Droit civil et fondements de droit romain, Volume 2 PDF

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This textbook, "Droit civil et fondements de droit romain" Volume 2, explores the law of property and real rights. It discusses the evolution of property law, including the influence of Roman law and modern developments like environmental law and intellectual property. The text delves into various concepts and categories of property.

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BRUXELLES Volume 2 UNIVERSITÉ LIBRE DE Droit civil et fondements de droit romain Nathalie MASSAGER D/2023/0098/134 12 e édition – Tirage 2023-24/1 DROI-C-1002_B 9HSMFKA*aadadd+ Conformément à la loi du 30 juin 1994, modifiée par la loi du 22 mai 2005, sur le droit d’auteur, toute reproductio...

BRUXELLES Volume 2 UNIVERSITÉ LIBRE DE Droit civil et fondements de droit romain Nathalie MASSAGER D/2023/0098/134 12 e édition – Tirage 2023-24/1 DROI-C-1002_B 9HSMFKA*aadadd+ Conformément à la loi du 30 juin 1994, modifiée par la loi du 22 mai 2005, sur le droit d’auteur, toute reproduction partielle ou totale du contenu de cet ouvrage –par quelque moyen que ce soit– est formellement interdite. Toute citation ne peut être autorisée que par l’auteur et l’éditeur. La demande doit être adressée exclusivement aux Presses Universitaires de Bruxelles a.s.b.l., avenue Paul Héger 42, 1000 Bruxelles, Tél. : 02-650 64 40 – https://www.pub-ulb.be/ – E-mail : [email protected] « C’est l’éducation, l’instruction qui décideront de l’émancipation de la femme et de l’homme, de leur tolérance et de leur capacité à dialoguer. » Lucia de Brouckère (1904-1982) Docteur en chimie de l’ULB, première femme à enseigner dans une faculté de sciences en Belgique, militante de la laïcité et du libreexamen. MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 TITRE II DROIT DES BIENS ET DROITS REELS « Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité ». Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu. Introduction Le second titre du cours de Droit civil est consacré à l’étude du droit des biens qui réunit la matière des biens et des droits réels : nous quittons l’univers des droits de la personne et de la famille pour pénétrer dans celui des droits patrimoniaux. Le droit des biens a longtemps maintenu son ancrage dans les textes du Code Napoléon, très largement inspirés du droit romain et reflétant un système juridique centré sur la propriété immobilière qui représentait une valeur essentielle dans la société rurale du XIXe siècle. Dès la seconde moitié du XXème siècle, certaines institutions du droit des biens ont été mobilisées pour soutenir la transformation de la société qui était appelée à connaître de profondes mutations dont plusieurs composantes impactaient directement la matière des biens. Ainsi, l’apparition de nouvelles valeurs économiques issues des progrès de la science et de la haute technologie, de même que l’essor considérable de certaines branches du droit (droit de l’environnement, droits de la propriété intellectuelle notamment), questionnent le concept juridique de bien qui se trouve confronté à des réalités complexes (logiciels, algorithmes Big data, quotas de gaz à effet de serre, etc.). Les droits réels traditionnels ont également connu des développements inattendus, rendus nécessaires par l’émergence de nouvelles priorités économiques, tels que le droit de la copropriété des immeubles à appartements ainsi que les mécanismes de la superficie et de l’emphytéose qui se sont imposés avec l’urbanisation de la société et la crise du logement. Pour répondre à une problématique sociétale, nous avons vu précédemment que le législateur a institué les droits successoraux du conjoint et du cohabitant légal survivant en se fondant sur le régime juridique du droit réel d’usufruit. Le droit des biens a été le cadre dans lequel se sont déployées deux grandes créations jurisprudentielles : la théorie de l’abus de droit qui est désormais codifiée dans le Livre 1 et la théorie des troubles de voisinage qui est codifiée dans le Livre 3. De manière plus générale, le droit des biens est au cœur du système de valeurs de nos sociétés occidentales dès lors qu'il régit la liberté fondamentale de devenir propriétaire, tout en étant amené à protéger cette liberté face à l'Etat dont le financement de ses missions et la poursuite de l'intérêt général imposent une pondération de cette liberté individuelle (par la procédure d’expropriation notamment). DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 1 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 L’ensemble de ces évolutions a eu pour effet de mettre sous tension les concepts et les instruments juridiques issus d’une autre époque, rendant indispensable la réforme réalisée par la loi du 4 février 2020 portant création du Livre 3 « Les biens ». Pour la première fois depuis 1804, la matière du droit des biens a ainsi été réformée en profondeur et dans sa globalité, en vue de rationnaliser l’ordonnancement des différents outils juridiques, de la détacher de son rattachement historique à une société agricole et de codifier des notions nouvelles, comme celle de la propriété de volumes notamment. La modernisation du droit des biens résultant des nouveaux textes s’appuie sur le système existant des droits réels qui est maintenu mais a été complété pour aboutir à un droit mieux structuré et plus cohérent, privilégiant une approche fonctionnelle au service des citoyens. Des institutions auparavant éparses ont été intégrées dans le droit des biens qui inclut désormais la théorie du patrimoine, les mesures relevant de la publicité foncière, une réglementation générale des biens trouvés, les droits d’emphytéose et de superficie, l’ensemble des règles relatives aux relations de voisinage et compte également de nouveaux droits réels dans le numerus clausus : le droit de copropriété, les privilèges spéciaux et le droit de rétention (ces deux derniers droits réels étant des sûretés réelles, sont placés dans le Livre 7 du nouveau Code civil). Le législateur a voulu un droit des biens plus flexible en ce qu’il est principalement axé sur l’autonomie de la volonté et repose essentiellement sur des dispositions supplétives (sauf exceptions) : la matière est régie par la liberté contractuelle, encadrée par le droit des obligations. Les rédacteurs du Livre 3 se sont inspirés systématiquement du droit comparé et plus précisément, des systèmes nationaux régissant le droit des biens en France, aux PaysBas, au Québec, ainsi qu’en Allemagne, en Suisse et en Espagne notamment, l’approche comparatiste garantissant une meilleure mobilité des concepts et des outils juridiques, rendue indispensable tant par la libre circulation des personnes et des biens que par les règles de droit international privé qui peuvent amener à une transposition d’un système vers celui d’un autre pays. Le Livre 3 du nouveau Code civil contient huit titres : Titre Titre Titre Titre Titre Titre Titre Titre 1er 2 3 4 5 6 7 8 : : : : : : : : Dispositions générales Biens Droit de la propriété Copropriété Relations de voisinage Droit d’usufruit Droit