Les caractéristiques des régimes démocratiques (cours) PDF

Summary

This document is a course on the characteristics of democratic systems. It discusses the concept of popular sovereignty and the separation of powers. The lecture notes examine the historical development of democratic systems and explore the functioning of representative democracy.

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PHILIPPE ARDANT Si les hommes ont longtemps réfléchi et disserté sur le pouvoir, ils ont tardé à agir et à inscrire leur réflexion dans l'organisation même de ce pouvoir. Pendant des millénaires, les sociétés humaines ont vécu sur des structures et des règles de gouvernement mises en place sa...

PHILIPPE ARDANT Si les hommes ont longtemps réfléchi et disserté sur le pouvoir, ils ont tardé à agir et à inscrire leur réflexion dans l'organisation même de ce pouvoir. Pendant des millénaires, les sociétés humaines ont vécu sur des structures et des règles de gouvernement mises en place sans plan d'ensemble, un peu au jour le jour, au hasard des difficultés ren- contrées. À la fin du XVIIr siècle, un certain nombre de principes se déga- geaient de l'expérience, en même temps que les hommes aspiraient à une nouvelle conception du pouvoir afin qu'il devienne le leur. La théorisation qui s'est forgée alors - avec en particulier les écrits de Montesquieu - devait inspirer les auteurs de la première formulation écrite des règles de gouvernement dans les Constitutions américaines polonaise, française des dernières décennies du XVIIr siècle. Souveraineté du peuple, séparation des pouvoirs, proclamation des libertés, sur ces trois fondements reposent les constitutions démocra- tiques contemporaines. La souveraineté du peuple: signification, exercice Souveraineté du peuple signifie que le pouvoir appartient au peuple, que celui-ci est libre de l'organiser et de l'utiliser comme il l'entend. Le pouvoir n'est plus la propriété d'un monarque le tenant de l'héré- dité et pouvant en user à sa guise puisqu'il n'en est responsable que devant Dieu. À la fin du xvnr siècle, ce principe va passer à la fois dans les constitutions et dans les faits, en rupture avec l'expérience immémo- PHILIPPE ARDANT 165 riale des sociétés humaines - à quelques exceptions près dans l'An- tiquité à Athènes ou à Rome, et à l'époque moderne dans les cantons suisses. Il s'agit de la plus grande révolution que l'histoire ait connue dans le gouvernement des hommes: la démocratie commence à deve- nir réalité, les hommes à se gouverner eux-mêmes. Le pouvoir enfin conquis, il faut l'organiser. Comment le peuple va-t-il se gouverner? La solution la plus séduisante serait qu'il prenne lui-même son des- tin en main. Toutes les décisions le concernant seraient alors arrêtées par lui: les citoyens réunis en corps rédigeraient les lois, c'est-à-dire les règles de portée générale, s'imposant à tous. Ils veilleraient eux- mêmes à l'application quotidienne de ces lois, assureraient la police et le maintien de l'ordre, débattraient des relations avec les États étran- gers. Et, pourquoi pas, rendraient eux-mêmes la justice... Cette énumération, qui pourrait être largement complétée, montre l'ampleur, la démesure même de l'ambition. Le régime de la démocra- tie directe, où le peuple se gouverne lui-même, n'est pas viable. Il sup- pose une disponibilité des citoyens, acceptant de consacrer beaucoup de temps aux affaires de la cité, une compétence, une technicité pour comprendre les problèmes et adopter la meilleure solution, un lieu suf- fisamment vaste pour se réunir, toutes conditions qu'il est vain d'es- pérer rencontrer. À la rigueur est-ce possible dans de micro-États, comme, aujourd'hui encore, quelques cantons suisses. Mais même ici il s'agit d'une façade, d'une parodie de démocratie directe, à usage folklorique: tous les citoyens n'exercent pas eux-mêmes le pouvoir, quelques-uns seulement y participent. La démocratie représentative Alors que faire ? Tout naturellement, une solution est apparue, il y a quelques siècles, en Grande-Bretagne: le peuple ne pouvant se gouverner lui-même, confie l'exercice du pouvoir à des hommes désignés par lui, à des représentants élus. Aujourd'hui, le régime représentatif est adopté par toutes les démocraties. L'important est de bien comprendre que, avec lui, le peuple ne se dessaisit pas de sa souveraineté, de son pouvoir; il en délègue l'exer- cice aux représentants et ceux-ci s'expriment en son nom. Comment les représentants vont-ils travailler? Les représentants se réunissent en Assemblée au sein du Parlement. Les premiers Parlements sont apparus en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle, 166 LES RÉGIMES CONSTITUTIONNELS à une époque où la souveraineté appartenait encore au monarque, mais où, sous l'action de leurs membres, à l'issue d'une lutte de cinq siècles, le pouvoir royal abandonnera une à une ses prérogatives et l'Angle- terre deviendra, au xvnr siècle, la première société démocratique de l'époque moderne. Comment vont se définir les relations entre les citoyens-souverains et les élus siégeant au Parlement ? Ici encore la solution démocratique idéale serait que les élus ne fas- sent qu'exprimer la volonté des citoyens, que ceux-ci leur dictent leur conduite, de façon précise et détaillée, leur confient ce qu'on appelle un «mandat impératif ». Les délégués ne sont pas libres de leurs opi- nions, de leurs votes; ils seront démis de leurs fonctions s'ils ne res- pectent pas les instructions qui leur ont été données. Ce système n'est pas non plus adapté aux sociétés contemporaines : comment concevoir qu'avant chaque débat, chaque vote, les représentants reviennent s'informer auprès de leurs électeurs de la conduite à tenir? Pour éviter la paralysie, il faut bien faire confiance aux élus. Avec « le régime représentatif », les élus, les « représentants », sont laissés libres de découvrir eux-mêmes la volonté du peuple souverain; les élec- teurs ne leur imposent rien, ils leur font confiance pour s'inspirer de la seule recherche de l'intérêt de la collectivité dans son ensemble. Les Britanniques ont été les premiers à adopter le « mandat représentatif ». Pendant la durée de leur mandat, les représentants ne sont en pra- tique que peu contrôlés par leurs électeurs, c'est seulement à son terme que les citoyens pourront sanctionner un élu en ne le réélisant pas s'il sollicite à nouveau leurs suffrages. La liberté laissée aux représentants ne comporte-t-elle pas des dan- gers? Les dangers du régime d'Assemblée TI est à craindre en effet que l'Assemblée ne perde de vue le fait qu'elle n'est pas le souverain, qu'elle ne s'exprime qu'au nom de celui-ci, c'est-à-dire du peuple. Le risque est grand surtout lorsque le Parlement n'est composé que d'une seule Assemblée. Laissée sans contrôle populaire véritable durant des années, l'Assemblée peut être tentée de se comporter comme le souverain lui-même. Un «régime d'Assemblée» se met dès lors en place, où les élus élaborent les lois et font du gouvernement un simple exécutant entièrement soumis à leurs directives, donc sans ini- tiative et pouvant être renvoyé à tout moment. PHILIPPE ARDANT 167 La concentration de la totalité du pouvoir entre les mains des élus explique la mauvaise réputation du régime d'Assemblée. Celui-ci n'a d'ailleurs connu que de rares manifestations qui en outre, en France au moins, ont été imparfaites et de brève durée: la Convention, 1848, et au lendemain de la guerre de 1870. En définitive ce qu'il faut éviter si l'on veut que le régime soit véri- tablement démocratique c'est de remettre la totalité de l'exercice du pouvoir à un individu ou à un groupe d'individus. La séparation des pouvoirs Et ici apparaît un autre principe fondateur de la démocratie: la séparation des pouvoirs. L'analyse des fonctions de l'État met en lumière la diversité de ses tâches. La théorie classique, depuis Montesquieu, distingue l'élaboration de la loi, de l'exécution de la loi et enfin la tâche de rendre la justice. n est nécessaire que ces attributions soient confiées à des organes spécialisés et autonomes: pouvoir législatif, pouvoir exécutif (ou gouvernemental), pouvoir judiciaire. Car, ainsi réparti, le pouvoir sera moins menaçant, dans la mesure où aucun des pouvoirs ne pourra se considérer à lui seul comme le souverain; s'il en était tenté, il ne le pourrait pas car la collaboration des pouvoirs est inévitable, chacun ayant la capacité d'empêcher les autres d'agir puisque, par exemple.rcelui qui fait la loi ne l'applique pas. La sépara- tion des pouvoirs met en place un système de freins et de contrepoids qui aboutit à un « gouvernement modéré », selon le souhait de Mon- tesquieu, dans lequel le pouvoir perd son potentiel oppressif. La nécessité d'une séparation des pouvoirs admise, reste à déterminer comment l'organiser. Dans la pratique, le problème essentiel est celui de l'aménagement des relations entre le Parlement et le gouvernement. Un choix existe entre une infinité de possibilités qui s'ordonnent entre deux pôles selon que l'accent est mis sur l'autonomie des pou- voirs ou sur leur collaboration. Le régime présidentiel Le régime présidentiel cherche au départ à mettre le Parlement et le gouvernement sur un pied d'égalité, à assurer l'indépendance de l'un par rapport à l'autre, à réaliser une séparation tranchée des pouvoirs. Les États-Unis fournissent l'exemple type du régime présidentiel et dans les faits le seul qui fonctionne à peu près correctement. 168 LES RÉGIMES CONSTITUTIONNELS Comment assurer l'indépendance de l'exécutif par rapport au Par- lement, c'est-à-dire aux États-Unis par rapport au Congrès? Tout simplement en faisant élire le chef de l'exécutif par le peuple. Ainsi le pouvoir du Président reposera sur l'investiture populaire, tout comme celui des représentants siégeant au Congrès; leur légitimité est identique: Président et Congrès sont placés sur un pied d'égalité par l'origine identique de leur pouvoir. Ainsi désigné le chef de l'exécutif choisit librement ses collabo- rateurs, c'est-à-dire les ministres composant le cabinet - ou gouver- nement. De même, lui seul peut les révoquer, le Parlement ne peut renverser le gouvernement, pas plus qu'il ne peut contraindre à la démission le chef de l'exécutif. Celui-ci, en contrepartie, ne peut dis- soudre le Congrès, il ne peut mettre un terme de façon anticipée au mandat des représentants. Autre conséquence: l'exécutif est exclu du travail du Parlement, il n'intervient pas dans l'élaboration des lois mais seulement pour leur mise en application. Pour que le système fonctionne, l'exécutif et le législatif sont condamnés à s'entendre, c'est-à-dire à collaborer. La séparation est peut-être stricte, elle n'exclut pas - au contraire - toute collaboration. Comment va se réaliser cette collaboration? Une série de procédures organisent un dialogue, créent des moyens de pression, et si elles échouent permettent au moins à l'un des acteurs d'empêcher l'autre d'agir - mesure qui doit les inciter à s'entendre. Par exemple, le chef de l'exécutif pourra opposer son veto à une loi votée par le Parlement, c'est-à-dire refuser de la promulguer, de la mettre en vigueur; le Parlement peut par un nouveau vote subordonné à l'obtention d'une majorité aggravée, difficile à atteindre, annuler le veto du Président. Le Parlement de son côté, s'il est en conflit avec l'exécutif pourra refuser de voter le budget qui lui est présenté par le chef de l'exécutif, le privant par là des moyens financiers de mise en œuvre de sa politique. Pour que le système ne se bloque pas, il faut des situations particu- lières où il n'y a pas d'opposition tranchée, irréductible, entre le Parlement et l'exécutif. Le second doit pouvoir négocier avec le pre- mier, y compter sur des bonnes volontés pour éviter la paralysie. Ce sera rarement le cas, ce qui explique que le régime présidentiel ne fonctionne guère qu'aux États-Unis. Le régime parlementaire Dans les régimes parlementaires au contraire, l'accent est mis en PHILIPPE ARDANT 169 priorité sur la collaboration des pouvoirs. La séparation est souple, et non pas rigide, si les pouvoirs sont indépendants, la Constitution S' ef- force de trouver un équilibre entre le Parlement et le gouvernement. À la différence du régime présidentiel, le régime parlementaire a fait l'objet de multiples expériences à travers le monde, et donc de variantes, dont se dégagent cependant quelques principes communs. L'exécutif est, en général, formé de deux composantes : un chef de l'État - monarque ou président -, ce dernier le plus souvent élu par le Parlement - un gouvernement ayant à sa tête un Premier ministre ou un président du Conseil. Une première caractéristique essentielle du régime parlementaire est que le cabinet ou gouvernement doit avoir la confiance du Parlement. Celui-ci approuvera donc par un vote la composition du cabinet au moment de sa formation, en lui accordant son investiture. Ensuite le gouvernement reste sous le contrôle du Parlement, ce qu'on appelle sa responsabilité politique pourra être engagée devant les représentants, soit à leur initiative, soit à celle du Premier ministre: on parlera de motion de censure et de question de confiance, procé- dures permettant de vérifier que le cabinet a toujours la confiance des élus. Un vote de défiance oblige le gouvernement à démissionner. En contrepartie, dans la plupart des régimes parlementaires, l'exé- cutif pourra décider la dissolution du Parlement, c'est-à-dire provo- quer des élections avant la fin du mandat des représentants. L'équilibre est ainsi réalisé entre les deux pouvoirs, chacun ayant le moyen de mettre un terme au mandat de l'autre. La différence avec le régime présidentiel éclate ici.. Mais ce n'est pas le seul domaine où le régime parlementaire se dis- tingue du régime présidentiel. La collaboration Parlement-exécutif, assez réduite et informelle dans le second, est ici au cœur du régime. La politique est définie en commun par les deux pouvoirs et l'exé- cutif est associé à l' œuvre du législateur: il peut préparer et faire. débattre des projets de lois, les ministres pourront participer à la dis- cussion et souvent le gouvernement pourra intervenir dans le dérou- lement de la procédure législative. De leur côté, les parlementaires pourront poser des questions aux ministres et créer des commissions chargées d'enquêter sur l'action du gouvernement. Pour terminer trois observations : - L'imagination des constituants n'est pas enfermée dans des sché- mas contraignants. L'organisation du pouvoir peut prendre des formes empruntant à tel ou tel type de régime. Par exemple, le chef de l'État sera élu au suffrage universel- caractère appartenant au régime prési- dentiel - et le gouvernement sera responsable devant le Parlement - 170 LES RÉGIMES CONSTITUTIONNELS trait emprunté au régime parlementaire - on parlera alors de régime serni-présidentiel. - La Constitution, la séparation des pouvoirs, sont mis en œuvre dans des contextes politiques qui infléchissent leur contenu. Que reste- t-il de la séparation des pouvoirs lorsque le gouvernement et la majo- rité du Parlement appartiennent au même parti ? Quelle est l'indépen- dance de l'exécutif par rapport au législatif? - La présentation qui vient d'être faite, laisse de côté un problème démocratique majeur: comment sera assurée la protection des libertés? La séparation des pouvoirs la garantit-elle? Faut-il prévoir des procé- dures spécifiques? Les régimes constitutionnels organisent la démocratie mais laissent bien des questions en débat.

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