🎧 New: AI-Generated Podcasts Turn your study notes into engaging audio conversations. Learn more

Loading...
Loading...
Loading...
Loading...
Loading...
Loading...
Loading...

Full Transcript

lOMoARcPSD|36365031 Économie politique - Professeurs : Mme Pawlowitsch et M Lotz Economie politique (Université Paris II Panthéon-Assas) Scanne pour ouvrir sur Studocu Studocu n'est pas sponsorisé ou supporté par une université ou un lycée Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcP...

lOMoARcPSD|36365031 Économie politique - Professeurs : Mme Pawlowitsch et M Lotz Economie politique (Université Paris II Panthéon-Assas) Scanne pour ouvrir sur Studocu Studocu n'est pas sponsorisé ou supporté par une université ou un lycée Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Économie politique 1H30, écrit Chapitre 1 - Économie politique ? Signification du terme. Adam Smith : précurseur de l’individualisme méthodologique Utilisé, pendant toute une période, comme terme générique pour ce que l’on appelle aujourd’hui les sciences économiques ou bien économie tout court. Derrière ce terme se cache une approche méthodologique – toute une vision de la société : Aujourd’hui, on ne parle plus tellement d’«économie politique», mais plutôt d’«économie» tout court. - Marshall, 1890 : Principles of Economics. Ce changement d’appellation exprime un changement de paradigme : le remplacement de “l’économie classique” par “l’économie néo-classique” le remplacement de la théorie de la valeur travail (théorie de la valeur “objective” ), qui était le fondement technique de l’économie classique, par une théorie des prix basée sur l’évaluation marginaliste de l’utilité subjective du bien échangé (théorie de la valeur “subjective”). Il y a cependant une continuité dans ce passage d’une théorie à l’autre : c’est l’individualisme méthodologique. Les deux, l’économie classique et l’économie néoclassique, reposent sur une forme de l’individualisme méthodologique, du moins, c’est la position qui sera défendue dans ce cours. Les économistes de l’école néo-classique traduisent cette approche par hypothèse d’un individu qui maximise une fonction d’utilité (dont les variables sont les unités des biens consommés) sous contraintes (leur budget et le système de prix), ce qui permet une formalisation mathématique. C’est ce qui est enseigné aujourd’hui, dans la plupart des universités, en première année aux jeunes économistes dans des cours de “microéconomie” (Essentiellement des cours de méthode qui ressemblent à des cours de mathématiques appliquées). On retrouve également dans les programmes d’études, des cours de “macroéconomie”, c’est dans ces cours-là que l’on parle de politique monétaire, du chômage, de la croissance économique. => It is not from the benevolence of the butcher, the brewer, or the baker, that we expect our dinner, but from their regard to their own interest. We address ourselves, not to their humanity but to their self-love, and never talk to them of our own necessities but of their advantages. Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage L’économie politique n’a pratiquement rien à voir avec le mot politique dans le sens élection, mais à voir avec sens polis -> communauté d’individus qui sont libres d’échanger leurs biens et d’agir sur le marché -> se cache idée d’individualisme. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Selon Smith on recherche l’ordre social, mais chacun suit ses propres intérêts et c’est par ça que le bien public va être permis. -> La main invisible. La pensée classique et la naissance de l’économie politique Tout découpage historique est arbitraire, mais on considère généralement que la période classique s’étend de 1776, avec les écrits d’A. Smith (1723- 1790) à 1871 avec la naissance de l’école néoclassique et notamment les écrits de S. Jevons (1835- 1882), C. Menger (1840- 1921) et L. Walras (1934- 1910). C’est K. Marx ( 1818- 1883) qui donne son nom à ce courant, mais il ne rend hommage qu’aux fondateurs ( A. Smith et surtout D. Ricardo [1772- 1823]), il appelle au contraire « économistes vulgaires » les successeurs comme J.- B. Say (1767- 1832). Malgré les différences, les classiques ont des préoccupations communes : quelle est l’origine de la richesse ? Quelle est l’origine de la valeur ? Quelle place pour l’État ? Ils considèrent l’économie comme une science et essaient de dégager des lois. Mais ils utilisent cependant peu l’outil mathématique. §I - L’école classique d’Adam Smith A. Smith est considéré comme le « père de l’économie politique » en tant que discipline autonome. À Glasgow, il donne un cours sur la rhétorique et les belles-lettres (1762-63). Dans la troisième édition de la Théorie des sentiments moraux (1766) se trouve en annexe un article intitulé “Considerations concerning the first formation of languages”. Dans son cours à Glasgow, on trouve déjà une partie sur l’économie politique, une autre sur le droit. I - Théorie des sentiments moraux (1759) Smith cherche à décrire les principes de la nature humaine pour comprendre comment ils suscitent la création des institutions et du comportement social. Il s’interroge notamment sur l’origine de la capacité qu’ont les individus de porter des jugements moraux sur les autres mais aussi sur leur propre attitude. -> Propose une théorie de la sympathie : en observant les autres et les jugements qu’ils portent sur autrui et eux-mêmes, nous nous rendons compte de nous-mêmes mais aussi du fait que nous sommes observés par les autres. Chacun de nous a en lui-même un homme intérieur ( the man within ), capable de se placer à distance de ses propres passions et intérêts, afin de se constituer en observateur impartial (impartial spectator) de soi-même, capable de témoigner son approbation ou sa désapprobation morale à l’égard de ses propres actes. Il en résulte une sympathie mutuelle (mutual sympathy of sentiments) de laquelle émerge des habitudes et des principes de comportement. Une explication de la cohérence sociale qui peut être qualifiée de “psychologiste”. Mais toutefois une explication moderne. Elle n’a recours ni à un dieu, ni à la pitié ou à l'altruisme. Une explication qui cherche ses bases dans les intérêts propres des individus. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 II - Smith comme précurseur d’un individualisme méthodologique Terme introduit plus tard par Joseph Schumpeter dans Nature et contenu principal de la théorie économique (Das Wesen und der Hauptinhalt der theoretischen Nationalökonomie, 1908). => Approche en économie sociale selon laquelle les phénomènes collectifs sont expliqués à partir des propriétés et des actions des individus et de leurs interactions mutuelles. -> Voir introduction. III - Smith comme défenseur du principe de la proportionnalité Les philosophes de ces derniers temps se sont principalement occupés de l’effet de nos affections, et ont fait peu attention au rapport qu’elles ont avec leur cause. Dans la vie ordinaire, cependant, lorsque nous jugeons la conduite d’une personne quelconque et les sentiments qui la lui ont dictée, nous les considérons toujours sous ces deux rapports... Lorsque nous jugeons ainsi d’un sentiment quelconque, selon qu’il est ou non proportionné à la cause qui l’a produit, nous ne saurions guère faire usage d’une autre règle, ou d’une autre mesure, que de l’affection qui y correspond en nous. (Première partie, section I, chapitre III, De la manière dont nous jugeons...) IV - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) Il publie en 1776 son livre « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». La couverture de la Richesse définit son programme en large : Le Travail annuel d’une nation est le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie ; et ces choses sont toujours ou le produit immédiat de ce travail, ou achetées des autres nations avec ce produit. Ainsi, selon que ce produit, ou ce qui est acheté avec ce produit, se trouvera être dans une proportion plus ou moins grande avec le nombre des consommateurs, la nation sera plus ou moins bien pourvue de toutes les choses nécessaires ou commodes dont elle éprouvera le besoin. Or, dans toute nation, deux circonstances différentes déterminent cette proportion. Premièrement, l’habileté, la dextérité et l’intelligence qu’on y apporte généralement dans l’application du travail ; deuxièmement, proportion qui s’y trouve entre le nombre de ceux qui sont occupés à un travail utile et nombre de ceux qui ne le sont pas. La première phrase du premier chapitre attribue la croissance et la richesse des nations à la division du travail : Les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus grande partie de l’habileté, de l’adresse, de l’intelligence avec laquelle il est dirigé ou appliqué, sont dues, à ce qu’il semble, à la Division du travail. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 A - La théorie de la division du travail Avec ce programme, Smithe étend le programme des physiocrates : Smith reprend des physiocrates (Livre IV de la Richesse des nations, “Des systèmes d’économie politique”) notamment leur critique de l’une des positions des mercantilistes, à savoir que la richesse d’une nation soit définie par la possession de métaux et de pierres précieuses (car ce sont eux qui permettent de financer les guerres et qui ont une valeur durable dans le temps et reconnue partout). Selon les physiocrates, il faut réduire le travail non-productif. Selon Smith, il faut rendre le travail productif encore plus productif. Le moyen : étendre la division du travail. Selon Smith, élargir la division du travail (sous pression compétitive) augmente la productivité, ce qui conduit à une baisse des prix et alors un plus haut niveau de bien-être, “general plenty” et “universal opulence”, pour tout le monde. La division du travail chez Smith est souvent présentée comme un concept purement technique. L’exemple utilisé par Smith pour expliquer ce principe, la manufacture d’épingles est resté célèbre. À travers cet exemple, il montre que la division du travail permet d’accroître la productivité. Cela conduit à un cercle vertueux car plus une économie est riche, plus elle peut pratiquer la division du travail et plus elle pratique la division du travail, plus elle s’enrichit. Cependant, A. Smith est conscient des effets néfastes sur les travailleurs de la division du travail : « un homme qui passe toute sa vie à remplir un petit nombre d’opérations simples […] perd donc naturellement l’habitude de déployer ou d’exercer ses facultés et devient, en général, aussi stupide et aussi ignorant qu’il soit possible à une créature humaine de le devenir » ( Smith, 1776). Il montre aussi que si la taille du marché est trop limitée, la division du travail devient inefficace Par ailleurs, lorsque Smith dit “que la division du travail est limité par l’étendue du marché”, il met la division du travail en relation avec des facteurs sociaux : “l’étendue du marché” ne vise pas seulement l’étendue territoriale du marché, mais aussi l’étendue du marché à l’intérieur d’un territoire, càd, le degré selon lequel l’économie est une économie d’échange. B - La théorie de la valeur et des prix 1 - La théorie de la valeur Pour Smith, l’origine de la monnaie est dans l’origine de la société commerçante : La division du travail une fois généralement établie, chaque homme ne produit plus par son travail que de quoi satisfaire une très petite partie de ses besoins. La plus grande partie ne peut être satisfaite que par l’échange du surplus du travail des autres. Ainsi, chaque homme subsiste d’échanges et devient une espèce de marchand, et la société elle-même est proprement une société commerçante. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 (Livre I, chapitre IV, De l’origine et de l’usage de la Monnaie, premier paragraphe) Problème de la divisibilité et de la durabilité des biens qui ne sont produits que pour l’échange. Dans différentes cultures, de différentes denrées ont pris le rôle de l’instrument ordinaire du commerce : bétail, sel, clous… Les métaux précieux ont quelques propriétés désirables, notamment leur durabilité dans le temps et leur divisibilité. Mais aussi des inconvénients : d'abord, comme dit Smith, “l’embarras de les peser, et ensuite celui de les essayer”. Ils sont d’ailleurs extrêmement sensibles à des erreurs de mesure. C’est pour prévenir de tels abus, pour faciliter les échanges et encourager tous les genres de commerce et d’industrie, que les pays qui ont fait quelques progrès considérables vers l’opulence ont trouvé nécessaire de marquer d’une empreinte publique certaines quantités de métaux particuliers dont ils avaient coutume de se servir pour l’achat des denrées. De là, l’origine de la monnaie frappée et des établissements publics destinés à la fabrication des monnaies… C’est de cette manière que la monnaie est devenue chez tous les peuples civilisés l’instrument universel du commerce, et que les marchandises de toute espèce se vendent et s’achètent, ou bien s'échangent l’une contre l’autre, par son intervention. (Livre I, chapitre IV, paragraphes 7 et 11) Quelles sont les règles “que les hommes observent naturellement en échangeant les marchandises l’une contre l’autre, ou contre de l’argent” ? Ce sont ces règles qui déterminent ce qu’on peut appeler la Valeur relative (d’usage) ou échangeable (d’échange) des marchandises. Il faut observer que le mot valeur a deux significations différentes ; quelquefois il signifie l'utilité d’un objet particulier, et quelquefois il signifie la faculté que donne la possession de cet objet d’en acheter d’autres marchandises. On peut appeler l’une, Valeur en usage, et l’autre, Valeur en échange. - Des choses qui ont la plus grande valeur en usage n’ont souvent que peu ou point de valeur en échange ; et au contraire, celles qui ont la plus grande valeur en échange n’ont souvent que peu ou point de valeur en usage. (Livre I, chapitre IV, paragraphe 13) -> Smith cite comme exemple, pour le premier, l’eau, pour le second, le diamant. A. Smith adopte une théorie de la valeur travail : « Le travail est le fondement et l’essence des richesses » ( Smith, 1776). Il distingue la valeur d’usage ( qui est liée à l’utilité des biens) et la valeur d’échange qui exprime le pouvoir d’acheter d’autres biens. C’est la valeur d’échange qui détermine le prix naturel des marchandises, c’est- à- dire le prix qui permet de payer le revenu des facteurs utilisés pour produire le bien. Le prix de marché est déterminé par la confrontation de l’offre et de la demande et il fluctue autour du prix naturel ( donc de la valeur d’échange). Pour A. Smith « le prix naturel est donc pour ainsi dire le point central vers lequel gravitent continuellement les prix de toutes les marchandises » ( Smith, 1776). Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Quelle est “la véritable mesure de cette valeur en échange” ? Un homme est riche ou pauvre, suivant les moyens qu’il a de se procurer les choses nécessaires, commodes ou agréables de la vie. Mais la division une fois établie dans toutes les branches du travail, il n’y a qu’une partie extrêmement petite de toutes ces choses qu’un homme puisse obtenir directement par son travail ; c’est du travail d’autrui qu’il faut attendre la plus grande partie de toutes ces jouissances ; ainsi, il sera riche ou pauvre, selon la quantité de travail qu’il pourra commander ou qu’il sera en état d’acheter. Ainsi, la valeur d’une denrée quelconque pour celui qui la possède et qui n’entend pas en user ou la consommer lui-même, mais qui a intention de l’échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travail que cette denrée le met en état d’acheter ou de commander. Le travail est la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise. (Livre I, chapitre V. Du prix réel et du prix nominal des marchandises, de leur prix en travail et de leur prix en argent, paragraphes 1-3) Le travail a été le premier prix, la monnaie payée pour l’achat primitif de toutes choses. Ce n’est point avec de l’or ou de l’argent, c’est avec du travail que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement ; et leur valeur pour ceux qui les possèdent et qui cherchent à les échanger contre de nouvelles productions est précisément égale à la quantité de travail qu’elles mettent en état d’acheter ou de commander. (Livre I, chapitre V, paragraphe 4) Il est souvent difficile de fixer la proportion entre deux différentes quantités de travail. Cette proportion ne se détermine pas toujours seulement par le temps qu’on a mis à deux différentes sortes d’ouvrages. Il faut aussi tenir compte des différents degrés de fatigue qu’on a endurés et de l’habileté qu’il a fallu déployer. Il peut y avoir plus de travail dans une heure d’ouvrage pénible que dans deux heures de besogne aisée, ou dans une heure d'application à un métier qui a coûté dix années de travail à apprendre, que dans un mois d’application d’un genre ordinaire et à laquelle tout le monde est propre. Or, il n’est pas aisé de trouver une mesure exacte applicable au travail ou au talent. Dans le fait, on tient pourtant compte de l’une et de l’autre quand on échange ensemble les productions de deux différents genres de travail. Toutefois, ce compte là n’est réglé sur aucune balance exacte ; c’est en marchandant et en débattant les prix de marché qu’il s’établit, d’après cette grosse équité, qui sans être fort exacte, l’est bien assez pour le train des affaires communes de la vie. (Livre I, chapitre V, paragraphe 6) 2 - La théorie des prix Smith distingue aussi entre le prix réel (prix en quantité de travail commandé) et le prix nominal (prix en argent) d’une marchandise : Ainsi, le travail, ne variant jamais dans sa valeur propre, est la seule mesure réelle et définitive qui puisse servir, dans tous les temps et dans tous les lieux, à apprécier et à comparer la valeur de toutes les marchandises. Il est leur prix réel ; l’argent n’est que leur Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 prix nominal. (Livre I, chapitre V, paragraphe 11) Des parties constituantes du prix des marchandises - la distribution de la richesse : Économie primitive de marchandises : Dans ce premier état informe de la société, qui précède l’accumulation des capitaux et l’appropriation du sol, la seule circonstance qui puisse fournir quelques règles pour les échanges, c’est, à ce qu’il semble, la quantité de travail nécessaire pour acquérir les différentes objets d’échange. (Livre I, chapitre VI, Des parties constituantes du prix des marchandises, premier paragraphe) Dans cet état de choses, le produit du travail appartient tout entier au travailleur, et la quantité de travail communément employée à acquérir ou à produire un objet échangeable est la seule circonstance qui puisse régler la quantité de travail que cet objet devra communément acheter, commander ou obtenir en échange. (Livre I, chapitre VI, paragraphe 4, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations) Capital et profit : Aussitôt qu’il y aura des capitaux accumulés entre les mains de quelques particuliers, certains d’entre eux emploieront naturellement ces capitaux à mettre en oeuvre des gens industrieux, auxquels ils fourniront des matériaux et des substances, afin de faire un Profit sur la vente de leurs produits, ou sur ce que le travail de ces ouvriers ajoute de valeur aux matériaux… Ainsi, la valeur que les ouvriers ajoutent à la matière se résout alors en deux parties, dont l’une paye leurs salaires et l’autre les profits que fait l’entrepreneur sur la somme des fonds qui lui ont servi à avancer ces salaires et la matière à travailler. (Livre I, chapitre VI, paragraphe 5) Sol et rente : Dès l’instant que le sol d’un pays est devenu propriété privée, les propriétaires demandent une Rente, même pour le produit naturel de la terre. Il s’établit un prix additionnel sur le bois des forêts, sur l’herbe des champs et sur tous les fruits naturels de la terre, qui lorsqu’elles étaient possédées en commun, ne coûtaient à l’ouvrier que la peine de les cueillir, et lui coûtent maintenant davantage. Il faut qu’il paye pour avoir la permission de les recueillir, et il faut qu’il cède au propriétaire du sol une portion de ce qu’il recueille ou de ce qu’il produit par son travail. Cette portion ou, ce qui revient au même, le prix de cette portion constitue la Rente de la terre (rent of land), et dans le prix de la plupart des marchandises, elle forme une troisième partie constituante. (Livre I, chapitre VI, paragraphe 8) Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Il faut observer que la valeur réelle de toutes les différentes parties constituantes du prix se mesure par la quantité du travail que chacune d’elles peut acheter ou commander. Le travail mesure la valeur, non seulement de cette partie du prix qui se résout en travail, mais encore de celle qui se résout en rente, et de celle qui se résout en profit. (Livre I, chapitre VI, paragraphe 9) On trouve donc chez Smith ce que l’on peut appeler une théorie de la valeur travail commandé (labour-command theory of value) : la valeur d’un bien est déterminée par la quantité de travail commandé, la quantité de travail qu’il permet d’acquérir. Prix naturel et prix de marché Dans chaque société, dans chaque localité, il y a un taux moyen ou ordinaire pour les profits dans chaque emploi différent du travail ou des capitaux... Il y a aussi, dans chaque société ou canton, un taux moyen ou ordinaire pour les fermages (rents)... On peut appeler ce taux moyen et ordinaire le taux naturel du salaire, du profit et du fermage, pour le temps et le lieu dans lesquels ce taux domine communément. Lorsque le prix d’une marchandise n’est ni plus ni moins que ce qu’il faut pour payer, suivant leurs taux naturels, et le fermage de la terre, et les salaires du travail, et les profits du capital employé à produire cette denrée, la préparer et la conduire au marché, alors cette marchandise est vendue ce qu’on peut appeler son prix naturel.. (Livre I, chapitre VII, Du prix naturel des marchandises, et de leur prix de marché, paragraphes 1-4) Le prix actuel auquel une marchandise se vend communément est ce qu’on appelle son prix de marché. Il peut être ou au-dessus, ou au-dessous, ou précisément au niveau du prix naturel. Le prix de marché de chaque marchandise particulière est déterminé par la proportion entre la quantité de cette marchandise existant actuellement au marché, et les demandes de ceux qui sont disposés à en payer le prix naturel ou la valeur enti`ere des fermages, profits et salaires qu’il faut payer pour l’attirer au marché. On peut les appeler demandeurs effectifs, et leur demande, demande effective, puisqu’elle suit pour attirer effectivement la marchandise au marché. (Livre I, chapitre VII, paragraphes 7-8) La quantité de chaque marchandise mise sur le marché se proportionne naturellement d'elle-même à la demande effective. C’est l’intérêt de tous ceux qui emploient leur terre, leur travail ou leur capital à faire venir quelque marchandise au marché, que la quantité n’en excède jamais la demande effective ; et c’est l’intérêt de tous les autres, que cette quantité ne tombe jamais au-dessous. Si cette quantité excède pendant quelque temps la demande effective, il faut que quelqu’une des parties constituantes de son prix soit payée au-dessous de son prix naturel. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 (Livre I, chapitre VII, paragraphes 12-13) Le prix naturel est donc, pour ainsi dire, le point central vers lequel gravitent continuellement les prix de toutes les marchandises. Différentes circonstances accidentelles peuvent quelquefois les tenir un certain temps élevées au-dessus, et quelquefois les forcer à descendre un peu au-dessous de ce prix. Mais, quels que soient les obstacles qui les empêchent de se fixer dans ce centre de repos et de permanence, ils ne tendent pas moins constamment vers lui. (Livre I, chapitre VII, paragraphes 15) C - La théorie du commerce international A. Smith dénonce le mercantilisme, le commerce exclusif et l’existence des colonies. Il se montre favorable à la liberté du commerce international et à une division internationale du travail qu’il explique par la théorie des avantages absolus (v. chapitre Commerce international, internationalisation de la production et gouvernance mondiale). D - L’intervention de l’État Pour A. Smith, la prospérité d’une économie suppose la paix, des taxes modérées et « une administration tolérable de la justice » ( Smith, 1776). Il est donc favorable à une intervention de l’État limitée aux fonctions régaliennes (police, justice, défense, diplomatie). Il note cependant que l’État doit intervenir pour construire les équipements publics et produire les services (éducation des pauvres) pour lesquels le marché se révèle inefficace ( v. chapitre Les fonctions économiques de l’État). E - La théorie de la main invisible. Évoquée déjà dans la Théorie des sentiments moraux (1759), mais aussi dans la Richesse des nations (1976). Terme employé aujourd’hui comme métaphore désignant la théorie selon laquelle l’ensemble des actions individuelles des acteurs (économiques), guidées par l’intérêt propre de chacun, fait émerger le bien commun et la richesse. Pour A. Smith les hommes sont guidés par la recherche de leur intérêt personnel, mais dans le cadre de la concurrence, le mécanisme des prix conduit chacun à concourir à la satisfaction de l’intérêt général. Le marché est donc autorégulateur. §2 - Réception Jean-Marc Daniel (Petite histoire iconoclaste des idées économiques, 2016, p. 44) écrit : “Smith défend avec conviction la liberté individuelle non seulement sur un plan moral, mais encore comme facteur d'efficacité économique. Alors que la philosophie ancienne construite sur la scolastique chrétienne fait de l’homme un parmi d’autres dans une société soumise à la volonté divine, alors que la philosophie moderne incarnée par Rousseau fait de l’homme un parmi d’autres dans une société qui se donne comme objectif l’expression de la volonté générale, Smith arme que chacun, en exprimant sa volonté individuelle, concourt à Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 l'harmonie sociale.” “Le problème Adam Smith” Critique, remontant notamment à l’École Historique Allemande, selon laquelle il y aurait une tension entre la Théorie des sentiments moraux et La Richesse des nations, puisque les deux postulaient deux principes contradictoires sur lesquels reposaient les actions des hommes et la cohérence de la société humaine à savoir, la sympathie, dans le premier cas, et l’égoïsme, dans le second. Cette critique, sous cette forme grossière, est aujourd'hui largement considérée dépassée. Depuis le bicentenaire de la Richesse des nations (en 1976), un intérêt nouveau pour Adam Smith. Dans ces recherches, domine la position que “le problème Adam Smith” est plutôt un problème illusoire basé sur “l’ignorance et des malentendus”, comme disent, par exemple, les éditeurs de la Glasgow Édition des travaux et de la correspondance d’Adam Smith (1976). Smith, nulle part, identifie “sympathie” avec “bienveillance”. Voir aussi James Otteson, Adam Smith’s Marketplace of Life (2002), qui défend la position que les deux, la Théorie des sentiments moraux et La Richesse des nations, sont profondément newtoniennes : un modèle de marché pour expliquer la création et le développement d’un ordre social, y inclut la morale, l’économie et aussi le langage. Chapitre 2 - La théorie économique avant Smith Dans le chapitre précédent, nous avons rencontré Smith comme précurseur de l'individualisme méthodologique et défenseur du principe de la division du travail et du libre marché, s’appuyant sur une théorie de la valeur travail (théorie de la valeur travailcommandé). Quelle était la pensée économique avant Smith ? Smith fut un grand admirateur de Quesnay, l’un des principaux protagonistes de la physiocratie qui, quant à elle, s’est constituée en opposition à la doctrine mercantiliste. §1 - Le mercantilisme I - Présentation du mercantilisme A - Signification et origine Terme forgé par Mirabeau, le père du tribun révolutionnaire et l’autre initiateur de la physiocratie en France, et ensuite popularisé par Adam Smith. Désigne des idées économiques depuis le XVIe jusqu’au milieu du XVIIIe qui prônent le développement économique par l’enrichissement des nations au moyen d’un commerce Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 extérieur convenablement organisé en vue de dégager un excédent de la balance commerciale, au travers de politiques de nature défensive (protectionnisme) mais aussi offensive, en favorisant l’exportation et l’industrialisation commerciale. B - Contexte et évolution Phase de transition séparant l’économie médiévale de la révolution industrielle. La fin du MA est marquée par un effondrement démographique (l’épidémie de la peste noire en 1359, la guerre de Cent Ans de 1337 à 1453). La population ne commence à progresser que dans la seconde moitié du XVIe. L’époque des grandes découvertes, favorisées par le progrès de l’art de la navigation, colonisation de l’Amérique, “commerce triangulaire” fondé sur la traite des esclaves. Progrès agricoles et industriels : remplacement des jachères par un cycle continu de rotation des cultures. Invention de l’imprimerie (1450) se répand plus largement, perfectionnement de l’exploitation minière, développement de l’industrie lainière. En Angleterre, l’accroissement de l’élevage des moutons provoque une première vague d’enclosures (clôtures des terrains communaux par les grands propriétaires). Les paysans ainsi chassés de leurs terres, constituent un réservoir de main d'œuvre dans lequel pourront puiser les manufactures. Le développement du commerce et des techniques financières conduit à une monétarisation de l’économie : montée de la classe des marchands (manufacturiers, armateurs, banquiers). Le régime féodal fait progressivement place à l’État centralisateur, sous forme de monarchie absolue (François Ier en France). En conflit avec la noblesse, le monarque rencontre l’appui de la classe montante des marchands qui participe au financement de la politique royale (devenue coûteuse : l’entretien d’une armée permanente) et qui quant à elle investit progressivement les structures de l’État. Bouleversements culturels et religieux ; Renaissance et Réforme. En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts abolit les juridictions ecclésiastiques et remplace l’usage du latin par celui du français dans les jugements des tribunaux (le plus ancien texte législatif encore en vigueur en France, ses articles 110 et 111 concernant la langue française n’ayant jamais été abrogés). Toutefois, l’insuffisance des surplus dégagés par l’agriculture reste un problème. Les idées mercantilistes ne représentent pas un courant de pensée uniforme. Les doctrines qualifiées de “mercantilistes” tournent autour de l’idée qu’il existe une profonde convergence d’intérêts entre le souverain et les marchands du royaume, que le pouvoir politique du premier passe par l’enrichissement des seconds et que par conséquent le premier fait bien de mettre son pouvoir politique au service de l’activité des seconds. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 II - De différents courants parmi les auteurs classés comme “mercantilistes” On classe souvent sous le terme “bullionisme” des politiques qui préconisent l’accumulation de métaux précieux (doctrine présente notamment en début de cette période en Espagne. A - En France - Antoine de Montchrestien (1575-1621) : poète, auteur dramatique, traducteur, entrepreneur, économiste français. Réfugié en Angleterre après un duel, il revient en France en 1611, crée une manufacture d’outils et d’ustensiles, s’engage dans le commerce maritime et de colonisation et est fait baron. En 1621, à La Rochelle, il participe à une insurrection de huguenots contre le roi. Il est tué dans un hôtel lorsqu’il essaie de rejoindre la Normandie pour tenter de soulever les huguenots de Normandie. Antoine de Montchrestien est le premier à employer le terme d’économie politique. - 1615, Traité d’économie politique (dédié “Au roi et à la renne, sa mère”), fait l’éloge des marchands. - Le “colbertisme”, d’après Jean-Baptiste Colbert, ministre sous Louis XIV, contrôleur général des finances (1665-1683), fait de l’État un promoteur actif dans la sphère du commerce, mais aussi de l’industrie. Principales mesures préconisées par les auteurs “mercantilistes” : - Restrictions aux importations et incitations aux exportations de produits manufacturés ; Restrictions, voire prohibition, de l’exportation des produits agricoles et d’autres produits bruts ; Incitation au développement des industries à forte valeur ajoutée ; en France, sous Colbert : réglementation stricte destinée à renforcer la qualité des produits ; B - Le “commercialisme” En Hollande et en Angleterre : le commercialisme voit dans le commerce extérieur la source de la richesse d’un pays. Parmi les représentants les plus importants : - Thomas Mun (1571-1641) John Locke (1632-1704) John Law (1671-1729) 1 - John Law, financier Il est ministre des finances en France sous la régence de Philippe d’Orléans (1716 à 1720) et met en place l’adoption du billet de banque et un système boursier : système de Law. 2 - Thomas Mun, dirigeant de la Compagnie anglaise des Indes orientales Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 England’s Treasure by Foreign Trade (L’enrichissement de l’Angleterre par le commerce extérieur), rédigé autour de 1630, publié en 1664. The ordinary means therefore to encrease our wealth and treasure is by Forraign Trade, wherein wee must ever observe this rule : to sell more to strangers yearly than we consume of theirs in value... that part of our stock which is not returned to us in wares must necessarily be brought home in treasure. (Chapitre II) La période de Mun à la tête de la Compagnie anglaise des Indes orientales coïncida avec une pénurie d’argent en Angleterre. Toutefois, Mun défend la pratique commerciale de la Compagnie d’exporter de grandes quantités d’argent. 3 - John Locke, médecin et philosophe anglais Après 5 ans d’exil en Hollande, il rentre en Angleterre à la suite de la révolution de 1688 qui établit la monarchie parlementaire. Il devient commissaire royal au commerce et aux colonies. Sa théorie de droit naturel, exposée dans son Traité du gouvernement civil (1690), l’oppose à l’absolutisme (défendu dans le Léviathan de Hobbes, 1651), qui se met alors en place en France et échoue à s’imposer en Angleterre. Il est l’un des fondateurs de la notion d’État de droit. 1689, Essai sur l’entendement humain (An Essay Concerning Human Understanding), théorie des idées et une philosophie de l’esprit. Considère que l’expérience est à l’origine de la connaissance et rejette la notion d’idées innées (Descartes), théorie de la connaissance qualifiée d’empiriste. Locke est l’un des principaux investisseurs de la Royal African Company, pilier du développement de la traite d’esclaves. 