Le Logement Social à Constantine : Entre Pratiques d’Usage et Représentations Visuelles PDF
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Université Alger 1 Benyoucef Benkhedda
2024
Lilia Makhloufi
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This article analyzes social housing in Constantine, Algeria. Modifications undertaken by beneficiaries, practices of use, and visual representations related to their previous living spaces are the key aspects studied. The author is exploring how residents adapt to standardized housing.
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Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usage et représentations visuelles Lilia Makhloufi...
Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usage et représentations visuelles Lilia Makhloufi Dans Sociétés 2024/2 (N° 164), pages 137 à 155 Éditions De Boeck Supérieur ISSN 0765-3697 ISBN 9782807381094 DOI 10.3917/soc.164.0137 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-societes-2024-2-page-137.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Marges LE LOGEMENT SOCIAL À CONSTANTINE : ENTRE PRATIQUES D’USAGE ET REPRÉSENTATIONS VISUELLES Lilia MAKHLOUFI Architecte, urbaniste et docteur en aménagement du territoire Enseignante-chercheuse École polytechnique d’architecture et d’urbanisme (EPAU), Alger © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) Résumé : La ville nouvelle de Constantine est soumise à une motivation quantita- tive très importante, mais, à la suite d’une standardisation excessive, les immeubles réalisés se sont avérés inadaptés aux aspirations des habitants. Cet article analyse les logements sociaux à travers les modifications intérieures et extérieures entreprises par les attributaires. Les résultats de l’enquête architecturale démontrent que le transfert résidentiel s’accompagne d’un transfert de modes de vie et de pratiques sociales et que les images que ces attributaires se font de leur « chez-soi » sont étroitement liées aux pratiques d’usage et aux représentations visuelles engendrées par leurs espaces vécus antérieurs. Mots-clés : logement, appropriation, habitant Abstract: The new town of Constantine is subject to a very important quantita- tive motivation, but, following an excessive standardization, the produced buildings proved to be unsuitable to the aspirations of the inhabitants. This article analyzes social housing through the interior and exterior modifications undertaken by the beneficiaries. The results of the architectural survey demonstrate that the residential transfer is associated to the transfer of lifestyles and social practices, and that the images that these beneficiaries have about their “home” are closely linked to the practices and visual representations generated by their previous living spaces. Keywords: housing, appropriation, inhabitant Sociétés n° 164 — 2024/2 138 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles Introduction À Constantine, la politique de la ville nouvelle visait à établir équité et mixité à travers l’attribution de logements sociaux. Ainsi, 5831 logements ont été accordés aux familles des bidonvilles éradiqués, 1 165 aux sinistrés de la Médina et 1121 aux victimes des glissements de terrain. Il était cependant difficile d’échapper à une architecture répétitive face à l’impératif de la préfa- brication et à la rigueur du système économique de la construction, d’où un constat d’uniformisation qui se traduit par des espaces résidentiels inadaptés aux attentes des habitants. Dans cet article, nous allons aborder les logements sociaux sous une forme à la fois matérielle, immatérielle et idéelle, une forme établie par une société « composite » dans un laps de temps relativement court (quelques années). La problématique se résume à une proposition simple que nous formulerons de la manière suivante : il est possible de définir de multiples identités si l’on s’attache à la façon dont les individus vivent leur relation au logement. L’identité sera, pour nous, « constituée par l’ensemble des caractéristiques et des attributs qui font qu’un individu ou un groupe se perçoivent comme une entité spécifique et qu’ils sont perçus comme telle par les autres »1. Partant des personnes, le travail de terrain analyse les espaces de vie et les espaces vécus, les espaces résidentiels n’étant pas seulement une donnée matérielle : ils se construisent à partir des pratiques et des représentations des individus. L’hypothèse est que le rapport des habitants à leur quartier de provenance © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) s’accompagne d’un sentiment puissant d’appartenance et que ce territoire d’origine est