Gentillesse Contreproductive de l'Employeur PDF
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Clotaire Mouloungui
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Summary
Ce document explore la notion de générosité de l'employeur et son impact potentiel sur le droit du travail. Il analyse les différents aspects de la prestation de service, du logement au transport des employés. L'auteur aborde les implications légales et les conséquences potentielles de la générosité mal gérée.
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Optimiser les processus administratifs Documents de travail pour SAE BUT3 GPRH La Gentillesse Contreproductive de l’Employeur Clotaire MOULOUNGUI Maître de conférences hors classe Sommaire Sommaire.......................................................
Optimiser les processus administratifs Documents de travail pour SAE BUT3 GPRH La Gentillesse Contreproductive de l’Employeur Clotaire MOULOUNGUI Maître de conférences hors classe Sommaire Sommaire.......................................................................................................... 2 Introduction. – La responsabilité de chacun pour sa générosité.......................... 4 1. – Premières vues sur la générosité....................................................................... 4 2. – L’échec de la prestation de service promise...................................................... 9 3. – La réalisation matérielle décevante..................................................................16 4. – La blessure causée par l’objet reçu.................................................................20 Partie 1. – Le soupçon de calcul personnel chez l’employeur............................. 25 A. – La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel.....................26 B. – La confusion entre calcul et paternalisme de l’employeur...........................42 Partie 2. – Le contentieux corrélatif à la bienfaisance de l’employeur....... 64 A. – Le contentieux en lien avec le logement prêté ou concédé...........................65 B. – Le contentieux pécuniaire du transport du personnel.................................89 Conclusion.................................................................................................... 104 73. – L’agacement des bénéficiaires d’un secours.................................................. 104 74. – Chose promise chose pas forcément due....................................................... 105 75. – L’isolement des employeurs bienfaiteurs ou paternalistes............................. 105 76. – La responsabilité pour logement indigne ou pour accident de la circulation... 106 2 Bibliographie................................................................................................. 107 Sources doctrinales.............................................................................................. 107 Références officielles............................................................................................ 117 Index alphabétique........................................................................................ 122 Table des matières......................................................................................... 127 Fin : page finale............................................................................................. 131 3 Introduction. – La responsabilité de chacun pour sa générosité 1. – Premières vues sur la générosité Points traités : 1. – Des lettres de noblesse pour les bons sentiments. 2. – La générosité de l’employeur pour tous ou pour aucun. 3. – La réalité de la marginalité de la générosité en droit positif. 4. – L’explosion des bonnes actions avec les générations futures. 1. – Des lettres de noblesse pour les bons sentiments. À compter de la rentrée scolaire 2024-2025, les écoliers de France auront commencé à mettre quotidiennement en œuvre la bienfaisance, ou la bienveillance, ou la gentillesse. Apparemment, « La gentillesse, du point de vue des enfants, est un acte de soutien émotionnel ou physique qui aide à établir ou à maintenir des relations avec les autres » (1). L’objectif de ce nouvel apprentissage est ainsi d’éloigner à jamais le fléau du harcèlement entre camarades (2) ; puis, par capillarité, dans la société tout entière (3). Au sein de cette farandole de termes relatifs aux bons et nobles sentiments, l’altruisme serait absolument bien à sa place (4). 1) John-Tyler Binfet, https://www.lepoint.fr/education/enseigner-la- gentillesse-contribue-au-bien-etre-de-l-enfant-03-06-2023-2522865_3584.php. 2) ACADÉMIE DE NORMANDIE, Bonnes idées de gentillesse, https://val-de- reuil.circonscription.ac-normandie.fr/IMG/pdf/fiche-psychologies-v1.pdf. 3) Le Gouvernement (renversé) de Michel BARNIER avait confié à un ministre la tâche de promouvoir le bénévolat (davantage qu’avant). Actuellement, 100.000 volontaires sont espérés : https://www.jeveuxaider.gouv.fr/. 4) Céline BÉNOS, L'altruisme dans le contrat de prêt à usage, D. 2013. 2358. 4 La générosité malheureuse de l’employeur Le bloc de constitutionnalité lui-même suggère vraisemblablement ici l’ajout de la fraternité et de la solidarité. Curieusement, pour l’intuition populaire, être gentil confinerait quasiment à l’idiotie ; sinon correspondrait à ‘’vivre hors sol’’, c’est-à-dire ‘’au pays des bisounours’’ (5). Plusieurs types de sujets de droit sont susceptibles de se voir reprocher leur ‘’grand cœur’’, serait-ce à titre posthume. C’est notamment le cas en matière de libéralités (donations entre vifs et legs testamentaires). En l’occurrence, les opérations de dilapidation de son patrimoine par le de cujus seront d’autant plus facilement obtenues (en justice) qu’elles auront été faites sans contrepartie (6). Concrètement, tandis que certains des plaideurs prétendront qu’un pareil bienfaiteur aura juridiquement eu tort de faire la libéralité, d’autres se focaliseront plutôt sur sa probable déficience mentale (7). 2. – La générosité de l’employeur pour tous ou pour aucun. En vertu de cet esprit classique mais détestable de dureté, s’il y avait deux capitalistes, dont l’un payant une misère à ses salariés, et l’autre au contraire qui verserait des salaires plutôt élevés, seulement la santé mentale d’un des deux inquièterait. À savoir celle de l’employeur paternaliste ou bienfaiteur. C’est 5) D’après un proverbe niçois, « Quand on est trop bon, on est bête » (https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/292423). 6) Janine REVEL, Point de départ de l'action en nullité d'une donation exercée par les héritiers du donateur, D. 2002. 2441. 7) Guillaume BARBE et Philippa BOUVEAU, Vers une reconnaissance du préjudice direct de l'héritier d'une victime d'abus de faiblesse, Gaz. Pal. 7 juill. 2020, n° 382k3, p. 88. 5 La responsabilité de chacun pour sa générosité dire que notre peuple aura pu trouver compréhensible, voire défendable, qu’un employeur maltraitât son personnel (8). À cet égard, le droit du travail contredit frontalement la parabole du vigneron (9). Car selon cette historiette biblique, un tel agriculteur avait payé la même somme (forte et convenue) à ses trois équipes d’ouvriers. Le problème aura été que si la première équipe s’était mise à l’œuvre (récolte, vendanges) dès le levée du jour, la suivante n’aura commencé que dans l’après- midi. Enfin, il y aura eu les ouvriers de la dernière heure, ceux entrés en action à la nuit tombée. Cet employeur honnête et généreux pouvait-il (légalement) se faire exiger un complément de salaire par la première équipe, ou même par la seconde ? Aujourd’hui, la réponse ne fait pas de doute ; compte tenu du principe « à travail égal, salaire égal ». Ce qui signifie que les ouvriers qui avaient travaillé plus devaient gagner plus. Oui, sans importance sera la preuve du respect, par l’employeur, tant du salaire plancher (le SMIC), que de la rémunération expressément convenue. Conclusion : un employeur ne saurait être généreux à sa guise ; du fait de cette nécessaire égalité salariale envers les membres d’un même collectif de travail. 8) Le paternalisme est combattu par les partis politiques de droite et de gauche ; mais en ordre dispersé. De fait, le libéralisme économique (parfois débridé) des uns y identifie un frein à l’exigence de meilleurs rendements (productivité) aux travailleurs. Les autres entrevoient dans le paternalisme un anesthésiant de la conscience d’une exploitation patronale (Jean De MUNCK, Les trois crises du droit du travail, Droit social 1999. 443). 9) Gérard VACHET, À travail égal, salaire égal, Droit social 2008. 1046. 6 La générosité malheureuse de l’employeur 3. – La réalité de la marginalité de la générosité en droit positif. Le lecteur non averti sera probablement troublé par cette règle (égalitariste). De fait, une dizaine d’années après sa consécration (par l’arrêt Ponsolle), une plume professorale aura admis que c’était « une règle en quête de sens » (10). Mieux, aura précisé une autre plume tout aussi savante, « de nombreuses dispositions du droit du travail peuvent entraver l'application du principe » (11). Il n’empêche que le montant des rémunérations échappera presque toujours à la générosité aléatoire de l’employeur (12). Apparemment, une personne saine d’esprit ne saurait donner gratuitement. C’est ainsi qu’une doctorante s’interroge sur « la fin des contreparties symboliques » (13). En toute hypothèse, libérer son débiteur au moyen d’une remise de dette frisera l’acte anormal de gestion (14). Même risque lorsqu’il s’agit de 10) Antoine LYON-CAEN, A travail égal, salaire égal. Une règle en quête de sens, Rev. trav. 2006. 16. 11) Gérard VACHET, À travail égal, salaire égal, Droit social 2008. 1046. 12) En vérité, « le principe d'égalité de traitement ne s'oppose pas à ce que l'employeur fasse bénéficier, par engagement unilatéral, les salariés engagés postérieurement à la dénonciation d'un accord collectif d'avantages identiques à ceux dont bénéficient, au titre des avantages individuels acquis, les salariés engagés antérieurement à la dénonciation de l'accord » (Catherine BERLAUD, Le principe d'égalité, les avantages acquis et les engagements unilatéraux de l'employeur, Gaz. Pal. 30 mai 2013, n° 131m3). 13) Jade DESVIGNES, Requalification d'une cession de droits d'auteur en donation : la fin des contreparties symboliques ?, D.A., 4 novembre 2024. 14) Jean-Luc VALLENS, Le créancier ne peut exercer l'action oblique que s'il a déclaré sa créance, RTD com. 2009. 623. Négliger de recouvrer sa créance, au risque de la laisser prescrire, incitera des créanciers à songer à l’action oblique. 