1691, Considérations sur les conséquences de l’abaissement de l’intérêt et de l’élévation de la valeur de l’argent (Some Considerations of the Consequences of the Lowering of Interest and the raising the Value of Money) : Un royaume devient riche ou pauvre comme un fermier le devient, et pas autrement. Supposons que toute l’île de Portland soit une ferme ; et que le propriétaire, en plus de ce qui est utile à sa maison, porte au marché, à Weymouth et Dorchester, etc., pour une valeur annuelle de milles livres : bétail, blé, beurre, fromage, laine ou drap, plomb et étain, toutes marchandises produites et travaillées dans sa ferme de Portland ; et qu’en contrepartie il rapporte chez lui : sel, vin, huile, épices, toile et soieries, pour une valeur de neuf cents livres, et les cents livres restant en monnaie. Il est évident qu’il s’enrichit chaque année de cents livres et ainsi, au bout de dix ans, il est clair qu’il aura obtenu mille livres. [...] L’argent n’entre en Angleterre par aucun autre moyen que d’y dépenser moins en marchandises étrangères que ce que nous portons au marché peut payer. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Souvenons-nous ce que Smith, 80 ans plus tard, allait écrire : Un homme est riche ou pauvre, suivant les moyens qu’il a de se procurer les choses nécessaires, commodes ou agréables de la vie… (Richesse des nations, livre I, chapitre V) C - Théorie quantitative de la monnaie : les premiers pas de la “macroéconomie” Pendant le XVIe siècle : mouvement ascendant des prix. M. de Malestroit (1566) l’attribue aux mutations monétaires (diminution du poids d’or des pièces) dont les souverains étaient coutumiers pour régler leurs dettes. Jean Bodin (1530-1596), juriste, avocat, magistrat français, dans sa Réponse aux paradoxes de M. De Malestroit (1568), avance l’idée que l’explication de ce que nous appelons aujourd’hui “inflation” réside dans l’accroissement de la masse monétaire, ellemême provoquée par l’afflux d’or et d’argent d’Amérique. III - Entre les mercantilistes et les classiques : les premiers théoriciens d’un système économique A - William Petty (1623-1687) Économiste, scientifique, médecin, philosophe, partisan de Cromwell, homme d’affaires, membre de la société royale 1671, Arithmétique politique (Political Arithmetic) Influencé par la pensée de Hobbes et Bacon (que les mathématiques et les sciences physiques devaient être les bases de toutes sciences rationnelles), Petty cherche à établir une pratique scientifique qui use seulement des phénomènes mesurables et recherche une précision quantitative. Propose l’utilisation des statistiques en matière de gestion publique (précurseur de l’économétrie). Il est précurseur de l’économie classique par son analyse de la valeur. Théorie de la valeur basée sur les intrants : les biens peuvent être évalués à partir des deux valeurs naturelles, la terre et le travail ; cherche à déterminer la relation entre la terre et le travail et à en exprimer la valeur. Applique sa théorie de la valeur à la rente : le loyer naturel de la terre doit correspondre à l’excès de ce qu’un laboureur produit en un an, au-delà de ce qu’il consomme lui-même et vend pour acheter des biens de première nécessité : notion de profit comme surplus des différents coûts liés aux facteurs de production. Petty s’implique dans le débat sur l’usure et les taux d’intérêt : il affirme que le taux d’intérêt Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 doit être égal au loyer de la terre que le prêteur pourrait acheter. Quant la sécurité est plus ordinaire, la rémunération doit être plus importante afin de récompenser le risque. Petty est proche des mercantilistes par son analyse de la monnaie et du taux d’intérêt. L’abondance monétaire permet de maintenir à un bas niveau le taux d’intérêt (le loyer de l’argent), ce qui permet de financer à coût réduit les investissements industriels et commerciaux. Les classiques rejettent cette idée. Elle sera cependant reprise par John Maynard Keynes dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936). B - Pierre Le Pesant de Boisguilbert (1646-1714) Appartient à la noblesse de robe : études de droit ; magistrat ; lieutenant général du bailliage de Rouen. 1707, exilé en Auvergne. Moment où l’Espagne s’effondre ; conjoncture européenne déprimée (diminution des arrivées de métaux précieux ; baisse de prix). La France colbertiste se trouve dans l’impasse : “années de misère”, crise des finances royales, profonde crise de l’agriculture. La grande famine de 1693-1694 fait 1,3 million de morts (un vingtième de la population). Dans Détail de la France (1697), Boisguilbert cherche à mesurer l’ampleur de la récession, ce qui l’amène à préciser la notion de richesse : - Richesses nécessaires : produits de l’agriculture, “fruits de la terre” - Richesses commodes et superflues : “biens d’industrie”, produits manufacturés et les services Boisguilbert attribue la misère à la décadence de l’agriculture. Des obstacles aux échanges et des taxes de plus en plus lourdes ne permettent pas aux produits agricoles de se vendre, les prix baissent et les agriculteurs sont ruinés. Mais la baisse des revenus des agriculteurs se répercute sur leurs achats de biens de l’industrie, ce qui, à son tour, diminue les revenus des producteurs de ces biens et donc leurs achats de produits agricoles. Troisième classe : le beau monde (le souverain, les propriétaires fonciers, clergé percevant la dîme) perçoit, sous forme d’impôts et de fermage, des revenus de fonds. Stimule le circuit économique. La baisse des revenus de fonds, qui résulte de la décadence de l’agriculture et de l’industrie, aggrave donc la crise. Boisguilbert comme précurseur de la théorie du multiplicateur de Keynes (1936). Pour sortir de la crise, Boisguilbert propose : - Une réforme fiscale : réformer la taille en élargissant l’assiette fiscale, tout en Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 - uniformisant son taux ; Liberté du commerce (associé à l’idée de nature : “On n’a qu’à laisser agir la nature, en ce qui concerne les blés, comme on fait à l’égard des fontaines”). Dissertation. De la nature des richesses, de l’argent et des tributs où l’on découvre la fausse idée qui règne dans le monde à l’égard de ces trois articles, (1707) : Tout le monde veut être riche, et la plupart ne travaillent nuit et jour que pour le devenir ; mais on se méprend pour l’ordinaire dans la route que l’on prend pour y réussir. L’erreur, dans la véritable acquisition de richesses qui puissent être permanentes, vient, premièrement, de ce que l’on s’abuse dans l’idée que l’on se fait de l’opulence, ainsi qu’à l’égard de celle de l’argent. On croit que c’est une matière où l’on ne peut point pécher par l’excès, ni jamais, en quelque condition que l’on se trouve, en trop posséder ou acquérir (...) Mais pour montrer que l’on s’abuse grossièrement, qui mettrait ceux qui y sont dévoués singulièrement en possession de toute la terre avec toutes ses richesses, sans en rien excepter ni diminuer, ne seraient-ils pas les derniers des misérables qui eussent jamais été ? Et en préféraient-ils par la condition d’un mendiant dans un monde habité ? Car premièrement, outre qu’il leur faudrait être eux-mêmes les fabricateurs de tous leurs besoins, bien loin de servir par là leur sensualité, ce serait un chef d’oeuvre si, par un travail continuel, ils pouvaient atteindre jusqu’à se procurer le nécessaire ; et puis, dans la moindre indisposition, il faudrait périr manque de secours, ou plutôt de désespoir. Ce n’est donc ni l’étendue du pays que l’on possède, ni la quantité d’or et d’argent, que la corruption du cœur a érigés en idoles, qui font absolument un homme riche et opulent. (Chapitre I) L’auteur de la Dîme royale (parue anonymement en 1707, souvent attribué à Vauban ; oeuvre interdite) : propose un programme de réforme fiscale pour tenter de résoudre les injustices sociales : remplacer les impôts existants par un impôt unique de dix pour cent sur tous les revenus, sans exemption pour les ordres privilégiés (le roi inclus). Plus exactement, l’auteur de la Dîme royale propose une segmentation en classes fiscales en fonction des revenus, soumises à un impôt progressif de 5% à 10%. C - Richard Cantillon (1680-1734) Financier et économiste irlandais qui a fait fortune en France grâce au système de John Law. Né dans une famille de petite noblesse catholique qui s’est battue en faveur des Stuart et fût donc dépossédée de ses terres par Cromwell. Essai sur la nature du commerce en général, publié en français, “traduit de l’anglois”, anonymement à Londres en 1755. C'est Mirabeau qui attribue ce livre à Cantillon. L’un des textes les plus significatifs qui marquent la transition du mercantilisme vers Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 l’économie classique. Trois parties (production, monnaie, commerce extérieur). Première tentative de décrire le fonctionnement d’une société gouvernée par le mécanisme du marché comme un système basé sur un mécanisme d’auto-ajustements. Premier paragraphe : La terre est la source ou la matière d’où l’on tire la richesse ; le travail de l’homme est la forme qui la produit. La richesse en elle-même n’est autre chose que la nourriture, les commodités et les agréments de la vie. Vision moderne de l’entrepreneur. Distingue entre des “gens à gages certains” (salariés) et des “gens à gages incertains” (entrepreneurs), qui reçoivent une rémunération spécifique, le profit. Théorie de la valeur : “la valeur intrinsèque d’une chose est la mesure de la quantité de terre et du travail qui entre dans sa production” (déjà développé par Petty). Cantillon cherche à exprimer la valeur de toute chose en unité de terre, partant du constat qu’il faut une surface donnée pour nourrir un travailleur. (Petty s’est livré à l’exercice inverse) Distingue entre valeur intrinsèque et prix de marché d’une marchandise. Mais les prix ne s’éloignent pas beaucoup de la valeur intrinsèque. Première partie, chapitre X : Le prix d’une cruche d’eau de la rivière de Seine n’est rien, parce que c’est une matière immense qui ne tarit point, mais on en donne un sol dans les rues de Paris, ce qui est le prix ou la mesure du travail du Porteur d’eau (...) Par ces inductions & exemples, je crois qu’on comprendra que le prix ou la valeur intrinsèque d’une chose, est la mesure de la quantité de terre & du travail qui entre dans sa production, eu égard à la bonté ou produit de la terre, & à la qualité du travail. Mais il arrive souvent que plusieurs choses qui ont actuellement cette valeur intrinsèque, ne se vendent pas au Marché, suivant cette valeur : cela dépendra des humeurs & des fantaisies des hommes, & de la consommation qu’ils feront. Deuxième partie, chapitre II : Le Boucher soutient son prix sur le nombre d’acheteurs qu’il voit ; les Acheteurs, de leur côté, offrent moins selon qu’ils croient que le Boucher aura moins de débit : le prix réglé par quelques-uns est ordinairement suivi par les autres. Les uns sont plus habiles à faire valoir leur marchandise, les autres plus adroits à la discréditer. Quoique cette méthode de fixer les prix des choses au Marché n’ait aucun fondement juste ou géométrique, puisqu’elle dépend souvent de l’empressement ou de la facilité d’un petit nombre d’Acheteurs, ou de Vendeurs ; cependant il n’y a pas d’apparence qu’on puisse y parvenir par aucune autre voie plus Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 convenable. Il est constant que la quantité des denrées ou des marchandises mises en vente, proportionnée à la demande ou à la quantité des Acheteurs, est la base sur laquelle on fixe, ou sur laquelle on croit toujours fixer, les prix actuels des Marchés ; & qu’en général, ces prix ne s’écartent pas beaucoup de la valeur intrinsèque. Nous y trouvons des idées qui vont plus tard ressurgir chez Smith (même stylistiquement : le boucher, le prix de l’eau). L’effet Cantillon : En ce qui concerne sa théorie de la monnaie, Cantillon a non seulement anticipé, mais en quelque sorte va au-delà de ce que diraient les économistes classiques. Cantillon prend comme point de départ l’hypothèse selon laquelle une augmentation de la quantité de monnaie entraîne