d’emphytéose Droit de superficie Plan Le titre II de notre étude du droit civil consacré au droit des biens s’articule autour de deux chapitres : Chapitre I. Chapitre II. DROI-C-1002_B Les biens Les droits réels. PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 2 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Chapitre I. LES BIENS Les dispositions du Livre 3 contenant la matière du droit des biens sont, en règle, supplétives, de sorte que les parties peuvent y déroger par voie contractuelle, à l’exception de certaines dispositions précises relevant de l’ordre public ou impératives. Le législateur identifie les dispositions auxquelles il n’est pas permis de déroger : il peut s’agir d’une figure juridique dans son ensemble (comme la copropriété forcée) ou de certaines règles particulières (comme le principe du numerus clausus des droits réels, ainsi que la durée des droits d’usufruit, d’emphytéose et de superficie notamment). Le législateur s’est attaché à définir les principales notions relatives aux biens et aux droits réels en précisant que ces définitions, clairement identifiées comme telles, échappent à l’autonomie de la volonté : « Les parties peuvent déroger aux dispositions du présent Livre, sauf s’il s’agit de définitions ou si la loi en dispose autrement » (art. 3.1 c.civ.). Les définitions des concepts fondamentaux de la matière étant appelées à s’appliquer également aux autres branches du droit, elles s’imposent au regard de l’impératif de sécurité juridique. Section I. Notions de choses et de biens Choses Les choses (voorwerpen) sont des réalités, naturelles ou artificielles, corporelles ou incorporelles, qui se distinguent des animaux, les choses et les animaux se distinguant des personnes (art. 3.38 c.civ.). Concernant les animaux, la loi consacre leur singularité et la protection qui leur est due, tout en stipulant que le régime juridique qui leur est applicable est celui des choses corporelles : « Les animaux sont doués de sensibilité et ont des besoins biologiques. Les dispositions relatives aux choses corporelles s’appliquent aux animaux, dans le respect des dispositions légales et réglementaires qui les protègent et de l’ordre public » (art. 3.39 c.civ.). Les choses qu’une personne est en droit de s'approprier en raison de leur valeur économique ou de leur utilité sont des biens au sens juridique. Exemples de choses qui ne sont pas des biens : Les organes du corps humain du vivant de la personne comme après son décès. Biens Les biens (goederen) désignent toutes les choses appropriées ou susceptibles d’être appropriées par une personne, en ce compris les droits patrimoniaux (art. 3.41 c.civ.). DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 3 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Les biens appartenant au domaine public (voirie, pièces appartenant aux musées d’Etat etc.) ne sont pas des biens au sens du droit civil car ils ne sont pas appropriables. Biens appropriables Sont des biens, les choses qui n’ont jamais été appropriées mais sont appropriables (appelées res nullius), étant susceptibles de faire partie du patrimoine d’une personne. Exemples de res nullius : Les perles trouvées dans les huîtres pêchées en pleine mer, les animaux sauvages (gibier etc.), l’or trouvé dans les rivières, les truffes déterrées en forêt, les baies récoltées dans la nature, etc. Sont également des biens, les choses qui ont été appropriées avant d’être abandonnées librement et volontairement par leur propriétaire (appelées res derelictae) : il s’agit des biens sans maître (art. 3.43, al. 2, c.civ.). Le mode d’appropriation des biens sans maître (goederen zonder eigenaar) distingue selon que le bien est meuble ou immeuble : le bien meuble sans maître appartient au trouveur qui en prend possession, dans les conditions fixées par la loi (art. 3.59, § 2, c.civ.), et le bien immeuble sans maître devient la propriété de l’Etat (art. 3.66 c.civ.). Choses communes A l’inverse des biens, les choses communes (gemene voorwerpen) désignent les choses qui ne peuvent pas appartenir à une personne en particulier, leur usage étant commun à tous (comme l’eau, l’air, la lumière, etc.) : « Les choses communes ne peuvent être appropriées dans leur globalité. Elles n’appartiennent à personne et sont utilisées dans l’intérêt général, y compris celui des générations futures. Leur usage est commun à tous et est réglé par des lois particulières » (art. 3.43 c.civ.). En revanche, une personne est en droit de s’approprier une quantité déterminée d’une chose commune qui devient dès lors un bien. Exemples : L’eau de source mise en bouteille, les cendres d’un volcan commercialisées, des coquillages ramassés sur une plage etc. Le concept de choses communes est appelé à jouer un rôle essentiel en droit de l’environnement, au regard des enjeux écologiques et climatiques. Le droit des biens (het goederenrecht) a pour objet d'étudier les différentes manières de s'approprier les biens, qu'il s'agisse de réalités physiques (maison, voiture, billets de banque, etc.) ou abstraites (droit d'auteur, universalité, etc.). Avant d'entamer cet examen, il importe de présenter les différentes catégories de biens, dans la mesure où celles-ci peuvent influencer le régime d'appropriation des biens ou les règles qui leur sont applicables. La notion de bien est également utilisée par certaines conventions internationales, comme la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui dans son Premier protocole additionnel, garantit la protection du droit de propriété des particuliers sur leurs biens à l’encontre de l'intervention des Etats : DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 4 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international » (art. 1er, al. 1er). Section II. Classification des biens Il existe de nombreuses classifications des biens parmi lesquelles nous avons choisi de présenter les plus essentielles en droit civil. I. Biens corporels et biens incorporels A. Critère de distinction : perception sensible et possibilité de mesure Le droit des biens a évolué dans le sens d’une dématérialisation de la notion de bien. La loi consacre l’incorporalité de certains biens par une définition fondée sur deux critères cumulatifs : « Les choses sont corporelles ou incorporelles. A la différence des choses incorporelles, les choses corporelles sont susceptibles d’être appréhendées par les sens et peuvent être mesurées de manière instantanée » (art. 3.40 c.civ.). La distinction entre biens corporels et incorporels est établie par référence à un double critère : l’existence physique et la condition de quantification. Biens corporels A l’origine, les biens corporels désignaient ceux qui ont un « corpus » rendant leur existence tangible. Désormais, le concept juridique de biens corporels inclut également des biens qui ne sont pas seulement accessibles au toucher mais également aux autres sens comme les gaz, l’électricité, les ondes ou encore l’énergie maîtrisée par l’homme. Si le bien corporel est celui qui peut être appréhendé par l’un des cinq sens, il doit également pouvoir être mesuré par un instrument technologique, à un instant donné. Exemple : Un kilowatt-heure d’électricité produit par une centrale électrique. Biens incorporels Au fil de l'évolution, le droit des biens a trouvé à s’appliquer à des réalités autres que les seules réalités physiques : il s’agit d’abstractions qui n'ont aucune existence physique mais n'en sont pas moins de grande valeur. Ces abstractions qui font l’objet d’une appropriation sont des biens incorporels. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 5 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 La distinction entre bien corporel (lichamelijk goed) et bien incorporel (onlichamelijk goed) reflète ainsi la distinction entre réalité physique et abstraction. Dans la catégorie des biens incorporels, on trouve toutes les abstractions créées par l'esprit humain, comme : les droits de créance ; les universalités ; les prérogatives patrimoniales des droits de la propriété intellectuelle (dont les droits d’auteur et les inventions notamment) ; ainsi que tout autre concept qui n'a d'existence qu'au travers du schéma de pensée de l'homme comme la cryptomonnaie (le bitcoin par exemple). B. Effet de la distinction sur la règle de droit Certaines règles de droit ne concernent que les biens corporels comme en matière de protection du consommateur et de responsabilité complexe du fait des choses, notamment. Notion d’universalité L’universalité (de algemeenheid) est un bien incorporel unique, meuble et non fongible, qui se compose d’une pluralité de biens partageant une affectation commune. Les biens particuliers qui constituent l’universalité peuvent être corporels et/ou incorporels, fongibles et/ou non fongibles, meubles et/ou immeubles et forment une entité, un ensemble cohérent, étant unis par une identité commune, par un même lien intellectuel, par une même destination. On distingue plusieurs sortes d’universalités, notamment : - Le patrimoine : Le patrimoine ou une partie du patrimoine (biens propres par exemple) d’une personne est une universalité de droit comprenant l’ensemble de ses biens (l’actif) et de ses dettes (le passif), présents et à venir (art. 3.35, al. 1er, c.civ.). - Les choses collectives : Les choses collectives constituent une universalité de fait composée de biens corporels de même nature, non attachés matériellement les uns aux autres mais réunis en vue d’une même destination. Exemples : Un portefeuille de titres, les livres d’une bibliothèque, les œuvres appartenant à un musée, le catalogue musical des Beatles, les réalisations d’un artiste, les animaux d’un troupeau. - Les hérédités jacentes : Les hérédités jacentes sont des universalités de fait désignant les patrimoines non encore partagés des défunts. - Le fonds de commerce : Le fonds de commerce est une universalité ayant vocation de réunir tous les biens nécessaires à l’exercice de la profession d’un entrepreneur tels que : la dénomination commerciale, la clientèle, le droit au bail, les stocks, etc. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 6 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Le propriétaire des biens composant l’universalité est titulaire d’un droit réel unique sur l’ensemble de ces biens. Les biens composant l’universalité sont donc soumis à un régime juridique unique et peuvent faire l’objet d’actes juridiques ou d’actions judiciaires dont les effets s’appliquent à l’ensemble des biens. Exemples : La vente d’un fonds de commerce emporte le transfert de propriété de chaque bien qui le compose. L’action en revendication d’un troupeau concerne chaque animal faisant partie de ce troupeau. La déclaration de faillite d’une entreprise confère au curateur des droits sur le patrimoine du failli. Les créanciers des dettes communes contractées par des époux mariés sans contrat de mariage ont un droit de priorité sur l’ensemble des biens composant le patrimoine commun. II. Biens fongibles et biens non fongibles A. Critère de distinction : caractère librement interchangeable Biens fongibles / non fongibles Les biens fongibles (vervangbare goederen) sont des biens librement interchangeables, qui sont susceptibles d’être remplacés l’un par l’autre dans une relation juridique : « Sont fongibles entre elles les choses qui, pour l’exécution d’une obligation, peuvent être employées l’une pour l’autre » (art. 3.44 c.civ.). La caractéristique essentielle des biens fongibles est de pouvoir être intervertis l’un par l’autre dans le cadre d’un rapport juridique, tel un contrat : c'est la nature du bien qui importe aux parties et non son individualité. Application La monnaie est un bien fongible par excellence : peu importe que l’acheteur paye avec le billet de 20 € qu’il tient dans sa main ou avec un autre billet de 20 € qui se trouve dans son portefeuille. Il en va de même pour un syllabus : peu importe à l’étudiant de recevoir tel syllabus en particulier à la place de tel autre resté dans le rayonnage, pour autant qu'il présente les mêmes qualités. Le même raisonnement est applicable à une voiture neuve dont la couleur, la marque et le modèle sont déterminés : peu importe pour l’acheteur que telle voiture lui soit livrée plutôt que telle autre qui a les mêmes caractéristiques. Ces biens sont des biens fongibles. Les biens non fongibles (onvervangbare goederen) sont les biens uniques qui ont une valeur propre et ne peuvent donc pas être intervertis avec d’autres biens de même nature dans le rapport juridique qui lie les parties. Application Si je possède un billet de 20 € dédicacé, ce billet a une valeur unique de sorte que si je le prête à un ami, j’entends récupérer ce même billet dédicacé et non un autre billet. De la même manière, si je prête mon syllabus complété par les notes prises au cours, j’ai l’intention de récupérer mon syllabus et non un autre. Si je dépose ma voiture en réparation, je m’attends à récupérer ma voiture qui présente un kilométrage précis et non une autre. Dans ces hypothèses, le bien est considéré comme unique en raison de ses caractéristiques propres, de sorte que le rapport juridique porte sur ce bien en particulier et non sur un autre bien présentant la même nature et la même valeur. Il s’agit de biens non fongibles. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 7 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 La distinction entre biens fongibles et non fongibles résulte de la comparaison d’un bien avec un autre dans le cadre d’une relation juridique déterminée. Exemple : Une voiture peut être un bien fongible s’il s’agit d’une voiture faisant partie d’une flotte de véhicules d’une entreprise qu’un exploitant prête à un autre exploitant qui devra lui restituer une autre voiture de l’entreprise, peu importe laquelle. A l’inverse, constitue un bien non fongible la voiture appartenant à un particulier qui la prête pour qu’elle lui soit restituée. Biens consomptibles / non consomptibles Les biens consomptibles (verbruikbare goederen) sont des biens destinés à disparaître par le premier usage qui en est fait : « Sont consomptibles, les choses qu’on ne peut utiliser sans en disposer juridiquement ou matériellement » (art. 3.44, al. 2, c.civ.). Exemples de biens consomptibles : Les aliments (usage matériel), l’argent (usage juridique). Les biens non consomptibles sont tous les autres biens qui résistent à l’usage qui en est fait. Exemples de biens non consomptibles : Les immeubles, vêtements, véhicules etc. Choses de genre / choses certaines Les choses de genre (de soortgoederen) également désignées par le terme latin « genera » sont des choses dont les caractéristiques intrinsèques démontrent qu’elles sont dépourvues de singularité, leur valeur se déterminant sur la base de leur quantité ou de leur mesure : « A la différence des choses certaines, les choses de genre se déterminent sur la base de leur mesure, de leur nombre ou de leur poids » (art. 3.44, al. 3, c.civ.). Les choses certaines (de bepaalde goederen) également désignées par le terme latin « species » sont des choses dont l'individualité importe aux parties qui leur attribuent des caractéristiques propres : elles ont une valeur intrinsèque qui se détermine à l’unité. Volonté des parties Les parties peuvent modifier la catégorie à laquelle appartient le bien en fonction de leur volonté dans le rapport juridique qui les unit. On peut distinguer : - Les biens fongibles par nature Exemples : Des denrées alimentaires, un livre, un vêtement de grande distribution etc. - Les biens fongibles par convention Il s’agit de biens non fongibles par nature mais dont les parties conviennent, de manière expresse ou tacite, qu’ils seront librement interchangeables dans le rapport juridique qui les concerne. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 8 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Exemples : Un billet de banque peut être remplacé par un autre billet de banque alors que chaque billet a un numéro propre. Une voiture non encore immatriculée, possédant un numéro de châssis propre. De même : - Les biens non fongibles par nature Exemples : Une maison, une sculpture, un cheval de concours, un livre dédicacé, etc. - Les biens non fongibles par convention Il s’agit de biens fongibles par nature mais dont les parties conviennent, de manière expresse ou tacite, qu’ils ont une valeur propre de sorte qu’ils ne peuvent pas être remplacés par un autre bien fongible de la même nature et de la même qualité dans le rapport juridique qui les concerne. Exemples : Un livre qui a une valeur sentimentale, un vêtement porté lors d’un événement, un objet quelconque mais ayant appartenu à un artiste, etc. B. Effets de la distinction sur la règle de droit En règle, les choses fongibles, consomptibles et les choses de genre sont soumises à un régime juridique identique qui diffère de celui applicable aux choses non fongibles, non consomptibles et aux choses certaines. La distinction entre les biens fongibles (genera) et non fongibles (species) a des effets fondamentaux sur l’application de nombreuses règles de droit. 1. Terminologie Certains contrats portent des noms distincts et obéissent à un régime juridique différent selon qu’ils portent sur des species ou des genera. Ainsi, un prêt portant sur des species est appelé un prêt à usage ou commodat, alors qu’un prêt portant sur des genera est appelé un prêt de consommation. 2. Titre de fait et titre de droit Le rapport juridique d’une personne par rapport à un bien s’établit à un double niveau : le titre de fait et le titre de droit. a) Titre de fait : possesseur ou détenteur Le concept juridique de possession (het bezit) désigne la mainmise matérielle d’un bien (« corpus »), avec l’intention de se comporter comme le propriétaire ou titulaire du droit réel (« animus »). A l’inverse, la détention (de detentie) désigne la mainmise matérielle d’un bien (« corpus »), dans l’intention de le restituer à autrui (art. 3.18 c.civ.). DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 9 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 La possession est une situation de fait qui consiste à posséder matériellement un bien en ayant l’intention de le garder ou de le récupérer si le bien a été temporairement mis à disposition d’autrui, dans le cadre d’un prêt ou d’une location par exemple. Le possesseur est la personne qui a la mainmise matérielle d’un bien dans l’intention de le conserver pour soi (comme l’acheteur). Sont également des possesseurs « corpore alieno » : le prêteur ou le bailleur par exemple, le corpus pouvant s’exercer par l’intermédiaire d’un tiers, étant entendu que le tiers aura toujours une obligation de restitution, le possesseur conservant, dans ce cas, le corpus par l’exercice d’actions propres au propriétaire (perception du loyer, demande de restitution, etc.). La détention est également une situation de fait qui consiste à posséder matériellement un bien mais en ayant l’intention de le restituer à son possesseur. Le détenteur est la personne qui a la mainmise matérielle d’un bien dans l’intention de le restituer à autrui (comme l’emprunteur ou le locataire). Le titre de fait d’une personne sur un bien dépend de la nature du bien : - S’agissant d’une species, le titre de fait est soit possesseur soit détenteur. Exemple : Je suis possesseur de mon téléphone mais si je le prête à quelqu’un, l’emprunteur sera détenteur de mon téléphone. - S’agissant de genera, le titre de fait est toujours possesseur. Exemple : Je suis possesseur du billet de 20 € que j’ai emprunté car je peux rendre un autre billet à la place. Le titre de fait concerne la réalité matérielle (situation de fait) et non la réalité juridique (situation de droit). Il est en effet possible que le possesseur d’un bien ne soit pas propriétaire de ce bien, tout en ayant l’intention de le conserver pour soi : c’est le cas du voleur, par exemple. b) Titre de droit : propriétaire ou non propriétaire Le titre de droit d'une personne sur un bien désigne la qualité de propriétaire (« verus dominus ») ou non sur ce bien, ou de titulaire du droit que la personne exerce. Le titre de droit d’une personne sur un bien dépend également de la nature du bien : - S’agissant d’une species, le titre de droit est propriétaire ou non. Exemple : Je suis propriétaire de mon téléphone mais pas du téléphone que j’ai emprunté à une amie. - S’agissant de genera, le titre de droit est toujours propriétaire. Exemple : Je suis propriétaire du billet de 20 € emprunté puisque je peux le dépenser et restituer un autre billet. Le titre de droit a des conséquences juridiques essentielles que nous étudierons dans la section consacrée au droit de propriété. Les deux principaux effets juridiques de la qualité de propriétaire sont : DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 10 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 1. Seul le propriétaire détient une prérogative appelée l’ « abusus », qui désigne le droit de disposer matériellement (destruction) ou juridiquement d’un bien (abandon de la propriété, vente, donation). 