Chapitre 2 Histoire de la pensée économique (2) PDF

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Clément HENRAT

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This document, which appears to be chapter 2 of a larger work, discusses the history of economic thought, focusing on the contributions of John Maynard Keynes and exploring the evolving field of macroeconomics. The author, Clément Henrat, presents an overview by contrasting macroeconomics with microeconomics and highlighting key concepts.

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Clément HENRAT R U O ap uc in e C Chapitre 2 SI Copyright ER Ex em pl ai re de C Histoire de la pensée économique (2) : Objectifs du chapitre uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI la science économique contemporaine, de Keynes aux mod...

Clément HENRAT R U O ap uc in e C Chapitre 2 SI Copyright ER Ex em pl ai re de C Histoire de la pensée économique (2) : Objectifs du chapitre uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI la science économique contemporaine, de Keynes aux modèles DSGE C ap - Connaître précisément la pensée de Keynes, et les éléments constitutifs de la révolution re de théorique (1) et méthodologique (2) dont il est à l’origine. Ex em pl ai - Retenir que la pensée de Keynes a donné naissance à des interprétations différentes voire SI ER contradictoires, et à d’importants conflits entre les économistes se réclamant de Keynes. - Retenir qu’après la pensée keynésienne, la nouvelle économie classique (NEC) a opéré uc in e C O U R une seconde révolution scientifique fondée sur la rationalité, le retour à la microéconomie, et un approfondissement sans précédent de la formalisation mathématique. ap - Apprendre à ficher, retenir et mobiliser de très nombreux auteurs, le chapitre C O U R SI ER Ex em pl ai re de C contenant plus de 200 références académiques. !1 Copyright INTRODUCTION Macroéconomie et microéconomie : quelles différences ? ap uc in e O C - La microéconomie désigne une « approche qui se propose d’expliquer les phénomènes économiques U R SI A première vue, il s’agit de deux branches de la science économique assez opposées : uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C à partir du comportement des unités de base de la société » (Guerrien & Gun, Dictionnaire de l’analyse économique, 2012). Elle a véritablement émergé avec les néoclassiques au XIXe siècle, et se donne donc pour objectif, comme le rappelle Ragnar Frisch, d’étudier le comportement des agents à l’échelle individuelle : « l’analyse micro-dynamique essaie d’expliquer en détail le comportement d’une section de l’immense mécanique d’ensemble de l’économie » (Frisch, « Propagation Problems and the Impulse Problems in Dynamic Economics », 1933). La microéconomie s’intéresse par conséquent à tout ce qui, de près ou de loin, analyse du comportement individuel des agents économiques dans un contexte de rareté des ressources plus ou moins grande. Ses thèmes d’étude privilégiés sont donc : le marché (où les comportements des agents se rencontrent, que le raisonnement soit en équilibre partiel ou en équilibre général), la structure de ces marchés (plus ou moins concurrentielle), le consommateur (pourquoi et comment consomme-t-il ?), le producteur (comment le producteur, en tant qu’agent économique, produit-il, avec quels facteurs ?), etc. Pour ce faire, la microéconomie utilise de nombreux outils : certains sont anciens comme par exemple le raisonnement à la marge (utilité marginale, productivité marginale, etc.) et d’autres plus récents : la théorie des jeux notamment, qui modélise les comportements stratégiques des agents et leurs interactions en fonction de l’information plus ou moins bonne dont ils disposent. C ap - La macroéconomie, quant à elle, se concentre non pas sur l’individu mais sur les ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de phénomènes économiques d’ensemble : comme le chômage, les inégalités, la croissance économique, l’inflation, etc. Plus précisément, si l’on se réfère aux travaux de Woodford (« Evolution and Revolution in the Twentieth-Century Macroeconomics », 1999) ou à ceux d’Olivier Blanchard (« What do we know about Macroeconomics that Fisher and Wicksell did not », Quarterly Journal of Economics, 2000), la macroéconomie contemporaine pourrait se définir comme le domaine de la science économique consacré à l’étude des fluctuations économiques. Si cette première définition est cohérente avec la macroéconomie académique récente, elle souffre pourtant d’une « myopie historique » selon Michel De Vroey (Keynes, Lucas : d’une macroéconomie à l’autre, 2009). En effet, pendant longtemps, la macroéconomie s’est d’abord définie comme l’étude du chômage : Azariadis écrivait même en 1987 (« Implicit contracts » in The New Palgrave. A dictionnary of Economics) que « le chômage involontaire est pour beaucoup d’économistes le sine qua non de la macroéconomie moderne ». De même, limiter la définition de la macroéconomie à l’étude des fluctuations supposerait d’exclure de nombreux modèles : par exemple, le modèle IS-LM étudié dans ce chapitre. C’est pourquoi la définition pionnière et plus générale de Ragnar Frisch (op. citatum), qui fut le premier à emploi le terme de « macro » semble plus adéquate : « l’analyse macrodynamique essaie de rendre compte du système économique pris dans son ensemble » pl em Ex ER SI R U O C Clément HENRAT !2 Clément HENRAT R U O Méthodologie - RAPPELS de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C Ainsi, la microéconomie et la macroéconomie seraient, dans une certaine mesure, à opposer puisque leurs objets diffèrent (elles n’étudient pas la même chose) tout comme leur niveau d’analyse (individuel pour la micro, ou collectif pour la macro). Mais très vite, la question qui se pose est celle du passage d'un niveau d’analyse à l’autre. En ce sens, si l’on pense la macroéconomie comme l'étude du « système pris dans son ensemble », faut-il, pour étudier ce système dans son ensemble, se contenter d’agréger (d’additionner) les comportements microéconomiques des agents ? Ou bien faut-il penser que le niveau macroéconomique, c’est-àdire l’interaction entre les grands agrégats, est mu par ses propres logiques, donc que le niveau « macro » ne saurait s’assimiler purement à l’agrégation des comportements individuels des agents étudiés au niveau « micro » ? Ces deux visions radicalement différentes seront particulièrement clivantes entre les économistes, nous le verrons. A titre indicatif, Keynes, dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936, avait justement voulu construire la macroéconomie par opposition aux théories néoclassiques qui se résumaient selon lui à l’étude de cas particuliers de l’économie, et qui étaient incapables de rendre compte des phénomènes majeurs tels que le chômage. Pour Keynes, les phénomènes macroéconomiques ne sont pas résumables à la somme des phénomènes individuels. D’autres économistes s’y opposeront, en considérant que si l’on veut faire de la macroéconomie, il suffit de faire