Cours 1_7-25 PDF - Le temps de la guerre froide
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Université de Bretagne Occidentale
Jean Le Bihan
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This document is a chapter on the Cold War, examining the historical context of international relations between 1947 and 1991, specifically focusing on the ideological models of the USA and the USSR. It explores the significant events of the Cold War era.
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9 Chapitre 2 Le temps de la guerre froide L’expression guerre froide est utilisée pour caractériser l’histoire des relations internationales au cours de la seconde moitié du XXe siècle, et plus précisément entr...
9 Chapitre 2 Le temps de la guerre froide L’expression guerre froide est utilisée pour caractériser l’histoire des relations internationales au cours de la seconde moitié du XXe siècle, et plus précisément entre 1947 et 1991. Le nom « guerre » signifie que l’ordre mondial est alors dominé par une confrontation, laquelle met aux prises les deux grandes puissances de l’époque que sont les États -Unis et l’URSS ainsi que leurs alliés respectifs. Ce sont ainsi deux blocs, le bloc occidental d’une part, le bloc communiste d’autre part, qui se font face pendant ce court demi-siècle. Mais si le nom « guerre » est suivie de l’adjectif « froide », c’est pour souligner que cette confrontation reste contenue, indirecte, qu’elle ne dégénère pas, ce qui est dû à l’effet dissuasif de l’arme nucléaire. Le philosophe français Raymond Aron résume la situation en une formule simple et éloquente : « guerre improbable, paix impossible ». Ce chapitre vise à comprendre les enjeux et le déroulement de cette période très particulière de l’histoire du XX e siècle, qui a fortement déterminé le monde qui est le nôtre aujourd’hui. 1. États-Unis et URSS : deux leaders, deux modèles Si l’opposition entre les deux « Grands » que sont États-Unis et l’URSS ne tient pas qu’à des raisons idéologiques, en ce sens que l’un et l’autre sont également mus par une simple volonté de domination planétaire, il est impossible de donner tout son sens à la guerre froide sans bien comprendre au préalable en quoi ces deux puissances incarnent deux modèles idéologiques opposés. 1.1. Le modèle américain 1.1.1. Une démocratie libérale Les États-Unis se veulent l’incarnation de la démocratie libérale. « Démocratie » signifie que les représentants politiques sont élus au suffrage universel. Tel est le cas du président du pays, qui est élu au suffrage universel indirect pour quatre ans. Son pouvoir est particulièrement important car, contrairement au président de la République française (voir la seconde partie du programme), il est également le chef du gouvernement. Ainsi détient-il l’intégralité du pouvoir exécutif : il veille au respect de la loi et détermine la politique générale du pays. Les représentants et sénateurs, équivalents des députés et sénateurs fr ançais, Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 10 sont eux aussi élus au suffrage universel mais direct. Ensemble, ils forment le Congrès et détiennent le pouvoir législatif, c’est-à-dire qu’ils font la loi. Démocratie « libérale » signale en outre que les trois principaux pouvoirs – exécutif, législatif mais aussi judiciaire – sont séparés et que les grandes libertés publiques telles que la liberté d’expression et la liberté de réunion sont respectées. Toutes ces dispositions institutionnelles sont consignées dans la constitution américaine, qui a été adoptée en 1787 et qui, depuis cette date, a peu évolué. Tout juste quelques amendements – ou modifications – sont-ils venus la préciser ou la compléter au fil du temps, par exemple l’amendement abolissant l’esclavage en 1865 ou celui qui accorde le droit de vote aux femmes en 1920. 1.1.2. L’American way of life La société américaine possède des traits hérités d’une histoire très particulière. Les Américains sont un peuple jeune, formé à l’origine de migrants. C’est à partir du XVII e siècle, précisément, que l’Amérique du nord se peuple peu à peu de colons européens dont beaucoup sont des dissidents protestants. La Frontière, c’est-à-dire la bordure occidentale du peuplement européen, est peu à peu repoussée vers l’ouest et disparaît dans la seconde m oitié du XIXe siècle. D’emblée, la société américaine se constitue donc comme une société du contact, plurielle, fondée sur la coexistence intercommunautaire – longtemps conflictuelle : on parlera de melting pot pour désigner l’assimilation des différentes communautés nord- américaines autour de valeurs et pratiques communes et constitutives de la nation. L’histoire singulière des États-Unis explique aussi l’existence de deux traits majeurs de la mentalité américaine. L’individualisme d’abord, qui s’exprime par le goût de la réussite, la valorisation du mérite, et, en matière économique, l’attachement à la propriété privée, le triomphe de la libre entreprise et la sacralisation du profit. En perspective longue, l’ État est peu interventionniste aux États-Unis. Il y est d’ailleurs l’objet d’une certaine méfiance de la part des citoyens – ce qui ne l’a cependant pas empêché de s’immiscer plus qu’à l’accoutumée dans la vie sociale et économique lors de périodes critiques, par exemple dans les années 1930. Second trait de mentalité : le messianisme. Nombre d’Américains partagent la conviction de remplir une mission spéciale. Cette conviction puise sa source dans le caractère exceptionnel de l’aventure américaine qui est vécue à la manière d’une utopie m ystique. La culture protestante et le souvenir de la guerre d’indépendance de la fin du XVIII e siècle ont façonné au cours des générations le rêve d’une nouvelle Jérusalem. 