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French civil procedure legal procedure civil law legal studies

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This document is a guide to civil procedure, focusing on the procedures used in France. It is intended to be used in conjunction with other learning materials. Some aspects of the material are focused on specific types of legal actions.

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CRFPA 2023 PROCÉDURE CIVILE AVANT-PROPOS Ce polycopié est le fruit d’une longue réflexion prenant en considération tant le programme de l’épreuve et les attentes du jury, telles qu’elles peuvent transparaître des sujets de procédure donnés au fil de sessions, que les retours des étudiants lors de...

CRFPA 2023 PROCÉDURE CIVILE AVANT-PROPOS Ce polycopié est le fruit d’une longue réflexion prenant en considération tant le programme de l’épreuve et les attentes du jury, telles qu’elles peuvent transparaître des sujets de procédure donnés au fil de sessions, que les retours des étudiants lors de la formation. En premier lieu, le choix a été fait d’une présentation de la matière radicalement différente de celle que l’on trouve habituellement dans les ouvrages. L’épreuve de procédure à l’examen d’entrée aux CRFPA est, depuis plusieurs années, une consultation juridique, et cela impacte à l’évidence la façon d’acquérir les connaissances : on n’apprend pas le cours de la même façon pour traiter un sujet théorique que pour traiter un sujet pratique. Ce fascicule est donc expurgé de toute considération doctrinale, sauf pour le cas où cela serait indispensable à la compréhension des règles de droit positif – et encore, uniquement à la mesure de cette fin. En second lieu, le choix a été fait d’un plan presque chronologique : le procès civil est décrit depuis son commencement jusqu’à sa fin, pour tenir compte des contraintes auxquelles l’auteur du sujet national se verra soumis, et des attentes qui pourront être les siennes dans le cadre de l’épreuve. En effet, il échoit à tout candidat à l’épreuve de procédure d’être capable d’identifier très rapidement les différentes difficultés juridiques que soulève chaque étape de l’affaire qui lui est décrite dans le sujet : cette démarche suppose, en amont, d’avoir mis en place des points de vigilance à chaque phase clé d’une instance (des modèles de fiches de vigilance sont d’ailleurs proposés dans un fascicule complémentaire). Une telle architecture présente toutefois l’inconvénient, sur le plan pédagogique, de ventiler à travers plusieurs subdivisions des mécanismes que les néophytes auront parfois du mal à se représenter de façon globale : il est recommandé de ne pas hésiter à manier également ce polycopié de façon thématique (à l’image de la présentation adoptée dans le fascicule de fiches pédagogiques), ce que facilite le sommaire interactif. On pourra ainsi reconstituer l’intégralité d’une procédure de référé, ou encore rassembler toutes les questions que peut susciter le contentieux de la compétence juridictionnelle. En dernier lieu, le choix a été fait de reléguer certains pans du programme, peu propices à sujet d’examen, dans les annexes de ce fascicule. Si l’étudiant peut n’y accorder qu’un intérêt distant, il est tout de même recommandé de les lire au moins une fois, de façon à ne pas être totalement pris au dépourvu si l’auteur du sujet national venait à être pris d’une lubie créatrice. Pour les mêmes raisons, il a été fait le choix de ne pas présenter du tout la procédure devant les juridictions d’exception (tribunal de commerce, CPH, TPBR) : outre que seule une partie des règles procédurales applicables à ces juridictions se trouve dans le Code de procédure civile, et qu’il ne paraît pas raisonnable que l’auteur du sujet national attende des candidats qu’ils maîtrisent des textes du Code du travail, du Code de commerce ou du Code rural, interroger sur ces procédures impliquerait de créer un sujet dont le contexte serait un litige commercial, social ou de droit rural, ce qui non seulement achèverait de perdre la plupart des candidats (à l’avantage de ceux ayant choisi la procédure pénale ou administrative), mais exposerait également l’auteur du sujet lui-même à des risques importants d’erreurs, d’incohérences ou de dérive horsprogramme. Surtout, les sujets élaborés jusqu’à présent ne sont jamais entrés dans des subtilités obtuses du droit procédural, s’en tenant à des questions somme toute classiques de droit judiciaire privé, sans même s’aventurer sur le terrain des procédures civiles d’exécution, pourtant censées composer un tiers du programme. On peut donc considérer que ce polycopié contient les connaissances indispensables, mais suffisantes pour réussir l’épreuve de procédure civile au CRFPA ; naturellement, l’étudiant qui voudrait se garantir un risque zéro et aurait du temps devant lui sera libre de compléter ces pages par la lecture des passages du code de procédure civile consacrés aux juridictions d’exception, quitte à solliciter l’enseignant en charge de la matière en cas d’incompréhension. Pour conclure, on indiquera que ce polycopié a également été conçu comme un outil complémentaire des autres formats pédagogiques proposés par Objectif Barreau. Une préparation complète implique donc, outre la lecture des fascicules de cours, la prise en compte des fascicules d’actualité (il y a toujours au moins une partie du sujet national qui s’inspire de l’actualité procédurale la plus récente), le visionnage des vidéos dénommées « focus techniques », l’exécution de tous les sujets d’entraînement et le visionnage de leur vidéo de correction, sans préjudice de tout contenu supplémentaire que l’enseignant pourrait vous faire parvenir en cours de formation à des fins illustratives ou pédagogiques. Les étudiants les moins familiers avec la matière pourront en outre tirer profit des vidéos synthétisant de façon plus accessible les fondamentaux du programme. Objectif Barreau – Procédure civile 2023 1 Remarque sur les codes : Il est vivement recommandé de travailler en parallèle dans ce polycopié et dans un code de procédure civile, afin notamment de se familiariser avec son code (plan, jurisprudence, annexes…). Malheureusement, les éditeurs ont pris le parti d’éditer leurs codes vers le début du mois de juillet. Ainsi, le code à jour pour l’épreuve 2023 sera le code de procédure civile 2024. À chacun de choisir sa stratégie : acheter dès que possible un code 2023 et imprimer de Légifrance les mises à jour les plus récentes (mais le site lui-même n’est pas toujours fiable et, surtout, on se privera ainsi de la jurisprudence parue entre juillet 2022 et juillet 2023, qu’il faudra donc apprendre par cœur) ; ou bien prendre un peu de retard sur le maniement et le postitage/surlignage du code et attendre la parution des codes 2024. Pour ceux qui hésiteraient entre les différents éditeurs, une vidéo est disponible présentant les avantages et les inconvénients des codes rouges et bleus. Objectif Barreau – Procédure civile 2023 2 SOMMAIRE Avant-propos ........................................................................................................................................ 