Le libre arbitre et la liberté PDF - Philosophie
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Ce document explore en profondeur le concept de libre arbitre et de liberté, examinant comment nous définissons la liberté et si nos choix sont réellement libres. Il aborde l'action volontaire, la responsabilité morale, et leurs limites, tout en discutant des influences qui façonnent nos décisions. Les notions clés incluent la liberté d'action, le libre arbitre, et les déterminismes sociaux.
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Le libre arbitre et la liberté I. Définir la liberté au sens commun Être libre, c’est souvent compris comme la capacité de faire ce que l’on veut, d’agir sans contrainte, avec une autonomie dans ses choix et ses actions. Mais cette définition intuitive cache des questions plus profondes : sommes-n...
Le libre arbitre et la liberté I. Définir la liberté au sens commun Être libre, c’est souvent compris comme la capacité de faire ce que l’on veut, d’agir sans contrainte, avec une autonomie dans ses choix et ses actions. Mais cette définition intuitive cache des questions plus profondes : sommes-nous vraiment libres ou seulement soumis à des forces extérieures et intérieures qui nous échappent ? II. Sommes-nous vraiment libres ? Certaines situations de la vie quotidienne permettent de réfléchir à cette question : Vouloir partir en vacances, mais être limité par des contraintes financières ou organisationnelles. Un⋅e artiste qui crée une œuvre choquante mais est critiqué⋅e ou censuré⋅e. Être soumis à une addiction ou à des comportements dictés par des stéréotypes, comme ceux liés au genre. Subir des choix influencés par son entourage ou son environnement (par exemple, suivre une carrière dictée par sa famille). Ces exemples montrent que la liberté n’est pas seulement une question d’absence de contraintes extérieures, mais aussi de maîtrise de ses propres désirs, pulsions ou influences. III. Les types de liberté Il existe deux grandes formes de liberté. La liberté d’action concerne la possibilité de réaliser concrètement ses choix. Elle est limitée par des contraintes comme la prison, la censure, ou des obstacles physiques et sociaux. Le libre arbitre, quant à lui, relève de la liberté intérieure, celle de décider par soi-même, sans être entièrement déterminé par des forces externes ou internes. Pour qu’il existe véritablement, deux conditions sont nécessaires : Avoir plusieurs alternatives réelles à disposition. Être la source authentique de ses propres décisions. Cependant, cette liberté intérieure peut être entravée par des phénomènes comme l’endoctrinement, des troubles psychiques, ou des influences sociales inconscientes. IV. La responsabilité morale Le libre arbitre est étroitement lié à la responsabilité morale. Si nous sommes libres de nos choix, alors nous sommes responsables de nos actes. Mais que dire lorsque nos décisions sont influencées par des contraintes externes ou des pulsions internes incontrôlées ? Dans l’histoire, on trouve des exemples absurdes de procès faits à des animaux, car ils ne possèdent évidemment pas de libre arbitre et donc aucune responsabilité morale. La question demeure cependant ouverte pour les humains : sommes-nous réellement maîtres de nos actes ou manipulés par des déterminismes qui nous échappent ? La liberté peut se comprendre comme une absence de contraintes extérieures (liberté d’action) ou comme une autonomie véritable dans nos décisions (libre arbitre). Cependant, cette dernière reste difficile à cerner, car elle implique de surmonter de nombreuses influences et déterminismes. L’enjeu philosophique est donc de pouvoir penser la responsabilité morale et comprendre ce que signifie vraiment être libre. L’action volontaire : une preuve du libre arbitre ? I. L’action volontaire et le sentiment de liberté Le concept d’action volontaire est souvent utilisé pour démontrer l’existence du libre arbitre. Il s’agit d’un acte qui découle d’une intention personnelle, qu’aucune contrainte extérieure ou mécanique interne ne semble diriger. Cette notion peut être abordée sous deux angles : au sens faible et au sens fort. A. L’action volontaire au sens faible Une action volontaire au sens faible se définit comme un acte qui provient d’une intention