’opère l’établissement des normes constitution- nelles. L’examen de la Constitution, dans sa globalité, évite de tomber dans une sorte de « patrimonialisme constitutionnel »10. Le recours à la méthode holistique favorise la mise en perspective des dispositions constitution- nelles avec les valeurs qu’elles comportent. Par elle, en effet, le constitu- tionnaliste est suffisamment outillé pour connaître l’esprit et la lettre du texte qu’il étudie. Cette gamme de méthodes juridiques demeure, toutefois, insuffisante pour cerner l’entièreté du phénomène constitutionnel, ce qui ouvre les portes de la recherche à l’approche de science politique. 4.2. L’approche de science politique Si l’approche juridique gravite sur la précision des repères assignés au droit constitutionnel, celle de science politique convie à situer la discipline dans le processus intégral et évolutif. Elle suggère le recours à la méthode de sociologie politique pour examiner les faits politiques tels qu’ils sont produits par la société. Leur influence sur les règles constitutionnelles passe par la méthode empirique. Les règles de droit ne valent que ce qu’en font les utilisateurs. La con- vocation, ensuite, de la méthode behavioriste favorise l’analyse et 10 Ce néologisme désigne l’opération par laquelle on parvient à interpréter la Constitution en ne s’appuyant que sur les dispositions qui lui paraissent bénéfiques sans se préoccuper de l’esprit ni des valeurs édictées par celle-ci. Introduction 29 l’interprétation des comportements et attitudes politiques à l’égard des prescriptions constitutionnelles. La méthode diachronique vise à dégager les interactions entre les exi- gences de la normalité juridique et le phénomène naturel et omniprésent qu’est l’exercice du pouvoir politique. Elle insiste sur l’élément temporel dans l’analyse du pouvoir politique pour qu’à partir d’une certaine pério- dicité, il soit possible d’identifier les problèmes qu’il pose et les solutions qu’il convient de suggérer aux décideurs. Le droit constitutionnel intéresse, enfin, l’historien et le philosophe. Le droit comparé paraît lui réserver un espace d’expression intéressant, à la condition d’éviter de tomber dans une sorte de mimétisme. La disponibilité qu’offrent les méthodes analytique et systémique amènent à tempérer le risque d’un mimétisme servile. 5. La problématique de l’internationalisation du droit constitutionnel international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 Le recours à la double approche (juridique et sociologique) dans l’étude du droit constitutionnel africain a convaincu de l’idée que les institutions africaines n’auraient pas la capacité de régenter, de manière durable, la vie politique du continent sans une référence ou, à tout le moins, un apport des institutions occidentales. Surtout, c’est certainement une illusion d’analyser ou vouloir expliquer la vie politique et institutionnelle des États africains par la seule référence conceptuelle occidentale. Une triple illusion d’une démocratie mathématique totalement décollée des réalités locales procède de l’arithmétique, de l’algèbre et de la géomé- trie politiques. L’illusion de l’arithmétique politique tient à la croyance que l’on a de la magie des résultats électoraux en Afrique. On croit, comme en Occident, que le taux de participation et le pourcentage, souvent élevés, obtenus à l’issue des élections organisées sont un indicateur de la démocratie. Contrairement à la perception que l’on se fait, en Europe, du suffrage universel, le pourcentage obtenu aux élections ne correspond pas, souvent, à la réalité. En effet, il est constaté que le vainqueur proclamé n’est pas toujours la personne effectivement élue comme en témoignent les contes- tations accompagnant, régulièrement, la proclamation des résultats des élections et qui peuvent conduire à des révolutions ou coup d’État. On relève, donc, qu’à l’opposé de l’Occident où la victoire aux élections com- porte une valeur idéologique, en Afrique, elle est thématique : peur de l’inconnu, maintien au pouvoir, besoin de stabilité politique et institution- nelle ou préservation de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale. L’illusion de l’algèbre politique prend appui sur certaines équations poli- tiques qui, en Afrique, rimeraient avec la démocratie. On pense, en effet, qu’il n’y a de régime démocratique que dans un système où s’exerce la compétition politique. Ainsi, l’instauration du multipartisme serait assimi- lée à la démocratie et le parti unique à la dictature. 