Droit des entreprises en difficulté PDF
Document Details
Uploaded by Deleted User
Pr. GAUDEMET
Tags
Summary
Ce document traite du droit des entreprises en difficulté, en particulier des lois successives qui ont façonné ce domaine. Il analyse les évolutions du droit de la faillite, passant d'une approche répressif à une logique de redressement et de sauvegarde de l'entreprise. L'auteur met en lumière différents aspects, tels que l'évolution des procédures et les ajustements apportés pour répondre aux difficultés des entreprises.
Full Transcript
Droit des entreprises en difficulté Pr. GAUDEMET INTRODUCTION Autrefois appelé droit de la faillite, la loi du 13 juillet 1967 a donné corps à un bouleversement de la matière. §1. Avant la loi Jusqu’à la loi, le droit de la faillite présentait...
Droit des entreprises en difficulté Pr. GAUDEMET INTRODUCTION Autrefois appelé droit de la faillite, la loi du 13 juillet 1967 a donné corps à un bouleversement de la matière. §1. Avant la loi Jusqu’à la loi, le droit de la faillite présentait deux caractères essentiels. => D’abord, un caractère répressif à l’égard du débiteur failli (falere = tromper) qui, en ne payant pas ses dettes, avait trompé la confiance de ses créanciers. Dans l’ancien droit, il encourait la réprobation, c'est à dire la rupture de son banc à l’assemblée des marchands (= banqueroute). => Ensuite, le droit de la faillite était destiné au paiement des créanciers du débiteur qui a fait défaut et non pas au redressement de l’activité de celui-ci. Concrètement, ses créanciers avaient deux possibilités : soit provoquer la vente des biens du débiteur et se payer sur le prix de cette vente ; soit conclure un accord (concordat) avec leur débiteur pour lui permettre de poursuivre son activité dans l’espoir qu’il honore ultérieurement ses dettes. En 1807, un Code de commerce est adopté. Il n’a pas rompu avec ces deux caractères mais, au contraire, les a accusé. Toutefois, les débiteurs étaient à tel point effrayés par la perspective de faire faillite qu’ils étaient prêts à dissimuler leurs difficultés, ce qui conduisait à les accroître d’autant plus, au préjudice de leurs créanciers. Il a fallu attendre la fin du XIXème pour qu’apparaisse enfin l’idée que le débiteur failli n’était peut-être pas nécessairement malhonnête mais que peut-être avait-il été simplement malheureux. C’est sur la base de cette idée nouvelle qu’une loi du 4 mars 1889 a organisé deux procédures : - une procédure de droit commun applicable au débiteur malhonnête et destinée à la liquidation de ses biens ; - une procédure d’exception réservée au débiteur de bonne foi et susceptible d’aboutir, le cas échéant, à la conclusion d’un accord avec ses créanciers pour permettre la poursuite de son entreprise (procédure de règlement judiciaire). Longtemps après, un décret du 20 mai 1955 a inversé l’ordre des procédures en faisant de la procédure de règlement judiciaire (applicable au débiteur de bonne foi) la procédure de droit commun et de la procédure de liquidation (applicable au débiteur malhonnête) la procédure d’exception. Reste que ce système reposait exclusivement sur la moralité du débiteur : était-il honnête ou malhonnête ? Cela n’avait aucun rapport avec la viabilité (aptitude à la survie) de son entreprise. Autrement dit, en 1955 encore, une entreprise viable mais exploitée par un débiteur malhonnête était vouée à être liquidée et disparaitre tandis qu’une entreprise compromise, si elle était exploitée par un débiteur de bonne foi, pouvait survivre. C’était absurde sur le plan économique. Ainsi, on en est venu progressivement à dissocier le sort de l’entreprise du sort de la personne du débiteur. C’est là le basculement historique de la matière : à compter de cet instant, l’objectif principal du droit de la faillite n’a plus été de sanctionner la personne du débiteur failli et de désintéresser au mieux ses créanciers mais de sauvegarder son entreprise (parce que s’y attachent une activité et des emplois) : c’est le droit des entreprises en difficulté. §2. Après la loi Le basculement opéré par la loi du 13 juillet 1967 a ensuite été accentué par des réformes postérieures à 1984. Le droit positif résulte aujourd’hui principalement d’une loi du 26 juillet 2005. a. La loi du 13 juillet 1967 Elle a amorcé de 3 façons le droit des entreprises en difficulté. Elle a d’abord étendu le domaine d’application du droit de la faillite, jusque là limité au débiteur qui avait la qualité de commerçant, à toutes les personnes morales de droit privé exploitant une entreprise, même non commerciale. La loi glisse ainsi le domaine du droit de la faillite du commerçant à l’entreprise en général. Elle a ensuite réorganisé l’articulation qui existait auparavant entre la procédure de règlement judiciaire et la procédure de liquidation selon un critère exclusivement économique et non plus moral. La procédure de règlement judiciaire était appliquée à l’entreprise viable et destinée à la poursuite de son activité. La procédure de liquidation était appliquée à l’entreprise compromise. Elle a enfin diminué le rôle du créancier du débiteur. En effet, l’objectif principal n’a plus été de permettre prioritairement son paiement mais de favoriser le redressement et la poursuite de l’entreprise du débiteur en imposant des sacrifices à ses créanciers (renoncer à être payer aussitôt ou à être payé en totalité). La loi du 13 juillet 1967 n’a pas produit les résultats attendus car les redressements d’entreprises sont restés rares, et les liquidations nombreuses. Il a donc fallu réformer. b. Les réformes de 1984 et 1985 Ces réformes ont accentué les tendances apparues avec la loi de 1967. D’abord, la loi du 1er mars 1984 a créé des procédures d’alerte ainsi qu’une procédure de règlement amiable, destinées à favoriser l’identification des difficultés de l’entreprise et leur résolution amiable, avant la cessation des paiements du débiteur. Surtout, une loi du 25 janvier 1985 a rouvert le sillon ouvert par la loi de 1967 pour le creuser plus encore. Précisément, elle a fait 3 choses. -> Elle a étendu le domaine d’application du droit des entreprises en difficulté à la quasi-totalité des entreprises en y incluant notamment les agriculteurs et artisans exerçant à titre individuels (pas par l’intermédiaire d’une société) mais toujours en excluant les professionnels libéraux exerçant à titre individuel (avocats, etc). -> Ensuite, elle a remplacé les deux procédures existantes de règlement judiciaire et de liquidation par une procédure unique de redressement judiciaire qui s’ouvrait sur une période d’observation. À l’issue de celle-ci, de deux choses l’une : soit le tribunal constatait la viabilité de l’entreprise, auquel cas un plan de redressement organisant la continuation de son activité ; soit le tribunal constatait que l’entreprise ne pouvait pas être redressée et que sa liquidation judiciaire devait être prononcée. -> Enfin, elle a dégradé davantage la situation des créanciers du débiteur en leur imposant plus de sacrifices, y compris aux créanciers privilégiés (munis de sûretés pour parer l’éventualité de la défaillance du débiteur). La loi a alors affirmé que la finalité principale de la procédure unique de redressement judiciaire est la sauvegarde de l’entreprise, la continuation de son activité et le maintien de l’emploi. L’apurement du passif (paiement des créanciers) est ainsi devenu, officiellement, une finalité secondaire de la procédure. Sans doute en accusant à ce point les tendances nées de 1967, la loi de 1985 est-elle allée trop loin. Elle n’a pas produit les effets escomptés puisque 90% des procédures de redressement judiciaires ouvertes ont conduit - à l’issue de la période d’observation - à la liquidation des entreprises. La dégradation de la situation des créanciers, y compris privilégiés, a eu un effet restrictif sur le crédit accordé aux entreprises. Sachant que leur sûreté serait menacée en cas de procédure de redressement de leurs débiteurs, les créanciers privilégiés (principalement les banques) étaient moins enclins à faire crédit. On a dit, à cette occasion, « sûreté traqué, crédit détraqué ». Une première réforme de ces lois a donc été adoptée par une loi du 10 juin 1994. En premier lieu, elle a permis d’ouvrir immédiatement une procédure de liquidation judiciaire - sans passer par la case redressement judiciaire et période d’observation - chaque fois qu’il apparaissait d’emblée que le redressement de l’entreprise était manifestement impossible. En second lieu, elle a amélioré un peu la situation des créanciers privilégiés dans la procédure de liquidation judiciaire pour faire en sorte qu’ils accordent des crédits aux entreprises. Même au prix de ces modifications, les résultats sont restés décevants puisqu’en 2005, plus de 50 000 procédures avaient été ouvertes dont près de 90% de liquidations immédiates. c. Le droit positif La direction de la Chancellerie a pris, en 2002, l’initiative d’une réflexion d’ensemble. Cela a conduit à l’adoption de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises qui constitue, aujourd’hui encore, le socle du droit positif, lequel est codifié dans le Livre VI du Code de commerce. De manière générale, cette loi s’est inscrite dans le prolongement des tendances amorcées en 1967 dont elle constitue l’achèvement. Définitivement, le redressement de l’entreprise est placé au coeur du texte : elle s’intitule loi de sauvegarde des entreprises. La loi de 2005 est aussi une loi originale sous 3 aspects. -> D’abord, elle a étendu plus encore le domaine d’application du droit des entreprises en difficulté pour le faire coïncider exactement avec la notion d’entreprise en y incluant les professionnels libéraux exerçant à titre individuel. Depuis, ce droit s’applique à toutes les entreprises en difficulté, quelque soit la forme juridique sous laquelle elles sont exploitées : c’est une simplification. -> Ensuite, elle a diversifié les procédures de traitement des difficultés des entreprises. Depuis son entrée en vigueur, une entreprise en difficulté peut être soumise à 5 procédures différentes : la procédure de conciliation (qui remplace la procédure de règlement amiable) ; la procédure de sauvegarde ; la procédure de redressement judiciaire ; la procédure de liquidation judiciaire ; la procédure de liquidation judiciaire simplifiée (destinée aux petites entreprises). -> Enfin, elle a amélioré le sort des créanciers du débiteur en sorte de les inciter à apporter leur concours au débiteur entreprise en difficulté. Elle l’a fait de 3 manières : - en accordant aux créanciers qui acceptent d’apporter leur concours aux entreprises en difficulté (argent, bien ou service) un privilège de paiement ; - en écartant, en terme de principe, la responsabilité auparavant encourue par les créanciers qui soutenaient abusivement / artificiellement une entreprise en difficulté au préjudice de ses autres créanciers ; - en associant les créanciers des entreprises en difficulté les plus importantes à l’élaboration du plan de sauvegarde, à travers l’institution des comités de créancier (ils étaient appelés à voter). La loi de 2005 a été rapidement reprise par une Ordonnance du 18 décembre 2008 « Sauvegarde 2 ». Cette ordonnance s’était donné pour objectif de perfectionner la loi de 2005 qui avait fait apparaitre des difficultés à l’usage de la pratique, notamment dans le cadre de la procédure de sauvegarde à l’égard d’Eurotunnel et d’encourager l’utilisation des procédures introduites par la loi de 2005 (en particulier la procédure de sauvegarde qui avait été peu ouverte). Par ailleurs, cette ordonnance a également permis d’adapter la loi de 2005 à deux nouvelles techniques de garantie qui avait entre temps enrichi le droit des sûretés : la fiducie-sûreté et le droit de rétention fictif. Le Livre VI du Code de commerce a, de manière plus ponctuelle, encore été réformé. Une loi du 22 octobre 2010 y a introduit une procédure supplémentaire de sauvegarde financière accélérée (sorte de passerelle entre la procédure de conciliation et la procédure de sauvegarde). Ensuite, deux ordonnances des 12 mars et 26 septembre 2014 ont introduit deux procédures supplémentaires : la procédure de sauvegarde accélérée et la procédure de rétablissement professionnel (destinée aux débiteurs personne physique les plus petits). La loi PACT du 22 mai 2019 a renforcé l’efficacité des procédures de liquidation judiciaire simplifiée et de rétablissement professionnel. Deux ordonnances des 27 mars et 20 mai 2020 ont été adoptées en urgence dans le cadre de l’épidémie naissante de COVID-19. Enfin, une ordonnance du 15 septembre 2021 a repris une partie de cette législation d’urgence et, surtout, a transposé en droit français une directive européenne du 20 juin 2019 relative au cadre de restructuration préventive - avec pour résultat de substituer aux comités de créancier introduits en 2005 les classes de parties affectées. L’accélération des réformes du droit des entreprises en difficulté n’est pas une bonne chose : D’abord, du point de vue du droit transitoire, il n’est pas rare qu’une procédure collective s’étende sur plusieurs années. Il va alors falloir déterminer précisément quel est le droit applicable à cette procédure. Une deuxième difficulté tient à la compétence judiciaire. Ce sont les tribunaux de commerce qui sont principalement compétents pour appliquer les entreprises en difficulté. Or, ils sont composés de juges consulaires élus, certes avertis de la pratique, mais qui ne sont pas tous juristes de formation là où le droit des entreprises en difficulté devient au fil des réformes de plus en plus technique et complexe. Le législateur s’est penché sur ce paradoxe et la loi Macron de 2015 a prévu la spécialisation de certains tribunaux de commerces pour connaitre des procédures collectives visant les entreprises les plus importantes (Tribunaux de commerce spécialisés). Le droit des entreprise en difficulté est une matière vivante et effervescente sur le point législatif. Pour ordonner le tout, il faut en revenir à l’idée que l’on est passé du droit de la faillite du droit des entreprises en difficulté. Historiquement, le droit de la faillite avait pour objectif de remédier aux conséquences de la défaillance du débiteur, là où le droit des entreprises en difficulté est beaucoup plus ambitieux puisqu’il se donne pour objectif préventif d’éviter la défaillance du débiteur puis, s’il fait défaut, de régler sa défaillance. Ce droit se divise donc en deux parties : un traitement amiable (Partie I) qui entend prévenir aimablement la faillite des entreprises ainsi qu’un traitement judiciaire (Partie II) qui entend régler leurs difficultés. Partie I. Le traitement amiable des difficultés des entreprises Il s’agit à la fois de détecter suffisamment tôt les difficultés (Chapitre I) puis de les résoudre aimablement, sans faire intervenir le juge (Chapitre II). Chapitre I. La détection des difficultés des entreprises Cette détection doit être suffisamment précoce dans la mesure où plus tôt on détecte les difficultés de l’entreprise, plus on a de chance de les résoudre. Le plus souvent, les informations qui permettent cette détection figurent dans les comptes de l’entreprises. La loi du 1er mars 1984 a imposé aux entreprises les plus importantes d’avoir des documents comptables prévisionnels. Mais il était inconcevable d’imposer cette obligation à toutes les entreprises (cela représente un coût qui ne peut pas être supporté par toutes). Le législateur a donc décidé d’imposer à toutes les entreprises, indépendamment de leur dimension, un dispositif d’alerte. Il est inspiré, à l’origine, d’un rapport de 1975 sur la réforme de l’entreprise qui recommandait de reconnaitre « aux diverses parties prenantes de l’entreprise le droit de mettre en oeuvre une procédure d’alerte lorsqu’elles ont des informations laissent présager l’existence de difficultés qui pourraient être lourdes pour l’entreprise en question ». La loi de 1984 a donc créé plusieurs procédures d’alerte destinées à alerter les dirigeants de l’entreprise sur les difficultés qui la menacent afin d’y remédier avant que la situation n’empire. Toutefois, ces procédures n’ont pas connu un succès immédiat. Pour cela, il a fallu l’améliorer par la loi du 10 juin 1994. Cette loi a d’abord étendu le domaine d’application de la procédure d’alerte aux entreprises individuelles. Ce sont après tout celles où la procédure d’alerte est le plus nécessaire compte tenu de l’isolement du chef d’entreprise. Ensuite, elle a amélioré les choses en renforçant le rôle du président du tribunal du commerce dans le déclenchement et le déroulement des différentes procédures d’alerte. Enfin, elle a atténué les différences techniques qui existaient entre les différentes procédures d’alerte et les a unifié. À présent, ces procédures sont régies principalement par le Titre I du Livre VI du Code de commerce intitulé « De la prévention des difficultés des entreprises ». Section I. Le déclenchement des procédures d’alerte Grâce à la loi du 10 juin 1994, le critère de déclenchement des procédures d’alerte a été quasiment unifié. En revanche, il y a toujours plusieurs personnes qui sont investies concurremment du droit voire de l’obligation de déclencher une procédure d’alerte (dans l’idée de favoriser ce déclenchement). §1. L’unicité du critère de déclenchement de l’alerte La détermination du critère de déclenchement de l’alerte a soulevé deux difficultés. D’abord, il faut déterminer le bon moment pour déclencher l’alerte. Si elle est déclenchée trop tôt, elle créera des difficultés et suscitera la méfiance des créanciers tandis que si elle l’est trop tard, elle sera inutile au vu des difficultés devenues trop importantes. Ensuite, faut-il privilégier un critère unique ou un faisceau d’indices pour déclencher l’alerte ? Le législateur français a fait le choix de retenir un critère unique, plus général mais davantage sujet à interprétation. Ce critère est l’existence de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise. À l’article L234-1 C. com, il est prévu que le commissaire aux comptes doit déclencher l’alerte lorsqu’il a connaissance de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise. L’article L223-36 prévoit que les associés d’une SARL peuvent poser des questions écrites aux gérants sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. Même chose s’agissant des actionnaires de SA : l’article L225-232 leur permet de poser des questions écrites sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. L’article L611-2 prévoit que le président du tribunal peut déclencher l’alerte quand il a connaissance de difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. Enfin, l’art.L2312-63 CT prévoit que le CSE peut déclencher l’alerte quand il a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise. Ce dernier critère est un peu plus souple dans la mesure où les faits peuvent être préoccupants sans être de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. Cela se comprend bien puisqu’au travers du droit d’alerte du CSE, c’est l’avenir de l’emploi qui se joue dans l’entreprise. Qu’est-ce qu’une menace affectant la continuité de l’exploitation de l’entreprise ? Cette expression est la traduction française d’une notion comptable anglo-américaine : le going concern. C’est la situation dans laquelle la marche normale de l’entreprise est menacée. Les produits de l’exploitation ne permettront plus de couvrir les charges d’exploitation. Il faut que la menace soit identifiée et qu’elle ait une incidence potentielle sur la continuité de l’entreprise. §2. La pluralité des personnes ayant le pouvoir de déclencher l’alerte Afin de favoriser le plus possible le déclenchement de l’alerte, le législateur a investi plusieurs personnes (parties prenantes de l’entreprise) concurremment du droit de déclencher l’alerte. Elle pourra être déclenchée tout à la fois par les membres de la personne morale qui exploite l’entreprises (ses associés ou ses actionnaires s’il s’agit d’une société), par le commissaire aux comptes s’il existe ; par le CSE s’il existe ; par le président du tribunal en toutes hypothèses ; ainsi que par les centres ou association de gestion agrée (qui accompagnent les entrepreneurs individuels et remédient à leur isolement). A. Les membres de la personne morale qui exploite l’entreprise Il s’agit le plus souvent des associés ou des actionnaires si c’est une société. Ils peuvent poser des questions écrites aux dirigeants de la société à l’occasion des assemblées. De manière plus particulière, ils peuvent aussi poser des questions écrites aux dirigeants de la société, sans attendre l’assemblée, sur tout fait qui serait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. B. Le commissaire aux comptes Quand il existe, le CAC a pour mission de certifier les comptes de l’entreprise. Il occupe un poste d’observation particulièrement adapté pour détecter les difficultés de l’entreprise. C’est donc la seule personne qui est investie par la loi non pas du droit mais de l’obligation de déclencher l’alerte sitôt qu’il a connaissance de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. S’il existe des doutes sur la matérialité des faits qu’il constate dans le cadre de sa mission, il est incité à déclencher l’alerte. Les textes prévoient que sa responsabilité ne pourra pas être recherchée s’il divulgue des faits pour mettre en oeuvre son devoir d’alerte tandis qu’il pourra être tenu responsable s’il n’a pas déclenché l’alerte alors qu’il aurait dû le faire (art.L122-15 CC). Cette obligation ne doit pas être surestimée pour autant. En pratique, quand il prend connaissance de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il avertit de manière informelle les dirigeants de l’entreprise. Surtout, le CAC n’est pas présent dans toutes les entreprises, ni dans toutes les sociétés. On estime que sur 3,8 millions d’entreprise en France, 250 000 ont un CAC. Par ailleurs, la loi PACT du 22 mai 2019 a soustrait à beaucoup d’entreprises l’obligation de designer un CAC. C. CSE Son droit d’alerte est traditionnel. En effet, les salariés de l’entreprise sont les premiers intéressés à la continuité de l’exploitation de l’entreprise : c’est la pérennité de leur emploi qu’est enjeu. Ensuite, dans la mesure où ils y travaillent, ils perçoivent assez tôt ses difficultés. Enfin, sans leur participation, il serait impossible de garantir la continuité de l’exploitation. Ce droit est organisé dans le Code du travail et il est dévolu au délégué du personnel en l’absence de CSE. D. Le président du tribunal Il est devenu l’acteur principal des procédures d’alerte. Il s’agit du président du TC ou du TJ. Premièrement parce qu’il a autorité sur toutes les entreprises, sans exception (≠ CAC). Deuxièmement, il dispose, par l’intermédiaire du greffe, d’un nombre très important d’informations qui, si elles sont bien exploitées, peuvent être utiles à la détection des difficultés de l’entreprise. Ces documents sont les comptes annuels déposés au greffe ; l’état des privilèges et nantissements inscrits sur le patrimoine de l’entreprise ; l’état des protêts (= effets de commerce tirés sur le débiteur par ses créanciers et que le débiteur n’a pas payé à leur échéance). Pour ces raisons, le nombre d’alerte déclenchées par les présidents de tribunaux (de commerce ou judiciaires) sont élevés. Il est de l’ordre de 50 000 / an. À Paris, il y a plus d’alertes déclenchées que de procédure collectives ouvertes. 