1 Sommaire .............................................................................................................................................. 3 VOLUME I – DROIT JUDICIAIRE PRIVÉ .................................................................................... 7 Thème I – Le droit de saisir un juge ................................................................................................... 8 Partie I – La titularité du droit d’agir en justice ........................................................................... 8 Titre I – Les conditions communes à toute action en justice .......................................................... 9 Titre II – Les conditions particulières au droit d’agir au provisoire.............................................. 21 Partie II – L’exercice du droit d’agir en justice ........................................................................... 28 Titre I – Les règles communes à tous les actes de procédure........................................................ 28 Titre II – Les règles spécifiques à chaque acte de procédure ........................................................ 38 Thème II – Le choix de saisir un juge ............................................................................................... 55 Partie I – La compétence juridictionnelle ..................................................................................... 55 Titre I – La compétence du juge du principal ............................................................................... 55 Titre II - La compétence du juge du provisoire ............................................................................. 65 Partie II – Le déroulement normal de l’instance devant le tribunal judiciaire ........................ 67 Titre I – Le déroulement de l’instance devant le TJ, juge du principal ......................................... 67 Titre II – Le déroulement de l’instance devant le TJ, juge du provisoire ..................................... 97 Titre III – L’efficacité des jugements ............................................................................................ 99 Partie III – Les obstacles au déroulement normal de l’instance............................................... 115 Titre I – Les incidents relatifs à la compétence de la juridiction................................................. 115 Titre II – Les incidents relatifs à la composition de la juridiction............................................... 119 Titre III – Les incidents relatifs à l’instance................................................................................ 123 Titre IV – Les incidents relatifs à l’administration de la preuve ................................................. 131 Titre V – Les incidents relatifs aux parties ................................................................................. 148 Thème III – Le choix d’un mode alternatif de règlement du différend (MARD) ....................... 152 Partie I – Les modes alternatifs de règlement amiable du différend ....................................... 152 Titre I – La médiation et la conciliation conventionnelles .......................................................... 153 Titre II – La convention de procédure participative aux fins de résolution amiable du différend161 Titre III – La transaction ............................................................................................................. 168 Partie II – Le mode alternatif de règlement juridictionnel du différend : L’arbitrage ......... 171 Titre I – Le choix de recourir à l’arbitrage .................................................................................. 171 Titre II – Le déroulement d’une procédure d’arbitrage ............................................................... 173 Titre III – L’issue d’une procédure d’arbitrage ........................................................................... 177 Thème IV – La contestation des jugements ................................................................................... 183 Partie I : Les règles communes à tous les recours ...................................................................... 183 Partie II - La contestation de certains jugements particuliers.................................................. 185 Titre I – La contestation d’une décision statuant sur la compétence, la connexité ou la litispendance ..................................................................................................................................................... 185 Titre II – La contestation d’une décision provisoire ................................................................... 187 Partie III - La contestation des jugements contentieux rendus sur le fond ............................. 190 Objectif Barreau – Procédure civile 2023 3 Titre I – L’appel .......................................................................................................................... 190 Titre II – Les autres voies de recours .......................................................................................... 211 Annexes ............................................................................................................................................. 224 VOLUME II – PROCÉDURES CIVILES D’EXÉCUTION........................................................ 238 Thème I – Les dispositions communes à toutes les procédures d’exécution ............................... 239 Partie I – Les personnes concernées par la mise en œuvre des procédures civiles d’exécution ........................................................................................................................................................ 240 Titre I – Les règles communes relatives aux créanciers saisissants ............................................ 240 Titre II – Les règles communes relatives aux débiteurs saisis .................................................... 241 Titre III – Les règles communes relatives aux tiers .................................................................... 249 Partie II – Les autorités en charge de la mise en œuvre des procédures civiles d’exécution . 250 Titre I – L’agent chargé de l’exécution : le commissaire de justice ............................................ 250 Titre II – La centralisation du contentieux de l’exécution devant le JEX ................................... 252 Titre III – Le rôle périphérique de l’autorité publique ................................................................ 256 Partie III – Les règles générales de mise en œuvre des procédures civiles d’exécution ......... 258 Titre I – Le choix de la mesure ................................................................................................... 258 Titre II – Le coût de la procédure................................................................................................ 258 Titre III – La préparation des opérations ..................................................................................... 