constamment mis en interaction avec l’espace dorénavant habité, à savoir la ville nouvelle. Nous avons donc analysé l’appropriation du logement par les résidents à partir des enquêtes élaborées, étant donné que les acteurs sociaux sont aussi des individus, des personnes et qu’ils vivent l’espace rési- dentiel de façon subjective. En effet, les enquêtés ont décrit leurs espaces de vie actuels en fonction de leurs espaces vécus antérieurs. Les questionnaires et les interviews ont donc été nécessaires pour la formulation des problèmes que les habitants rencontrent actuellement en tant qu’individus résidant dans un nouvel espace au sein d’une ville nouvelle. La démarche méthodologique de l’enquête de terrain repose sur la prise en compte des pratiques et des représentations des résidents, de leur capacité à transformer leurs espaces de vie, en leur donnant d’autres formes et en les fragmentant, pour produire leurs espaces sociaux. Les personnes interrogées l’ont été du seul fait de leur inscription dans les espaces résidentiels attribués, de leur disposition à ouvrir les portes de leurs domiciles, mais encore et surtout 1. M. Castra, « Identité », in S. Paugam (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2010, p. 72. En ligne : http:// journals.openedition.org/sociologie/1593 Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 139 grâce à leur disponibilité, une disponibilité qui a visiblement conditionné tous les échanges et toutes les communications entre enquêteurs et enquêtés dans la présente analyse architecturale et sociologique. Avant tout qualitative, cette étude a pour objectif d’aller au-delà de la représentativité statistique et de la rigueur mathématique pour saisir les modes d’habiter et leur interprétation à partir des représentations visuelles et des pra- tiques d’usage au niveau des espaces résidentiels. « Quand un chercheur est sur le terrain, l’outil visuel renforce ses idées, concrétise ses observations, aide tout simplement à construire la théorie. L’image s’offre à lui comme donnée et comme médium. L’expression de William I. Thomas, “faites et recueillez des photos”, me semble pertinente pour expliquer l’importance et le rôle croissant de l’image, d’une image qui doit répondre à des critères méthodologiques »2. Pour l’architecte que je suis, la prise de photos n’est pas toujours la solution idéale. Dans le cas présent, les habitants ont catégoriquement refusé toute prise de photo, et ce, au risque de représailles. Le respect de l’anonymat a été la condition sine qua non imposée par les enquêtés. Il a donc fallu avoir recours à un autre type de représentation visuelle, celui du dessin et des plans archi- tecturaux. Ces derniers donnent une image précise de l’état des logements avant et après attribution et révèlent toutes les transformations effectuées par les résidents. Pour comprendre l’état actuel des espaces résidentiels, il faut d’abord expli- quer comment cette ville nouvelle est née, dans quelles circonstances les habi- © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) tants de ces espaces ont été transférés, dans quelles conditions ils ont bénéficié de logements sociaux et leur position par rapport aux logements attribués ainsi que celle des autorités locales. Tout chercheur se doit de placer le problème dans son contexte pour pouvoir interpréter les résultats de son enquête. Nous allons donc procéder à une lecture globale avant de soumettre les résultats, et ce, afin d’expliquer les tenants et aboutissants de ces espaces résidentiels, de l’image que l’on s’en fait et qui conditionne leur réussite ou leur échec. Historique de l’urbanisme de Constantine La Médina de Constantine, communément appelée le « Rocher », est unique par son site. « Nid d’aigle, perché sur un étroit plateau rocheux, limité par des escarpements vertigineux »3, cette ville ancienne est le lieu du paraître. La représentation visuelle que l’on s’en fait est celle d’un entrelacs de rues exiguës, de ruelles et d’impasses ainsi que de places publiques soumises aux 2. F. La Rocca, « Introduction à la sociologie visuelle », Sociétés, 2007/1, n° 95, p. 38. 