30 Le droit constitutionnel Cette appréhension est erronée : la consécration d’un système à plu- sieurs partis politiques n’est pas une garantie suffisante pour l’exercice de la démocratie. Elle peut amener à la dictature d’un parti politique qui, pour plusieurs raisons, se révèle soit comme parti dominant ou parti attrape- tout. L’illusion de la géométrie politique découle d’une forte croyance que l’on attache à l’ingénierie constitutionnelle pour établir la démocratie. On croit, à cet égard, que l’habilité apportée dans la rédaction de la Constitution conduit, nécessairement, à un régime démocratique. Ainsi, on considère qu’une Constitution est, a priori, porteuse des va- leurs démocratiques par le seul fait d’avoir été rédigée par les hommes de métier et selon les règles de l’art. Ce n’est, en réalité, qu’une illusion car, bien qu’élaborée par les techniciens, une « Constitution démocratique » a vocation de refléter un ensemble de valeurs partagées par la majorité de ses destinataires et de résoudre les vrais problèmes qui ont été à la base de sa naissance. international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 Il s’en suit que, à force de vouloir juger de la vitalité des institutions po- litiques africaines à leur ressemblance aux institutions correspondantes dans le monde occidental, on court le risque de tomber dans un mimétisme institutionnel servile et sans contenu opérationnel réel. Même dans la doctrine occidentale, on est, finalement, convaincu du caractère relatif du mimétisme dans l’étude des institutions politiques africaines. Analysant la problématique du mimétisme postcolonial et la démocratie en Afrique, un auteur a eu des mots justes pour reconnaître : qu’au-delà des similitudes que l’on pourrait rencontrer, la convocation sys- tématique au mimétisme devient de plus encore caduque pour rendre compte d’une Afrique déjà, en elle-même, multiple mais qui apparaît, de plus en plus, diverse, du moins, si l’on veut bien appréhender le politique en Afrique en lui-même et non pas à travers un prisme finalement déformant et dangereux11. En cette phase d’internationalisation du droit constitutionnel12, on as- siste, dans chaque continent au rapprochement des pratiques et modèles institutionnels pour que l’idée d’un mimétisme unilatéral ne fasse plus du chemin. Tout comme l’on voit des pratiques ou conceptions considérées jusque-là comme « africaines » reprises, ailleurs, dans les projets de ré- forme sans que l’on sache si cela relève du mimétisme ou d’un mouvement de convergences. Dans l’étude du droit constitutionnel, en effet, on insiste, moins sur l’imitation des pratiques et modèles constitutionnels et institutionnels que 11 de GAUDUSSON J.-B., « Le mimétisme post colonial et après ? », La démocratie en Afrique, Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 55. 12 Le thème a occupé les travaux de la quatrième conférence annuelle du Réseau Africain de Droit constitutionnel tenue, du 2 au 4 février 2011, à Rabat au Maroc. Introduction 31 sur la diffusion, la réception et l’inspiration desdits pratiques et modèles ; se découvre ainsi un mimétisme constitutionnel mondial. La constatation est réelle pour que l’on perçoive, aisément, la construction, à côté du mi- métisme européen, des mimétismes africain, interaméricain, afro-asiatique ou, encore, afro-européen. Aussi, hier unilatéral13, le mimétisme constitutionnel est-il, à l’heure actuelle, une donnée réelle de la mondialisation des normes juridiques, un patrimoine commun partagé par tous mais variant entre l’universalisme et les particularismes. Cette nouvelle perception du droit constitutionnel dégage, en même temps, les limites du mimétisme occidental pour l’Afrique. Le développe- ment des nouvelles référentielles constitutionnelles et institutionnelles influe, naturellement, sur une autre vision de la discipline en Afrique. La présentation des données constitutionnelles et politiques (chapitre I) permet de circonscrire le cadre du pouvoir (chapitre II), son aménagement (chapitre III), ses modalités d’exercice (chapitre IV) et les limites qui lui international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 sont imposées (Chapitre V). L’étude des régimes politiques (chapitre VI) précédera naturellement celle des partis politiques et groupes de pression (chapitre VII) qui leur servent parfois d’escalier. 