95% des Américains se Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 11 disent croyants. La devise du pays est d’ailleurs : « In God we trust ! » (« En Dieu nous croyons ! »). Ce trait de mentalité n’est pas sans rapport avec la prétention des États-Unis à se poser en gendarmes du monde, un phénomène que l’on retrouvera à diverses reprises. Pour autant, le pays étant lui-même né d’une guerre de libération, il est hostile aux formes les plus visibles de la domination, au premier rang desquelles la colonisation, ce qui, tout pesé, donne à l’impérialisme américain une forme ambiguë et incomplète (voir la lecture proposée à la fin du chapitre, p. 26-27). 1.2. Le modèle soviétique Le modèle soviétique, lui, s’est mis en place en 1917, suite à la révolution dite d’Octobre par laquelle les bolchéviques – les communistes, pour faire simple – s’emparent du pouvoir. Ils créent l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) en 1922 et la dirigent jusqu’à sa chute (voir plus bas). Ce modèle s’appuie sur une idéologie particulière : le marxisme-léninisme. Le marxisme proprement dit est une philosophie élaborée au XIX e siècle par le philosophe allemand Karl Marx. Partiellement modifiée par Lénine, le principal animateur de la révolution d’Octobre, cette philosophie donne naissance, au siècle suivant, au marxisme - léninisme. Mais le cœur de la théorie reste inchangé : pour Marx comme pour Lénine, le monde est travaillé par une lutte majeure opposant la bourgeoisie, détentrice du pouvoir politique et économique, et le prolétariat, qui ne dispose, lui, que de sa force de travail pour vivre. Cette lutte, qualifiée de lutte des classes, est supposée tourner à l’avantage des prolétaires : guidés par le « Parti », qui est en quelque sorte leur élite, les prolétaires sont appelés à prendre un jour le pouvoir par la force, c’est-à-dire par la révolution, et ainsi préparer la venue du communisme, monde sans classe sociale ni État et stade ultime de l’histoire. Ainsi le marxisme prophétise-t-il la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, promet-il à l’humanité la libération et le bonheur. Institutionnellement, le modèle soviétique se caractérise par la coexistence de deux organisations : l’État et le parti. L’État se compose d’un organe législatif, le Soviet suprême, qui délègue ses pouvoirs à des organes permanents, en particulier le Présidium. Le parti est le Parti communiste d’Union Soviétique (PCUS), le seul autorisé. Lorsqu’ils se réunissent en congrès, les membres du PCUS désignent un comité central qui désigne à son tour les instances dirigeantes du parti, elles-mêmes dominées par le secrétaire général. Dans les faits, c’est le parti qui contrôle l’État ; à bien des égards ce dernier n’est que la vitrine du parti. Il Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 12 s’ensuit que le véritable chef du pays est le chef du parti, le secrétaire général du PCUS. Staline, secrétaire général pendant 30 ans, exerce un véritable pouvoir personnel qui va jusqu’à susciter un culte de la personnalité. Enfin, le modèle soviétique se signale par la force du contrôle exercé par l’État – ou le parti, donc – sur la vie économique et sociale. D’une part, l’État est le propriétaire des moyens de production, notamment de la terre et de l’appareil industriel, et organise le développement économique au moyen d’une planification rigoureuse fondée sur des plans quinquennaux. L’industrie, en particulier l’industrie lourde, est conçue par les dirigeants soviétiques comme le moteur de ce développement. L’agriculture est moins favorisée ; elle repose sur deux types de structures : les kolkhozes, qui sont des coopératives agricoles, et les sovkhozes, qui sont des fermes d’État. D’autre part, les comportements individuels sont étroitement contrôlés. L’information, notamment, est censurée. Les opposants sont traqués par la police politique et nombre d’entre eux envoyés au goulag, terme désignant à la fois l’administration chargée de gérer les camps de travail et les camps eux-mêmes. Le goulag est vite devenu le symbole de la terreur stalinienne : on estime à deux millions et demi le nombre de ses détenus au début des années 1950. Le régime soviétique présente donc la plupart des caractéristiques du régime totalitaire, en particulier sous Staline : chef charismatique, embrigadement idéologique de la population en vue de forger un homme nouveau, refus de tout pluralisme. Dans un régime totalitaire, l’individu est placé sous le contrôle permanent de l’État. Présidents des États-Unis Secrétaires généraux du PCUS Harry Truman (1945-1953)… Joseph Staline (1922-1953) John Fitzgerald Kennedy (1961-1963)… Nikita Khrouchtchev (1953-1964) Richard Nixon (1969-1974)… Leonid Brejnev (1964-1982)… Jimmy Carter (1977-1981) Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991) Ronald Reagan (1981-1989) George Bush père (1989-1993) Tableau 1 – Principaux dirigeants des deux Grands pendant la guerre froide 2. Chronique d’un conflit contenu Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 13 Le face-à-face que se livrent entre 1947 et 1991 les États-Unis et leurs alliés d’une part, l’URSS et ses alliés d’autre part, est loin d’être statique. Il est fait au contraire d’une succession de périodes de tension et de périodes de détente que l’on peut regrouper en trois principales séquences chronologiques. 