259 Titre IV – La mise en œuvre des opérations ............................................................................... 260 Partie IV – Les conditions d’efficacité du titre exécutoire ........................................................ 262 Titre I – Les conditions d’efficacité propres à chaque titre exécutoire ....................................... 262 Titre II – Les conditions d’efficacité communes à tous les titres exécutoires ............................. 264 Thème II – Les mesures pouvant être mises en œuvre sans titre exécutoire............................... 266 Partie I – Les mesures incitant le débiteur à l’exécution spontanée......................................... 266 Titre I – Le prononcé de l’astreinte ............................................................................................. 266 Titre II – La liquidation de l’astreinte ......................................................................................... 267 Partie II – Les mesures tendant à un accord entre le créancier et le débiteur sur les modalités de l’exécution ................................................................................................................................. 269 Titre I – La procédure amiable de recouvrement des créances ................................................... 269 Titre II – La procédure simplifiée de recouvrement des petites créances ................................... 270 Partie III – Les mesures conservatoires ...................................................................................... 271 Titre I : Les règles communes à toutes les mesures conservatoires ............................................ 271 Titre II – Les règles propres à chaque saisie conservatoire ......................................................... 275 Titre III – Les règles propres aux sûretés judiciaires .................................................................. 283 Thème III – Les mesures dont la mise en œuvre repose sur un titre exécutoire......................... 287 Partie I – Les mesures d’exécution forcée portant sur les créances monétaires ..................... 287 Titre I – La saisie-attribution ....................................................................................................... 287 Titre II – La procédure de paiement direct des pensions alimentaires ........................................ 292 Titre III – La saisie administrative à tiers détenteur .................................................................... 295 Titre IV – La saisie et la cession des rémunérations du travail ................................................... 297 Titre V – Les règles particulières aux saisies des comptes bancaires ......................................... 303 Partie II – Les mesures d’exécution forcée portant sur les meubles ........................................ 306 Titre I – La saisie des meubles corporels .................................................................................... 306 Titre II – La saisie des meubles incorporels ................................................................................ 320 Objectif Barreau – Procédure civile 2023 4 Titre III – La distribution des deniers provenant de la vente des meubles saisis ........................ 322 Partie III – Les mesures d’exécution forcée portant sur les immeubles .................................. 324 Titre I – La saisie immobilière .................................................................................................... 324 Titre II – L’expulsion .................................................................................................................. 340 Table des matières ............................................................................................................................ 346 Objectif Barreau – Procédure civile 2023 5 Réussir l’épreuve de procédure civile suppose d’apprendre et de comprendre l’ensemble des règles par lesquelles les particuliers peuvent obtenir justice dans un contentieux privé. Dans sa version la plus complète, l’œuvre de justice se déroule en 5 phases : 1) 2) 3) 4) 5) Les parties choisissent le mode de résolution de leur litige En cas de choix d’une résolution judiciaire du litige, une instance se déroule devant un juge Lorsque l’instance va à son terme, elle s’achève par le prononcé d’un jugement Ce jugement peut faire l’objet d’une contestation L’intérêt d’avoir obtenu un jugement est de pouvoir en exiger l’exécution, au besoin forcée. En droit français, les 4 premières étapes correspondent à l’enseignement du droit judiciaire privé, qui fera l’objet de ce fascicule. La cinquième étape fait l’objet d’un enseignement à part, qui sera consigné dans le volume n°2 (Volume n° 2 – Les procédures civiles d’exécution). Objectif Barreau – Procédure civile 2023 6 VOLUME I – DROIT JUDICIAIRE PRIVÉ Maîtriser la consultation juridique en procédure civile suppose d’être capable d’identifier rapidement, dès la première lecture d’un énoncé, les différentes difficultés juridiques qu’il est susceptible de soulever. Or, ces difficultés seront présentées par l’auteur du sujet, soit à l’occasion de la description chronologique d’un procès civil complet, soit à l’occasion de plusieurs « mini-consultations » se focalisant chacune sur une phase différente du procès. Le secret de la rapidité d’analyse d’un énoncé réside dès lors dans la mise en place d’automatismes, basés sur la maîtrise des règles applicables à chaque étape de la procédure : il faut entraîner le cerveau pour augmenter son niveau de vigilance, son aptitude à déceler telle ou telle difficulté classique au regard de la phase de la procédure dont le déroulement est décrit dans le sujet. C’est pourquoi ce fascicule prend le parti de délaisser volontairement une approche thématique de la matière, pour en retenir une approche chronologique (on rappellera qu’un fascicule complémentaire présente au contraire le cours de façon thématique, afin de permettre une appréhension globale de chaque mécanisme procédural). Seront présentées successivement les difficultés relatives au droit de saisir une juridiction étatique (Thème I), puis au choix de saisir une telle juridiction (Thème II) ou, à l’inverse, de recourir à un mode alternatif de règlement du litige (Thème III) et, enfin, la contestation des décisions rendues à cette occasion (Thème IV). Objectif Barreau – Procédure civile 2023 7 THÈME I – LE DROIT DE SAISIR UN JUGE Si le droit français reconnaît à tout individu, par principe, la faculté de défendre ses droits en justice, l’accès effectif à un tribunal par un justiciable déterminé suppose que celui-ci ait les moyens matériels et juridiques de son procès. S’agissant des moyens matériels, la question renvoie au mécanisme de l’aide juridique, mais comme celle-ci ne présente qu’un intérêt mineur dans le cadre de l’exercice de consultation juridique, on se contentera de renvoyer à l’annexe correspondante, située à la fin de ce fascicule de droit judiciaire privé (Annexe n°1). Les conditions juridiques qui