consciente et qui n’est pas causé par des facteurs extérieurs ou automatiques. Prenons un exemple simple : si vous vous levez de votre chaise pour ouvrir une fenêtre, ce geste découle de votre propre volonté. Il n’a pas été imposé par un obstacle extérieur, comme une tempête qui aurait brisé la fenêtre, ni par un mécanisme inconscient, tel qu’un réflexe ou une pulsion. Maine de Biran, philosophe français, va plus loin en affirmant que ce sentiment d’agir volontairement est une preuve directe du libre arbitre. Selon lui, ce que nous ressentons lorsque nous accomplissons une action volontaire est indéniable : c’est un fait intérieur, une évidence qui témoigne de notre liberté. À ses yeux, douter de ce sentiment reviendrait à nier notre existence même, car il constitue l’un des éléments les plus fondamentaux de notre expérience de nous-mêmes. B. L’action volontaire au sens fort L’action volontaire au sens fort exige davantage qu’un simple acte intentionnel. Elle implique une liberté véritable, une maîtrise totale de ses choix. Pour qu’une action soit libre au sens fort, elle doit répondre à deux critères principaux : 1. Elle ne doit pas être dictée par une contrainte extérieure, comme la peur de représailles ou une pression sociale. 2. Elle ne doit pas non plus être influencée par des facteurs internes incontrôlés, tels que des impulsions ou des troubles psychiques. Dans ce cadre, être libre signifie non seulement agir selon sa volonté, mais aussi être l’origine pleinement consciente et responsable de ses décisions. Cela pose la question : peut-on réellement affirmer que toutes nos décisions répondent à ces critères ? II. Les limites de cet argument Si le sentiment d’agir volontairement semble indéniable, il reste néanmoins critiquable en tant que preuve définitive du libre arbitre. Plusieurs philosophes et théoriciens mettent en lumière des éléments qui remettent en question cette apparente évidence. A. Spinoza et l’illusion de la liberté Spinoza, philosophe du XVIIe siècle, critique frontalement l’idée que le sentiment de liberté suffise à prouver le libre arbitre. Selon lui, nous avons l’impression d’être libres parce que nous ignorons les véritables causes qui déterminent nos désirs et nos actions. Par exemple, une personne qui se lève pour aller boire de l’eau se dit libre de son choix, sans se rendre compte que ce geste est motivé par une contrainte biologique : la soif. Spinoza considère cette illusion comme une expression de l’orgueil humain. Nous aimons nous croire maîtres de nos actes, alors qu’en réalité, nous sommes influencés par des déterminismes naturels et sociaux dont nous n’avons pas toujours conscience. Ainsi, ce n’est pas parce que nous ressentons une certaine liberté que nous en possédons véritablement. B. L’influence de l’inconscient Un autre argument qui limite la portée de l’action volontaire repose sur le rôle de l’inconscient. Bien que nous ressentions être à l’origine de nos choix, ces derniers pourraient être largement influencés, voire entièrement déterminés, par des mécanismes dont nous n’avons pas conscience. Des théoriciens comme Freud mettent en avant que nos actes sont souvent le fruit de conflits internes, de pulsions refoulées ou d’habitudes profondément ancrées. Par exemple, une personne qui s’emporte facilement peut croire que sa colère est une réaction libre et justifiée, alors qu’elle répond en réalité à un schéma inconscient qu’elle reproduit sans s’en rendre compte. Dans ce cadre, le sentiment de liberté n’est pas une preuve fiable. Il pourrait s’agir d’une simple illusion qui masque l’existence de déterminismes internes, aussi contraignants que les influences extérieures. L’action volontaire, qu’elle soit envisagée au sens faible ou fort, donne l’impression d’une liberté. Toutefois, cette impression est remise en question par des penseurs comme Spinoza, qui y voient une illusion, ou Freud, qui souligne l’importance des forces inconscientes. La question reste ouverte : notre sentiment de liberté suffit-il à garantir que nous sommes véritablement libres ? La réflexion comme preuve du libre arbitre I. La maîtrise de soi grâce à la raison La réflexion est souvent vue comme une marque distinctive de l’être humain et, par extension, comme une preuve du libre arbitre. Contrairement