Développement affectif et social des enfants de 3 à 6 ans PDF
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Ce document traite du développement affectif et social des enfants de 3 à 6 ans. Il examine la conscience de soi, l'identité de genre, les théories du développement et l'encadrement parental. Le document décrit comment la conscience de soi et l'image de soi chez un enfant varient avec son âge.
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Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans PLAN DU CHAPITRE 6.1 L’évolution de la conscience de soi 6.4.2 La théorie psychosociale d’Erikson 6.1.1 Le concept de soi et l’image de soi 6.4.3 La perspective cognitive 6.1.2 L’esti...
Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans PLAN DU CHAPITRE 6.1 L’évolution de la conscience de soi 6.4.2 La théorie psychosociale d’Erikson 6.1.1 Le concept de soi et l’image de soi 6.4.3 La perspective cognitive 6.1.2 L’estime de soi 6.5 Le développement affectif, social et sexuel 6.1.3 La compréhension et la régulation 6.5.1 Les premiers amis des émotions 6.5.2 Le comportement prosocial 6.2 Le développement de l’identité de genre 6.5.3 L’agressivité 6.2.1 Les différences de genre 6.5.4 La sexualité 6.2.2 Les étapes du développement de l’identité 6.6 L’encadrement des enfants de genre 6.6.1 Les différentes formes de discipline 6.2.3 Les inuences biologiques 6.6.2 Les styles parentaux 6.2.4 Les rôles et les stéréotypes sexuels 6.6.3 Les facteurs d’inuence des conduites 6.3 Les théories du développement de l’identité parentales de genre 6.6.4 Le soutien aux familles en état 6.3.1 La théorie psychanalytique de vulnérabilité 6.3.2 Les théories cognitives 6.4 Les théories du développement de la personnalité 6.4.1 La théorie psychosexuelle de Freud ier de ses nouvelles habiletés, le jeune enfant comportements plus ou moins stéréotypés sexuel- F multiplie les initiatives pour montrer ce dont il est capable. Les encouragements de ses proches l’aident à se construire une estime de soi lement. Curieux du monde et des autres, il veut faire de plus en plus de choses par lui-même, il vit ses premières relations d’amitié et découvre l’impor- élevée, indispensable au développement de ses tance de l’échange et de l’entraide. Ses parents ont compétences sociales. Qu’il soit un garçon ou une alors la responsabilité de lui inculquer des compor- lle, l’enfant sait maintenant qu’il appartient à l’un tements socialement acceptables, en adoptant des des deux genres et amorce son apprentissage des méthodes éducatives fermes, mais bienveillantes, rôles sexuels. En imitant les divers modèles pro- qui doivent faire appel au raisonnement de l’enfant posés par son milieu, l’enfant développe ainsi des et être dénuées de toute forme de violence. 198 CHAPITRE 6 Mise en SITUATION Aurélie fête l’Halloween Ce matin, Aurélie doit se déguiser pour aller au centre de la petite enfance (CPE), car une grande fête y est organisée pour l’Halloween. Elle porte un costume de princesse qu’elle a choisi elle-même pour ressembler à Cendrillon. Aurélie se trouve très jolie avec ses cheveux aussi longs que ceux de sa Barbie et le rouge à lèvres de sa mère qui lui donne l’air d’une « madame ». Lorsqu’elle arrive dans son local et qu’elle aperçoit son amie Léa, elle reste gée et s’exclame : « Tu as l’air d’un garçon ! » à la llette qui porte un costume de pirate. Léa, déçue, regarde son éducatrice avec Voyant la tristesse d’Aurélie, l’éducatrice se penche à sa hauteur insécurité, mais celle-ci sourit et explique à Aurélie qu’une lle pour discuter avec elle. Elle tente de la rassurer en lui expli- peut aussi se déguiser en pirate. quant qu’elle a réagi sous le coup de la surprise, mais que cela Avant de laisser sa mère partir, Aurélie la serre dans ses bras ne signie pas qu’elle l’aime moins. L’éducatrice lui demande et s’assure auprès d’elle que c’est son père qui viendra la cher- pourquoi elle a lancé sa citrouille et, en écoutant ses explica- cher à la n de la journée : elle a tellement hâte de l’entendre tions, elle comprend que sa colère est liée à l’absence de son lui dire qu’elle est belle dans sa robe de princesse ! Plus tard père. Ensemble, elles cherchent une solution, et c’est Aurélie qui dans l’avant-midi, les enfants font le tour des magasins autour du la trouve : on va prendre une photo d’Aurélie dans sa belle robe CPE, puisque les commerçants ont des bonbons à leur remettre. pour la montrer à papa. Anne, la mère d’Aurélie, qui assiste à la Dans l’après-midi, les enfants décorent de petites citrouilles. scène, félicite sa lle d’y avoir pensé : « Tu es très astucieuse, Aurélie est très heureuse d’avoir fêté l’Halloween, mais son sou- ma chérie ! » Aurélie est heureuse que sa maman la trouve « astu- rire s’efface lorsqu’elle aperçoit sa mère à la porte du local : cieuse ». Fière d’elle, la llette lui raconte alors qu’une dame lui a « Il est où papa ? » Anne, sa maman, lui explique qu’il y a eu un donné deux bonbons de plus en disant qu’elle était la plus belle imprévu et que son père doit travailler tard ce soir. En colère, princesse qu’elle ait vue, mais qu’elle les a partagés avec Léa, Aurélie lance sa citrouille, et celle-ci éclate sur le sol, ce qui pour lui faire plaisir. fait crier les enfants autour d’elle. Son éducatrice, alertée par le bruit, l’interpelle avec une voix plutôt forte pour lui demander Tout au long de la lecture de ce chapitre, référez-vous ce qui se passe, ce qui déclenche de gros sanglots chez la l- à cette mise en situation pour répondre aux questions lette, maintenant convaincue que son éducatrice la déteste. qui s’y rapportent. 6.1 L’évolution de la conscience de soi La période de trois à six ans constitue une étape signicative dans le développement affec- tif et social de l’enfant. Nous avons vu dans le chapitre 4 comment s’amorçait l’ébauche de la conscience de soi, alors que l’enfant comprend qu’il est une personne distincte des autres ; nous allons maintenant examiner comment évolue cette conscience de soi. Une des premières caractéristiques identitaires qui orientent le comportement de l’enfant, dès l’âge de deux ans, est le genre auquel il appartient. À partir de trois ans, ses habiletés cognitives et émotionnelles vont lui permettre d’intégrer de multiples informations en pro- venance de son environnement et les messages qu’il reçoit constamment sur lui-même. L’enfant de cet âge développe ainsi une représentation de soi beaucoup plus complète qu’auparavant et il devient en mesure d’aimer ou de ne pas aimer ce qu’il est. Néanmoins, les descriptions qu’il va faire de lui-même demeurent centrées sur les aspects extérieurs et peuvent uctuer en fonction des événements. Ce n’est qu’au cours des années subsé- quentes qu’il apprendra à adopter un regard nuancé sur son concept de soi. Concept de soi Ensemble des représentations 6.1.1 Le concept de soi et l’image de soi qu’une personne possède au sujet Le concept de soi renvoie à la représentation globale que nous nous faisons de nous- d’elle-même. mêmes, de nos caractéristiques et de nos traits. Il s’agit d’une construction cognitive Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 199 qui est à la fois descriptive et évaluative ; elle détermine ce que nous croyons être et guide les actions que nous entreprenons (Harter, 1996). Selon Duclos (2010), le concept de soi comporte l’image de soi, l’estime de soi, ainsi que le soi idéal. Il se développe par l’intermédiaire des expériences quotidiennes qui permettent à l’enfant de se représen- ter comme un être ayant des caractéristiques particulières et intègre aussi un aspect social par l’entremise des informations reçues de son entourage («C’est une petite qui se débrouille très bien » ou encore « C’est un enfant qui se décourage facilement »). La relation d’attachement, que nous avons vu dans le chapitre 4, constitue également une base importante sur laquelle l’enfant développe des représentations sur lui-même, en lien avec la façon dont les adultes prennent soin de lui (Harter, 2015). L’aspect identitaire du concept de soi – l’image de soi – débute avec la conscience de soi (voir le chapitre 4 ), puis se complexie tout au long de la vie parallèlement au Le concept de soi chez développement cognitif. les cinq ans Comme nous l’avons vu avec Piaget (voir chapitre 5), l’enfant de trois ou quatre ans détient une pensée très concrète. Lorsqu’il se décrit lui-même, il le fera sur la base des aspects externes (apparence, comportements concrets et possessions) et très peu sur celle des aspects internes (émotions et personnalité) (Harter, 2015). Il pourra par exemple nommer la couleur de ses yeux, énumérer les membres de sa famille, décrire la maison qu’il habite, afrmer ce qu’il aime ou n’aime pas manger et décrire ses habi- letés. Puisque ses pensées s’appuient sur un raisonnement transductif, il se décrit lui-même, au cas par cas, sans lien logique, et se base sur les événements récents (il se décrira ainsi : « J’aime la pizza, je suis fort, je porte des chapeaux. ») (Harter, 2015). Par ailleurs, l’enfant tend à se décrire lui-même de manière peu nuancée, très positive et idéalisée, en partie parce qu’il est encore difcile pour lui de distinguer ce qu’il aime- rait être (le soi