13 Du continent européen vers le reste du monde. international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 CHAPITRE I LES DONNÉES CONSTITUTIONNELLES ET POLITIQUES La référence à la double approche juridique et sociologique dans l’étude du droit constitutionnel influe sur la perception que l’on peut avoir de l’objet de cette discipline. Si la démarche poursuivie est essentiellement international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 juridique, l’objet du droit constitutionnel aura certainement tendance à privilégier l’analyse de l’État considéré comme une entité juridiquement organisée. Cette tentation semble, depuis longtemps, l’avoir emporté sur l’intitulé de l’enseignement qui porte sur « le droit constitutionnel » relé- guant au second plan l’analyse des institutions politiques. Lorsque cette démarche dérive de la science politique ou de la sociologie politique, une évolution dans la perception du droit constitutionnel s’observe. La discipline ne se limite plus à l’étude de l’État comme cadre des institutions politiques pour s’occuper, cette fois-ci, du pouvoir poli- tique et de ses différentes manifestations. Du coup, « les institutions politiques » précèdent naturellement le « droit constitutionnel » dans la conception de l’enseignement14. L’inversion des concepts est, d’ailleurs, heureuse et, même, porteuse d’une richesse dans le vocabulaire juridique : le droit constitutionnel cesse d’être un droit uni- quement étatique pour devenir une discipline que convoitent les forces politiques et sociales mais également l’évolution de la société. Droit du pouvoir ou de l’État, le droit constitutionnel est, avant tout, une science normative pour s’occuper, ensuite, des institutions politiques. 14 Lire notamment, ARDANT P. et MATHIEU B., Institutions Politiques et Droit Constitutionnel, Paris, 24e éd., LGDJ, Lextenso Éditions, 2012 ; ARDANT P., Institutions Politiques et Droit Consti- tutionnel, Paris, 17e éd., LGDJ, 2005 ; DUVERGER M., Institutions Politiques et Droit Constitution- nel, Paris, 18e éd., PUF, 1996 ; MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA E., Institutions Politiques et Droit constitutionnel, tome I. Théorie générale des Institutions Politiques de l’État, Kinshasa, EUA, Coll. Droit et Société, 2001 ; PACTET P., Institutions Politiques et Droit Constitutionnel, Paris, 15e éd., Armand Colin, 1996 et PRELOT M., Institutions Politiques et Droit Constitutionnel, Paris, 5e éd., Dalloz, 1984. 34 Le droit constitutionnel Ainsi se découvrent les liens étroits qu’il entretient avec la science poli- tique. Section 1 : Le droit constitutionnel Le droit constitutionnel est, au sens classique, une branche du droit pu- blic qui étudie l’organisation de l’État, la dévolution et l’exercice du pou- voir. Le caractère approximatif de la définition aide, néanmoins, à appré- hender le fait que le droit constitutionnel est, d’abord, une discipline juri- dique, ensuite, une branche du droit public qui, enfin, s’occupe de l’État. §1. Le droit constitutionnel est une discipline juridique Discipline juridique par excellence, le droit constitutionnel dont la compréhension exige, au préalable, celle du droit, comporte des particula- rités dictées par l’objet de son étude. international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 A. La définition du droit Le droit est un concept polysémique et difficile à saisir. Il peut évoquer l’idée objective de la justice ou de l’équité ou s’apparenter à l’ordre imposé aux citoyens par une autorité établie. La notion préjuge aussi, sous un aspect subjectif, des avantages ou des privilèges reconnus, dans une socié- té, à un individu ou à un groupe d’individus. Le concept décline, en outre, téléologiquement, une somme de valeurs dont la protection est assurée contre toute atteinte et garantissant l’ordre public. Cette difficulté dévoile, en même temps, la persistance d’un éventail de perceptions de l’appréhension de la notion. On note, par exemple, que la conception naturelle du droit est dictée par le souci d’aménager, dans une société, les prescriptions morales et philosophiques qui consacrent des privilèges et avantages conférés à leurs utilisateurs. Le droit naturel s’analyse, donc, en un ensemble de facultés et préroga- tives reconnues comme appartenant, sans distinction, à tout être humain. L’État est ainsi appelé à en assurer la garantie et la protection. La conception naturelle du droit permet d’opérer une distinction entre les droits de l’homme relevant d’un ordre moral, supérieur et extérieur à l’État et les libertés publiques devant être reconnues et garanties par les autorités publiques. On peut donc dire que les droits de l’homme existent indépendamment de leur consécration juridique (droit à la vie, droit à la santé) alors qu’une liberté