doivent être réunies pour pouvoir saisir un juge sont, en revanche, d’une importance capitale. Il faut ainsi comprendre et connaître les règles relatives au droit de soumettre une demande au juge. Ces règles sont de deux ordres : les premières déterminent qui sont les personnes titulaires du droit d’agir en justice (Partie I) et les secondes encadrent l’exercice de ce droit (Partie II). P ARTI E I – LA TI TU LARI TÉ DU DROI T D’ AGIR EN J U STICE De façon générique, le but d’un procès civil est de soumettre au juge une prétention relative à un droit subjectif (dit « substantiel », pour le distinguer des droits subjectifs liés au procès lui-même, que l’on dénomme « droits processuels » ou « droits procéduraux »), afin que le juge consacre celui-ci de façon officielle (les décisions de justice sont rendues « au nom de la République française ») et que le justiciable qui a obtenu gain de cause puisse ensuite faire valoir ce droit dans ses rapports avec d’autres personnes (au besoin avec le concours de la force publique), en raison de la force attachée au jugement. Mais pour déterminer si celui qui soumet une prétention au juge a le droit de le faire, il faut s’intéresser plus spécialement à l’objet général de sa prétention : s’agit-il d’obtenir un jugement qui tranche définitivement le fond du litige l’opposant à son adversaire (i.e., se prononce une fois pour toutes, sauf l’exercice d’une voie de recours, sur la titularité ou l’exercice du droit substantiel qui oppose les parties), ou bien s’agit-il seulement de solliciter du juge qu’il ordonne une mesure réglant temporairement la situation litigieuse entre les parties, le temps qu’une telle action au fond soit (peut-être) engagée ? ▪ ▪ Dans le premier cas, la juridiction saisie est investie d’une mission qui constitue son essence même (juris dictio = dire le droit) ; pour exprimer qu’elle dispose en ce cas du pouvoir de juger le plus étendu, on dit qu’elle « juge du fond », ou encore « juge du principal » (parce qu’elle tranche l’objet principal du litige : le désaccord sur le droit substantiel). Dans le second cas, son rôle est plus restreint : il lui est seulement demandé d’ordonner une mesure de portée limitée, qui n’a vocation à régler la situation litigieuse que de façon provisoire, puisque le fond du conflit qui opposait les parties, le principal, ne sera pas tranché. Le conflit demeure malgré le jugement rendu, de sorte qu’il est vraisemblable que l’une des parties saisira par la suite le juge du principal pour le régler cette fois-ci définitivement. Pour rendre compte des pouvoirs plus restreints dont dispose la juridiction saisie seulement d’une telle demande, on dit qu’elle est « juge du provisoire ». S’il est normal, en présence d’un litige, de soumettre celui-ci à un juge pour que, par son jugement, il y mette fin, saisir un juge sans pour autant lui demander de rendre une décision sur le fond ne peut être admis que de façon dérogatoire. On comprend dès lors pourquoi les conditions à remplir pour avoir le droit d’agir devant une juridiction du provisoire sont plus strictes (Titre II) que celles requises pour avoir le droit de saisir une juridiction du principal (Titre I). Objectif Barreau – Procédure civile 2023 8 TITRE I – LES CONDITIONS COMMUNES À TOUTE ACTION EN JUSTICE Le droit de saisir un juge d’une prétention afin d’être entendu sur le fond de celle-ci et que le juge la dise bien ou mal fondée s’appelle l’action (article 30 al. 1 CPC). Le code envisage aussi l’action du point de vue de l’adversaire, attrait en justice : c’est le droit de discuter le bien-fondé de la prétention soumise au juge (art. 30 al. 2). Pour être titulaire de ce droit d’action, le code de procédure civile pose deux conditions, qui peuvent être cumulatives ou alternatives selon les cas : l’intérêt et la qualité à agir. ▪ ▪ Ainsi, l’article 31 CPC dispose que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». Le principe est donc qu’il faut un intérêt à agir pour être titulaire du droit d’action et pouvoir ainsi saisir un juge d’une prétention. Toutefois, le législateur se réserve la possibilité, par le jeu de l’attribution d’une qualité à agir, de priver de ce droit un justiciable ayant pourtant intérêt à agir, ou au contraire de conférer ce droit à un justiciable qui n’agit pas pour défendre ses propres intérêts, mais des intérêts « déterminés ». Les conditions de titularité du droit d’agir sont donc avant tout tributaires de l’intérêt défendu : le justiciable qui entend saisir le juge lui soumet-il une prétention relative à ses propres droits substantiels (Chapitre I), ou cherche-t-il à défendre les droits d’autrui (Chapitre II) ? CHAPITRE I : LE DROIT D’AGIR EN DÉFENSE DE SES PROPRES INTÉRÊTS Ce droit repose sur 3 exigences cumulatives, ou 4 dans des hypothèses spécialement prévues par la loi. L’action étant un droit subjectif, l’intérêt doit par principe être personnel (Section 1). L’article 31 précise que celui qui agit en justice doit justifier d’un intérêt légitime (Section 2). Et la jurisprudence ajoute que cet intérêt doit être né et actuel (Section 3). Enfin, dans certains cas, disposer d’un intérêt à agir présentant ces caractéristiques ne suffira pas : il faudra en plus justifier d’une qualité à agir prévue par la loi (Section 4). SECTION 1 : L’EXIGENCE DE PRINCIPE D ’UN INTÉRÊT PERSONNEL Dans un contentieux subjectif, l’action tend à faire consacrer une prérogative individuelle qui appartient exclusivement à l’individu qui exerce cette action ; dès lors, seul cet individu doit pouvoir saisir le juge : nul n’est admis à défendre l’intérêt d’autrui en justice, sauf accord en ce sens avec le titulaire du droit (cf. infra, sur le pouvoir de représenter les intérêts d’autrui en justice). Cette idée est souvent exprimée par l’adage « nul ne plaide par procureur », en raison de la mission incombant à ce dernier. Dans un contentieux objectif, c’est-à-dire lorsque l’intérêt à défendre est un intérêt collectif, c’est au Ministère Public, dont la raison d’être est précisément de défendre un tel intérêt, qu’appartient le droit d’action, à l’exclusion de tout particulier. Tels sont, du moins, les principes, mais le législateur se réserve la possibilité d’y déroger au cas par cas s’il le juge utile et la jurisprudence a d’autorité habilité les associations à agir pour la défense d’un intérêt collectif (cf. infra, Chapitre II). Objectif Barreau – Procédure civile 2023 9 SECTION 2 : L’EXIGENCE DE PRINCIPE D ’UN INTÉRÊT LÉGITIME Selon la jurisprudence, pour que l’intérêt soit légitime, il faut avant tout qu’il soit juridique, c’est-à-dire que la prétention soumise au juge doit être susceptible de recevoir une réponse en application des règles de droit positif. Le juge doit donc se prononcer sur la juridicité de la prétention, sans pour autant en apprécier le bienfondé. La Cour de cassation censure systématiquement les juges qui auraient confondu démonstration de l’existence d’un intérêt à agir et démonstration « du succès de l’action », c’est-à-dire de la pertinence des arguments de l’auteur de la prétention. Mais l’appréciation de la