idéal) de ses réelles capacités (Harter, 2015). On observe par exemple que lorsqu’on demande à des enfants de quatre ans à quelle distance ils peuvent sau- ter, ils surestiment systématiquement leurs capacités (Schneider, 1998). Vers l’âge de cinq ou six ans, avec le développement de la théorie de l’esprit et la diminution de l’égocentrisme, l’enfant commence à pouvoir utiliser la comparaison sociale pour se dénir et à établir certaines connexions logiques entre les différentes informations qu’il a accumulées sur lui-même (« je cours vite, je saute haut, je suis fort et je peux lancer une balle très loin : un jour, je pourrai faire partie d’une équipe de baseball »). Toutefois, à ce stade, sa compréhension à l’égard des limites de ses perfor- mances est encore rudimentaire (Harter, 2015). Il faudra attendre l’âge de sept ans environ pour que l’enfant fasse preuve de plus de nuances et de réalisme. Par exemple, plutôt que de dire : « je suis grand », il pourra dire : « je suis plutôt grand, mais je ne suis pas le plus grand de ma classe ». Il pourra alors se L’image de soi décrire par des traits généraux plutôt qu’en fonction d’habiletés particulières. Il dira : L’image que le jeune enfant se fait de « je suis intelligent » et non : « j’ai bien répondu à la question », il pourra reconnaître qu’il lui-même est principalement fondée sur peut expérimenter des émotions conictuelles (« je suis en colère contre maman, mais des caractéristiques extérieures telles je l’aime quand même ») et faire preuve d’autocritique sur ses forces et ses faiblesses que ses traits physiques (cheveux bruns) (« je suis bon pour courir vite, mais moins pour attraper un ballon »). et ses possessions (son chien). 6.1.2 L’estime de soi L’estime de soi est la valeur, positive ou négative, qu’une personne s’accorde à elle- Estime de soi même. Elle représente la partie évaluative du concept de soi, c’est-à-dire le jugement Valeur positive ou négative qu’une que l’enfant porte sur lui-même en fonction de ses caractéristiques. L’estime de soi personne s’accorde à elle-même. repose sur l’écart entre l’image de soi et le soi idéal. Comme nous le verrons dans le chapitre 8, le soi idéal correspond à ce qu’on aimerait être (Duclos, 2010). Tout comme pour le concept de soi, l’estime de soi de l’enfant de moins de cinq ou six ans n’est pas nuancée : l’enfant se dénit globalement comme bon ou mauvais. De plus, son évalua- tion de lui-même peut être biaisée, car l’enfant tend à accepter le jugement des adultes qui lui donnent des rétroactions positives, exemptes de critique (Harter, 1993, 1996, 200 CHAPITRE 6 1998). Ainsi, il n’a pas toujours la capacité de distinguer son image de soi et son moi Mise en situation, p. 198 idéal. Par exemple, dans la mise en situation, Aurélie a surtout retenu le commentaire de la dame qui lui a dit qu’elle était la plus belle. Au fur et à mesure qu’il grandit, l’enfant acquiert une vision plus réaliste de ses forces et de ses faiblesses (« je suis bon en dessin, mais moins bon en lecture »). Ce n’est qu’au milieu de l’enfance que son évaluation personnelle, fondée sur l’internalisation des normes parentales et socié- tales, commence à façonner et à maintenir une estime de soi qui repose davantage sur l’ensemble de ses capacités que sur des comportements précis (Harter, 1996, 1998). L’estime de soi présenterait néanmoins une certaine stabilité au cours de l’enfance. C’est ce que suggère une étude longitudinale belge (Verschueren, Buyck et Marcoen, 2001) ayant démontré que le niveau d’estime de soi, évalué selon différents aspects de la perception de soi (apparence physique, habiletés scolaires et athlétiques, accep- tation sociale et façon de se comporter) chez des enfants de cinq ans permet de prédire l’estime de soi et le fonctionnement socioémotionnel à l’âge de huit ans. En résumé, l’estime de soi présente avant cinq ou six ans évolue au cours de l’enfance, mais constitue déjà une base stable qui persistera au cours des années à venir. L’estime de soi trouve sa source dans les interactions précoces de l’enfant avec les adultes qui en prennent soin. En effet, si les mécanismes que nous avons décrits dans le chapitre 4 sont présents dans la vie de l’enfant, notamment la régulation mutuelle et l’attachement sécurisant, celui-ci a de meilleures chances de ressentir qu’il a sa place, qu’il est une bonne personne et qu’il est digne d’être aimé. L’estime de soi n’est donc pas innée ; elle se façonne à partir des relations signicatives que l’enfant entretient avec son entourage. Un enfant ayant une estime de soi élevée part avec une longueur d’avance dans la vie, puisque cette force lui permettra de développer des compé- tences sociales qui, en retour, l’amèneront à renforcer son estime de soi (Royer, 2004). MYTHE OU RÉALITÉ Pour préserver une bonne estime de soi, il est préférable de faire uniquement des activités dans lesquelles on est performant. C’est faux ! L’être humain est en développement pendant toute sa vie et, pour se développer, il doit tenter de nouvelles expériences. L’enfant qui fait une activité dans laquelle il est peu perfor- mant tirera prot des rétroactions qu’il recevra et pourra s’améliorer. En mettant l’accent sur ses nouveaux apprentissages et sur ses progrès, l’adulte renforcera l’estime de soi chez l’enfant. L’estime de soi est un facteur de protection essentiel contre les problèmes d’adaptation et d’apprentissage chez les enfants. Elle pourrait même prévenir certains problèmes de santé mentale ultérieurs tels que la dépression à l’âge adulte (Duclos, 2010). Certains indicateurs peuvent nous renseigner sur la présence d’une bonne estime de soi dans la petite enfance : le fait de se sentir bien dans son corps, d’être er d’être un garçon ou une lle, de croire en ses capacités, d’avoir le sentiment d’être aimable, de se sentir à l’aise en compagnie des autres ou encore d’avoir conance que ses besoins seront reconnus et comblés dans un avenir rapproché (Duclos, 2010). Les parents et les éducatrices ont donc un rôle à jouer dans le développement de l’estime de soi, en stimulant les quatre composantes fondamentales (Duclos, 2010 ; Laporte, 2002). Ces composantes, qui sont étroitement liées les unes aux autres, sont le sentiment de sécurité, l’identité positive, le sentiment d’appartenance et le sentiment de compétence. Le sentiment de sécurité Le premier élément contribuant à l’estime de soi de l’enfant est l’acquisition de la conance et de la sécurité. Les adultes de l’entourage peuvent favoriser ce sentiment en établissant une discipline qui tient compte du rythme de l’enfant et en s’assurant que celui-ci en comprend et respecte les règles. Pour y parvenir, le parent, ou l’éducatrice, Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 201 doit bien connaître les besoins de l’enfant et chercher à les combler adéquatement, ce qui implique de savoir décoder ses messages et ses demandes. Par ailleurs, il faut offrir à l’enfant un environnement stable, où les changements qu’il aura à vivre seront limités. Dans la mise en situation, l’éducatrice décode bien le message d’Aurélie et comprend que la colère qu’elle manifeste reète sa déception devant l’absence de son Mise en situation, p. 198 père, ce qui lui permet de réagir adéquatement. BOÎTE À OUTILS Pour favoriser la connaissance de soi, l’éducatrice décorer son casier avec un petit bricolage qui le peut faire des activités qui amènent l’enfant à dé- représente et une photographie. L’enfant devra alors terminer ses préférences et à les utiliser pour se rééchir à ses caractéristiques propres an de choi- dénir. Par exemple, elle peut inviter l’enfant à sir les couleurs et les images qui le représentent. L’identité positive Le deuxième élément favorisant l’estime de soi est l’identité positive, qui passe par la connaissance de soi. Cette dernière s’élabore grâce à la reconnaissance et à l’accepta- tion du tempérament propre à l’enfant par les parents et les éducatrices. Ceci implique de lui mentionner ses forces, mais également d’accepter ses faiblesses et d’être en mesure de lui en parler de manière constructive. Toutes les personnes de son entourage peuvent aider l’enfant à identier ses émotions, à comprendre que ses difcultés sont temporaires et à l’amener ainsi à se projeter positivement dans l’avenir (Laporte, 2002). Le sentiment d’appartenance Le troisième élément qui encourage l’estime de soi est le sentiment d’appartenance. Pour aider l’enfant à développer ses habiletés verbales, sociales et relationnelles, les parents et les éducatrices doivent lui permettre de vivre des relations signicatives et stables. En milieu de garde, le nom de groupe peut favoriser le sentiment d’appartenance tout comme les activités rituelles telles que le fait d’avoir une chanson de groupe, de laver la table tous ensemble après le repas du midi ou d’aller au parc chaque vendredi. L’adulte doit également démontrer qu’il valorise la vie sociale en adoptant lui-même des comportements prosociaux. Les éducatrices jouent un rôle particulièrement impor- tant, puisqu’elles accompagnent l’enfant dans le développement des comportements sociaux dans le groupe de pairs. Ainsi, elles l’aident à apprendre comment établir un contact de façon adéquate, à