une augmentation des prix. Comme les prix traduisent la valeur terre des marchandises, mais celle-ci ne change pas, on pourrait alors penser que les prix relatifs (le taux d’échange entre les marchandises) restent les mêmes. Or, dit Cantillon, les prix n’augmentent pas uniformément : les monopoles peuvent augmenter leurs prix, mais les entreprises en concurrence en sont empêchées. Il constate aussi que les banques peuvent, au travers de leurs prêts, créer sans limites de la monnaie fiduciaire. Il préconise alors la création d’une banque générale chargée de gérer la dette publique et d’encadrer l’endettement privé. Par rapport au commerce extérieur (troisième partie du livre), Cantillon reprend l’analyse développée par Bodin, à savoir que l’excédent du commerce extérieur (ce qui implique une augmentation de la masse monétaire) fait monter les prix à l’intérieur du pays, ce qui favorise la concurrence étrangère et a donc tendance à dégrader le solde de la balance commerciale : théorie du rééquilibrage automatique du commerce extérieur (reprise plus tard aussi par David Hume et les économistes classiques). Or, là aussi, Cantillon constate que les prix n'augmentent pas nécessairement au même rythme et qu’il se peut que les prix des biens exportés restent relativement stables. Plus tard, William Stanley Jevons (1881) dira que l'Essai de Cantillon était “plus que tous les autres livres que je connais, le premier traité d’économie” §2 - La physiocratie I - Présentation A - Origine et Signification École de pensée économique, politique et juridique, en France, à la fin des années 1750 qui prend comme point de départ l’hypothèse que l’agriculture est la seule activité économique réellement productive et qu’il existe des lois naturelles basées sur la liberté et la propriété privée qu’il suffit de respecter pour maintenir un ordre parfait. Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Fondateurs : François Quesnay et le marquis Victor Riqueti de Mirabeau (le père du tribun révolutionnaire) qui se rencontrent à Versailles en 1757. Quesnay, médecin de Louis XV, à ses entrées à la Cour, fréquente Diderot et d’Alembert. Les autres principaux physiocrates : Pierre Samuel Dupont de Nemours, Guillaume-François Le Trosne, Pierre-Paul Lemercier de La Rivière de Saint-Médard, Nicolas Baudeau, PierreJoseph-André Roubaud, Charles de Butré. B - Principe Physio-cratie : (“gouvernement de la nature), terme forgé par Dupont de Nemours. En leur temps, on les appelait les “économistes” tout court. Les physiocrates se rattachent au mouvement philosophique des Lumières et à l’Encyclopédie. Quesnay écrit en 1756 l’article Fermiers et en 1757 l’article Grains. C’est une école de pensée fortement structurée, avec ses dogmes et ses textes sacrés. Ils sont organisés : ils se réunissent le mardi soir, et ils éditent un journal, Les Éphémérides du citoyen ou chronique de l’esprit national, entre 1765 et 1772, qui sort deux fois par semaine. Mirabeau, L’Ami des hommes ou Traité sur la population (1756) est un commentaire sur l’Essai sur la nature du commerce en général de Richard Cantillon. C’est en fait Mirabeau qui attribue ce traité, paru anonymement en 1755, à Cantillon. C - À propos du droit naturel Selon les physiocrates, il existe un ordre naturel gouverné par des lois qui lui sont propres, et qui repose sur le droit naturel. Chaque homme a droit à ce qu’il acquiert librement par le travail et l’échange. Le rôle des économistes est de révéler ces lois de la nature. La liberté, la propriété et la sûreté sont des droits naturels que le souverain doit respecter et protéger en les consacrant dans le droit positif. Le rôle du pouvoir est de garantir l’application du droit naturel. Inspirent les rédacteurs de la DDHC de 1789. Les physiocrates veulent que le souverain se soumette au droit naturel et le fasse respecter. -> Despotisme légal, un monarque qui est entièrement soumis aux lois naturelles supérieures (Lemercier de La Rivière dans L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques). Les physiocrates veulent dépasser le colbertisme sans révolutionner la société. On trouve chez les physiocrates toutefois, une idée novatrice : l’idée selon laquelle les progrès de Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 l’agriculture permettraient à l’homme d’avoir accès à l’intégralité du bonheur en tant que créature limitée, et qu’il n’y aurait donc nul besoin de transcendance. Les physiocrates sont à l’origine des réformes économiques de Turgot et de la législation économique de la Constituante : le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 établir le principe de liberté du commerce et la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791 abolit les puissantes corporations de l’Ancien Régime. II - Les auteurs A - Quesnay Tableau économique (1758, seconde version publiée en 1766 dans le Journal de l’agriculture, de l’industrie et des finances), décrit la circulation des richesses dans l’économie (“Zigzag”). Reprend de Locke l’idée du droit naturel qui se combine chez Quesnay avec celle d’ordre naturel. Reprend de Boisguilbert l’analyse de l’économie en termes de circuit, notamment son analyse de la misère de l’agriculture et les recommandations qui s’en suivent : baisse des impôts, libre échange, un programme anti-colbertiste. Alors que chez Boisguilbert il y avait une classe produisant des richesses nécessaires et une classe produisant des richesses commodes et superflues, chez Quesnay il y a : - Une classe productive (les agriculteurs) - Une classe stérile (artisans, manufacturiers, marchands) En dehors de ces deux classes respectives, il y a, chez les deux penseurs, une troisième classe, celle qui comprend les propriétaires des terres, le souverain et les décimateurs, comme dit Quesnay. Souvenons-nous de la phrase d’ouverture de la Richesse des nations d’Adam Smith : Le Travail annuel d’une nation est le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie, et ces choses sont toujours ou le produit immédiat de ce travail, ou achetées des autres nations avec ce produit. Ainsi, selon que ce produit, ou ce qui est acheté avec ce produit, se trouvera être dans une proportion plus ou moins grande avec le nombre des consommateurs, la nation sera plus ou moins bien pourvue de toutes les choses nécessaires ou commodes dont elle éprouvera le besoin. On voit clairement ici que Smith renoue avec Cantillon. Quesnay s’intéresse en particulier au “bon prix” du grain. Il constate que des prix insuffisants empêchent les cultivateurs de dégager les ressources nécessaires au financement de l’amélioration des cultures (le cheval). Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Remarquons que sur le plan scientifique (chimique), la thèse de la productivité exclusive de l’agriculture a perdu son fondement, dès les années 1770, avec les travaux de Lavoisier dont la loi de la conversation de la masse montre que rien ne perd, rien se crée, tout se transforme. Dans la controverse sur le commerce des grains (milieu du XVIIIe), les physiocrates prennent parti contre les restrictions gouvernementales au commerce des blés ; affirment que la meilleure façon de maximiser la richesse de tous est de laisser chacun agir à sa guise selon ses moyens et mettent ainsi au premier plan la liberté du commerce comme principe de politique économique. On attribue également à Vincent de Gournay (1712-1759), négociant international et réformateur de l’économie française, la fameuse phrase “Laissez faire les hommes, laissezpasser les marchandises”. B - Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) Contrôleur général des finances du roi Louis XVI, proche et souvent assimilé à l’école physiocratique. Or, selon lui, les manufactures et le commerce sont aussi générateurs de richesses. Mène un programme ambitieux de réformes (libéralisation du commerce des grains, ouverture des marchés, suppression des corporations professionnelles, réduction des dépenses de l’État, création de la Caisse d’escompte). Son enjeu est d’éviter une banqueroute. 1755 : mauvaise récolte combinée à la spéculation, pénurie de blé qui débouche sur des émeutes, la “guerre des Farines”. En tant que théoricien, il anticipe certains concepts et méthodes d’analyse de la microéconomie moderne. Contribution la plus célèbre : La loi des rendements décroissants. §3 - Avant…. bien avant L’usage de la monnaie commence à se répandre dès le VIIe siècle avant notre ère. De la Grèce Antique au MÂ européen : réflexion économique inspirée par des interrogations que suscite le développement d’une économie marchande. L’effondrement de l’Empire romain au Ve siècle marque en Europe le début d’une période de régression économique. Il faut attendre jusqu’au XIIe siècle pour voir un nouvel essor significatif du marché. Nous limitons notre discussion de l’évolution des idées économiques, pendant cette période, à deux étapes importantes : Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 - Aristote St Thomas d’Aquin Cité d’Athènes, VIe avant notre ère : après les réformes de Solon : démocratie ; économie marchande assez développée. Guerre du Péloponnèse (431-404 avant notre ère), victoire de Sparte. Crise politique, reconcentration des terres : équilibre social compromis. Position des sophistes (souvent des étrangers enrichis) : libération de l’économie, promotion du travail salarié. Socrate (470-399) et Platon (427-347) combattent cette position. Platon, dans La République, imagine une cité idéale (règne de la justice, une méritocratie avec trois classes, une sorte de socialisme pour une élite, mais toutefois basée sur l’esclavage. I - Aristote (384-322 avant notre ère) A - Principes Approche non normative. Cherche à comprendre la nature et la société en démontrant les mécanismes qui les règlent. Rejet de l’immortalité de l’âme. L’homme, selon Aristote, doit chercher le bonheur sur terre, et il est capable de l’édifier par la raison. Pour Aristote, l’homme est un zoon politikon, un animal politique. Aristote accepte l’économie marchande, mais veut contrôler son développement, corriger ses excès. Il défend la propriété privée (pour des raisons d’efficacité) et la monnaie, devenue nécessaire dès que la division du travail atteint un certain degré. Chrématistique : notion fondée par Aristote, désigne la gestion ou la négociation des affaires d’argent (de ta chremata - les richesses ou derniers). Aristote en distingue deux formes : - Naturelle : dans le but de se procurer des biens pour la consommation domestique Commerciale : orientée vers l'accumulation illimitée; condamnée par Aristote Faire respecter la justice : - Distributive (répartition des richesses) Commutative (échanges et contrats) B - Éthiques à Nicomaque, livre V, “Théorie de la justice” Mais dans les relations d’échanges, le juste sous sa forme de réciprocité est ce qui assure la cohésion des hommes entre eux, réciprocité toutefois basée sur une proportion et non sur une stricte égalité. C’est cette réciprocité-la qui fait subsister la cité : car les hommes cherchent soit à répondre au mal par le mal, faute de quoi ils se considèrent en état d’esclavage, soit à répondre au bien par le bien, sans quoi aucun échange n’a lieu, alors que c’est pourtant l’échange qui fait la cohésion des citoyens. [...] Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Or la réciprocité, j’entends celle qui est proportionnelle, est réalisée par l’assemblage en diagonale. Soit par exemple A un architecte, B un cordonnier, C une maison et D une chaussure : il faut faire en sorte que l’architecte reçoive du cordonnier le produit du travail de ce dernier, et lui donne en contrepartie son propre travail. Si donc tout d’abord on a établi l’égalité proportionnelle des produits et qu’ensuite seulement l’échange réciproque ait lieu, la solution sera obtenue ; et faute d’agir ainsi, le marché n’est pas égal et ne tient pas, puisque rien n’empêche que le travail de l’un n’ait une valeur supérieure à celui de l’autre, et c’est là ce qui rend une péréquation préalable indispensable. [...] En effet, ce n’est pas entre deux médecins que naît une communauté d’intérêts, mais entre un médecin par exemple et un cultivateur, et d’une manière générale entre des contractants différents et inégaux qu’il faut pourtant égaliser. C’est pourquoi toutes les choses faisant objet de transaction doivent être d’une façon quelconque commensurables entre elles. C’est à cette fin que la monnaie a été introduite, devenant une sorte de moyen terme, car elle mesure toutes choses et par suite l'excès et le défaut, par exemple combien de chaussures équivalent à une maison ou à telle quantité de nourriture. Il doit donc y avoir entre un architecte et un cordonnier le même rapport qu’entre un nombre déterminé de chaussures et une maison (ou telle quantité de nourriture), faute de quoi il n’y aura ni échange ni communauté d’intérêts ; et ce rapport ne pourra être établi que si entre les biens à échanger il existe une certaine égalité. Il est donc indispensable que tous les biens soient mesurés au moyen d’un unique étalon [...] Et cet étalon n’est autre, en réalité, que le besoin, qui est le lien universel (car si les hommes n’avaient besoin de rien, ou si leurs besoins n’ étaient pas pareils, il n’y aurait plus d’échange du tout, ou les échanges seraient différents) ; mais la monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin et cela par convention, et c’est d’ailleurs pour cette raison que la monnaie reçoit le nom de nomisma, parce qu’elle existe non pas par nature, mais en vertu de la loi (nomos), et qu’il est en notre pouvoir de la changer et de la rendre inutilisable Mais pour les échanges éventuels, dans l'hypothèse où nous n’avons besoin de rien pour le moment, la monnaie est pour nous une sorte de gage, donnant l’assurance que l’échange sera possible si jamais le besoin s’en fait sentir, car on doit pouvoir, en remettant l’argent, obtenir ce dont on manque. La monnaie, il est vrai, est soumise aux mêmes fluctuations que les autres marchandises (car elle n’a pas toujours un égal pouvoir d’achat) ; elle tend toutefois à une plus grande stabilité. De là vient que toutes les marchandises doivent être préalablement estimées en argent, car de cette façon il y aura toujours possibilité d’échange, et par suite communauté d’intérêts entre les hommes. La monnaie, dès lors, jouant le rôle de mesure, rend les choses commensurables entre elles et les amène ainsi à l’égalité : car il ne saurait y avoir ni communauté d’intérêts sans échange, ni échange sans égalité, ni enfin égalité sans commensurabilité. Et là aussi, on trouve des idées qui vont plus tard ressurgir chez Smith, l’idée que ce qui s’échange sur le marché sont des équivalents de travail, la proportionnalité de différentes portions de travail, l’original de la monnaie. II - Thomas d’Aquin (1224-1274) Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Somme théologique, partie II, question 77 Est-il permis de vendre une chose plus cher qu’elle ne vaut ? Objections : 1. Il semble que ce soit permis. Car c’est aux lois civiles de déterminer ce qui est juste dans les échanges de la vie humaine. [...] suivant Aristote, dans l'amitié fondée sur l'utilité, celui qui a reçu un bienfait doit donner une compensation proportionnée. Mais le bienfait dépasse parfois la valeur de la chose donnée; c’est ce qui arrive lorsqu’on a grandement besoin d’une chose, soit pour éviter un risque, soit pour obtenir un avantage. Il est donc permis dans un contrat d’achat ou de vente de livrer une chose pour un prix supérieur à sa valeur réelle. [...] L’achat et la vente semblent avoir été institués pour l’intérêt commun des deux parties, chacune d’elles ayant besoin de ce que l’autre possède, comme le montre Aristote. Or, ce qui est institué pour l’intérêt commun ne doit pas être plus onéreux à l’un qu'à l’autre. Il faut donc établir le contrat de manière à observer l’égalité entre eux. Par ailleurs la quantité ou valeur d’un bien qui sert à l'homme se mesure d’après le prix qu’on en donne ; c’est à cet effet, dit Aristote, qu’on a inventé la monnaie. Par conséquent, si le prix dépasse en valeur la quantité de marchandise fournie, ou si inversement la marchandise vaut plus que son prix, l’égalité de la justice est détruite. Et voilà pourquoi vendre une marchandise plus cher ou l’acheter moins cher qu’elle ne vaut est de soi injuste et illicite. En second lieu, l’achat et la vente peuvent en certaines circonstances tourner à l'avantage d’une partie et au détriment de l’autre ; par exemple lorsque quelqu’un a grandement besoin d’une chose et que le vendeur soit lésé s’il ne l’a plus. Dans ce cas le juste prix devra être établi non seulement d'après la valeur de la chose vendue, mais d'après le préjudice que le vendeur subit du fait de la vente. On pourra alors vendre une chose au-dessus de sa valeur en soi, bien qu’elle ne soit pas vendue plus qu’elle ne vaut pour celui qui la possède. Mais si l’acheteur tire un grand avantage de ce qu’il reçoit du vendeur, et que ce dernier ne subisse aucun préjudice en s’en défaisant, il ne doit pas le vendre au-dessus de sa valeur. Parce que l’avantage dont bénéficie l’acheteur n’est pas au détriment du vendeur, mais résulte de la situation de l’acheteur ; or on ne peut jamais vendre à un autre ce qui ne vous appartient pas, bien qu’on puisse lui vendre le dommage que l’on subit. La loi humaine régit une société dont beaucoup de membres n’ont guère de vertu ; or elle n’a pas été faite seulement pour les gens vertueux. La loi ne peut donc réprimer tout ce qui est contraire à la vertu, elle se contente de réprimer ce qui tendrait à détruire la vie en commun ; on peut dire qu’elle tient tout le reste pour permis, non qu’elle l’approuve, mais elle ne le punit pas. C’est ainsi que la loi, n’infligeant pas de peine à ce sujet, permet au vendeur de majorer le prix de sa marchandise et à l'acheteur de l’acheter moins cher, pourvu qu’il n’y ait pas de fraude et qu’on ne dépasse pas certaines limites ; dans ce dernier cas, en effet, la loi oblige à restituer, par exemple si l’un des contractants a été trompé pour plus de la moitié du juste prix. Mais rien de ce qui est contraire à la vertu ne reste impuni au regard de la loi divine. Or la loi divine considère comme un acte illicite le fait de ne pas observer l’égalité de la justice dans l’achat et dans la vente. Celui qui a reçu davantage sera donc tenu d’offrir une compensation à celui qui a été lésé, si toutefois le préjudice est notable. Si j’ajoute cette précision, c’est que le juste prix d’une chose n’est pas toujours déterminé avec exactitude, mais s’établit plutôt à l'estime, de telle sorte qu’une légère augmentation ou une légère Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 diminution de prix ne semble pas pouvoir porter atteinte à l’égalité de la justice. Dans la Somme théologique, de Thomas d'Aquin, l'Economique (Oeconomia) désigne l'administration domestique, l'art d'acquérir les biens nécessaires à la vie de la famille chrétienne. Le but est de "vivre bien" et de contribuer au "bien commun", à la félicité publique. L'acquisition de richesses ne peut être une fin en soi. Thomas d'Aquin indique que cet art sert au chef de famille, mais aussi au chef de la Cité ; il a donc vu les nuances apportées par Aristote (Somme théologique, Question 77, "De la fraude"). L'Économique ne constitue pas une discipline autonome. Elle appartient au champ de l'Éthique et de la Justice. En se référant à Aristote (Politique), Thomas d'Aquin distingue "deux sortes d'échange" : - L'échange "naturel et nécessaire", soit par le troc, soit par l'échange monétaire, destiné à se procurer "les denrées nécessaires à la vie". Thomas d'Aquin souligne le rôle du chef de famille (ou du chef de la Cité) pour ces approvisionnements indispensables ; - L'échange consistant "à échanger argent contre argent, ou des denrées quelconques contre de l'argent", non plus pour satisfaire les besoins, mais "pour le gain". Les marchands entrent ici en scène. Ce second type d'échange est condamnable, car il alimente la "cupidité" sans bornes. On retrouve donc bien le découpage aristotélicien entre la bonne et la mauvaise chrématistique. Cependant, Thomas d'Aquin ne suit pas Aristote dans sa condamnation du commerce proprement dit. Il admet que le profit modéré n'est pas nécessairement contraire à la vertu, si l'intention du commerçant est moralement bonne : pour subvenir à sa famille, pour secourir les indigents, pour l'"utilité sociale", afin que son pays ne manque pas du nécessaire. Dans la Scolastique, le profit peut être assimilé à une sorte de salaire qui récompense la peine, l'effort fourni. Chapitre 3 - Les autres classiques §1 - Vue générale “Mercantilistes”, “classiques”, "néo-classiques"..., des étiquettes collées à certains auteurs qui se sont exprimés à propos des questions économiques, par d’autres auteurs. Économie classique, utilisée aujourd’hui d’un côté pour les auteurs d’une certaine époque, celle d’Adam Smith et des auteurs qui lui ont directement succédé, mais aussi pour les auteurs qui, comme Adam Smith, souscrivent à la théorie de la valeur-travail. Dans ce dernier sens, le terme d’économie politique classique remonte à Karl Marx (dans une note de bas de page dans Le Capital). Pour Marx, l’économie politique classique est représentée par William Petty, qui écrit avant Adam Smith et David Ricardo. Il exclut explicitement John Stuart Mill, un disciple de Ricardo qu’il accuse d’éclectisme. Keynes (Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936) range sous Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 économistes classiques à côté de Smith et Ricardo, tous les économistes qui ont adopté et amélioré la théorie de Ricardo : La dénomination d’économistes classiques a été inventée par Marx pour désigner Ricardo, James Mill et leurs prédécesseurs, c’est-à-dire les auteurs dont l’économie ricardienne a été le point culminant. Au risque d’un solécisme, nous nous sommes accoutumés à ranger dans l’école classique les successeurs de Ricardo, c'est-à-dire les économistes qui ont adopté et amélioré sa théorie, y compris notamment Stuart Mill, Marshall, Edgeworth et le Professeur Pigou. John Stuart Mill, Marshall, Edgeworth et Pigou, sont des auteurs qui, aujourd’hui, sont souvent classés néo-classiques et qui s’écartent de Smith et Ricardo par leur rupture avec la théorie de la valeur travail, qui souscrivent plutôt à une théorie des prix relatifs basés sur l’utilité (marginale) des biens. Pour Keynes, le critère de démarcation n’est pas l’adhésion à la théorie de la valeur travail, mais l’adhésion à ce que l’on appelle la loi des débouchés ou loi de Say d’après Jean Baptiste Say, économiste français, contemporain de Ricardo, qui s’entend comme disciple de Smith mais qui rejette la théorie de la valeur travail. En toile de fond, d’importants changements sociaux et politiques : la révolution industrielle et la Révolution Française. Ici, nous nous concentrons sur deux auteurs qui s’inscrivent dans la tradition de Smith et qui, historiquement, lui succèdent directement : - David Ricardo (1772-1823) en Angleterre Jean-Baptiste Say (1767-1832) en France §2 - David Ricardo Économiste britannique, agent de change à la Bourse de Londres, député à la Chambre des communes où il défend le libre-échange et l’abrogation des Corn Laws (les lois sur le blé). Corn Law Act de 1815 : interdit toute importation de céréales lorsque les cours passent en dessous d’un certain seuil, ne seront abolies qu’en 1846. Ouvrage principal : Des principes de l’économie politique et de l’impôt (On the Principles of Political