de la microéconomie et de généraliser les résultats obtenus. SI Copyright pl ai re Dans l’introduction d’une dissertation, il est indispensable de : Ex em - Définir clairement les termes du sujet, notamment les termes techniques tels que SI ER « microéconomie » ou « macroéconomie ». U R - Mais ce qui distinguera surtout votre copie, tient à la précision de votre définition, ap uc in e C O notamment à votre capacité à la référencer (avec un auteur précis), voire à utiliser une citation exacte précisant la principale acception du terme employé dans l’intitulé. de C - Enfin, problématiser le sujet suppose notamment de distinguer plusieurs acceptions C O U R SI ER Ex em pl ai re pour un même terme : ce cours vous aidera donc grandement à mieux réfléchir au sujet en vous proposant très souvent plusieurs sens, explicités et référencés, sur les termes clés du programme, et en cohérence avec l’économie universitaire. !3 Copyright - SECTION 1 - ap uc in e C O U R SI Keynes : « le plus grand économiste du monde » pl ai re de C Objectifs de la section 1 ER Ex em - Retenir que la notion de « révolution keynésienne » se fonde sur QUATRE arguments. - Retenir que Keynes renouvelle radicalement la méthodologie de la science économique, à R SI travers TROIS nouveautés de méthode(s). C O U - Retenir que Keynes renouvelle les principales conclusions théoriques jusqu’alors C ap uc in e consensuelles en économie, notamment à travers le rôle de la demande, sa conception de la monnaie, et l’importance de l’intervention de l’Etat en temps de crise. de - Comprendre que la pensée keynésienne a donné naissance à plusieurs interprétations, et à Ex em pl ai re une distinction entre DEUX Keynes : le Keynes « pragmatique » (peu révolutionnaire) et le Keynes « radical » (très opposé à la pensée néoclassique). ER - Savoir que cette distinction est au fondement de la diversité des écoles de pensées ayant ap uc in e C O U R SI succédées à Keynes, et de l’opposition entre l’économie orthodoxe et hétérodoxe. Ex em pl ai re de C 1. La « révolution » keynésienne en question : de profondes ruptures et certaines continuités avec la théorie néoclassique SI ER 1.1. Eléments introductifs : provenance et enjeux du terme de « révolution keynésienne » em pl ai re de C ap uc in e C O U R « Révolution » : c’est d’abord Keynes qui utilisa cette formule pour qualifier luimême son œuvre. Il déclara ainsi : « je crois que je suis en train d'écrire un livre de théorie économique qui révolutionnera largement - probablement pas tout de suite, mais au cours des dix prochaines années, la façon dont le monde envisage les problèmes économiques » (Keynes, 1935). Le terme de « révolution keynésienne » fut en revanche popularité par l’ouvrage de L. Klein dans son ouvrage de 1946 : La Révolution Keynésienne. Dans le terme de révolution, il y a avant tout l’idée d’une rupture complète, tel que le suggère le concept de « révolution scientifique » à la Kuhn (1962). La « révolution keynésienne » constitue, semble-t-il, la première véritable révolution scientifique dans l’histoire de la pensée économique, ou du moins un événement très proche de ce que Kuhn voyait comme une révolution. La « révolution » marginaliste n’en fut pas vraiment une au sens de Kuhn. Ex ER SI R U O C Clément HENRAT !4 pl ai re de C ap uc in e C O U R SI Copyright Le célèbre historien de la pensée économique Mark Blaug (La pensée économique, 1998) considérait lui-aussi qu’il y avait eu une « révolution keynésienne », s’observant par 4 aspects : - Premièrement : le raisonnement sur les grands agrégats, preuve que l’on a vraiment à faire à un raisonnement macroéconomique. Dans la Théorie Générale, plusieurs formules montrent bien que le raisonnement doit se faire au niveau de la macro et qu’elle n’est pas une simple addition des comportements micros. Pour Keynes, la science économique aurait jusqu’ici commis beaucoup d’erreurs, et c’est dans l’absence de lien entre les niveaux micro et le macro - en étudiant donc la spécificité des interactions macroéconomique, que Keynes espère faire progresser la science économique. Cette absence de lien systémique entre le micro et le macro est appelé le « no bridge ». Ex em - Deuxièmement : la prise en compte du court terme, contrairement aux classiques et aux in e C O U R SI ER néoclassiques qui raisonnent souvent à long terme. Keynes écrira même : « Le long terme est un horizon peu intéressant. A long terme, nous serons tous morts. Les économistes s’adonnent à une tâche beaucoup trop facile si en pleine tempête, tout ce qu'ils trouvent à dire c'est qu'une fois que l'orage sera passé, la mer redeviendra calme ». ap uc - Troisièmement : l’idée que sur les marchés, les ajustements se font plus souvent par les pl ai re de C quantités que par les prix : rupture avec la théorie néoclassique qui insiste sur l’ajustement par les prix. Ex em - Quatrièmement : l’existence possible d’un équilibre de sous-emploi, c’est-à-dire une ap uc in e C O U R SI ER situation ou les marchés (notamment des biens et services) sont équilibrés, mais pas le marché du travail, ou des chômeurs qui pourtant voudraient travailler n’arrivent pas à être embauchés (nous reviendrons sur cette notion). em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C Néanmoins, ces 4 aspects « révolutionnaires » ne doivent pas laisser penser que Keynes a tout inventé. Dans sa Théorie Générale, on trouve ainsi des analyses et des résultats qui ont été développé dans les années 1920, notamment par des économistes suédois : Beaud et Dostaler (La Pensée économique depuis Keynes, 1996) montrent que Keynes utilise ainsi les travaux de Wicksell ou d’Ohlin. De même, ils montrent que Keynes va reprendre un certain nombre d’idées très anciennes : il fait l’éloge des scolastiques, il avoue une certaine considération pour les mercantilistes, ou même pour Malthus qui avait vu, selon lui, les risques d’une insuffisance de la demande. C’est pourquoi à propos de la parution de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Beaud et Dostaler vont parler d’un « produit collectif » : l’influence et la portée révolutionnaire de ce livre s’expliquent en partie par le fait que Keynes a eu la chance d’écrire au bon moment, au bon endroit et surtout dans la bonne langue. Dostaler (« La théorie postkeynésienne, la Théorie Générale et Kalecki », 1988) insiste ainsi sur le fait qu’il n’y a pas de « surhomme » faisant des découvertes spectaculaires en science économique, contrairement à d’autres domaines : il ne faut pas céder à l’idée que Keynes aurait tout découvert. La grandeur d’un économiste, en particulier celle de Keynes, est souvent de parvenir à faire des liens entre des théories déjà existantes, sur la base d’intuitions, afin de produire in fine des raisonnements en effet nouveaux. Ex ER SI R U O C Clément HENRAT !5 Copyright 1.2. Une révolution méthodologique débouchant sur une nouvelle conception de l’agent économique et du marché em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e R U O C L’objectif de l’économie pour Keynes est d’abord