publique a besoin, pour être effective, d’une reconnaissance constitutionnelle ou législative (liberté d’expression ou de réunion, droit de se marier avec la personne de son choix, droit à la pro- priété intellectuelle, droit d’être électeur ou éligible, droit d’exercer le commerce, droit au travail rémunéré…). Les données constitutionnelles et politiques 35 Dans sa conception objective, le droit décline un ensemble de règles de conduite sociale édictées par l’autorité publique et sanctionnée, en cas de méconnaissance ou de violation, selon les formes et procédures préalable- ment arrêtées. On évoque ainsi l’interdiction d’infliger à une personne un traitement dégradant ou humiliant, l’incitation à la haine raciale, ethnique ou en considération de ses opinions politiques ou religieuses, voire le res- pect de la propriété privée. Au sens subjectif, le droit emporte une prérogative individuelle ou col- lective reconnue par le droit objectif. Le droit subjectif est, en consé- quence, constitué d’un ensemble de privilèges et avantages reconnus à une personne lui permettant, du coup, de faire, d’exiger ou d’interdire, dans son propre intérêt ou dans celui d’autrui, la survenance d’un fait ou d’un acte juridique. L’exercice d’un droit constitutionnel peut conduire soit à un abus, soit à la violation de la Constitution ou encore à la fraude à la Constitution. L’abus de droit correspond à l’exercice d’un droit subjectif entraînant ainsi international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 une faute qui appelle, naturellement, une sanction. L’abus de droit s’exprime, donc, par l’usage excessif d’un droit subjectif qui attente, par ailleurs, aux droits des autres. Il peut constituer un piège pour tous ceux qui, prenant la Constitution pour prétexte, tentent de tour- ner à leur avantage l’exercice d’un droit. Entrent dans cette catégorie, l’usage abusif et excessif du contrôle parlementaire (interpellation, motion de défiance ou de censure) sur le gouvernement dans un régime parlemen- taire ou l’instabilité gouvernementale entretenue, en un régime présiden- tiel, dans le seul but d’accentuer l’autorité du président de la République sur le gouvernement. Dans le domaine constitutionnel, l’abus de droit se traduit par la mé- connaissance de la limitation imposée aux autorités publiques dans la mise en œuvre de leurs compétences constitutionnelles. Il découle de l’utilisation excessive d’un droit subjectif sous la forme d’une permission d’agir ou de s’abstenir15. À la différence d’un abus de droit, la violation de la Constitution dé- coule de la méconnaissance, dans l’exercice de son (ses) droit (s) constitu- tionnel (s), d’un ou de plusieurs dispositions constitutionnelles. L’entreprise décèle la volonté de se soustraire d’une obligation constitu- tionnelle. Elle rime, souvent, avec la pratique de faire échapper l’exercice d’un droit subjectif de la Constitution qui en constitue, pourtant, le fon- dement. L’accession au pouvoir, par un coup d’État ou par d’autres procé- dures non expressément prévues traduisent, en régime démocratique, une violation de la Constitution. 15 ECK L., L’abus de droit en droit constitutionnel, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 32. 36 Le droit constitutionnel L’exercice d’un droit constitutionnel peut porter atteinte à l’esprit d’une ou de plusieurs dispositions constitutionnelles au point d’induire une fraude à la Constitution : elle apparaît, généralement, à l’occasion de la révision constitutionnelle quand, au lieu de se limiter au simple change- ment de la Constitution, elle débouche sur le changement de Constitu- tion16. La conception positive du droit fait de la règle juridique un dispositif édicté, dans une société donnée et à une époque déterminée, par une auto- rité établie et reconnue. Une règle de droit entretient donc des rapports étroits avec le temps. Le rôle du temps dans la perception d’une règle juridique est capital. Le temps peut se révéler destructeur de l’édifice social ; il peut, à l’inverse, constituer un élément de protection et de stabilisation institutionnelle. Une règle juridique ne peut, dans ce cas, être trop conservatrice ni totale- ment futuriste. Le droit positif joue ainsi le rôle de régulation de la vie sociale et revêt, de ce fait, un caractère contraignant. international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 B. Les caractères de la règle juridique La règle juridique renferme la particularité d’être générale, imperson- nelle et contraignante. Le caractère général d’une règle juridique exclut toute