2.1. Naissance de la guerre froide (1947-1953) Les tensions entre Occidentaux et Soviétiques sont perceptibles dès la conférence de Potsdam (voir le chapitre 1). Dès lors, les Occidentaux redoutent en effet que malgré les engagements qu’ils ont pris, les Soviétiques cherchent à imposer leur mainmise aux pays d’Europe centrale et orientale qu’ils viennent de libérer. Ils craignent aussi la propagation du communisme en Asie. Les Soviétiques, de leur côté, sont convaincus que les États-Unis cherchent à encercler la zone d’influence socialiste. Il est de fait que Churchill, dans son célèbre discours de Fulton, prononcé en 1946, évoque déjà un « rideau de fer » qui relierait la Baltique à l’Adriatique. 2.1.1. La rupture de 1947 La situation se tend brutalement au printemps 1947, à l’initiative des États-Unis. En mars, précisément, le président Harry Truman formule en effet la doctrine à laquelle il va donner son nom, la doctrine Truman, qui pose le principe du nécessaire containment de l’expansion soviétique. À l’ensemble de l’Europe, URSS comprise, il propose par la même occasion de bénéficier d’un vaste plan composé de dons et de prêts destinés à favoriser sa reconstruction économique : le plan Marshall. Les réactions des pays européens ont pour effet de clarifier leur position vis-à-vis des deux Grands. Ceux qui acceptent l’offre américaine font de fait allégeance aux États-Unis. Tel est le cas, entre autres, du Royaume-Uni, de la France, de l’Italie et de l’Allemagne, qui reçoivent respectivement 24 %, 20 %, 11 % et 10 % de l’aide globale, mais aussi de la Turquie et de la Grèce, deux pays que les États-Unis, soucieux de conserver par leur intermédiaire un contrôle sur la Méditerranée orientale, sont heureux d’enrôler sous leur bannière. L’URSS, en revanche, refuse l’aide des États-Unis. Qui plus est, lors d’une réunion des partis communistes d’Europe de l’Est organisée au mois de septembre suivant, elle répond à l’initiative américaine en formulant la doctrine Jdanov, qui énonce le principe de la division du monde en deux camps. La satellisation des Pays de l’Est est en marche ; elle s’appuie sur les partis communistes nationaux, rassemblés dans le Kominform, une instance de coordination aux ordres de Moscou. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 14 2.1.2. La division de l’Europe Ainsi l’Europe se divise-t-elle rapidement en deux camps. A l’Ouest, les démocraties libérales se placent de fait sous la protection des États-Unis. Cette alliance se concrétise par la signature d’un pacte militaire en 1949 : l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Il faut préciser que les États-Unis s’emploient alors à signer de semblables pactes dans toutes les régions du monde : en Amérique, dès 1947, avec le Pacte de Rio, qui donne naissance à l’Organisation des États américains (OEA) l’année suivante ; dans le Pacifique, avec l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) en 1954 ; au Moyen-Orient avec le Pacte de Bagdad en 1955. Cette stratégie développée par les États-Unis en vue de consolider leur influence internationale est appelée la pactomanie. L’Europe occidentale, quant à elle, s’organise également sur le plan économique suite à la création en 1948 de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), destinée à superviser la répartition des fonds du plan Marshall. L’OECE deviendra l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en 1961. A l’Est, l’URSS favorise la mise en place de démocraties populaires, c’est-à-dire de régimes placés sous son contrôle. Elle les intègre en 1949 au sein d’une structure économique commune, le COMECON ou CAEM (Conseil d’assistance économique mutuelle) qui développe les échanges au sein de l’espace formé par l’URSS et ses satellites européens. L’URSS, qui possède l’arme nucléaire à partir de 1949, réunira tous ces pays dans une alliance militaire en 1955 : le Pacte de Varsovie. Ainsi voit-on bien que l’affrontement entre les deux blocs est multiforme : il est à la fois idéologique (capitalisme contre communisme), économique (OECE contre COMECON) et militaire (OTAN contre Pacte de Varsovie) (voir carte 1, p. 15). Entre les blocs, la tension connaît un premier pic en Allemagne. En effet, dès 1946, Anglais et Américains fusionnent leurs deux zones (voir le chapitre 1) en vue d’amorcer la reconstruction d’un État allemand susceptible de faire barrage à l’influence soviétique. En réaction, Staline décide le blocus de Berlin en 1948-1949 mais celui-ci est mis en échec par un gigantesque pont aérien. La tension bientôt retombe mais l’Allemagne est à présent coupée en deux : la République fédérale d’Allemagne (RFA) à l’Ouest, la République démocratique allemande (RDA) à l’Est (voir carte 2, p. 18). Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 15 Carte 1 – La division de l’Europe pendant la guerre froide 2.1.3. L’extension de l’affrontement en Asie En Asie, l’affrontement entre les deux blocs se traduit principalement par la guerre de Corée. On se souvient que la péninsule coréenne a été partagée en deux zones d’occupation à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la partie située au nord passant sous influence communiste, la partie située au sud sous influence américaine (voir le chapitre 1). En 1950, profitant de l’évacuation des troupes américaines et soviétiques, la Corée du Nord se lance dans une guerre d’unification. Les États-Unis, soutenus par l’ONU, réagissent au nom de la théorie des dominos qui pose que le passage d’un seul État au communisme risque de provoquer celui de tous ses voisins. Ils sont parvenus à occuper les trois quarts de la Corée du Nord quand celle-ci, soutenue par Chine, engage une contre-offensive. Le front se stabilise peu de temps après et un armistice est finalement signé en juillet 1953. Sur le plan territorial, c’est à peu près le retour à la situation initiale. La guerre de Corée est à maints égards typique des conflits de la guerre froide : elle est périphérique, indirecte au sens où les troupes américaines et soviétiques ne s’y affrontent pas directement, enfin elle manifeste une gestion prudente de l’escalade. C’est qu’aucun des deux Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 16 Grands, qui possèdent à présent l’un et l’autre l’arme atomique, n’a intérêt à ce qu’un conflit dégénère, au risque de devenir incontrôlable. La guerre de Corée possède encore une triste particularité, celle d’être le plus meurtrier des conflits de la guerre froide : elle a fait 2,4 millions morts dont 1,4 millions dans le camp communiste. 2.2. La coexistence pacifique et ses limites (1953-1962) 2.2.1. La mort de Staline : un espoir de dégel La mort de Staline, en 1953, suscite à la fois une immense émotion et l’espoir d’un dégel, c’est-à-dire d’un apaisement des relations internationales. Il est de fait que son successeur, Khrouchtchev, initie une politique dite de « coexistence pacifique » qui signifie que les deux camps s’acceptent mutuellement et qu’ils s’engagent à ne pas intervenir dans l’aire d’influence adverse, ce qui entraîne la diminution des tensions entre l’URSS et les États-Unis. Ce changement d’attitude se concrétise par la mise en place de rencontres officielles entre les dirigeants des deux pays : Khrouchtchev se rend ainsi aux États-Unis en 1959, il rencontre le président Kennedy à Vienne en 1961.Néanmoins, la persistance des crises internationales prouve que les tensions entre les deux blocs sont loin d’avoir disparu. 2.2.2. La crise de Suez (1956) Le contrôle du Proche-Orient est peu à peu devenu un enjeu pour les deux Grands qui, dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, cherchent à y marquer leur position et à y étendre leur influence (voir le chapitre 3). La crise de Suez éclate précisément lorsque l’Égypte décide de reconnaître la Chine communiste. S’ensuit une série de réactions en chaîne : les États-Unis se retirent du plan de financement du barrage d’Assouan ; du coup, le président égyptien, Nasser, au pouvoir depuis 1952, décide de nationaliser la compagnie du canal de Suez, qui était jusqu’alors aux mains des intérêts occidentaux ; enfin, la France et la Grande-Bretagne, principales victimes du coup de force de Nasser, se résolvent, de concert avec Israël, à lancer une opération militaire contre l’Égypte. Mais les Grands s’immiscent à leur tour dans le conflit. Tous deux prennent fait et cause pour l’Egypte : les États-Unis car ils sont fâchés d’avoir été tenus à l’écart de la préparation de l’offensive franco-britannique et l’URSS au nom de son opposition à l’impérialisme. La France et la Grande-Bretagne sont sommées d’abandonner la partie. Cet événement constitue assurément un tournant pour l’ensemble des métropoles européennes, qui prennent à cette occasion la mesure douloureuse de leur recul sur la scène internationale. Il va Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 17 indirectement accélérer la construction européenne, que dynamisera le traité de Rome dès l’année suivante (voir la seconde partie du programme). 2.2.3. La seconde crise de Berlin (1961) (voir cartes 2 et 3, p. 18) Désireux de mettre un terme au mouvement de fuite vers l’Ouest des ressortissants de la RDA, qui prive ce pays de ses élites, Khrouchtchev réclame, à partir de 1958, le rattachement de Berlin-Ouest à la RDA, arguant du fait que Berlin-Ouest constitue une enclave occidentale en plein cœur de la zone sous influence soviétique et qu’il y a donc lieu de la faire disparaître. Les États-Unis refusant d’accéder à sa demande, Khrouchtchev se résout au coup de force : dans la nuit du 12 au 13 août 1961, il fait édifier un mur qui coupe la ville en deux parties, la partie est prosoviétique et la partie ouest proaméricaine. L’ouvrage, long de 155 kilomètres, est en fait composé de deux murs de béton séparés par un no man’s land miné, surveillé en permanence par des chiens de garde attachés à des chaînes faisant 100 mètres de long. Le mur de Berlin devient ainsi, dès sa création, le symbole de l’emprisonnement des Pays de l’Est. Environ 5 000 personnes réussiront pourtant à le franchir en l’espace de 28 années, dont 239 le paieront de leur vie. Quant aux habitants de Berlin-Ouest, ils conservent la possibilité d’accéder librement au monde occidental grâce à un réseau de transport spécifique, rattaché à la RFA. 2.2.4. La crise des fusées (1962) Une troisième crise éclate en 1962, plus près que jamais des États-Unis : à Cuba. Trois ans plus tôt, ce pays est passé au communisme à la faveur d’une révolution conduite par Fidel Castro. Sitôt installé au pouvoir, ce dernier – el commandante – se rapproche de l’URSS, nationalise terres et entreprises et, ce faisant, menace les intérêts américains. Les États-Unis tentent alors de reprendre pied sur l’île. À cette fin, en 1961, ils font débarquer 1 500 mercenaires dans la baie des Cochons, mais l’opération est un véritable fiasco. Au cours des mois suivants, Castro se rapproche de plus en plus de l’URSS, à tel point qu’il autorise Moscou à installer à Cuba des rampes de lancement de missiles capables d’atteindre le territoire des États-Unis. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 18 Carte 2 – L’Allemagne et Berlin divisés Carte 3 – Berlin-Ouest au cœur de la RDA Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 19 Commence alors la plus grave crise de la guerre froide. Kennedy, le président des États-Unis, adresse un véritable ultimatum à Khrouchtchev, et pendant une semaine, à compter du 22 octobre 1962, le monde retient son souffle. Finalement Khrouchtchev cède et ordonne le retrait des missiles soviétiques le 28. La planète a visiblement échappé de peu à la catastrophe. Conscients du danger qu’ils viennent de faire courir au monde, les deux Grands réamorcent aussitôt une politique de détente. Cuba, de son côté, se voit imposer un blocus par les États-Unis, qui l’ancre définitivement dans le camp communiste. 2.3. Détentes et ultimes crispations (1962-1991) 2.3.1. La détente à son apogée (1962-1975) La période de détente qui s’ouvre alors se distingue de l’ère de la coexistence pacifique (voir plus haut) en ceci qu’elle aboutit à des mesures d’apaisement plus concrètes. Ainsi, dès 1963, est mis en place le « téléphone rouge » qui relie le Kremlin à la Maison- Blanche. Cinq ans plus tard, en 1968, les puissances nucléaires – États-Unis, URSS, France, Grande-Bretagne, Chine – signent un traité sur la non-prolifération des armes nucléaire (TNP) destiné à empêcher la propagation de cette technologie meurtrière. Les années 1970 voient le processus de détente se poursuivre, comme en témoigne la signature des traités de désarmement SALT 1 et 2 en 1972 et 1979, et les accords d’Helsinki en 1975. Ces derniers réunissent 35 participants dont les États-Unis, l'URSS, le Canada et la quasi-totalité des pays européens. Leur objectif est de normaliser les relations entre les pays membres de l’OTAN et ceux du Pacte de Varsovie et ils contiennent à cette fin un certain nombre de dispositions importantes, en particulier la reconnaissance de l’inviolabilité des frontières européennes, l’engagement à ne pas intervenir dans les affaires intérieures des autres États, à respecter les droits de l’homme. Cette ère de détente est cependant entachée par la persistance d’un conflit périphérique mettant indirectement aux prises les deux blocs : la guerre du Vietnam. Il faudrait en théorie parler ici de deuxième guerre du Vietnam, une première guerre du Vietnam – ou guerre d’Indochine – ayant opposé la France au Vietnam entre 1946 et 1954. Celle-ci s’était conclue par les accords de Genève qui avaient partagé le pays en deux : au nord avait vu le jour un régime communiste, au sud un régime pro-américain (voir le chapitre 3). A partir de 1960, l’opposition au gouvernement sud-vietnamien grandit sur place à l’instigation du Viêt-Cong, un mouvement de guérilla nationaliste que les Américains, qui l’assimilent à une organisation communiste, désignent au moyen de ce terme péjoratif signifiant tout simplement Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 20 communiste. Les États-Unis se résolvent à intervenir militairement en 1965 mais ils se heurtent aussitôt à une forte résistance locale. La guerre s’enlise alors. Contre toute attente, l’hyperpuissance américaine se révèle incapable de venir à bout du Viêt-Cong, si bien que le président Richard Nixon, en butte à une opinion publique de plus en plus hostile à la poursuite du conflit, ordonne à partir de 1968 le retrait progressif des troupes américaines, lequel s’achève en 1973. La guerre du Vietnam a entraîné la mort de 60 000 soldats américains et elle a constitué à ce titre un véritable traumatisme aux États-Unis. 2.3.2. Regain de tension : la « guerre fraîche » (1975-1985) Alors que les États-Unis pansent leurs plaies et qu’ils amorcent, sous la présidence de Jimmy Carter, élu à la tête du pays en 1977, une politique étrangère tournée vers la paix et le respect des droits de l’homme, l’URSS, elle, retrouve sa combativité et s’emploie activement à renforcer son influence internationale : ainsi en Amérique centrale, notamment au Nicaragua après que les sandinistes, d’obédience marxiste, y ont pris le pouvoir en 1979 ; ainsi surtout en Afrique, où elle favorise la mise sur pied de régimes communistes – en Angola, au Mozambique et en Éthiopie – et où elle conclut de nombreux accords de coopération. Au tournant des années 1980, l’URSS est présente militairement dans près de 20 pays africains. En Europe même, l’URSS se fait belliqueuse : ainsi installe-t-elle sur son territoire des missiles de moyenne portée capables de frapper les pays d’Europe de l’Ouest et déclenche-t- elle en 1977 la crise des euromissiles. Deux ans plus tard, elle envahit l’Afghanistan. Sitôt élu, en 1981, le nouveau président des États-Unis Ronald Reagan rompt avec la politique de Carter, qu’il accuse de mollesse. Son premier mandat est tout entier animé par la volonté de restaurer la puissance américaine. Il relance ainsi la course aux armements au moyen du programme Initiative de défense stratégique (IDS), autrement appelé « guerre des étoiles », visant à doter le pays d’un bouclier spatial capable d’intercepter tout missile soviétique. La riposte est donc de taille et l’on voit bien qu’au tournant des années 1980 l’heure n’est plus du tout à la détente : ainsi parle-t-on de guerre fraîche – l’expression est de Brejnev, secrétaire général du PCUS – pour désigner ce regain de tension qui court grosso modo du milieu des années 1970 au milieu des années 1980. 