3. J. Modot, « Constantine et ses environs », Algérie. Les guides bleus, Hachette, Paris, 1974, p. 387. Sociétés n° 164 — 2024/2 140 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles variations de l’ensol eillement et du climat4. Ces lieux d’échange et de com- munication sont pour la population locale des lieux identitaires par excellence, car ils relient les espaces résidentiels, économiques, culturels, religieux et mili- taires, tout en préservant l’image de la ville. Au cours des années, la croissance urbaine a développé ses tentacules à grande distance ; le surcroît démographique et le développement socio-éco- nomique ont engendré des extensions urbaines considérables. Ce site naturel difficile à urbaniser se caractérisait par une surcharge au niveau du centre et une urbanisation plus diffuse en périphérie. À présent, alors que l’on construit dans tous les styles et selon tous les goûts, la Médina demeure le symbole d’un mode de vie antérieur qui exerce toujours son effet sur la masse du peuple. Pourtant, la Médina est en état de ruine : 3 500 constructions ont été déclarées vétustes, et plus de 1 165 familles ont été évacuées vers la ville nouvelle, Ali Mendjeli, qui est ainsi devenue un site d’accueil pour toutes ces personnes5. Constantine est riche de son identité arabo-musulmane, mais également de son héritage colonial. Les Français ont mis en relation les points névral- giques de la ville. Le quartier colonial limitrophe à la ville ancienne est com- posé d'une succession d'îlots fermés haussmanniens. L'alignement sur rue est très réglementé, tout comme une certaine forme d’uniformisation architectu- rale, qui offre une certaine cohérence à l'ensemble. Néanmoins, le quartier colonial, plus précisément l'extrémité de l'ex-faubourg Saint-Jean, se caracté- risait par d’importants glissements de terrain qui se sont multipliés à la suite de la conjonction de plusieurs causes, telles que la fragilité naturelle des lieux, © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) l’infiltration des eaux pluviales et la vétusté du réseau d’adduction en eau potable. Ces glissements de terrain ont entraîné l’altération des fondations en sous-sol, l'effondrement d'un certain nombre d'habitations et la menace de destruction de beaucoup d'autres. L’éradication des secteurs construits sur des terrains à risque de glisse- ments (15 000 logements ont été touchés) a incité la construction de 6 000 logements sur le site de la ville nouvelle Ali Mendjeli – en cours de construction à 25 kilomètres de la Médina – et de 3 000 autres sur le site Massinissa – situé à environ 18 kilomètres de Constantine. Au total, 9 000 logements ont été construits dans un délai de deux ans en vue d’accueillir les 65 000 habitants 4. L. Makhloufi, « Les ambiances dans les vieilles villes algériennes : entre cultures, identités et héritages sensoriels », Ambiances in action/Ambiances en acte(s). International Congress on Ambiances, Montréal, Canada, 2012, p. 489. 5. L. Makhloufi, « Repères urbains et espaces publics à Constantine – Entre vieille ville et ville nouvelle : conflit ou complémentarité ? », in B. Aiosa & F. Naït-Bouda & M. Thévenon (ed.), Repères et Espace(s), Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 2010, p. 127. Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 141 du boulevard Saint-Jean6, considéré comme un site à haut risque. L'action des autorités aura été déterminante par rapport aux urgences socio-économiques du moment : 1 121 logements ont été attribués, les habitants véritablement sinistrés ont été relogés, les habitations vidées de leurs occupants et présentant un danger pour les passants ont été démolies. Constantine reflète certes l'expression visuelle de la culture qui l'a construite, mais, comme toutes les grandes villes, elle possède des quartiers dits « chics » et d’autres que l’on juge « dangereux ». Cette ségrégation sociale et spatiale s’est d’ailleurs accentuée à cause de la multiplication des implantations illé- gales. Les quartiers précaires se caractérisaient par la promiscuité des logis et l'absence de moyens rudimentaire d'hygiène (collecte des déchets ménagers et assainissement des eaux usées). Les infrastructures de base dans ces quartiers devaient être financées par la municipalité, sans possibilité de recouvrement ultérieur des coûts par les taxes ou les impôts, afin d’éviter la propagation d’épidémies. À la suite de la prolifération de véritables noyaux de bidonvilles, des actions concrètes ont été entreprises afin de régulariser la situation de cette population défavorisée et de lui garantir de meilleures conditions de vie. Cette population, estimée à 81 500 personnes en 2003, vivait à l’intérieur de 11 638 baraques réparties sur 75 sites. Une démarche de résorption de l'habitat précaire a été appliquée d’une façon plus ou moins poussée par les autorités locales, et les familles ont été relogées dans la ville nouvelle, telles que les 713 familles de la carrière Gance ou les 446 familles du bidonville Rahmani-Achour (ex-Bardo), © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) toutes relogées à l’unité de voisinage (UV) 7. Les opérations de relogement se sont poursuivies sans interruption jusqu’à éradication