aux animaux, qui agissent principalement par instinct, l’homme serait capable de juger, d’analyser une situation et de choisir entre plusieurs possibilités. Cette capacité repose sur la raison, outil central de la maîtrise de soi. A. L’action réfléchie VS l’instinct Selon Thomas d’Aquin, les actions humaines se distinguent des actions instinctives par leur fondement rationnel. Les animaux, comme une brebis qui fuit un loup, agissent par instinct, selon des mécanismes fixes et automatiques. En revanche, l’homme est capable d’évaluer une situation et de moduler son comportement en fonction des circonstances. Prenons l’exemple des œufs roulés par l’oie cendrée ou de l’agressivité de l’épinoche : ces comportements sont prédéfinis et ne varient pas d’un individu à l’autre. En comparaison, l’être humain peut adopter une réponse différente selon la situation et les données qu’il analyse. Cette flexibilité et cette inventivité témoignent d’une liberté d’action qu’on n’observe pas chez les autres espèces. B. La raison comme source de choix Thomas d’Aquin affirme également que la raison permet à l’homme de se porter vers divers objets. Contrairement aux actions déterminées, les actions humaines s’inscrivent dans un domaine contingent, où plusieurs choix sont possibles. Pour lui, cette capacité à envisager différentes options, avant de trancher en faveur d’une, est une preuve fondamentale du libre arbitre. Il en résulte un raisonnement simple : 1. Je suis capable de réfléchir avant d’agir. 2. Cette réflexion me permet d’envisager plusieurs possibilités. 3. Donc, lorsque j’agis, je fais un choix, mais j’aurais pu choisir autrement. II. Les limites de cet argument A. L’homme est déterminé par des causes qu’il ignore (d’Holbach) Dans Système de la nature, d’Holbach critique l’idée que la réflexion soit une preuve suffisante du libre arbitre. Selon lui, même les actions les plus réfléchies sont déterminées par des causes extérieures ou internes. Il affirme que "l’homme est une machine ignorante des ressorts qui la font agir". Ce que nous percevons comme un choix libre est, en réalité, le produit de ces déterminismes. B. Les motifs et circonstances D’Holbach souligne également que nos décisions sont influencées par des motifs, eux-mêmes dictés par des circonstances extérieures. Un individu peut croire qu’il choisit librement une carrière ou un partenaire, mais ces choix sont en réalité conditionnés par son environnement social, familial ou économique. Ainsi, la réflexion n’échappe pas aux contraintes extérieures. C. Une illusion de liberté Pour d’Holbach, la conscience de nos actions donne l’illusion de la liberté, mais cette illusion masque les véritables forces qui nous déterminent. Nous croyons être les auteurs de nos choix, alors que ces derniers ne sont que le résultat de causes naturelles et sociales que nous ignorons. La réflexion, bien qu’elle semble prouver le libre arbitre, est critiquée par d’Holbach comme une illusion. En rappelant l’importance du repère contingent, on comprend que la délibération nécessite des alternatives réelles. Cependant, selon d’Holbach, même cette contingence apparente est soumise à des déterminismes qui échappent à notre conscience. Nos choix sont-ils déterminés par des facteurs que nous ne maîtrisons pas ? I. L’argument des influences inconscientes Cet argument repose sur l’idée que nos actions, pensées et décisions sont souvent influencées par des forces biologiques, psychiques et sociales, souvent hors de notre contrôle et de notre conscience. A. Les facteurs biologiques La question des influences biologiques est trop complexe et technique pour être développée ici. B. Les facteurs psychiques 1. L’hypothèse de l’inconscient freudien Freud considère que la conscience humaine ne représente que la surface de la vie psychique. Il introduit l’idée d’un inconscient psychique, constitué de pulsions refoulées et d’un passé structurant, principalement issu de l’enfance. Cette idée repose sur trois points principaux : 1. Une structure psychique en trois parties : - Le Moi : la conscience et les fonctions rationnelles (agir, parler, réfléchir). - Le Ça : les pulsions inconscientes (pulsions sexuelles et agressives) cherchant à s’exprimer. - Le Surmoi : une instance qui refoule les pulsions en fonction des normes sociales et de l’idéal du Moi. 2. Des manifestations de l’inconscient : Rêves, lapsus, et symptômes corporels. Pathologies psychiques. 3. L’importance de l’enfance dans la structuration de l’inconscient. 2. Arguments et objections sur l’inconscient freudien Argument 1 : L’inconscient peut être observé indirectement à travers ses manifestations (rêves, lapsus, troubles). 1. Objection : Ce n’est pas une observation stricte mais une interprétation, souvent arbitraire. Argument 2 : Une interprétation de l’inconscient peut être validée si elle respecte trois critères : 1. Source : Le patient doit être à l’origine de l’interprétation. - Objection : L’analyste peut influencer la réponse. 2. Cohérence : L’interprétation doit donner du sens à des phénomènes incohérents. - Objection : D’autres explications peuvent être tout aussi cohérentes. 3. Succès thérapeutique : L’interprétation doit permettre au patient de surmonter ses symptômes. - Objections : Les effets thérapeutiques sont discutables et pourraient être dus à un effet placebo. Malgré les critiques des théories spécifiques de Freud, la psychologie contemporaine retient certaines de ses idées importantes, comme : La verbalisation des expériences vécues. L’importance de l’intersubjectivité (relation avec autrui). Le rôle central de la structuration psychique pendant l’enfance. 4. L’inconscient cognitif Les sciences cognitives modernes ont élargi l’étude de l’inconscient avec des notions comme les biais cognitifs, qui sont des schémas automatiques influençant nos pensées et décisions. Exemples de biais cognitifs : - Effet de leurre : Modifier un choix en introduisant une option moins attractive pour orienter la décision. - Biais de statu quo : Préférence pour maintenir une situation existante (exemple : procédures pour le don d’organes). - Définition d’un nudge : Une manière d’influencer les comportements sans recours à la violence ou à la contrainte, mais en exploitant la psychologie humaine. Textes du chapitre : « Quand je meus un de mes membres ou que je transporte mon corps sans obstacle et comme je le veux, je suis libre. Quand le pouvoir que je sens est contrarié, comme si je suis poussé, entraîné malgré moi ou contre ma volonté, je suis non libre [...]. Le fait de sens intime suffit pour nous donner l'idée la plus claire possible de deux états pareils [...]. Mettre la liberté en problème c'est y mettre le sentiment de l'existence ou du moi, qui n'en diffère point [...]. La liberté […], prise dans sa source réelle, n'est autre chose que le sentiment même de notre activité ou de ce pouvoir d'agir [...]. La nécessité qui lui est opposée est le sentiment de notre passivité […]. [L]a liberté, considérée comme le sentiment d'un pouvoir en exercice, suppose la réalité de ce pouvoir, comme le sentiment intime de notre existence nous prouve sa réalité. [...] Je me sens libre, donc je le suis. Si ce sentiment de pouvoir me trompait, si je pouvais douter encore, si, au moment où je me détermine, où je fais un effort, c'est un autre être, une autre puissance invisible qui est cause de ma détermination, qui exerce mon effort ou exécute mon vouloir ; je pourrais douter également si, lorsque je sens ou aperçois mon existence individuelle, ce n'est pas un autre être qui existe à ma place. » Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie J’appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même librement parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu’il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité. Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvements et, l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu’il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une certaine manière déterminée. Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d’autres de même farine, croient agir par un libre décret de l’âme et non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas aisément. Bien qu’en effet l’expérience enseigne plus que suffisamment que, s’ils est une chose dont les hommes soient peu capables , c’est de régler leurs appétits et, bien qu’ils constatent que partagés entre deux affections contraires, souvent ils voient le meilleur et font le pire, ils croient cependant qu’ils sont libres, et cela parce qu’il y a certaines choses n’excitant en eux qu’un appétit léger, aisément maitrisé par le souvenir fréquemment rappelé de quelque autre chose. Baruch SPINOZA, lettre à Schuller, Lettre LVIII, in Œuvres « L’homme possède le libre arbitre, ou alors les conseils, les exhortations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains. ─ Pour établir la preuve de la liberté, considérons d’abord que certains êtres agissent sans aucun jugement, comme la pierre qui tombe vers le bas, et tous les êtres qui n’ont pas la connaissance. ─ D’autres êtres agissent d’après un certain jugement, mais qui n’est pas libre. Ainsi les animaux telle la brebis qui, voyant le loup, juge qu’il faut le fuir ; c’est un jugement naturel, non pas libre, car elle ne juge pas en rassemblant des données, mais par un instinct naturel. Et il en va de même pour tous les jugements des animaux. ─ Mais l’homme agit d’après un jugement ; car, par sa faculté de connaissance, il juge qu’il faut fuir quelque chose ou le poursuivre. Cependant, ce jugement n’est pas l’effet d’un instinct naturel s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement de données opéré par la raison ; c’est pourquoi l’homme agit selon un jugement libre, car il a la faculté de se porter à divers objets. En effet, dans le domaine du contingent, la raison peut suivre des directions opposées, comme on le voit dans les syllogismes dialectiques et les arguments de la rhétorique. Or, les actions particulières sont contingentes ; par suite le jugement rationnel qui porte sur elles peut aller dans un sens ou dans l’autre, et n’est pas déterminé à une seule chose. En conséquence, il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de raison. » Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, question 83, réponse « Le choix ne prouve point la liberté de l'homme ; son embarras ne finit que lorsque sa volonté est déterminée par des motifs suffisants, et il ne peut empêcher les motifs d'agir sur la volonté. Est-il maître de ne point désirer ce qui lui paraît désirable ? Non : mais il peut, dit-on, résister à son désir, s'il réfléchit sur les conséquences. Mais est-il maître d'y réfléchir ? Les actions des hommes ne sont jamais libres. Elles sont les suites nécessaires de leur tempérament, de leurs idées reçues, fortifiées par l'exemple, l'éducation et l'expérience. Le motif qui détermine l'homme est toujours au-dessus de son pouvoir. […] La nécessité, qui règle tous les mouvements du monde physique, règle aussi tous ceux du monde moral […]. » D'Holbach, Système de la nature, 1770, chap. XI « Partie subordonnée d’un grand tout, l’homme est forcé d’en éprouver les influences. […] Les erreurs des philosophes sur la liberté de l’homme, viennent de ce qu’ils ont regardé sa volonté comme le premier mobile de ses actions, & que, faute de remonter plus haut, ils n’ont point vu les causes multipliées & compliquées indépendantes de lui qui mettent cette volonté elle-même en mouvement […]. Cependant il faut avouer que la multiplicité & la diversité des causes qui agissent sur nous souvent à notre insu, font qu’il nous est impossible, ou du moins très difficile, de remonter aux vrais principes de nos actions […]. Voilà ce qui rend l’étude de l’homme […] si difficile » D'Holbach, Système de la nature, chap. XI « Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur [...]. Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal [...]. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. » Freud, Introduction à la psychanalyse (1916), II, chap. 18 Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production. Marx, Contribution à la critique de l'économie politique « [D]epuis que les sciences positives de la nature se sont constituées […], que de changements n'avons-nous pas introduits dans l'univers ! Il en sera de même dans le règne social. […] [C]'est la sociologie qui, en découvrant les lois de la réalité sociale, nous permettra de diriger avec plus de réflexion que par le passé l'évolution historique ; car nous ne pouvons changer la nature, morale ou physique, qu'en nous conformant à ses lois. […] Les sciences, en même temps qu'elles proclament la nécessité des choses, nous mettent entre les mains les moyens de la dominer. » Émile Durkheim, Sociologie et sciences sociales