s’afrmer de façon constructive, à prendre conscience des besoins des autres, à gérer sa frustration et à résoudre des conits (Duclos, 2010). Le sentiment de compétence Le quatrième élément contribuant à l’estime de soi est le sentiment de compétence, qui s’acquiert à partir des expériences que vit l’enfant, de son désir d’explorer et des encouragements que lui fournissent les adultes autour de lui. Il est ainsi fortement lié à l’attitude des parents et des éducatrices. En offrant à l’enfant l’occasion de tenter de nouvelles expériences, les adultes l’aident à réaliser qu’il exerce du pouvoir sur son environnement. Le fait de lui coner de petites responsabilités peut également contribuer au développement du sentiment de compétence. Lorsque l’enfant accom- plit une tâche ou une activité, l’adulte peut renforcer son sentiment de compétence en le comparant à lui-même plutôt qu’aux autres, en l’encourageant à recommencer s’il ne réussit pas du premier coup et en le félicitant pour les étapes réussies. L’échec sera ainsi expérimenté de manière constructive, ce qui amènera l’enfant à persévérer dans ses entreprises (Duclos, 2010). Enn, quand l’éducatrice réprimande l’enfant, les Le sentiment de compétence rétroactions liées à un comportement particulier favorisent une estime de soi élevée, Coner de petites responsabilités à contrairement à un jugement global de l’enfant. Ainsi, le parent qui veut favoriser le l’enfant contribue au développement sentiment de compétence de l’enfant pourrait s’exprimer ainsi : « Lorsque tu ne ranges du sentiment de compétence. 202 CHAPITRE 6 pas tes jouets, ils traînent partout et il faut que je les ramasse moi-même. Mais ce sont tes jouets et il est important que tu apprennes à t’en occuper. » et éviter les formula- tions telles que « tu es vraiment désordonné ». L’estime de soi sera plus élevée chez l’enfant qui se sent compétent. De plus, sa motiva- Mise en situation, p. 198 tion à entreprendre des actions et à les réussir l’amènera à expérimenter plus de succès Quelles composantes dans ses activités et dans ses relations sociales, ce qui viendra également renforcer son fondamentales de l’estime estime de soi. En effet, l’enfant qui se sent compétent attribuera ses échecs à des facteurs de soi la mère d’Aurélie extérieurs ou à un manque d’efforts et donc à une situation temporaire. Il fera ainsi plus stimule-t-elle ? de tentatives an de réussir ou de changer la situation (Pomerantz et Saxon, 2001). Or, ces bénéces ne sont pas observés chez les enfants pour qui l’estime de soi est condi- tionnelle à la réussite. Ces derniers attribuent les échecs et la critique à leurs caractéris- tiques personnelles. Les enfants de moins de sept ans, n’ayant pas la capacité de nuancer leur vision d’eux-mêmes, pourront donc se percevoir comme globalement mauvais. Cette perception peut à son tour entraîner un sentiment d’impuissance à changer la situation. Un tel sentiment d’impuissance peut empêcher l’enfant de persister dans une tâche difcile à réussir (Burhans et Dweck, 1995 ; Ruble et Dweck, 1995) : il va abandonner, se sentir honteux et choisir une tâche qu’il peut réussir facilement. Confronté au rejet par ses pairs, il préférera retourner jouer seul plutôt que d’analyser la situation et de voir par quels moyens il pourrait intéresser ses amis. Les enfants qui ont une estime de soi conditionnelle à la réussite possèdent une motivation extrinsèque. Les parents et les éducatrices peuvent favoriser la motivation intrinsèque en offrant des rétroactions positives qui mettent l’accent sur le processus plutôt que sur le résultat de la tâche (Deci et Ryan, 2000). Le tableau 6.1 fournit des exemples de pratiques éducatives pour stimuler l’estime de soi à partir des quatre composantes fondamentales. DANS LA TÊTE DE L’ENFANT En raison de la centration, une caractéristique de la pensée que nous avons vue dans le chapitre précédent, l’enfant perçoit les éléments de sa personnalité de façon dichotomique (soit il est bon, soit il est mauvais). S’il croit qu’il a mal agi (par exemple, s’il renverse du jus), il pourra penser automatiquement qu’il est une mauvaise personne. Cela explique pourquoi, particulièrement avec ce groupe d’âge, il faut éviter de faire des rétroactions négatives qui portent sur l’enfant (par exemple, dire à l’enfant qu’il est maladroit), tout comme il faut lui permettre de réparer son geste (par exemple, le faire participer au nettoyage du dégât). 6.1.3 La compréhension et la régulation des émotions La compréhension et la régulation des états internes représentent l’une des acquisi- tions majeures de la petite enfance (Dennis, 2006). En effet, l’enfant qui comprend ses propres émotions est capable de mieux les gérer et d’être plus sensible à ce que les autres ressentent. La régulation des émotions guide les comportements de l’enfant (Laible et Thompson, 1998) et contribue à développer chez lui la capacité de bien s’entendre avec les autres (Denham et al., 2003). Les enfants d’âge préscolaire peuvent parler de ce qu’ils éprouvent et sont souvent en mesure de discerner comment les autres se sentent. De plus, ils comprennent que les émotions sont liées aux expériences et aux désirs (Saarni, Mumme et Campos, 1998). Par exemple, ils conçoivent qu’une personne qui obtient ce qu’elle désire sera contente et, à l’inverse, qu’elle sera déçue et triste si elle ne l’obtient pas. La rétroaction positive La compréhension émotionnelle devient plus complexe avec l’âge et le développe- La rétroaction positive contribue ment du concept de soi. Lagattuta (2005) a demandé à 32 enfants âgés de 4 à 8 ans et beaucoup à l’estime de soi de l’enfant de trois ou quatre ans en favorisant à 32 adultes d’imaginer comment un jeune garçon se sentirait si sa balle roulait jusque l’internalisation des normes de valorisa- dans la rue et qu’il avait ou non le droit d’aller la récupérer. Les enfants de quatre et tion personnelle. cinq ans ont eu tendance à croire que le garçon serait content s’il allait chercher sa Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 203 TABLEAU 6.1 Les pratiques éducatives favorisant le développement de l’estime de soi Composante Principales pratiques éducatives Exemple fondamentale Sentiment Reconnaître les besoins de l’enfant. Accorder notre attention à un enfant lorsqu’il nous montre son dessin. de sécurité Offrir à l’enfant un environnement stable et prévisible. Dîner à la même heure tous les jours. Adopter des règles claires et cohérentes. Toujours se laver les mains avant le repas. Identité positive Accepter les préférences de l’enfant dans le choix des activités. Accepter que les garçons jouent avec des poupées. Aider l’enfant à nommer ses émotions. « J’ai l’impression que ça te fait de la peine d’avoir cassé ton jouet. » Nommer les forces de l’enfant. « Wow ! Tu as dessiné sans dépasser les lignes. » Utiliser des qualicatifs pour enrichir le concept de soi de l’enfant. « Tu fais de jolies formes avec le glaçage, tu es très créative. » Aider l’enfant à se projeter dans l’avenir lorsqu’il vit des difcultés. « La prochaine fois, tu vas faire encore mieux. » Sentiment Organiser des activités de groupe et des sorties. Organiser un pique-nique avec les enfants. d’appartenance Avoir des rituels de groupe. Nettoyer les jouets avec un chiffon humide chaque jeudi. Être un modèle de comportement prosocial. Demander à l’enfant s’il veut nous aider à transporter les plats vides jusqu’à la cuisine. Sentiment de Créer des opportunités de faire de nouvelles activités. Encourager les enfants à essayer un nouveau sport. compétence Donner de petites responsabilités à l’enfant. Demander à l’enfant d’aller remplir la bouteille d’eau de son éducatrice. Mettre l’accent sur les conséquences positives des efforts. « Ça paraît que tu t’es exercé, puisque tu lances le ballon beaucoup plus haut. Bientôt, tu arriveras à l’envoyer jusqu’au panier ! » balle, même s’il devait enfreindre une règle, alors qu’il serait malheureux s’il ne le faisait pas, expliquant davantage les émotions en fonction du but du personnage. De leur côté, les enfants de sept et huit ans, tout comme les adultes, étaient plus enclins à croire que l’obéissance à la règle ferait en sorte que le garçon se sentirait bien, alors que la désobéissance l’amènerait à se sentir coupable. Une des raisons qui peut expliquer la confusion éprouvée par les plus jeunes enfants à l’égard de leurs émo- tions concerne leur difculté à comprendre qu’on puisse avoir des émotions contra- dictoires simultanément. Par exemple, ils sont incapables à ce stade d’imaginer qu’on puisse être à la fois joyeux et effrayé. Cette difculté de compréhension les amène à tirer des conclusions erronées sur les sentiments des gens. C’est ce qui est illustré dans la mise en situation lorsque Aurélie croit que son éducatrice la déteste parce qu’elle a parlé fort. Comme nous le verrons dans le chapitre 8, cette compréhension Mise en situation, p. 198 se précisera durant la prochaine période de développement. FAITES LE POINT 1. Quelles sont les trois étapes de changement qui surviennent dans la représentation de soi de l’enfant selon la perspective néopiagétienne ? 