2/3 de ces alertes n’ont pas de suite : cela signifie qu’elles sont efficaces. Section II. Le déroulement des procédures d’alerte Dans un soucis d’efficacité, le législateur a multiplié les personnes qui peuvent déclencher l’alerte. §1. L’alerte déclenchée par le CAC Il y a deux procédures différentes selon la forme de l’entreprise controlée par le CAC. Une procédure développée est applicable aux SA et une procédure abrégée est applicable aux autres groupements. La procédure développée (pour les SA) comporte 4 étapes. Elle peut prendre fin à tout instant si le CAC s’estime satisfait par les réponses apportées par les dirigeants pour remédier aux difficultés de l’entreprise. Etape 1 : le CAC informe le président du Conseil d’administration ou du directoire des faits dont il a eu connaissance qui sont de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise. Il leur adresse par écrit une demande d’explication à laquelle il est tenu de répondre sous 15 jours. Si la réponse apportée satisfait et rassure le CAC, la procédure prend fin. Etape 2 : le CAC invite par écrit le président du Conseil d’administration ou du directoire selon le cas à convoquer et faire délibérer son conseil / directoire sur les faits qu’il a relevé dans un délai de 15j. Il envoie copie de sa lettre au président du tribunal qui est averti qu’il y a un problème. Le CAC est convoqué à la réunion du conseil / directoire. La délibération adoptée est communiquée au CAC, au président du tribunal et au CSE. Si la délibération satisfait le CAC, la procédure prend fin. Etape 3 : une AG est convoquée pour délibérer sur la base d’un rapport du CAC communiqué au préalable au CSE. Si les délibérations adoptées permettent au CAC d’être rassuré sur la continuité de l’exploitation, la procédure prend fin. Etape 4 : le CAC rend compte au président du tribunal de l’ensemble des démarches qu’il a accompli. À ce stade, il s’est acquitté jusqu’au bout de son obligation d’alerte. La suite n’est plus de son ressort mais relève du président du tribunal. À mesure que la procédure d’alerte avance, plus la confidentialité s’amenuise et les difficultés sont connues. En pratique, il est rare que la procédure aille au-delà de la première étape. Le plus souvent, la demande d’explication du CAC suffit à provoquer une réaction adaptée des dirigeants qui ne souhaitent pas que les difficultés s’ébruitent davantage. La procédure est longue et l’urgence peut exiger d’aller plus vite. C’est pourquoi l’ordonnance COVID du 20 mai 2020 avait donner la possibilité au CAC d’informer immédiatement le président du tribunal. Cette possibilité a été pérennisée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 à l’article L611-2-2 C. com : lorsqu’il lui apparait que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant de l’entreprise s’y refuse ou fait savoir qu’il envisage des mesures insuffisantes, le CAC peut en informer le président du tribunal par tout moyen et sans délai. §2. L’alerte déclenchée par le CSE L’alerte déclenchée par le CSE procède de la même idée que celle déclenchée par le CAC sinon que le critère de déclenchement est un peu plus souple et qu’elle ne comporte que 3 étapes. Etape 1 : le CSE qui prend connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise adresse une demande d’explication au dirigeant de l’entreprise. La réponse des dirigeants est communiquée au CAC s’il existe et elle est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion du CSE. Si la réponse le satisfait, la procédure prend fin. Etape 2 : le CSE établit un rapport pour la rédaction duquel il dispose de la possibilité de se faire assisté par l’expert comptable de l’entreprise et de convoquer le CAC s’il existe. Si la réponse des dirigeants permet au CSE d’être rassuré, la procédure s’arrête. Etape 3 : le CSE décide à la majorité de ses membres de saisir les organismes d’administration et de surveillance dont la délibération sera adressée au CSE et au CAC ou aux membres du groupement. Parvenu à ce stade, les dirigeants ne sont pas tenus de donner suite aux préoccupations exprimées par le CSE. Mais en pratique, il faut compter avec la crainte du délit d’entrave qui conduit souvent les dirigeants à donner une suite aux préoccupations exprimées par le CSE dans son rapport. §3. L’alerte déclenchée par le président du tribunal C’est la procédure la plus employée en pratique, d’abord parce que c’est la plus simple. Elle consiste en une simple convocation en entretien des dirigeants par le président du tribunal (ou autre juge délégué). L’entretien a pour but de susciter une prise de conscience puis, idéalement, une réaction des dirigeants qui seront sensibles à l’autorité du président du tribunal. Cet entretien est confidentiel. Dans le mois qui suit l’entretien ou la carence des dirigeants qui ne sont pas venus, le président dispose d’un pouvoir d’investigation : il peut compléter son analyse de la situation de l’entreprise en s’adressant à certains interlocuteurs de l’entreprise (CAC, URSSAF, salariés, etc) qui ne pourront pas lui opposer le secret professionnel. Si, après qu’il a usé de ce pouvoir, le président reste préoccupé sur la continuité de l’exploitation, il peut convoquer les dirigeants à un nouvel entretien. Ces procédures d’alerte fonctionnent bien aujourd’hui. Ce qui semble décisif dans cette efficacité est l’effort réalisé par les tribunaux de commerce pour systématiser l’analyse des informations déposées aux greffes. Cela a permis de multiplier les convocations en entretien et, ce faisant, de diminuer l’ouverture de procédures collectives. Il faut encore espérer que les tribunaux judiciaire en face autant (ils ont aussi un pouvoir en la matière. ) Chapitre II. La résolution amiable des difficultés des entreprises Il se peut que des procédures d’alerte n’aient pas été déclenchées ou qu’ayant été déclenchées, elles ont échoué à contenir les difficultés de l’entreprise. Dans ce cas, l'entreprise devra rechercher l’aide de ses créanciers (résolution amiable privée) et / ou des pouvoirs publics (résolution amiable publique). Section I. La résolution amiable privée des difficultés des entreprises Elle passe par la désignation de mandataires ad hoc ou par l’ouverture d’une procédure de conciliation. §1. La désignation d’un mandataire ad hoc Le mandat ad hoc consiste en la désignation par le président du tribunal, à la demande du débiteur seul, d’un mandataire chargé de rechercher une solution aux difficultés de l’entreprise. À l’origine, il s’agit d’une création prétorienne qui n’a été consacrée que tardivement par les textes par la loi du 10 juin 1994 et désormais codifiée à l’article L611-3 C. com : « Le président du tribunal peut, à la demande d'un débiteur, désigner un mandataire ad hoc dont il détermine la mission. Le débiteur peut proposer le nom d'un mandataire ad hoc ». Cet instrument est volontairement souple et discret. D’abord, la désignation d’un mandataire ad hoc ne peut intervenir qu’à la demande du débiteur. Elle ne peut jamais être imposée au débiteur par le président du tribunal ou par ses créanciers. Le débiteur a même la possibilité de proposer une personne au président du tribunal. Ensuite, la désignation d’un mandataire ad hoc n’est pas subordonnée par les textes à la démonstration d’un certain niveau économique - même s’il faut probablement que le débiteur ne soit pas déjà en état de cessation des paiements. Le président du tribunal détermine au cas par cas la mission du mandataire désigné. Enfin, toute personne appelée au mandat ad hoc et qui en a connaissance est tenue par la loi à une obligation de confidentialité. Le législateur n’a réglementé que très marginalement le mandat ad hoc afin de préserver sa souplesse. Il ne l’a fait que sur quelques points. => D’abord, il a prévu des incompatibilités qui frappent la personne du mandataire ad hoc. Sont exclues de ces fonctions les personnes que le débiteur a rémunéré, à quelque titre que ce soit, au cours des deux dernières années ; les personnes qui contrôlent le débiteur ou qui se trouvent sous le contrôle de celui-ci ; les juges consulaires en fonction ou qui ont été en fonction il y a moins de 5 ans ; les créanciers du débiteur (mais cela est excessif dès lors qu’un expert comptable pourrait être un bon mandataire). En pratique, le mandataire ad hoc est généralement un mandataire judiciaire ou un administrateur judiciaire, un avocat, un expert comptable qui n’est pas celui de l’entreprise ou un juge consulaire qui n’exerce plus depuis plus de 5 ans. => Ensuite, le législateur a encadré les conditions de rémunération du mandataire ad hoc. Elles doivent être arrêtées par le président du tribunal avec l’accord écrit du débiteur. Cette rémunération ne peut pas être liée au montant des abandons de créances obtenues par les négociations (pas d’honoraires de résultats). => L’ordonnance du 12 mars 2014 a encadré deux clauses dont la pratique avait révélé l’usage par les créanciers les plus importants. D’abord, la clause qui prévoirait la résolution du contrat passé entre le débiteur et le créancier en cas de désignation d’un mandataire ad hoc est réputée non écrite (interdite). En effet, elle était de nature à dissuader le débiteur de demander la désignation d’un mandataire ou, s’il le faisait, elle pouvait aggraver ses difficultés. Ensuite, la clause par laquelle le créancier mettait à la charge du débiteur ses propres honoraires de conseil (du créancier) en cas de désignation d’un mandataire ad hoc à l’initiative du débiteur. Cette clause est réputée non-écrite pour autant qu’elle excède une certaine quote-part. §2. Ouverture d’une procédure de conciliation La conciliation est une véritable procédure de traitement amiable des difficultés de l’entreprise, contrairement à la désignation d’un mandataire ad hoc. Cette procédure avait été introduite sous le nom de règlement amiable par la loi du 1er mars 1984, avant d’être étendue aux entreprises agricoles par une loi du 30 décembre 1988. Par la suite, la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises a rebaptisé la procédure de règlement amiable en procédure de conciliation. Elle a remanié la procédure, sans pour autant l’étendre. Aujourd’hui, deux procédures co-existent : - la procédure de règlement amiable agricole propre aux entreprises agricoles (Code rural et de la pêche maritime) ; - la procédure de conciliation (Livre VI du Code de commerce). L’objectif de cette procédure est d’aboutir à un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers. A. La conclusion de l’accord Elle suppose que le président du tribunal désigne un conciliateur qui va recevoir la mission d’essayer de parvenir à un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers. 1. Les conditions de désignation Des conditions de désignation du conciliateur tiennent à la personne du débiteur, d’autres tiennent à la situation économique du débiteur (il doit justifier d’un certain niveau de difficulté). Concernant la personne du débiteur, qui peut demander au président du tribunal l’ouverture d’une procédure de conciliation ? Il peut s’agir de toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale ; toute personne morale de droit privé ; toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante (profession libérale). Seules sont