Economy and Taxation), 1817. I - Reprises de chez Smith A - La théorie de la valeur-travail Ricardo reprend de Smith la théorie de la valeur-travail en la précisant. Il préface chaque section de ses Principes par un paragraphe résumant sa thèse principale : Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 La valeur d’une marchandise, ou la quantité de n’importe quelle autre marchandise contre laquelle elle s’échange, dépend de la quantité relative de travail qui est nécessaire à sa production, et non de la plu ou moins grande compensation qui est payée pour ce travail. (Principes, chapitre 1, première section, premier paragraphe) Chez Ricardo, ce n’est pas la quantité de travail commandé comme chez Smith mais la quantité de travail, disons, incorporée qui constitue la valeur d’une marchandise. Travail incorporé, mais toutefois : le travail direct et le travail indirect (le travail incorporé dans les moyens de production consommés dans la fabrication de la marchandise). Ce n’est donc pas l’utilité qui est la mesure de la valeur échangeable, quoiqu’elle lui soit absolument essentielle. Si un objet n’est d’aucune utilité, ou, en d’autres termes, si nous ne pouvions le faire servir à nos jouissances, ou en tirer quelque avantage, il ne possèderait aucune valeur échangeable, quelle que fit d’ailleurs sa rareté, ou quantité de travail nécessaire pour les acquérir. Les choses, une fois qu’elles sont reconnues utiles par elles-mêmes, tirent leur valeur échangeable de deux sources, de leur rareté, et de la quantité de travail nécessaire pour les acquérir. Il y a des choses dont la valeur ne dépend que de leur rareté. Nul travail ne pouvant en augmenter la quantité, leur valeur ne peut baisser par suite d’une plus grande abondance. Tels sont les tableaux précieux, les statues, les livres et les médailles rares, les vins d’une qualité exquise, qu’on ne peut tirer que de certains terroirs très peu étendus, et dont il n’y a par conséquent qu’une quantité très bornée, enfin, une foule d’autres objets de même nature, dont la valeur est en nature, dont la valeur est entièrement indépendante de la quantité de travail qui a été nécessaire à leur production première. Cette valeur dépend uniquement de la fortune, des goûts et du caprice de ceux qui ont envie de posséder de tels objets. Il ne forment cependant qu’une très petite partie des marchandises qu’on échange journellement. Le plus grand nombre des objets que l’on désire posséder étant le fruit de l’industrie, on peut les multiplier, non-seulement dans un pays mais dans plusieurs, à un degré auquel il est presque impossible d’assigner des bornes, toutes les fois qu’on voudra y consacrer l’industrie nécessaire pour les créer. Quand donc nous parlons des marchandises, de leur valeur échangeable, et des principes qui règlent leurs prix relatifs, nous n’avons en vue que celles de ces marchandises, dont la quantité peut s’accroître par l’industrie de l’homme, dont la production est encouragée par la concurrence, et n’est contrariée par aucune entrave. (Principes, chapitre 1, première section) B - Distinction prix naturel et prix de marché Ricardo reprend de Smith aussi la distinction entre le prix naturel et le prix de marché (prix courant d’une marchandise : Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 - Prix naturel : celui qui correspond à la quantité de travail moyennement nécessaire à sa production. (C’est ce que Smith appelle aussi le prix réel. Le prix réel d’une marchandise s’exprime souvent sous forme d’un rapport d’échange, avec une autre marchandise. Le prix en argent (en monnaie), c’est ce que Smith appelle leur prix nominatif.) - Prix de marché : prix actuel réalisé sur un marché, dans une certaine localité, à un certain moment dans le temps. De même, Ricardo reprend de Smith, l’idée que le prix naturel constitue le centre de gravitation des prix de marché : Supposons que toutes les marchandises soient à leur prix naturel, et par conséquent que le taux des profits du capital reste le même dans toutes les industries [...] Supposons ensuite qu’un changement dans la mode augmente la demande des soieries et diminue celle des étoffes de laine : leur prix naturel restera le même, car la quantité de travail nécessaire à leur production n’aura pas changé ; mais le prix courant des soieries haussera, et celui des étoffes de laine baissera. Par conséquent les profits du fabricant de soieries se trouveront au-dessus, et ceux du fabricant d’ étoffes de laine, au-dessous du taux ordinaire des profits ; et ce changement survenu dans les profits s’étendra au salaire des ouvriers. Cependant la demande extraordinaire des soieries serait bientôt satisfaite, au moyen des capitaux et de l’industrie détournés des manufactures de draps vers celles de soieries ; et alors les prix courants des étoffes de soie et de laine se rapprocheraient de nouveau de leurs prix naturels, et chacune de ces branches de manufactures ne donnerait plus que les profits ordinaires. C’est donc l’envie qu’a tout capitaliste de détourner ses fonds d’un emploi déterminé vers un autre plus lucratif, qui empêche le prix courant des marchandises de rester longtemps beaucoup au-dessus ou beaucoup au-dessous de leur prix naturel. C’est cette concurrence qui établit la valeur échangeable des marchandises, de telle sorte qu'après le paiement des salaires pour le travail nécessaire à leur production, et après les autres dépenses indispensables pour donner au capital engagé toute sa faculté de production, l'excédent de valeur est dans chaque espèce de manufacture en raison de la valeur du capital employé. Dans le premier chapitre de la Richesse des Nations, tout ce qui a un rapport à cette question est traité avec beaucoup de sagacité. Quant à nous, après avoir pleinement reconnu les effets qui, dans certains emplois du capital, peuvent modifier accidentellement le prix des denrées, celui des salaires et les profits des fonds sans avoir aucune influence sur le prix général des denrées, des salaires ou des profits ; après avoir, dis-je, reconnu ces effets qui se font́ également sentir à toutes les époques de la société, nous pouvons les négliger entièrement en traitant des lois qui règlent les prix naturels, les salaires naturels et les profits naturels, toutes choses indépendantes de ces causes accidentelles. En parlant donc de la valeur échangeable des choses, ou du pouvoir qu’elles ont d’en acheter d’autres, j‘entends toujours parler de cette faculté qui constitue leur prix naturel, toutes les fois qu’elle n’est point dérangée par quelque cause momentanée ou accidentelle. (Ricardo, Principes, chapitre 4) Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 C - La théorie de la répartition des richesses Aussi quant à la théorie de la répartition des richesses, Ricardo s’inscrit dans la théorie déjà développée chez Smith, en la précisant : Trois formes (sources) de revenu : - Salaire : salaire naturel dépend du prix de la nourriture, des biens nécessaires et utiles que requiert l’entretien du travailleur et sa famille (Principes chapitre 5), maintenu par la concurrence entre les travailleurs ; - Profit : tout ce qui augmente les salaires diminue nécessairement les profits (Principes, chapitre 5), maintenu à un certain niveau, le profit naturel, par la concurrence entre les détenteurs des capitaux. - Rente : le revenu des propriétaires des terres est pour Ricardo une prime de monopole, ce qui explique sa capacité à varier avec la qualité des terres. Ricardo développe une théorie de la rente différentielle. II - Théorie de la rente foncière différentielle Lorsque des terres de qualité différente sont mises en culture, le prix du blé est déterminé par la terre marginale (la terre qui entraîne le coût de production les plus élevés). Le prix naturel du blé doit être tel qu’il permet de payer aux ouvriers travaillant sur la terre marginale des salaires au taux naturel, et aux fermiers des profits au taux naturel (si ce n’était pas le cas, ces terres cesseraient d’être cultivées). En supposant que la terre marginale ne paie pas de rente, les autres terres paient alors une rente différentielle (proportionnelle à leur incrément de productivité par rapport à la terre marginale). L’hypothèse que la terre marginale ne paie pas de rente peut être considérée comme une condition d’équilibre, condition de premier ordre venant du problème de maximisation des revenus du facteur de production en question. La théorie de la rente différentielle : comporte une première formulation du principe de la fixation des prix au coût marginal (coût de la dernière unité produite). Les marginalistes, Jevons, Walras, Menger (voir le chapitre suivant) vont généraliser ce principe d’analyse. Ricardo attribue l’origine de sa théorie de rente à Malthus et un autre auteur : Les produits de la terre, c’est-à-dire tout ce que l’on retire de sa surface par les efforts combinés du travail, des machines et des capitaux, se partage entre les trois classes suivantes de la communauté, à savoir : les propriétaires fonciers, les possesseurs des fonds ou des capitaux nécessaires pour la culture de la terre, les travailleurs qui la cultivent. Chacune de ces classes aura cependant, selon l’état de la civilisation, une part très Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 différente du produit total de la terre sous le nom de rente, de profits du capital et de salaires (...) Déterminer les lois qui règlent cette distribution, voilà le principal problème en économie politique. Et cependant, quoique Turgot, Stuart, Smith, Say, Sismondi et d’autres auteurs aient répandu beaucoup de lumière sur cette science, leurs écrits ne renferment rien de bien satisfaisant sur la marche naturelle des rentes, des profits et des salaires. En 1815, la véritable doctrine de la rente fut publiée à la fois par M. Malthus dans un écrit intitulé : Recherches sur la nature et le progrès de la rente et par un membre du collège de l’Université d’Oxford dans son Essai sur l’emploi du capital en agriculture. Sans une connaissance profonde de cette doctrine, il est impossible de concevoir les effets de l’accroissement de la richesse sur les profits et les salaires, ou de suivre d’une manière satisfaisante les effets de l’accroissement de la richesse sur les profits et les salaires, ou de suivre d’une manière satisfaisante les effets des impôts sur les différentes classes de la société, (...) Adam Smith, et les autres écrivains distingués dont j’ai fait mention, n’ayant pas envisagé avec justesse le principe de la rente, ont, ce me semble, négligé beaucoup de vérités importantes, dont on ne peut acquérir la connaissance qu’après avoir approfondi la nature de la rente. (Ricardo, Principes, Préface) III - La théorie de l’avantage comparatif Dans les manuels d’économie de nos jours, le nom de Ricardo est notamment associé à la théorie de l’avantage comparatif (comparative advantage en anglais), terme forgé plus tard par John Stuart Mill. La théorie de l’avantage comparatif : même si un pays, par rapport à un autre pays, a un désavantage absolu dans la production de deux biens, il peut quand même profiter d’un échange si chacun se spécialise dans la production du bien pour lequel il a un avantage comparatif (relatif). Cette théorie est aujourd’hui souvent expliquée par un schéma formel. Voir Powerpoint Chapitre 3, page 24 à 39. §3 - À la recherche des lois naturelles Les classiques s’intéressent à l’évolution de l’économie à long terme. Leur sujet d’investigation ne sont pas les fluctuations des prix de marché à court terme. Leur ambition est de construire une véritable science de l'économie, sur le modèle des sciences de la nature alors en plein développement (1687 : Principia de Newton ; dans les années 1770 : découvertes de Lavoisier) En termes d'analyse économique d’aujourd’hui, on