2. Dénissez les termes « image de soi » et « estime de soi », et dites en quoi ils sont liés. 3. En quoi la régulation des émotions peut-elle être avantageuse pour un enfant ? 4. Yan, cinq ans, réalise qu’il aide souvent sa petite sœur et qu’il partage sa collation avec ses amis à l’école ; alors, il se dit qu’il aime aider les gens. Quelle est la nouvelle capacité qui permet à Yan de tirer cette conclusion ? 5. Votre collègue Tatiana trouve difcile de renforcer l’estime de soi de Sami, qui réussit souvent moins bien que les autres enfants dans les activités qu’elle a l’habitude de proposer. Indi- quez trois pratiques éducatives que vous pourriez suggérer à Tatiana pour qu’elle renforce le sentiment de compétence de cet enfant. 204 CHAPITRE 6 6.2 Le développement de l’identité de genre Le fait d’être un garçon ou une lle a certes une incidence sur l’apparence physique, les vêtements portés et la façon de bouger, mais l’appartenance à un sexe inuence également le concept de soi et la perception qu’on a des autres. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, l’identité de genre constitue la représentation qu’une personne se fait d’elle-même, selon son appartenance à un sexe et dans une société donnée. 6.2.1 Les différences de genre Les informations que l’enfant intègre sur lui-même et la façon dont il oriente ses com- portements reposent en grande partie sur le genre auquel il s’identie. An de mieux cerner ces caractéristiques, nous ferons un survol des principales distinctions entre les garçons et les lles sur les différents plans du développement. Physiquement, la principale différence repose sur l’anatomie des organes génitaux (Hyde, 2005). Les bébés garçons sont un peu plus grands, un peu plus lourds et un peu plus forts, mais ils sont plus vulnérables. Avant même leur naissance, ils sont plus actifs que les lles, alors que ces dernières réagissent moins au stress et sont plus susceptibles de survivre à l’enfance (Davis et Emory, 1995 ; Keenan et Shaw, 1997). À la naissance, le cerveau des garçons est en moyenne 10 % plus gros que celui des lles, une différence qui se maintient jusqu’à l’âge adulte (Gilmore et al., 2007). Par ailleurs, garçons et lles peuvent s’asseoir et marcher environ au même âge, et ils franchissent les différentes étapes du développement moteur à peu près au même rythme. Sur le plan cognitif, les différences entre les sexes sont faibles et peu nombreuses (Spelke, 2005). Globalement, les scores moyens aux tests d’intelligence ne montrent aucune dissemblance (Keenan et Shaw, 1997). De plus, les deux sexes réussissent tout aussi bien dans les tâches qui impliquent des habiletés mathématiques de base, et ils sont tout aussi aptes à apprendre les mathématiques. Toutefois, on note des différences pour certaines activités particulières. Ainsi, les lles seraient meilleures dans les tâches qui font appel à la uidité verbale, au calcul mathématique et à la mémoire pour locali- ser des objets, alors que les garçons seraient plus habiles dans les analogies verbales, la résolution de problèmes mathématiques et la mémoire visuospatiale (Spelke, 2005). Enn, il y aurait une plus grande variabilité interindividuelle dans les habiletés mathé- matiques chez les garçons que chez les lles, c’est-à-dire qu’il y a plus de garçons aux extrêmes (faible et élevé) pour cette habileté (Halpern et al., 2007). Sur le plan comportemental, les garçons se distinguent par leur propension à recourir davantage à l’agressivité. Ainsi, dès l’âge de 17 mois, les garçons tendent à jouer plus agressivement que les lles (Baillargeon et al., 2007). À partir de deux ans, les garçons se démarquent par une propension légèrement plus élevée pour les comportements agressifs (Archer, 2004 ; Baillargeon et al., 2007 ; Hyde, 2005 ; Pellegrini et Archer, 2005). Toutefois, en bas âge, les bébés lles sont capables de frapper, de mordre ou de faire des crises tout autant que les garçons. Nous reviendrons sur l’agressivité plus tard dans le chapitre. Sur le plan socioaffectif, nous avons vu dans le chapitre 4 qu’autour de deux ans, l’enfant commence déjà à adopter des comportements typiquement liés à son genre. Rôles sexuels C’est l’émergence des rôles sexuels, c’est-à-dire l’intériorisation des traits de per- Ensemble des traits de personnalité, sonnalité, des comportements, des centres d’intérêt, des attitudes et des habiletés comportements, centres d’intérêt, qu’une culture associe aux femmes ou aux hommes et qu’elle souhaite les voir adop- attitudes et habiletés qu’une culture ter. La recherche sur les enfants de deux ans et demi à huit ans montre l’inuence de considère comme appartenant aux femmes ou aux hommes. ces rôles sexuels par les différences importantes entre les deux sexes quant à la pré- férence de jeux. L’intensité avec laquelle l’enfant adhère aux comportements fondés sur le genre tôt dans la vie peut prédire le degré d’adoption de ces comportements plus tard (Golombok et al., 2008). Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 205 6.2.2 Les étapes du développement de l’identité de genre L’identité de genre s’établit en quatre phases (Crooks et Baur, 2017 ; Langis et Germain, 2015) : 1. La conscience du genre, de 18 à 24 mois, permet à l’enfant de comprendre que le monde animal et humain se partage en 2 catégories : le genre masculin et le genre féminin. À ce stade, l’enfant a une compréhension intuitive des catégories féminin/ masculin comme de celles des autres types de catégories dont il apprend l’existence (par exemple, chats/chiens), sans lien avec sa propre identité. 2. L’identication du genre, de deux à trois ans, amène l’enfant à comprendre qu’il appartient lui aussi à l’un des deux genres. Les caractéristiques sur lesquelles il se base pour juger le genre reposent sur des attributs physiques (coiffure, vêtements). Il ne saisit donc pas encore que le genre est une caractéristique de l’identité qui demeure stable toute la vie. 3. La stabilité du genre, de trois à cinq ans, permet à l’enfant de concevoir l’apparte- nance à un genre comme une réalité permanente liée au sexe anatomique. Limitée par la non-conservation (Piaget), sa compréhension demeure toutefois fortement inuen- cée par les apparences, et il peut expérimenter de la confusion lorsqu’il observe un homme qui présente une caractéristique typiquement féminine, comme le fait de por- ter un sac à main. C’est une période au cours de laquelle l’enfant peut refuser stricte- ment de dévier des normes liées au genre (Martin, Ruble et Szkybalo, 2002). Un petit garçon pourra, par exemple, s’opposer catégoriquement à porter une robe. 4. La consolidation ou la constance du genre, de cinq à six ans, amène l’enfant à renfor- cer son sentiment d’appartenance au sexe féminin ou masculin. De la connaissance Le concept de genre chez de son appartenance physique à un genre, il passe à une identication psycholo- les cinq ans gique qui génère un sentiment d’appartenance plus profond et plus stable. C’est en effet autour de cet âge qu’émerge, selon Piaget, la notion de conservation chez l’enfant. Celui-ci n’est donc plus berné par les changements d’apparence et réalise que ni son apparence ni son comportement ne peuvent modier son genre (Martin, Mise en situation, p. 198 Ruble et Szkybalo, 2002). Il adopte alors une attitude positive à l’égard de ce genre Quels sont les éléments qui permettent et devient grandement motivé à adhérer aux rôles sexuels qui lui sont associés de déterminer la phase de l’identité de (Bussey, et Bandura, 1999). genre à laquelle se trouve Aurélie ? L’identité de genre ainsi dénie suggère que l’enfant ne choisit pas la sienne, mais qu’il la découvre. Cette découverte serait liée à la prise de conscience des caractéristiques de ses organes génitaux. Mais qu’en est-il lorsque l’enfant naît avec une anomalie des organes génitaux qui oblige les parents à dénir son genre sur une base arbitraire ? On pourrait penser qu’il suft d’attribuer un sexe à l’enfant et de l’élever en cohérence avec celui-ci pour que l’enfant s’approprie l’identité associée à ce genre. Or, il n’en est rien. Nous verrons dans la section suivante que le développement de l’identité de genre repose sur une combinaison de facteurs physiques et psychologiques et qu’on ne peut pas la choisir. 6.2.3 Les inuences biologiques La similarité de plusieurs rôles sexuels dans de nombreuses cultures laisse à penser que certaines différences sexuelles pourraient avoir un fondement biologique, une hypothèse qui semble corroborée par certaines découvertes sur les plans génétique, hormonal et neurologique. Les scientiques ont ainsi identié plus de 50 gènes pouvant expliquer les différences anatomiques et fonctionnelles existant entre des cerveaux mâles et femelles de sou- ris. S’il y a des différences génétiques similaires chez les humains, l’identité sexuelle pourrait donc déjà être programmée dans le cerveau avant même la formation des organes sexuels ou le début de l’activité hormonale (Dewing et al., 2003). En outre, 206 CHAPITRE 6 vers l’âge de cinq ans, soit lorsque le cerveau atteint approximativement sa taille adulte, celui des garçons est environ 10 % plus large que celui des lles, principale- ment parce que les garçons ont une plus grande proportion de matière grise dans le cortex, alors que les lles ont une plus grande densité neuronale (Halpern et al., 2007 ; Reiss et al., 1996). Les hormones auxquelles est exposé le fœtus pendant la grossesse inuencent le développement des caractéristiques sexuelles physiques et du cerveau. La testosté- rone est une hormone mâle associée à l’agressivité chez les animaux adultes. Bien que l’effet de la testostérone sur le comportement ait été remis en question chez les humains (Constantino et al., 1993 ; Simpson, 2001), des données issues de la recherche suggèrent néanmoins qu’un niveau élevé de testostérone fœtale serait corrélé avec l’adoption de jeux typiquement masculins chez les garçons (Auyeng et al., 2009). An de mieux cerner l’inuence des hormones dans l’identité de genre, certaines recherches ont mis l’accent sur l’étude d’enfants ayant des problèmes hormonaux particuliers. Ces recherches mettent en lumière que les lles qui naissent avec une maladie produisant un niveau beaucoup plus élevé d’androgènes (les hormones sexuelles mâles) que la normale préfèrent les jouets de garçons et les jeux de bataille, choisissent des compagnons de jeu masculins (Hines, 2010) et font preuve de grandes Un garçon élevé comme une lle habiletés visuospatiales (Berenbaum et Beltz, 2016 ; Berenbaum, Bryk et Beltz, 2012). Une étude assez récente suggère néanmoins que la socialisation par les parents aurait L’identité de genre est-elle biologique ? Cet ouvrage décrit le cas célèbre d’un autant d’incidence que le niveau d’exposition prénatale aux androgènes en ce qui a nourrisson dont le pénis a été coupé trait au choix de jeux (Wong et al., 2013). Il semble ainsi que l’identité de genre résulte lors d’une circoncision et qui a alors été d’une diversité de facteurs et pas uniquement des inuences génétiques. élevé comme une lle, mais qui a rejeté plus tard son identité féminine pour vivre Des chercheurs se sont aussi intéressés aux anomalies de différenciation sexuelle, comme un homme. comme l’hermaphrodisme qui se caractérise par la présence simultanée de carac- tères sexuels féminin et masculin à la naissance. Dans le cadre d’une étude, 14 enfants génétiquement mâles, qui étaient nés avec une malformation sexuelle, ont subi une chirurgie pour modier leurs organes génitaux 1 mois après leur naissance et ont été élevés comme des lles. Entre l’âge de 5 et 16 ans, 8 de ces enfants ont déclaré qu’ils se considéraient comme des garçons. Cinq autres ont afrmé avoir une identité fémi- nine, mais ont révélé éprouver des difcultés à s’entendre avec d’autres lles. Quant au dernier sujet, après avoir appris qu’elle était en fait un garçon, elle a refusé de discuter de la question avec quiconque. Par ailleurs, deux garçons dont les parents avaient refusé qu’on attribue un sexe féminin à leur enfant sont demeurés des gar- çons (Reiner et Gearhart, 2004). Dans une autre étude, 25 garçons sur 27 nés sans pénis ont aussi été élevés comme des lles, mais ils se considéraient par la suite comme des garçons et s’engageaient dans des jeux plus rudes et plus typiquement masculins (Reiner, 2000). Lorsque l’on considère les données dans leur ensemble, on constate qu’il est encore difcile de distinguer les inuences hormonales des effets génétiques et des inuences provenant de l’environnement sur l’identité de genre. Il faut également souligner que notre vision de l’identité de genre a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. On considère maintenant que l’identité de genre se situe sur un continuum. Il semble en effet que de plus en plus d’enfants (et surtout de préadolescents et d’adolescents) peuvent se dénir comme garçon ou comme lle, mais également se considérer comme ni tout à fait lle ni tout à fait garçon, ou encore, partiellement comme un garçon et partiellement comme une lle (Olson-Kennedy et al., 2016). Un « vrai petit homme » Ce garçon déguisé en cowboy a déve- loppé un sens marqué des rôles 6.2.4 Les rôles et les stéréotypes sexuels sexuels. La principale différence À partir du moment où l’enfant est considéré comme appartenant au genre masculin ou comportementale entre les petits garçons et les petites lles réside féminin, la culture attend de lui certains comportements, des centres d’intérêt ou cer- dans la présence d’une plus grande taines attitudes qu’elle associe à son sexe et que l’on nomme des rôles sexuels, comme agressivité chez les garçons. nous l’avons vu plus tôt. Ces rôles sexuels sont présents dans toutes les sociétés. Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 207 Historiquement, dans la plupart des cultures, on a appliqué un double standard à Double standard l’égard de ces rôles. Ainsi, on a attendu des femmes qu’elles soient plus orientées vers Attentes de la société qui diffèrent en les soins et l’empathie, qu’elles se montrent plus accommodantes et aimantes, et l’on fonction du sexe de la personne. a voulu des hommes qu’ils soient plus actifs et pourvoyeurs, afrmatifs et compétitifs. Cependant, au cours des dernières décennies, on a assisté à une diversication et à un grand assouplissement des rôles sexuels, du moins en Occident. Ce changement est largement attribuable au féminisme : celui-ci a favorisé la libération de la femme de ses rôles traditionnels et son entrée massive sur le marché du travail, et il a entraîné un partage plus grand entre les hommes et les femmes des rôles de pourvoyeur écono- mique et d’éducateur auprès des enfants. Les rôles sexuels sont eux-mêmes nettement inuencés par les stéréotypes sexuels. Stéréotype sexuel Ces derniers correspondent à des généralisations sur le plan de la masculinité et de Généralisation portant sur la masculi la féminité. Dire que toutes les femmes sont passives et dépendantes, et que tous les nité et la féminité. hommes sont agressifs et indépendants est un exemple de stéréotypes sexuels. Ces sté- réotypes imprègnent chaque culture ; les enfants les apprennent dès leur plus jeune âge, en même temps que les rôles sexuels, et ils sont transmis principalement par la famille, mais aussi par les autres agents de socialisation. Ainsi, ils se manifestent chez Mise en situation, p. 198 les jeunes enfants dès l’âge de deux ou trois ans et augmentent pendant la période pré- Les éléments qui permettent scolaire jusqu’à atteindre un sommet autour de l’âge de cinq ans (Campbell, Shirley et à Aurélie d’afrmer qu’elle Candy, 2004 ; Ruble et Martin, 1998). Cependant, les enfants n’adhèrent pas tous autant ressemble à une « madame » aux stéréotypes sexuels. En effet, des garçons peuvent adopter des caractéristiques sontils fondés sur des stéréo plus « féminines », et des lles peuvent afcher des côtés plus « masculins ». types sexuels ? Pourquoi ? L’inuence des parents et du modèle familial Le jeune enfant qui développe son identité de genre se constitue une idée du rôle de la femme et de l’homme en général en s’inspirant principalement du parent du même sexe que lui (Langis et Germain, 2015). En plus d’être un modèle, le parent, de par son attitude, peut renforcer ou décourager des comportements qui sont associés ou non à son genre. Certaines études démontrent que les parents, particulièrement les pères, seraient plus souples envers leur lle qu’envers leur ls, en ce qui a trait à l’adhésion aux rôles sexuels. Ainsi, les pères n’aiment généralement pas voir leur ls jouer avec une poupée (Miedzian, 1991 ; Sandnabba et Ahlberg, 1999). Or, une étude récente ayant porté sur 121 enfants de 6 ans a démontré que ce sont les mères qui inuencent davan- tage les comportements ; ainsi, les lles dont les mères ont des comportements stéréo- typés adoptent à leur tour ces comportements, et les ls des mêmes mères, adoptant les comportements de ces dernières, afchent des comportements moins stéréotypés pour leur genre (Halpern et Perry-Jenkins, 2016). Cette même étude révèle que les comportements stéréotypés des mères – mais pas ceux des pères – au cours de la première année de vie de l’enfant permettent de prédire l’attrait pour des professions traditionnelles à l’âge de six ans. L’âge de l’enfant et le type de famille ont également une inuence sur l’adoption de sté- réotypes sexuels par l’enfant. Dans une étude de Sinno et Killen (2009), on a demandé à 67 enfants de 7 ans et à 54 enfants de 10 ans ce qu’ils trouveraient normal pour chacun de leur parent : travailler à temps plein ou encore rester à la maison pour s’oc- cuper des enfants. La plupart des enfants ont considéré comme acceptable, tant pour les mères que pour les pères, de travailler à temps plein et ont évoqué des motifs simi- laires (choix personnel, raisons sociales). En revanche, les enfants ont trouvé moins acceptable pour les pères de rester à la maison que pour les mères et ils ont utilisé les stéréotypes sexuels pour justier leur position (« Les pères ne sauraient pas quoi La transmission des rôles sexuels faire », «Les mères sont meilleures pour s’occuper des enfants »). De façon générale, Un père qui encourage son ls à effec les enfants de 7 ans étaient plus rigides dans leur raisonnement que ceux de 10 ans et tuer des activités traditionnellement utilisaient davantage les stéréotypes dans leurs évaluations. Par ailleurs, les enfants masculines lui transmet le message qui vivaient dans des structures familiales traditionnelles présentaient plus de stéréo- qu’il existe des centres d’intérêt qui types sexuels. sont appropriés aux garçons. 