complète des sites insa- lubres. Bien entendu, à la suite du transfert résidentiel, toutes les baraques ont été démolies, laissant des opportunités foncières voir le jour. Pourtant, la stratégie adoptée reste partielle, car ces opérations de relo- gement ont prédominé sur la prise en considération des spécificités sociales locales. Ne connaissant et n’appréhendant pas les habitants sous un angle sociologique, les dirigeants les ont essentiellement considérés d'un point de vue statistique. Taille moyenne et revenu des ménages, taux d'occupation par baraque, nombre de familles par numéro de baraque, densité du cadre bâti et densité à l'hectare ont été et sont les seuls indicateurs utilisés. Dans la ville nou- velle, des unités de voisinage achevées en matière d’habitat et de vie urbaine souffrent d’enclavement et de désordres sociaux, le relogement ayant posé un certain nombre de difficultés par rapport aux capacités de financement des ménages (faiblesse des revenus et non-accès au crédit bancaire). 6. Selon l’article 25 du décret exécutif n° 98-42 et conformément aux dispositions du décret législatif n° 94-01 du 15 janvier 1994 susvisé, le président de l’assemblée populaire communale doit établir et tenir à jour les informations statistiques relatives aux demandeurs de logements et aux attributaires. Sociétés n° 164 — 2024/2 142 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles Certes, La politique de la ville nouvelle Ali Mendjeli prescrit la réduction des fractures sociales en accueillant le surplus de la population de Constantine, mais également la résorption de la crise du logement et, en particulier, celle des quartiers précaires. Par les meilleures conditions de logement qu’elle présente, elle offre une autre solution à l’accroissement spontané de l’agglomération. De notre point de vue, cependant, les autorités locales ont su renouer avec des problématiques sociales plus larges, telles que l’habitat du plus grand nombre, et ont permis à beaucoup de ménages en difficulté et aux ressources limitées de bénéficier de logements décents et, surtout, neufs. Présentation de la ville nouvelle D’une capacité d’accueil de 300 000 habitants, la ville nouvelle possède un important potentiel foncier estimé à 1 500 hectares, avec une bonne construc- tibilité et une bonne stabilité du sol. En effet, l’implantation sur des terrains à faible valeur agronomique permettait de s’affranchir des inquiétudes liées à l’instabilité du sol. Quant à l’acquisition par l’État du foncier et, donc, du territoire à urbaniser, elle a surtout permis le fondement de la ville, et ce, à partir d’un simple schéma directeur composé de tracés viaires délimitant cinq quartiers distincts, chaque quartier étant à son tour divisé en quatre unités de voisinage, censées accueillir les différents programmes de logements, d’équipe- ments et d’espaces verts prévus à court, moyen et long termes (figures 1 et 2). En fait, le schéma directeur définissait simplement la structure urbaine © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) générale et la localisation des différents programmes, mais n’imposait en aucun cas le parti architectural à adopter. L’aménagement de la ville nouvelle obéissait ainsi à un zonage strict et à une division des secteurs en unités de voi- sinage, voire en îlots, une hiérarchisation qui a été adoptée à tous les niveaux de la composition urbaine pour permettre une meilleure identification des élé- ments composant la ville. Dans cette même optique, les projets d’habitat se caractérisaient par une densité faible qui augmenterait au fur et à mesure que l’on se rapprocherait du centre-ville, dans lequel elle atteindrait les 100 loge- ments à l’hectare, une hiérarchisation tant spatiale que fonctionnelle qui avait pour but d’aboutir à une forme urbaine qui favoriserait la lisibilité des lieux et, surtout, un repérage facile pour les usagers. Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 143 Figures 1 et 2 – Schémas directeurs divisés en cinq quartiers (1) et en vingt unités de voisinage (2) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) Source : URBACO, Bet, 1994, figures traitées par l’auteure. Choix urbanistiques et architecturaux effectués En ville nouvelle, des choix d’urbanisme ont été faits : les équipements et les services ont été réalisés progressivement, tout en favorisant les transports en commun. Les habitants trouvent à proximité de chez eux écoles primaires, collèges, crèches, salles de sport, bureaux de poste et commerces de première nécessité. En s’éloignant un peu, ils atteignent les lycées. Enfin, par le bus et récemment par le tramway, ils peuvent rejoindre la cité administrative, les