7 La responsabilité de chacun pour sa générosité loger un dirigeant social (15). Pareillement, vendre à vil prix (par bienfaisance) ne sera point compris par le fisc (16). Il se trouve que le législateur fiscal pense aux membres de la famille (la plus proche) comme donataires naturels. Par conséquent, les droits de mutation à verser au Trésor public (en considération de la libéralité) grossiront graduellement. En allant de la taxation minorée du bénéficiaire qui appartiendrait à la ligne directe de la parenté, à celle maximale du tiers (étranger) à la famille (même enfant du conjoint), en passant par la taxation intermédiaire des collatéraux (17). Concédons toutefois que (grâce à COLUCHE notamment) des déductions fiscales existent en cas de don à une association reconnue d’utilité publique (18). 4. – L’explosion des bonnes actions avec les générations futures. Peut-on penser que les nouvelles générations (celles dorénavant biberonnées à la gentillesse) conserveront ces législations anciennes presque hostiles à la bienfaisance ? La réponse sera ici forcément divinatoire et peu scientifique. Certes, lorsque ces jeunes parviendront aux commandes de la société françaises, beaucoup d’entre nous serons morts depuis longtemps. Dès lors, pronostiquer sentencieusement le sens d’une évolution, 15) Emmanuel CRUVELIER, La mise à disposition gratuite d’un logement au profit d’un dirigeant social est un acte anormal de gestion [en droit fiscal], Loyers et Copropriété n° 11, Novembre 2022, comm. 188. 16) Annabelle PANDO, Donation déguisée en vente : pas de requalification possible [par le fisc] sans procédure d'abus de droit, LPA 3 juill. 2020, n° 154b3, p. 4. Cependant du point de vue civiliste : Jean PATARIN, Validité de la donation déguisée sous forme de vente malgré le caractère dérisoire du prix stipulé, RTD civ. 1996. 218. 17) Annabelle PANDO, Contributions aux charges du mariage, famille recomposée : des évolutions fiscales sollicitées, LPA 2 juin 2020, n° 152j6, p. 3. 18) Lionel DEVIC, Dons des particuliers et des entreprises : synthèse du régime fiscal applicable, JA 2005, n°312, p.32. 8 La générosité malheureuse de l’employeur n’expose point à de la contrition lors d’une hypothétique reddition de comptes. Mieux, nous n’avons pas la faiblesse de nous figurer que la postérité se jettera goulument sur notre actuelle prose, puis qu’elle nous la reprochera. Pour l’heure, chacun engage sa responsabilité, serait-ce la civile (indemnisation) pour avoir entendu rendre service à autrui. Effectivement, il arrive que la personne qui devait bénéficier de l’aide réclame des dommages-intérêts à son bienfaiteur. Tout le monde est ainsi exposé à ce risque indemnitaire. Celui-ci est plus grand encore sur la tête de l’employeur apparemment généreux. À propos de la générosité en général, cette introduction nous permettra d’en avoir le cœur net grâce aux trois points intitulés : « L’échec de la prestation de service promise » ; « La réalisation matérielle décevante » ; « Le préjudice causé par l’objet reçu ». Ensuite, l’ensemble des autres développements de ce tapuscrit (sa première et a seconde partie) porteront sur la générosité de l’employeur. 2. – L’échec de la prestation de service promise Points traités : 5. – Un service d’ami à l’origine sans risque. 6. – Les poursuites contre le mandataire pour perte d’une chance en justice. 7. – Le reproche au mandataire du ratage d’un gros lot du PMU. 8. – La bonne foi heureusement exonératoire du mandataire. 9. – L’attente d’un sérieux de l’expert mandaté au regard des enjeux. 5. – Un service d’ami à l’origine sans risque. Procéder à une démarche pour autrui est le service le plus facile à rendre ; car il ne coûte généralement qu’un peu de temps. Par 9 La responsabilité de chacun pour sa générosité exemple, en acceptant d’aller à la poste récupérer un colis ou une lettre recommandée pour un parent, un ami ou une connaissance. Naturellement, en ayant alors reçu une procuration. Le Code civil retient cette appellation (de procuration) comme synonyme du contrat de mandat, encore tout simple dit le mandat. Dans celui-ci, les deux partenaires sont qualifiés de mandant et de mandataire. Le second accomplit des actes juridiques à la place et au nom du premier, lequel les lui aura demandés (19). Historiquement, le mandat est un service d’ami (20). Or le mandataire peut mal remplir sa mission, causant ainsi un préjudice à son cocontractant. Le principe applicable pour la réparation est contenu dans l’article 1992 du Code civil. , D’après ce texte, tout mandataire (même bénévole) doit répondre des fautes qu'il commettrait dans sa mission. Même les père et mère (administrateurs légaux) sont soumis à une reddition des comptes (21). Néanmoins, est-il précisé (pour le mandat classique), « la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire » (22). D’un autre côté, dans l’espoir de 19) En l’absence de demande préalable, la personne serviable qui agit spontanément se place dans le cadre d’un quasi-contrat : la gestion d’affaires (Code civil, art. 1300 à 1300-5). Dans les traités d’autrefois, Demolombe, Troplong, ou Laurent, par exemple, précisaient ‘’gestion des affaires d’autrui sans mandat’’. 20) Rudy LAHER, Mandat et confiance, RTD civ. 2017. 541. 21) Yann FAVIER, La nécessaire protection des revenus du travail de l'enfant, AJ fam. 2006. 147. 22) Au fond, le principe de gratuité est « rappelé par révérence au passé car, dès avant la Révolution, le mandat salarié était fréquent. De sorte que, sur ce point, il n'y a pas eu de bouleversement réel, mais simplement achèvement 10 La générosité malheureuse de l’employeur rassurer les citoyens sur les retombées possibles de leur engagement souhaitable dans les associations, le législateur autorise le juge à tenir compte de la qualité de bénévole des dirigeants d’associations (23). Il s’agit d’avoir une appréciation magnanime de leurs faits préjudiciables (24). 6. – Les poursuites contre le mandataire pour perte d’une chance en justice. Dans cet ordre d’idées, il se trouve qu’un salarié avait poursuivi son employeur devant un conseil de prud’hommes. Or ses demandes ne furent pas toutes exaucées par les juges de première instance. Voilà pourquoi, avec l’aide d’un délégué syndical CGT, il forma appel. Mais hélas, par arrêt du 15 juin 1994, son appel aura été déclaré irrecevable (25). La raison est que le syndicaliste chargé de l’appel n’avait pas remis au greffe compétent le pouvoir spécial (la procuration spécifique) l’autorisant à ester pour autrui (ici le salarié). Furieux d’avoir ainsi perdu la chance d’améliorer sa situation financière, l’ancien salarié aura saisi un tribunal de grande instance (aujourd’hui le tribunal judiciaire) ; cette fois contre le délégué syndical et son syndicat. Mais, il aura été débouté de sa d'une évolution : aujourd'hui, en pratique, le mandat est en principe salarié » (Philippe LE TOURNEAU, De l'évolution du mandat, D. 1992. 157.). 23) Code de commerce, article L651-2), 24) Écric SANDER, L'atténuation de la responsabilité financière du dirigeant bénévole ayant commis une faute de gestion à l'origine d'une insuffisance d'actif lors de la liquidation judiciaire de l'association inscrite, Revue du droit local n° 91, 1 Octobre 2021, 3 ; Gérard LEJEUNE et Przemyslaw CZEBIERA, Le bénévolat, première (res)source d'inquiétude, JA 2024, n°704, p.43). 25) C’est-à-dire que le dossier ne pouvait et ne devait être examiné par les juges du second degré. 11 La responsabilité de chacun pour sa générosité demande de dommages-intérêts. Il n’aura pas non plus eu gain de cause en appel (Aix-en-Provence, 6 février 2006). La Cour de cassation n’a pas davantage été sensible à son argumentaire. Ainsi, dans un arrêt du 8 juillet 2008, la Chambre sociale de cette dernière juridiction aura affirmé que : « remplissant ses fonctions à titre bénévole, le délégué syndical qui s'est conformé aux modalités du recours indiquées dans la signification du jugement, n'avait pas commis de faute entraînant sa responsabilité à l'égard du mandant » (26). La solution aurait certainement été différente si l’erreur avait été commise par un avocat professionnel, rémunéré pour cette tâche (27). Surtout que : « Le mandataire doit conseiller son mandant, fût-il lui-même professionnel » (28). 7. – Le reproche au mandataire du ratage d’un gros lot du PMU. Un arrêt rendu deux ans plus tôt, par la Première Chambre civile de la Cour de cassation (le 16 mai 2006), s’était prononcée dans un sens proche (29). En l’espèce, depuis leur lointaine île, un groupe de cinq femmes antillaises jouaient ensemble au PMU. Concrètement, l’une d’entre elles (à qui l'argent était remis) faisait enregistrer les paris constitués par des numéros choisis en commun. Par conséquent, lorsque la combinaison retenue tomba (le 9 novembre 1991), presque toutes crurent avoir gagné. En vérité, 26) Cass. Soc., 8 juillet 2008, 07-17.013, Inédit 27) Laurence IDOT, Erreur de l'avocat dans le calcul des délais d'opposition, D.A. 21 juin 2013 ; Europe n° 5, Mai 2013, comm. 247. 28) Nicolas LEBLOND, Le mandataire doit conseiller son mandant, fût-il lui- même professionnel, LEDC févr. 2013, n° EDCO-113025-11302, p. 5. 29) Cass. Civ. 1, 16 mai 2006, 03-19.936, Publié au bulletin. 12 La générosité malheureuse de l’employeur la coéquipière mandataire avait pensé améliorer leurs chances en modifiant la combinaison. Or, loin de faire preuve de stoïcisme, ses camarades lui exigèrent de verser leur part de gains ; à savoir la somme de 346.946,22 euros pour les quatre. La défenderesse devait par ailleurs supporter des dommages- intérêts pour la frayeur causée et pour l’attente du lot gagné. Mais ces demandes auront été rejetées ; aussi bien par le tribunal que par la cour d’appel de Fort-de-France (10 janvier 2003). Par comparaison, notons qu’il y aurait une appréciation plus rigoureuse à l’encontre de la candeur ou de la maladresse d’un gérant d’affaires. Certes, celui-ci aurait agi pour rendre service ; mais, dans le cadre d’une gestion des affaires d’autrui sans mandat (30). 8. – La bonne foi heureusement exonératoire du mandataire. À son tour, la Cour de cassation jugea comme ces juges du fond. Elle aura en l’occurrence posé la règle suivante, selon laquelle, sauf dans l’hypothèse d’un cas fortuit, le mandataire est présumé en faute, et doit donc des dommages-intérêts, « du seul fait de l'inexécution de son mandat ». Toutefois, indiqua-t-elle parallèlement, « cette présomption ne saurait être étendue à l'hypothèse de la mauvaise exécution de ce dernier [le mandat]. Dans ce second cas, les juges du fond sont fondés, en application des dispositions de l'article 1992, alinéa 2, du Code civil à ne pas retenir certains manquements comme faute lorsque le mandataire a agi à titre gratuit ». Le mandant sera un peu fautif d’avoir mal choisi son mandataire ; un 30) Certes, l’on enseigne parfois que « La gestion d’affaires est définie comme un quasi-mandat » (Corrine RENAULT-BRAHINSKY, L'essentiel du droit des obligations, sept. 2024, Lextenso, 9782297265874). 13 La responsabilité de chacun pour sa générosité mandataire soit incompétent, soit digne de peu de confiance (31). En l’occurrence, pas de dommages-intérêts au profit des mandants victimes. Car les manquements reprochés avaient été commis de bonne foi dans l'intérêt du groupe, avec la croyance erronée d'un succès plus probable en substituant l’un des numéros choisis en commun. Ces circonstances enlevaient le caractère fautif qui aurait permis d’engager la responsabilité civile de la mandataire malchanceuse. Il n’en reste pas moins que vouloir rendre service en adossant l’habit du mandataire est une source probable d’ennuis moraux, juridiques ou patrimoniaux. 9. – L’attente d’un sérieux de l’expert mandaté au regard des enjeux. Naturellement, il est intolérable que le mandataire s’exécute avec légèreté au motif qu’il agirait gratuitement. Malheureusement, un expert judiciaire qui avait mal rempli son office s’était fendu de communiqués précisant que payer sa profession au même niveau que des femmes de ménage exposait à recevoir des expertises dignes de femmes de ménage (32). L’on peut ici regretter (envier) la conscience professionnelle exemplaire des avocats des séries télévisées qui, bien qu’intervenant pro bono, paraissent tout mettre en œuvre pour le triomphe de la cause qu’ils auront embrassées (33). 31) Rudy LAHER, Mandat et confiance, RTD civ. 2017. 541. 32) Olivia DUFOUR, Les experts psychiatres en ont assez d'être payés comme des couturières du Bangladesh, Gaz. Pal. 19 avril 2016, n° 263q5, p. 5. 33) Jean-Luc GAINETON, Du paradis du pro bono à l'enfer de la corvée perpétuelle, Gaz. Pal. 1 juin 2021, n° 422h7, p. 26 ; Lilly DIENER, Avocats des droits de l'homme : la pratique du pro bono en France, Les cahiers de la justice 2016. 139. 14 La générosité malheureuse de l’employeur Dans l’affaire ci-dessus, l’intéressé était rémunéré, même s’il avait l’impression d’être exploité par l’institution judiciaire désireuse de ses lumières. Selon lui, il y avait une incidence du plafonnement des honoraires (« sans dépassement possible ») sur les experts éventuels tout d’abord, puis sur la qualité des expertises rendues par ceux-ci. Le pire est que les magistrats ne sont pas dupes. Sinon, faisait observer l’expert, ces juges n’accepteraient pas « la médiocrité sans nom de tant de rapports s’ils les savaient dignement rétribués ou s’ils en avaient tout simplement le choix » (34). Or l’établissement d’un profil psychologique ou psychiatrique exige d’examiner le prévenu ou l’accusé plusieurs fois et, longuement. Le justiciable américain riche, soucieux de ses intérêts, s’offre systématiquement des contre-expertises même à prix d’or. Il est vrai qu’il s’agit là-bas d’un système judiciaire où l’instruction se fait à charge et presque jamais à décharge (35). En vérité, l’expert judiciaire français répondra de sa négligence (36). À l’instar de l’individu qui, bénévolement, participerait à la réparation d’une panne. 34) Daniel ZAGURY, L'expertise psychiatrique pénale : une honte française, Gaz. Pal. 24 mai 2016, n° 265g1, p. 12. Il poursuit en ces termes : « Pourquoi s’engagerait-il dans une exploration fastidieuse et méticuleuse quand on le prévient que ce surcroît de travail ne sera pas pris en compte ? L’expert n’a-t-il comme repère que sa propre conscience ? Si cette conscience se retourne contre lui, pense-t-on qu’il ne va pas lui accorder quelques aménagements ? ». 35) André NORMANDEAU, Pour un système pénal sérieux, intelligent et taillé sur mesure en Amérique ! RSC 1995. 404. 36) Sabine FOULON, Le poids de l'expertise devant la cour d'assises, AJ pénal 2014. 513 ; Emmanuel DAOUD et César GHRÉNASSIA, L'expertise à l'épreuve de la contradiction : errare expertum est, AJ pénal 2011. 560. 15 La responsabilité de chacun pour sa générosité 3. – La réalisation matérielle décevante Points traités : 10. – L’appel au bricoleur comme source de ‘’bricoles’’. 11. – Le chauffe-eau cause de blessures car mal installé. 12. – Du refus de l’écoute aux blessures involontaires. 13. – L’allumage du barbecue et la mise à feu du logis par l’invité. 10. – L’appel au bricoleur comme source de’’ bricoles’’. Des personnes avouent ne point avoir la main verte, tandis que d’autres se plaignent d’avoir deux mains gauches. Les unes et les autres ont alors besoin d’un salutaire coup de pouce. Et c’est l’occasion de chanter le bonheur d’avoir un mari ami bricoleur ; avant peut-être de déchanter. Les deux affaires rapportées ci- dessous en portent témoignage. L’une aura concerné l’explosion d’un chauffe-eau, et la seconde, un barbecue objet d’une communication d’incendie. 11. – Le chauffe-eau cause de blessures car mal installé. Un arrêt de la Cour de cassation (5 avril 2005) a déclaré que la personne qui contribue à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage et qui n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter, commet une faute caractérisée (37). Et si cette faute expose autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la personne en question doit être condamnée pour blessures involontaires (amende et/ou prison). Par ailleurs, elle doit des dommages-intérêts à la victime. Cette jurisprudence s’applique même à la personne qui avait entendu rendre service sans perspective de gain au terme de son intervention (38). 37) Cass. Crim., 5 avril 2005, 04-83.922, Inédit 38) Sophie HOCQUET-BERG, Toute faute de l’assistant, même d’imprudence, exonère l’assisté de sa responsabilité, Responsabilité civile et assurances n° 5, Mai 2024, comm. 125 ; Cass. Civ. 1, 28 février 2024, n° 22-24.025. 16 La générosité malheureuse de l’employeur Dans cet arrêt de 2005, des concubins (HOSSEIN et CHRISTIANE) copropriétaires indivis d’un immeuble souhaitaient aménager l’une des pièces en vue de la location. Alors, avec le concours bénévole d'un ami plombier-chauffagiste, HOSSEIN avait installé lui-même une chaudière à gaz à un mur du local. Il l’avait ensuite raccordé à la conduite alimentant son propre logement en propane. Toutefois, il n’aura nullement fait vérifier (par un professionnel agréé) la conformité de cette nouvelle installation aux normes de sécurité en vigueur (39). Sans doute celui-ci aurait-il constaté que l’aération du local était insuffisante. 12. – Du refus de l’écoute aux blessures involontaires. Dans cette affaire, la locataire des lieux aura signalé le mauvais fonctionnement de l’installation. Mais sans que cela entraînât la moindre réaction des propriétaires. Hélas, le 9 octobre 2000, cette locataire et son ami furent victimes d'une explosion suivie d'un incendie. Conséquence corporelle : trois mois d'incapacité totale de travail (40). Concrètement, c’est en actionnant l'allume-gaz (pour mettre en marche un réchaud) que les locataires mirent feu à un mélange gazeux. Celui-ci était composé notamment de propane provenant d'une fuite du circuit d'alimentation en gaz de la chaudière qui équipait le studio depuis un mois. HOSSEIN aura été condamné par la cour d'appel de CHAMBÉRY (19 mai 2004), pour blessures involontaires, à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et au paiement de dommages- 39) Christophe WILLMANN, Le service gratuit, à la recherche de son contrat, RDSS 1999. 350. 40) Christophe RADÉ, Convention d'assistance bénévole : caractère cumulatif de la responsabilité de l'assisté et de l'assistant, Responsabilité civile et assurances n° 9, Septembre 2021, comm. 140 ; Cass. 1re civ., 5 mai 2021, n° 19-20.579. 17 La responsabilité de chacun pour sa générosité intérêts. Le chauffagiste bénévole, lui, n’aura pas été condamné. Car (n’ayant pas été informé du dysfonctionnement), il n’avait pas commis de faute (de négligence ou d’imprudence) présentant un lien de causalité certain avec le dommage. Il n’empêche que la question de l’efficacité de l’intervention bénévole du chauffagiste restait en suspens à l’égard de HOSSEIN. Ce dernier pouvait vouloir lui reprocher de l’avoir mal conseillé. Tant il est vrai que nous n’admettons plus de supporter seul le coup du sort (41). Mais vainement (42). Cela étant, le recours juridictionnel est parfois entrepris sans égard pour nos relations d’amitié, ou même de famille, ainsi que le montre le cas suivant. 13. – L’allumage du barbecue et la mise à feu du logis par l’invité. Dans une autre affaire plus ancienne (6 mai 1995), un certain ANDRÉ X s'était rendu chez son frère et sa belle sœur (les époux MICHEL X), pour une fête familiale (43). C’est lui, l’invité, qui aura pris l'initiative d'allumer le barbecue prévu. Malheureusement, s’en sera suivi un incendie ; l’incendie du pavillon. Comble de malheur, cette habitation n’était pas assurée (pour ce risque, au moment des faits). 41) La naissance de la mutualité (l’apparition des mutuelles) résulte de la « réunion d'un ensemble d'individus en vue de supporter en commun les coups du sort subis par quelques-uns » (Véronique NICOLAS, Société et mutuelle d’assurance, Répertoire des sociétés, MAJ 2021). L’assurance a une inspiration similaire. Mais alors les assurés ne sont pas propriétaires de la structure. Plus généralement : Frédéric ROLIN, Ne tirez pas sur le tirage au sort ! AJDA 2017. 1193. 42) Moussa THIOYE, L'obligation d'information et de conseil de l'agent immobilier n'est pas une panacée pour son client dépité, AJDI 2024. 395. 43) Cass. Civ. 2, 24 février 2005, 03-17.190, Inédit. 18 La générosité malheureuse de l’employeur Bien malgré eux, les époux MICHEL X se seront alors résignés à poursuivre leur parent ANDRÉ X en responsabilité civile. Heureusement pour lui, il était titulaire d’une assurance auprès de la MACIF. Néanmoins, cet assureur refusa d’indemniser les victimes, soutenant qu’une clause du contrat d’assurance excluait la garantie dans une pareille hypothèse. On y lisait effectivement que : « ne sont pas garantis les dommages causés aux biens y compris aux animaux dont l'assuré a la propriété, la garde ou l'usage, même lorsqu'ils lui sont confiés dans le cadre d'une activité bénévole ». En application de cette clause, la cour d’appel de Versailles (2 mai 2003) aura donné raison à la MACIF. D’après elle, le dommage était survenu dans le cadre d'un transfert de garde occasionnel. Un transfert qui résultait de l’intervention unilatérale et bénévole de M. ANDRÉ X (44). Pourtant, la Cour de cassation (24 février 2005) aura annulé l’arrêt versaillais. Pourquoi donc ? Parce qu’un tel transfert doit normalement découler de la volonté des gardiens actuels ; et non pas de la volonté unilatérale du premier venu (45). Il y a précisément un tel transfert de garde à l’occasion d’un prêt à usage. Ce sera même plutôt un transfert de propriété en cas de prêt de consommation (un mutuum), une catégorie juridique 44) Même s’il avait pris la précaution de lire son contrat d’assurance, l’intéressé n’aurait pas pour autant adapter son comportement (son accident) à la couverture dont il pouvait bénéficier. 45) Les choses tiennent souvent à très peu. En l’occurrence, l’attitude unilatérale de l’invité aura sauvé le patrimoine de ses hôtes. Heureusement qu’ils ne lui auront pas du tout demandé d’allumer ce fameux barbecue. 19 La responsabilité de chacun pour sa générosité dans laquelle ranger les avances sur salaires (46). Le problème est que l’objet transmis blessera peut-être autrui. 4. – La blessure causée par l’objet reçu Points traités : 14. – Des dommages-intérêts à l’emprunteur victime de l’objet emprunté. 15. – La subordination de l’indemnisation au silence coupable du prêteur. 16. – La responsabilité du bienfaiteur atténuée par l’État incitateur. 17. – Plan de l’étude. 14. – Des dommages-intérêts à l’emprunteur victime de l’objet emprunté. L’emprunteur se plaint parfois d’avoir reçu un cadeau empoisonné. Comme dit un auteur : « Il est de mauvais services d’amis (ou… de faux amis). L’article 1891 du code civil règle leur sort : le prêteur qui, sachant sa chose vicieuse (de façon cachée), n’en a pas fait état, a commis une défaillance contractuelle, mais seulement dans ce cas » (47). Dans une affaire parvenue jusqu’au Palais, CATHERINE Y montait une jument que lui avait prêtée LAURENCE X. Or, notre emprunteuse en aura perdu la maîtrise. Concrètement, après être parti au galop, le cheval se sera brusquement arrêté et l'aura projetée contre une clôture. Les blessures alors subies par la cavalière lui auront entraîné plus de trois mois 46) Marie ANGLADE, Avance sur salaire, JS 2019, n°194, p.47 : « Rien ne vous oblige à accéder à la demande de votre salarié. L'octroi d'une avance sur salaire est à la discrétion de l'employeur, qui est libre de l'accepter ou de la refuser, mais également d'en fixer le montant. Cependant, si vous décidez d'accorder cette avance, il vous faudra respecter certaines règles ». 47) Matthieu POUMARÈDE et Philippe le TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats / Chapitre 3383 - Responsabilité relative aux dommages causés par la chose prêtée, 2023/24. 20 La générosité malheureuse de l’employeur d'incapacité totale de travail. Au lieu de régler cette situation à l’amiable, ou bien devant le juge civil, la victime aura choisi de porter plainte, avec constitution de partie civile contre son amie LAURENCE X ; du chef de blessures involontaires (48). Mais le tribunal correctionnel n’aura prononcé ni peine d’amende, ni peine d’emprisonnement à l’encontre de la propriétaire de l’animal. Cette juridiction aura même refusé de condamner la bienfaitrice à payer des indemnités à la victime. Pourtant, la relaxe ou l’acquittement ne lavent pas forcément d’une éventuelle faute civile dès lors génératrice de dommages- intérêts (49). 15. – La subordination de l’indemnisation au silence coupable du prêteur. Ayant formé appel devant la cour d’appel d’Amiens, l’emprunteuse du cheval aura cependant obtenu gain de cause à propos de la demande d’indemnisation. Mieux, en attendant de savoir quel serait le dommage définitif, l’arrêt amiénois (23 mars 2001), aura exigé à l’auteure du prêt à usage le versement d’une indemnité provisionnelle de 1.000.000 de francs (près de 154.000 €). Mais ce fut alors au tour de la propriétaire de l’animal de saisir la juridiction supérieure, la Cour de cassation. 48) Les juristes répètent à l’envie que : « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ». Il faut en effet préférer les modes alternatifs de règlement des différends, parce que moins coûteux et plus rapides. Surtout, la transaction par exemple amène les litigants à s’entendre et à gagner tout en perdant un peu. Bien sûr, l’on ne peut transiger que sur les valeurs sur lesquelles l’on a une libre disposition (pas de crimes, et peu de délits). 49) André GIUDICELLI, La juridiction répressive peut, après avoir relaxé le prévenu du chef du délit de blessures involontaires, retenir sa responsabilité sur le fondement de l'article 1891 du code civil, RSC 2003. 128. 21 La responsabilité de chacun pour sa générosité À cette occasion, la chambre criminelle (17 septembre 2002) aura rappelé le principe applicable. À savoir que selon l'article 1891 du Code civil, lorsque la chose prêtée a des défauts qui causent des préjudices à celui qui s'en sert, le prêteur est responsable s'il connaissait les défauts et n'en aura pas averti l'emprunteur (50). Or, la prêteuse savait que l’animal était insuffisamment dressé et entraîné. En outre, il était craintif et pouvait avoir des réactions brutales et imprévisibles. Enfin, elle-même avait été victime d'une chute quelques semaines auparavant. Pour n’en avoir point parlé à la victime lors du prêt de la jument, la prévenue pouvait être déclarée entièrement responsable de la réparation civile ; malgré sa relaxe sur le plan pénal. Pour expliquer le texte ici appliqué, un auteur du 19ème siècle retenait come hypothèse (d’école) un prêt de cheval (51). À le croire : « L'article 1891 est l'expression d'une règle d'équité et d'un devoir de morale qui frappent par leur évidence. Quand l'emprunteur vient vous demander un service et que vous faîtes dégénérer ce service en une cause de dommage, vous commettez une trahison (...) (52). 50) F. SUPLISSON, Le dommage résultant d'une chute de cheval peut être sanctionné sur le fondement d'un défaut de la chose prêtée, JA 2003, n°271, p.7. 51) Par exemple : Pierre, qui a besoin d'un cheval pour faire une course obligée, s'adresse à Paul pour lui demander un cheval, et ce dernier, sachant que Pierre est un mauvais écuyer, choisit dans son écurie le cheval le plus fougueux. Il y a dans ce fait une lâche surprise ou une mauvaise plaisanterie » (TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l'ordre des articles du Code civil, T. XIV, Du prêt, Charles HINGRAY éd., 1845, p. 131). 52) Idem. 22 La générosité malheureuse de l’employeur 16. – La responsabilité du bienfaiteur atténuée par l’État incitateur. Bien entendu, la responsabilité du bienfaiteur s’impose avec plus d’évidence encore s’agissant d’un mutuum (un prêt de consommation). En particulier si l’opération porte sur des denrées comestibles. Car il faut éviter l’intoxication alimentaire à autrui. Sachant que tous les aliments ne disposent pas de DLC, de date limite de consommation. Au fond, sans doute un jour un problème de responsabilité surviendra-t-il de l’obligation désormais faite aux supermarchés de donner leurs invendus, plutôt que de les jeter ; l’on parle familièrement de loi anti-gaspi (53). L’idée est que l’heureux bénéficiaire des invendus pourrait en mourir, ou seulement en pâtir. Jusqu’à cette loi, les aliments (bientôt ou presque) périmés étaient enlevés des rayons, en direction des poubelles intérieures, puis extérieures. Ensuite, ils étaient aspergés de répulsifs (poudres ou liquides) afin d’empêcher leur récupération éventuelle. Or, un directeur de magasin aurait pu préférer les laisser récupérables par les nécessiteux. Auquel cas sa responsabilité pouvait être recherchée en cas d’intoxication ; même si certains supermarchés parlaient ici de vol (54). Le SDF ou ses ayants droit pourraient songer à la responsabilité administrative de l’État. Ce serait plus particulièrement une responsabilité sans faute : la responsabilité du fait des lois (55). 53) Corinne LEPAGE, La loi anti-gaspillage et d'économie circulaire, D. 2020. 1288. 54) Lucile COLLOT, Fin des condamnations pour vol de produits périmés dans les poubelles des supermarchés, D.A. 25 janvier 2016. 55) Par exemple : « responsabilité de l'État du fait des lois sur le fondement de l'égalité devant les charges publiques, la cour administrative d'appel de Paris innove » (B. SIBILLI, Responsabilité sans faute du fait des lois : action ouverte 23 La responsabilité de chacun pour sa générosité Au total, que l’indemnisation de la victime soit à la charge du supermarché, ou bien à la charge de l’État, ou à celle des deux à la fois, il apparaîtra qu’une bonne action peut se retourner contre son auteur. 17. – Plan de l’étude. En droit, la générosité est rarement forcée ; auquel cas il s’agirait plutôt de la solidarité (familiale, sociale, nationale). Les employeurs ont à leur actif divers bienfaits (dispensés à leurs salariés). Toutefois, il n’est pas rare que soit contesté le caractère altruiste de leurs gestes. Oui, l’on soupçonne une pincée de calcul dans les démarches apparemment généreuses des employeurs (Partie 1). Mais un pareil scepticisme ne finit-il pas alors en repoussoir de bonnes volontés ? La réponse positive s’impose. Surtout que certains des avantages ainsi concédés sont des motifs de procès contre l’employeur bienfaiteur (Partie 2). aux contribuables malgré l'exercice du recours devant le juge de l'impôt, Droit fiscal n° 11-12, 16 mars 2023, comm. 130). 24 Partie 1. – Le soupçon de calcul personnel chez l’employeur 18. – Le geste utilitariste plutôt que l’ineffectivité de parlotes. Les entreprises doivent donner des réponses pragmatiques aux préoccupations de leurs salariés. Or ces derniers souffrent en particulier de la « hausse des coûts des logements en centre-ville obligeant à s'éloigner toujours plus de son lieu de travail » (56). Il convient par conséquent, soit de les aider à s’y rendre sans encombre, soit de les aider à se loger à proximité du travail (57). Le cas échéant, de pareilles décisions d’héberger ou de véhiculer son personnel relèvent-elles d’une bienfaisance de l’employeur, ou plutôt d’un calcul bien compris de ses propres intérêts ? D’autant plus que cette prise en charge n’est pas toujours simplement ponctuelle ; elle peut effectivement perdurer. Au fond, la réponse à la question paraît être dans cette question elle-même ; ainsi que l’écrivait POTHIER (58). 56) Françoise SCHOENBERGER, Directrice des Relations sociales France- L'Oréal, Temps et lieu de la vie personnelle, temps et lieu de la vie professionnelle, Droit social 2010 p.31. 57) La pénurie de logement à proximité des lieux de travail est une situation à laquelle le 1 % Logement devait contribuer à remédier. Mais ce fonds, d’ailleurs intégralement financé par les entreprises, serait « sans retour pour elles » (Françoise SCHOEnberger, préc.). 58) Selon ce juge (et enseignant) l’on ne saurait par exemple parler de bienfaisance (désintéressée) à propos de l’agriculteur qui, chaque jour, gaverait consciencieusement ses oies, afin de les engraisser. Car il est en réalité mû par un calcul : obtenir du foie gras dont il tirera un bon prix. À savoir : Pothier (est avec La Fayette) le Français le plus populaire aux USA ; 25 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel Néanmoins, une démonstration ne sera peut-être pas superflue dans les lignes qui suivent (A.). En tout état de cause, les avantages concédés par l’employeur constituent le prétexte de procès qu’il devra affronter. En faire l’exégèse semble une démarche instructive pour soi-même et, éventuellement, utile à autrui (B.). A. – La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel 19. – L’aplanissement des difficultés du personnel dans la mesure possible. En mi-décembre 2019, d’ailleurs comme en cette année 2024 aussi (l’on ne sait plus trop pourquoi !), les syndicats avaient promis une ‘’grève dure’’ dans tout le pays ; en vue de faire reculer le Gouvernement (59). Mais comme les grèves sont davantage suivies par les médias lorsqu’elles ont lieu en région parisienne, l’AP-HP aura adopté avec davantage d’entrain des mesures palliatives en faveur de son personnel potentiellement empêché de circuler. Concrètement : « outre le covoiturage, c'est une dizaine de lignes de bus et du vélo partagé mais aussi l'hébergement sur place voire en hôtel, le télétravail, la gratuité des dépassements d'horaires en crèche, etc. » (60). Comme l’AP-HP ne peut héberger ses 100.000 agents publics (et nul employeur comparable non plus), de sorte que son buste orne l’entrée du CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE, à l’instar de ceux de leurs propres ‘’pères fondateurs’’. 59) Thomas COUSTET, Retraites : 80 % des barreaux en grève, DA 8 janvier 2020 ; Marie-Christine de MONTECLER, Réforme des retraites : les projets de loi sur les rails, AJDA 2020. 196. 60) Thomas QUÉGUINER, https://abonnes.hospimedia.fr/articles/20191203- dialogue-social-l-ap-hp-veut-parer-la. 26 La générosité malheureuse de l’employeur l’attribution des logements est forcément conditionnelle. En revanche, la difficulté est moins grande s’agissant de la prise en charge du transport des salariés. Concernant celui-ci, la discussion (sinon la dispute) se limitera souvent à ses modalités préférables. 1. – L’attribution conditionnelle du logement au travailleur Points traités : 20. – Un DALO pour le travailleur en vertu d’un texte spécifique. 21. – Les trois titres possibles d’occupation d’un logement de service. 22. – La vérification du droit prétendu à un logement de l’employeur. 23. – La confiance nécessaire à la cohabitation employeur-employé. 24. – L’occupation personnelle du logement et l’hébergement d’un tiers. 20. – Un DALO pour le travailleur en vertu d’un texte spécifique Il n’existe pas de disposition de portée générale qui oblige l’employeur à offrir un logement à son personnel (61). Ce constat est plus vrai encore dans le secteur privé ; hors conciergerie. En clair, « cette obligation ne peut donc résulter pour lui que de dispositions particulières de la convention collective applicable, d'un accord d'entreprise, du contrat individuel de travail » (62). Relativement aux agents publics, l’on consultera les textes réglementaires idoines. 61) Il faut néanmoins noter que les employeurs financent le 1 % logement. C’est la portion de leur masse salarial à verser à l’autorité publique afin qu’elle construise des logements dans lesquels les travailleurs pourraient habiter. De ce point de vue, c’est pour l’employeur une obligation de loger son personnel. 62) Marc RICHEVAUX, Fasc. 18-28 : LOGEMENT DE FONCTION, JurisClasseur Travail Traité, 25 Mars 2011. Cet auteur ajoute qu’un usage 27 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel Une illustration de l’obligation contractuelle de logement est offerte par ce motif d’un arrêt de la Cour de cassation (19 décembre 2007). Il approuve la cour d'appel de Versailles (30 mai 2006) d’avoir retenu « que les frais inhérents au séjour à l'étranger du salarié étaient remboursés par des avantages en nature tels que la mise à disposition d'un logement de fonction » (63). 21. – Les trois titres possibles d’occupation d’un logement de service. Quand un fonctionnaire (ou un agent contractuel) peut-il occuper un logement de service ? Trois hypothèses transparaissent des textes. Tout d’abord, le Code du domaine de l’État envisage la nécessite absolue de service et, d’un autre côté, l’utilité de service (64). Dans le premier cas de figure, « l'agent ne peut accomplir normalement son service sans être logé dans les bâtiments où il doit exercer ses fonctions ». Dans le second, « sans être absolument nécessaire à l'exercice de la fonction, le logement présente un intérêt certain pour la bonne marche du service ». En troisième lieu, il y a la mise à disposition du logement public dans le cadre d’une concession, laquelle avoisine vaguement le bail de droit privé. En tous cas, selon un décret du 14 mars 1986, dès lors que les besoins en logement inhérents à la nécessité ou à l'utilité du service ont été satisfaits, les logements encore vacants sont attribuables à d’autres agents publics ; « en raison de leurs fonctions ». On ne parlera pas ici de bail, car celui-ci emporte normalement un cortège d’obligations pour le propriétaire, et pourrait aussi avoir intégré l'occupation des lieux dans le contrat de travail (CA Paris, ch. 18, sect. C, 7 mai 2008). 63) Cass. Soc., 19 décembre 2007, n° de pourvoi : 06-44258, Non publié au bulletin. 64) Code du domaine de l’État, article R94. 28 La générosité malheureuse de l’employeur de nombreux droits pour le preneur (65). Au demeurant, le décret précise (comme à l’ordinaire) qu’il s’agit alors de « conventions d'occupation précaire de ces logements » (66). 22. – La vérification du droit prétendu à un logement de l’employeur. Il y a une soixantaine d’années, la Cour de cassation avait rendu une décision obligeant à rechercher (dans le contrat de travail) l’obligation de logement prétendue. En l’espèce, la salariée avait travaillé pendant neuf mois sans être logée par son employeur. Pour sa défense, ce dernier affirmait qu’une chambre se trouvait bel et bien à la disposition de la salariée. Or celle-ci aurait préféré se loger à l’extérieur. Mais la demanderesse soutenait au contraire que, lorsqu’elle avait été embauchée, son hébergement était exclu du fait que l’appartement ne comportait pas de chambre de bonne. Car la configuration de l’appartement interdisait d’y songer. Aussi avait-elle dû prendre un logement à ses frais. Certes, parfois, elle dormait dans l’appartement de travail. Dans ces conditions, (en) se fondant sur deux lois du début du 19ème siècle, la Cour de cassation aura cassé le jugement. Car les conseillers prud’hommes avaient manqué de vérifier si l’obligation mise à la charge de l’employeur (de loger son 65) Au contraire, il y a une certaine précarité pour le cocontractant de l’Administration. Dans le même esprit, il y une impossibilité de l’usucapion sur le bien immobilier d’une personne publique. On s’étonnera en conséquence de l’institution (en 2014, loi PINEL) d’une sorte de propriété commerciale (droit au bail) au profit des kiosquiers, des tenanciers de friteries, et d’autres détenteurs de stands sur une dépendance du domaine public. Car la précarité reflue nettement en l’hypothèse. 66) C’est l'article 12 de ce décret relatif aux concessions de logement accordées aux personnels de l'État dans les établissements publics locaux d'enseignement. 29 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel employée) résultait, soit de la convention des parties, soit de toute autre disposition (67). On peut lire à cet égard dans une convention collective que « le contrat de travail peut prévoir l'attribution d'un logement de fonction lorsque le salarié est classé catégorie A [gardien temps complet]. Il est obligatoire lorsque le salarié est classé catégorie B [concierge] » (68). 23. – La confiance nécessaire à la cohabitation employeur-employé. Le logement du travailleur par son employeur prend parfois la forme d’une cohabitation. Dans ces circonstances, peut-être cet employé sera-t-il imaginé comme un ‘’homme à tout faire’’. Encore que ce soit une polyvalence professionnelle qui n’est pas toujours vécue comme une qualité enviable (69). Ce sera généralement un employé de maison, logé chez soi (70). Il ne sera pas en l’occurrence question de rêver d’un esclave à soi ; et moins encore d’un esclave sexuel. Certes, le huis clos dans 67) Cass. Soc., 5 mai 1964, Bull. civ. 1964, IV, n ° 362. L’annulation du jugement a été décidée au visa de l’article 1134 du Code civil et de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810. 68) Convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d'immeubles (réécrite par l'avenant n° 74 du 27 avril 2009 portant modification de la convention), art. 20. 69) Il est arrivé qu’un salarié saisisse la justice pour se plaindre « d’avoir été affecté à des travaux subalternes relevant de fonctions d’homme à tout faire ou de concierge privé au service des dirigeants de l’entreprise » (Stéphane PRIEUR, L'approche judiciaire du bore-out, ou quand l'ennui au travail nuit à la santé et au contrat de travail, Gaz. Pal. 28 juill. 2020, n° 382v8, p. 26). 70) Une définition des employés de maison est donnée par l’article L7221-1 du Code du travail. Elle inspire celle contenue dans la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 (art. 1er), ainsi que celle retenue par l’ACOSS. 30 La générosité malheureuse de l’employeur lequel l’employeur et l’employé s’enferment laisse libre cours à l’imagination. Seront notamment à redouter le droit de cuissage, le viol, et l’immixtion dans la vie privée d’autrui. L’on comprend alors sans peine qu’une loi (du 22 janvier 1851) ait prévu que les patrons célibataires ou veufs ne pouvaient loger de jeunes filles mineures comme apprenties (71). Hélas, l’actualité aura révélé, à l’inverse, le cas du nageur hébergé, qui sera devenu l’agresseur sexuel de l’enfant de la maison (72). À l’évidence, il faut une pleine confiance entre les protagonistes, puisque les intérêts en jeu ne sont pas seulement patrimoniaux. Mieux, la relation est surtout personnelle lorsque le travailleur s’installe en la demeure de l’employeur. Certes, le travailleur logera en général dans une dépendance. 24. – L’occupation personnelle du logement et l’hébergement d’un tiers. Selon toute vraisemblance, le logement reçu doit vraiment être occupé ; et par le bénéficiaire lui-même. Une ministre (peut- être pas trop catholique) aura été quasiment crucifiée parce qu’elle « hébergeait "occasionnellement" des membres de sa famille dans un logement de fonction d'un quartier huppé de Paris » (73). 71) Maître P. MIRODE, Les Codes français vulgarisés, Librairie contemporaine, 1891, p. 623. 72) Anaïs COIGNAC, Céline Lasek, la relève pénale discrète, D.A. 25 novembre 2024. De façon convenue, son avocate dénonce des ‘’calomnies’’, une ‘’présentation des faits partielle et biaisée’’, ainsi qu’une défense ‘’par médias interposés’’. 73) https://www.lefigaro.fr/politique/2010/06/02/01002- 20100602ARTFIG00357-le-logement-de-fonction-d-amara-profite-a-ses- proches.php; https://www.lemonde.fr/politique/article/2010/06/02/fadela- 31 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel Cette critique contient à l’évidence une dose de ressentiment psychologique ou politique. Au reste, l’indifférence aurait couvert ce prêt de logement ministériel si celui-ci avait été situé dans une banlieue, ou bien dans un quartier mal famé de Paris. Mais là, dans un aussi beau quartier ! Comme diraient les jeunes : « y a de l’abus ». Cela étant une mésaventure comparable sera arrivée à propos d’un logement plus modeste. Comme l’on sait, tout instituteur est titulaire d’un droit au logement à la charge de sa commune d’affectation (74). Dans un contentieux jugé par le Conseil d’État, à la suite de vicissitudes matrimoniales, l’instituteur DESESSARD avait demandé à pouvoir de nouveau disposer du logement convenable que, douze années auparavant, il avait quitté volontairement (75). Or il ne comptait pas l'occuper personnellement. En conséquence, lui aura rétorqué le Conseil, il n’était pas « pas fondé à soutenir que les décisions par lesquelles le maire et le conseil municipal de CHAUFFRY lui ont dénié tout droit à ce logement ou à l'indemnité représentative sont entachées d'illégalité ». Si la transmission de l’avantage patronale pourrait se défendre en amara-admet-heberger-son-frere-dans-un-logement-de- fonction_1366428_823448.html. 74) Dispositions combinées des lois des 30 octobre 1886 et 19 juillet 1889. 75) Le terme instituteur est ici anachronique, car il convient désormais de parler de professeur des écoles, les enseignants du primaire étant dorénavant recrutés au niveau Bac+5, comme les professeurs des lycées et collèges. D’un autre côté, dans la responsabilité pour autrui du Code civil, le terme instituteur englobe l’ensemble de la communauté éducative. Leur employeur (l’État) répond directement à leur place des dommages qu’ils auront provoqués dans leurs fonctions. 32 La générosité malheureuse de l’employeur matière de logement, ce n’est certainement pas le cas en matière de transport de son personnel par l’employeur (76). 2. – Les modalités d’accomplissement de l’offre de transport Points traités : 25. – Les raisons de la distance entre le domicile et le travail. 26. – Le choix entre la voiture personnelle et les transports en commun. 27. – Les raisons d’assurer le transport de son personnel. 28. – Un transport par soi-même ou par un partenaire. 25. – Les raisons de la distance entre le domicile et le travail. Les travailleurs logent rarement à proximité immédiate de leur lieu habituel de travail. À ce sujet, c’est au centre-ville que se situent : les administrations ; les hôpitaux ; les sièges sociaux ; voire les usines (trop souvent rattrapées par l’extension de la ville). Les travailleurs de ces structures n’habitent pas alentour parce qu’ils élisent domicile à des kilomètres. De sorte que la question de leurs moyens de locomotion se pose presque parallèlement à celle de leurs lieux d’habitation. En pratique, ils doivent voguer (galérer) de l’un à l’autre lieu ; au gré des caprices de la nature et de la météo sociale (77). Compte tenu des prévisibles difficultés de transport, alors des retards et des absences au travail sont envisageables de leur part. 76) Camille DREVEAU, Le bail d'habitation à l'épreuve de la solidarité familiale entre les générations, AJ fam. 2018. 446. 77) En 2016, « la météo sociale est plutôt ensoleillée pour les entreprises et orageuse pour les salariés » (Daniel BOULMIER, À l'exception des secours, les avantages servis par un comité d'entreprise sont soumis à cotisations et contributions sociales, Droit social 2016. 872). 33 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel Selon une magistrate (éclairée par diverses études), le déplacement entre le domicile et le lieu du travail constituerait la cause essentielle de stress pour les travailleurs de l’Île-de-France (78). Plus généralement, il existe un besoin impérieux de se déplacer dans certaines professions, lesquelles exigent d’aller par monts et par vaux. L’on indiquera ici les livreurs ; les VRP ; les réparateurs ; les techniciens de surface ; les ouvriers du BTP. Dans ces cas-là, l’employeur opte souvent pour une mise à disposition d’un véhicule de service ; à ne pas confondre avec le véhicule de fonction, lequel est par ailleurs utilisable pour des besoins personnels et/ou familiaux (79). Ou bien, il s’astreint à faire déposer les salariés concernés chez les clients auprès de qui œuvrer. Certes, grâce à la démocratisation de la voiture personnelle, l’employeur pourrait plutôt opter pour le remboursement des frais professionnels de tels salariés (principalement le carburant et l’usure du véhicule personnel). Deux explications contradictoires (ou complémentaires) justifient l’éloignement entre les deux pôles géographiques de la vie des travailleurs. D’une part, les salariés ou les fonctionnaires concernés sont rémunérés trop chichement pour s’offrir le moindre logement à proximité de leur site d’activité professionnelle. 78) Laurence PÉCAUT-RIVOLIER, Travail à domicile, télétravail : une réponse adaptée à la question de la conciliation vie professionnelle/vie familiale ? AJ Famille 2013 p.212. Effectivement, les travailleurs de la région parisienne circulent en transport en commun ; après s’être préalablement rendu à une gare, tantôt à pied, à vélo, en trottinette, tantôt au moyen d’un véhicule automobile. 79) Christian GAMALEU KAMENI, Précisions sur les conditions d'utilisation d'un véhicule de fonction dans le cadre du covoiturage, LPA 21 janv. 2019, n° 141x2, p. 8. 34 La générosité malheureuse de l’employeur D’autre part, ces travailleurs décident de prendre du champ pour s’offrir un pavillon (80). Celui-ci est une habitation plutôt spacieuse et environnée de verdure (81). Dans les années 1950, les USA auront les premiers démontré que l’on pouvait dépenser moins en devenant propriétaire en banlieue, plutôt qu’en demeurant (simple) locataire en plein centre-ville. 26. – Le choix entre la voiture personnelle et les transports en commun. Une fois que les travailleurs ont réussi à satisfaire le besoin de logement décent et bon marché, il leur faut (pouvoir) se rendre quotidiennement au travail. Dans cette optique, ils acquièrent une voiture plus ou moins polluante et s’obligent à une épuisante transhumance ; le matin puis le soir. Du point de vue écologique, l’usage par chacun d’une voiture personnelle pour aller et revenir tout seul se révèle (désormais moralement) condamnable. Cependant, en cas d’organisation du travail en trois-huit, ou en cas d’horaires postés, la mobilité automobile en solitaire s’impose 80) La France se veut être un peuple de propriétaire. Ce serait une question d’enracinement pas rapport à l’étranger sans terroir ou au Français cosmopolite. Il n’empêche que c’est dès lors un frein à la mobilité professionnelle. Oui, il y a une mobilité entravée du demandeur d’emploi déjà propriétaire immobilier (comparativement aux Américains). 81) Comme il s’agit alors d’une maison individuelle et que beaucoup en désirent, la consommation de surface est plus grande que si les logements étaient superposés (dans un immeuble à étages). C’est le phénomène de l’étalement urbain. Selon deux auteurs, « Pour lutter contre l'étalement urbain induit par ce choix, certains promoteurs développent de nouvelles formes de logements intégrant une réponse verte sous forme de ‘’gradins jardins’’. Chaque appartement bénéficie d'une large terrasse faisant office de petit jardin. L'attrait principal de cette innovation architecturale réside dans la conservation des bienfaits du centre-ville » (Christophe SARDOT et Antoine TEITGEN, La végétalisation de la ville et de ses immeubles, Construction - Urbanisme n° 3, Mars 2018, étude 3). 35 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel derechef. Malgré un soupçon de climato-scepticisme ou d’égoïsme (82). Leur excuse est qu’ils commencent ou terminent leur journée de travail à un moment où les transports publics ne fonctionnent pas, dans les agglomérations qui en proposent. En vérité, beaucoup de salariés ne disposent pas de véhicule personnel. Pourquoi ? Parce qu’ils n’entendent pas souscrire de crédit en vue de l’acquérir, de l’assurer, d’y mettre du carburant, ou de l’entretenir. En conséquence (et sauf à marcher), ils se rabattent vers les transports en commun (83). Malheureusement, ces moyens collectifs de déplacement (bus, cars, métros ou tramways) sont fréquemment bondés. En outre, ils sont parfois irréguliers. Une irrégularité qui ne résulte pas forcément du mauvais entretien du matériel utilisé. L’explication habituelle est que ces véhicules souffrent de l’incivisme d’usagers désireux de tromper leur ennui, ainsi que d’autres usagers bien déterminés à nuire à autrui. Par exemple, certains d’entre eux empêchent la fermeture des portes du métro ou du bus ; d’autres actionnent intempestivement la manette 82) « La préoccupation climatique, notamment, fait progresser la place de la protection de l’environnement en droit du travail, et spécialement au niveau de l’entreprise. Dans les rapports collectifs, est constaté un ‘’verdissement du dialogue social’’ car se négocient, au sein d’accords collectifs d’entreprise, des mesures alliant considérations professionnelles et considérations environnementales » (Audrey MARTINEZ, Quelques clauses conventionnelles environnementales : illustrations utiles dans la perspective de la loi Climat, GPL 8 mars 2022, n° GPL433a7). 83) Dans certaines localités, ceux-ci ont des voies réservées qui les préservent des embouteillages. Dès lors, le salarié ne redoutera pas d’arriver en retard à son travail. De même, il ne perdra pas non plus de temps (le soir) pour regagner son logis. 36 La générosité malheureuse de l’employeur d’alarme ; d’autres encore agressent même physiquement les conducteurs (84). Dès lors, pour la sérénité des voyageurs, depuis 2016, une loi sur les incivilités autorise les agents de sureté de la SNCF et de la RATP (y compris en civil) à procéder aux palpations de sécurité et aux fouilles de bagages qu’ils jugent opportuns (85). Enfin, quelques retards s’expliquent par la nécessité d’arrêter le train afin de récupérer (mort ou vif) un suicidaire gisant sur la voie ferrée. Le cas échéant, l’on recourt très pudiquement à l’euphémisme « d’incident voyageur ». 27. – Les raisons d’assurer le transport de son personnel. Les divers aléas des transports en commun conduisent des employeurs à affréter un véhicule de ramassage de leurs personnels (86). Lors de la grève contre la réforme des retraites (fin 2019) des mesures palliatives avaient été prises par l’AP- HP (l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris). Celui-ci 84) En réaction, les victimes et leurs collègues solidaires font jouer leur droit de retrait (et non pas leur droit de grève). Ils sont donc payés pour un arrêt de travail justifié par un danger qui n’est plus du tout grave ou imminent (puisque situé dans le passé). Il n’empêche que dans une affaire il a été jugé que : « les enseignants ont abusé du droit de retrait, mais l’insécurité qui sévit dans le lycée leur cause un préjudice moral dont l’État est responsable » (Tribunal administratif de Melun, 13 juillet 2012, n° 1004142/11 1005262/11). 85) La loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, article 4. 86) Les transports publics (destinés à tous) conviennent rarement aux attentes spécifiques d’une entreprise. Plusieurs défauts sont prêtés aux transports publics ; d’ailleurs peut-être assurés (en vertu d’une délégation), par une entreprise commerciale. 37 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel représente le plus important employeur de France : 100.000 agents (87). Pour conjurer les perturbations promises de la circulation des métros et des bus, cet employeur se sera entendu avec une plateforme (KAROS) afin que celle-ci orchestrât le covoiturage au profit de ses médecins, infirmières et autres personnels. En outre, un opérateur de transports collectifs (TRANSDEV) aura été sollicité pour ouvrir une douzaine de lignes de bus en leur faveur, entre leurs villes de résidence et leurs hôpitaux d’affectation (88). Selon toute vraisemblance, de pareilles initiatives ne sont point concevable de la part d’un employeur de moindre envergure (89). D’ailleurs, une étude a autrefois révélé que les petits employeurs se préoccupaient passablement du transport de leur personnel (90) ; sans doute par manque de moyens (91). 87) Certes, le ministère de l’enseignement Supérieur et celui de l’enseignement Scolaire regroupent des millions d’enseignants. Néanmoins, ces ministères agrègent des établissements d’enseignement qui sont des personnes morales (de droit public). Ils doivent pouvoir compter pour eux- mêmes. 88) Thomas QUÉGUINER, https://abonnes.hospimedia.fr/articles/20191203- dialogue-social-l-ap-hp-veut-parer-la. 89) De fait, il avait aussi songé à la mise à disposition de parkings (privés ou publics), ainsi qu’au remboursement des parkings utilisés à proximité de l’hôpital. Et, sur présentation d’un justificatif, la location d’un vélo pouvait être remboursée (Thomas QUÉGUINER, https://abonnes.hospimedia.fr/articles/20191203-dialogue-social-l-ap-hp-veut- parer-la). 90) L’effectif total de l’étude était de 15765 salariés, dont seulement 2 % étaient dans des entreprises de moins de 50 salariés. 91) http://temis.documentation.developpement- durable.gouv.fr/docs/Temis/0004/Temis-0004973/5512.pdf. L’étude permet de 38 La générosité malheureuse de l’employeur Déjà, les employeurs dont l’effectif allait de 50 à 99 salariés étaient 13 % à offrir cet avantage. Or la prise en charge des dessertes concernait déjà le double d’entreprises (environ 27 %), quand la population de salariés allait de 100 à 499. Au-delà (grandes entreprises), c’est presque la moitié des employeurs qui transportaient leur personnel (47 %) ; tandis que les entreprises comptant plus de 1000 salariés étaient 53 % à offrir la mobilité recherchée. De fait, les auteurs de l’étude concluaient que « le pourcentage des entreprises organisant un ramassage est directement fonction de l’effectif salarié » (92). 28. – Un transport par soi-même ou par un partenaire. Plus l’effectif est important, moins l’employeur peut lui-même se charger du transport de son personnel. Au demeurant, l’externalisation des fonctions (des activités) économiques est une tendance qui conduit divers opérateurs à se (re)centrer chacun sur son cœur de métier (93). Oui, les conglomérats (avec une intégration verticale ou horizontale) disparaissent. Même les administrations cèdent aux sirènes de la déconcentration ; vers le secteur privé (94). se rendre compte de ce que le plus grand nombre d’entreprises (1056 sur 2194) comptait de 10 à 20 salariés ; le ramassage du personnel y était assuré par 1,7 % de ces petites entreprises. C’était 2,2 % dans les entreprises de 20 à 30 salariés ; et 9,6 % pour les entreprises dont l’effectif était compris entre 30 à 49 salariés. 92) BOIS, CLÉMENT, GÉRARDIN et VALÈRE, Le ramassage ouvrier dans le département de l’Isère, 1978, http://temis.documentation.developpement- durable.gouv.fr/docs/Temis/0004/Temis-0004973/5512.pdf. 93) Gérard COUTURIER, L'article L. 122-12 du Code du travail [abrogé en 2008] et les pratiques d'’’externalisation’’, Droit social 2000. 845. 94) Jean-David DREYFUS, Externalisation et liberté d'organisation du service, D.A. 15 septembre 2009. 39 La volonté patronale de loger ou de transporter le personnel Cela dit, au cours de ce premier quart du 21ème siècle, des sociétés de transport auront pris l’habitude de démarcher les employeurs pour que ces derniers songeassent à offrir à leurs collaborateurs le trajet domicile-travail en cars privés. Voici la réclame de ces prestataires de service : « Vos bureaux sont excentrés et les transports en commun font défaut ? Vous souhaitez faciliter le transport de vos employés et améliorer leurs conditions de travail ? » (95). Une seconde conséquence heureuse (écologique celle-là) d’un recours à ces prestataires est avancée par leur publicité (96). En tous cas, contre un forfait mensuel (en clair un abonnement), l’employeur cocontractant bénéficiera d’autant de rotations que nécessaires dans la journée. Les véhicules utilisés en l’occurrence étant des minibus (et non pas des bus), la grande fréquence des rotations apparait vraisemblable. Naturellement, cette souplesse convient à l’employeur et satisfait les salariés (97). 95) Société parisienne Chabé (créé en 1921), https://www.chabe.fr/service/transport-de-personnel-navettes. 96) Il vrai que si plusieurs personnes utilisent un véhicule unique pour se déplacer tous ensemble, leur déplacement oblige à utiliser moins de carburant, et son émission de C02 est moindre que de la part de plusieurs véhicules en circulation. De plus, alors que chaque salarié n’est pas rompu à l’éco-conduite, le chauffeur professionnel du car le sera en principe. 97) L’abonnement peut aller jusqu’à une affectation permanente de chauffeurs pour les lignes desservant l’entreprise cliente. Une connaissance réciproque, entre ceux-ci et les salariés, aidera à offrir une prestation de mieux en mieux adaptée aux besoins de ces derniers. Mieux, dit une autre offre, « nous pourrons personnaliser les véhicules à votre image pour en faire un véritable outil de communication » (Société parisienne Chabé (créé en 1921), https://www.chabe.fr/service/transport-de-personnel-navettes). 40 La générosité malheureuse de l’employeur D’ailleurs, ces derniers ont accès au planning des tournées sur un site internet dédié. Encore une fois, cette démarche patronale n’est pas nouvelle. On pouvait autrefois la relier à du paternalisme et/ou à un calcul utilitariste de l’employeur. 41 B. – La confusion entre calcul et paternalisme de l’employeur 29. – Une approche moins cupide et plus sociale de la société. Dès le Code civil originel, il avait été proclamé que les fondateurs d’une société visent la réalisation de bénéfices ou bien, à minima, des économies. Néanmoins, la doctrine a pu donner de la société une vision moins ou lucrative ou cupide (98). Les humains qui font vivre une entreprise doivent ainsi compter dans ses politiques et stratégies. Se profile ainsi une dimension sociale, quoique la participation à l’allemande n’ait jamais vraiment émergé chez nous (99). Il n’empêche que l’employeur se préoccupe volontiers des difficultés empêchant ses salariés de constituer un meilleur personnel. La démarche est alors gagnant-gagnant (win-win), comme l’on dans le monde des affaires (100). C’est vrai que l’avantage n’est pas toujours complètement gratuit ; surtout en matière de logement. Effectivement, une participation financière peut être attendue du travailleur. 1. – L’intérêt de l’employeur et du salarié logé ou véhiculé Points traités : 30. – La récurrence des problèmes de logement des travailleurs. 31. – À la recherche de l’intérêt du dispensateur du 98) Jacques DEFOURNY et Marthe NYSSENS, La percée de l'entrepreneuriat social : clarifications conceptuelles, JA 2011, n°436, p.19. 99) Benjamin DABOSVILLE, La négociation collective, instrument de justice sociale ? Perspective de droit allemand, Droit social 2024. 793. 100) Raphaël COIN, Vers un élargissement d'une relation de confiance modernisée : une approche gagnant-gagnant de la vérification des entreprises, Droit fiscal n° 4, 25 janvier 2018, 137. 42 La générosité malheureuse de l’employeur logement. 32. – Le reflux de la fatigué chez les salariés véhiculés et leur gain de temps. 33. – La relativisation de l’apport de l’employeur logeur ou transporteur de son personnel. 34. – Le point sur les intérêts de l’employeur transporteur de son personnel. 35. – Le regard patronal autrefois sur la vie privée de salariés infantilisés. 30. – La récurrence des problèmes de logement des travailleurs La pauvreté a longtemps poussé à l’exode rural. Ou bien les parents se contentaient d’envoyer leurs enfants au travail ; très loin de la masure familiale. La perspective de leur salaire même faible était la bienvenue pour le foyer désargenté (101). Cette préoccupation financière reléguait habituellement à l’arrière- plan les éventuelles souffrances physiques ou psychologiques de la progéniture (en définitive) serviable et corvéable à merci. Les jeunes filles trimaient à l’hôpital, et les plus malchanceuses plutôt à l’usine (102). Un siècle plus tôt, certaines avaient pensé opportun de fuir l’hôpital pour la Nouvelle-France, le Québec (103). Les garçonnets ne connaissaient pas un sort plus 101) Il fut ainsi une époque où la pauvreté, et donc l’insuffisance de biens matériels, obligeait les gens à tricoter leurs pulls et à repriser des chaussettes. Certes, les hardes portées pendant la semaine cédaient leur place aux (beaux) habits du dimanche. Pour pallier ce problème et pour rendre leurs personnels présentables, les employeurs offraient des tenues de travail. Chaque profession et chaque employeur se caractérisaient par un uniforme spécifique (Clotaire MOULOUNGUI, Management des tenues de travail, L’Harmattan, 2006). 102) Sophie DIVAY, « Les précaires du care ou les évolutions de la gestion de l'« absentéisme » dans un hôpital local », Sociétés contemporaines 2010/1 (n° 77), p. 87-109. DOI 10.3917/soco.077.0087. 103) Certes l’hôpital constituait entre autres l’orphelinat et l’asile pour vieillards. Cf. Gérard MALCHELOSSE, L'immigration des filles de la Nouvelle- France au XVIIe siècle, Les Cahiers des Dix, Numéro 15, 1950. 43 La confusion entre calcul et paternalisme de l’employeur enviable : garçons de ferme ; mousses dans un navire ; tambours dans un régiment militaire. La promiscuité faisait partie intégrante de la condition de ces divers personnels. Dès lors, ces travailleurs déracinés de leurs campagnes étaient particulièrement heureux d’être logés par l’employeur (104). Un rapport officiel du début du siècle dernier se figurait que : « En ce qui concerne l'absentéisme dû à l'éloignement de la mine du domicile de l'ouvrier, il n'est pas douteux que la provision systématique de logements ouvriers situés à proximité de la houillère contribuerait grandement à la réduire, en même temps qu'elle restreindrait aussi les mutations [turn over] du personnel » (105). 31. – À la recherche de l’intérêt du dispensateur du logement. En offrant un logement, l’employeur compatissant se rend aussi service à lui-même, puisque l’absentéisme et le turnover sont préjudiciables aux affaires. Cette observation vaut d’ailleurs également à l’égard des employeurs dont la quête du profit n’est point la raison d’être (106). 