208 CHAPITRE 6 Ce résultat est appuyé par une autre étude menée en Angleterre et en Hongrie qui a montré que les garçons et les lles de quatre ans dont le père participait aux tâches ménagères et aux soins des enfants étaient moins conscients des stéréotypes sexuels et, par le fait même, s’engageaient moins dans des jeux stéréotypés sexuellement (Turner et Gervai, 1995). De même, le vécu d’une famille monoparentale dans laquelle le parent doit assumer les rôles dits féminins et masculins semble inuencer le com portement des enfants. Ces derniers adoptent en effet moins fréquemment des comportements traditionnellement associés à leur sexe (Leve et Fagot, 1997). Ainsi, les comportements des parents inuencent l’adoption de certains stéréotypes sexuels par les enfants. Selon le recensement de 2016, 1 % des couples en cohabitation au Canada rappor tent être en union avec une personne du même sexe (Statistique Canada, 2016). À l’échelle du pays, 12 % des couples homosexuels avaient des enfants en 2016, un chiffre qui a augmenté de 3,4 % depuis 2001. Dans quatre cas sur cinq, il s’agit de parents de sexe féminin. Il faut néanmoins souligner que les statistiques portant sur les homosexuels peuvent être sousestimées, puisque certains d’entre eux ne révèlent pas leur orientation sexuelle par crainte de discrimination ou de se faire retirer la garde de leur enfant (Dubé et Julien, 2000). Dans la société canadienne, il existerait en effet un certain questionnement quant au développement des enfants élevés par des parents homosexuels. Les inquiétudes les plus souvent rapportées par la population concernent l’impact de l’homoparentalité sur l’identité de genre, les rôles sexuels et l’orientation sexuelle. La recherche portant sur ce sujet présente des dés de taille, puisque la composi tion familiale des enfants qui grandissent dans une famille homoparentale peut être très variable. Pour ne citer que quelques exemples, l’enfant peut avoir été adopté par un couple homosexuel ; il peut avoir grandi dans une famille hétéroparentale, puis vivre dans une famille recomposée après qu’un de ses parents a révélé son orientation homosexuelle ; deux mères lesbiennes peuvent avoir demandé à un homme de leur entourage d’être donneur, et celuici peut être impliqué ou non auprès de l’enfant. Plusieurs variables relatives au développement des enfants élevés dans des familles homoparentales (la plupart des études concernent les mères lesbiennes) ont été étu diées : les problèmes comportementaux, les troubles émotionnels, les compétences sociales, la relation parentenfant, l’estime de soi et la réussite scolaire. Dans l’en semble, ces études ne révèlent pas de différence entre le développement des enfants issus de familles homoparentales et celui des enfants de familles hétéroparentales (Bos et Sandfort, 2010 ; Schneider et Vecho, 2015). Les études qui se sont intéressées plus spéciquement aux rôles sexuels montrent que les enfants ayant des mères lesbiennes ressentaient moins de pression parentale L’homoparentalité et le développement pour se conformer aux stéréotypes de genre et adoptaient moins de comportements de l’enfant discriminatoires envers l’autre genre. Cela peut s’expliquer par le fait que les parents Il n’y aurait pas de différence entre le homosexuels offrent aux enfants un modèle de partage des tâches indépendant du développement des enfants issus de genre (Farr et Patterson, 2011 ; Goldberg, 2010). L’étude de Bos et Sandfort (2010) familles homoparentales et celui des indique qu’il n’y a aucune différence quant à l’orientation sexuelle des adultes ayant enfants de familles hétéroparentales. grandi dans une famille homoparentale. Ces chercheurs rapportent néanmoins qu’un plus grand nombre de jeunes adultes élevés par des mères lesbiennes ont considéré la possibilité d’avoir une orientation homosexuelle et admettent davantage avoir expéri menté des relations sexuelles avec des personnes du même sexe que ceux ayant grandi dans une famille hétéroparentale. Ces résultats sont cohérents avec ce qui avait été rapporté dans une importante revue de littérature (Dubé et Julien, 2000), dans laquelle les conséquences de l’homoparentalité sur l’identité sexuelle ont été évaluées selon trois dimensions : l’identité de genre, les rôles sexuels et l’orientation sexuelle. Dans l’ensemble, les données montrent que les enfants provenant de familles homo sexuelles et hétérosexuelles ne diffèrent pas quant au développement de leur identité Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 209 sexuelle et à leur satisfaction à cet égard. Par rapport aux rôles sexuels (évalués par la préférence de jouets, d’activités et de centres d’intérêt), si, de façon générale, les résultats des études incluses dans cette revue de littérature révèlent que les deux groupes ne diffèrent pas, deux études rapportent néanmoins une attitude moins sté- réotypée chez les lles de mères lesbiennes. De façon générale, les enfants de parents homosexuels ne présenteraient pas de problème d’identité lié à leur contexte familial. Ils semblent se distinguer surtout par une plus grande ouverture d’esprit quant aux rôles sexuels et à l’orientation sexuelle. MYTHE OU RÉALITÉ Les enfants de parents homosexuels ont plus de chances de devenir homosexuels. C’est faux. Les données issues de la recherche démontrent un ratio équivalent de jeunes ayant une orientation homosexuelle versus hétérosexuelle chez les individus de parents homo sexuels ou hétérosexuels. Il est vrai toutefois que les jeunes qui ont grandi avec des parents homosexuels sont plus enclins à explorer la possibilité d’avoir une orientation homosexuelle. L’inuence de la fratrie et des pairs L’inuence qu’exercent les frères et sœurs sur le développement de l’identité de genre dépend du rang de l’enfant dans la fratrie. En effet, les aînés ont tendance à être plus inuencés par leurs parents, tandis que les cadets tenteraient davantage d’adopter les comportements et les attitudes de leurs aînés (McHale et al., 2001). Les enfants qui ont un frère ou une sœur de même sexe, mais plus âgé, tendent à adopter plus de comportements liés à leur sexe que ceux ayant un grand frère ou une grande sœur de sexe opposé (Iervolino et al., 2005). De leur côté, les pairs commencent très tôt à exercer une inuence sur la formation de l’identité de genre, puisque dès l’âge de trois ans, les enfants jouent généralement déjà dans des groupes de même sexe, ce qui renforce les comportements de genre. Cette inuence du groupe de pairs augmente avec l’âge (Martin, Ruble et Szkybalo, 2002). On note également que les pairs désapprouvent davantage les garçons qui agissent comme des lles que les lles que l’on dépeint comme des « garçons manqués » (Ruble et Martin, 1998). De manière générale, l’inuence des amis et celle des parents se ren- forcent mutuellement. Comme nous le verrons plus loin, la théorie de l’apprentissage social suggère que le groupe de pairs ne constitue pas une source de référence isolée. Il s’imbrique dans un système culturel complexe qui inclut non seulement les parents, mais aussi d’autres inuences, dont les médias (Bussey et Bandura, 1999). L’inuence des médias Le marché très lucratif des lms et produits dérivés sur les princesses, développé par la compagnie Disney, repose sur le besoin des jeunes lles de s’identier à des modèles féminins (England, Descartes et Collier-Meek, 2011). Leur présence impor- tante sur le marché international se traduirait par une grande inuence sur les rôles sexuels adoptés par les enfants dans le monde (Hubka, Hovdestad et Tonmyr, 2009). En revanche, les changements sociétaux quant à l’égalité des sexes tardent à être reétés par les modèles féminins et masculins présentés dans ces lms, où le travail domestique est majoritairement effectué par des personnages féminins (Wiserma, 2001). Par exemple, pour Blanche-Neige, le travail domestique exprime la servitude et représente un moyen de gagner l’amour. Même si, au cours des dernières années, on peut voir davantage de personnages féminins afchant des caractéristiques typi- quement masculines, les stéréotypes et les comportements sexistes sont encore très répandus dans les lms de Disney (England, Descartes et Collier-Meek, 2011). Par 210 CHAPITRE 6 exemple, Pocahontas et Mulan, qui s’engagent dans des activités typiquement mascu- lines et font preuve de volonté et de courage, montrent également des traits respectifs de douceur et de soumission, et optent nalement pour la vie familiale plutôt que de poursuivre d’autres buts (England, Descartes et Collier-Meek, 2011). La télévision, reconnue comme une source dominante d’inuence sociale sur le concept de genre, présente des émissions qui contiennent également des messages hautement stéréotypés, comme le révèle une étude qui a analysé des dessins ani- més d’aventure présentés à la télévision américaine (Leaper et al., 2002). Au Québec, on présente maintenant des émissions pour enfants et des feuilletons qui sont plus proches de la diversité des familles actuelles et dans lesquels on peut voir des pères monoparentaux, des mères au travail, des parents homosexuels ou des familles recom- posées. La rubrique « Application » intitulée « Comment favoriser une image corporelle saine chez les petites lles ? » dans le chapitre 9 (voir la page 309) approfondit l’in- uence de ces modèles stéréotypés sur l’image corporelle des enfants et présente des pratiques éducatives concrètes pour aider les enfants. Enn, il faut souligner que la télévision n’est pas le seul média qui véhicule des sté- réotypes sexuels. Une étude canadienne a évalué les rôles des pères et des mères présentés dans un ensemble de livres jeunesse canadiens francophones (Dionne, 2007). Les résultats révèlent que les rôles traditionnels prédominent encore, prin- cipalement en ce qui concerne les mères, qui ont davantage d’interactions avec les enfants. L’étude a néanmoins montré que, bien que moins fréquemment, les pères adoptaient également des comportements affectueux avec leurs enfants, ce qui sug- gère une certaine évolution dans la représentation de leur rôle au sein de la littéra- ture enfantine canadienne francophone. FAITES LE POINT 6. Nommez les quatre étapes du développement de l’identité de genre. 