légitimité de l’intérêt à agir conduit également le juge à apprécier la moralité et la licéité de la prétention. → Exemple historique : La concubine était à l’origine irrecevable à demander en justice la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi du fait du décès de son concubin. Solution abandonnée depuis Cass. ch. mixte, 27 février 1970, n°68-10276. L’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans permet, aujourd’hui encore, de déclarer irrecevables des demandes de restitutions au titre d’un contrat annulé pour cause immorale. Dans le même esprit, la Cour de cassation a jugé qu’une personne dans l’incapacité de travailler à la suite d’un accident ne peut pas obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations si celles-ci proviennent d’un travail dissimulé (Cass. 2ème civ., 24 janv. 2002, n°99-16576) : de la situation illicite qu’est le « travail au noir » ne peut naître aucun droit. SECTION 3 : L’EXIGENCE DE PRINCIPE D ’UN INTÉRÊT NÉ ET ACTUEL Cette condition implique que l’existence de l’intérêt défendu en justice doit être certaine. En d’autres termes, l’intérêt doit exister au jour où l’action est exercée1. Un intérêt qui, au jour de l’action en justice, aurait déjà disparu ne laisserait pas subsister cette action. → Exemple : → N’a plus intérêt à demander la nullité de l’hypothèque consentie sur le logement conjugal par son conjoint sans son consentement l’ex-épouse qui avait déjà quitté ce logement au moment de l’introduction de l’instance (Cass. 1ère civ., 3 mars 2010, n°08-13500). De même, une société qui a revendu à une autre un chargement de riz ne présentant pas les caractéristiques convenues avec son propre vendeur, n’en est plus propriétaire et ne peut plus assigner ce dernier en indemnisation, sauf réclamation à son encontre de son propre acquéreur (Cass. com., 3 mai 2016, n°13-27655). Inversement, un intérêt simplement éventuel, hypothétique, ne permettrait pas de saisir un juge. → Exemple : → Le bénéficiaire d'un pacte de préférence, ou d'un droit de préemption, ne peut pas agir en justice pour mettre fin à un empiétement sur le terrain du propriétaire débiteur de ce droit de préférence ou de préemption : en l'absence de décision dudit propriétaire de vendre ledit bien, le préjudice subi par le créancier du droit de préemption ou de préférence n'est qu'hypothétique. Toutefois, la distinction entre l'intérêt né et actuel et l'intérêt simplement futur, voire hypothétique n'est pas toujours évidente, en particulier quand l'action a pour but de prévenir la survenance d'un dommage. Il peut exister un intérêt actuel à prévenir l'apparition d'un dommage futur. 1 Mais en cas de résolution d’un contrat de vente intervenant entre l’assignation et le jugement, l’acquéreur n’a plus d’intérêt à agir en paiement d’une indemnité concernant le bien visé (Cass. 3ème civ., 18 octobre 2018, n°17-14799). Objectif Barreau – Procédure civile 2023 10 ▪ Les actions préventives ou conservatoires sont donc admises par le droit français. Il en va ainsi du référé conservatoire de l'article 835 CPC, ou encore du référé probatoire de l'article 145 CPC. Le principe reste celui de l'existence d'un intérêt actuel, ce qui explique l'exclusion, en théorie, de trois types d'actions : les actions déclaratoires, les actions provocatoires, les actions interrogatoires. ▪ Les actions déclaratoires tendent à faire reconnaître en justice une situation qui n'est pas encore contestée, en vue justement d'empêcher qu'elle le soit à l'avenir. Elles sont interdites en principe, aucun litige n’étant encore né, mais les dérogations légales et jurisprudentielles sont de plus en plus nombreuses (pour ne citer que des exemples procéduraux : l’inscription de faux de l’article 314 CPC et la vérification d’écriture à titre principal de l’article 296 CPC). Les actions provocatoires (dites de jactance) visent à contraindre celui qui se prétend publiquement titulaire d'un droit, soit à le soumettre immédiatement à un juge, soit à y renoncer définitivement. Elles sont incompatibles avec le principe de liberté de l'action en justice et ne sont donc jamais admises. Les actions interrogatoires permettent d'obliger le titulaire d'une option ou d'une faculté à l'exercer immédiatement. Il existe des exceptions à l'interdiction des actions interrogatoires (par ex. action du tiers à un pacte de préférence contre le bénéficiaire du pacte, nouvel article 1123 al. 3 C. civ. ; action d’une partie au contrat contre celle qui pourrait se prévaloir de la nullité relative du contrat, art. 1183 C. civ.). ▪ ▪ SECTION 4 : L’EXIGENCE EXCEPTIONNELLE D ’UNE QUALITÉ À AGIR Aux termes de l'article 31 CPC, la fonction première de la qualité à agir consiste à attribuer le droit d'action aux seules personnes que la loi qualifie pour élever ou combattre une prétention. Il s’agit donc ici de restreindre le champ des titulaires du droit d'action : l'existence d'un intérêt personnel, direct et légitime ne suffira pas. → Exemples : 1. Dans le contentieux familial, la plupart des actions requièrent une qualité à agir (état des personnes, autorité parentale, mariage, divorce). 2. En droit des obligations, les nullités relatives sont des actions réservant la qualité à agir à une partie. Voir, pour une illustration récente du défaut de qualité du cessionnaire d’une créance à défendre à la demande de résolution d’un contrat, hors la présence du cédant, Cass. com., 15 mai 2019, n°17-27686 (l’arrêt illustre également que, comme l’intérêt, la qualité à agir s’apprécie aussi bien en la personne du demandeur que du défendeur). En principe, seule la loi peut ainsi restreindre l'ouverture de l'action en justice, puisqu'il s'agit d'un droit fondamental, mais cela n'empêche pas la jurisprudence d’ajouter une condition de qualité à l’exercice de certaines actions (voir, pour l'action en partage du conjoint survivant en cas de communauté totale des biens, Cass. 1ère civ., 2 avril 2008, n°07-11254). Par ailleurs, l'exigence de qualité n'écarte pas nécessairement l'exigence d'un intérêt. Certes, le principe est que celui qui a qualité à agir est présumé avoir intérêt à agir. Mais, parfois, l'intérêt doit être prouvé en plus de la qualité et l'absence de l'un ou de l'autre rend alors la demande irrecevable. → Exemple : → Pour exercer l'action en annulation des décisions sociales, les actionnaires minoritaires doivent rapporter la preuve de leur intérêt en plus de celle de leur qualité d'actionnaire (Cass. com., 15 juillet 1992, n°90-16836). Objectif Barreau – Procédure civile 2023 11 SYLLOGISME TYPE SUR L’INTERET A AGIR Voici un exemple de syllogisme que vous pourriez utiliser dans un raisonnement sur l’existence de l’intérêt à agir, lorsque vous avez déduit de l’énoncé qu’il faut vérifier si un demandeur en est pourvu : La question de la titularité du droit d’action est régie par l’article 31 CPC, lequel ouvre ce droit « à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Plus précisément, il ressort de la jurisprudence relative à cette disposition que l’intérêt ainsi exigé par le texte doit revêtir plusieurs caractères : il doit être