104) La vie privée est une invention récente, et peut-être la pudeur aussi. On se rappellera que le roi de France déféquait en public (sur son trône) et que ses excréments étaient montrés pour attester de sa bonne santé. D’un autre côté, des concours de pets étaient pratiqués même dans la noblesse. 105) The Ministry of labour Gazette, Les causes d'absentéisme parmi le personnel des houillères [en Grande-Bretagne], Revue de l'industrie minérale / publiée par la Société de l'industrie minérale, mars 1929 (traduction du numéro de septembre 1928). 106) Cela paraît aller de soi lorsque l’employeur est une personne morale de droit public (réserve faite des SPIC ou EPIC ou entreprises publiques). La majorité des personnes morales de droit privé (associations, fondations, 44 La générosité malheureuse de l’employeur Depuis plusieurs années, lors des épisodes de neige, l’AP-HP prévoit un programme d’hébergement (sur place) au profit de son personnel (107). La démarche est d’autant plus facile pour cet employeur que ses hôpitaux ne manquent pas de lits hospitaliers ; au sens de meubles meublant. Le public se laisse souvent abuser par des médias digérant mal cette information sur les lits (108). En fait, si dans un contrat synallagmatique (bilatéral) chacune des parties contractantes recherche un avantage, dans un contrat unilatéral (ou de bienfaisance) seule l’une des deux arbore cette visée ; l’autre intervient gratuitement. Certes, la pratique aura fini par révéler que ce bienfaiteur apparent caresse parfois l’espoir d’une satisfaction personnelle ; serait-ce morale (109). Alors, le contrat unilatéral se mue quasiment en une relation d’intérêt commun. Précisément, l’employeur aide-t-il ses salariés à se loger ou à se déplacer par pur altruisme, ou bien songe-t-il cumulativement à son propre intérêt ? La question relève incontestablement de la morale ou de la philosophie. Plus banalement, la situation syndicats, partis politiques) s’adonnent à des activités sans but lucratif. Même si, ponctuellement, l’on découvre chez eux quelques actes de commerce. 107) Thomas QUÉGUINER, https://abonnes.hospimedia.fr/articles/20191203- dialogue-social-l-ap-hp-veut-parer-la. 108) Au sens hospitalier du terme, le lit est l’ensemble des soignants nécessaires à la prise en charge du malade qui y dormirait. 109) Dans le cadre de l’esclavage moderne, « la soustraction du passeport rend explicite le fait que les bons traitements prodigués et les prêts d'argent ont pour contrepartie l'obligation de travailler pour les prétendus bienfaiteurs. Or ces derniers vont décider unilatéralement d'utiliser la force de travail de leur obligé comme caution de son obligation » (Bénédicte LAVAUD-LEGENDRE, Travailleurs sans-papiers, entre respect de la dignité et non-discrimination, Rev. trav. 2020. 210). 45 La confusion entre calcul et paternalisme de l’employeur impliquera plus ou moins grandement le droit social ; le droit de la responsabilité civile ; le droit fiscal (110) ; le droit des libéralités (111). 32. – Le reflux de la fatigué chez les salariés véhiculés et leur gain de temps. Le transport privé du personnel évite à celui-ci plusieurs des inconvénients rencontrés dans les transports en commun (112). Par ailleurs, les salariés bénéficient d’appréciables autres avantages. Comme inconvénients évités, l’on citera les nombreux arrêts et redémarrages. Il y a aussi la fatigue ressentie du fait d’un réveil précipité pour se conformer aux horaires inadaptés des véhicules du transporteur public. De surcroît, l’aménagement intérieur de ces véhicules s’avère généralement spartiate. À l’inverse, le car privé ressemble à un salon roulant. Par conséquent, le passager confortablement installé peut travailler à ses dossiers, se reposer, ou même s’adonner à un loisir. 110) La mise à disposition de logement par la société pourrait profiter à un étranger à la société, ou plus exactement aux parents de l’un des associés. Peut-on dès lors conclure à une activité lucrative imposable ? L’an dernier, le Conseil d’État a répondu négativement à cette question (Conseil d’État, 13 novembre 2023, n° 465852, Société Carmejane LLC ; Lucienne ERSTEIN, La mise à disposition gratuite d'un logement n'est pas une activité lucrative, La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 48, 01 décembre 2023, act. 1193). 111) L’on note que « la mise à disposition d'un logement en contrepartie du paiement de charges exclut l'existence d'une donation » (Grégory DUMONT, La mise à disposition d'un logement en contrepartie du paiement de charges exclut l'existence d'une donation, Gaz. Pal. 15 juin 2013, n° 134r9). 112) Marie ANGLADE, Prise en charge des frais de transport, JS 2021, n°220, p.47. 46 La générosité malheureuse de l’employeur D’un autre côté, les salariés arrivent beaucoup plus tôt chez eux, puisque le trajet est quasiment fait d’une traite ; les arrêts pour déposer des collègues étant plutôt rares. Il en découle (au profit de chacun) un gain de temps pour sa famille, pour son sport et pour ses distractions. Grâce au temps ainsi épargné, les intéressés dorment logiquement plus tôt ; même après l’accomplissement d’incontournables tâches domestiques pour lesquelles ils auront en définitive disposé d’un temps suffisant. 33. – La relativisation de l’apport de l’employeur logeur ou transporteur de son personnel Le ramassage du personnel ne concerne certainement pas une entreprise située à un nœud de lignes de transports publics et qui, de surcroît, recruterait peut-être son personnel dans son voisinage immédiat. Toutefois, dans une période de chômage de masse, le recrutement et le licenciement sont faciles. Dès lors, financer un service de transport afin d’apparaître attractif semble sans intérêt. C’était le contraire pendant la période des 30 glorieuses. Mais peut- être le vent tourne-t-il dorénavant au détriment des employeurs, malgré les actuelles vagues de licenciements. En tous cas, la localisation excentrée de l’entreprise découragera probablement des candidats à l’emploi. Or cette difficulté n’existera pas (ou plus) si l’employeur offre des navettes aux travailleurs (113). 113) Par exemple encore, une société bretonne propose aux employeurs de sa région de s’occuper de l’acheminement de leurs personnels. Le même triptyque s’y retrouve : la ponctualité, la sécurité et le confort. De la même façon, le gain écologique (moins de CO2 émis et moins de carburant brûlé) est mis en avant. Est pareillement vanté la qualité de l’écoute en vue de la 47 La confusion entre calcul et paternalisme de l’employeur D’un autre côté, aux termes d’un décret, « la mise à disposition des magistrats et fonctionnaires de l'État […] d'un logement et d'un ameublement donne lieu à une retenue précomptée mensuellement sur leur rémunération [...] » (114). Si donc le bénéficiaire du logement doit payer, il pourrait se laisser tenter par le parc privé de location. Une implication de l’employeur pourrait alors sembler sans intérêt. Mais en optant pour le parc privé, le fonctionnaire devra conséquemment entreprendre les chronophages démarches nécessaires. Or son employeur aura voulu se dévouer à son profit pour lui permettre de se concentrer sur les seules exigences de sa charge professionnelle. 34. – Le point sur les intérêts de l’employeur transporteur de son personnel. Hormis le gain de temps et le confort du trajet, le transfert offert aux salariés présente par ailleurs l’avantage de rejaillir favorablement sur l’entreprise. Car l’on identifie en outre les intérêts suivants : la ponctualité des salariés ; la sécurité contre les accidents de la circulation. En d’autres termes, l’employeur aura la satisfaction de faire échapper à son activité les retards inhérents aux difficultés de transport. Et parce que ses salariés seront préservés de ce souci-là, ils lui manifesteront (éventuellement) de la loyauté et (ils) s’efforceront à davantage de productivité. solution de transport la plus appropriée. Cf. MAURY Transports, http://www.maury-transports.com/61-l-entreprise/206-le-transport-de- personnel.html 114) Décret n° 67-1039 du 29 novembre 1967. 48 La générosité malheureuse de l’employeur Ensuite, pourquoi donc les entreprises se doivent-elles de s’intéresser au « temps et lieu de la vie personnelle » ? À cette question (qu’elle se posait de façon rhétorique), la Directrice des Relations sociales de la multinationale L'ORÉAL suggère plusieurs réponses. Voici sa liste non exhaustive : « le renforcement de l'attractivité de l'entreprise, la fidélisation des collaborateurs, le bien-être, la baisse de l'absentéisme, le développement de la motivation et donc de la performance, la nécessité de tenir compte des évolutions culturelles et sociologiques » (115). Bref, un système de convoyage de son personnel se révèle avantageuse pour chacune des deux parties à la relation de travail. Malheureusement, un obstacle irritant persistera : son coût. Même si en abandonnant le transport pour compte au profit d’un abonnement (sous-traitance du transport), notre employeur réalisera quelque économie (116). Et même si le Conseil constitutionnel estime que le législateur doit pouvoir traiter plus favorablement de tels employeurs (117). 115) Françoise SchoeNBERGER, Temps et lieu de la vie personnelle, temps et lieu de la vie professionnelle, Droit social 2010 p.31. 116) « Le choix entre compte-propre et sous-traitance n'est pas exclusif ; puisque 13,4 % des établissements optent pour une solution mixte ». Cf. http://temis.documentation.developpement- durable.gouv.fr/docs/Temis/0004/Temis-0004973/5512.pdf (Bois, Clément, Gérardin et Valère, Le ramassage ouvrier dans le département de l’Isère, novembre 1978). 117) Une considération (fiscale et sociale) particulière pour « les employeurs qui organisent le logement de leurs salariés sur le lieu de travail ou qui prennent en charge intégralement et à titre gratuit leur transport collectif et, […], ceux qui ne supportent aucune de ces charges » (Cons. const., 30 mars 2017, n° 2016-622 QPC, Sté SNF). 49 La confusion entre calcul et paternalisme de l’employeur 35. – Le regard patronal autrefois sur la vie privée de salariés infantilisés. Dans le monde occidental, c’est en France que le paternalisme des employeurs aura surtout eu cours. Il aboutissait fatalement à une intrusion dans la vie personnelle et familiale des salariés. Or nos contemporains aspirent dorénavant à une franche séparation entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle (118). C’est une vraie évolution par rapport aux prescriptions d’un règlement intérieur bicentenaire d’une entreprise de Tourcoing. On y découvre que ces deux sphères de la vie pouvaient être assez imbriquées. Il est vrai que nous sommes dans les années 1830. En tous cas, l’employeur se préoccupait de la piété, de la ponctualité, de la