7. Expliquez la différence entre un rôle sexuel et un stéréotype sexuel. 8. Expliquez l’incidence des médias sur la transmission des valeurs culturelles relatives aux rôles et aux stéréotypes sexuels. 9. Les parents de Jérémy et Flora, qui sont jumeaux, ont trouvé amusant d’habiller leurs deux enfants avec les robes de Flora, mais Jérémy s’y est opposé en disant qu’il ne voulait pas devenir une lle. À quelle phase de l’identité de genre Jérémy se trouve-t-il et pourquoi ? 10. En vous inspirant des informations que vous avez lues sur la façon dont les parents inuen- cent l’adoption de stéréotypes sexuels chez les enfants, indiquez comment le comportement de l’éducatrice peut également inuer sur l’adoption de ces stéréotypes. 6.3 Les théories du développement de l’identité de genre Parmi les théories qui tentent d’expliquer l’acquisition de l’identité de genre, nous aborderons brièvement la théorie psychanalytique, qui sera davantage explicitée dans la section portant sur les théories du développement de la personnalité, ainsi que les théories cognitives de Kohlberg, de Bandura et de Bem. Identication 6.3.1 La théorie psychanalytique Selon Freud, processus par lequel un jeune enfant adopte les caractéris- Selon l’approche psychanalytique, le développement de l’identité sexuelle doit passer tiques, croyances, attitudes, valeurs par un processus d’identication, selon lequel un enfant adopte les caractéristiques, et comportements du parent qu’il les croyances, les attitudes, les valeurs et les comportements du parent qu’il consi- considère comme un modèle. dère comme un modèle. Pour Freud, même si la mère représente la première personne Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 211 à qui tous les enfants, garçons ou lles, s’identieraient, l’identication sexuelle doit nalement se faire avec le parent du même sexe : c’est la condition d’un développe- ment « normal ». Nous verrons plus loin que de trois à six ans, l’enfant passe, selon Freud, par une période où le parent de même sexe que lui devient son rival, puisqu’il désire inconsciemment s’unir au parent de sexe opposé. Or, cette situation provoque un conit intrapsychique et génère une tension chez l’enfant, qui nit néanmoins géné- ralement par s’identier à son père (pour le petit garçon) ou à sa mère (pour la petite lle) et par adopter les caractéristiques, attitudes et comportements du parent de son sexe. Ce processus, qui porte le nom de complexe d’Œdipe, sera abordé plus en détail dans la section 6.4.1. 6.3.2 Les théories cognitives Parce que les autres lui disent qu’il est un garçon ou qu’elle est une lle, l’enfant se perçoit comme tel et nit, à force d’observations et de réexion, par conclure à la per- manence de son sexe. En effet, pour les théories cognitives, la construction de l’iden- tité de genre met en jeu différents processus cognitifs que l’enfant utilise activement. La théorie développementale cognitive de Kohlberg D’après Kohlberg (1966), la connaissance du genre précède le comportement de genre (« je suis un garçon, donc j’aime faire des activités de garçon »). Les enfants cherchent activement dans leur entourage des indices qui les informent sur leur genre ; lorsqu’ils réalisent à quel genre ils appartiennent, ils adoptent des comportements qu’ils esti- ment compatibles avec leur sexe. À l’âge de trois ans, une llette préfère généralement jouer avec des poupées plutôt qu’avec des camions parce qu’elle a vu d’autres petites lles le faire. Et si elle joue principalement avec d’autres llettes, c’est parce qu’elle croit partager leurs centres d’intérêt (Martin et Ruble, 2004 ; Ruble et Martin, 1998). Ainsi, dans la mise en situation, Léa est déçue lorsque Aurélie lui dit qu’elle est habil- Mise en situation, p. 198 lée comme un garçon. Selon Kohlberg, cette acquisition des rôles associés à un sexe pivote autour de l’éta- blissement de la constance du genre qui, comme nous l’avons vu dans la section 6.2.2, Constance du genre constitue la dernière étape du développement de l’identité de genre. C’est lorsque Dernière étape du développement l’enfant réalise que son genre va demeurer le même toute sa vie qu’il est motivé à de l’identité de genre où la personne adopter les comportements appropriés à son sexe. Toutefois, cette position de prend conscience qu’elle conservera le même genre toute sa vie. Kohlberg est aujourd’hui remise en question par plusieurs recherches qui démontrent que les enfants afchent des préférences liées à leur sexe (par exemple, dans le choix des jouets) bien avant d’avoir acquis la constance du genre. Les théoriciens cogniti- vistes actuels ne croient donc plus que cette étape doive nécessairement précéder l’apprentissage des rôles sexuels (Martin et Ruble, 2004). La théorie sociale cognitive de Bandura D’après la théorie de l’apprentissage social traditionnelle (voir le chapitre 1), les enfants apprennent les rôles sexuels en observant les autres. Ils choisissent généra- lement des modèles qui ont du pouvoir, qui sont chaleureux et qu’ils admirent. Ces modèles sont généralement les parents et les pairs, mais l’enfant peut aussi prendre pour modèle un autre adulte de son entourage. Lorsque l’enfant reproduit le compor- tement d’un modèle, la réaction qu’il obtient inuence la fréquence avec laquelle il répétera ce comportement. Or, puisque les parents et les autres adultes approuvent généralement chez les enfants les comportements typiquement associés à leur genre (et réprouvent par le fait même les comportements inverses), les rôles sexuels s’en Des modèles non stéréotypés trouvent alors consolidés. Des modèles non traditionnels per- Le processus de développement de l’identité de genre dans la théorie sociale cognitive mettent aux enfants d’adopter des de Bandura se distingue de la théorie développementale cognitive de Kohlberg décrite attitudes moins stéréotypées. précédemment. Dans la théorie développementale cognitive, l’enfant comprend dans un premier temps à quel genre il appartient et il cherche ensuite activement à 212 CHAPITRE 6 reproduire les comportements qui correspondent spéciquement à ce genre. Dans la théorie sociale cognitive, l’enfant reproduit les comportements – tant féminins que masculins – qu’il observe dans son environnement, mais il reçoit un renforcement sélectif pour les comportements associés à son genre, ce qui le motive à les répéter plus souvent ; ainsi, éventuellement, il en déduit qu’il appartient à ce genre. Une fois que l’enfant a compris qu’il appartient à l’un des deux genres, il ne se contente plus d’imiter directement : il observe différents modèles et combine mentalement ses obser- vations, ce qui lui permet de produire ensuite ses propres variations comportemen- tales. Ainsi, une petite lle qui a observé les comportements de sa mère, de sa tante et de sa gardienne pourra en sélectionner certains et combiner ces observations pour produire ce qu’elle pense être un comportement féminin. Dans la mise en situation, Mise en situation, p. 198 Aurélie se compare à ses modèles féminins : Cendrillon, sa Barbie et sa mère. Bientôt, cette enfant n’aura plus besoin de la présence de modèles ni d’être récompensée ou réprimandée pour adopter le comportement attendu d’elle par la société. D’après les chercheurs, ce passage du contrôle social extérieur à l’autorégulation se produirait en grande partie de trois à quatre ans (Bussey, 2011 ; Bussey et Bandura, 1992). Bien qu’il soit indéniable que l’apprentissage par observation joue un rôle dans l’acquisition de l’identité de genre, il faut se rappeler que les méthodes d’éduca- tion des parents ne sont pas nécessairement très différentes selon le sexe de leur enfant. Les parents ont plutôt tendance à renforcer l’entraide et à punir l’agressivité, chez les garçons comme chez les lles. Par ailleurs, la théorie sociale cognitive n’ex- pliquant pas comment les normes culturelles concernant le genre sont intériorisées, il semble intéressant d’examiner une hypothèse complémentaire. La théorie du schème du genre de Bem La théorie du schème du genre de Sandra Bem s’inspire en partie de la théorie Théorie du schème du genre sociale