pratique : elle n’a d’intérêt que si elle intervient sur le fonctionnement de la cité, et doit être au service d’un projet de transformation de la société. Sa vision de l’économie est donc celle d’une « science diagnostique » selon les mots de Hoover (« Doctor Keynes : economic theory in a diagnostic science », 2006), visant à résoudre des problèmes pratiques comme les crises, le chômage, les inégalités, etc. Keynes expose cette vision de l’économie dans une conférence de 1928 (qui deviendra un ouvrage en 1930) intitulée : « Perspectives économiques pour nos petits-enfants ». Il en profite pour dire que selon lui, sauf à ce que le monde connaisse une croissance démographique extrême ou une nouvelle guerre, le « problème économique » de la rareté et de l’insatisfaction des besoins humains sera résolu dans le siècle à venir. Autrement dit, de manière optimiste, il prévoit que l’économie capitaliste va permettre au monde dentier d’accéder au développement économique, et que la rareté des richesses ne sera pas le problème permanent de l’espèce humaine. Pour Keynes, l’humanité va donc se trouver privée de son occupation habituelle : la lutte pour la reproduction, pour la satisfaction des besoins. Mais cet optimisme est accompagné d’une inquiétude quant à la réadaptation de l’humanité face à ce développement économique continu : que va-t-on faire quand on ne sera plus obligés de travailler tout le temps ? Que va-t-on faire de tout ce temps ? SI 1.2.1. Une nouvelle conception de la science économique SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex Après ces considérations, Keynes opère une critique de l’irréalisme des hypothèses néoclassiques. Ce que Keynes remet en cause n’est pas la cohérence de cette théorie mais bien l’irréalisme des hypothèses. Pour Keynes, pour rendre compte du fonctionnement de l’économie, il faut être particulièrement doué en termes d’observations empiriques pour choisir le bon modèle. Ainsi, si la science procède toujours en construisant des modèles plus ou moins éloignés de la réalité, les néoclassiques n’ont, selon Keynes, pas fait le choix du bon modèle, car l’observation empirique du capitalisme impose de choisir un modèle qui ne fasse pas abstraction des institutions (i.e. de l’Etat, des lois, des normes, des traditions, des conventions sociales etc.). Autrement dit pour Keynes, l’économie ne doit pas intégralement être séparée de l’éthique et de la philosophie : l’économiste ne doit pas être seulement un bon mathématicien. O U R 1.2.2. Un nouveau cadre de raisonnement : l’économie monétaire de production em pl ai re de C ap uc in e C Keynes distingue plusieurs types d’économie, en expliquant que le capitalisme doit être différencié de l’économie communiste, de l’économie coopérative et de l’économie d’échanges réels. Or, pour Keynes, la monnaie est au coeur du fonctionnement de l’économie capitaliste : elle est nécessaire pour produire, pour les échanges, pour la spéculation, pour l’accumulation etc. Le capitalisme est donc pour Keynes une « économie monétaire de production », et c’est bien parce qu’il manque aux théories classiques et néoclassiques une véritable théorie monétaire de la production que ces économistes sont incapables d’expliquer les crises. Ces économies monétaires de production (EMP) possèdent trois grandes caractéristiques : Ex ER SI R U O C Clément HENRAT - Ce sont des économies monétaires : cela signifie que la monnaie n’est pas qu’un intermédiaire des échanges, qu’un voile, comme chez les classiques et néoclassiques. !6 Copyright ap uc in e C - Ce sont des économies de production. Ce qu’il faut placer au cœur d’étude économique O U R SI Pour Keynes, on ne peut pas étudier séparément les grandeurs réelles (croissance, emploi etc.) et les grandeurs monétaires (quantité de monnaie en circulation etc.). Par conséquent, la monnaie chez Keynes n’est pas neutre : les agents peuvent la demander (vouloir en posséder) pour elle-même, par exemple par précaution ou tout simplement pour en accumuler. Et cela a des conséquences notables sur l’économie, qui ne sont pas étudiées par les classiques et néoclassiques. O U R SI ER Ex em pl ai re de C est donc l’entrepreneur. Pour Keynes, comme pour Schumpeter, c’est l’entrepreneur qui impulse la dynamique du circuit économique, et il faut prendre très au sérieux les anticipations de ces entrepreneurs à partir desquelles sera déterminée la quantité qu’ils souhaitent produire et donc la croissance. A l’inverse, dans la théorie néoclassique de base du XIXe siècle, il n’y a pas d’entrepreneur : seulement des agents économiques associant des facteurs de production pour maximiser leur profit (on parle d’entreprise comme « boite-noire »). Keynes rompt donc aussi avec cet aspect. in e C - Enfin les EMP sont des économies marquées par l’incertitude radicale. L’incertitude C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc radicale peut être définie comme une situation ou il est totalement impossible pour l’agent économique de savoir de quoi l’avenir sera fait : il n’est pas capable de probabiliser la survenue d’un ou plusieurs évènements futurs. On doit à Knight (Risk, Uncertainty and Profit, 1921) cette distinction entre ce qui est probabilisable dans l’avenir (= le risque) et ce qui ne l’est pas (= l’incertitude). Malgré cette incertitude, il faut malgré tout agir pour Keynes : il faut partir du principe que le futur a toutes les chances de ressembler au présent : « le présent est un bon guide pour l’action » (Keynes, Théorie Générale, 1936). Keynes ajoute dans le chapitre 12 de la Théorie Générale, que les agents économiques partent du principe que leur voisin est un peu mieux informé qu’eux, et qu’ils s’appuient ainsi systématiquement sur le jugement des autres pour agir eux-même. Ainsi, dans une EMP, il vaut mieux prendre des décisions - par exemple pour spéculer, allant dans le même sens que tout le monde : « il vaut mieux avoir tort avec le marché que raison contre lui » écrit Keynes. En effet, pour un agent pris isolément c’est la meilleure des stratégies : c’est rationnel, même si au niveau collectif cela peut avoir un effet catastrophique. Les EMP sont donc caractérisées par des comportements dits « moutonniers ». ap uc in e 1.2.3. Une nouvelle conception des agents économiques : rationalité et « marché-foule » em pl ai re de C On voit donc que Keynes conçoit de manière nouvelle la rationalité et ses conséquences sur les marchés (notamment sur les marchés financiers mais pas uniquement). Les premières réflexions de à ce sujet datent de 1921 avec la parution de son Traité sur les probabilités. Keynes produit une véritable théorie du comportement de l’agent économique, en considérant qu’il est doté d’une certaine rationalité que Keynes qualifie de non-calculatoire et d’intuitive. Ayant lu Freud, il reprend de Freud l’idée que pour expliquer les comportements des agents, on doit tenir compte des pulsions, de la libido, et de tous les aspects qui peuvent sembler irrationnels. C’est alors que Keynes parle d’esprits animaux des agents économiques : les agents ont parfois un besoin spontané d’agir qui provient de la part animale de l’être humain. Pour Ex ER SI R U O C Clément HENRAT !7 Clément HENRAT SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e R U O C Cette nouvelle conception de l’agent nous donne une conception complètement différente du marché : c’est bien parce que l’agent est différent que la conception du marché va être différente aussi. Chez Keynes, le marché se comporte comme une foule. C’est une foule irrationnelle : le marché chez Keynes n’est pas une somme d’individus additionnés, mais une entité autonome qui est soumise à des mouvements de panique, des comportements mimétiques, etc. Dans le chapitre 12 de sa Théorie générale, il utilise ainsi une célèbre métaphore : la métaphore du concours de beauté. Keynes décrit ainsi un concours où le but n’est pas de voter pour les plus beaux visages féminins, mais de découvrir quels seront les plus beaux visages désignés par l’ensemble des lecteurs : donc l’objectif du concours est d’anticiper les votes des autres participants. Pour Keynes, ce mécanisme est le même sur les marchés financiers : les agents se demandent quels sont les titres qui vont être achetés par les autres et dont la valeur va donc augmenter, et agissent en conséquence. Ainsi, sur les marchés financiers, il va y avoir succession de conventions haussières (= des agents qui parient à la hausse) jusqu’à ce que cette convention se lézarde et finisse par s’inverser : tout le monde se met à vendre ses titres. Ce qui était rationnel à un moment (continuer à acheter des titres si l’on croit que leur valeur, même déjà très haute, va continuer à augmenter), devient ensuite et brutalement irrationnel. Keynes écrira ainsi : « le développement du capital devient le sous-produit de l’activité d’un casino » (1936). SI Keynes, la rationalité utilisée par la théorie néoclassique est donc trop forte, et a surestimé la rationalité réelle des agents. Ainsi, la rationalité chez Keynes est très proche de ce que Herbert Simon appellera une rationalité « limitée » ou « procédurale ». U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R Dès lors, on voit bien que les agents économiques ne sont pas rationnels au sens néoclassique du terme chez Keynes. Et en même temps, même s’ils l’étaient, des agents qui seraient purement rationnels isolément ont tendance à devenir irrationnels lorsqu’on les rassemble, du fait de ces effets de foule sur les marchés. Nous avons ici une parfaite illustration d’un raisonnement macroéconomique dans lequel la simple somme des rationalités individuelles (ce qui est le mieux pour chaque agent) ne débouchera pas sur une rationalité collective (ce qui est mieux pour l’ensemble de la société). Pour Keynes, cette dissociation entre rationalité individuelle et rationalité collective signifie qu’il va falloir injecter de la rationalité au niveau collectif… et cela passe par l’intervention de l’Etat. uc in e C O 1.2.4. Néanmoins, une méthodologie ayant les empreintes de Marshall voire de Walras U R SI ER Ex em pl ai re de C ap D’après Michel de Vroey (Keynes, Lucas : d’une macroéconomie à l’autre, 2009), l’oeuvre de Keynes n’est pas aussi radicalement opposée à la théorie néoclassique, donc notamment à Marshall et à Walras. En effet, Keynes a été un élève et un disciple de Marshall et reprend sa méthodologie. En même temps, Keynes souhaite raisonner d’un point de vue macroéconomique, notamment pour étudier l’interactions entre les différents marchés : or, cela rejoint une vision d’équilibre général typiquement walrasienne. Patinkin, grand économiste du 20e siècle, écrivait ainsi en 1987 : « l’analyse que l’on trouve dans la Théorie générale est essentiellement celle de l’équilibre général. La voix est celle de Marshall, mais les mains sont celles de Walras » C O Copyright !8 Copyright 1.3. Une nouvelle analyse du fonctionnement de l’économie Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e R U O C Lorsque Keynes parle de demande effective, ce qu’il a en tête désigne une demande anticipée. Il écrit ainsi que la demande effective : « c’est le montant du produit attendu ». La demande effective est donc la demande que les entreprises et surtout les entrepreneurs anticipent sur un marché, en vue de produire. Dans cette logique, c’est la demande anticipée qui va conditionner l’offre : c’est donc une vision inverse par rapport à la loi de Say ou l’offre conduit à une demande. Keynes inverse donc cette logique. Par ailleurs, pour Keynes, cette demande anticipée n’a aucune raison particulière d’être suffisante pour permettre le plein-emploi. Ce n’est que dans un cas particulier que la demande effective se trouverait associée au plein-emploi pour Keynes. En effet, les agents économiques vont avoir tendance a d’abord considérer que le futur va ressembler au présent : les anticipations sont plutôt pessimistes (c’est plutôt la méfiance qui domine), et donc les entrepreneurs ont tendance à anticiper une demande parfois plus faible, et donc à produire un peu moins, justifiant l’idée que cette demande anticipée et la production qui en résulte ne garanti pas nécessairement le plein-emploi. En plus, le mimétisme empire ce phénomène : si les entrepreneurs observent que les autres entrepreneurs n’investissent pas pour répondre à la demande effective, ils ont toutes les bonnes raisons de faire la même chose ! Par conséquent, en plaçant la demande au centre de sa conception de l’économie, Keynes remet non-seulement en cause la logique de la loi des débouchés, mais aussi l’optimisme des classiques et des néoclassiques qui ne voient pas la possibilité d’un chômage de masse indépendant de la volonté des individus. Dès lors, Keynes propose la notion, assez vague, de « chômage involontaire », qui serait ce chômage résultant d’une insuffisance de la demande anticipée par les entrepreneurs. Involontaire signifie que de nombreux travailleurs seraient prêt à travailler au salaire proposé sur le marché du travail, mais qu’il n’y a tout simplement pas assez de travail pour tous. Les entreprises n’expriment pas suffisamment de demande de travail par rapport à l’offre de travail (des salariés). SI 1.3.1. Le principe de la demande effective, critique de la loi de Say et chômage involontaire SI ER 1.3.2. Le déterminants de l’investissement : taux d’intérêt et efficacité marginale du capital em pl ai re de C ap uc in e C O U R Pour Keynes, il existe deux déterminants de l’investissement. Le premier déterminant majeur est la comparaison, effectuée par les entrepreneurs, entre le taux d’intérêt (noté i) et l’efficacité marginale du capital (notée Emc), autrement dit la comparaison entre ce que rapporterait, à un entrepreneur, un placement de son argent (le taux d’intérêt) et ce que lui rapporterait un investissement dans l’économie réelle (l’efficacité marginale du capital). Il y a donc un investissement de réalisé par les entreprises dans l’économie réelle (comme l’achat de nouvelles machines pour augmenter la production, par exemple) que si ce qu’il peut rapporter (l’efficacité marginale de cet investissement) est supérieure au taux d’intérêt. Pour qu’il y ait investissement, il faut donc que : Emc > i. Le deuxième déterminant est « l’état de confiance » des entrepreneurs. En effet, l'efficacité marginale du capital est bien un taux de profit anticipé sur l'investissement, difficile à estimer car les décisions d'investir sont prises par les entrepreneurs dans un climat d'incertitude (= non probabilisable, nous l’avons vu). Selon Keynes, les anticipations de rendements Ex ER SI R U O C Clément HENRAT !9 em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI Copyright dépendent donc en grande partie des « esprits animaux » des entrepreneurs (c’est-à-dire de leur dynamisme naturel), donc de facteurs psychologiques et non du seul calcul rationnel. Au regard de ces deux déterminants, on peut voir qu’il y a deux manières possibles pour qu’une crise apparaisse chez Keynes : d’une part (1), la crise peut apparaître si, soudainement, les taux d’intérêt augmentent. Il sera immédiatement plus intéressant de placer l’argent plutôt que de l’investir dans l’économie réelle, et la baisse de l’investissement induite pénalisera la croissance. D’autre part (2), la crise peut aussi venir d’une crise de confiance : les entrepreneurs vont revoir leurs anticipations de demande à la baisse et donc arrêter d’investir et/ ou de produire. Ce qui va jouer, ce sont donc aussi les variations dans la prévision de la demande anticipée par les entrepreneurs. Keynes expose ce raisonnement dans le chapitre 22 de la Théorie générale intitulé « Notes sur le cycle économique ». de C ap uc in e C O U R SI ER Ex Par conséquent, le fonctionnement de l’investissement chez Keynes a toutes les chances de conduire l’économie à un niveau d’emploi qui ne sera pas de plein-emploi et donc à un chômage involontaire dû à des investissements trop faibles. Il s’agit bien d’un problème macroéconomique, d’un défaut du système capitaliste où le chômage ne peut simplement s’expliquer par un manque de flexibilité sur le marché du travail, notamment de flexibilité à la baisse des salaires, comme chez les néoclassiques. pl ai re 1.3.3. La préférence pour la liquidité et la demande de monnaie chez Keynes O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em La conception de la monnaie chez Keynes est ambigüe : Dostaler montre en 2005 dans Keynes et ses combats que pour Keynes, la monnaie est à la fois un moteur économique central, mais aussi une pathologie sociale. A ce titre, Keynes critique de l’accumulation de monnaie et cet amour immodéré pour l’argent dans les sociétés capitalistes. Keynes rappelle ensuite que si l’accumulation de richesse va se faire prioritairement sous forme de monnaie, c’est parce que la monnaie a la particularité d’être l’actif le plus liquide (= le mieux échangeable) qu’il soit. La monnaie peut être échangée contre n’importe quel bien, sans délais et sans coûts. C’est ainsi que Keynes introduit la notion de préférence pour la liquidité des agents économiques : les agents économiques préfèrent la liquidité aux autres formes de richesse, et tous les agents ont donc tendance à conserver leur épargne et leur richesse sous une forme plus immédiate (= plus liquide). Cette préférence pour la liquidité s’explique par trois motifs, qui sont donc les trois motifs pour lesquels les agents économiques demandent de la monnaie : Un motif de transaction. Le besoin de monnaie se justifie par les décalages temporels entre les encaissements et les décaissements des agents économiques à l'occasion de leurs échanges. Keynes distingue ici le motif de revenu pour les ménages et le motif professionnel pour les entreprises, au sein même du motif de transaction. Fonction croissante du Y pl Un motif de précaution. Le besoin de monnaie se justifie pour faire face à différents besoins (dépenses imprévues, occasionnelles, obligations futures…). Ces deux premiers motifs sont stables à court terme, et sont une fonction croissante du revenu national. On note par convention L1 la demande de monnaie pour motif de transaction et L3 la demande de monnaie pour motif de précaution. Comme ces deux motifs dépendent du revenu (lui-même noté Y), on les note respectivement L1(Y) et L3(Y). Fonction croissante du Y R SI ER Ex em 2. ai re de C ap uc in e C 1. U O C Clément HENRAT !10 Clément HENRAT ap uc in e C de pl ai re em Ex ER SI R U O C e in uc ap C de re ai pl em SI ER Ex A partir de cette demande de monnaie pour motif de spéculation dont on a vu qu’elle était une fonction décroissante du taux d’intérêt, Keynes démontre qu’il existe deux situations extrêmes : O U R - 1/ Si le taux d'intérêt diminue très fortement, tandis que le cours des obligations s'élève SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C très fortement, les agents vendent de plus en plus leurs titres (donc demandent de plus en plus de monnaie pour motif de spéculation), anticipant une baisse du cours des obligations (et une hausse du taux d'intérêt). Or, à partir d'un taux d’intérêt très bas, dit « taux-plancher », on se trouve dans une situation de préférence absolue pour la monnaie ou de « trappe à liquidité » : c’est-à-dire une situation ou les taux sont tellement bas que les agents ne peuvent qu’anticiper une hausse, et demandent donc beaucoup (infiniment) de la monnaie pour motif de spéculation. R - 2/ Si le taux d'intérêt augmente fortement, tandis que le cours des obligations se réduit re de C ap uc in e C O U fortement, les agents achètent des titres (obligations), anticipant une hausse du cours des obligations (et une baisse du taux d'intérêt). À partir d'un taux maximum, on se trouve dans une situation de préférence absolue pour les titres : les agents ne demandent plus de monnaie pour motif de spéculation. U R SI ER Ex em pl ai D’un point de vue conceptuel, le taux d’intérêt chez Keynes est le prix de la renonciation à la liquidité. En effet, les agents économiques préfèrent conserver leurs richesses plutôt que de les placer à la banque. Donc si je veux convaincre les agents de se séparer de leurs liquidités, il va falloir les inciter à se séparer de cette liquidité. Et pour les convaincre, il faut leur payer un taux d’intérêt. C O SI R U O Un motif de spéculation. Ce besoin de monnaie correspond au « désir de profiter d'une connaissance meilleure que celle du marché de ce que réserve l’avenir » : autrement dit, c’est une situation dans laquelle les agents décident de conserver une partie de leur monnaie pour l'investir plus tard, en attendant une meilleure occasion : ils demandent donc de la monnaie maintenant pour spéculer plus tard. Par exemple, prenons une situation où les taux d’intérêt sont vraiment très bas : les taux d’intérêt ont donc plus de chance de remonter que de diminuer encore, par conséquent les agents anticipent leur future hausse. Dès lors, il est plus rentable d'attendre avant d'acheter des obligations, car si le taux d’intérêt augmente, le prix des obligations diminuera (il y a toujours une relation inverse entre le taux d’intérêt et prix d’une obligation). Donc si les taux sont très bas, les agents vont demander beaucoup de monnaie pour motif de spéculation : l'agent va conserver de la monnaie maintenant pour l’achat ultérieur d’obligations. Dans le cas contraire, si l'agent anticipe une baisse des taux, cela voudra dire que le prix des obligations augmentera dans le futur : donc les agents vont acheter immédiatement des obligations, réduisant leur demande de monnaie pour motif de spéculation. Pour résumer cette relation : la monnaie détenue à cause du motif de spéculation dépend fortement des taux d'intérêts anticipés. Des taux haut favorisent l'achat d'obligations, ce qui réduit la demande de monnaie, alors que des taux bas auront la conséquence inverse. La relation entre épargne de spéculation et taux est donc décroissante. Par convention, on appelle ce motif de demande de monnaie L2, et puisqu’il dépend du taux d’intérêt, on le note L2(i). Fonction décroissante du i C 3. Copyright !11 Clément HENRAT R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e SI R U O C Quant à la monnaie en elle-même, Keynes critique la vision des classiques et des néoclassiques. La monnaie n’est pas « neutre ». Keynes va critiquer la théorie quantitative de la monnaie, selon laquelle MV = PT (soit : la Masse monétaire en circulation dans l’économie multipliée par le Vitesse des transactions est égale à niveau général des Prix multiplié par le Volume des transactions). Dans cette vision quantitativiste, on suppose que V et T sont constants, donc que toute augmentation de la masse de monnaie en circulation (par une relance monétaire par exemple) conduit à une hausse des prix (à de l’inflation). Or, cela est faux pour Keynes : si M augmente avec la création monétaire, l’augmentation de M ne fait pas augmenter P à tous les coups : il faut regarder si les facteurs de production sont pleinement utilisés (notamment le travail), autrement dit cela n’est valable qu’en situation de plein-emploi. Dès lors, l’accroissement de la quantité de monnaie ne produit aucun effet sur les prix tant qu’il reste du chômage : Keynes écrivait : « Tant qu’il y a du chômage, l’emploi changera dans la même proportion que la quantité de monnaie. Quand il y a plein-emploi, les prix changeront dans les mêmes proportions que la quantité de monnaie » (Théorie générale, 1936). C O U 1.3.4. Néanmoins : n’oublions pas l’ancien Keynes ! U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e Keynes n’a pas toujours eu cette vision de la monnaie. Dans un premier temps de sa carrière comme professeur d’économie, il adhérait plutôt à la théorie quantitative de la monnaie, en bon élève de Marshall. Keynes a même laissé plusieurs écrits témoignant de sa foi dans cette théorie néoclassique. Poulon (La pensée économique de Keynes) montre ainsi que jusqu’en 1923, il fut quantitativiste, avant de s’éloigner de cette pensée. Poulon parle ainsi d’un « Keynes sous l’influence de Marshall ». e C O 1.4. Une nouvelle conception de l’intervention de l’Etat et des politiques économiques ap uc in 1.4.1. La fonction de consommation de Keynes et la « loi psychologique fondamentale » U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C Dans sa Théorie Générale, Keynes considère que la consommation dépend du revenu courant (c’est-à-dire le revenu de la période actuelle, uniquement). Pour lui, la forme de la fonction de consommation se déduit de ce qu’il appelle « loi psychologique fondamentale », un concept central qu’il explique ainsi : « en moyenne et la plupart du temps, les hommes tendent à accroître leur consommation à mesure que leur revenu croît, mais non d’une quantité aussi grande que l’accroissement du revenu ». Autrement dit cela signifie que lorsque le revenu augmente, les dépenses de consommation augmentent moins vite, et donc que la part du revenu consacrée à la consommation diminue. À partir de ce principe, Keynes définit ce que l’on appelle la propension marginale à consommer (PmC) : c’est justement la part du revenu supplémentaire qui est consommée lorsque ce revenu augmente (par exemple : si mon salaire augmente de 10 euros, la propension marginale à consommer est la part, dans ces 10 euros, que je consacre à la consommation). Cette PmC est comprise entre 0 et 1, et est bien sur différente d’un individu à l’autre. Ainsi, la fonction de consommation keynésienne est de la forme suivante : C = c.Yd + C0, avec C est la consommation, Yd le revenu courant disponible (après impôts), et C0 le montant d’une consommation dite « incompressible » qui ne dépend pas du revenu (ce que tout le monde doit consommer pour survivre, quelque soit son niveau de revenu). C O Copyright !12 Clément HENRAT Copyright ap uc in e C O U R SI Chez Keynes donc, c’est surtout le revenu influence la consommation. Pour autant, Keynes a aussi souligné la possibilité d’une influence du taux d’intérêt sur la consommation. La hausse du taux d’intérêt provoque une baisse du prix des obligations et ainsi de la richesse des agents détenant des obligations. Ce qui réduit leur consommation. La consommation est ici une fonction décroissante du taux d’intérêt, mais attention, ce rôle du taux d’intérêt est très marginal chez Keynes. 1.4.2. La supériorité de la politique budgétaire chez Keynes ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C Keynes se range parmi les partisans de la politique monétaire discrétionnaire. Il plaide pour une « politique souple de la monnaie » selon ses mots, qui consiste dans une politique gradualiste de baisse des taux d'intérêt pour stimuler l'investissement privé. Mais Keynes dit explicitement que les politiques monétaires ne sont pas les plus efficaces : « nous sommes aujourd’hui assez septiques sur les chances de succès d’une politique monétaire consistant à agir sur le taux d’intérêt » (Théorie Générale, 1936). Keynes considère ainsi que la politique monétaire peut très bien fonctionner dans certains contextes mais pas à l’époque où il publie la Théorie générale - où les banques centrales avaient déjà descendu leurs taux d’intérêt. Les positions de Keynes en termes de politiques économiques sont donc assez pragmatiques : « quand les faits changent, je change ma théorie ». Churchill, qui a bien connu Keynes, avait coutume de dire : « quand vous mettez deux économistes dans une pièce, vous avez deux avis différents. Quand l’un des deux est Keynes, vous avez trois avis ». Donc pour Keynes, la politique monétaire doit surtout garantir que les taux d’intérêt resteront à un niveau assez faible et stable. C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI C’est pourquoi c’est surtout, chez Keynes, les dépenses publiques (le budget de l’Etat), qui doit permettre de relancer la croissance en période de récession économique. Notamment, Keynes se déclare en faveur d’une politique budgétaire favorisant la consommation de ceux qui ont la propension à consommer la plus importante possible, pour que l’effet sur l’économie soit d’autant plus notable. D’où l’intérêt que les politiques budgétaires se concentrent sur les personnes qui ont les revenus les plus modestes. Mais plus encore que la relance de la consommation des ménages, Keynes montre que le plus efficace est que l’Etat procède lui-même, directement, à des investissements publics. En effet, en relançant la consommation, il y a toujours un risque que ces sommes soient épargnées et pas consommées…. La politique budgétaire doit ainsi avoir un rôle compensateur d'autant plus important que la dépression économique est forte. En effet, en période crise, les entreprises produisent moins, et ce serait donc à l’Etat via les dépenses publiques de se substituer à cette baisse temporaire de la production du secteur privé. Keynes s'oppose alors aux politiques des gouvernements conservateurs, en particulier durant les années 1920, qui visent à maintenir l'équilibre budgétaire des finances de l’Etat ou même à obtenir un excédent budgétaire, en dépit de l'existence d'un chômage de masse. Ces gouvernements suivent les recommandations des économistes tels que Hawtrey, qui expriment la « Treasury View ». Ce « point de vue du Trésor » fournit des arguments contre l’augmentation des dépenses publiques, mais Keynes les récuse en soulignant l'ampleur de la thésaurisation durant les années 1930. !13 Clément HENRAT Copyright re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai Or, la raison pour laquelle l’investissement a une telle importance chez Keynes est qu’il existe, selon lui, un effet multiplicateur de l’investissement sur l’économie. Autrement dit, l’effet final sur l’activité économique ou sur la production d’une hausse de l’investissement sera encore plus important (plus que proportionnel), que l’investissement initial. Le multiplicateur est à l’origine développé par Richard Kahn (disciple et amant de Keynes !), en 1931 dans La relation de l’investissement domestique au chômage. La notion de multiplicateur implique donc qu’une dépense d’investissement (comme la dépense publique) a des impacts plus que proportionnels par effet d’enchaînement. Par exemple, si le gouvernement passe une commande de 100 euros à une entreprise, celle-ci va dépenser la majeure partie de cette somme pour acheter des fournitures et payer des salariés. Ceux-ci, à leur tour, vont utiliser la majorité de leur salaire pour consommer des produits, créant de la richesse pour d’autres entreprises, qui vont à leur tour employer des salariés, qui dépenseront leurs revenus…etc. Au total, l’ensemble des richesses créées dépasse très largement les 100 euros injectés au départ. L’efficacité du système dépend du comportement des ménages et des entreprises vis-à-vis des nouveaux revenus : soit ils épargnent, un mécanisme qui bloque la circulation de l’argent, soit ils dépensent et investissent, ce qui favorise la croissance. Ainsi, le multiplicateur (k) est donc calculé en fonction de la propension à consommer (c), un chiffre compris entre 0 (pour une épargne totale) et 1 (si la consommation est intégrale). On a k égal à 1/(1-c). Pour reprendre notre exemple, on peut alors calculer le revenu (Y) donc la richesse tirée d’un investissement (I) de la manière suivante : Y = I x 1/(1-c) Selon ce modèle de base, si le taux d’épargne est de 20 % (soit une propension à consommer de 0,8), on obtient, pour 100 euros injectés, un total de 100 x 1/(1-0,8) = 500 euros de richesse créée. Le multiplicateur est égal à 5. O C R U O C En fait, Keynes ne souhaite pas uniquement des politiques de relance conjoncturelles par l’investissement public, du type de celles menées par le président Roosevelt aux États-Unis (le fameux « New Deal »). Selon lui, le capitalisme arrivé au stade de « maturité » exige une intervention beaucoup plus durable de l'État et non simplement ponctuelle en période de crise. Keynes est favorable à la mise en place de programmes d'investissement engagés aussi bien par l’Etat que par les communes, ou même par des organisations différentes de l’État ayant une mission de service public (comme les entreprises publiques). Ces investissements publics ou semi-publics peuvent porter sur les transports, les installations portuaires, les réseaux téléphoniques et électriques et aussi les logements sociaux. Mais plus encore pour Keynes, il n’est pas grave que certaines dépenses publiques soient inutiles : car même inutiles, elles peuvent permettre de réduire le chômage qui est un véritable cancer pour Keynes. Il écrivait ainsi : « la construction de pyramides, les tremblements de terre et jusqu'à la guerre peuvent contribuer à accroître la richesse ». Keynes souhaite la mise en œuvre de cette « socialisation de l’investissement » de manière assez large : cette socialisation de l’investissement consisterait en une coopération entre les acteurs publics, semi-publics voire privés dans le but d'augmenter l'investissement national et donc de réduire le chômage. Celle-ci ne peut être confondue avec une socialisation des moyens de production ou un contrôle public de l'investissement des entreprises (de type communiste). SI 1.4.3. Socialisation de l’investissement et multiplicateur keynésien Ces-dernières années, il y a eu une grosse controverse entre économistes concernant le niveau de ces multiplicateurs. Les politiques budgétaires de rigueur de ces dernières années !14 Copyright avaient en effet été justifiées par l’idée que les multiplicateurs aujourd’hui étaient censés être relativement faibles (proches de 1 voire inférieurs à 1). Mais Olivier Blanchard et son collègue Leigh ont reconnu des erreurs dans les calculs du FMI, qui aurait sous-estimé la valeur des multiplicateur, dans leur article « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », 2013. Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e O C Selon Michel De Vroey (Keynes, Lucas : d’une macroéconomie à l’autre, 2009), la pensée de Keynes se donne finalement quatre objectifs (quatre « lignes de faîte ») : • Démontrer l'existence d'un chômage involontaire, celui-ci étant entendu comme une situation dans laquelle certains agents économiques souhaitent travailler au salaire en vigueur mais se voient dans l'incapacité de réaliser ce projet • Démontrer que ce chômage involontaire ne peut pas être expliqué par la rigidité des salaires comme dans la théorie néoclassique • Montrer qu’il faut donc raisonner en terme d’interaction entre les marchés : notamment entre le marché du travail et le marché des biens et service (Keynes veut donc donner une explication d'équilibre général) • Démontrer que la cause des déséquilibres en particulier du chômage est une insuffisance de la demande, justifiant que l’Etat mène des politiques économiques budgétaires et monétaires visant à la stimuler. U R SI 1.4.4. Finalement : les quatre « lignes de faîte » de la pensée de Keynes (De Vroey) SI ER 2. Unité et diversité du keynésianisme : un Keynes ou plusieurs Keynes ? Quelle C O U R interprétation de son oeuvre ? uc in e 2.1. Le keynésianisme comme interventionnisme C ap 2.1.1. Beaud et Dostaler (1996) : le « triomphe de l’interventionnisme » 2.1.2. Des 2 Rapports Beveridge aux politiques de « stop and go » keynésiennes pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de Beaud et Dostaler (La Pensée économique depuis Keynes, 1996) écrivaient : « là où on a parlé de victoire du keynésianisme, c’est principalement l’interventionnisme qui a triomphé ». Ils parlent d’un « triomphe » de l’interventionnisme tout au long des années 1950 et 1960 : c’est l’âge d’or des politiques keynésiennes avec plus ou moins de références explicites à Keynes et une fidélité assez variable par rapport aux écrits de Keynes. Mais la principale caractéristique était la reconnaissance du plein-emploi comme objectif prioritaire des pouvoirs publics, et la nécessité d’une intervention de l’Etat pour satisfaire cet objectif. Dès lors, le keynésianisme peut d’abord et surtout s’entendre, empiriquement (tel qu’il a été mise en oeuvre), comme un interventionnisme de l’Etat dans l’économie pour pallier ses déséquilibres. em En 1942 parait le premier Rapport Beveridge, du nom de l’économiste et homme politique anglais William Beveridge. Ce rapport propose de lutter contre les 5 grands maux : la pauvreté, l’insalubrité, la maladie, l’ignorance et le chômage. Ce rapport va être influent, en montrant le rôle nécessaire des pouvoirs publics dans ces 5 domaines-là. Beveridge explique aussi que cela aura des effets positifs sur l’industrie britannique et sur la compétitivité de l’économie. Puis en 1944 parait le deuxième Rapport Beveridge intitulé « Le plein emploi pour Ex ER SI R U O C Clément HENRAT !15 Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI Copyright tous dans une société libre ». Ce second rapport porte plus explicitement sur cette question de l’emploi : pour les auteurs du rapport, une société libre nécessite forcément le plein emploi mais surtout, plein-emploi de qualité. Cela suppose donc des salaires équitables. Beveridge reprend alors la conception keynésienne du chômage : autrement dit un chômage qui a généralement pour origine une demande insuffisante, et le rapport insiste sur le fait qu’il faille une demande suffisante pour garantir le plein-emploi. Il explique bien que c’est à l’Etat d’assurer un niveau suffisant pour la demande et donc c’est lui qui est le responsable de ce plein-emploi de qualité. Ces deux rapports vont plébisciter des politiques économiques interventionnistes visant à relancer la demande, que ce soit via la politique budgétaire ou monétaire. De nombreux gouvernements ont alors adopté ce que l’on appelle des politiques de « stop and go », autrement dit des politiques économiques interventionnistes qui, en période de crise, relancent l’économie afin de faire diminuer le chômage, et qui lorsque l’inflation devient trop forte suite à ces relances, n’hésitent pas à réduire à l’inverse la portée des interventions de l’Etat dans l’économie. Ainsi, l’Etat détient ce que Musgrave nomme une fonction de « lissage de la conjoncture » (The Theory of Public Finance, 1959). La pensée de Keynes s’est donc concrètement matérialisée par des politiques économiques de relance. Aux Etats-Unis par exemple, Kennedy est élu en 1961 et sera conseillé par des économistes lui indiquant de pratiquer ces politiques de « stop and go ». On parle alors de la « nouvelle économie » américaine des années 1960 : elle repose sur l’idée d’une gestion de la demande par des politiques de revenus, fiscales, ou monétaires. Les relances de Kennedy et de Johnson seront donc connues comme des moments ou les politiques budgétaires et monétaires de relance sont perçues comme l’aboutissement du keynésianisme. SI ER 2.1.3. Coddington (1976) et le « keynésianisme hydraulique » C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R En 1976, Alan Coddington dans « Keynesian Economics : The Search for First Principles ») élaborait une typologie des différentes interprétations de Keynes. Nous y reviendrons plus en détail lors de la section 2, mais il nomme cette vision du keynésianisme se limitant à des politiques de relance de type « stop and go », le « keynésianisme hydraulique ». Ce « keynésianisme hydraulique » voit ainsi dans Keynes un apport essentiellement pratique et porté sur les politiques de relance (oubliant potentiellement les autres apports de Keynes comme l’incertitude radicale, les anticipations). Il s’agit donc d’un keynésianisme simplifié et très mécanique. D’un point de vue théorique, ce « keynésianisme hydraulique » est représenté par des auteurs regroupés au sein du courant de la « synthèse néoclassique » - aussi appelée « keynésiens de la synthèse » ou « keynésiens orthodoxes ». La section 2 étudie plus en détail leurs apports. 2.2.1. De Vroey (2009) : keynésianisme méthodologique et keynésianisme politique R SI ER Ex em pl ai re de 2.2. Deux Keynes plutôt qu’un seul ! U O C Clément HENRAT Michel De Vroey (Keynes, Lucas : d’une macroéconomie à l’autre, 2009) va s’appuyer sur les travaux de Blinder, afin de distinguer deux keynésianismes : - Le keynésianisme méthodologique, désignant la méthodologie macroéconomique de Keynes et sa conception de la science économique !16 Copyright - Le keynésianisme politique, désignant la volonté de mettre en avant les défaillances du ap uc in e R U O C Ainsi, Blinder en 1977, dans « The Fall and Rise of Keynesian Economics », parlait plutôt de l’économie positive de Keynes et de l’économie normative de ce dernier. Il écrivait ainsi : « la division de l’économie keynésienne en une composante positive et une composante normative est centrale pour la compréhension tant du débat économique que de sa pertinence pour la politique économique ». SI marché et les difficultés de la main invisible, en affirmant alors qu’il faut mettre en oeuvre des politiques économiques y remédiant. de C 2.2.2. Favereau (1985) : le Keynes « pragmatique » et le Keynes « radical » C O U R SI ER Ex em pl ai re de C ap uc in e C O U R SI ER Ex em pl ai re On trouve dans les textes de Keynes, et notamment dans la Théorie Générale, deux programmes de recherche assez différents voire contradictoires, qui suscitent donc des débats quant aux interprétations qu’il faut faire de la pensée de Keynes. Ainsi, Tortajada dans Commentaires de la théorie générale de Keynes à sa parution, 2009, montre que ces deux visions sont constituées par : - d’une part, la volonté de Keynes de construire une théorie nouvelle, une alternative à la pensée classique et néoclassique. En ce sens, la Théorie Générale constitue une rupture. - d’autre part, un projet moins révolutionnaire, ayant pour but le simple englobement de la théorie néoclassique. Dans ce deuxième projet, les deux théories seraient compatibles et la théorie de Keynes serait simplement plus générale : elle engloberait la théorie néoclassique. Dans cette deuxième conception, la théorie que propose Keynes serait un peu plus générale au sens où la théorie néoclassique correspondrait à un cas particulier mais qu’on peut inscrire dans la théorie keynésienne (= le plein emploi des facteurs de production). re de C ap uc in e L’œuvre de Keynes peut donc très bien être lue avec les lunettes de l’orthodoxie

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