exclues de cette faculté les exploitants agricoles (ils bénéficient de la procédure de règlement amiable) sauf lorsqu’ils exploitent leur activité agricole sous forme de société commerciale, ainsi que les syndicats de co propriété. Toutes les autres entreprises peuvent demander au président du tribunal de désigner un conciliateur. Concernant la situation économique du débiteur, il y a 3 conditions à satisfaire cumulativement : => L’art.L611-4 C.com prévoit que le débiteur doit « éprouver une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible ». C’est une formule vaste et, à l’origine (1984), le législateur exigeait que les comptes prévisionnels de l’entreprise fassent apparaître un besoin de financement à satisfaire. Depuis la loi du 10 juin 1994, le législateur se satisfait d’une difficulté simplement prévisible et non nécessairement avérée et dont l’origine peut varier. En bonne logique, il faut interpréter cette formule strictement. D’une part, l’article dit que le débiteur doit « éprouver » une difficulté, c'est à dire qu’il doit d’ores et déjà en ressentir les effets et l’épreuve. D’autre part, on doit considérer qu’il y a une gradation entre les précédentes procédures amiables et la procédure de conciliation : les difficultés doivent être plus importantes pour déclencher une procédure de conciliation que pour demander une procédure d’alerte (il faut davantage qu’une simple menace). Enfin, la difficulté éprouvée par le débiteur doit être suffisamment sérieuse pour justifier la désignation d’un conciliateur. => La deuxième condition, également prévue par l’art.L611-4, est que le débiteur ne doit pas être en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours au moment où il demande la désignation d’un conciliateur. La cessation des paiements est la situation dans laquelle le débiteur ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible (rupture de caisse). Si le débiteur n’est pas en état de cessation de paiement ou s’il a cessé de payer ses créanciers mais depuis moins de 45 jours, il peut valablement désigner l’ouverture d’une procédure de conciliation. En revanche, si le débiteur est en état de cessation de paiement depuis plus de 45 jours, ses difficultés sont trop importantes et il doit impérativement demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette deuxième condition tenant à la situation économique du débiteur était une innovation introduite par la loi de 2005. En son temps, elle avait été critiquée par les esprits génériques au motif que celle-ci aurait pour effet de brouiller les critères de répartition des différentes procédures. Ils affirmaient que cette innovation avait introduit une zone de chevauchement entre différentes procédure : dans les 45 jours qui suivent sa cessation des paiements, le débiteur dispose d’un choix et peut demander l’ouverture d’une procédure de conciliation, de redressement ou de liquidation. Cela est vrai mais il n’est pas sûr que cela soit une mauvaise chose. Cette innovation obéit à un souci de pragmatisme car l’expérience avait montré que dans ces 45 jours, le débiteur peut encore être en situation de parvenir à un accord amiable avec ses principaux créanciers. Dans cette mesure, il faut favoriser l’accord amiable. => La troisième condition tient également à la condition économique du débiteur et figure à l’article L611-6 : le débiteur qui demande la désignation d’un conciliateur ne doit pas avoir fait l’objet d’une autre procédure de conciliation dans les 3 mois qui précèdent sa demande. Il y a donc un délai de carence minimal de 3 mois entre deux procédures de conciliation s’agissant du même débiteur. Ce délai est justifié par l’idée d’éviter que le débiteur enchaine artificiellement plusieurs procédures de conciliation pour essayer de se soustraire à l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation. 2. La procédure de désignation a. La demande de désignation d’un conciliateur En toute logique, seul le débiteur introduit une demande de désignation d’un conciliateur devant le président du tribunal (juridiction gracieuse) qui examine la requête et qui l’accepte ou la rejette, selon que les conditions sont satisfaites ou non. En ce qui concerne la demande de conciliation, il n’y a que le débiteur qui peut la formuler. Il s’agit toujours pour lui d’une faculté. Autrement dit, le débiteur ne peut jamais être contraint par le président du tribunal, par le ministère public ou par ses créanciers de demander la désignation d’un conciliateur. C’est tout à fait logique car une procédure de conciliation ouverte contre le gré du débiteur serait nécessairement vouée à l’échec. En pratique, cependant, dans le cadre des procédures d’alerte, le président du tribunal peut convoquer le débiteur et a la possibilité de lui suggérer de demander la désignation d’un conciliateur. Quelle forme doit prendre cette demande ? Il s’agit d’une requête adressée par le débiteur au président du tribunal. Cette requête expose au président du tribunal ce qu’est la situation économique, sociale, financière ou juridique du débiteur ; quels sont ses besoins de financement et quels sont les moyens dont il dispose pour les satisfaire. En outre, la requête du débiteur peut proposer un conciliateur à la désignation du président du tribunal (c'est à dire une personne déterminée). Traditionnellement, se posait la question de savoir si les représentants du personnel doivent être informés et consultés par les dirigeants du débiteur avant l’introduction de sa requête aux fins de désignation d’un conciliateur. D’un coté, les mesures de prévention des difficultés des entreprises sont en principe confidentielles (c’est une condition de leur efficacité). D’un autre côté, l’article L2312-8, II CT oblige les dirigeants à informer et à consulter les représentants du personnel sur les questions qui intéressent l’organisation, la gestion et la marche général de l’entreprise. De manière générale, les dirigeants sont sensibles à cette obligation car ils redoutent d’être sanctionnés pénalement sur le terrain du délit d’entrave. Cette difficulté a été résolue, en apparence, par l’ordonnance du 12 mars 2014. Ce texte a tranché en faveur de la confidentialité des mesures de prévention des difficultés des entreprises. L’article L611-8-1 C. Com prévoit en effet que « Le comité social et économique est informé par le débiteur du contenu de l'accord lorsque celui-ci demande l’homologation. » À contrario, le débiteur n’est pas obligé d’informer le CSE de sa simple intention de demander au président du tribunal la désignation d’un conciliateur. Cependant, en pratique, la crainte du délit d’entrave reste forte chez les dirigeants, en sorte que de nombreux praticiens continuent de recommander aux dirigeants d’informer dès le début le CSE de leur intention de demander la désignation d'un conciliateur. b. La décision du président du tribunal Il a d’abord l’obligation de convoquer le représentant légal du débiteur (ses dirigeants si c’est une PM) ou le débiteur lui-même s’il s’agit d’une personne physique. Ce n’est qu’après cela qu’il statut et rend une d’ordonnance. De deux choses l’une : - Soit l’ordonnance rejette la requête aux fins de désignation d'un conciliateur si les conditions de cette désignation ne sont pas réunies. Dans ce cas, le président du tribunal peut éventuellement désigner en lieu et place d’un conciliateur un mandataire ad hoc, mais cela suppose que le débiteur lui aurait fait la demande à titre subsidiaire dans sa requête. Si le président du tribunal constate que les conditions de la désignation ne sont pas réunies, en particulier parce que le débiteur est en état de cessation de paiement depuis plus de 45 jours, il a la possibilité d’informer le ministère public pour que celui-ci demande au tribunal l’ouverture de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette situation n’est pas rare et correspond à 25 % des requêtes. - Soit les conditions de désignation d’un conciliateur sont satisfaites, le président du tribunal désigne un conciliateur par voie d’ordonnance. Dans ce cas, le président du tribunal s’assure que le conciliateur désigné satisfait les mêmes incompatibilités que celles prévues pour le mandataire ad hoc (v. supra). Le cas échéant, le président du tribunal désigne la personne proposée par le débiteur dans sa requête mais il n’y est aucunement tenu. Enfin, dans un souci d’efficacité, l’ordonnance de désignation d'un conciliateur doit rester confidentielle. Elle ne donne lieu à aucune mesure de publicité et n’est communiquée, le cas échéant, qu’au CAC ou à l’autorité dont relève le débiteur. La loi prévoit que toutes les personnes qui ont connaissance de la procédure de conciliation sont tenues à une obligation de confidentialité. 3. La mission du conciliateur La mission du conciliateur est difficile et n’est jamais assurée de succès : le négociateur essaie d’obtenir des créanciers du débiteur qu’ils acceptent des sacrifices. L’article L611-7 C. Com dispose que : « Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers (…) d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise. » Cela signifie que l’accord comprendra principalement des délais de paiement et des remises de dette. Mais il peut aussi y avoir des engagements du débiteur, tels que la promesse de céder certains de ses actifs ou de procéder à une augmentation de capital. L’ordonnance du 12 mars 2014 a prévu dans ce même article L611-7 que le conciliateur peut également avoir une autre mission. Il peut être chargé d’une mission ayant pour objet l’organisation d’une cession, partielle ou totale, de l’entreprise du débiteur, qui pourrait être mise en oeuvre dans une procédure ultérieure : c’est la pratique du prepack cession (cession pré-arrangée). Si et seulement si le débiteur en fait la demande au conciliateur, celui-ci doit pouvoir préparer la cession - partielle ou totale - de son entreprise dès le stade de la procédure de conciliation. L’intérêt est le suivant : l’expérience montre que quand la cession de l’entreprise est décidée dans le cadre d’une procédure collective sans avoir été préparée, elle prend plus de temps ; or, ce temps aura pour effet de diminuer la valeur de l’entreprise du débiteur cédé, au préjudice de ses créanciers. La mission du conciliateur est brève : il dispose de 4 mois pour trouver un accord, prorogeable 1 mois par le président du tribunal (5 mois au maximum). Cette durée peut parfois expliquer une certaine préférence des débiteurs pour le mandat ad hoc plutôt que pour la conciliation car le mandat ad hoc n’est enfermé dans aucun délai par les textes. Sa mission est donc difficile et il ne dispose que de peu de temps pour convaincre les créanciers du débiteur d’accepter des sacrifices. Pour y parvenir, le législateur a donc doté le conciliateur de certains atouts. La loi du 26 juillet 2005 (ayant introduit cette procédure) a donné des outils au conciliateur pour l’aider à mener à bien sa mission (trouver un accord entre le débiteur et ses créanciers). => D’abord, le législateur a autorisé les organismes publics et sociaux (administration fiscale et caisses de sécurité sociales qui sont souvent des créanciers du débiteur) à accorder des remises de dette au débiteur dans le cadre de la procédure de conciliation. Avant en effet, la loi n’autorisait ces créanciers à consentir des remises de dette qu’avec beaucoup de parcimonie dès lors qu’il s’agit d’argent public. C’était un problème dans la mesure où, en pratique, les créances des organismes publics (impôts et cotisations sociales) représentent souvent une grande part du passif des