application indi- viduelle ou sectorielle, la règle étant, sauf exception formellement prévue, établie pour toute la communauté nationale sans aucune distinction. En plus de sa marque générale, la règle juridique est, en principe, édic- tée indépendamment de l’identification spécifique éventuelle des destina- taires ou utilisateurs. Elle est, par conséquent, abstraite et impersonnelle. Sa promulgation, par une autorité compétente, lui confère un caractère obli- gatoire et imposable à tous. Le caractère contraignant d’une règle juridique résulte du fait qu’une fois élaborée selon la procédure prescrite, elle s’impose aux pouvoirs pu- blics et aux citoyens. C’est la marque essentielle qui lui défère toute son efficacité en ce que toute violation appelle naturellement une sanction. Celle-ci est assurée par l’État à travers les institutions et structures compé- tentes. Discipline juridique par excellence, le droit constitutionnel renferme le triple caractère d’une norme générale, impersonnelle et contraignante, ce qui facilite l’étude de ses rapports tant avec la morale que la coutume qui sont d’autres ordres normatifs. 16 Par changement de la Constitution, il faut entendre le changement de la norme fondamentale par la révision du texte existant. Le changement de constitution procède, quant à lui, à l’abrogation de l’ancienne Constitution et son remplacement par une nouvelle. Lire, en droit comparé notamment sénégalais, MADIOR FALL I., Évolution constitutionnelle du Sénégal de la veille de l’indépendance aux élections de 2007, Dakar, CREDILA, 2007, p. 89. Les données constitutionnelles et politiques 37 C. Les rapports entre les règles juridique, morale et coutumière Tout en ayant une origine morale, la règle juridique s’en démarque aus- si bien par ses destinataires, ses buts que les sanctions qu’elle institue. En rapport avec leurs destinataires, la règle de droit établit des rapports entre les individus vivant au sein d’une société alors que la règle morale se pré- occupe des relations entre les individus et, entre ces derniers et la divinité. La règle morale poursuit la perfection dans une société en devenir tan- dis que le droit est, par son caractère perfectible, centré moins sur une société virtuelle que sur celle qui existe effectivement. Du point de vue de la sanction, on relève que la violation d’une règle morale est sanctionnée par la conscience, la punition étant de nature in- terne et, partant, invisible. La méconnaissance d’une règle juridique est sanctionnée par l’autorité publique et selon les procédures qu’elle prescrit. Cette sanction peut prendre une forme répressive, réparatrice ou compen- satrice. À la différence de la règle juridique, la norme coutumière se traduit par international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 les pratiques, les usages et les traditions régissant les rapports sociaux. La coutume s’appuie sur les habitudes qui, à force de se répéter, acquièrent une force obligatoire. §2. Le droit constitutionnel relève du droit public Branche du droit public, le droit constitutionnel constitue un cadre, par excellence, de l’étude des rapports entre le droit public et le droit privé. Ces rapports peuvent être situés dans la triple dimension organique, matérielle et formelle. Sur le plan organique, la distinction s’appuie sur la qualité des per- sonnes appelées à établir les règles de conduite sociale et, notamment, celles se rapportant à l’organisation de l’État et des organismes publics ainsi qu’à la structure et à l’activité desdits organes. Ainsi, on note, par exemple, que les règles de droit public sont édictées par les autorités pu- bliques (président de la République, parlement, gouvernement, gouver- neur, maire…) alors que celles dérivant de droit privé sont décrétées par les particuliers. Du point de vue matériel, le droit public se distingue du droit privé en raison non seulement du contenu mais également de la finalité assignée aux règles juridiques qui en constituent, par ailleurs, le fondement. Ainsi, les règles de droit public s’appliquent aux services publics et poursuivent l’intérêt général ou communautaire alors que le droit privé tend à la pro- tection et à la satisfaction des intérêts privés des parties à l’accord. Il se dégage que, d’un côté, le droit public s’applique aux gouvernants et, plus généralement, aux pouvoirs publics et, de l’autre, le droit privé régit les rapports entre les particuliers. 