cognitive, qu’elle combine à celle du développement cognitif, à laquelle elle Théorie voulant que l’enfant se socia- lise en fonction des rôles appropriés emprunte le concept de schème (une représentation mentale qui organise l’informa- à son sexe en se représentant ce que tion et inuence le comportement). Selon cette théorie, dès la petite enfance, l’enfant signie être une lle ou un garçon. commence à catégoriser des informations relatives aux personnes ou aux situations et il les organise autour d’un schème du genre (Bem, 1983, 1985, 1993). Il procède Schème du genre ainsi parce qu’il observe que la société classe les gens en fonction de leur sexe (par Selon Bem, représentation mentale exemple, les garçons et les lles portent des vêtements différents, ne jouent pas aux d’un ensemble de comportements mêmes jeux et « font pipi » dans les lieux publics à des endroits différents). Une fois qui aide l’enfant à traiter l’information que l’enfant réalise à quel sexe il appartient, il développe alors le schème de ce que relative à ce que signie être un garçon ou une lle. signie être un garçon ou une lle dans sa propre culture et il adapte ensuite son comportement à ce schème. Selon la théorie de Bem, les schèmes du genre favorisent donc les stéréotypes sexuels parce qu’ils inuencent les jugements portés sur le com- portement. De fait, les enfants acceptent très rapidement les étiquettes sexuelles. Par exemple, si l’on donne un jouet neutre à un garçon et qu’on lui dit qu’il s’agit d’un jouet de lle, il est fort probable qu’il s’en débarrassera comme d’une patate chaude (Martin et Ruble, 2004). Bem soutient, quant à elle, que les adultes ont un rôle à jouer auprès de l’enfant pour Androgynie lui éviter d’adopter trop de comportements stéréotypés. Selon elle, l’androgynie, qui Personnalité qui possède à la fois caractérise une personnalité possédant des caractéristiques des deux sexes, constitue des caractéristiques féminines et la personnalité la plus saine. Ainsi, un individu androgyne pourra devenir autonome masculines. et sera capable de s’afrmer (des caractéristiques dites masculines), tout en faisant preuve de bienveillance, d’empathie et de compréhension (des caractéristiques dites féminines). Comment les adultes peuvent-ils donc combattre les stéréotypes sexuels véhiculés dans la société ? D’abord, en ne se connant pas eux-mêmes en tant qu’adultes dans des tâches traditionnelles ou des attitudes stéréotypées. Ensuite, en offrant à l’enfant Le développement affectif et social de l’enfant de trois à six ans 213 la possibilité de choisir des jeux qui ne sont pas traditionnellement associés à son sexe. Par exemple, l’éducatrice peut proposer des camions aux lles et des poupées Mise en situation, p. 198 aux garçons. Dans la mise en situation, le fait que Léa soit déguisée en pirate, un cos- tume plus typique pour un garçon, montre la souplesse de ses parents par rapport à l’adoption de stéréotypes sexuels. Il faut néanmoins souligner que si l’ouverture des parents joue effectivement un rôle important dans l’adoption des stéréotypes sexuels, les milieux que les enfants fré- quentent ont également une grande inuence. En effet, Bem a déjà raconté que lorsque son ls s’est présenté un jour à la garderie avec des rubans dans les cheveux parce qu’il trouvait cela joli, les réactions de ses amis lui ont fait rapidement comprendre que ce n’était pas là une attitude correcte pour un garçon. Ainsi, dans la mise en situa- Mise en situation, p. 198 tion, si l’éducatrice n’avait pas fait preuve d’ouverture, il est probable que Léa aurait demandé à changer de costume. Si la théorie du schème du genre tient compte de plusieurs facteurs qui inuent sur l’identité de genre chez l’enfant, il n’est cependant pas prouvé que le schème du genre inuence les comportements des enfants (Yunger, Carver et Perry, 2004). La théorie n’explique pas non plus pourquoi certains enfants optent pour des comportements moins conformes à leur sexe. Enn, un des problèmes posés par la théorie de Bem est que, dans les faits, l’identité de genre ne devient pas plus stéréotypée à mesure que l’enfant acquiert des connaissances au sujet des caractéristiques masculines et fémi- nines. C’est même plutôt le contraire qui se produit (Bussey et Bandura, 1999). Ainsi, vers l’âge de cinq ou six ans, les enfants développent tout un répertoire de stéréotypes rigides à l’égard du genre, qu’ils appliquent autant à eux-mêmes qu’aux autres. Un garçon de cet âge s’attendra en effet à mieux réussir une tâche « de garçon » qu’une tâche « de lle ». Toutefois, à partir de sept ou huit ans, les schèmes de genre deviennent plus complexes au fur et à mesure que l’enfant intègre des informations contradictoires concernant les deux sexes (par exemple, le fait que beaucoup de lles portent Plus de souplesse dans les jeux des pantalons). L’enfant devient alors plus exible dans sa perception des rôles sexuels Les parents peuvent combattre les sté- (Martin et Ruble, 2004 ; Trautner et al., 2005). réotypes sexuels véhiculés par la société en offrant à leur enfant la possibilité de Le tableau 6.2 résume les caractéristiques des quatre théories que nous venons choisir des jeux qui ne sont pas tradi- de présenter. tionnellement associés à son sexe. TABLEAU 6.2 Le développement de l’identité de genre selon quatre théories Théorie Auteur Processus en jeu Postulat de base Théorie psychanalytique Sigmund Freud Résolution de conits émotionnels L’identité de genre apparaît lorsque l’enfant s’identie au inconscients parent de même sexe que lui. Théorie développementale cognitive Lawrence Kohlberg Adoption de comportements Lorsque l’enfant apprend qu’il est une lle ou un garçon, il compatibles avec son sexe cherche les informations en accord avec son sexe et agit en fonction de ces données. Théorie sociale cognitive Albert Bandura Observation et sélection de Les parents renforcent sélectivement les comportements de modèles, imitation et renforcement, l’enfant qui correspondent à son genre. L’enfant intériorise socialisation ensuite les standards sociaux relatifs à son genre à partir de multiples observations. Théorie du schème du genre Sandra Bem Catégorisation cognitive combinée L’enfant organise les informations au sujet des comporte- à l’observation de modèles ments appropriés pour un garçon ou pour une lle en se basant sur les normes culturelles. Il intègre ensuite ces comportements dans un schème du genre et y adapte son comportement. 214 CHAPITRE 6 FAITES LE POINT 11. Selon l’approche psychanalytique, quel est le nom du processus par lequel l’enfant acquiert une identité sexuelle ? 12. Expliquez le rôle joué par l’établissement de la constance du genre dans la théorie de Kohlberg. 13. Selon la théorie sociale cognitive de Bandura, comment s’acquiert l’identité de genre chez l’enfant ? 14. Pendant la période de jeu, l’éducatrice propose des poupées et des camions autant aux lles qu’aux garçons. Laquelle des quatre théories sur l’acquisition de l’identité de genre suggère ce type de comportement de la part de l’adulte et quel type de personnalité cela favorise-t-il chez l’enfant ? 6.4 Les théories du développement de la personnalité L’identité de genre ne représente qu’un aspect de la personnalité du jeune enfant. Plusieurs théoriciens se sont aussi penchés sur le développement affectif et social des enfants de trois à six ans. 6.4.1 La théorie psychosexuelle de Freud Le stade phallique Nous avons vu dans le chapitre 4 que l’enfant traverse le stade anal entre 18 mois et Stade phallique 3 ans, alors qu’il fait l’apprentissage de la propreté. De trois à six ans, ce sont les organes Selon Freud, troisième stade du déve- loppement psychosexuel, caractérisé génitaux qui vont devenir la zone érogène investie. Cette découverte marque le début par le déplacement de la libido vers les du stade phallique, un terme qui vient du mot latin phallus (pénis, symbole de pouvoir). organes génitaux et au cours duquel Durant cette période, cruciale pour le développement de l’identité sexuelle, les enfants l’enfant perçoit la différence sexuelle découvrent qu’il est agréable de toucher ses propres organes génitaux et ils expérimen- selon la présence ou l’absence du tent la masturbation. Ils développent aussi une curiosité sexuelle qu’ils ne possédaient pénis. pas auparavant, puisqu’ils font maintenant la différence anatomique entre les sexes, une différence qui, à cet âge, est fortement liée, selon Freud, au fait d’avoir un pénis ou pas. Le complexe d’Œdipe Le complexe d’Œdipe représente sans doute l’événement psychique le plus impor- Complexe d’Œdipe tant de ce stade. Celui-ci peut être déni comme le désir inconscient que ressent Conit central du stade phallique au cours duquel l’enfant éprouve incon- l’enfant pour le parent du sexe opposé. À ce stade, le garçon veut en effet entretenir sciemment un désir sexuel pour le pa- une relation unique avec sa mère, à l’image de celle qu’elle a avec le père. Il devient rent du sexe opposé et désire la mor t donc jaloux de son père, qu’il perçoit comme un rival, et désire inconsciemment le de celui du même sexe. Idéalement, supprimer. Par ailleurs, selon Freud, le petit garçon se sent très coupable de ce désir une fois le conit réso