entreprises en difficulté. La loi a toutefois posé une précaution et précise que, par un renvoi fait par l’article 611-7 à l’article 626-6, les remises de dette consenties par les organismes publics et sociaux du débiteur dans le cadre de la procédure de conciliation ne peuvent être accordées au débiteur que « dans des conditions similaires à celles que lui octroierait, dans des conditions normales de marché, un opérateur économique privé placé dans la même situation. » Si cette condition n’existait pas, il existerait un risque d’une aide d’Etat qui serait un facteur de faussement de la concurrence. => Ensuite, le législateur a soustrait les créanciers qui acceptent d’apporter leur soutien au débiteur en difficulté au risque de voir ensuite leur responsabilité recherchée pour avoir soutenu abusivement le débiteur au préjudice de ses autres créanciers. Avant 2005, il y avait un abondant contentieux de la responsabilité pour soutien abusif à un débiteur en difficulté. Ce contentieux pouvait avoir pour effet de dissuader les banques d’apporter leur soutien au débiteur en difficulté. Les créanciers qui avaient fait l’effort de soutenir financièrement le débiteur en difficulté étaient contrariés que l’on puisse ensuite rechercher leur responsabilité. Pour ce motif, le projet de loi de sauvegarde de l’entreprise avait prévu de limiter la possibilité d’exercer une action en responsabilité à l’encontre des créanciers ayant accepté d’apporter leur soutien à un débiteur dans le cadre d’un accord de conciliation. La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 est allée au-delà et à posé un principe d’irresponsabilité pour soutien abusif à un débiteur en difficulté, auquel le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire. Article L650-1 C. Com : « (…) les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. » Les créanciers qui apportent leur soutien à un débiteur en difficulté dans le cadre d’une procédure de conciliation ne peuvent plus voir leur responsabilité ultérieurement engagée, sauf dans les 3 cas prévus par le texte. Dans les premiers temps qui ont suivi la loi, on a craint que le contentieux de la responsabilité pour soutien abusif d'un débiteur en difficulté persiste dans la mesure où les 3 exceptions sont toutes sujettes à interprétation. Rapidement, la jurisprudence a écarté cette éventualité dans son interprétation de l’article L650-1 : pour engager la responsabilité d’un créancier pour soutien abusif, il faut non seulement rapporter la preuve d’une fraude, d’une d'immixtion caractérisée ou de garanties disproportionnées, mais aussi rapporter la preuve d’une faute commise dans le soutien apporté au débiteur, soit parce que le créancier lui a apporté un soutien volumineux, soit parce que le créancier savait ou aurait dû savoir que la situation du débiteur était irrémédiablement compromise (Com. 27 mars 2012). L’article L650-1 permet donc effectivement de limiter l’engagement de la responsabilité du créancier pour soutien abusif et, ce faisant, d’inciter les créanciers à financer le débiteur dans le cadre de la procédure de conciliation. => Enfin, l’Ordonnance du 15 septembre 2021 a investi le débiteur d’un pouvoir nouveau prévu à l’article L611-7, al.5. Dans le cadre d’une procédure de conciliation, le débiteur peut demander au tribunal de lui accorder un délai de paiement pour payer un créancier qui : - soit l’a mis en demeure de payer parce que sa créance était échue ; - soit a refusé la demande qui lui a été faite par le conciliateur de suspendre l’exigibilité de sa créance. Dans ce cas, le tribunal ne peut accorder au débiteur un délai de paiement que dans la limite de la durée de la mission du conciliateur. En conséquences, le débiteur est face à un choix et peut : - prendre l’initiative de demander au tribunal le report d’une créance qui n’est pas encore exigible, dans la limite de la durée de la mission du conciliateur (4 ou 5 mois maximum); - attendre l'initiative d’un créancier de lui réclamer le paiement d’une créance échue pour demander au tribunal le report de ce paiement (dans la limite de 2 ans). Ces atouts dont est doté le conciliateur, augmenté de ce pouvoir nouveau conféré au débiteur, doivent lui permettre de conduire à bien sa mission : parvenir à la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers. S’il y parvient, quels sont les effets de l’accord ? 4. Les effets de l’accord Pour l’essentiel, l’accord amiable de conciliation est une convention ordinaire de droit privé, conclue entre le débiteur et ses principaux créanciers et soumis au droit commun des contrats. Il existe deux sortes d’accord amiable dans la mesure où le débiteur a une option : - il peut demander la constatation de l’accord amiable conclu par le président du tribunal, auquel cas le président du tribunal n’exerce qu’un contrôle formel de l’accord et l’accord n’est pas publié ; - il peut demander l’homologation de l’accord par le tribunal, auquel cas l’accord de conciliation sera soumis à un contrôle substantiel et le jugement d’homologation sera publié. a. L’accord constaté Les parties à l'accord, c'est à dire le débiteur et ses créanciers signataires, introduisent une requête conjointe auprès du président du tribunal afin qu’il constate l’accord. Dans cette requête, le débiteur doit attester qu’il n’est pas en état de cessation de paiement ou que, s’il l’était, la conclusion de l’accord y a mis fin. Le président du tribunal examine la requête et opère un contrôle formel. Il constate l'accord et lui donne force exécutoire dans une décision qui n’est pas publique. L’accord doit ensuite être exécuté par les parties. Mais il se peut qu’il ne le soit pas, en particulier par le débiteur. L’exécution de l’accord constaté L’accord constaté produits les effets prévus par les parties. On va principalement y trouver des délais de paiement (payer plus tard) et des remises de dette (payer moins) consenties par les créanciers. On y trouve aussi des clauses destinées à renforcer l’efficacité l’accord de conciliation. Notamment, on trouve des sûretés négatives, c'est à dire des clauses au terme desquelles le débiteur s’interdit de faire certaines choses (ex: d’accorder des sûretés supplémentaires). On peut aussi trouver une clause résolutoire de plein droit : le débiteur accepte que les créanciers puissent provoquer la résolution de l’accord de plein droit, sans recourir au juge, en cas d’inexécution du débiteur. La clause de retour à meilleur fortune traduit l’idée que le débiteur accepte de rembourser les créanciers de la totalité de leurs créances dans le cas où sa situation s’améliorerait. Un accord de conciliation contient principalement des délais de paiement et des remises de dette. Les garants du débiteur peuvent-ils les invoquer à leur avantage ? Les délais de paiement et remises de dette accordées par les créanciers signataires au débiteur profitent également aux personnes qui ont garanti les dettes du débiteur. L’art.L611-10-2 : « Les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord de conciliation. » Les délais de paiements et remises de dettes peuvent donc être opposés par le garant du débiteur aux créanciers de celui-ci. Le texte est important en pratique car il a pour objectif d’inciter les dirigeants de l’entreprise (qui sont souvent garant à titre personnel de leur entreprise) à demander l’ouverture d’une procédure de conciliation. Naturellement, l’exécution de l’accord constaté reste toujours un pari et peut échouer si les difficultés du débiteur persistent. L’échec de l’accord de conciliation constaté Il peut avoir deux causes et résulter : - Soit de l’ouverture pendant la conciliation d’une procédure collective, ce qui signifie que la première n’est pas parvenu à résorber les difficultés du débiteur. Art.L611-12 : « L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire met fin de plein droit à l'accord de conciliation. En ce cas, les créanciers recouvrent l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues. » Les délais de paiement et remises de dettes accordées au débiteur dans l’accord sont ainsi anéantis. - Soit de l’inexécution de l’accord par le débiteur. Ici, l’accord est résolu soit par application de la clause résolutoire de plein droit qui avait été stipulée, soit judiciairement. La résolution de l’accord va entraîner l’anéantissement des délais de paiement et remises de dettes accordées par les créanciers qui vont alors récupérer leur créance. Les deux cas sont proches dans la mesure où lorsque le débiteur cesse d’exécuter l’accord, bien souvent, une procédure de sauvegarde ou de liquidation approche. b. L’accord homologué L’homologation de l’accord par le tribunal est moins demandée (1/5 des cas) que la constatation de l’accord. En effet, elle donne lieu à un jugement d’homologation qui est rendu public. Mais elle l’est de plus en plus dans la mesure où elle produit des effets juridiques intéressants pour les créanciers. Les conditions de l’homologation En principe, seul le débiteur peut demander l’homologation de l’accord de conciliation. Si les créanciers signataires veulent l’homologation, il leur est possible d’ériger la demande d’homologation par le débiteur en condition suspensive de l’accord de conciliation. La demande d’homologation n’est pas portée devant le président du tribunal mais devant le tribunal lui-même. Avant de prononcer l’homologation, le tribunal doit appeler en audience les créanciers signataires de l’accord, les représentants du personnel, le conciliateur, le ministère public et l’ordre professionnel si le débiteur est un professionnel réglementé. Après avoir entendu ces parties prenantes, le tribunal homologue l’accord de conciliation sous 3 conditions cumulatives qui conduisent le tribunal à exercer un contrôle substantiel : - Le débiteur qui demande l’homologation ne doit pas être en état de cessation de paiement ou, s’il l’était depuis moins de 45 jours (condition pour conciliation), l’accord conclu doit mettre fin à cet état. Cela suppose que le tribunal apprécie la situation des caisses du débiteur. - Les termes de l’accord de conciliation doivent être de nature à assurer la pérennité de l’entreprise du débiteur. Là aussi, cela suppose que le tribunal apprécie le contenu de l’accord. - L’accord de conciliation ne doit pas porter une atteinte excessive aux intérêts des autres créanciers (qui n’ont pas conclu l’accord). C’est la condition la plus difficile à apprécier. L’idée est que les créanciers signataires ont accepté des sacrifices et méritent à ce titre d’être avantagés, mais dans une juste mesure. Cette mesure ne serait pas respectée si, par exemple, ces créanciers avaient obtenu des garanties exclusives du débiteur sur ses actifs. Si ces 3 conditions sont réunies, le tribunal doit homologuer l’accord de conciliation. La décision prend la forme d’un jugement d’homologation qui sera notifié aux parties et communiqué au conciliateur. Il sera déposé au greffe et faire l’objet d’une insertion au BODACC (seul le jugement est publié et non pas le contenu de l’accord). Les effets de l’accord homologué L’accord homologué produit à minima les mêmes effets que l’accord constaté (v. supra). Ensuite, il va produire des effets qui lui sont propres, dont deux en particulier. => Premièrement, l’accord homologué peut conférer aux créanciers signataires un privilège de paiement, c'est à dire le droit d’être payé par priorité en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective. C’est le privilège de conciliation (ou privilège d’argent frais ou privilège de new money) prévu à l’article L611-11. Il est