né et actuel, il doit être légitime, et il doit être personnel. La demande formée par une partie dépourvue d’intérêt à agir est irrecevable (art. 32 CPC). La légitimité de l’intérêt renvoie essentiellement à sa juridicité : sans préjuger du bien ou mal fondé de la demande soumise au juge, il s’agit de déterminer si celle-ci est susceptible de recevoir une réponse en application des règles de droit positif. Au cas particulier…appliquer ici cette définition aux faits pour vérifier si la condition d’intérêt légitime est remplie. Le caractère né et actuel de l’intérêt à agir implique que l’existence de l’intérêt défendu en justice doit être certaine. En d’autres termes, l’intérêt doit exister au jour où l’action est exercée. En l’espèce… appliquer ici cette définition aux faits pour vérifier si la condition d’intérêt né et actuel est remplie. Le caractère personnel de l’intérêt à agir signifie que la prétention que le demandeur cherche à faire dire bien fondée doit avoir pour objet l’un de ses droits subjectifs. En l’espèce…appliquer ici cette définition aux faits pour vérifier si la condition d’intérêt personnel est remplie. Si toutes les conditions sont remplies : Par conséquent, il ne fait aucun doute que [le demandeur], ayant intérêt à agir contre [le défendeur] en [nature et objet de l’action exercée], pourrait/pouvait saisir à cette fin [telle juridiction compétente/déjà saisie]. Si une ou plusieurs conditions font défaut : Par conséquent, en l’absence [énoncer la ou les conditions manquantes], [demandeur] n’a pas d’intérêt à agir, de sorte que la demande dont il a saisi/envisage de saisir telle juridiction est/serait irrecevable. Objectif Barreau – Procédure civile 2023 12 SYLLOGISME TYPE SUR LA QUALITE D’UNE ASSOCIATION A AGIR EN DEFENSE D’UN INTERET COLLECTIF Voici un exemple de syllogisme que vous pourriez utiliser pour raisonner sur la qualité d’une association à agir en défense d’un intérêt collectif, si vous avez déduit de l’énoncé qu’une telle action a été exercée par l’association demanderesse : L’article 32 CPC sanctionne le défaut de droit d’action du demandeur par l’irrecevabilité de sa demande. La question de la titularité du droit d’action est, pour sa part, régie par l’article 31 CPC, lequel ouvre ce droit « à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Il ressort de la jurisprudence relative à cette disposition que l’intérêt ainsi exigé par le texte doit revêtir plusieurs caractères : il doit être né et actuel, il doit être légitime, et il doit surtout être direct et personnel. Cette dernière condition signifie que la prétention soumise au juge doit tendre à la reconnaissance d’un droit substantiel dont l’auteur de la prétention est titulaire : l’effet de la règle de droit dont il est demandé application au juge doit bénéficier à l’auteur de la prétention lui-même, et non à autrui. Or, en l’espèce, l’association n’agit pas pour la défense de ses propres intérêts, mais pour la défense [insérer ici l’intérêt défendu par l’association à l’occasion de l’action analysée]. La condition de personnalité de l’intérêt défendu en justice fait donc défaut. Il serait toutefois prématuré de conclure pour cette seule raison à l’irrecevabilité de la demande introduite par l’association. En effet, l’article 31 CPC dispose encore que la règle précédemment énoncée ne vaut que « sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie (…) pour défendre un intérêt déterminé ». Cette disposition renvoie précisément à la situation dans laquelle le demandeur n’entend pas défendre en justice ses propres intérêts, mais les intérêts collectifs d’une catégorie de tiers, que la loi dénomme « intérêts déterminés ». En l’espèce, il est donc théoriquement possible à [l’association demanderesse] de se prévaloir de cette disposition dans le cadre de l’action exercée par elle en défense [insérer ici l’intérêt défendu par l’association à l’occasion de l’action analysée]. Néanmoins, pour que sa demande soit recevable, il faudrait encore qu’elle puisse invoquer une disposition légale l’habilitant spécialement à défendre cet intérêt collectif, autrement dit, qu’elle justifie, à défaut d’un intérêt, d’une « qualité » à exercer cette action en justice. [Si tel est le cas, il faut ensuite vérifier que les conditions de recevabilité prévues par ladite disposition légale sont réunies en l’espèce ; si tel n’est pas le cas, on passe à la phrase suivante] Or, en l’espèce, il ne semble pas que [l’association demanderesse] ait fondé l’action exercée sur une quelconque disposition légale qui lui conférerait qualité à agir en défense [insérer ici l’intérêt collectif défendu par l’association à l’occasion de son action]. Toutefois, là encore, il serait prématuré de conclure pour cette raison à l’irrecevabilité de sa demande. En effet, la jurisprudence s’est arrogé le même pouvoir d’habilitation que celui que s’est réservé le législateur au titre de l’article 31 CPC. Elle décide ainsi qu’« une association, même hors habilitation législative et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs qui entrent dans son objet social » (Cass. 1ère civ., 18 septembre 2008, n°06-22038). En l’espèce, au vu de cette jurisprudence, [indiquer l’objet de la demande] s’analyse en une action en défense d’un intérêt collectif, la seule condition de recevabilité de la demande étant en conséquence la correspondance entre l’objet de celle-ci et la défense des intérêts que l’association s’est donnée mission de défendre dans ses statuts. Or, lesdits statuts prévoient expressément [énoncer les missions statutaires de l’association demanderesse] ce qui inclut/exclut assurément [indiquer l’objet de la demande formée en l’espèce et les faits à l’origine de cette demande]. La demande [en indiquer à nouveau l’objet] formée en l’espèce par l’association devrait donc être recevable/irrecevable. Objectif Barreau – Procédure civile 2023 13 CHAPITRE II : LE DROIT D’AGIR EN DÉFENSE D ’INTÉRÊTS NON-PERSONNELS La qualité à agir sert ici à élargir le champ des titulaires du droit d’action : la demande est recevable alors même que celui qui agit ne peut, par hypothèse, justifier d’un intérêt personnel, l’objet de son action étant précisément de défendre les droits d’autrui. Cette attribution de qualité recouvre trois situations différentes, selon que l’intérêt non-personnel défendu est général (Section 1), catégoriel (Section 2) ou individuel (Section 3). SECTION 1 : LE DROIT DE DÉFENDRE L ’INTÉRÊT GÉNÉRAL Le représentant de l’intérêt général, c’est-à-dire de l’intérêt de l’État, est le ministère public. Il n’a a priori pas vocation à agir en justice en matière civile, les intérêts en jeu étant par principe privés. Mais justement, a contrario, lorsque des intérêts publics surgissent exceptionnellement dans un procès privé, le ministère public acquiert qualité à agir en défense de ces intérêts. La loi prévoit ainsi que le ministère public peut agir d’office, en tant que partie principale, dans deux cas : ▪ ▪ Lorsque la loi le prévoit expressément (art. 422 CPC), ce qui est le cas, par exemple, pour les causes de nullité absolue du