2. Lorsqu’un contrat impliquant une obligation de restitution (comme un prêt ou un louage) porte sur une species, la personne qui doit restituer le bien (emprunteur, locataire) ne devient pas propriétaire de la species qu’il doit restituer en fin de contrat. En revanche, lorsqu’un contrat impliquant une obligation de restitution porte sur des genera, la personne qui doit restituer le bien devient propriétaire des genera, puisqu’il peut utiliser les genera pour lui-même et ne doit restituer qu’une quantité équivalente de genera de même nature et de même qualité. Il en est de même si un voleur s’empare de genera : le voleur devient instantanément propriétaire des genera volées et doit restituer à la victime du vol une quantité équivalente de genera de même nature. Retenons donc : S’agissant d’une species, on peut être possesseur ou détenteur (titre de fait), et propriétaire ou non propriétaire (titre de droit). S’agissant de genera, on est toujours possesseur (titre de fait) et toujours propriétaire (titre de droit). 3. Inexécution de l’obligation de restitution suite à la perte du bien Lorsqu’un bien faisant l’objet d’un contrat avec une obligation de restitution vient à périr, la question se pose de savoir si le débiteur est tenu d’indemniser le créancier pour la perte du bien. La destruction d’un bien peut être causée soit par une faute du débiteur, soit par un cas de force majeure également appelé « casus » qui désigne un événement imprévisible, inévitable et exempt de toute faute (comme une éruption volcanique, un tsunami, une pandémie, un cambriolage, une grève non annoncée etc.). Le régime juridique de l’inexécution d’une obligation diffère selon que l’inexécution résulte d’une faute imputable au débiteur (inexécution fautive) ou d’un cas de force majeure (inexécution fortuite) : - Si la destruction du bien est consécutive à une faute imputable au débiteur (un emprunteur, par exemple), on parle d’inexécution fautive de l’obligation et on applique le droit de la responsabilité. Le débiteur fautif devra indemniser le propriétaire du bien en raison de la perte du bien qui est imputable au débiteur. Dans tous les cas, le propriétaire obtiendra la réparation du dommage résultant de la perte de son bien causée par la faute du débiteur, sous la forme d’indemnités en cas de species ou de restitution d’une quantité équivalente de genera. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 11 MASSAGER Nathalie - Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Si la destruction du bien est consécutive à un cas de force majeure, on parle d’inexécution fortuite de l’obligation et on applique la théorie des risques qui distingue selon que le bien détruit est une species ou des genera. Lorsqu’un bien périt « casu » (par l’effet d’un cas de force majeure), on applique la règle « la chose périt pour le propriétaire » (« Res perit domino ») : selon cette règle, le propriétaire du bien doit supporter la perte casu de son bien. Il en résulte que le propriétaire ne peut pas demander d’être indemnisé pour la perte casu d’une species dont il est resté propriétaire, alors que le propriétaire est en droit d’être indemnisé pour la perte casu de genera, dès lors que le débiteur est devenu propriétaire des genera et devra donc restituer au propriétaire une quantité équivalente de genera de même nature. Le propriétaire devant toujours assumer la perte de son bien suite à un cas de force majeure, le débiteur de genera devra restituer d’autres genera puisqu’il en est devenu propriétaire, alors que le débiteur d’une species sera libéré par la perte casu de la species qui appartient au propriétaire. La conséquence de la perte d’un bien faisant l’objet d’une obligation dépend donc de la nature fongible ou non fongible du bien : Inexécution d’une obligation portant sur des genera Les genera étant toujours susceptibles d’être remplacées par d’autres genera de même nature, leur perte qu’elle soit fautive ou fortuite n’entraînera pas la libération du débiteur qui reste tenu par l’obligation de restitution. On applique la règle « les choses de genre ne périssent pas » (« genera non pereunt »), selon laquelle le débiteur de genera pourra toujours exécuter son obligation en restituant une quantité équivalente de genera de même nature. Etant devenu propriétaire des genera qui sont en sa possession, le débiteur doit donc supporter la charge des risques liée à la perte de ces genera, quelle que soit la cause de cette perte (faute ou casus). Exemple : J’emprunte une somme d’argent que l’on me vole : peu importe que je sois en faute ou non, je dois restituer cette même somme au prêteur. Application Un cuisinier se porte caution des dettes de sommes pour un montant de 97.000 euros souscrites par la société dont il est le gérant et qui exploite un restaurant. Un incendie accidentel ravage le restaurant : le cuisinier ayant subi de graves blessures, se retrouve en incapacité de travail de longue durée. Le restaurant est fermé et la société qui l’exploite est déclarée en faillite. La banque KBC, créancier des crédits accordés à la société, exige le remboursement. En sa qualité de caution, le cuisiner invoque la force majeure de nature à libérer le débiteur principal ainsi que la caution. Les juges du fond suivent le raisonnement du cuisinier et constatent l’extinction de ses obligations par effet d’un cas de force majeure non imputable et imprévisible qui a rendu définitivement impossible la poursuite de l’activité économique de l’entreprise, le restaurant reposant intégralement sur le travail de la caution qui était l’unique cuisinier : la faillite n’a pas pu être évitée malgré les tentatives de rouvrir le restaurant en engageant un nouveau cuisinier et en cherchant de nouvelles sources de financement externes. Sur pourvoi de la banque, la Cour de cassation casse la décision déférée et fait droit à l’argumentation de la banque selon laquelle le débiteur d’une somme d’argent ne peut, en règle, se prévaloir de la force majeure : même si elle résulte de circonstances constitutives de force majeure pour le débiteur, l’insolvabilité n’a pas pour DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 12 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 effet de libérer le débiteur de son obligation de somme, dès lors qu’il n’y a pas d’impossibilité définitive d’exécution en ce qui concerne les obligations portant sur des choses de genre : Cass. 28 juin 2018, R.G.D.C., 2020/1, p. 26, note J. Van Zuylen, « L’obligation de somme peut-elle être atteinte par la force majeure ? Une question de genre ! ». Inexécution d’une obligation portant sur des species En revanche, concernant les species, il convient de distinguer selon que l’inexécution est consécutive à une faute du débiteur ou à un cas de force majeure : - En cas d’inexécution fautive, le débiteur qui ne peut restituer la species par sa faute devient débiteur d’une indemnité représentant la valeur de la species. Exemple : Je prête mon téléphone à une amie qui le laisse tomber : le téléphone étant détruit par sa faute, elle doit me rembourser la valeur du téléphone. - En cas d’inexécution fortuite, le propriétaire du bien doit supporter sa perte, de sorte que le débiteur est libéré par la destruction de la species suite au cas de force majeure. On applique la règle : « le débiteur d’une chose certaine est libéré par la perte casu de cette chose » (« debitor certae rei interitu