admis aux créanciers du débiteur à 4 conditions : - Les créanciers doivent apporter un concours au débiteur dans le cadre de l’accord de conciliation. Ce concours doit prendre la forme d’un apport en trésorerie ou de la fourniture d’un nouveau bien ou service. À contrario, les créanciers signataires qui n’ont fait qu’accorder un délai de paiement ou une remise de dette ne peuvent pas bénéficier du privilège. - Le concours qu’ils apportent doit être destiné à la poursuite de l’activité du débiteur. - L’accord de conciliation doit être homologué. - Une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire doit être ultérieurement ouverte à l’égard du débiteur. Les créanciers signataires doivent y déclarer leur créances nées du concours apporté au débiteur dans le cadre de la conciliation. Si ces 4 conditions sont remplies, les créanciers bénéficieront d’un privilège de paiement dans le cadre de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation. Leur créance sera payée par priorité par rapport aux autres créances du débiteur. Cet avantage a pour objectif d’inciter les créanciers à accorder leur concours au débiteur. => Ensuite, le jugement d’homologation (opposable erga omnes) atteste que le débiteur n’était pas en état de cessation des paiements au moment de la conclusion de l’accord amiable, ce qui écarte le risque que cet accord tombe sous le coup des nullités de la période suspecte. Dans la mesure où il constate l’absence de cessation des paiements du débiteur au jour de la conclusion de l’accord, le jugement va empêcher de reporter la date de cessation des paiements avant la conclusion de l’accord de conciliation en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Lorsque le tribunal ouvre une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, il a la possibilité de faire remonter en arrière la date de cessation des paiements du débiteur jusqu’à 18 mois. Dans ce cas, la période qui sépare la date de cessation des paiements de la date du jugement d’ouverture de la procédure collective est ce qu’on appelle la période suspecte. En effet, on doit craindre que le débiteur, se sachant déjà en état de cessation de paiement, ait organisé son insolvabilité et qu’il ait avantagé certains de ses créanciers au détriment des autres. Par conséquent, pour combattre cela, certains actes faits par le débiteur avec ses créanciers pendant la période suspecte doivent ou peuvent être annulés par le tribunal. Autrement dit, si le tribunal, pour un redressement ou une liquidation judiciaire, pouvait reporter dans le passé la date de cessation des paiements avant la conclusion de l’accord de conciliation, cela signifie que l’accord de conciliation et les sûretés qui en garantissent l’exécution devraient ou pourraient être annulés (puisqu’ils tombent dans la période suspecte). Le jugement d’homologation vise à éviter cette menace puisqu’il constate que le débiteur n’est pas en état de cessation des paiements au moment de la conclusion de l’accord. Les créanciers signataires d’un accord homologué sont assurés de la validité de l’accord de conciliation et des sûretés qui en garantissent l’exécution en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective. Si à l’avenir, il y a redressement ou liquidation, le tribunal ne pourra pas faire remonter la date de cessation des paiements avant la conclusion de l’accord (du fait du jugement d’homologation). En résumé, le débiteur et les créanciers ayant signé l’accord de conciliation sont en présence d’un choix : - faire constater leur accord par le président du tribunal, privilégiant ainsi la confidentialité des difficultés du débiteur sur la sécurité des créanciers signataires ; - faire homologuer l’accord par le tribunal, ce qui signifie que la sécurité des créanciers signataires est privilégiée. Dans l’exercice de ce choix, aujourd’hui, la confidentialité de l’accord est largement privilégiée. La résolution amiable privée des difficultés de l’entreprise, par le biais de la désignation d’un mandataire ad hoc ou de l’ouverture d’une procédure de conciliation, va presque toujours de pair avec une résolution amiable publique, c'est à dire avec l’aide des pouvoirs publics. Section II. La résolution amiable publique des difficultés des entreprises Il est évident que la résolution des difficultés des entreprises intéresse les pouvoirs publics pour cette simple raison que l’entreprise s’attache à une activité et des emplois. L’aide des pouvoirs publics peut venir de l’Etat mais aussi des collectivités territoriales (régions et départements). Elle peut prendre des formes très variées : subvention ; prêt à un taux préférentiel ; garantie d’Etat ; délai de paiement ou remise de dette ; etc. §1. Les difficultés liées à l’attribution de l’aide publique Ces difficultés sont de deux sortes : des difficultés économiques et des difficultés juridiques. D’abord, sur le terrain de l’opportunité et sur le terrain économique, l’expérience a montré que dans certaines situations, l’aide publique aux entreprises en difficulté pouvait avoir un effet pervers. L’attribution d’une aide publique à une entreprise en difficulté par hypothèse peu performante peut lui permettre de se maintenir sur le marché. Une entreprise tributaire d’aides publiques successives peut ne pas être incitée à améliorer sa performance économique. L’expérience l’a montré par le passé et des quantités considérables d’argent public ont été versées à des entreprises qui ne se sont jamais relevées. Cela est beaucoup moins vrai aujourd’hui car ces considérations d'opportunité ont progressivement pénétré le terrain juridique où la régularité de l’aide publique soumet deux difficultés proprement juridiques. D’abord, l’attribution d’une aide publique à une entreprise déterminée contrevient au principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est simple que l’entreprise bénéficiaire de l’aide publique soit privilégiée par rapport à une autre. Ainsi, une aide publique ne peut être attribuée à une entreprise que si sa situation particulière justifie un traitement particulier (pour admettre une rupture d’égalité devant les charges publiques). Ensuite, l’attribution des aides publiques fausse la concurrence sur les marchés occupés à l’entreprise. L’aide publique entraine en effet une baisse du coût de revient de sa production. Une aide publique ne peut être attribuée à une entreprise en difficulté que sous certaines conditions qui justifient de déroger aux règles de concurrence. C’est particulièrement vrai en droit européen dont le TFUE, art.107 pose un principe d’interdiction des aides d’Etat qui ne peut être écarté que sur autorisation préalable de la Commission européenne. En droit interne, l’article L626-6 n’autorise les créanciers publics et sociaux à accorder une remise de dette à une entreprise en difficulté que dans des conditions similaires à celles que lui octroierait, dans des conditions normales de marché, un opérateur économique privé placé dans la même situation. §2. Les structures d’attribution de l’aide publique Du fait d’abus passés, l’attribution d’une aide publique aux entreprises en difficulté a été rationalisée. À l’heure actuelle, il y a 3 structures d’attribution de l’aide public (2 au niveau départemental et 1 au niveau national). Au niveau départemental, il y a la Commission des chefs de services financiers (CCSF) et le Comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI). On doit y rapprocher les Commissaires aux Restructurations et Prévention des difficultés des entreprises (CRP) introduits en 2012. Au niveau national, le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). A. Niveau départemental La CCSF concerne les services fiscaux, l’URSSAF, le directeur des douanes, etc… Le débiteur qui ne parvient pas à payer une dette fiscale et sociale peut saisir cette commission qui a le pouvoir de suspendre les poursuites dirigées contre le débiteur pendant l’examen du dossier. À l’issu de cet examen, elle a le pouvoir de décider d’un plan de paiement rééchelonné sur une période maximale de 18 mois (on étale sa dette) voire une remise en tout ou partie des pénalités. Le CODEFI concerne les entreprises de moins de 400 salariés. Il a une mission plus générale d’examen de traitement des difficultés des entreprises, plus large que celle de la CCSF. Cette mission se manifeste de deux manières : - dans sa composition (plus large) : le préfet, le directeur départemental de la commission de répression des fraudes, un secrétariat permanent, etc - dans ses pouvoirs : il joue un rôle de médiateur, le cas échéant, aux côtés d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur dont le débiteur a demandé la désignation. Il peut décider de l’attribution d’une aide publique. S’ajoute à cela une initiative prise en 2012 qui avait désigné 22 commissaires en redressement productifs chargés d’une mission équivalente à celle du CODEFI mais dont on doutait de l’utilité, sauf qu’il s’agissait d’une personne (et non pas d’une commission administrative). Ils sont par la suite devenus les Commissaires aux Restructurations et Prévention des difficultés des entreprises (CRP). B. Niveau national Au niveau national, le CIRI concerne les entreprises les plus importantes : celles qui comprennent plus de 400 salariés. Il a une mission semblable à celle du CODEFI mais il l’exerce à des entreprises considérées comme étant d’importance nationale. Il est présidé par le ministre de l’Économie (on y trouve le directeur de la Banque de France, etc). Ces procédés de règlement amiable privé ou public des difficultés des entreprises sont indispensables et fonctionnent le plus souvent. Mais en dépit de leur existence, il arrive que la situation de l’entreprise continue de se dégrader au point de nécessiter un traitement judiciaire. Partie II. Le traitement judiciaire des difficultés des entreprises Jusqu’à la loi du 26 juillet 2005, la frontière qui distinguait le traitement amiable du traitement judiciaire des difficultés des entreprises était simple. En effet, elle était tracée au moyen d’un seul critère : la cessation des paiements. Si le débiteur n’était pas en état de cessation des paiements, sa situation relevait exclusivement du traitement amiable ; s’il se trouvait en état de cessation des paiements, sa situation relevait exclusivement du traitement judiciaire. En 2005, dans un souci bienvenu de pragmatisme, le législateur a rompu avec cette solution simpliste. Il l’a fait de deux manières. D’un côté, le traitement amiable des difficultés des entreprises a été étendu au-delà de la cessation des paiements du débiteur : le débiteur en état de cessation des paiements depuis moins de 45 jours peut demander l’ouverture d’une procédure de conciliation. D’un autre côté, le traitement judiciaire a été étendu en deçà de la cessation des paiements du débiteur. Désormais, le débiteur qui n’est pas en état de cessation des paiements mais qui justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter par lui-même peut demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. => Aujourd’hui, la cession des paiements n’est plus le critère unique de distinction entre le traitement amiable et le traitement judiciaire des difficultés des entreprises. Il y a aujourd’hui 3 procédures de traitement judiciaire des difficultés des entreprises : la procédure de sauvegarde, la procédure de redressement et la procédure de liquidation judiciaire. La procédure de sauvegarde peut être ouverte à la seule demande du débiteur qui, sans être en état de cessation des paiements, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter par lui-même. Son but est de faciliter la réorganisation de l’entreprise pour permettre : 1° la poursuite de l’activité ; 2° Le maintien de l’emploi ; 3° l’apurement du passif. Elle va s’ouvrir par une période d’observation au cours de laquelle la situation de l’entreprise va être examinée. À l’issue de la période d’observation, sera adopté (si c’est possible) un plan de sauvegarde destiné à réorganiser l’entreprise en vue de la poursuite de l’activité par lui-même. La procédure de redressement judiciaire n’est plus une faculté pour le débiteur mais une obligation. Elle peut être ouverte à son encontre. Elle doit être ouverte à l’encontre du débiteur qui est en état de cessation des paiements, mais dont le redressement n’apparaît pas impossible. Elle est destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif (règlement des créanciers). Sans employer le terme de réorganisation de l’entreprise, on voit que cette procédure est très proche de la procédure de sauvegarde. La procédure de redressement judiciaire s’ouvre aussi sur une période d’observation, au cours de laquelle la situation économique de l’entreprise est sous examen et à l’issue de laquelle doit être adopté un plan de redressement qui sera destiné à permettre au débiteur de réorganiser l’activité de son entreprise pour en poursuivre l’exploitation par lui-même OU, si le débiteur n’est pas en mesure de pourvoir par lui-même à la réorganisation de son entreprise, un plan de cession de tout ou partie de l’entreprise à un tiers entrepreneur. La procédure de liquidation judiciaire doit être ouverte à l’encontre du débiteur en état de cessation des paiements ( =ne paye plus ses créanciers) et dont le redressement apparaît impossible. Son but est de mettre fin à l’activité de l’entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par un plan de cession. L’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire met fin à l’activité du débiteur (qui va disparaitre si c’est une personne morale). En revanche, elle ne met pas nécessairement fin à l’activité de son entreprise dont la cession à un tiers entrepreneur est possible. Ces procédures peuvent éventuellement se succéder à l’égard d’une même entreprise. En particulier, si la procédure de sauvegarde échoue, elle pourra être convertie en procédure de redressement judiciaire, voire aboutir directement au prononcé d’une liquidation judiciaire. De même, la procédure de redressement peut aboutir à une procédure de liquidation judiciaire. Titre I. La procédure de sauvegarde On distingue deux procédures de sauvegarde : - une procédure de sauvegarde ordinaire qui est la procédure de droit commun de traitement judiciaire des difficultés des entreprises ; - une procédure de sauvegarde accélérée issue de la fusion des procédures de sauvegarde financière accélérée et de sauvegarde accélérée, réalisée par l’ordonnance du 15 septembre 2021. Une loi du 22 octobre 2010 avait créé la sauvegarde financière accélérée. L’ordonnance du 12 mars 2014 avait créé la procédure de sauvegarde accélérée, étant précisé que ces procédures ne concernaient que les entreprises les plus importantes (= les plus gros débiteur). L’ordonnance du 15 septembre 2021 les a fusionnés en une procédure unique qui a donné la procédure de sauvegarde accélérée. Sous-titre I. La procédure de sauvegarde ordinaire Chapitre 1. L’ouverture de la procédure de sauvegarde ordinaire Section I. Les conditions d’ouverture de la procédure de sauvegarde ordinaire Sous-section I. Les conditions tenant à la personne du débiteur Article L620-2 C. com : « L’ouverture d’une procédure de sauvegarde peut être demandée par toute personne exerçant une activité commerciale, artisanale ou agricole a qualité pour demander une procédure de sauvegarde ordinaire ; toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante et toute personne morale de droit privé. » §1. Le débiteur personne physique L 620-2 code de commerce : la procédure de sauvegarde peut être ouverte par toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale ou agricole ; ou toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante. On remarque que le genre d’activité exercé par le débiteur personne physique est indifférent puisqu’il peut s’agir, selon le cas, d’une activité commerciale, artisanale (ex cordonnier) , agricole (ex maraicher) ou libérale. La situation administrative du débiteur personne physique est également indifférente. Jusqu’à l’ordonnance du 18 décembre 2008 (Sauvegarde 2), l’article L620-2 était rédigé différemment et employé les expressions différentes pour déterminer pers physiques puisqu’il disait « commerçant » et de « personne immatriculée au répertoire des métiers » (qui désigne l’artisan). Certains en déduisait que le commerçant de fait (qui fait des actes de commerce sans être immatriculé au RCS) et l’artisan de fait ( qui a une activité artisanale sans être immatriculé au répertoire des métiers) ne pouvaient pas demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. L’ordonnance de 2008 a supprimé toute référence à l’idée d’immatriculation, de telle manière qu’il est désormais certain que le commerçant ou l’artisan de fait peuvent demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. La seule chose qui compte est l’ex d’une activité prof indépendante (la situation administrative est indifférente cad immatriculation ou pas). (Le prof s’est arrêté là pour cette partie). Pour demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, la seule chose qui importe, c’est l’exercice d’une activité professionnelle indépendante. L’article aurait pu s’en tenir à cela pour limiter le domaine d’application ratione materiae de la procédure de sauvegarde. Mais la formulation du texte comporte toujours des ambiguïtés. D’abord, le débiteur personne physique qui exerce une activité illicite (ex : vente de stupéfiants, jeu d’argent non-autorisé) peut-il demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ? À la lettre, l’article L620-2 ne l’interdit pas mais cela serait choquant dans la mesure où la procédure de sauvegarde a pour objectif la poursuite de l’activité du débiteur. En revanche, le prononcé d’une liquidation judiciaire à l’encontre d’un débiteur exerçant une activité illicite est envisageable. Ensuite, le débiteur personne physique qui exerce une activité occasionnelle peut-il demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ? Exemple : un fonctionnaire public achète et revend des tableaux et qui accomplit à cette occasion des actes de commerce. L’article L620-2 amène à distinguer : Quand l’activité occasionnelle est agricole ou libérale, il ne peut pas demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde (le texte vise tout agriculteur et toute personne exerçant une activité professionnelle, ce qui suppose qu’elle soit exercée à titre principal). Quand l’activité occasionnelle est commerciale ou artisanale, la réponse est moins évidente car le texte ne précise rien sur le caractère professionnel de cet exercice. La réponse n’est pas tranchée. => Abstraction faite de ces deux difficultés, on peut conclure avec certitude que tout débiteur personne physique qui exerce une activité professionnelle licite, régulière et à titre indépendant peut demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. §2. Le débiteur personne morale Selon l’article L620-2, la procédure de sauvegarde peut être ouverte à la demande de toute personne morale de droit privé. Sans autre précision, cela signifie que sa forme juridique n’importe pas (syndicat, société commerciale ou société civile, association, etc) à l’exception des syndicats de copropriété qui sont exclus du domaine d’application des procédures collectives par détermination d’une loi de 1965. En revanche, la procédure de sauvegarde ne peut pas être ouverte à la demande d’un groupement de droit privé qui ne jouit pas de la personnalité morale (comme S de fait, S de participation). Il existe des groupements de droit privé dépourvus de la personnalité morale : l’association, la société créée de fait, la société en participation ou l’indivision. Elle ne peut pas non plus être ouverte à la demande d’une personne morale de droit publique. => La procédure de sauvegarde peut donc être ouverte à l’égard de tout groupement de droit privé doté de la personnalité morale, sauf à l’égard des syndicats de copropriété. Après qu’une procédure de sauvegarde est ouverte à la demande d’une personne morale de droit privé (admettons une société), cette même procédure pourra-t-elle être étendue aux autres personnes qui ont avec elle un lien étroit ? Exemple : lorsqu’une procédure de sauvegarde a été ouverte à la demande du débiteur personne morale à l’égard d’une société membre d’une autre société, va – ton pouvoir étendre la procédure aux autres membres. C’est la question de l’extension de la procédure collective (de sauvegarde). En principe, la procédure de sauvegarde qui a été ouverte à l’égard d’une personne morale (d’une S d’un groupe) ne vaut qu’à l’égard de celle-ci et ne peut pas être étendue à une autre personne même si elle a des liens étroits avec la première (comme c’est le cas typiquement dans un groupe de société- ex liens de capital). C’est le principe de l’autonomie de la personnalité morale : chaque personne morale est autonome et distincte des autres et doit être considéré isolément des autres S du groupe. Or, en droit français, le groupe de sociétés n’a pas la personnalité morale et il est fondé par chacune des sociétés qui le composent et qui doivent être considérées isolément, auraient elle entre elles des liens de capitaux. Toutefois, il existe des exceptions à ce principe lorsque la situation juridique travestit la réalité économique et l’interdépendance qui existe entre les sociétés d’un même groupe. A l’origine, la jurisprudence, de longue date, admettait que la procédure collective ouverte à l’égard d’une personne morale puisse être étendue à une ou plusieurs autres personnes morales ou physiques lorsqu’existait entre ces personnes soit une confusion des patrimoines ( = on ne sait pas qui est à qui), soit lorsque la personne morale à l’égard de qui la procédure a été ouverte était fictive (= « S de façade »). Cette solution prétorienne n’a été accueillie par les textes qu’à l’occasion de la loi du 26 juillet 2005 sous l’article L621-2 C. com : « La procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur qui fait l’objet de la 1ère procédure ou en cas de facticité de la personne morale qui fait l’objet de la 1ère procédure ». 