2.3.3. La fin de la guerre froide (1985-1991) Empêtrée dans de profondes difficultés économiques qui ne font que s’accroître depuis les années 1970 et qui commencent à révéler l’essoufflement de son modèle de développement, l’URSS s’avère cette fois incapable de relever le défi militaire et Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 21 technologique que lui a lancé l’administration Reagan. L’écart de puissance entre les deux Grands apparaît au grand jour après 1985, une fois Mikhaïl Gorbatchev devenu secrétaire général du PCUS. Soucieux de sauver l’URSS, Gorbatchev a en fait le projet de transformer fondamentalement le régime soviétique, et sur le plan intérieur et sur le plan extérieur, quitte à rompre avec certains de ses fondements (voir plus haut). Sur le plan intérieur, deux mots résument son action de réforme : la Perestroïka d’abord, qui signifie littéralement en russe restructuration ou reconstruction, et qui désigne le projet de réformer globalement le régime soviétique à la fois en réconciliant communisme et démocratie et en ouvrant l’économie soviétique au capitalisme ; la Glasnost ensuite, qui veut dire transparence de l’information, cette transparence qui a toujours manqué en URSS jusque- là et que Gorbatchev entend justement garantir désormais. Sur le plan extérieur, conscient de l’incapacité de l’URSS à continuer de soutenir la lutte que lui imposent les États-Unis, il change aussi de cap et engage une politique de conciliation et d’entente. Celle-ci se traduira, entre autres, par la signature du traité START 1 en 1991, par lequel les deux Grands s’engagent à réduire de 30 % le nombre de leurs missiles intercontinentaux et de 40 % celui de leurs ogives nucléaires. Le rapprochement est tel que, dès 1989, à Malte, Gorbatchev et le nouveau président américain George Bush proclament officiellement la fin de la guerre froide. Mais si le virage provoqué par Gorbatchev a pour effet de normaliser les relations entre les deux Grands, à l’intérieur de l’URSS et de sa zone d’influence c’est l’inverse. En effet, dès 1989 les Pays de l’Est s’émancipent de la tutelle de Moscou, ce qui entraîne deux ans plus tard la dissolution du Pacte de Varsovie (voir plus bas). De même, en URSS, l’octroi soudain de libertés fait exploser les nombreuses tensions accumulées dans le pays depuis de si nombreuses années, ce qui provoque l’éclatement de l’URSS en 1991, remplacée par la Communauté des États indépendants (CEI) (voir le chapitre 4). Ainsi l’ère Gorbatchev se termine-t-elle en même temps que la guerre froide – que Gorbatchev a su liquider pacifiquement – et que l’URSS – qu’il n’a pas su sauver. 3. La bipolarité en question 3.1. Hétérogénéité des blocs Si l’idée selon laquelle le monde des années 1947-1991 est un monde bipolaire n’est pas à récuser, il faut quand même se garder de donner de l’histoire de la guerre froide une vision excessivement schématique. Pour trois raisons. En premier lieu, les relations entre les Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 22 États membres d’un bloc et leur pays leader – États-Unis ou URSS – ne sont pas d’égale intensité. On peut ainsi considérer que chacun des blocs se compose d’une sorte de premier cercle centré sur l’Europe (les pays de l’Europe de l’Ouest pour ce qui concerne le bloc occidental, les Pays de l’Est pour ce qui est du bloc communiste), puis d’un second cercle comprenant d’autres pays avec lesquels le pays leader est simplement lié par traité ou sympathie idéologique (les alliés sud-américains, asiatiques et océaniens des États-Unis, les pays communistes non européens). En deuxième lieu, la capacité des deux Grands à assurer la cohésion de leur bloc, en particulier dans le premier cercle, n’est pas de même nature : les États-Unis ne peuvent compter en ce domaine que sur la pression diplomatique ou économique quand l’URSS, elle, considère les Pays de l’Est comme des pays placés sous son contrôle et se réserve donc de recourir à la force pour les mettre au pas si nécessaire. En troisième lieu, il ne faut jamais oublier qu’une partie du monde échappe complètement à l’influence directe des deux Grands : c’est le cas de la plus grande partie du contient africain. Les conditions d’un monde complètement bipolaire n’ont donc jamais été réunies. 3.2. La tentation du non-alignement À cela s’ajoutent les effets de deux dynamiques qui viennent contrarier la logique bipolaire. La première est le non-alignement, c’est-à-dire le combat mené à partir des années 1950 par des leaders nationalistes asiatiques et africains, tels le Premier ministre indien Nehru ou le président égyptien Nasser, pour s’affranchir de la tutelle des deux Grands. C’est la conférence de Bandung, en 1955, qui constitue le véritable coup d’envoi en même temps que la première grande médiatisation de ce combat commun, même si ce n’est qu’en 1961, à Belgrade, que le non-alignement voit officiellement le jour. Les non alignés, comme on les appelle, professent leur hostilité de principe à l’impérialisme, affiché ou déguisé, et n’hésitent à se servir de l’ONU comme d’une tribune. Certes, le non-alignement est en grande partie fictif : pour preuve, à la conférence