casu rei liberatur »). Selon cette règle, la charge des risques est supportée par le créancier qui est resté propriétaire de la species, en raison de l’effet libératoire de la force majeure relativement aux engagements contractuels des parties. Exemple : Je prête mon téléphone à une amie qui est victime d’un cambriolage : le téléphone ayant été volé sans qu’aucune faute puisse lui être imputée, mon amie ne doit pas me rembourser la valeur du téléphone. Retenons donc : La perte de genera ne dispense jamais le débiteur de restituer une même quantité de genera de même nature, quelle que soit l’origine de la perte (fautive ou fortuite). La perte d’une species entraine pour le débiteur l’obligation d’indemniser le créancier en cas de perte fautive, alors qu’en cas de perte fortuite le débiteur est libéré de son obligation de restitution. Théorie des risques La théorie des risques est applicable en cas d’inexécution d’un contrat synallagmatique suite à un cas de force majeure et aboutit donc à faire supporter la charge des risques par le propriétaire du bien détruit, qui est : - le créancier lorsque l’obligation porte sur une species (par exemple le prêteur) ; - le débiteur lorsque l’obligation porte sur des genera (par exemple l’emprunteur): le casu ne libère pas le débiteur car il ne rend pas l’obligation impossible à exécuter, le débiteur pouvant exécuter son obligation en restituant des genera de même nature. Dans les deux cas, il y a application de la règle « le bien périt pour son propriétaire ». DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 13 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 4. Moment du transfert de propriété Certains contrats ont pour objet un transfert de propriété entre les parties contractantes, comme la vente, l’échange, la donation. Pour ces contrats, le transfert de propriété n’a pas lieu au même moment selon qu’il s’agisse d’une species ou de genera : - Si le contrat porte sur une species, sauf exception, le transfert de propriété intervient au moment de l’accord de volontés. - Si le contrat porte sur des genera, le transfert de propriété intervient au moment de la spécification, c’est-à-dire de l’identification des genera par comptage, mesurage, pesage, étiquetage etc. (art. 3.14, § 2, al. 3, c.civ.). La détermination du moment où intervient le transfert de propriété a des conséquences sur la prise en charge des risques dès lors que sauf disposition contraire prévue par le contrat, le transfert de la charge des risques est concomitant au transfert de la propriété. Applications Un collectionneur achète une œuvre d’art qui doit lui être livrée le lendemain. S’agissant d’une species, le transfert de propriété et de la charge des risques a lieu au moment de la conclusion du contrat : si l’œuvre est détruite par un cas de force majeure avant sa livraison, l’acheteur supporte les risques et doit payer le prix au vendeur nonobstant la perte totale du bien. En septembre, un fleuriste achète à un producteur ardennais un lot de 150 sapins de Noël devant être livrés pour le 1er décembre. S’agissant de genera, le transfert de propriété et de la charge des risques n’a lieu qu’au moment de la spécification qui interviendra lorsque les sapins seront déterrés fin novembre pour êtres livrés : si durant le mois d’octobre, l’exploitation est détruite par un incendie qui provoque la destruction de tous les sapins, le vendeur resté propriétaire au moment de la perte casu supporte la charge des risques et ne peut exiger de l’acheteur le paiement du prix. 5. Prescription acquisitive Nous verrons que seules les species sont susceptibles d’être acquises par prescription acquisitive, à l’exclusion des genera. III. Biens dans le commerce et biens hors commerce A. Critère de distinction : appropriation par une personne privée Les biens dans le commerce (goederen in de handel) sont des biens qui peuvent appartenir à une personne privée et faire l’objet de conventions entre particuliers. Les biens hors commerce (goederen buiten de handel) ne peuvent pas faire l’objet de contrats entre particuliers, par effet de la loi (par exemple, les médicaments, les armes), d’une décision de l’autorité publique (comme un bien réquisitionné) ou d’un jugement. Certains biens appropriés peuvent en effet être déclarés inaliénables et temporairement exclus de la circulation juridique, en vertu d’une décision judiciaire. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 14 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Exemple : Durant la procédure de séparation ou de divorce, le juge peut rendre inaliénables certains biens appartenant aux époux, comme les biens qui garnissent l’immeuble conjugal dont l’occupation est confiée temporairement à l’un d’eux. B. Effet de la distinction sur la règle de droit Le caractère hors commerce d’un bien a pour effet de soustraire ce bien de la circulation juridique entre les personnes : le bien devient intransmissible. Tout contrat translatif de propriété portant sur un bien hors commerce est nul. Le mécanisme de la prescription acquisitive est réservé aux biens dans le commerce. IV. Biens meubles et biens immeubles A. Critère de distinction : fixité et permanence géographique La distinction entre biens meubles (roerende goederen) et biens immeubles (onroerende goederen) revêt une importance fondamentale dans la mesure où la définition donnée par le droit civil s’impose également dans les autres branches du droit qui contiennent de nombreuses règles se fondant sur cette classification. La distinction s’applique notamment en droit judiciaire (saisies mobilières ou immobilières), en droit de l’insolvabilité (privilèges mobiliers ou immobiliers, gage, hypothèque), en matière d’assurances, ou encore dans le cadre des procédures de classement des biens (affaire du Palais Stoclet). En droit fiscal, certains régimes d’imposition (impôt sur le revenu et TVA, notamment) diffèrent selon que le bien est meuble ou immeuble. Une cession d'un bien meuble n'est soumise à aucune taxe particulière liée à ce transfert, alors qu'une cession d'un bien immeuble est soumise à une taxe appelée droit d'enregistrement. La conséquence de la classification entre bien meuble et immeuble est dès lors essentielle et le droit fiscal ne contenant pas de définition autonome de la notion de bien meuble et immeuble, il revient au juge de se référer au critère du droit civil. Dans le Code civil de 1804, la distinction entre les biens meubles et immeubles occupait une place très importante : les biens meubles et immeubles étaient soumis à un régime juridique radicalement différent, inspiré par la réalité économique et sociale d’une époque où les immeubles représentaient une valeur financière et symbolique largement supérieure aux meubles. Application La plupart des biens peuvent aisément être classés dans l'une ou l'autre catégorie. Ainsi, une maison est un bien immeuble, alors qu’une sculpture ou une voiture sont des biens meubles. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples. Ainsi, qu'en est-il si la maison ne prend pas la forme d'une construction en briques mais d'un chalet de camping installé durablement sur un terrain ? Ou si la sculpture est fixée dans le mur d'un château au sein d’une alcôve réalisée sur mesure ? Ou encore si la voiture fait partie de la flotte de véhicules d’un hôtel ? Même indépendamment de tout contexte, certains cas sont plus difficiles à déterminer comme le statut d’une cuisine équipée, d’un ascenseur ou d’un escalier, d’une pompe à essence, d’un terril, d’une grue portuaire ancrée dans le sol mais avec une possibilité de mouvement fonctionnel limité, ou encore d’un chapiteau de cirque. On le voit, une question simple en apparence peut soulever de nombreuses difficultés qui justifient qu'une série de règles distinguent précisément ces deux catégories de biens. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 15 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 En règle, le principe est celui du caractère résiduel de la catégorie des biens meubles : sont meubles tous les biens qui ne sont pas des immeubles tels que définis par la loi (art. 3.46 c.civ.). Biens immeubles Seuls les biens immeubles sont donc définis par la loi qui distingue trois catégories de biens immeubles : les biens immeubles par nature et par incorporation, les immeubles par destination et les immeubles par leur objet. 1) Les immeubles par nature et par incorporation La loi consacre la notion de réalité tridimensionnelle de la propriété immobilière : « Sont immeubles par leur nature, les fonds de terre et les divers volumes les composant, déterminés en trois dimensions. Sont immeubles par incorporation, tous ouvrages et plantations qui, s’incorporant aux immeubles par nature, en constituent une composante inhérente. Sont aussi immeubles par incorporation, les composantes inhérentes de ces ouvrages et plantations, que ces composantes inhérentes soient incorporées ou non » (art. 3.47 c.civ.). La définition d’une propriété immobilière en trois dimensions implique que le bien immeuble ne se limite pas au sol et aux constructions et plantations présentes en sursol et en sous-sol, mais comprend également les volumes en hauteur et en profondeur, ainsi que les ouvrages et autres matériaux présents dans ces volumes au-dessus et endessous du sol. Les biens immeubles par nature et par incorporation désignent le sol, les bâtiments et végétaux, ainsi que tous les biens fixés au sol ou à un bâtiment qui ne pourraient en être détachés sans détérioration. Sont des immeubles par nature : les fonds de terre, de même que tous les biens incorporés ou fixés au sol ou à un bâtiment de manière durable soit naturellement (forêts, vergers, haies, etc.), soit par un travail de l’homme (constructions diverses : bâtiments, ponts, châteaux d’eau, réseaux de distribution d’énergie, etc.). La notion d’immeuble par incorporation inclut tout ce qui est destiné à rester attaché à l’immeuble de manière durable et habituelle : l'incorporation dans un sol ou dans un bâtiment constitue le critère essentiel de distinction entre les biens meubles et immeubles par nature. L'incorporation consiste à attacher un bien meuble dans un bien immeuble d'une façon suffisamment permanente pour que le détachement ne puisse intervenir sans provoquer de détérioration (maçonner une brique, fixer une canalisation dans un mur, etc.). Exemples : Une chaudière, une cuisine équipée ou des panneaux photovoltaïques sont des biens immeubles parce qu'ils ont été incorporés dans un bâtiment, leur détachement provoquant nécessairement une détérioration de l’immeuble. Le critère de fixité est un élément essentiel de la notion d'incorporation, même si certains déplacements fonctionnels limités ne portent pas atteinte à la qualification d'immeuble par incorporation. La loi consacre une approche fonctionnelle de l’incorporation : au critère physique de l’incorporation s’ajoute un critère fonctionnel, le bien meuble devenant immeuble s’il est essentiel à l’immeuble. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 16 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Exemples : Une grue portuaire ancrée sur des rails eux-mêmes incorporés au sol et permettant à la grue d’effectuer certains déplacements fonctionnels, constitue un immeuble par nature. L’immobilisation par incorporation s’étend aux composantes inhérentes des ouvrages et plantations incorporés : sont ainsi visés les panneaux photovoltaïques. 2) Les immeubles par destination Les immeubles par destination sont des biens meubles que la loi répute fictivement immeubles en raison de leur affectation au service d’un bien immeuble. Les immeubles par destination font partie de la catégorie générique des accessoires d’un bien immeuble (art. 3.47, al. 4, c.civ.). Une condition essentielle doit être remplie pour que des biens puissent être qualifiés d’immeubles par destination : il faut qu’il y ait une identité de propriétaire. Ainsi, les accessoires et l’immeuble auquel ils sont affectés doivent appartenir à la même personne : « Dans la mesure où ils appartiennent à la même personne, un bien est l’accessoire d’un autre bien, soit s’il lui est attaché ou placé à demeure, soit s’il est mis au service de l’exploitation ou de la sauvegarde de ce bien principal » (art. 3.9 c.civ.). Sont notamment des immeubles par destination : - Les biens accessoires affectés à l’exploitation économique d’un immeuble, pour autant qu’ils aient été aménagés de façon à révéler aux tiers cette exploitation. Exemples : Un camion peut devenir un immeuble par destination, s'il est utilisé pour l'exploitation d'un bien immeuble (par exemple, un camion utilisé pour exploiter une carrière de pierres) : l'idée essentielle est d'avoir ainsi une seule nature juridique (des immeubles) et donc un seul corps de règles (les règles applicables aux immeubles) pour un groupe de biens qui sont utilisés ensemble (la carrière et le camion constituent ensemble une seule activité économique). Il en est de même pour les chevaux de manège appartenant à l’exploitant du club d’équitation ; des vaches laitières et le matériel agricole affectés à la ferme ; ainsi que pour le mobilier, la lingerie et la vaisselle d’un hôtel ; les œuvres composant la collection permanente d’un musée ; les vélomoteurs utilisés pour les livraisons d’un restaurant ; l’équipement industriel (presses d’une imprimerie, par exemple), etc. - Les biens accessoires installés dans un immeuble de façon permanente. Exemples : Une urne funéraire scellée dans une sépulture ; la statue installée dans une alcôve conçue sur mesure dans le mur du château ; une cuisine équipée ; une bibliothèque « sur mesure » encastrée ; l’aménagement d’une salle communale (plancher, luminaires) ; les moulures en plâtre d’un plafond ; un miroir fixé dans le plafonnage ; un escalier, etc. 3) Les immeubles incorporels Les immeubles incorporels désignent les droits et les actions, tant réels que personnels, portant sur des biens immobiliers (art. 3.49 c.civ.). Exemples : L’action possessoire. Les droits réels de servitude, superficie, emphytéose, hypothèque, ainsi que les droits de propriété, copropriété et usufruit lorsqu’ils portent sur un immeuble. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 17 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 L’action en revendication d’un bien immeuble. Biens meubles La loi ne contient pas de définition des biens meubles qui constituent la catégorie par défaut (art. 3.46 c.civ.). On peut distinguer trois catégories de biens meubles : 1) Les meubles par nature Les biens meubles par nature désignent tous les biens qui ne sont pas des biens immeubles. Exemples : Les billets de banque, les œuvres d’art, les animaux (à l’exclusion de ceux qui sont des immeubles par destination), les végétaux non incorporés au sol (pollen, semences, etc.), les objets, le gaz, l’électricité, les matériaux de construction avant assemblage ou après démolition, etc. 2) Les meubles par anticipation Les biens meubles par anticipation sont des biens immeubles par nature que les parties à un contrat considèrent fictivement comme déjà détachés du sol, par une projection dans le temps. La loi vise précisément la mobilisation par anticipation résultant d’une cessation de l’immobilisation par incorporation par la volonté des parties : « Les parties peuvent convenir de considérer anticipativement le bien comme un meuble, en raison de son futur détachement dans un délai économiquement et techniquement raisonnable » (art. 3.48 c.civ.). Exemples : La vente d’arbres avant abattage, la vente d’une production de fruits d’un verger, la pierre à extraire d’une carrière ou le minerai à extraire du sol, le produit d’un gisement pétrolier, les matériaux à provenir d’un immeuble qui doit être démoli, etc. Par contre, le bien qui est temporairement détaché de l’immeuble, par exemple pour être réparé, reste un bien immeuble. 3) Les meubles incorporels Les meubles incorporels désignent les droits et actions, réels ou personnels, portant sur des biens meubles. Exemples : Le droit réel de gage, ainsi que les droits de propriété, copropriété et usufruit lorsqu’ils portent sur un bien meuble. L’action en revendication d’un bien meuble. B. Effet de la distinction sur la règle de droit 1. Publicité foncière Les biens immobiliers représentent, en raison de leur valeur économique, une part bien souvent importante du patrimoine des personnes physiques. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 18 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 La loi a voulu sécuriser les transactions portant sur des immeubles en imposant un régime de traçabilité et de centralisation des principales données juridiques concernant les biens immeubles et en les soumettant à des mesures de publicité. Ces mesures de publicité sont désignées par le terme générique de publicité foncière (onroerende publiciteit). La publicité foncière est un formalisme qui prévoit que toutes les mutations immobilières, ainsi que divers actes et actions en justice portant sur un bien immeuble doivent être mentionnées dans les registres du bureau compétent de l’Administration générale de la Documentation patrimoniale (bevoegde kantoor van de Algemene Administratie van de Patrimoniumdocumentatie), anciennement appelé Registre de la conservation des hypothèques. La fonction sociale de la publicité foncière est d’informer les tiers intéressés (notamment par la solvabilité du propriétaire de l’immeuble), en leur permettant de vérifier : 1° La propriété d’un bien immeuble ou l’existence d’une servitude ou d’un autre droit réel immobilier. Tous les actes constitutifs, translatifs ou déclaratifs de droits réels immobiliers, ainsi que certains jugements portant sur des immeubles doivent être transcrits intégralement dans les registres de l’Administration générale de la Documentation patrimoniale (art. 3.30, § 1er c.civ.). Donnent lieu à transcription, notamment : L’acte de vente ou de donation d’un bien immeuble. L’acte de vente ou de donation d’un usufruit portant sur un immeuble. L’acte qui accorde un droit de préemption ou un droit d’option sur un immeuble. Le pacte de maintien d’indivision (maximum 5 ans). L’acte d’hérédité constatant qu’une personne a hérité d’un immeuble. Les baux de plus de 9 ans et baux à vie portant sur un immeuble. L’acte constitutif d’une servitude (de passage, par exemple). Le bail emphytéotique ou le contrat constitutif d’un droit de superficie. Le jugement tenant lieu d’acte authentique de vente d’un immeuble. La transcription suppose un acte authentique (un jugement ou un acte passé devant un notaire) (art. 3.31 c.civ.). 2° Les actions en justice portant sur le bien immeuble doivent faire l’objet d’une mention marginale dans les registres de l’Administration générale de la Documentation patrimoniale, en vue d’avertir les tiers qu’une demande en justice menace l’immeuble. Doivent faire l’objet d’une mention marginale, notamment : L’action en annulation d’une vente d’immeuble. L’action en révocation d’une donation d’un immeuble. L’action en réduction d’une donation immobilière. L’action paulienne portant sur un immeuble. L’action en suppression d’une servitude conventionnelle. L’état d’endettement du bien immeuble peut également être vérifié, les privilèges et les hypothèques devant être inscrits dans le registre des inscriptions. A l’inverse, les actes d’aliénation et les actions en justice portant sur des biens meubles ne sont soumis à aucune mesure de publicité. DROI-C-1002_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 19 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 2 Effet de la publicité foncière : formalisme de publicité La transcription (overschrijving) dans les registres de l’Administration générale de la Documentation patrimoniale a pour effet de rendre l’acte juridique opposable aux tiers qui sont censés en connaître l’existence : la sanction du défaut de transcription est l’inopposabilité aux tiers (art. 3.30, § 2, c.civ.). Le formalisme de publicité doit être distingué du formalisme de protection de la volonté : - Le formalisme de protection de la volonté également appelé formalisme de solennité, conditionne la validité du contrat : le non-respect de ce formalisme de solennité entraine la nullité du contrat. - Le formalisme de publicité ne constitue pas une condition de validité de l’acte mais a pour but de le rendre opposable aux tiers. Le formalisme de publicité n’affectant pas la validité du contrat, les contrats constitutifs, translatifs ou déclaratifs de droits réels immobiliers créent des effets juridiques qui lient les parties dès leur conclusion, dans les formes prévues par la loi. En revanche, ces mêmes contrats doivent faire l’objet d’une publicité foncière : à défaut du respect de ce formalisme de publicité, le contrat valablement constitué sort ses effets entre les parties mais n’existe pas pour les tiers : la sanction du non-respect de la mesure de publicité foncière est l’inopposabilité aux tiers. Les tiers ne sont pas censés connaître les actes de mutation portant sur des immeubles passés entre les parties. Pour cette raison, le législateur a prévu que les actes concernant des immeubles ne sont opposables aux tiers qu’à la condition que le formalisme de publicité foncière soit respecté : pour qu'un acte soit opposable aux tiers, il faut que c

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