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1-100 Manuel de psychologie et de psy - Roussillon, Rene_.pdf

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Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale 3E ÉDITION René Roussillon Anne Brun Catherine Chabert Albert Ciccone Alain Ferrant Nicolas Georgieff Magali Ravit Pascal Roman Jean-Marc Talpin Table des matières Couverture Page de titre Page de copyright Préface Les...

Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale 3E ÉDITION René Roussillon Anne Brun Catherine Chabert Albert Ciccone Alain Ferrant Nicolas Georgieff Magali Ravit Pascal Roman Jean-Marc Talpin Table des matières Couverture Page de titre Page de copyright Préface Les auteurs Partie I: La réalité psychique de la subjectivité et son histoire Chapitre 1: Choix d'un référentiel théorique : réalité psychique et métapsychologie 1 Objectifs 2 Réalité psychique 3 Réalité de la subjectivité 4 Métapsychologie 5 À l'écoute de la réalité psychique : le signe et le message Chapitre 2: Une première théorie du sens : l'histoire, l'infantile et le sexuel 1 Vue d'ensemble de la théorie 2 Le signe, le symptôme comme trace d'histoire 3 Infantile et théories infantiles 4 Sexuel infantile Chapitre 3: La pulsion et ses sources 1 Description de la vie psychique selon trois points de vue 2 Vocabulaire de la vie pulsionnelle 3 Principe du plaisir/déplaisir 4 La pulsion et ses sources 5 Source et théorie de l'étayage 6 Fonction psychique de la pulsion Chapitre 4: Facteurs d'évolution et d'organisation de la subjectivité 1 Facteurs généraux 2 Facteurs internes de l'évolution 3 Facteurs externes de l'évolution 4 L'interaction et le trouver/créer premier Chapitre 5: Narcissisme primaire : définition et évolution 1 Processus d'attachement/différenciation 2 Narcissisme primaire : état anobjectal ? 3 Les soins maternels : « holding » , « handling » , « object presenting » (Winnicott) 4 Naissance et développement de la vie psychique 5 Formes de la relation première 6 Fonction du partage de plaisir 7 Hallucination et illusion en trouvé-créé 8 Illusion positive, illusion négative 9 Évolution vers la sortie du narcissisme primaire 10 Fonction paternelle 11 Intersubjectivité et naissance de la pensée 12 Fonctions parentales (maternelle et paternelle) Chapitre 6: La sortie hors du narcissisme primaire : le « détruit-trouvé » 1 Du narcissisme primaire au narcissisme secondaire 2 « Survivance » de l'objet 3 Scission dans le monde : narcissisme secondaire et réorganisation de la psyché Chapitre 7: Organisation anale de la pulsion 1 Processus de retournement et passage à l'analité 2 Organisation progressive des premières formes du surmoi 3 Valeur organisatrice et symbolisante de la différenciation de la partie et du tout 4 Limites de l'analité Chapitre 8: Réorganisation phallique de la pulsion 1 De l'organisation anale à l'organisation phallique – méthodes d'exploration 2 Le déplacement derrière-devant 3 Idéalisation du sexe : le phallus 4 Autoérotisme et couple exhibition/voyeurisme 5 La différence des sexes Chapitre 9: Œdipe et crise œdipienne 1 Définitions 2 Structure, crise, organisation œdipiennes 3 L'objet couple 4 Stratégies relationnelles face au couple parental 5 Stratégies imaginaires et symboliques face au couple parental 6 Organisation du surmoi post-œdipien 7 Symbolisation des expériences par le jeu Chapitre 10: Période de latence 1 Une période entre deux crises 2 Investissement de la représentation et de ses règles 3 Exploration et autonomisation hors de l'univers familial 4 Limites et évolution Chapitre 11: L'adolescence et ses crises 1 Maturation biologique et sexuelle 2 Un modèle de l'adolescence 3 Sexualité infantile et symbolisation 4 L'énigme en latence 5 « Révélation » du secret du monde 6 Malaise dans la symbolisation 7 Symbolisation, acte de symbolisation et passage par l'acte 8 Désidéalisation du secret de la « scène primitive » et du couple 9 Apprivoisement de la sexualité adulte : l'apparence et le vrai en soi 10 Logiques narcissiques et œdipiennes 11 Développement psychique, latence et processus adolescent Partie II: Psychopathologie Section 1: Introduction générale Introduction Introduction Chapitre 12: Définitions 1 Définition générale 2 Soigner/guérir 3 Glossaire Chapitre 13: Méthodologie clinique générale 1 Les opérations méthodologiques fondamentales 2 L'actuel, l'adolescent, l'infantile et le primaire Chapitre 14: Modèle structural, processus représentatif, pôles d'organisation 1 Modèle structural 2 Processus représentatif et pôles organisateurs Chapitre 15: Angoisses et défenses 1 Introduction 2 Les différentes formes de l'angoisse 3 Les défenses Section 2: Psychopathologie du bébé, de l'enfant et de l'adolescent Introduction Réflexions préliminaires L'infantile dans la psychopathologie Chapitre 16: Approche psychopathologique des processus développementaux – Le modèle des « positions psychiques » 1 La notion de « position » et ses paradigmes 2 Position autosensuelle ou adhésive – Démantèlement et identification adhésive 3 Position paranoïde-schizoïde ou symbiotique – Clivage et identification projective 4 Position dépressive – Refoulement et identification introjective Chapitre 17: Principales entités nosologiques – Approche sémiologique et diagnostique 1 Autisme 2 Les psychoses 3 Les pathologies limites 4 Les névroses 5 Troubles du développement et des fonctions instrumentales 6 Troubles des conduites et des comportements 7 Troubles à expression somatique 8 Déficiences intellectuelles 9 Handicaps moteurs et/ou sensoriels 10 Signes de détresse psychique chez le bébé 11 Particularités des signes psychopathologiques à l'adolescence Chapitre 18: Approche clinique de quelques contextes psychopathologiques paradigmatiques 1 États et processus autistiques 2 Logiques psychotiques : symbiose et destructivité 3 Logiques des processus limites : tyrannie et violence 4 Logiques névrotiques chez l'enfant et l'adolescent 5 Logiques des solutions psychosomatiques et comportementales chez l'enfant et l'adolescent 6 Effets des psychopathologies familiales 7 Effets de la rencontre avec une anomalie ou une psychopathologie précoce chez un enfant Section 3: Psychopathologie de l'adulte Chapitre 19: Pôle d'organisation névrotique du psychisme 1 Définitions des névroses 2 Traitement des névroses : psychothérapie et psychanalyse 3 Caractéristiques communes des organisations psychiques névrotiques et de leurs expressions psychopathologiques 4 Névroses authentiques 5 Mise en œuvre de la deuxième théorie de l'angoisse (Freud) Chapitre 20: Pôle d'organisation psychotique du psychisme 1 Généralités 2 La solution perverse 3 Troubles psychotiques brefs 4 Troubles psychotiques au long cours 5 Syndromes confusionnels Chapitre 21: Pôle d'organisation narcissique-identitaire du psychisme 1 Introduction 2 Travail de séparation 3 La question de l'identité : individuation et appui 4 Souffrance narcissique 5 Modes d'expression de la souffrance narcissique-identitaire Chapitre 22: Pôle psychosomatique 1 Introduction 2 Fonctionnement opératoire 3 Anorexie mentale 4 Le cancer Chapitre 23: Psychopathologie de la violence et de la criminalité 1 Contexte et évolution des pratiques 2 Quelques jalons dans l'approche de la violence en psychopathologie psychanalytique 3 Spécificités et modalités de la rencontre clinique avec les patients violents 4 De la destructivité créatrice à la destruction mortifère : les impasses du jeu transformationnel avec l'environnement 5 Les états subjectifs paradoxaux dans l'expression des actes de violence 6 L'expertise judiciaire : une construction éclairée du passage à l'acte Section 4: Psychopathologie du sujet vieillissant Chapitre 24: Dynamiques du vieillissement 1 Réflexions préliminaires 2 Être adulte, être vieux 3 Modèle de la régression et de l'involution 4 Formes psychotiques 5 Les problématiques dépressives 6 Le corps dans les psychopathologies tardives 7 Confusions et démences Section 5: Psychopathologie et neurosciences Introduction Introduction Chapitre 25: Neurosciences en psychopathologie : une psychopathologie plurielle 1 Une définition problématique 2 Position actuelle du problème 3 D'un langage à l'autre : les limites du parallélisme psychologie/physiologie 4 Les conditions d'un échange entre approches cliniques et expérimentales 5 Neurosciences de l'intersubjectivité : l'approche neuroscientifique de l'intersubjectivité dans les psychoses 6 De la « theory of mind » (TOM) à l'empathie 7 Pathologies de l'empathie 8 L'intersubjectivité du point de vue des neurosciences 9 Vers un paradigme des fonctions en psychopathologie ? 10 Approches cliniques et approches expérimentales : l'interaction psychique comme objet commun ? Le cas de la psychanalyse 11 Conclusion Partie III: Les méthodes projectives en psychopathologie Section 1: Les épreuves projectives en psychopathologie de l'adulte Introduction Introduction Chapitre 26: Situation projective 1 Clinique des tests projectifs 2 Indications et contextes de la consultation projective 3 Modalités de passation 4 Les épreuves projectives, le Rorschach et le TAT Chapitre 27: Perspectives psychopathologiques 1 Introduction 2 Névroses 3 Fonctionnements limites et narcissiques 4 Psychoses Section 2: Les épreuves projectives en psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent Introduction Introduction Chapitre 28: Les épreuves projectives, un dispositif à symboliser 1 Modèle du jeu de la bobine 2 « Métapsychologie projective » des processus 3 Malléabilité, jeu et épreuves projectives 4 Cadre et symbolisation Chapitre 29: Le recours aux épreuves projectives en clinique de l'enfant et de l'adolescent 1 Introduction 2 Les conditions de la consultation 3 Bilan projectif 4 Transmission du bilan projectif Chapitre 30: Jouer avec les épreuves projectives 1 Modèle de la complémentarité des épreuves 2 Épreuves de dessin 3 Épreuves de jeu 4 Épreuves projectives structurales 5 Épreuves thématiques 6 Des repères en psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent 7 Apports actuels des épreuves projectives à la psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent Partie IV: Médiations thérapeutiques Chapitre 31: Le travail de psychothérapie et les médiations thérapeutiques 1 Le soin, le médium malléable et la symbolisation 2 Spécificité du soin par un dispositif de médiations thérapeutiques 3 Les logiques du jeu dans les médiations thérapeutiques Bibliographie Index des auteurs Index des notions Page de copyright Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale , 3e édition, de René Roussillon. © 2018, Elsevier Masson SAS ISBN : 978-2-294-75509-5 e-ISBN : 978-2-294-75617-7 Tous droits réservés. Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances pour évaluer et utiliser toute information, méthodes, composés ou expériences décrits ici. Du fait de l'avancement rapide des sciences médicales, en particulier, une vérification indépendante des diagnostics et dosages des médicaments doit être effectuée. Dans toute la mesure permise par la loi, Elsevier, les auteurs, collaborateurs ou autres contributeurs déclinent toute responsabilité pour ce qui concerne la traduction ou pour tout préjudice et/ou dommages aux personnes ou aux biens, que cela résulte de la responsabilité du fait des produits, d'une négligence ou autre, ou de l'utilisation ou de l'application de toutes les méthodes, les produits, les instructions ou les idées contenus dans la présente publication. Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l'autorisation de l'éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d'autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d'information de l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122- 4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photo-copillage ». Cette pratique qui s'est généralisée, notamment dans les établissements d'enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands- Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70. Préface René Roussillon La rédaction de ce manuel répond à une série de motifs qui nous ont décidés à entreprendre un travail de l'ampleur de celui qui est proposé. Il n'existe pas actuellement de tentative d'ensemble pour offrir une représentation théorique de l'histoire de la construction et de l'évolution de la subjectivité de la naissance à l'âge adulte. La plupart des travaux de recherches traitent de tel ou de tel point de l'histoire du développement de la vie psychique mais sans l'articuler à ce qui précède et à ce qui suit ; les manuels et traités « datent » et n'ont guère intégré les plus récents développements et modèles que la recherche clinique a dégagés, ou alors ils ne couvrent qu'une petite période de cette histoire. Manque une représentation clinique d'ensemble du processus, de la continuité et de la logique du processus, par lequel le bébé puis l'enfant, puis l'enfant latent et enfin l'adolescent construisent leur vie psychique en lien avec l'univers parental et les interrelations qui le constituent. C'est pourquoi nous avons rassemblé des contributions de différents auteurs qui tous s'étayent sur la pensée psychanalytique et tous font autorité dans le domaine sur lequel ils se prononcent, pour proposer une nouvelle démarche qui articule une théorie de l'histoire du développement à la psychopathologie et aux méthodes projectives. Le manuel propose donc une approche de l'évolution du sujet humain et des besoins qu'exige le développement de sa subjectivité propre, des avatars que ce processus peut rencontrer aux différents moments de son parcours, à partir d'une analyse dialectique permanente de son évolution avec celle de son entourage familial et sociétal. En effet, si elle s'exprime chez un sujet, la psychopathologie, comme tout ce qui concerne l'organisation de la vie psychique, ne peut vraiment devenir intelligible que dans une dialectique de celle-ci avec ce à quoi le sujet a été confronté. C'est donc à partir de cette représentation d'ensemble que la psychopathologie est présentée et prend sens. Là aussi, ce manuel innove, il ne se contente pas de présenter une nosographie de la symptomatologie des différentes formes de psychopathologie, il essaye de pénétrer dans l'intelligibilité de celle-ci en lien avec les aléas du développement de la subjectivité. Il ne se contente pas de proposer un point de vue descriptif des types de psychopathologie, une séméiologie de ceux-ci ; il essaye, dans une tradition de psychopathologie issue de la clinique psychanalytique, de pénétrer les logiques, en large partie inconscientes, qui sont sous-jacentes aux formes d'expression de la psychopathologie. L'approche projective complète de ses méthodes propres cette démarche d'ensemble ; elle fournit une méthode pour médiatiser la subjectivité propre du clinicien. Mais il nous a aussi semblé qu'à notre époque, et compte tenu de l'importance des travaux actuels dans ce domaine, il était nécessaire d'ajouter à cette somme une réflexion sur la violence et la criminalité, avec un nouveau chapitre, le chapitre 23 , sur la psychopathologie de la violence et de la criminalité. Ainsi composé, ce manuel s'adresse à tous ceux qui, étudiants, jeunes et, pourquoi pas, moins jeunes professionnels, sont soucieux d'une vue d'ensemble de la connaissance de l'approche clinique de la vie psychique et des formes de sa pathologie. Il rassemble en un seul volume ce qu'il est essentiel et indispensable de savoir et d'avoir compris de la psychopathologie clinique quand on étudie ou que l'on s'engage dans une pratique de soin qui cherche à dégager le sens des formes de la souffrance humaine. Les auteurs René Roussillon , professeur de psychologie clinique et psychopathologie, Université Lumière-Lyon 2, coordonnateur de l'ouvrage. Anne Brun , professeur en psychologie clinique et psychopathologie, Université Lumière-Lyon 2. Catherine Chabert , professeur émérite de psychologie clinique et psychopathologie, Université Paris- Descartes (Paris V). Albert Ciccone , professeur de psychologie clinique et psychopathologie de l'enfant et adolescent, Université Lumière-Lyon 2. Alain Ferrant , professeur émérite de psychologie clinique et psychopathologie de l'adulte, Université Lumière- Lyon 2. Nicolas Georgieff , professeur de psychiatrie de l'enfant et adolescent, Université Lumière-Lyon 1. Magali Ravit , professeur en psychologie clinique et psychopathologie, Université Lumière-Lyon 2, expert près la Cour d'Appel de Lyon. Pascal Roman , professeur de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse, responsable de la consultation de l'enfant et de l'adolescent, Université de Lausanne, Suisse. Jean-Marc Talpin , professeur de psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière-Lyon 2, CRPPC. PARTIE I La réalité psychique de la subjectivité et son histoire CHAPIT RE 1 Choix d'un référentiel théorique : réalité psychique et métapsychologie PLAN DU CHAPITRE 1. Objectifs 2. Réalité psychique 2.1. Réalité matérielle 2.2. Réalité biologique 2.3. Réalité psychique 3. Réalité de la subjectivité 4. Métapsychologie 5. À l'écoute de la réalité psychique : le signe et le message 5.1. Signe, symptôme et signifiance 5.2. Les trois types de langage 5.2.1. Langage verbal 5.2.2. Langage non verbal 5.2.3. Langage de l'affect 1 Objectifs L'objectif de cette première partie est de présenter les outils nécessaires pour aborder la psychopathologie psychodynamique que nous présentons ensuite. Ses enjeux propres sont de permettre au lecteur de construire une représentation d'ensemble de la psyché, de son histoire et de son fonctionnement. C'est en quelque sorte le préalable à un abord psychopathologique qui privilégie l'intelligibilité et l'approche compréhensive de la « souffrance humaine », de son « pathos ». Une bonne représentation d'ensemble de la théorie de la construction de la psyché et de son évolution historique nous a en effet semblé nécessaire pour que les formes de la souffrance psychopathologique que nous aborderons ensuite prennent place et sens au sein d'une histoire de la subjectivité et de la subjectivation. Cette représentation d'ensemble manque la plupart du temps à l'approche psychopathologique, qui menace alors d'être coupée du sens que peut prendre la symptomatologie manifeste, au sein d'une histoire qui est autant celle de la découverte et de la rencontre avec soi-même, que celle de la rencontre avec les autres significatifs (les « objets parentaux ») avec lesquels nous nous sommes construits. Quelle que soit la difficulté du projet – ce n'est pas un hasard s'il n'y a pas d'ouvrage qui présente une représentation d'ensemble de l'histoire de la structuration de la psyché et de la subjectivité –, il nous a semblé indispensable d'en proposer une, et ce en dépit des inévitables imperfections d'un tel modèle. Il vaut sans doute mieux une représentation d'ensemble, même imparfaite, même chargée de tensions, d'imprécisions, qu'une absence de représentation qui laisse le clinicien démuni pour saisir la dynamique psychique d'ensemble des sujets auxquels il se trouve confronté. Les temps et « moments » de construction de l'appareil psychique et de la subjectivité ne se succèdent pas au hasard. Nous partons de l'hypothèse selon laquelle il y a une ou des « logiques » de leurs enchaînement et articulation, qui résultent autant du sujet lui-même, héros de l'histoire, que de l'évolution de sa rencontre avec son environnement humain, ses parents principalement, et tous ceux avec qui il se construit. Je propose donc une représentation théorique, c'est-à-dire formée des outils et des concepts qui me paraissent fondamentaux, pour rendre possible l'élaboration de modèles, ou plutôt d'un ensemble de « conceptions » et d'hypothèses, destinées à accroître l'intelligibilité de la vie psychique. La démarche proposée dans cet ouvrage n'est donc pas « cumulative » ; elle se veut une recherche du sens du mouvement d'ensemble, une exploration dans laquelle on approfondit progressivement la compréhension de la logique de la psyché, et de la subjectivité humaine qui l'organise. Elle procédera donc dans un mouvement de complexification progressive de la compréhension. La théorie choisie par les auteurs de cet ouvrage est la métapsychologie psychanalytique, c'est-à-dire une conception de la vie et de l'évolution psychique issue de la pratique psychanalytique et du travail de théorisation de Freud et de ses principaux successeurs français et anglo-saxons (M. Klein , W. Bion , D.W. Winnicott , J. Lacan , A. Green , J. Laplanche , P. Aulagnier , D. Anzieu , etc.). Dans le concert actuel des conceptions qui se confrontent en psychopathologie et en psychologie clinique, seule la métapsychologie psychanalytique me semble offrir une conception d'ensemble de la vie psychique : elle seule peut « couvrir » tous les aspects et les manifestations de celle-ci, du fonctionnement le plus créatif au plus détérioré ; elle seule permet de déboucher sur une pratique clinique respectueuse du sujet humain dans sa complexité et sa diversité. Elle reste d'ailleurs la théorie référentielle de la majeure partie des cliniciens, et ce aussi bien dans le domaine des prises en charge individuelles, du bébé au grand âge, que dans les divers modes d'approches thérapeutiques groupale, familiale ou institutionnelle qu'ils mettent en place. Je me suis efforcé d'intégrer les principaux apports des penseurs référentiels de la psychanalyse, en reprenant de chacun d'eux ce qui me paraît essentiel pour construire le modèle d'ensemble le plus pertinent. À cette source principale, j'ai aussi ajouté, toutes les fois que cela me semblait utile, des références aux principaux travaux de la recherche en psychologie clinique qui me paraissaient compatibles avec la conception psychanalytique et aussi quelques recherches des biologistes, issus des neurosciences, qui pouvaient soit apporter des contrepoints fructueux, soit au contraire des confirmations fécondes. La métapsychologie psychanalytique n'est pas le tout de la psychanalyse. La psychanalyse est une pratique, laquelle se déroule au sein d'un dispositif particulier : le dispositif psychanalytique divan-fauteuil (par extension, ce dispositif a ensuite été adapté pour la prise en charge de l'enfant, du bébé et les thérapies familiale, groupale et institutionnelle). Cette pratique repose sur une méthode d'exploration de la vie psychique, « l'association libre adressée » à un autre sujet, règle fondamentale qui recommande à l'analysant de « dire tout ce qui lui vient à l'esprit ». Tout, c'est-à-dire les pensées, émotions, sensations ; tout, c'est-à-dire même ce qui lui paraît illogique, immoral, asocial ou insensé. C'est à partir de cette pratique et de l'utilisation de cette méthode que la psychanalyse a dégagé un ensemble de principes de fonctionnement de la vie psychique, un ensemble de lois et de concepts, articulés entre eux et qui forment une représentation cohérente de la réalité et de la vie psychique. C'est cet ensemble de principes, lois et concepts qui compose la « métapsychologie psychanalytique ». 2 Réalité psychique Le premier concept de « fondement » de la métapsychologie, celui sans lequel l'ensemble de l'édifice théorique n'a aucun sens, est celui de réalité psychique. Cela signifie que la vie psychique, et la « matière » spécifique qui l'habite, se donne bien comme une réalité, une réalité qui présente la même consistance que les autres formes de celle-ci, même si elle n'en a pas la même « matière ». Pour bien comprendre une telle affirmation, un rappel des différents niveaux de réalité ne sera sans doute pas inutile. Pour dire vite et aller à l'essentiel, on peut différencier trois niveaux, trois « ordres » de réalités emboîtés : la réalité « matérielle » qui vaut pour tous les corps animés comme inanimés ; au sein de celle-ci se détache un deuxième ordre de réalité, qui a ses lois propres – même si celles-ci ne sont pas incompatibles avec celles de la réalité matérielle – : la réalité « biologique », qui ne concerne, elle, que les organismes vivants ; enfin, certaines propriétés spécifiques de la réalité biologique, caractérisées par la réflexivité, détachent aussi un ensemble suffisamment autonome pour être distingué ; c'est la réalité « psychique ». 2.1 Réalité matérielle La réalité matérielle concerne tous les corps, qu'ils soient vivants ou inanimés. Elle concerne tous les corps en tant qu'ils sont « matière », et soumis aux lois de la matière. Par exemple, tous les corps tombent vers la Terre selon la loi de l'attraction universelle dégagée par Newton. Une pierre, un oiseau, un homme tombent avec la même vitesse potentielle, subissent en tout cas la même attraction de la part de la Terre ; cela ne dépend pas de leur « nature » biologique particulière ni même de leur réalité psychique. 2.2 Réalité biologique Cependant, certains corps du domaine matériel, les corps animés, ont développé des propriétés particulières qui permettent de définir un champ suffisamment singulier au sein de la réalité matérielle, pour mériter d'être spécifié. Ces corps ont développé la capacité de produire un environnement propre, autonome, autodéterminé, au sein duquel des lois de fonctionnement spécifique peuvent être sélectionnées et se développer. Au sein de la membrane, de l' enveloppe qui permet de délimiter chaque organisme vivant, se développent des lois qui ne se réfèrent qu'à cet organisme lui- même ; c'est ce que le biologiste F. Varela a appelé « l'auto-poëse ». Ces organismes sont bien en relation avec le monde extérieur, mais ils font subir à tout ce qui rentre ou sort de leur membrane des transformations spécifiques en fonction du maintien de leur organisation interne. Ils peuvent ainsi développer des capacités particulières. Ainsi un oiseau pourra-t-il « produire » des ailes et des plumes grâce auxquelles il va pouvoir modifier l'effet de l'attraction terrestre sur sa trajectoire et pouvoir voler. Mais il suffit qu'il perde sa capacité auto-organisatrice, par exemple si la balle d'un chasseur perfore son enveloppe, pour qu'il se mette à tomber comme une masse inerte. Nous voyons donc que la caractéristique centrale de la réalité biologique, de la vie, c'est sa capacité d'auto- organisation, d'autoproduction et d'autoreproduction, ce que je résumerais d'un terme : sa capacité « auto ». 2.3 Réalité psychique La réalité psychique, elle, se présente comme un cas particulier de la réalité biologique. On a pu la définir historiquement, dans la philosophie et dans les premières formes de la psychologie, par la conscience. Le vivant non seulement s'autorégule, mais il peut aussi développer une « conscience » de cette autorégulation, c'est-à-dire une capacité à réfléchir sa capacité « auto », une capacité « autoréflexive ». Ce qui caractérise ce niveau de réalité est un processus « auto-méta », ou encore la « pensée réflexive ». Pensée, processus auto-méta et réflexivité, voici trois manières de commencer à approcher la réalité psychique. Mais la propriété que les philosophes n'avaient attribuée qu'à la seule conscience, les psychanalystes d'abord, les psychologues et même les biologistes ensuite l'attribuent maintenant, au-delà de la conscience, aux activités psychiques en général, c'est-à-dire aussi à celles qui ne sont pas conscientes, et même à celles que les psychanalystes ont appelées inconscientes, et qui forment un cas particulier des capacités non conscientes. Conscience et psychisme ont donc été disjoints, et la conscience n'apparaît plus que comme un cas particulier de la réalité psychique, que comme un cas particulier de la réflexivité et de la pensée. Toute une série de processus réflexifs (auto-méta) et toute une série de processus de « pensée » échappent à la conscience, mais contribuent à donner sa consistance et sa forme à la réalité psychique. Poussons encore un peu l'exemple de la chute des corps que nous avons commencé à développer. La réalité psychique n'empêche pas directement un être humain de tomber selon la loi de l'attraction terrestre ; l'humain est aussi un corps « matériel », soumis aux mêmes lois que tous les corps matériels. Par ailleurs, l'homme n'est pas un oiseau, et les propriétés de son enveloppe corporelle ne sont pas celles des oiseaux ; il ne peut donc pas voler à l'aide de ses seuls moyens corporels. Mais il peut avoir le désir de voler, comme un oiseau, tel Icare, ou craindre de tomber dans le vide s'il a le vertige, ou encore souhaiter dépasser les limitations que son être matériel et son enveloppe corporelle lui imposent. Pour cela, il peut penser et inventer des « machines à voler ». Ces machines devront reconnaître les « donnes » de la réalité matérielle et celles de la réalité biologique, avec ses limites, pour tourner leurs règles au service de la réalisation des désirs ou de la satisfaction des besoins de l'être humain. 3 Réalité de la subjectivité L'approche psychopathologique que nous développons suppose accepter l'existence de cette réalité, et le paradoxe de la reconnaissance de « l'objectivité » de la subjectivité humaine, c'est-à-dire de sa relative autonomie. La réalité et « l'objectivité » sont souvent opposées à la subjectivité, qui apparaît alors comme moins consistante, plus labile, soumise aux caprices du moment. La subjectivité n'est pas alors considérée comme une « objectivité » d'un autre ordre, tant on a pris l'habitude d'identifier réalité et réalité matérielle, et de ne référer celle-ci qu'au monde extérieur « ob-jectif », c'est-à-dire « jeté là devant soi ». Toute la démarche de cet ouvrage et tout l'apport de la psychanalyse vont à l'encontre d'une telle conception. Dès l'origine des découvertes de Freud , la psychopathologie d'orientation psychanalytique plaide pour l'objectivité des phénomènes et processus psychiques qui agissent dans la vie psychique, même si ceux-ci sont inconscients et perceptivement indécelables. La force de l'attraction universelle non plus n'est pas « visible » ; elle n'est pas décelable, si ce n'est par ses effets sur la chute des corps, mais cela ne l'empêche pas d'être objective ! L'utilisation du concept de réalité pour désigner la psyché n'est donc pas sans enjeux ; il vise à se démarquer de la menace de dépréciation ou de déni contenue dans des termes comme « imaginaire » ou « fantasme ». La pénombre associative de ces termes est telle qu'on peut imaginer qu'il suffirait de « souffler » sur l'imaginaire ou le fantasme pour le faire disparaître ; fantasme comme imaginaire désignent souvent le faux (« le malade imaginaire »), l'irréel (« ce n'est qu'un fantasme »). En utilisant le terme de réalité psychique, j'insiste ici sur sa consistance propre, sa « résistance » propre, son autonomie propre. La réalité psychique est aussi ce sur quoi l'on bute, ce qu'on ne peut négliger sans conséquences. C'est l'une des réalités fondamentales de l'être humain. On naît, on vit, on meurt, on tue, on jouit en rapport avec la réalité psychique. On signifie le monde et la vie en fonction d'elle – pas seulement en fonction d'elle, mais aussi essentiellement en fonction d'elle. Comme nous l'avons dit, il s'agit d'une réalité objective, c'est-à-dire qu'elle a ses principes, contraintes, lois et effets propres, qui conditionnent la manière dont on « vit » les événements, dont on appréhende les relations, dont on leur donne un sens particulier. Elle est objectivement agissante ; elle donne leur couleur, leur goût, leur forme spécifique aux contenus psychiques ; elle « produit » la représentation que nous pouvons nous construire de ce qui se passe en nous ou dans nos relations avec les autres. Mais c'est une réalité complexe, qui possède une partie consciente et une large partie inconsciente, inconnue de la perception directe, et néanmoins active : une partie qui peut être immédiatement appréhendée par la conscience, qui est l'organe de « perception » de ce qui se produit en nous ; et une partie difficile à appréhender, inconsciente, qu'il faut repérer à ses signes propres, dont il faut déduire la présence à partir de ses effets, et reconstruire les processus cachés pour la rendre intelligible. Même si elle comporte de larges parties inconscientes, cette réalité est néanmoins organisée, et même plusieurs fois « organisée », par différents types de processus. Elle est organisée par notre rationalité – ce que Freud a appelé les « processus secondaires » –, mais aussi par l'irrationnel – ce que Freud a nommé les « processus primaires ». Elle échappe donc en partie du fait du caractère non conscient et inconscient de ces processus, mais aussi du fait de leur caractère vivant, c'est-à-dire non totalement prédictible, de la relation à l'inconnu qu'implique le vivant, le non-encore là, le non- encore advenu. La réalité psychique possède ainsi un inévitable ombilic, un point d'échappée radicale, qui interdit de penser qu'elle peut être connue et comprise, saisie, en totalité. Il reste, et sans doute restera toujours, une zone d'ombre, un point d'énigme interne. Cependant, ce constat nous blesse. Nous nous défendons alors contre l'échappée qu'il impose, l'énigme interne qu'il représente, les processus inconscients et la perte de maîtrise qu'il implique, ainsi que contre la blessure qu'il inflige à notre narcissisme. Une première défense consiste à tenter de « disqualifier » la zone d'ombre de notre fonctionnement psychique, cette part inconnue énigmatique de nous- même. Nous tentons de l'ignorer, de la « refouler », comme si elle n'existait pas, nous élevons des défenses, des protections qui s'exercent contre son existence même. Dans une deuxième défense, nous tentons d'obturer, de suturer la brèche qu'elle représente soit avec des « raisons », des rationalisations qui visent à en réduire ou à en faire disparaître le caractère énigmatique, soit avec des explications, des « psychologies » qui utilisent des données qui nous semblent « objectives ». Nous évoquons alors, à l'avenant, la fatigue, le tempérament, l'hérédité, le caractère, etc. Autant d'explications qui ne sont pas nécessairement impertinentes, mais qui sont utilisées avant tout pour tenter de recouvrir l'énigme de son sens ou de sa manifestation inconnue. Enfin quand, de guerre lasse, nous nous décidons à en accepter la manifestation et la question, nous pouvons chercher à aborder et à comprendre les particularités de cet autre monde qui nous habite, de cette « autre scène » que nous abritons dans les profondeurs de notre vie interne, et commencer à tenter de construire des représentations du sens caché. La conscience est le seul « organe » dont nous disposons pour connaître ce qui se trame dans notre « fors intérieur ». Elle est limitée mais elle peut organiser la représentation de sa limite, celle de ce qui lui échappe, la représentation d'un « inconscient », et, sur ce fond, commencer à l'explorer. La reconnaissance de l'existence d'une partie inconsciente de notre vie psychique est le premier pas de l'interrogation sur son sens ; c'est le premier temps de la levée de la censure qui s'exerce contre sa représentation consciente, le premier moment de son exploration. Si, dans la vie, nous ne dédaignons pas d'utiliser et de mêler tour à tour ces trois modalités de « traitement » de notre rapport à l'énigme, selon notre degré de souffrance ou notre curiosité à l'égard de notre monde interne, l'approche métapsychologique et la psychopathologie d'orientation psychanalytique privilégient particulièrement la troisième des « solutions » évoquées. Elles proposent le plaisir de comprendre et de (se) découvrir comme antidote à la confrontation à la blessure des points d'inconnus énigmatiques de notre vie psychique. 4 Métapsychologie Les caractéristiques de la réalité psychique qui viennent d'être esquissées aboutissent à l'idée que la réalité psychique est un objet « hypercomplexe », comme dit E. Morin , ce qui signifie que l'on ne peut prétendre en donner une « théorie » exhaustive, et que l'on ne peut l'appréhender que sous des formes « réduites ». Les théories « réduisent » leur objet, elles ne peuvent pas faire autrement, et l'on ne peut leur reprocher l'inévitable. La question de l'intérêt des théories, de leur pertinence est plutôt de savoir quel niveau de réduction est tolérable, ou à partir de quel niveau de réduction on perd l'essentiel. La métapsychologie psychanalytique représente, selon nous, l'effort le plus conséquent à l'heure actuelle pour proposer une théorie d'ensemble des faits psychiques qui limite le plus possible cette réduction, grâce à la référence à une vie psychique inconsciente et à la reconnaissance du conflit psychique. Cependant, elle ne saurait rendre compte de tout. Elle se présente comme un ensemble de principes, de lois, de concepts qui tentent de décrire le « cours des événements psychiques » aussi bien normal que pathologique. Son enjeu est de permettre de composer des hypothèses et des modèles qui accroissent le plus possible notre intelligibilité des faits psychiques. Les hypothèses et modèles que propose la métapsychologie psychanalytique ont pourtant fait leurs preuves depuis maintenant plus d'un siècle, même si ce ne sont que des manières de se représenter le fonctionnement de la psyché, des « conceptions » dynamiques de celui-ci. Potentiellement révisables, elles ont été complétées, creusées, infléchies par Freud lui-même et ses successeurs, en fonction de ce que la pratique et la clinique apportent à la réflexion. Ceci étant, les différents développements que la métapsychologie a pu connaître ne modifient qu'assez peu son architecture d'ensemble, et ne remettent pas en cause ses lois et principes de fondement. La métapsychologie, nous l'avons dit, n'est pas une théorie « totalitaire », elle ne prétend pas dire le tout de la vie psychique. Elle se présente plutôt comme une forme de « maillage » de celle-ci, qui ne dit pas tout, pas « le » tout, mais dit quelque chose d'essentiel de chaque fragment du tout, concernant l'organisation de la vie subjective et du « sens » que celle-ci confère aux faits. Il y a toujours une approche « métapsychologique » du fait psychique, une approche pertinente pour rendre compte de ses particularités, de ses singularités. Si la métapsychologie rend possible une « psychologie clinique générale » des faits psychiques, elle permet aussi et surtout de dégager le sens individuel, spécifique pour ce sujet-là, de ce qui se présente et se passe. Comme nous l'avons vu, la métapsychologie est issue de la pratique de la psychanalyse ; elle a donc été élaborée à partir de la pathologie et du soin psychique. Elle a ainsi conclu une « alliance » historique avec la question de la souffrance humaine, du pathos, qui témoigne de l'échec du moi à trouver un règlement acceptable à son rapport à sa propre zone d'ombre et d'énigme. Elle s'est aussi fondée sur le refus méthodologique d'un certain nombre de réponses « toutes faites » aux énigmes de la psyché humaine (hérédité, génétique, dégénérescence, biologie, etc.), et « trop réduites » pour dégager un niveau spécifique et spécifiquement psychique. À l'inverse, elle se fonde sur la notion que les symptômes et toutes les manifestations de la « subjectivité » ont un sens – celui-ci étant caché, subjectif, spécifique – ; et qu'ils cherchent à « signifier » quelque chose, que le sujet ne connaît pas consciemment ; quelque chose que le sujet « sait » sans le savoir, sans savoir qu'il le « sait », qu'il sait « inconsciemment ». Mais l'exploration de la psychopathologie a aussi abouti à révéler qu'entre les processus qui opèrent dans la pathologie psychique et la symptomatologie, et ceux repérables dans le cours normal du fonctionnement de la vie psychique, il n'y avait pas de différence de nature. Ce sont les mêmes processus qui sont utilisés dans la vie psychique normale, courante et habituelle, « saine », et que l'on retrouve dans les formations psychopathologiques. Il n'y a pas de différence de nature ni de processus ; il n'y a que des différences de degré, d'intensité, voire de plasticité de ces mécanismes. Le pathologique ne fait que révéler des lois générales, et mettre en évidence des processus autrement masqués ou mieux intégrés et représentés. 5 À l'écoute de la réalité psychique : le signe et le message La partie inconsciente de la réalité psychique se comporte au sein de la psyché comme une énigme agissante et produisant des effets. Comment, dès lors, repérer et appréhender cet inconnu agissant, quels signes donne-t-il de son action ou de sa présence ? Peut-on faire une séméiologie de l'émergence de la vie psychique inconsciente, des modes de manifestations de la réalité psychique, qui puisse servir de guide pour l'écoute et la prise en compte de la réalité psychique inconsciente ? Les chapitres de l'ouvrage qui seront directement consacrés à la psychopathologie de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte aborderont précisément les signes et la séméiologie (la science du signe) des différentes entités psychopathologiques classiquement dégagées. Mais il n'est peut-être pas inutile, dans cette première partie, de commencer à proposer une « séméiologie générale » des modes d'émergence de la réalité psychique inconsciente. Apprendre à repérer les signes, les « formations de l'inconscient » selon l'expression de Lacan , comprendre la logique de cette émergence est le premier temps de toute démarche clinique en psychopathologie. 5.1 Signe, symptôme et signifiance Il n'y a pas de « signe » qui soit signifiant en lui-même et par lui-même. Le signe se définit relativement, dans un jeu de différence, dans un jeu de comparaison, en fonction d'un contexte donné, d'une situation singulière. Il est traité comme un « message », même si son contenu est énigmatique. Il n'existe pas « en soi », mais « pour un sujet », « en situation ». Il existe soit pour le sujet qui le présente ou le ressent comme un symptôme, comme un élément signifiant de sa vie psychique, soit pour un observateur, c'est-à-dire un autre-sujet, qui en repère la spécificité, en pressent les enjeux psychiques. Il est donc difficile de définir le signe autrement que par un certain nombre de caractéristiques générales qui le désignent comme tel « pour un sujet ». Il n'y a donc pas de séméiologie « objective » ; le signe signifie un pan de la réalité psychique à l'œuvre pour une subjectivité, une interprétation subjective, et en fonction de celles-ci. Le symptôme est signe d'un point d'émergence de la vie psychique inconsciente, d'un point de manifestation de celle-ci, d'un effet de son activité. La vie psychique inconsciente ne se donne pas comme telle, elle ne se manifeste pas directement dans la mesure où de puissantes défenses s'opposent à son expression claire et non ambiguë. Elle va donc se signaler par des perturbations ou des singularités qu'elle va imposer au fonctionnement de la psyché. Ainsi, les premières manifestations de la vie psychique inconsciente qui ont pu être repérées l'ont été à partir du relevé des ratés du fonctionnement psychique, des affects disrupteurs et désorganisateurs, des lapsus, actes manqués, oublis, ou des particularités idiosyncrasiques, qui affectent les systèmes de communication : langage, affect, représentations. C'est ensuite l'analyse des singularités des grandes formations de l'imaginaire – le rêve, les fantasmes, sexuels et narcissiques – qui a fourni la voie royale de l'exploration des manifestations de l'activité inconsciente. Enfin, l'analyse de l'économie d'ensemble de la régulation psychique du sujet, des processus mis en œuvre dans les grandes épreuves que la vie doit affronter (limites, engagement affectif, séparation, rivalité, deuil, etc.), et dans la rencontre entre deux psychés, entre deux sujets, a permis de compléter le tableau d'ensemble. Dans les différentes manifestations que nous venons d'évoquer, le signe, le symptôme, se signale par le fait qu'il présente un aspect inattendu, inhabituel, irrationnel qui lui confère une valeur subjective spécifique ou énigmatique. Ainsi sera « signe » ce qui est propre à un sujet, ce qui lui est idiosyncrasique, ce qui lui est singulier, ce qui a de grandes chances d'être porteur d'une importante valeur subjective pour lui, d'un fragment révélateur d'un pan crucial de sa réalité psychique inconsciente. Mais fait aussi signe ce qui est intense, insistant, ce qui est chargé d'une grande valeur émotionnelle, d'un investissement important, ce qui, par cette insistance même, désigne l'existence d'enjeux subjectifs particulièrement significatifs. Cette insistance se signale par l'intensité de l'investissement mais aussi, souvent, par la répétition. Ce qui se répète dans la vie ou dans la parole d'un sujet indique l'existence d'un enjeu caché, d'un signifiant en quête d'intégration, d'un contenu psychique à la recherche d'une reconnaissance. Par contraste, ce qui est absent, trop absent, se manifeste également à l'attention et devient signifiant, paradoxalement, par son absence même. Ainsi, l'absence d'une réaction émotionnelle, là où elle est généralement attendue, souligne un blanc, et lui- même signifie l'existence d'un refoulement ou d'une défense, donc d'un conflit ou d'une difficulté inconsciente. La pratique psychanalytique a ajouté à ces premiers repères un autre critère particulièrement important dans l'écoute clinique : l'association, le lien associatif. Ce qui régulièrement s'associe ensemble, sans raison manifeste, pose la question de l'existence d'un lien caché, d'un lien inconscient, et donc se présente comme un « signe » de celui-ci. Mais le symptôme, le signe, est aussi très souvent pris au sein d'une relation, il a valeur de langage dans cette relation, de message « adressé » à un autre sujet, à un « objet » significatif du passé du sujet ou de son actualité. Le symptôme est porteur de sens « pour le sujet », même si celui-ci est inconscient, mais il est aussi porteur d'un message et d'une forme de langage pour l'autre-sujet ; c'est en ce sens qu'il a été dit « signifiant ». 5.2 Les trois types de langage La pensée clinique psychanalytique reconnaît trois types de « langage », trois systèmes de message et de signifiants, et donc trois types aussi de modes de manifestation de la réalité psychique inconsciente. 5.2.1 Langage verbal Le premier type de langage est le langage « verbal » ; c'est celui qui utilise toutes les dimensions de « l'appareil à langage » pour communiquer et transmettre un pan de la réalité psychique, qui est en partie conscient et délibéré, mais possède aussi toujours une dimension inconsciente. Un rapide exemple permettra de faire sentir d'emblée comment, et avec une très grande économie de moyens, le langage permet de faire passer un message complexe. Observation 1 Un enfant rentre de l'école et dit à son père : « Tu sais papa, à l'école tous mes copains ont un vélo ». N'importe quel père un peu à l'écoute de son fils « entendra » à travers cette simple phrase l'action d'un désir de vélo chez le fils. Cependant, le fils ne dit pas : « Papa, je désire un vélo » ; il dit plus et moins à la fois. S'il désire un vélo et ne le dit pas, le fils « dit » aussi, sans le dire, qu'il « n'ose » pas le demander, qu'il n'ose affirmer son désir comme tel. Toutefois, nous sommes loin d'avoir déplié les potentialités de sens d'un énoncé aussi simple avec cette première remarque. La forme verbale même utilisée par le fils, la référence aux « copains » et à « tous » les copains, traduit aussi potentiellement le fait de ne pas se sentir « comme » les autres garçons, et de « formuler » sa demande (non formulée comme telle) à partir du sentiment d'une différence. Mais là encore, il ne dit pas : « Je ne me sens pas comme les autres », il ne s'engage pas formellement dans une confidence sur ce qu'il « vit », il se contente d'évoquer indirectement celle-ci. À bon entendeur ! Cette phrase n'est pas non plus adressée à n'importe qui, elle n'est pas adressée à la mère par exemple : c'est une phrase « entre hommes » et qui concerne la relation de « groupe » avec d'autres hommes. Comme on peut facilement s'en rendre compte, la réalité psychique utilise toutes les possibilités que comporte la parole. Bien sûr, ce sont d'abord le contenu et le choix des mots, leur double sens éventuel, la manière dont ils utilisent le corps et la corporéité et les métaphorisent qui devront retenir l'attention du clinicien : c'est la valeur amphibologique du langage. Mais le style verbal, la structure même de la syntaxe, comme nous venons de le voir, la pragmatique de l'énonciation sont aussi importants pour transmettre les figures et représentations inconscientes, qui infiltrent inévitablement la communication humaine. La prosodie elle-même, c'est-à-dire le ton, l'intensité, le rythme et tous les caractères non verbaux du langage verbal, porte aussi une partie du « message ». 5.2.2 Langage non verbal À côté du langage verbal qui utilise les représentations de mots, la psychanalyse nous a aussi appris à entendre d'autres formes de langage et de signifiants qui ne passent pas par le langage verbal, mais sont malgré tout très largement utilisés par la réalité psychique pour tenter de se faire reconnaître, et parfois aussi bien sûr méconnaître. À partir du rêve tout d'abord, mais aussi à partir de la symptomatologie et des différents types d'actes manqués qu'il a pu analyser, Freud a montré l'existence d'un « langage » qui s'exprime par le biais de « représentation de choses », de symboles non verbaux. Le langage du rêve en est l'exemple le plus classique, mais les rébus, les dessins et la plupart des formes d'expressions qui utilisent le « visuel » et les symboles visuels, peuvent aussi en être de bons exemples. Le langage du rêve ne « dit » pas, il « montre », organise une mise en scène visuelle du fragment de réalité psychique qu'il cherche à représenter. Il montre « en acte » ce qu'il cherche à « dire ». 5.2.3 Langage de l'affect Enfin, l'être humain dispose aussi d'un troisième système de langage, celui de l'émotion et, d'une manière plus générale, celui de l'affect. Darwin , le premier, a souligné que la valeur expressive des émotions avait, même chez l'animal et a fortiori chez l'humain, valeur de message pour les semblables. L'affect « fait sentir » à l'autre l'état interne émotionnel dans lequel le sujet se trouve. Il transmet l'éprouvé, le ressenti qui accompagne les représentations qui se manifestent dans une situation, mais aussi une certaine forme de sens, la manière dont le sujet est affecté par ce qui se produit, dont il est mobilisé et agi par ce qui se passe. Il a fallu un certain temps aux cliniciens pour comprendre et accepter que le langage de l'affect et de l'émotion pouvait aussi comporter une dimension inconsciente, une dimension cachée, et qu'un éprouvé manifeste ou son absence pouvait en cacher un autre. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple tiré de nos récentes recherches avec M. Berger concernant les enfants hyperviolents : là où la violence se manifestait au premier plan et semblait exprimer surtout une intensité et une crudité particulière des pulsions destructrices, la prise en charge thérapeutique a mis en évidence que cette violence masquait en fait une terreur et une angoisse de voler en éclats. Elle était destinée à masquer cette terreur sans nom. L'affect est aussi un langage et, comme tous les systèmes de communication humaine, il possède une dimension inconsciente, et peut être utilisé dans la transmission des contenus psychiques inconscients. La réalité psychique inconsciente se fait « entendre » à travers l'appareil de langage verbal, elle se « montre » à travers le langage des représentations de choses et d'acte, elle se fait « sentir » à travers les affects et la vie émotionnelle. CHAPIT RE 2 Une première théorie du sens : l'histoire, l'infantile et le sexuel PLAN DU CHAPITRE 1. Vue d'ensemble de la théorie 2. Le signe, le symptôme comme trace d'histoire 3. Infantile et théories infantiles 4. Sexuel infantile 1 Vue d'ensemble de la théorie Nous venons de commencer à présenter les principaux signes et symptômes d'émergence de la réalité psychique. Nous avons souligné au passage que la définition du signe était « pour un sujet », qu'elle dépendait de la subjectivité et donc d'une première forme de « sens » attribuée par celle-ci. Il n'y a pas de signe ou de symptôme sans une certaine forme de théorie du sens, de théorie de ce qui « fait » signe pour la subjectivité. En 1916 (1916b) , dans ses « Conférences d'introduction à la psychanalyse », Freud définit le sens d'un contenu psychique à partir « de la place qu'il occupe dans la série psychique » et de « l'intention qu'il sert ». C'est donc à cette double question que la théorie psychanalytique tente d'apporter des éléments de réponses, ou plutôt, tente de cerner comment poser au mieux cette double question, dans la mesure où la métapsychologie ne vise pas à apporter des « réponses » à proprement parler. Si, en effet, la métapsychologie ne donne pas directement le sens des contenus psychiques – dans la mesure où le sens précis d'un symptôme dépend du sujet singulier et donc est idiosyncrasique, propre au sujet, et ne relève pas d'une « théorie » –, elle propose en revanche une conception de la manière dont le sens, et en particulier le sens inconscient du symptôme, est produit, se produit ou a été produit. Elle propose une théorie de ce qui doit être pris en compte dans cette production, des composants qui contribuent à la création de celui-ci et donc aussi du signe et du symptôme. Une théorie, c'est-à-dire un ensemble d'hypothèses pour rendre compte et comprendre les enjeux psychiques présents dans les symptômes, dans « la place qu'ils occupent dans la série psychique » et « l'intention qu'ils servent » au sein de celle-ci. La métapsychologie psychanalytique propose plusieurs hypothèses majeures, plusieurs énoncés fondamentaux, articulés entre eux, et néanmoins distincts. Je vais maintenant présenter les trois énoncés fondamentaux que son histoire a dégagés pour donner une vue d'ensemble de la théorie. Le premier énoncé – ce fut le premier formulé par Freud – est que le signe, le symptôme, porte la trace d'un moment de l'histoire passée, d'une relation, d'une situation ou d'un événement de celle-ci. Il porte une forme de « mémoire » de l'enfance ou plutôt, et nous verrons plus loin quelle est la différence, de l' infantile. Ce qui peut être résumé dans la formule selon laquelle le symptôme est porteur d'un « sens infantile ». Ensuite, Freud a cherché à comprendre ce qui est ou avait été déterminant dans le fragment d'histoire dont le symptôme est porteur, à comprendre l'enjeu psychique inconscient et encore actif, présent dans ce fragment d'histoire. L'analyse des moments d'histoire sous-jacents à la symptomatologie l'a alors conduit à l'hypothèse d'une vie pulsionnelle présente dès la plus tendre enfance. Derrière le signe et le symptôme se cachent une motion pulsionnelle, un pan de la vie affective et sexuelle de l'enfance, un mode de relation, un type de rapport, celui de l'enfant à ses premiers objets d'investissement, un mode toujours « actuel » ou actualisable. Le symptôme est donc aussi porteur d'un mode de traitement de la vie pulsionnelle infantile et, nous verrons comment, toujours actuel. Enfin, Freud s'est avisé que l'une des caractéristiques de la vie pulsionnelle de l'enfant était son orientation « narcissique », c'est-à-dire qu'elle était « autoérotique » et « autoréférée ». Il a alors avancé l'hypothèse (à propos du délire du Président Schreber en particulier) que le symptôme était porteur d'une autoréférence au moi, d'une « autoreprésentation » du fonctionnement psychique ou d'un moment de celui-ci. Nous allons maintenant reprendre et développer ces trois volets de la conception psychanalytique du signe et du symptôme. Toutefois, comme la rapide première présentation que je viens d'effectuer le souligne déjà, il est important de conserver en mémoire que ces trois hypothèses ne sont pas antagonistes, pas opposées ou alternatives, mais qu'au contraire elles s'approfondissent et se creusent les unes les autres. C'est dans leur articulation qu'elles prennent tout leur sens et délivrent tout leur intérêt, pour construire le sens « actuel » du signe et du symptôme, celui qui leur confère la valeur d'un message dans la rencontre clinique. 2 Le signe, le symptôme comme trace d'histoire Le signe, le symptôme comme trace d'histoire est la première proposition, la première hypothèse que Freud a formulée pour tenter de rendre compte de la « logique » singulière qui habite le symptôme, pour comprendre les manifestations de la réalité psychique inconsciente qu'il masque et révèle tout à la fois. C'est à propos de l'hystérique que Freud en 1895b précise une première forme de la conception psychanalytique du « pathos », de la souffrance psychique ; il a alors cette formule restée célèbre : « l'hystérique souffre de réminiscence ». Ce sera l'un des enjeux de son œuvre clinique postérieure que de généraliser à l'ensemble de la psychopathologie ce qui ne lui était apparu d'abord qu'à l'égard de la seule hystérie. Ce n'est qu'en 1937 , dans « Construction dans l'analyse » (1937b ), qu'il achève son entreprise de généralisation à l'ensemble de la souffrance humaine, en comprenant comment la psychose aussi est une manière de « souffrir de réminiscence ». C'est pourquoi l'un des aspects essentiels de la thérapeutique sera fondé sur le fait de replacer les formes de mémoires, inconscientes d'elles-mêmes, dans leur moment historique propre, dans leur temps propre. La souffrance humaine n'est pas seulement et nécessairement psychopathologique ; il y a une part de souffrance inévitable, inhérente à l'humanité et à la vie humaine, celle qui est liée à la rencontre avec l'impuissance devant certains aspects de la vie, à la rencontre avec les limites, avec les pertes inévitables que la vie inflige, les choix qu'elle nous impose de faire, etc. Puis il y a une souffrance d'une autre nature, même si elle peut se rencontrer à propos des mêmes événements de la vie. Cette souffrance « supplémentaire », proprement psychopathologique, n'est pas seulement directement en rapport avec les difficultés avec lesquelles la vie actuelle nous confronte. Elle est liée à un fragment de notre passé qui vient infiltrer et compliquer de son impact propre notre mode de rapport avec le présent : c'est cela « souffrir de réminiscence » ; c'est souffrir du « retour » d'un pan de notre vie subjective antérieure, passée, dans notre présent, d'un pan du passé qui s'actualise dans le présent, et même tend à superposer son inflexion propre à celle du présent, à abuser la conscience en se présentant comme encore présente, actuelle. Un moment du passé, moment insuffisamment intégré, ou « traumatique », vient hanter le présent et tend à se substituer à lui dans notre éprouvé subjectif, dans le sens que nous lui attribuons. Le symptôme est donc porteur d'une forme de « souvenir ». Une telle hypothèse implique une conception de la mémoire, des formes que peut prendre la conservation de l'impact du passé, des formes de mémoire « conscientes » – ce sont les plus classiquement reconnues –, mais aussi des formes de mémoire « inconscientes » du fait d'être des formes de mémoire. Longtemps les psychanalystes ont été les seuls à souligner l'importance des formes de mémoire inconscientes, des modes de « souvenirs », non seulement « refoulés » et susceptibles donc de redevenir conscients, mais aussi des formes de mémoire au-delà du refoulement à proprement parler. Mais, depuis quelques années, les biologistes et certains chercheurs des sciences cognitives commencent eux aussi à différencier certaines formes de mémoire dites « déclaratives », et qui correspondent à ces souvenirs, constitués comme tels et conservés comme tels, de certaines formes d'apprentissage et de mémoire alors dites « procédurales » et qui, elles, ne sont pas conscientes. Cela ne les empêche pas d'être utilisées et d'être actives. Un certain accord semble donc être actuellement possible sur le fait que l'impact de certains événements de l'histoire passée peut être conservé sous la forme d'une mémoire « déclarée » comme telle, c'est-à-dire subjectivement vécue comme un « souvenir », ou bien sous une autre forme, celle d'un « processus », ou encore d'un « pli » pris au contact de certains événements ou de certains modes de relation. Au-delà des formes de mémoire qui ne se présentent pas comme des souvenirs, les psychanalystes proposent aussi une hypothèse sur ce qui fait qu'elles ne se présentent pas sous forme de souvenirs. Cette hypothèse est fondamentale dans l'approche métapsychologique de la psychopathologie. Elle invite à considérer que certaines « traces mnésiques », certaines traces d'événements ou de système de relation appartenant au passé et conservées à l'état inconscient sont susceptibles, dans certaines conditions, d'être revivifiées et réactualisées, et de se présenter alors comme s'il s'agissait de données présentes et actuelles. C'est pour cela qu'elles ne se présentent pas à la subjectivité comme des formes de souvenir, mais qu'elles s'imposent comme des sensations, perceptions ou interprétations actuelles : le passé est « halluciné » comme présent, dans le présent. Les psychanalystes, à la suite de Freud , se sont donc essayés à cerner et mieux définir les autres manières de se « souvenir » sans le savoir, de continuer d'être affecté par des événements du passé sans en avoir conscience, de « souffrir de réminiscence » pour reprendre l'expression de Freud. Nous l'avons laissé entendre plus haut, les symptômes font partie de ces formes de mémoire qui ne se connaissent pas comme telles ; c'est d'ailleurs bien en cela qu'elles produisent des « symptômes » et qu'elles relèvent des formes de la psychopathologie. Mais les affects eux-mêmes peuvent parfois représenter la seule manière dont on se souvient de certaines situations du passé, c'est le fameux « memories in felling » de M. Klein. Par exemple, la détresse que certains adultes éprouvent dans certains moments difficiles de leur vie est souvent la seule trace conservée de leur état d'impuissance infantile et revivifiée dans le présent. Les fantasmes eux-mêmes, que Freud présente comme des « sang mêlés », sont porteurs d'une forme de mémoire. Ils portent la mémoire des modes de relation de l'enfance ou des événements tels qu'ils ont été vécus, appréhendés et enregistrés par l'enfant à l'époque de leur survenue, et donc en fonction des particularités du fonctionnement de la psyché infantile et de la vie pulsionnelle qui était la sienne à ce moment-là. Ce qui est resté traumatique dans l'enfance, ce qui a conservé un caractère trop énigmatique pour la psyché infantile, du fait en particulier de son immaturité, tend à continuer de venir se « représenter » à la psyché, et, tels les fantômes qui viennent hanter le présent tant qu'ils n'ont pas pu trouver de digne sépulture, continuent d'avoir des effets « posthumes ». 3 Infantile et théories infantiles Le constat de l'importance de l'impact subjectif du passé a conduit les psychanalystes, et les cliniciens qui se réfèrent à la psychanalyse, à porter un intérêt particulier à l'enfance et à ce qui, dans celle-ci, était déterminant pour la subjectivité et la construction du sens. Nous aurons l'occasion de reprendre en détail dans les prochains chapitres les différents moments et caractéristiques de l'organisation de la subjectivité de l'enfant, mais pour l'heure il faut commencer par évoquer une distinction importante à laquelle l'exploration clinique a conduit : la différence entre l'enfance et l'infantile. L'enfance est faite d'événements, de types de relations avec autrui, d'accidents de vie. Ces événements et modes de relation, l'enfant va devoir leur donner un sens pour les intégrer ; il va devoir les signifier, les interpréter au sein de sa subjectivité. Il va les signifier en fonction de son organisation psychique du moment, en fonction de l'état de sa subjectivité, en fonction de ce qui est organisateur et déterminant pour celle-ci à ce moment-là. Il va construire des conceptions et des « théories » du monde ainsi que des relations significatives pour lui, destinées à mettre en sens et à organiser le travail de mise en sens, indispensable à son développement. L'infantile ce n'est pas l'enfance, même si l'infantile prend naissance dans l'enfance. L'infantile est cette manière particulière de mettre en sens, de signifier les événements, incidents et accidents de vie, en fonction des données subjectives de l'enfance. C'est la manière dont l'enfant tente de réduire les énigmes auxquelles il est confronté. Par exemple, ce qu'on appelle le « narcissisme » de l'enfant est la manière de l'enfant de « rapporter à lui-même » ce qui se déroule dans sa vie et dans son environnement ; c'est- à-dire la manière avec laquelle il « interprète » les situations en fonction de lui, comme s'il en était à l'origine. Il « théorise » et conçoit à partir de lui, comme s'il avait produit ce à quoi il est confronté. Ou encore – mais l'exemple est tellement central que nous aurons ultérieurement à revenir sur son importance –, l'enfant « théorise » les rapports entre les personnes qu'il côtoie et avec qui il se construit en fonction de son organisation pulsionnelle dominante du moment, à partir des données que lui fournit l'organisation de son plaisir ou de son déplaisir. Lorsque l'organisation « orale » de la pulsion domine, il mange, dévore, incorpore ou excorpore ce qui se produit, est lui-même potentiellement dévoré ou réincorporé. Lorsque c'est l'organisation « anale » qui domine, c'est à partir des caractéristiques de celle-ci – maîtrise, activité, passivité, idéalisation, déchet, etc. – que le monde se trouve être réinterprété. Et ainsi de suite. Le travail de mise en sens des événements et relations par les « théories infantiles », est à l'origine des « fantasmes » infantiles. Pour résumer d'une phrase la distinction enfance/infantile, je dirais que l'enfance est une période de l'histoire marquée par un certain nombre de faits marquants et importants pour la structuration, alors que l'infantile concerne une manière de représenter les événements, une manière de les « signifier ». L'infantile concerne le travail de mise en sens de l'histoire plus que l'histoire elle-même. Dans cet ouvrage, l'enfance ne sera pas absente, mais ce sont surtout l'infantile et la manière dont la subjectivité infantile construit le sens qui seront au centre de nos développements. Cela nous conduit à un nouvel énoncé, une seconde proposition fondamentale : l'inconscient, c'est l'infantile en nous. Les logiques qui organisent l'inconscient sont des logiques infantiles. Elles sont issues des vécus, des processus et des « théories » de l'enfance, et résultent autant de ce qui a été énigmatique pour lui, que de la manière dont il a tenté de réduire cette énigme, comment il l'a traitée psychiquement. Mais ces logiques n'ont pas disparu avec l'enfance. Ce que nous avons été, la manière dont nous avons signifié les événements et relations significatives de notre enfance, continue d'exister en nous, d'organiser une partie de notre vie psychique, même si c'est de manière latente, et si l'impact de l'infantile en nous est devenu inconscient. L'infantile concerne donc aussi l'adulte et ce qui, de ses vécus et expériences infantiles, reste actif en lui, ou peut être ré-activé, ou encore reste « actuel », selon le concept retenu par le vocabulaire de la métapsychologie psychanalytique. Nous ne pouvons pas quitter notre réflexion sur l'infantile sans évoquer un processus tout à fait essentiel lui aussi dans la compréhension métapsychologique de la vie psychique et du poids de l'infantile dans celle-ci. Nous l'avons dit, nous conservons une trace de tous les moments significatifs de notre histoire, nous conservons une forme de mémoire de ce qui a été important et a contribué à notre construction, d'une manière ou d'une autre ; nous gardons trace de tout. La manière dont nous enregistrons les faits significatifs dépend de la manière dont nous les interprétons sur le moment, du sens que nous leur conférons. Mais la mémoire que nous conservons n'est pas une mémoire « inerte » : elle est vivante. Si, la plupart du temps, les événements sont conservés, ils sont en même temps « réinterprétés après coup » comme le dit Freud , en fonction de l'évolution de notre subjectivité, de notre compréhension du monde, et de l'évolution de notre monde pulsionnel. Comme le prix Nobel de biologie G. Edelman l'a souligné de son côté, la mémoire humaine est « approximative » ou, plutôt, elle est fidèle « au sens près », c'est-à-dire que si une trace des événements est bien conservée d'un côté, elle doit être interprétée et signifiée d'un autre. Puis elle sera resignifiée, réinterprétée, actualisée, en fonction de nos besoins et désirs présents. Cela signifie que nous transformons « après-coup » le sens de ces traces. Ce qui évolue dans notre rapport à notre passé, ce n'est pas tant la « mémoire » que nous avons conservée de celui-ci, que le « sens » que nous lui conférons. Dans la psyché, rien ne se perd, tout se transforme, tout tente du moins de se transformer pour être intégré. J'introduis ici une nuance – tout « tente » de se transformer –, car précisément la possibilité de transformer, de réinterpréter après-coup des données du passé pour les intégrer dans le présent de notre expérience subjective, pour leur permettre de suivre l'évolution de notre maturation est une conquête de la vie psychique. Cette conquête échoue parfois à s'effectuer, comme dans les situations « traumatiques ». Une telle impossibilité de transformation est d'ailleurs ce qui définit le traumatique dans la vie psychique. Le traumatique reste fixe, fixé, tel que lui-même, parce qu'il n'arrive pas à recevoir un sens qui le rend intégrable et donc susceptible d'évolution. D'une certaine manière, ce qui reste « infantile » c'est le non-transformé ou le pas assez transformé de notre expérience subjective, de notre histoire spécifique, le trop « actuel » (ce qui continue d'agir en nous comme si c'était encore présent) et le pas assez « actualisé » (pas assez transformé en fonction de notre présent), ce qui tend à se répéter tel quel. Ainsi s'établit une dialectique entre le poids du passé et celui de notre actualité. D'un côté nous abordons le présent en fonction de ce que fut notre passé, à l'aide des schèmes que celui-ci nous a permis de construire, mais d'un autre côté nous réinterprétons le passé, ou du moins une partie de celui-ci, en fonction de ce que le présent nous apprend. Ce va-et-vient est essentiel à notre vie psychique, mais il arrive qu'il se fige, se « fixe », si la situation rencontrée déborde nos capacités de mise en sens, si elle prend un caractère « traumatique ». La question du traumatique nous conduit maintenant naturellement à dire quelques mots de ce qui est déterminant dans la construction de la dimension infantile de la vie psychique, de ce qui est organisateur de la construction infantile du sens subjectif, et donc aussi de ce qui peut faire échouer celui-ci. Là encore, l'exploration des cliniciens de la psychanalyse a apporté une lumière tout à fait essentielle en situant dans la vie pulsionnelle ou, plutôt, dans « l'organisation » de la vie pulsionnelle le vecteur fondamental de la mise en sens. Ce sera notre troisième proposition : ce qui est déterminant dans la mise en sens infantile ou dans son échec est « le sexuel infantile ». 4 Sexuel infantile La référence au sexuel en psychanalyse est généralement mal comprise. On a pu faire de la psychanalyse un « pansexualisme », une théorie qui verrait du sexuel partout et dans tout. La référence au sexuel en psychanalyse est d'abord une référence au caractère déterminant et premier, fondamental, du couple plaisir/déplaisir dans le vécu et les réactions de la psyché, et de la psyché infantile particulièrement, dans la manière dont elle appréhende le monde, et le signifie. Les affects de plaisir et de déplaisir sont en effet les premières formes de « sens » que la psyché confère aux événements qui l'affectent. C'est le premier « jugement » qu'elle produit, celui que Freud a appelé le jugement d'attribution. « Cela est bon, je veux le mettre en moi » ou « cela est mauvais (déplaisant) et je veux le rejeter de moi ». Les pulsions vont alors contribuer au processus d'intériorisation de l'expérience subjective, à son intégration dans le moi ou, à l'inverse, à son ex-corporation, sa projection, ou aux formes d' évacuation que la psyché va mettre en œuvre. Bien sûr, la psyché ne peut en rester là. Rejeter le déplaisant ne permet pas la survie ; il faut bien prendre en compte ce qui est, même si cela provoque plutôt un affect de déplaisir ; il faut bien « apprendre » à le prendre en compte, c'est ce que Freud a appelé le principe de réalité. Mais il faut alors trouver un moyen de rendre ce qui provoque d'emblée plutôt du déplaisir suffisamment plaisant pour pouvoir l'accepter et l'intégrer. C'est l'une des grandes questions de la vie psychique, qui détermine le « cours des événements psychiques ». La psyché va devoir mettre en jeu ce travail de « transformation » psychique, selon le concept de W. Bion , ou de « transposition » selon celui de Freud. Comme nous le verrons plus en détail dans le chapitre suivant, la pulsion se présente alors comme « une exigence de travail psychique » (Freud ) ; c'est elle qui met en mouvement la vie psychique, qui la contraint à trouver des « solutions » pour traiter les excitations qu'elle implique. Comme cette rapide évocation le laisse entrevoir, la pulsion et la vie pulsionnelle participent, sous une forme ou une autre, aux différents temps de la vie psychique. Elles apportent leur contribution spécifique, leur sens propre, aux différents moments et temps du processus psychique. C'est pourquoi leur référence est inévitable dans l'approche des faits psychiques, dans l'approche du sens des faits psychiques, de la « place qu'ils occupent dans la série psychique », et de « l'intention qu'ils servent ». Ainsi, les « théories » à partir desquelles l'enfant « signifie » son expérience du monde et de lui-même, celles que nous avons évoquées plus haut, sont des « théories sexuelles infantiles ». Elles sont des théories du plaisir et du déplaisir, des théories de ce qui provoque le plaisir, des théories de ce qui fait souffrir, de ce qui soulage, de ce qui soigne, des théories du traitement de la pulsion (et par la pulsion) et des grandes énigmes qu'elle produit dans la vie psychique. La métapsychologie psychanalytique ne prétend donc pas trouver un « sens sexuel » aux différentes manifestations de la réalité psychique ; elle souligne plutôt le caractère « sexuel » du sens, des premières formes de mise en sens de l'expérience subjective. Avant de reprendre plus en détail la présentation du concept de pulsion, concept central de la métapsychologie et donc central pour une psychopathologie qui s'appuie sur celle-ci, il me faut encore dissiper un malentendu qui affecte la compréhension de la question du sexuel et de la place de la pulsion dans la conception que nous présentons de la vie psychique. Le terme de sexualité réfère à un comportement, à la mise en acte d'un certain nombre de désirs, c'est-à-dire à une certaine forme de réalisation, de tentative de réalisation des désirs, de mise en œuvre de ceux-ci dans la relation à l'autre ou la relation à soi-même. Le terme de sexuel, que nous préférons utiliser, réfère, quant à lui, à un éprouvé subjectif, que celui-ci s'accompagne ou pas d'une mise en acte. Bien sûr, le sexuel n'est pas sans rapport avec la sexualité, qui est une importante source de plaisir. Mais il se réfère surtout à la vie pulsionnelle interne, à la place des pulsions dans le processus psychique, dans les processus d'intériorisation ou d'externalisation des contenus psychiques, processus d'appropriation subjective par lesquels le sujet « introjecte » et intègre sa vie affective ainsi que les désirs que celle-ci comporte. Le sexuel donne le « modèle » de notre rapport subjectif interne à l'autre et à nous-même ; il met en scène comment les choses « rentrent » en soi, comment « ça rentre », comment « ça sort », dans le corps, dans la psyché. Le sexuel définit des modalités intrapsychiques, que celles-ci s'accompagnent ou pas de manifestations dans le comportement sexuel, dans la sexualité du sujet. References Freud S. Quelques types de caractère dégagés par le travail psychanalytique. In: L’Inquiétante étrangeté et autres essais. Paris: Gallimard; 1916a:135–171 1985. Freud S. Conférences d’introduction à la psychanalyse. Paris: Gallimard; 1916b 1999. Freud S. Études sur l’hystérie. Paris: PUF; 1895b 1978. Freud S. L’Analyse avec fin et l’analyse sans fin. In: Résultats, idées, problèmes. Paris: PUF; 1937a 1984. Freud S. Constructions dans l’analyse. In: Résultats, idées, problèmes. Paris: PUF; 1937b 1984. Chapitre 3 La pulsion et ses sources Plan du chapitre 1. Description de la vie psychique selon trois points de vue 2. Vocabulaire de la vie pulsionnelle 3. Principe du plaisir/déplaisir 3.1. Première définition 3.2. Complexification du principe de plaisir–déplaisir : notion de seuil 3.3. Complexification et aspects qualitatifs du principe de plaisir/déplaisir : objets investis 3.4. Complexification du principe de plaisir/déplaisir : compulsion à la répétition 4. La pulsion et ses sources 5. Source et théorie de l'étayage 6. Fonction psychique de la pulsion 6.1. Résumé des différentes fonctions de la pulsion 6.2. La « représentance » pulsionnelle La pulsion est l'un des concepts fondamentaux de la conception métapsychologique de la vie psychique, de l'analyse du « cours des événements psychiques » aussi bien courants que relevant d'une psychopathologie. La pulsion est ce qui met en mouvement le processus psychique, ce qui provoque le travail psychique. « L'exigence de travail psychique », dit Freud , est ce qui conduit la vie psychique à s'organiser. C'est aussi à partir de la pulsion que « l'appareil psychique », ou la psyché, selon le raccourci habituel que j'utilise plus couramment, va pouvoir être décrit dans ses différents aspects. Freud a proposé de considérer qu'une description métapsychologique du processus psychique devait pouvoir s'effectuer selon trois points de vue : les points de vue économique, dynamique et topique, que nous allons rapidement définir avant de reprendre notre exposé des concepts essentiels de la conception de la vie psychique que propose la métapsychologie. 1 Description de la vie psychique selon trois points de vue Nous avons commencé à présenter le point de vue économique quand nous avons souligné que la métapsychologie décrivait la psyché comme parcourue par une ou des forces d'intensité variable : les pulsions. Cependant, les forces, les pulsions qui animent la vie psychique ne sont pas toutes en harmonie ; elles peuvent rentrer en conflit, luttes et opposition les unes avec les autres, ou avec d'autres formations psychiques, le moi, le surmoi – qui représente la partie de la psyché contenant les règles de fonctionnement auxquelles le moi doit se soumettre –, ou certains pans de ceux-ci. Ces conflits contraignent la psyché à trouver des « solutions », des compromis, à composer avec les différents mouvements et intérêts psychiques. La description et l'analyse des conflits psychiques et de la manière dont la psyché tente de les traiter constituent ce que Freud appelle le point de vue dynamique. Dans le traitement et la métabolisation des conflits, la psyché est conduite à refouler ou éconduire, d'une manière ou d'une autre, certaines motions pulsionnelles, ou certains représentants pulsionnels. Elle est conduite à s'organiser, à différencier certains lieux et certains temps. L'analyse et la description de la psyché, comme formée de lieux différenciés, séparés par des formes de barrières, de frontières, des lieux différenciés où s'exercent des « lois » différentes où les contenus psychiques ne sont pas traités de la même manière, constituent ce que Freud a appelé le point de vue topique de la métapsychologie. Il a proposé une première forme de topique, classiquement définie à partir des trois « lieux » qui la composent : le conscient, le préconscient et l'inconscient. Puis à partir de 1923, il s'aperçoit qu'il y a plusieurs modalités d'« inconscience », plusieurs modes de rapports subjectifs différents, de relations différentes aux contenus psychiques. Il complexifie alors le premier modèle pour présenter l'appareil psychique comme formé de trois lieux, de trois « systèmes » de traitement de la vie psychique pour lesquels il propose les termes de ça, de moi et de surmoi. La seconde description topique ne fait pas disparaître la première, elle « prend » le problème autrement, se dialectise avec celle-ci. Ainsi, le moi de la seconde topique possède une partie inconsciente, une partie préconsciente et une partie consciente, de même que le surmoi. Le ça est alors considéré comme le « réservoir » des pulsions, comme le fond de la psyché à partir duquel les autres parties vont devoir se différencier ; il est donc « inconscient » en un autre sens. On a pu évoquer la question de la pertinence d'un quatrième point de vue, centré sur la genèse des processus, sur leur développement, le point de vue « génétique ». Sans entrer dans le débat qui s'est développé à ce propos, il n'est sans doute pas inutile de considérer un point de vue qui retrace l'historique de l'appareil psychique, histoire des forces, des dynamiques, de l'organisation topique, etc. C'est d'ailleurs à partir d'un tel point de vue que les chapitres qui suivent seront en partie rédigés, c'est-à-dire en suivant l'histoire de la construction de la subjectivité et de l'appareil psychique. Dans la démarche clinique qui caractérise l'approche métapsychologique en psychopathologie, le point de vue économique est premier. La pulsion est ce qui donne le sens, la direction du processus psychique, son vecteur. Il faut donc toujours partir de l'expérience subjective et, au sein de celle-ci, de la pulsion, de l'excitation, du « corps », et de la contrainte que la pulsion exerce sur la psyché, de l'exigence de « travail psychique » qu'elle impose. La question de l'investissement est centrale, car elle commande celle du sens ; on passe du sens de la force à la force du sens. La pulsion est la force qui donne le premier sens, qui donne la direction de l'investissement. Ce qui attire l'attention de la psyché, c'est ce qu'elle investit, et elle l'investit en fonction de la pulsion. Il y a donc ce qui se passe, et la manière dont ce qui se passe est investi, dont cela devient « signifiant » pour la psyché. Ainsi la perception, la réalité extérieure doivent-elles être « pulsionnalisées », investies par la pulsion pour prendre sens. Pour dire les choses autrement, dans une formulation sur laquelle nous aurons à revenir, Freud a proposé, à différentes reprises, de considérer que l'expérience subjective se présentait à la psyché sous la forme d'une « matière première », que la vie psychique va petit à petit travailler, transformer, transposer, pour « produire » le sens. Cette « matière première » est hypercomplexe ; elle amalgame en une forme première différentes perceptions, différentes sensations, mais aussi différentes « motions pulsionnelles », différents mouvements pulsionnels qui animent celle-ci et représentent la manière dont la psyché investit ce qui se produit, dont elle vectorise le « travail psychique ». 2 Vocabulaire de la vie pulsionnelle Avant de passer à la présentation des principes qui gouvernent le processus psychique, il me semble nécessaire de préciser aussi le sens de quelques termes utilisés dans le vocabulaire de la vie pulsionnelle, et qui cherchent à cerner certaines modalités de la manière dont elle est subjectivement vécue. Le premier de ceux-ci est celui d'excitation. Il désigne un état de la pulsion peu organisé, peu représenté dans son but, son objet. L'excitation est diffuse, la direction n'est pas très précise, mais il y a néanmoins l'idée d'une tension à évacuer d'une manière ou d'une autre. Le terme de pulsion désigne un état de l'excitation vectorisée, organisée vers un but, qui possède une poussée directionnelle. Le terme de motion pulsionnelle est utilisé pour évoquer un mouvement pulsionnel, une composante de la pulsion. La plupart du temps, ce que l'on appelle en clinique une pulsion concerne en fait une motion pulsionnelle. La pulsion elle-même est une entité théorique ; l'entité clinique est plutôt celle de la motion pulsionnelle – c'est la manière dont la pulsion se manifeste. Le désir désigne lui une poussée pulsionnelle, une motion pulsionnelle appropriée par un sujet, reprise à son compte par le sujet. On peut en effet accepter la poussée pulsionnelle – on se sent alors porteur d'un désir –, ou au contraire en refuser la teneur, la représentation ou la force, et la pulsion peut produire une crainte, une menace, une effraction potentielle pour la psyché. Ces différents termes tentent de préciser non seulement l'existence de la pulsion, mais aussi son degré d'organisation, et la position que la psyché prend à l'égard de la poussée pulsionnelle, la position subjective qu'elle adopte. Nous allons maintenant présenter les propositions centrales de la métapsychologie psychanalytique concernant les principes organisateurs de la vie psychique. Ils sont au nombre de trois, qu'il nous faut présenter dans la « logique » de leur découverte et de leur impact sur le cours des événements psychiques : d'abord le principe du plaisir/déplaisir, puis sa dialectique avec le principe dit de réalité, enfin cet « au-delà » du principe du plaisir que représente pour Freud la « compulsion de répétition » ou la « contrainte » de répétition. 3 Principe du plaisir/déplaisir 3.1 Première définition Le principe du plaisir/déplaisir est le principe fondamental de la régulation de la vie psychique, celui qui règle l'économique et le jeu de la force, le rapport de la psyché à la pulsion, aux pulsions. Dans sa formulation la plus simple mais la plus essentielle, le principe du plaisir/déplaisir énonce que la psyché tend à sélectionner et retenir ce qui est source de plaisir, et à éviter ce qui est source de déplaisir. Nous verrons plus loin que lorsque la psyché ne peut éviter le déplaisir, elle peut aussi tenter de l' évacuer, tenter d'expulser les expériences de déplaisir. Une recherche récente, fondée sur l'observation clinique d'un très grand nombre de bébés et d'enfants « normaux », conduite aux États-Unis par le psychanalyste de la première enfance R. Emde , confirme largement que des enfants qui vont suffisamment bien « recherchent » les situations qui leur procurent du plaisir et évitent, toutes les fois qu'ils le peuvent, les situations de déplaisir. C'est donc sans doute le principe fondamental qui détermine le « cours des événements psychiques », et ni Freud ni ses successeurs n'ont varié sur le caractère fondamental de ce principe. En revanche, sa pertinence va étroitement dépendre de la définition ou de la conception du plaisir et du déplaisir qui doit l'accompagner ou la compléter pour lui donner tout son sens. Cela va entraîner toute une série de complexifications des premières formulations. Le principe du plaisir/déplaisir se propose comme un principe de sélection qui organise et vectorise la vie psychique. La psyché recherche les situations de plaisir et cherche à éviter les situations qui produisent du déplaisir. Selon la première définition du plaisir de Freud, le plaisir est fondé sur la baisse de la tension au sein de la psyché, et inversement, le déplaisir sur l'augmentation de cette tension. La figure 3.1 permet de visualiser cette première conception considérée en absolu. Figure 3.1 Principe du plaisir (PL)/déplaisir (D) : première définition. Mais bien sûr cette première formulation, qui donne son orientation générale au principe, va devoir être petit à petit infléchie et modifiée, au contact de la clinique. 3.2 Complexification du principe de plaisir–déplaisir : notion de seuil La première complexification est liée à la découverte de la nécessité clinique de prendre en compte la question d'un seuil, d'une limite à la décharge. L'augmentation ou la baisse des tensions peuvent être considérées « en absolu », ou bien « relativement à un seuil ». En effet, la clinique montre que certaines montées de tension s'accompagnent en fait de plaisir ; par exemple, la montée de tension des excitations de la sexualité, qui commence par être éprouvée comme une tension de plaisir. À l'inverse, la clinique montre que la baisse de tension dans les états dépressifs, la perte du tonus qui les accompagne, est éprouvée comme déplaisir. Freud a alors proposé l'idée que c'est la variation autour d'une valeur constante qui donne sa couleur à l'affect. Toute diminution ou toute augmentation de tension autour de la constante provoque un affect de déplaisir, tout mouvement pour rétablir la valeur constante provoquant, lui, un affect de plaisir. La figure 3.2 permet de visualiser l'effet de l'introduction d'un seuil dans le schéma précédent. Figure 3.2 Principe du plaisir (PL)/déplaisir (D) : introduction d'un seuil. C : constante. Cependant, Freud remarque que les deux « modèles » du plaisir qu'il propose ne sont pas seulement des « théories » différentes du plaisir, mais qu'ils correspondent en fait à deux modes de fonctionnement présents dans la psyché, à deux modèles qui appartiennent à des systèmes psychiques différents mais qui coexistent et se conflictualisent dans la vie psychique. Il y a des parties de la psyché qui fonctionnent selon le schéma en « absolu », d'autres qui fonctionnent sur le modèle avec seuil ; les différents systèmes entrent en conflit, s'opposent et se composent. Une tendance vise à décharger les tensions jusqu'au niveau zéro, ou au niveau le plus bas possible : Freud a proposé l'appellation de « principe du nirvana » pour désigner cette tendance qui caractérise certains systèmes psychiques, ceux qui sont gouvernés par le « processus primaire ». Dans celui-ci, la pulsion, et donc la tension qu'elle provoque, tend à être déchargée « jusqu'au bout », selon une forme que l'on peut énoncer de la manière suivante : « Tout, tout de suite, tout seul, tout ensemble ». Elle correspond à la forme de plaisir que J. Lacan a appelé la « jouissance ». Nous verrons, dans les chapitres qui suivent, comment elle est produite dans l'histoire de la subjectivité. Dans l'autre tendance, la décharge ne doit être que « relative » et suppose qu'une certaine quantité d'investissement est nécessaire et même indispensable à la cohésion psychique. Une certaine quantité de libido doit investir le moi pour que celui-ci se maintienne et « survive ». L'idée d'une baisse de tension sur le modèle d'une « décharge » cède alors la place à un modèle dans lequel la pulsion et les tensions qu'elle implique sont en fait des « investissements ». La formulation de ce principe de fonctionnement introduirait alors une forme de règle de fonctionnement qui caractériserait les « processus secondaires », et que l'on pourrait formuler de la manière suivante : « Non tout, non tout-de-suite, non tout-seul, non tout-ensemble ». L'introduction d'un seuil commence en outre à introduire un élément qualitatif dans la définition du plaisir et du déplaisir – l'idée que le « contexte » de la variation de tension doit être pris en compte –, et introduit la question d'un autre type de sens. C'est alors sur le fond de cet investissement constant que les variations prennent sens, qu'elles sont ressenties comme des « variations », et donc comme des affects de plaisir ou déplaisir particuliers. La nécessité d'une base d'investissement « constant » pour la psyché a été appelée « principe de constance » par Freud. Comme la constance suppose qu'une certaine quantité d'énergie ne soit pas déchargée et évacuée mais, à l'inverse, qu'elle soit contenue et retenue dans la psyché, Freud a suggéré l'idée que la constance devait être le fruit de la transformation d'une certaine quantité de déplaisir en plaisir. Cela a ouvert la question de la nature de cette transformation du ou des processus par lesquels elle est produite. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour rendre compte de la transformation d'une certaine quantité de déplaisir, liée au maintien d'une certaine tension, en plaisir de se sentir auto-investi. La première est celle de l'action d'un certain « masochisme » de base de la psyché, de l'aptitude à endurer une certaine tension en transformant l'affect de déplaisir en plaisir, par retournement de son éprouvé manifeste. La seconde a conduit à un second niveau de complexification en commençant à introduire les aspects qualitatifs du plaisir liés à la prise en compte de la régulation économique de la psyché en relation avec des « objets » qu'elle investit. Il faut alors considérer non seulement les modifications qui se produisent en son sein, « les décharges », mais aussi les échanges d'investissements qui s'établissent avec les objets investis. 3.3 Complexification et aspects qualitatifs du principe de plaisir/déplaisir : objets investis Investir un objet, c'est « placer » des motions pulsionnelles en lui ; d'une certaine manière, c'est « décharger » les tensions sur lui, en lui. Mais si l'objet investit en retour le sujet, le « placement » produit un retour d'investissement et donc de charge, et le moi se trouve être réinvesti en retour. Une autre manière d'analyser ce processus est de considérer qu'il y a plusieurs manières de faire baisser les tensions ou d'en transformer l'impact psychique. On peut « décharger » la tension, l'orgasme sexuel étant le modèle même de cette décharge, avec aussi l'expression violente d'une colère. Mais l'on peut aussi dompter et canaliser l'excitation, et ainsi la « lier », lui faire perdre son caractère de « tension à décharger », pour qu'elle prenne la valeur d'une forme de l'investissement, et ainsi la transformer en énergie d'investissement et de liaison ou de lien. On parle de « liaison » quand l'investissement conce

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