1. Les causes d’extension de la procédure La jurisprudence qui préexistait à la création de l’article L621-2 demeure valable. Elle donne des éléments sur ce qu’est la confusion des patrimoines et la fictivité de la S. => La confusion des patrimoines peut reposer sur deux critères alternatifs : - soit l’existence d’une confusion des comptes : les éléments d’actif et de passif des deux personnes concernées ( du débiteur concernée par la procédure et l’autre pers à qui on envisage d’étendre la procédure) ont été entremêlées au point de rendre leurs affectation incertaine voire impossible (comptabilité mal tenue) ; - soit l’existence de relations financières anormales : il y a eu des transferts financiers cad de valeurs et d’éléments d’actif et de passif, du débiteur PM à la personne à qui on envisage d’étendre la procédure, dépourvus de cause, entre les deux personnes concernées. Exemple : la première société a versé à la seconde des fonds d’argent sans obtenir de contrepartie. Ces deux critères alternatifs ont en commun d’envisager une situation anormale qui peut exister en présence de deux personnes morales, en particulier de deux sociétés d’un même groupe, mais également en présence d’une personne morale et d’une personne physique. Étendre une procédure qui concerne PM à une PP est possible également lorsque la situation anormale est entre une PM et une PP. En revanche, la combinaison d’une société commerciale d’exploitation et d’une société civile immobilière est très fréquente (ex : exploitation d’une activité avec SARL dans les murs d’une SCI). Ces situations sont normales et ne justifient pas en elles-mêmes d’étendre la procédure, il faut démontrer l’existence d’une situation anormale (par une confusion des comptes ou des relations financières anormales). En effet un groupe de S ne justifie pas ipso facto l’extension de la procédure. Combi SARL (qui exploite les murs) et SCI (qui détient les murs) sont très fréquentes cette situation là en elle-même n’est pas constitutive de confusion de patrimoine, il faut démontrer une situation anormale. => Un second cas d’extension de la procédure est envisagé : la fictivité. Elle suppose que la personne morale à l’égard de laquelle la procédure de sauvegarde a été ouverte n’est qu’une façade interposée par une PM ou une PP. L’extension permettra ici d’atteindre les autres personnes qui se dissimulent derrière cette façade. C’est une notion qui repose principalement sur l’absence d’affectio societatis des membres de la personne morale. Il faut démontrer que ceux qui ont constitué la S en procédure collective n’ont pas vraiment eu l’intention de s’associer pour partager bénéfices de l’activité et concourir aux activités de la S mais dissimuler réalité de l’activité derrière la PM. Néanmoins, on peut se demander si cette notion ne se confond pas déjà avec la notion, plus large, de confusion des patrimoines et donc faire l’économie de cette 2ème cause. 2. Le régime de l’extension Voici que le tribunal qui a ouvert la procédure collective à l’égard de la PM constate une cause d’extension de la procédure cad qu’il y a confusion du patrimoine du débiteur avec celui d’une autre personne ou la fictivité du débiteur à l’égard de laquelle la PM a été ouverte. Il est tenu par ses constatations et doit, à titre de conséquence, étendre la procédure ouverte à cette autre personne (confondue avec le débiteur ou dissimulée derrière lui). Dans ce cas, le principe qui domine est celui de l’unicité de la procédure : c’est la même procédure unique ouverte à l’égard du 1er débiteur PM qui est étendue à d’autre personne, sans qu’il soit besoin que ces autres personnes satisfassent elle-même les conditions d’ouverture de la procédure. Le juge n’a pas à constater existence des conditions de l’ouverture pour ces autres personnes. L’intérêt de l’extension de la procédure est qu’elle va permettre d’entraîner le paiement du passif commun du débiteur et à cette personne sur l’actif commun du débiteur et de cette personne. Autrement dit, on paiera les créanciers avec l’actif des deux personnes. Les créanciers du débiteur à l’égard duquel la procédure a été ouverte ont ainsi intérêt à demander l’extension de la procédure à d’autres personnes en relation avec lui chaque fois qu’elles ont plus d’actif que de passif et qu’elles sont en bonne santé financière (car ils seront payés leur créance sur un actif élargi) et d’élever leur chance d’être payé de ses créances da la procédure collective. Mais la jurisprudence n’admet pas cette possibilité aux créanciers. Elle réserve l’exercice de l’action en extension de procédure à un protagoniste de la procédure collective qui est le mandataire judiciaire qui est désigné dans le cadre de la procédure pour représenter les créanciers. Seuls peuvent exercer l’action le mandataire judiciaire et les autres personnes attitrées (art.L621-2) : l’administrateur judiciaire s’il y en a un, le ministère public et le débiteur lui-même. S’agissant du débiteur, cette possibilité est surprenante et paradoxale car elle revient pour lui à se prévaloir d’une situation anormale (confusion des patrimoines ou fictivité). Le débiteur peut donc se repentir. Néanmoins, ce principe d’unicité de la procédure a 3 limites : - Le jugement qui ordonne l’extension de la procédure ne rétroagit pas à la date du jugement qui a ouvert la procédure. Ceci a une conséquence essentielle : la qualification antérieure ou postérieure des créances détenues sur la personne à laquelle la procédure est étendue va s’apprécier en fonction de la date du jugement d’extension de la procédure et non pas de celle du jugement d’ouverture. - La jurisprudence a posé une limite indispensable en faveur des tiers, c'est à dire les coobligés et garants du débiteur. En particulier, l’obligation de la caution qui a garanti le passif de l’une des personnes soumises à l’extension de la procédure reste limitée à ce seul passif en dépit de l’extension de la procédure. - Enfin, on considère généralement que la procédure collective, après qu’elle ait été étendue du débiteur à d’autres personnes, devrait en principe pouvoir aboutir à des solutions différentes. En effet, les conditions d’ouverture de la procédure n’ont pas à être satisfaite par la personne à qui la procédure a été étendue. Il ne s’agit que d’une opinion doctrinale car la jurisprudence ne s’est encore jamais prononcée en ce sens. Mais cette question est peut-être une fausse question depuis que la loi du 26 juillet 2005 permet de construire des solutions très différenciées au sein d’une même procédure. Ex : plan de sauvegarde pour la 1ère S et autre chose pour les autres. Sous-section II. Les conditions qui tiennent à la situation économique du débiteur La difficulté, ici, c’est de viser juste. Elle tient à ce que la procédure de sauvegarde doit être ouverte au bon moment ni trop tôt, ni trop tard : - Si elle est ouverte trop tôt, cela signifie que le débiteur qui ne connait pas de réelles difficultés financières (qu’il n’est pas en état de cessation de paiement) va pouvoir se servir de la procédure de sauvegarde comme un moyen d’imposer à ses créanciers des délais de paiements et des remises de dette accordées dans le cadre du plan. Si procédure ouverte trop tôt alors risque d’abus, débiteur connait pas de réelle difficulté et va imposer aux créanciers remise de dette alors que pas encore en état de cessation et qu’en vérité il peut payer. - À l’inverse, si la procédure de sauvegarde est ouverte trop tard, le risque est qu’elle soit sans efficacité pour remédier aux difficultés, déjà trop importantes, du débiteur. La rédaction de l’article L620-1 C. com/ conditions d’ouverture de la procédure, cet article a varié. À l’origine, dans la loi du 26 juillet 2005, pour pouvoir demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, le débiteur devait justifier de difficultés qu’il n’était pas en mesure de surmonter par lui-même et qui soient de nature à le mener rapidement à une situation de cessation des paiements. Dans cette rédaction, il fallait que les difficultés économiques éprouvées par le débiteur soient suffisamment importantes pour être de nature à le conduire à la cessation des paiements. Cette précision/ condition en 2005 devait conjurer le risque que le débiteur abuse de la procédure de sauvegarde comme un moyen d’imposer à ses créanciers des mesures accordées dans le cadre du plan (remises de dettes et délai de paiement). Mais très vite, dans l’ordonnance du 18 décembre 2008 « Sauvegarde 2 » a voulu favoriser la procédure de sauvegarde et a donc assoupli les conditions d’ouverture d’une procédure de sauvegarde dans la mesure où, entre 2005 et 2008, il n’y en avait pas eu beaucoup. Depuis son entrée en vigueur, l’article L620-1 prévoit que le débiteur qui demande l’ouverture de sauvegarde doit simplement justifier de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter par lui-même (même si elles ne sont pas de nature à entraîner une cessation des paiement). On a ôté de « nature à le conduire à une situation de cessation de paiement ». En fin de compte, le débiteur qui demande au tribunal l’ouverture d’une procédure de sauvegarde doit démontrer deux choses : - qu’il éprouve des difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter (§1) ; - qu’il n’est pas déjà en état de cessation des paiements (§2) sinon : redressement ou liquidation. §1. L’existence de difficultés insurmontables L620-1 du C.com : Le débiteur qui demande l’ouverture d’une procédure de sauvegarde doit démontrer qu’il éprouve des difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter. En bonne logique, ces difficultés doivent être supérieures que celles dont il faut justifier pour demander une conciliation. Ainsi, elles doivent être avérées et non pas simplement prévisibles. De plus, ces difficultés doivent être graves dans la mesure où le débiteur n’est pas en mesure de les surmonter par lui-même, c'est à dire sans le concours du tribunal. Deux questions intéressantes ont été soulevées. => Ce caractère insurmontable des difficultés du débiteur doit-il s’apprécier seulement au regard des capacités du débiteur ou au regard, également, des capacités du groupe auquel il appartient ? Autrement dit est-ce qu’une S peut demander au tribunal l’ouverture d’une procédure alors que cette S, bien qu’elle connaisse des difficultés participe d’un groupe de S qui, lui, est prospère ? Com. 26 juin 2017 a approuvé une CA d’avoir retenu que « la situation de la société débitrice devait être appréciée en elle-même, sans que soient prises en compte les capacités financières du groupe auquel elle appartient ». La solution est logique sur le plan juridique. En effet, les sociétés membres d’un groupe sont distinctes les unes des autres et le groupe n’a pas la personnalité morale. En décider autrement, ce serait décider qu'un associé de la société mère peut être tenu de soutenir sa filiale Or, cela est contraire en droit des sociétés (1836§2 du code civil) puisqu’un associé ne peut pas être tenu d’augmenter ses engagements envers sa société. En revanche, la solution est plus troublante sur le plan de l’opportunité car elle aboutit à faire peser tout l’effort de restructuration de la société et les sacrifices sur ses créanciers uniquement (qui vont devoir consentir des délais de paiement et remises de dette) plutôt que sur les associés de société mère dont on imagine qu’elle aurait pu être mise à contribution pour soutenir sa filiale qui connait des difficultés. => Est-ce qu’un débiteur (une société) qui n’a qu'une activité financière, à l’exclusion de toute activité économique réelle, peut demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ? Concrètement, une holding « pure » - qui n’a pas d’activité à proprement parler, voire pas de salariés - peut-elle demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ? Est-ce qu’une S holding financière (dont le seul objet est de détenir des participations dans S mais pas d’activité) peut- elle demander une telle procédure) Affaire Coeur défense (2011) : Une société commerciale (SAS Hold) avait fait l’acquisition d’une SCI, laquelle détenait en propriété la tour. La SAS avait acquis la SCI en ayant recours à un emprunt à taux variable garanti par l’associé unique de la SAS. Survient la crise financière de 2008. La SAS ne serait bientôt plus en mesure de rembourser son emprunt à taux variable. La SAS qui l’avait garanti devrait bientôt subir la réalisation des garanties qu’elle avait accordées à la banque qui avait prêté les financements. SAS Hold et son A unique « Dame Luxembourg », pour éviter ces conséquences, les deux sociétés (fille et mère) ont demandé au TC Par