38 Le droit constitutionnel Au plan formel, le droit public se démarque du droit privé par la forme que prennent les règles qu’il édicte. Les règles de droit public ont une por- tée unilatérale, autoritaire et impérative tandis que celles de droit privé sont constituées sur une base égalitaire et volontaire des parties concer- nées. À l’analyse, on note qu’aucun critère n’est parvenu à s’imposer de ma- nière péremptoire sur d’autres et dans toutes les hypothèses, de sorte qu’il n’a pas été possible de dégager une superposition du droit public sur le droit privé et vice-versa. La distinction fondée sur le critère organique, par exemple, ne déter- mine pas, de façon permanente, des règles de conduite qui relèveraient uniquement du droit public. L’utilisation du procédé autoritaire a, en effet, cessé d’être la seule condition d’établissement d’une règle de droit public ; elle tient compte de la volonté d’autres partenaires des pouvoirs publics que l’on retrouve dans les organisations non gouvernementales et, plus généralement, dans la société civile. international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 On peut, en revanche, opiner qu’en dépit de la stabilité apparente qu’il procure pour le droit positif, le critère organique tend, de nos jours, à favo- riser le rapprochement entre le droit public et le droit privé dans l’identification des organes (publics ou privés) chargés de l’édiction des règles juridiques ou l’implication des personnes privées dans l’exercice des fonctions d’intérêt public. Nombreux sont, en effet, des organismes ou entreprises privés dans lesquels l’État est soit partenaire, soit participant. On s’accorde à soutenir que l’intervention de l’État dans la vie privée et l’association des particuliers dans l’accomplissement des tâches jadis con- fiées à l’État ont amené le législateur à édicter, par exemple, que tel organe pourra être considéré comme relevant ou non du droit public. Si une telle précision n’est pas apportée, il faut s’attendre à ce que le critère formel tente de prendre le dessus sur d’autres. Le critère matériel n’échappe pas non plus à la critique tant et si bien que, traditionnellement confiée aux pouvoirs publics, l’édiction des règles de droit public et notamment de droit constitutionnel a, depuis quelques décennies, pris soin d’associer certains acteurs privés avec en toile de fond la référence à ce que Pierre Avril appelle les conventions de Constitution17. Négociées en dehors du cadre juridique établi, les conventions de Cons- titution sont constituées des accords politiques conclus entre acteurs poli- tiques comportant des engagements et des principes auxquels le constituant se réfère souvent à l’occasion de la formulation des disposi- tions constitutionnelles. Elles forment, donc, une catégorie particulière des sources formelles d’une norme constitutionnelle laquelle reflétera, naturellement, une dose 17 AVRIL P., La Convention de la Constitution, Paris, PUF, 1997, p. 114. Les données constitutionnelles et politiques 39 de compromis pour satisfaire non pas l’intérêt général, au sens classique, mais plutôt celui des acteurs engagés à son élaboration. En République Démocratique du Congo, on relève que la Constitution de la transition du 3 avril 2004 a été élaborée sur pied d’un Accord politique signé, le 17 décembre 2002, à Pretoria en Afrique du Sud entre les différents ac- teurs sociaux et politiques congolais. L’article 1er de cette Constitution précise que : La Constitution de la transition de la République Démocratique du Congo est élaborée sur la base de l’Accord global et inclusif sur la Transition en République Démocratique du Congo. L’Accord global et inclusif et la Cons- titution constituent la seule source du pouvoir pendant la transition en Ré- publique Démocratique du Congo. Durant la période de Transition, tous les pouvoirs sont établis et exercés de la manière déterminée par l’Accord global et inclusif ainsi que par la présente Constitution. Bien plus, l’évocation, en droit constitutionnel, des concepts tels que « la fraude constitutionnelle », « l’abus de droit constitutionnel » ou « la res- international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 ponsabilité politique ou pénale des gouvernants » ne peut faire oublier leur origine, traditionnellement, privatiste. S’agissant du critère formel, la règle de droit public ne s’accommode plus uniquement à son caractère unilatéral et autoritaire, les pouvoirs publics ayant compris le besoin de fonder certaines de leurs actions sur la consultation préalable des citoyens intéressés. Malgré la circonscription du droit public dans ses rapports avec le droit privé, la discipline comporte tout de même une acception plus large trai- tant, d’une part, des relations entre les États, entre ces derniers et les or- ganisations internationales ou entre les États et les individus et, d’autre part, des rapports entre l’État, personne morale et les structures qui sont subordonnées ou les citoyens. La distinction entre le droit public interne et le droit public internatio- nal se rapporte à la notion d’ordre juridique entendu comme un ensemble de règles juridiques se rapportant à un même centre d’intérêt juridique. Les ordres juridiques peuvent se superposer les uns sur les autres, de même qu’un ordre juridique peut contenir plusieurs autres. L’ordre juri- dique dit de la communauté internationale renferme, en son sein, les diffé- rents ordres juridiques des États, de même que l’ordre juridique d’un État peut englober et se constituer des préoccupations des citoyens de cet État. La superposition des ordres juridiques a été à la base, dans les relations internationales, d’un débat apparemment inachevé sur la suprématie de l’ordre juridique international sur les ordres juridiques nationaux. Jadis séparées, les deux orientations du droit public ont fini, depuis quelques décennies, par se fondre dans une sorte d’internationalisation des droits publics nationaux et l’intégration, dans les droits publics nationaux, des normes juridiques internationales. 40 Le droit constitutionnel Cette précision faite, on note que le droit public interne est constitué d’un paquet des disciplines dont les principales sont le droit constitution- nel, le droit administratif, le droit fiscal et les finances publiques. Le droit constitutionnel étudie l’organisation et la dévolution du pouvoir dans l’État mais également la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés publiques. Ce contenu fait qu’il soit, hiérarchique- ment, supérieur aux autres branches de droit. Tout en dépassant et conditionnant les autres branches de droit, le droit constitutionnel semble limité, du point de vue juridique, dans la ré- pression des fréquentes violations de la Constitution. Cette constatation paraît à la fois évidente et paradoxale pour un droit aussi fondamental. Souvent en mauvaise postule, le droit constitutionnel touche généralement à la politique alors que les détenteurs du pouvoir répugnent, trop souvent, à voir les entorses qu’ils imposent à la Constitution être sanctionnées. Le droit administratif détermine l’organisation des différents services publics appelés à mettre en œuvre l’action de l’État et règle les rapports international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 entre l’administration et ses agents avec les particuliers18. Il est le prolon- gement de droit constitutionnel qui lui procure les principes fondamen- taux de l’organisation de l’État. Si le droit constitutionnel a comme fondement la Constitution, le droit administratif tire principalement sa substance de la loi et des règlements. Une mise au point dans le rapport entre le droit administratif et la science administrative est indispensable : l’un et l’autre s’occupent des règles auxquelles l’autorité politique assujettit la réalité administrative et la pratique de l’action administrative. Il importe de relever, cependant, que les deux disciplines se rejoignent lorsque les analyses portent sur les faits, potentiellement ou effectivement, soumis au droit. Il reste que leur optique est différente et, en quelque sorte, inversée. Le juriste administrativiste étudie la règle administrative entant que telle, c’est-à-dire comme une règle d’autorité : il analyse le fait administratif à travers le droit. Le chercheur en science administrative s’occupe plus des faits et ne fait référence au droit que dans la mesure où il s’incorpore auxdits faits : c’est le point de vue de la sociologie juridique qui prime. Comme les deux disciplines poursuivent un même objectif, il est apparu une collaboration, mieux, un rapprochement entre le droit administratif et la science administrative. Cette collaboration tient au fait que l’administration est étroitement insérée dans le droit qui lui sert à la fois de support et de cadre. Le spécialiste de la science administrative ne peut négliger cet aspect de choses. Il en est de même du juriste appelé à com- prendre que les règles de droit administratif ne fonctionnent qu’au sein de la réalité administrative. 18 CHETIEN P. et CHIFFLOT N., Droit administratif, Paris, 13e éd., Sirey, 2012, p. 13. Les données constitutionnelles et politiques 41 Le droit fiscal a pour vocation de déterminer le montant, ainsi que les dispositions particulières relatives à leur recouvrement, des différents impôts et taxes (notamment la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe sur les revenus locatifs, les relevés de la retenue locative, etc.) auxquels les per- sonnes physiques ou morales de droit privé sont assujetties afin de per- mettre à l’État de disposer des moyens de sa politique. L’implication de l’État et d’autres personnes de droit public dans le prélèvement, l’exécution et le contrôle des impôts et taxes induit le caractère public attaché au droit fiscal. Les finances publiques s’apparentent au droit budgétaire, à la législation financière ou à la science financière tout court. La discipline s’occupe de règles portant sur les finances publiques en y étudiant notamment la ma- nière dont sont préparés, votés, exécutés et contrôlés les budgets de l’État et de toutes les personnes publiques. L’étude des finances publiques ne se réduit pas uniquement aux aspects techniques et comptables du budget. Elle concerne aussi et, peut-être, fon- international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 damentalement, les aspects politiques, économiques et sociaux rattachés au budget. Dans ce cas, la discipline relève plus du droit public que du droit privé. Une catégorie des disciplines juridiques sont à cheval entre le droit pu- blic et le droit privé. Il s’agit notamment du droit pénal, du droit social, de l’organisation judiciaire et de la législation économique. En règle générale, le droit pénal définit les comportements anti-sociaux et qui constituent, au moment de leur commission, des contraventions à la loi pénale. Il sanctionne par des peines d’amende ou d’emprisonnement les auteurs des activités illicites et interdites. Étant donné que le délinquant se trouve, dans un procès pénal, en face de l’État représenté par le ministère public, les règles de procédure et de fond de l’espèce examinée relèvent plutôt du droit public. Il n’en est pas ainsi lorsque, dans un même procès pénal, s’affrontent le délinquant et la victime, personne privée. Même si la présence de l’officier du ministère public est une garantie de la protection sociale et de l’ordre public, la condamnation d’un délinquant à la réparation du préjudice subi par la victime induit au caractère privé d’un procès qui, au départ, était public. Ainsi, comportant les aspects répressif et civil, le procès pénal dé- rive simultanément des règles du droit public et du droit privé. Le droit social décline un ensemble de règles et de pratiques organisant l’action sociale d’un pays. Depuis plus de deux siècles, on assiste au déve- loppement, à travers le monde, des législations sociales mettant côte à côte les individus et les services spéciaux de l’État chargés d’attribuer à ceux qui en sont bénéficiaires les avantages prévus à cette fin. En contrepartie des avantages reçus, les bénéficiaires de la législation so- ciale sont tenus d’accomplir certaines obligations, notamment, les contribu- 42 Le droit constitutionnel tions pécuniaires permettant de faire fonctionner les services de l’État chargés de la distribution des divers avantages organisés par le code social. Ayant pour finalité principale la satisfaction des intérêts individuels, le droit social relève du droit privé. La nécessité d’assurer un équilibre entre les bénéficiaires des avantages sociaux et l’implication des organes étatiques dans cette mission d’équilibre font ressortir le caractère public des actions menées. La discipline appartient ainsi au droit public et au droit privé. Dans chaque système juridique, l’organisation judiciaire est, générale- ment, appréhendée dans le cadre de la procédure civile et pénale dont les matières sont, traditionnellement, rangées dans le droit privé. La discipline n’est pourtant pas étrangère au droit public dans certains de ses aspects, notamment, la fixation du taux des amendes transactionnelles, l’organisation et le fonctionnement des greffes de juridictions et des secré- tariats des parquets ainsi que l’organisation et le fonctionnement des ser- vices pénitentiaires. La législation économique emprunte, elle aussi, la plupart de ses procé- international.scholarvox.com:ENCG Marrakech:785551256:88842297:45.221.6.2:1606593854 dés au droit public lorsqu’elle consacre l’intervention de l’État dans la vie économique (fixation des prix sur les marchés) alors que celle-ci est, habi- tuellement, l’apanage des personnes privées qui y accomplissent des actes relevant du droit privé, à savoir l’importation, le commerce et l’exportation des marchandises soumis à u