pourrait dire qu’ils entament une étude d’équilibre. Programme politique : Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 - Prônent le libre-échange, puisque c’est le système le plus apte à promouvoir la croissance. - Ne nient pas la misère de la classe ouvrière, mais voient dans la croissance économique le moyen d'augmenter le niveau de vie à long terme. Ils proclament une certaine forme de paternalisme économique. §4 - Say et la Loi des Débouchés I - Le principe Jean Baptiste Say (1767-1832) : principal économiste français de la période des classiques, industriel du coton (alors en plein essor), également journaliste réputé pour ses positions libérales. Il enseigna, après la chute de Napoléon, l’économie politique au Conservatoire national des arts et métiers, puis au Collège de France. Traité d’économie politique (1803). Organisé en production, répartition, consommation, tripartition devenue classique ; également connu pour la loi des débouchés ou loi de Say. En outre, il fut l’un des premiers économistes à étudier l’entrepreneuriat et les entrepreneurs, conceptualisés comme organisateurs et moteurs du tissu économique. Loi des débouchés ou Loi de Say : l’offre crée sa propre demande. Il faut comprendre cette loi, nom comme une observation empirique qui soit vérifiée à tout moment, mais comme une tendance à long terme. Il est bon de remarquer qu’un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de 1’ argent que lui procure sa vente, pour que la valeur de 1’ argent ne chôme pas non plus. Or, on ne peut se défaire de son argent qu’en demandant à acheter un produit quelconque. On voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès 1’ instant même, un débouché à d’autres produits. Cela étant ainsi, d'où vient, demandera-t-on, cette quantité de marchandises qui, à certaines époques, encombrent la circulation, sans pouvoir trouver d’acheteurs ? Pourquoi ces marchandises ne s'achètent-elles pas les unes les autres ? Je répondrai que des marchandises qui ne se vendent pas, ou qui se vendent à perte, excèdent la somme des besoins qu’on a de ces marchandises, soit parce qu’on en a produit des quantités trop considérables, soit plutôt parce que d’autres productions ont souffert. Certains produits surabondent, parce que d’autres sont venus à manquer. En termes plus vulgaires, beaucoup de gens ont moins acheté, parce qu’ils ont moins gagné et ils ont moins gagné, parce qu’ils ont trouvé des difficultés dans l’emploi de leurs moyens de production, ou bien parce que ces moyens leur ont manqué. Aussi l’on peut remarquer que les temps où certaines denrées ne se vendent pas bien, sont Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 précisément ceux où d’autres denrées montent à des prix excessifs ; et comme ces prix élevés seraient des motifs pour en favoriser la production, il faut que des causes majeures ou des moyens violents, comme des désastres naturels ou politiques, l’avidité ou l’impéritie des gouvernements, maintiennent forcément d’un côté cette pénurie, qui cause un engorgement de l’autre. Cette cause de maladie politique vient-elle à cesser, les moyens de production se portent vers les routes ou` la production est demeurée en arrière ; en avançant dans ces voies-là, elle favorise l’avancement de la production dans toutes les autres. Un genre de production devancerait rarement les autres, et ses produits seraient rarement avilis, si tous étaient toujours laissés à leur entière liberté. (Say, Traité, livre I, chapitre 15, “Des débouchés”) La loi de Say fut reprise par Ricardo et, plus tard, par des néoclassiques comme Marshall, Edgeworth et Pigou. Elle se retrouve aussi dans la théorie de l’équilibre général, pièce centrale de la théorie mathématique de l’économie au XXe, sous forme d’une condition d’équilibre. Say qui s’inscrit lui-même dans la tradition de Smith se trouve toutefois en rupture avec la théorie d’outre-Manche (Smith et Ricardo) sur un point important : on trouve chez lui les débuts d’une théorie de la valeur basée, non sur la quantité du travail nécessaire mais sur l’utilité du bien en question. Conformément à cette position, il reconnaît une valeur aussi aux services. Ce faisant, il jette les bases d’une analyse qui sera reprise seconde moitié du XIXe par des auteurs que l’on classifie aujourd’hui souvent de néo-classiques ou marginalistes (Jevons, Menger, Walras, Marshall). C’est ce que nous allons voir dans le prochain chapitre. II - Échange entre Dupont de Nemours et Say Dupont de Nemours (1739-1817), l’ancien directeur des Éphémérides du citoyen, coauteur de Quesnay, collaborateur de Turgot, député aux États généraux pour le bailliage de Nemours en 1789, président de l’AN constituante en 1790, membre du Conseil des CinqCents sous le Directoire, secrétaire du gouvernement provisoire en 1814, puis définitivement exilé aux USA après le retour de Napoléon. Lettre de Say à Dupont De Nemours : Quant à ces demoiselles dont la marchandise vous inspire quelque gaîté au milieu de nos tribulations, savez-vous quelles donnent lieu à une grande guerre entre nous ? Ce n’est pas pour leurs beaux yeux, sans doute ; c’est pour la faculté productive ou non productive du travail ; c’est pour la question de la source des valeurs. Selon notre respectable Quesnay, et ses respectables disciples, la matière seule est une marchandise quand elle est vendable. Suivant Smith et son école, le travail est une marchandise aussi quand il est vendable ; et suivant l’humble élève qui vous écrit, le travail du barbier est une marchandise vendable également, quoiqu’il m'ait ôté ma barbe et ne m’ait laissé aucune matière à la place. Il m’a donné ses services, et moi je les ai consommés ; mais, quoique détruits, ils ont produit, puisqu’ils ont satisfait à l'un de mes besoins, de même que la pomme que vous avez Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 mangée à votre dessert, qui est détruite aussi, mais qui était une richesse, puisqu’elle pouvait vous faire quelque bien. Ah ! que vous devriez convenir avec moi que nos biens sont tout ce qui satisfait à quelqu’un de nos besoins ; et que les services qu’on nous rend sont une marchandise que nous consommons, pour notre bien,... et quelquefois pour notre mal. Mais ce n’est pas la faute du service ; de même que l’indigestion que nous donne un fruit, n’est pas la faute du fruit. §5 - Autres auteurs I - John Stuart Mill (1806-1873) Philosophe et économiste anglais, fils de James Mill, disciple de Ricardo, employé à la Compagnie des Indes orientales (1823-1858), membre du Parlement (1965-1868). Il adhère au système philosophique de l’utilitarisme développé par bentham et aux principes du libéralisme économique, qu’il nuance par un certain réformisme social (intervention publique et développement des coopératives). Il milite pour l’abolition de l’esclavage et l’émancipation des femmes. Système de logique inductive et déductive (1843), Principes d’économie politiques (1848). II - Thomas Malthus (1761-1834) Économiste britannique et pasteur anglican, surtout connu pour ses travaux sur les rapports entre les dynamiques de croissance de la population (progression géométrique) et la production (progression arithmétique), analysés dans son Essai sur le principe de population (An Essay on the Principle of Population, première édition 1798, sans nom d’auteur, nouvelle édition 1803, signée de son nom). Son père, Daniel Malthus est un ami personnel de David Hume. Rencontre et correspondance avec Ricardo. Ensemble, avec Ricardo et James Mill, Malthus est membre fondateur du Political Economy Club (1821). Dans Les Principes d’économie politique (Principles of Political Economy, 1820), qui se veut comme rivalisant avec les Principes de Ricardo (1817), Malthus défend la perspective de Sismondi selon laquelle il peut y avoir une surabondance générale (general glut), contre la loi des débouchés prononcée apr Say qui réclame que l’offre crée sa propre demande. Prend position pour les Corn Laws (lois sur le blé) “Malthusien” -> souvent négativement connoté, désignant un état d’esprit plutôt conservateur, opposé à l’investissement ou craignant la rareté, et une doctrine, le malthusianisme, qui inclut une politique active de contrôle de la natalité pour maîtriser la croissance de la population. Progrès dans la science économique ? -> Quesnay et la physiocratie : la richesse n’est pas dans l’or, le travail agricole est le seul Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 travail productif. -> Smith : tout travail qui produit une marchandise ayant une valeur d’usage productif -> Say inclut explicitement les services Ces positions reflètent une certaine évolution historique. Chapitre 4 - La “révolution marginaliste” §1 - Le contexte, les principes et les auteurs I - Un “avant” et un “après” Les classiques, la théorie de la valeur travail (qualifiée aussi de “théorie de la valeur objective”) et tout ce qui était avant les classiques, souvent considérés comme une sorte de préhistoire de la pensée économique Une théorie de la formation des prix fondée sur le concept d’utilité marginale (qualifiée aussi de “théorie de la valeur subjective”), une théorie dite aussi “néo-classique”, qui reste le paradigme dominant jusqu’à présent. II - Lien entre les deux tendances Ce qui réunit ces deux tendances (les classiques et les néoclassiques) c’est l’individualisme méthodologique : ils adoptent tout deux, comme point de départ, la perspective que l’économie est faite par des acteurs qui sont motivés, ou bien gouvernés, par leurs propres intérêts et prennent leurs décisions librement. Si cette approche se trouve chez les classiques sous une forme embryonnaire, exprimée entre autres dans la fameuse formule de la main invisible, les marginalistes adoptent ce programme explicitement. III - Les révolutions scientifiques A - Thomas Kuhn Thomas Kuhn (1962), La structure des révolutions scientifiques (The structure of scientific revolutions). Décrit comment les sciences avancent, non pas de manière continue, mais par coups : par des révolutions sous forme d’un remplacement d’un paradigme jusque-là établi, par un nouveau paradigme (paradigm shift). Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 B - 1870-1914 Innovations dans les industries chimiques et électriques. La naissance du mouvement et de l’organisation politique de la classe ouvrière. Expansions impérialistes. C - William Stanley Jevons (1835-1882) Économiste anglais, professeur de logique et d’économie politique à Manchester. Il s'oppose aux conceptions de Stuart Mill, alors dominantes en Grande-Bretagne. Il se montre partisan du recours aux mathématiques et propose dès 1862, une théorie subjective de la valeur faisant appel au concept de degré final d’utilité (A General Mathematical Theory of Political Economy, communication à un congrès, 1862). Œuvre principale : Théorie de l’économie politique (The Theory of Political Economy, 1871). D - Léon Walras (1834-1910) Élève de l’École des mines, journaliste, puis professeur d’économie politique à Lausanne. Considère l’économie pure comme une science naturelle ou encore une branche des mathématiques. Outre une théorie de la valeur semblable à celle de Jevons, on lui doit une première formulation d’une théorie d’équilibre général, largement inspirée par la notion d’équilibre de la mécanique classique : même conception d’équilibre de la mécanique classique : même conception d’équilibre vu comme un état de repos résultant de la neutralisation des forces opposées. Œuvre principale : Éléments d’économie politique pure ou théorie de la richesse sociale (1874). E - Carl Menger (1840-1921) Économiste autrichien, professeur à l’université de Vienne. Basé sur le concept d’utilité-limite ou marginale (Grenznutzen), il propose une théorie essentiellemen

Use Quizgecko on...
Browser
Browser