de la Havane, en 1966, seules l’Inde et l’Égypte peuvent être considérés comme véritablement non alignés, les autres pays se partageant en pays pro-Soviétiques, comme le Nord-Vietnam ou Cuba, et pro-Occidentaux, comme le Pakistan et la Turquie. Il n’empêche, malgré toutes ses limites, la prétention au non-alignement exprime la volonté de ce que l’on commence à appeler le tiers monde à faire évoluer l’ordre mondial façonné par les deux Grands à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 23 3.3. La fissuration des blocs La seconde dynamique joue au sein même des blocs : elle tient à la volonté de certains des pays alliés des deux Grands d’affirmer leur autonomie à leur égard. Le phénomène est surtout perceptible à partir des années 1960-1970, au temps, donc, de la détente. On l’observe à l’intérieur même des Pays de l’Est ou démocraties populaires (voir plus haut). L’histoire des Pays de l’Est est en effet jalonnée par une série d’épisodes contestataires qui sont tous sévèrement réprimés jusqu’à la fin des années 1980 : ainsi à Budapest, en 1956, quand étudiants et intellectuels élaborent une plate-forme revendicative exigeant la reconnaissance du pluralisme politique et le départ des troupes soviétiques ; ainsi à Prague, en 1968, quand les communistes réformateurs tentent de mettre sur pied un « socialisme à visage humain » passant par la libéralisation du régime ; ainsi encore en Pologne, en 1980, quand le syndicat indépendant Solidarność – Solidarité – fondé par le leader ouvrier Lech Walesa réclame que soient reconnus un certain nombre de droits fondamentaux comme le droit d’expression et le droit de grève. C’est l’arrivée de Gorbatchev à la tête de l’URSS qui, là encore, change la donne. Il tente en effet d’assouplir les relations entre Moscou et les démocraties populaires cependant que dans chaque pays les dirigeants communistes s’efforcent de lâcher du lest en vue de calmer la protestation populaire. Mais la situation leur échappe et ils sont renversés les uns après les autres en 1989. C’est en RDA, sans doute, que la rupture est la plus spectaculaire puisqu’elle se traduit par la chute du mur de Berlin en novembre et qu’elle entraîne la réunification des deux Allemagne quelques mois plus tard, en 1990. Tous les Pays dits de l’Est renoncent alors au communisme d’État et s’ouvrent dans la foulée à l’économie de marché. La singulière évolution de la Chine va, si l’on veut, dans le même sens. Devenue régime communiste en 1949, la Chine est d’abord l’alliée de l’URSS mais elle s’en démarque au cours des années 1960, considérant que la politique de rapprochement avec les États-Unis initiée par Moscou après 1962 est une marque de faiblesse. Elle n’hésite pas, dès lors, à contester le leadership de l’URSS et à se chercher des alliés au sein des pays asiatiques et africains nouvellement indépendants. L’originalité de la voie chinoise s’observe plus encore après 1978, quand le nouveau dirigeant du pays, Deng Xiaoping, conscient que le pays s’embourbe dans de graves difficultés économiques, décide de l’ouvrir à l’économie de marché. Si, officiellement, le régime prétend rester fidèle à l’esprit du marxisme-léninisme, le changement de cap est en vérité profond. Et le résultat spectaculaire : l’économie chinoise se redresse à grande vitesse au cours des années 1980, ce qui permet au Parti communiste Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 24 chinois de conserver sa puissance intacte, et, contrairement au « grand frère » russe, de réprimer sans état d’âme les aspirations au changement qui se font jour, sur son sol aussi, à la fin des années 1980. Si le bloc occidental paraît moins travaillé que le bloc communiste par des forces centrifuges, c’est sans doute que son aspiration à l’uniformité est moins forte au départ. Il n’en reste pas moins que les années 1960 constituent un moment au cours duquel les relations entre les États-Unis et leurs alliés se redéfinissent elles aussi. En effet, à mesure que la Seconde Guerre mondiale s’éloigne, les puissances européennes, qui commencent à édifier ce qui deviendra plus tard l’Union européenne (voir la seconde partie du programme), se mettent à réclamer plus d’autonomie en matière de politique internationale. C’est le cas en particulier de la France du général de Gaulle, qui cherche à se soustraire à la domination américaine (voir la seconde partie du programme). C’est le cas aussi de la RFA, quand son chancelier – équivalent du Premier ministre en France – Willy Brandt lance l’Ostpolitik : signifiant littéralement « Politique vers l’Est », l’Ostpolitik est destinée à favoriser un rapprochement avec les Pays de l’Est, et qui conduit effectivement les deux Allemagne, celle de l’ouest et celle de l’est, à se reconnaître mutuellement en 1972. Conclusion Le temps de la guerre froide correspond donc à une période bien particulière de l’histoire des relations internationales, et plus largement du monde, au cours de laquelle se font face deux ensembles ou blocs : d’une part les États-Unis, incarnation du modèle libéral, et leurs alliés que sont principalement les pays de l’Europe de l’Ouest ; de l’autre l’URSS, incarnation du modèle communiste, et ses alliés, au premier rang desquels les démocraties populaires. Si cette confrontation a été par moments très tendue, si elle a même paru sur le point de provoquer une troisième guerre mondiale en 1962, force est de constater qu’elle n’a jamais dégénéré, de sorte que l’on peut avancer l’idée que la guerre froide a finalement constitué un certain mode de gestion de la paix mondiale. L’expression de guerre froide dissimule cependant une réalité variable : dans le temps dans la mesure où la période 1947- 1991 n’a cessé d’alterner périodes de détente et moments de tension (les trois principaux pics de tension étant les tournants des années 1950, des années 1960 et des années 1980) ; dans l’espace dans la mesure où l’affrontement Est-Ouest n’a pas été d’égale intensité partout sur la planète. Quoi qu’il en soit, la guerre froide se termine au tournant des années 1990, suite à Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 25 l’effondrement de l’URSS et à la désagrégation du bloc qu’elle dirigeait. Le monde bipolaire né de la Seconde Guerre mondiale disparaît définitivement alors. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 26 Lecture Qu’est-ce que la dissuasion nucléaire ? Dans ce texte, l’historien français Stanislas Jeannesson définit la notion de dissuasion nucléaire, et montre en quoi ce phénomène, apparu durant les années 1950, donc en pleine guerre froide, a fondamentalement modifié la nature même des relations internationales. « L’arme nucléaire n’est pas seulement plus “perfectionnée” que les autres. Elle ne fait pas seulement franchir un degré de plus dans l’échelle des destructions. C’est une arme de nature totalement différente qui conduit à repenser les stratégies militaires et révolutionne les relations internationales. Ses effets ne correspondent à rien de ce qu’on pouvait imaginer avant 1945. Les deux bombes qui frappent Hiroshima et Nagasaki font à elles seules sur le moment et dans les mois qui suivent plus de 200 000 victimes et anéantissent les villes et leurs environs. La puissance de la bombe A s’exprime en milliers de tonnes de TNT, celle de la bombe H, en millions de tonnes. Par ailleurs, les stratégies fondées sur le nucléaire doivent tenir compte de facteurs psychologiques difficiles à apprécier puisque irrationnels et non quantifiables. Au lendemain de la guerre, les États-Unis sont les seuls à posséder l’arme atomique, ce qui leur permet de compenser amplement, notamment en Europe, la supériorité soviétique en matière d’armements conventionnels. Ils ne perçoivent pas bien encore les propriétés exceptionnelles de la bombe : ce n’est pour eux qu’une arme plus destructrice et finalement moins onéreuse (a bigger bang for less buck : un plus gros bang pour moins de dollars). C’est dans les années 1950 que le concept de dissuasion nucléaire se met en place, de façon très progressive, à mesure que les États-Unis perdent ce qui faisait leur supériorité : leur monopole (l’URSS possède la bombe dès 1949) et leur invulnérabilité (les premiers missiles intercontinentaux soviétiques sont en place à la fin de la décennie). Celui qui engage une guerre fait un pari : il compare ce qui peut lui en coûter et les bénéfices qu’il compte en tirer. Avec le nucléaire, les risques encourus en retour par l’agresseur (destruction totale de son territoire) sont tels qu’il ne songera pas à attaquer. L’arme atomique, par sa puissance même, produit un effet dissuasif radical : c’est finalement une arme défensive ; elle ne sert pas à faire la guerre, mais à l’empêcher. La dissuasion, pour être efficace, suppose toutefois que l’on donne l’impression, en certaines circonstances, d’êt re effectivement prêt à riposter en usant du nucléaire, au risque de subir soi-même des destructions massives. Le seuil à partir duquel un pays décide, de façon plus ou moins explicite, que le recours au nucléaire présente plus d’avantages que de risques est appelé “seuil de nucléarisation”. Ainsi, les États-Unis et l’URSS ont toujours affirmé que l’Europe était pour eux un enjeu vital : chacun a cru les menaces de l’autre et la dissuasion a fonctionné. En Corée, en revanche, les Soviétiques étaient persuadés que l’enjeu, pour les États-Unis, ne valait pas une guerre atomique. Ils ont eu raison : le seuil de nucléarisation aurait pu être franchi techniquement (Mac Arthur proposait d’employer la bombe contre la Chine), il ne l’a pas été politiquement (Truman a rejeté cette suggestion). Le nucléaire et la guerre froide entretiennent des rapports étroits et ambigus. La guerre froide aurait sans doute eu lieu sans l’arme atomique, mais n’aurait pas eu le même visage et ne serait peut-être pas restée longtemps “froide”. La plupart des historiens s’accordent à penser que la dissuasion nucléaire, pendant quarante ans, a introduit dans les relations Est - Ouest un facteur de rationalité, de stabilité, qui a permis d’éviter une conflagration mondiale. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 27 C’est à partir de l’arms control que la détente s’est mise en place. La peur aurait engendré la paix, du moins dans les régions où la dissuasion s’exerçait effectivement. Georges -Henri Soutou2 nuance cette analyse en remarquant que la réalité ne correspond pas toujours à cet te vision très abstraite et que, à Berlin en 1958-1962 ou à Cuba, l’existence des armes atomiques a rendu les crises plus dangereuses. Notons seulement que le nucléaire en soi ne sert ni la guerre ni la paix ; tout dépend de l’usage qu’on en fait et des stratégies adoptées. » Stanislas JEANNESSON , La guerre froide, Paris, La Découverte, rééd. 2010, p. 106-108. 2 Historien français spécialiste des relations internationales contemporaines. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours.