Science, Technique et Politique - CM #04 : Introduction 04/05 PDF
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Summary
Ce document présente un résumé et une synthèse des épisodes précédents d'un cours sur la science, la technique et la politique. Il met en lumière les points de friction entre ces trois domaines, et explore la tripartition héritée d'Aristote, notamment en analysant la hiérarchisation entre ces concepts.
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Science, Technique et Politique - CM #04 : Introduction 04/05 Synthèse et résumé des épisodes précédents : Le cours s’est attaché à discuter la tripartition bien distincte entre science, technique et politique, dont nous avions le modèle chez Aristote. Il a localisé plusieurs « points de frictions...
Science, Technique et Politique - CM #04 : Introduction 04/05 Synthèse et résumé des épisodes précédents : Le cours s’est attaché à discuter la tripartition bien distincte entre science, technique et politique, dont nous avions le modèle chez Aristote. Il a localisé plusieurs « points de frictions » entre science, technique et politique, sur le versant S-T et S-P. De là, le cours d’aujourd’hui, qui ajoute l’élément critique suivant : dans la critique de la tripartition héritée d’Aristote, nous n’avions envisagé qu’une des deux options possibles : reprocher à Aristote de séparer des réalités qui ne le sont pas ou ne le sont plus (notamment sur le versant science et technique). Mais il est possible d’adresser une deuxième critique : en réalité, la tripartition aristotélicienne masque mal une hiérarchisation entre les termes ; elle les présente à part égale, mais elle introduit un ordre entre les différents domaines. 1 3. Hiérarchies Dans notre lecture de la tripartition héritée d’Aristote, nous avons oublié quelque chose qui saute aux yeux : c’est que notre série STP n’est pas seulement problématique aux points de frictions entre les domaines, mais aussi du point de vue de l’équilibre entre les notions. On passe de la question (1) « est-ce bien distinct ? » à la (2) « est-ce bien égal » ? Il y a un important déséquilibre. Déséquilibre, parce que dans notre série, nous avons deux termes nobles et un terme dévalué. 3.1 Valeur de la science 3.1.1 Aristote : la vraie vie n’est pas dans la production Chez Aristote, cela n’apparaît peut-être pas directement dans les extraits de l’Ethique à Nicomaque, même si on peut se douter que la sphère de l’universel, de l’éternel et du nécessaire (celle de la science) a partie liée au divin, et en tant que telle bénéficie de la position la plus noble. Ce qu’on trouve affirmé au livre X de l’Ethique à Nicomaque, supériorité de la vie de l’homme de science : « ce qui est propre à chaque chose est par nature ce qu’il y a de plus excellent et de plus agréable pour cette chose. Et pour l’homme, par suite, ce sera la vie selon l’intellect, s’il est vrai que l’intellect est au plus haut degré l’homme même. Cette vie-là est donc aussi la plus heureuse. » Mais d’autres textes sont plus clairs : la vraie vie est du côté de la science et de la politique, la sphère de la production relève de la nécessité naturelle. Si on peut s’en passer, la vie n’en est que plus accomplie et on ne perd rien de son humanité à laisser de côté le domaine de la technique. Cette hiérarchie s’illustre dans la formule de l’ouvrage La Politique (I, 7) : « L’affaire du maître est d’employer les esclaves. Et cette science n’a rien de grand ni de vénérable : elle consiste pour l’esclave à savoir ce qu’il doit faire et pour le maître à savoir le lui ordonner. C’est pourquoi ceux qui ont les moyens d’éviter ces tracas en laissent le soin à un intendant, tandis qu’eux-mêmes s’occupent de politique et de philosophie. » La technique est du côté de la nécessité naturelle, survie et besoins et si on peut s’en passer, il ne faut pas hésiter. Ce passage fait suite à la formule célèbre (Politique I, 4), symétrique, qui imagine le remplacement des esclaves par des automates : « Si les navettes tissaient d'elles-mêmes et les plectres jouaient tout seuls de la cithare, alors les ingénieurs n'auraient pas besoin d'exécutants, ni les maîtres d'esclaves. » Chez Aristote, qui légitime l’esclavage, les esclaves sont définis comme des « outils animés ». On y reviendra sur ces passages, particulièrement atroces. Et le travail du maître et celui de l’esclave ne tiennent que par la nécessité naturelle et peuvent être éliminés d’une vie humaine authentique, pour s’occuper de ce qui compte vraiment : politique et philosophie (science). 3.1.2 Comte : la science gouverne le mouvement de l’histoire, mais sans être responsable de ses conséquences Mais si on quitte, le monde grec, cette hiérarchie est tout aussi présente dans la représentation de la technique comme « science appliquée ». TXT.12 Vous avez dans ce texte de Comte toutes les tensions de la conception moderne de la science, telle qu’elle se stabilise au 19e siècle (sur le sujet, voir l’ouvrage de Guillaume Carnino, L’invention de 2 la science, la nouvelle religion de l’âge industriel, 2015, sur lequel on reviendra). Comte nous dit 3 choses, qui ne sont pas si facile à articuler : - (1) la science est ce qui rend possible les progrès de l’industrie - (2) mais elle ne s’y réduit pas, ce qui risquerait d’inverser les hiérarchies et de considérer que la science n’a de valeur que par ses applications techniques - (3) la science est par elle-même déliée de tout intérêt bassement matériel et ne consiste que « dans le besoin fondamental de notre intelligence de connaître les lois des phénomènes ». On a ici un travail d’équilibriste de liaison-déliaison entre science, technique et politique : la science gouverne la technique, mais sans que ce soit son intérêt premier, c’est une sorte de retombée désintéressée, dont elle n’a pas à assumer les conséquences (politiques). Elle est à la fois le plus utile (source du progrès technique), mais aussi inutile que les arts et désintéressée en son fondement. Tout cela est très éloigné des pratiques historiques effectives et des diverses formes d’engagement des scientifiques dans la vie industrielle et politique. Si on suit Carnino, c’est le contrat politique sur lequel s’institue notre conception de la science : elle est le phénomène central de l’histoire humaine, mais, désintéressée et pure, elle n’a pas à porter le poids des conséquences (politiques) de ce que d’autres peuvent créer à partir d’elle (technique, industrie). Ce faisant, sa position est exceptionnelle : la principale force historique, mais déliée de toute responsabilité, planant au-dessus des débats politiques – universelle, neutre, désintéressée. Dans le positivisme comtien, la science trône au-dessus de toutes les autres activités, dont elle apparaît comme le fondement. 3.2 Technophobie philosophique De manière symétrique à la valorisation de la science, on peut aussi constater le travail de dévaluation du pôle technique. Il se trouve que cette dévaluation se retrouve de manière très fréquente dans le discours de la philosophie, souvent empreinte de technophobie. Qu’est-ce qui est le pire pour la science ? C’est de devenir technique, de rompre avec ses racines, avec cette recherche pure et désintéressée pour devenir une technoscience déshumanisée. Donc la science, c’est bien, la technique c’est moins bien. Mais le pire est le risque que la technique fait courir à la connaissance : que la science se confonde avec la technique. Risque d’un renversement des hiérarchies. Exemples de cette position : Husserl, la Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale. Philosophe, 20e siècle. La science a oublié son projet originel et elle s’est pervertie en se réduisant à un ensemble de techniques. TXT.13 Où chercher la source de ce rétrécissement de la science et de l’humanité ? Premier élément de réponse : l’aveuglement de la prospérité permise par la science appliquée (technique), mais aussi technicisation de la science elle-même. Chez Husserl : modèle d’un lien extrêmement puissant, où la technique est un terme négatif. Verbes : « déterminer, aveugler, détourner, s’empare ». Là, vous avez le modèle de toute une série de réflexions similaires, chez les disciples de Husserl. Chez Heidegger, élève de Husserl, vous retrouvez cette critique de la technique ou plutôt de la technicisation du projet de connaissance. Heidegger : la technique est déjà là dans les sciences modernes, non pas au sens des applications et des débouchés, ils arrivent bien après, mais au sens 3 du projet = rendre la nature calculable. Nous avons déjà rencontré le texte dans la question du « quand » : TXT.09 Ici, l’argument peut-être reconstitué de la manière suivante : - la technique moderne est fondée sur la science moderne - mais la science dépend aussi des progrès techniques pour ses appareils (ici, on retrouve la réciprocité science-technique que l’on avait chez Bachelard) - la technique moderne se distingue de la technique traditionnelle par un principe d’accumulation de l’énergie : le moulin n’accumule pas l’énergie, par différence avec la centrale qui emmure le fleuve. Commentaire : ce critère paraît franchement discutable. Il est évident qu’il est difficile de stocker le vent ; en revanche la maîtrise de l’eau, la construction de retenues ne feraient pas parties des techniques traditionnelles ? Le moulin à vent serait traditionnel, mais pas le moulin à eau ?!? Et que dire de l’agriculture et de l’élevage : le principe n’est-il pas de capturer et stocker la biomasse, par différence avec chasse et cueillette ? Le critère flux vs stock pour caractériser la rupture entre la bonne vieille technique à l’ancienne et la mauvaise technique moderne paraît bien faible… - ensuite, on a sur ce couple pas très bien fondé technologiquement parlant (flux-stock) une espèce de grande analogie qui englobe tout : le tourisme de masse transforme toute la nature en un stock pour l’industrie de vacances. - et on revient à la proposition centrale : bien sûr qu’historiquement il y a réciprocité entre science et technique, mais du point de vue « de l’essence » c’est la science moderne qui a été corrompue par la vision technique du monde qui « met la nature en demeure de se montrer comme un complexe calculable et prévisible de forces ». Je passe un peu de temps sur ce texte que je n’apprécie pas du tout, parce qu’il me semble extrêmement intéressant du point de vue du fonctionnement de la critique des techniques. Par un certain côté, c’est un texte qui peut fonctionner : il a un aspect mystérieux et incantatoire qui peut être impressionnant, il développe un sentiment de profondeur ; mais il touche aussi juste par rapport à un malaise quant à nos conditions d’existence, ce à quoi sert l’argument du tourisme de masse. Il attrape quelque chose « en gros ». Mais, à mon sens, il ne donne aucune prise critique effective sur la compréhension des processus. A quoi va pouvoir nous servir le couple flux-stock ? Est-ce que c’est à partir de là qu’il faut évaluer la valeur humaine ou sociale des techniques ? Tous nos problèmes viennent-ils du stockage de l’énergie ? On exploite un malaise vis-à-vis du monde tel qu’il va, mais on ne dote la pensée de rien qui pourrait rendre la critique effective. C’est ma lecture critique d’une certaine critique philosophique technophobe, qui généralise tellement qu’on n’attrape plus rien de précis. Le modèle ultime de cette critique ultra-englobante se trouve chez Ellul TXT.13. Ici le système se boucle : plus rien n’échappe à la Technique avec un grand « T », tout en dépend. La considérations des « techniques » est secondaire par rapport au « système technicien » dans son ensemble, dont on ne peut plus sortir que par un geste de refus radical. Chez Heidegger, la science est pervertie par la Technique. On trouve un discours équivalent pour la politique. Chez une autre élève de Husserl, par exemple, chez Hannah Arendt, dans la Condition de l’homme moderne, qui déplore la place prise par l’animal laborans (travailleur) dans la sphère publique. Autre exemple chez Habermas, avec l’ouvrage dont le titre se suffit à soi seul : la science et la technique comme idéologies. La rationalité instrumentale prend le pas sur la raison qui délibère. La technique représente le danger suprême pour la politique. La politique peut déchoir et se 4 transformer en technocratie, quand on ne fait plus que de la gestion sous contrôle des experts et que les moyens se transforment en fins. Et on pourrait continuer notre petite affaire critique : une affaire qui roule. Vous avez l’art, c’est l’inventivité, le libre jeu, et face la technique qui consiste à suivre une règle. Et qu’est-ce qu’il y a de pire pour l’art, c’est de dégénérer en une technique. On dira d’une photo, il y a la technique, mais ce n’est pas de l’art. C’est la critique du type qui n’est qu’un faiseur. Il n’a pas l’inspiration du véritable artiste. On peut jouer le même jeu avec la religion. Vous avez la vraie foi et vous avez celui qui ne fait qu’appliquer les gestes. D’un côté la foi authentique, de l’autre le rituel. Donc, on a quelque chose d’extrêmement intéressant : la technique ça devient moins un terme déterminé, qu’une sorte de défaut permanent dans un processus de distinction entre le haut et le bas. Vous prenez n’importe quoi, vous recherchez ce qu’il y a en bas et vous tombez sur la technique. Menace. La chute du haut vers le bas, du spirituel vers le matériel, du ciel vers la terre, du noble vers l’ignoble, du détaché vers l’intéressé, du libre vers le nécessaire, de l’esprit vers le corps… Quelle structure dualiste gigantesque dans nos manières de penser ! 3.3 Critique de la critique #1 : renverser les hiérarchies D’où cette espèce de tentation permanente de renverser les hiérarchies, de redonner sa vraie place à la technique, de reconnaître l’existence d’une culture technique, de magnifier la noblesse des métiers. Exemple l’adresse de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Immense ouvrage qui est le prototype de ce que peut être qu’une technique ouverte. Quel est le but ? Décloisonner les métiers. C’est l’internet de l’époque. Double mouvement argumentatif : l’utilité évidente des techniques, mais aussi la valorisation de la pensée technique (la sagacité). Ce qui nous renverrait aux textes de Malafouris TXT.06 , Watson- Verran et Turnbull TXT.08 , Sennett, Linhart, Crawford, Alcaras TXT.07 déjà cités. Variante : la réévaluation, cette fois-ci politique en plus d’être technique, du métier chez Rousseau. Le métier c’est le gage de l’autonomie politique, sans laquelle il n’y a pas de république. Affirmation technique de l’homme à travers le métier… mais au moment où le métier disparaît avec la déqualification de la grande industrie ! Le chant du cygne d’un certain rapport humain à la technique. Donc face à cette situation de la technique – c’est le danger qui menace le reste, la forme dégradée des activités supérieures – vous avez deux options ouvertes si vous n’êtes pas satisfait par cette hiérarchie qui dévalue toujours la technique. Option n°1 : réévaluer. Dire non, on n’est pas des subordonnés condamnés à la routine, au particulier, incapable d’accéder à l’universel ou aux grands idéaux. Option n°2 : non pas jouer dans la structure, dans le système, mais le casser. Essayer de remettre en cause, cette hiérarchie haut/bas, l’interroger à la racine. 5