mariage (v. articles 180 s. C. civ.), ou dans l’hypothèse d’une fraude à la nationalité (mariage « blanc », art. 26-4 C. civ.). Lorsque les faits qui fondent la demande portent atteinte à l’ordre public (art. 423 CPC). Il s’agit le plus souvent de demandes liées au droit de la famille (par ex., demande de reconnaissance d’un droit obtenu à l’étranger et que la législation française ne reconnaît pas). SECTION 2 : LE DROIT DE DÉFENDRE UN INTÉRÊT CATÉGORIEL , OU « COLLECTIF » Cela correspond à l’attribution légale de qualité à agir dans un intérêt « déterminé » qu’envisage l’article 31 CPC. Dans cette fonction, la qualité permet de désigner autoritairement le titulaire du droit d’agir que l’exigence d’un intérêt personnel est incapable de sélectionner. Elle ne consiste donc plus à restreindre le cercle des personnes qui peuvent agir pour la défense de leur intérêt personnel, mais au contraire à ouvrir l’action à certaines personnes spécialement désignées qui n’agissent pas pour la défense de leur intérêt individuel. Au cours du XXe siècle sont apparus des intérêts collectifs catégoriels qui, bien que recoupant en partie l'intérêt général, pouvaient être défendus en justice par d'autres personnes que le ministère public. ▪ ▪ ▪ Ainsi en est-il des syndicats professionnels, qui peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent (article L. 2132-3 C. Trav.). La solution est étendue aux ordres professionnels (ordre des médecins, des avocats, etc.). De même, les présidents d'autorités administratives indépendantes (AAI) ont le pouvoir d'agir en justice pour obtenir la cessation de certaines pratiques illicites. De nombreux textes particuliers reconnaissent également à des associations constituées pour la défense d'un intérêt collectif la faculté d'agir en justice à cet effet. ▪ ▪ Ainsi, en matière pénale, le législateur attribue exceptionnellement le droit d’exercer l’action civile à certaines associations, à des conditions variables, (cf. arts. 2-1 à 2-25 CPP). De même, depuis la loi Macron, « à l'occasion d'une action portée devant les juridictions civiles et ayant pour objet la réparation d'un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d'une infraction pénale, les associations agréées peuvent agir conjointement ou intervenir pour obtenir réparation de tout fait portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs (…) » (article L. 621-9 C. Conso.). Objectif Barreau – Procédure civile 2023 14 À défaut d’une telle attribution légale de qualité, les associations ne devraient en principe pouvoir agir que pour la défense de leur intérêt personnel. Toutefois, après avoir hésité, la jurisprudence s’est très clairement fixée en ce sens qu’une association peut, en dehors de toute disposition légale lui attribuant qualité à cet effet, agir en justice pour la défense de l’intérêt collectif dont elle a fait son objet social (« association de défense des grandes causes »). Voir notamment, Cass. 1ère civ., 18 septembre 2008, n°06-22038 : « une association, même hors habilitation législative et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs qui entrent dans son objet social ». ▪ Il résulte de cette jurisprudence que le seul critère exigé d’une association agissant en défense d’un intérêt collectif est la correspondance entre l’objet social de cette association et l’objet de sa demande en justice. Évidemment, rien n’empêche les statuts de l’association de subordonner son action à des conditions supplémentaires, telles qu’un cantonnement au département dans la préfecture duquel l’association a été déclarée, mais en l’absence d’une telle restriction statutaire, il faut considérer que le champ géographique de l’action en défense d’un intérêt collectif par une association est, par défaut, national (Cass. 1ère civ., 30 mars 2022, n°21-13970). La Cour de cassation a néanmoins posé une limite à ce droit des associations d’agir en défense d’un intérêt collectif : elles ne peuvent exercer à cette fin une action attitrée. En effet, lorsqu’il crée une telle action, le législateur entend réserver le droit de former une demande à certaines personnes en raison de leur qualité particulière ; dès lors, la défense d’un intérêt collectif ne saurait permettre de s’immiscer dans un débat réservé par hypothèse à certaines personnes (ainsi, une association de défense de l’enfance ne peut intervenir dans une instance en adoption d’un enfant introduite par l’épouse de la mère, Cass. 1ère civ., 16 mai 2016, n°15-10577). • SECTION 3 : LE DROIT DE DÉFENDRE L ’INTÉRÊT D ’AUTRUI (UN OU PLUSIEURS TIERS) Une telle attribution de qualité semble à première vue incompatible avec le principe d'indépendance juridique des personnes, et c’est pourquoi elle est exceptionnelle. D’autant plus que, si une personne ne veut pas défendre elle-même sa cause, elle peut toujours confier à un tiers un mandat de représentation de ses intérêts en justice (mandat de représentation ad agendum, dans l'exercice de l'action). C’est pourquoi, le plus souvent, l’action consacrée par le législateur est à mi-chemin entre le droit propre d’agir pour défendre l’intérêt d’autrui et le mandat de représentation en justice. En tous les cas, il n'est pas question de priver un individu de son droit d'action pour réserver l'exercice de celle-ci à un tiers. Concrètement, la défense de l’intérêt d’autrui peut être celle d’intérêts isolés (I) ou groupés (II). I. La défense de l’intérêt individuel d’autrui Parmi les hypothèses de véritable attribution de qualité pour agir dans l’intérêt d’autrui, la plus évidente est celle de l'action sociale ut singuli (art. 1843-5 C. civ.). Il s'agit d'une action qui permet à chaque associé, en cas de défaillance des organes de représentation de la société, d'agir en réparation du préjudice subi par la société et causé par ses mandataires sociaux. Il y a ainsi substitution des associés dans l'exercice des droits de la société, le résultat de l'action bénéficiant à celle-ci et pas aux associés. On peut encore citer l’exemple de l’action oblique (article 1341-1 C. civ.). Le code du travail prévoit pour sa part plusieurs actions de substitution : les syndicats dits « représentatifs » en vertu de la loi disposent d'une qualité à agir en défense des intérêts d’un salarié, sous la seule réserve de permettre à ce dernier de s'opposer à une telle action en l’en informant. Ces syndicats n'agissent pas alors véritablement en vertu d'un droit propre, mais se contentent d'exercer le droit d'action des salariés à la place de ceux-ci. Objectif Barreau – Procédure civile 2023 15 II. La défense groupée des intérêts d’autrui Historiquement, c’est d’abord la Cour de cassation qui a permis à une association constituée dans le but de défendre de façon groupée les intérêts individuels de ses membres (association de riverains d’un aéroport, association de tel quartier, etc.) d’agir en justice sans avoir besoin que chaque membre lui donne mandat à cette fin. Ainsi, dans une décision du 23 juillet 1918, la chambre civile décidait qu’une association « peut faire par voie d’action collective2 ce que chacun de ses membres peut faire à titre individuel ». La possibilité d’agir en justice en défense des intérêts individuels des membres de l’association devait toutefois être expressément prévue par les statuts de celle-ci (mais la condition était appréciée de façon particulièrement souple et l’habilitation pouvait être générale). Puis le législateur a créé, par la loi n°92-60 du 18 janvier 1992, l’action en représentation conjointe, susceptible d’être exercée par des associations de consommateurs (art. L. 622-1 C. Conso). ▪ Une association de consommateurs reconnue représentative au niveau national peut agir en réparation du préjudice subi individuellement par des consommateurs personnes physiques et causé par un même professionnel. Il faut pour cela qu’elle obtienne un mandat écrit d’au moins 2 consommateurs concernés (à peine de nullité de fond). En raison du faible succès des actions en représentation conjointe, le législateur a fini par créer une véritable action de groupe, avec la loi Hamon du 17 mars 2014 (articles L. et R. 623-1 s. code de la consommation). Le système adopté oscille entre, d'une part, reconnaissance à des associations agréées d'un pouvoir de représentation des personnes individuellement intéressées et, d'autre part, attribution à ces associations d'une qualité à agir. ▪ ▪ ▪ Cette action de groupe ne peut être exercée que par une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée à cette fin. Cette action de groupe a pour objet d'obtenir réparation des préjudices patrimoniaux individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire, situation ayant pour cause commune un manquement par le professionnel à ses obligations légales ou contractuelles. L’exercice de cette action de groupe est divisé en deux phases : o La première phase consiste, pour l'association agréée, à agir en justice en vue de voir le professionnel déclaré responsable du préjudice subi par un groupe. Si le juge estime cette demande recevable, il identifiera alors le groupe de consommateurs à l'égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée, ainsi que les préjudices susceptibles d'être réparés dans le cadre de l'action de groupe dont il est saisi, le montant de ces préjudices ou les éléments permettant de les évaluer. Dans cette première phase, le juge statue donc en même temps sur la recevabilité de la demande, sur le principe de la responsabilité et sur les conséquences de cette responsabilité. La décision est publiée, de façon à informer les consommateurs et leur permettre d’adhérer au groupe en s’adressant à l’association. o La seconde phase est celle d'exécution du jugement. Le professionnel devra indemniser les consommateurs qui ont choisi d'adhérer au groupe identifié par le juge. De son côté, l'association continue de représenter les membres du groupe qui n'auraient pas été indemnisés par le professionnel dans les délais impartis. Elle peut ainsi agir en exécution forcée du jugement de condamnation. Plusieurs actions de groupe supplémentaires ont été créées sur le modèle de celle instaurée par la loi Hamon, d’abord en matière de santé3, puis par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 (dite de « modernisation de la 2 Parler de défense « collective » des intérêts individuels des membres de l’association est une terminologie maladroite, dans la mesure où elle entretient, aujourd’hui, la confusion avec l’action que peut exercer une association en défense d’un intérêt collectif confinant à l’intérêt général. Pour plus de clarté, on devrait plutôt parler d’action « groupée » en défense des intérêts des membres de l’association, afin de souligner au contraire le lien intellectuel entre la jurisprudence « ligue de défense » et l’action de groupe instaurée par la loi, mais on ne s’étonnera pas de trouver une terminologie différente en doctrine ou dans la jurisprudence figurant sous l’article 31 CPC. 3 Articles L. et R. 1143-1 et s. du Code de la santé publique. Objectif Barreau – Procédure civile 2023 16 justice du 21ème siècle ») en matière de discrimination au travail 4 , d’environnement 5 et de protection des données à caractère personnel6. La démarche est donc sectorielle, dans la mesure où il n’existe pas une action de groupe, mais des actions de groupe, dans certains secteurs précis, et qui répondent à des conditions d’ouverture qui leur sont propres. Tout au plus le législateur a-t-il fait l’effort de fixer un droit procédural commun de ces nouvelles actions de groupe 7, codifié aux articles 848 à 849-21 CPC (mais une partie des règles applicables reste aussi non codifiée, cf. les articles 60 à 83 de la loi du 18 novembre précitée…). On se contentera d’indiquer que la demande, qui relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire, peut avoir pour finalité aussi bien la cessation, par l’auteur du dommage causé au groupe, du manquement à ses obligations légales ou contractuelles, que la réparation des préjudices individuellement subis par chaque membre du groupe. 4 Articles L. 1134-6 et s. du Code du travail. 142-3-1 et s. du Code de l’environnement. 6 Article 43 ter de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. 7 Ce socle procédural commun est calqué sur la procédure expérimentée par la loi Hamon, mais sans lui être applicable rétroactivement (les dispositions issues de la loi Hamon continuent de régir en totalité l’action de groupe qu’elle a créée). 5 Articles L. Objectif Barreau – Procédure civile 2023 17 Ses conditions L’action de groupe Action de groupe Hamon (loi 17 mars 2014) en droit de la consommation (art. L. et R. 623-1 à L. 623-32 et R. 623-33 C. conso.) Action de groupe produits de santé (loi du 16 janvier 2016 ; art. L. 1143-1 à L. 1143-13 CSP ; R. 1143-1 à 1143-3 CSP) PAR QUI (qualité à agir) Associations de consommateurs représentatives au niveau national et agréées en application des articles L. et R. 811-1 C. conso. Associations d’usagers du système de santé agréées conformément à l’article L. 1114-1 CSP. POURQUOI (cause) 1° Un professionnel a manqué à ses obligations légales ou contractuelles en matière de vente de biens ou de fourniture de services ou dans le cadre de la location d’un bien immobilier. 2° Un professionnel s’est livré à des pratiques anticoncurrentielles et ce manquement a impacté de façon identique ou similaire plusieurs consommateurs. Dommages corporels subis par un groupe d’usager en raison d’un même manquement à une obligation légale ou contractuelle d’un producteur, d’un fournisseur de produits de santé ou d’un prestataire de soins utilisant ces produits POUR QUI (bénéficiaires) Plusieurs consommateurs impactés de la même façon par le même manquement. Opt-in8 dans les 2 à 6 mois de la publicité de la décision du juge prononçant la responsabilité du professionnel. Opt-in après que la décision de responsabilité a été rendue par le juge (action de groupe santé : entre 6 mois et 5 ans à compter de la décision ; pas de délai pour les autres actions) POUR QUOI (objet) Réparation des préjudices individuels des consommateurs, mais seulement les préjudices patrimoniaux résu

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