Sociétés n° 164 — 2024/2 144 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles banques, les établissements d’enseignement supérieur et les équipements sani- taires. C’est le schéma qui prévaut dans pratiquement toute la ville nouvelle. Figure 3 – Les immeubles de logements sociaux (UV 6, UV 7 et UV 8) Aujourd’hui, la ville nouvelle est caractérisée par une forte densité, mar- quée par une concentration de logements collectifs, d’équipements sanitaires (hôpital civil et militaire), éducatifs et, surtout, universitaires (universités de Constantine 2 et 3). Elle se distingue par son centre urbain à prédominance commerciale, son réseau viaire influencé par le relief du site, ses jardins de © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) proximités et sa zone d’activité localisée à l’entrée de la ville, non loin de l’aéro- port international de Constantine. Cela dit, la priorité étant de loger un très grand nombre de personnes, les programmes de construction étaient essentiel- lement des logements sociaux, qui ont pris la forme d’assemblages, de grands immeubles collectifs, à l’image de la première unité de voisinage (UV 6), qui regroupait à elle seule un ensemble de 1 701 logements sociaux (figure 3). Pour les décideurs, l’habitat collectif est une bonne réponse aux besoins en logement, car ceux qui s’y installent se réjouissent d’y trouver le confort dont ils avaient été privés jusqu’alors. En effet, nul ne conteste que les bénéficiaires se réjouissent, dans un premier temps, de trouver dans ces nouveaux logements le confort dont ils avaient été privés et de retrouver une certaine stabilité rési- dentielle, après avoir vécu dans l’incertitude du lendemain et dans la crainte d’un probable effondrement de leur logis. Ce n’est qu’ensuite qu’ils dénoncent les problèmes de finitions et d’étanchéité. Ce constat revient inlassablement au cœur des débats et reflète l’état d’urgence des opérations de relogement. Les doléances des habitants sont adressées à l’Office public de gestion immo- bilière (OPGI) et, plus précisément, au chef du département de la gestion du patrimoine de l’OPGI. Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 145 Par ailleurs, les solutions « standards » adoptées (pour un ménage inférieur à 4 personnes, un F1 [studio] est attribué, pour un ménage compris entre 5 et 7 personnes, ce sera un F2 [deux pièces] et enfin un F3 [trois pièces] pour 7 voire davantage de personnes) ont conduit à d'importantes modifications effectuées par les attributaires, et cela, tant au niveau interne du logement qu’en façade. Actuellement, les espaces résidentiels laissent apparaître d’évidentes difficultés d’entretien, et la population dénonce la pauvreté formelle et architecturale de ces innombrables immeubles de béton. Dans la ville nouvelle, les habitants ne se contentent plus de meubler ou d’aménager leurs espaces de vie, mais détruisent des cloisons entières et n’hésitent pas à faire appel à des maçons et à des plombiers pour remodeler, voire renouveler, leur intérieur. Il en est de même pour l’extérieur : certaines façades ont été modifiées. S’ensuit alors une enquête pour mieux saisir le contexte actuel. Les plans qui suivent aideront à avoir une image précise des transformations effectuées. Soulignons encore une fois que les habitants ont catégoriquement refusé toute prise de photo, et ce, au risque de représailles ; l’anonymat étant ainsi respecté. Enquête architecturale Autrefois, l’habitat se différenciait par son architecture. Ses formes étaient soumises aux cadres idéologiques de l'époque et aux conditions climatiques et se traduisaient par une manière de construire qui codifiait l’organisation spa- © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) tiale interne, le langage architectural des façades et les techniques de construc- tion. Les maisons obéissaient à des paramètres de localisation, de matériaux, de conditions économiques et culturelles. Les images qu’elles véhiculaient traduisaient des espaces de vie, des modes de vie et offraient des contrastes considérables. Mais, aujourd’hui, face à la crise du logement, les acteurs poli- tiques se soucient moins des formes urbaines et architecturales de cet habitat destiné à la masse populaire et de l’image que ces constructions renvoient aux individus qui y ont élu domicile, alors qu’ils avaient jugé bon de les y transférer et de les y loger. De ce fait, comprendre le contexte actuel en ville nouvelle suppose de s’en- tendre sur ce qu’est « un espace social ». Selon Henri Lefebvre, qui a élaboré le concept7, la production d’un espace social dépend de trois modes d’appré- hension de l’espace : – la « pratique spatiale » ou « l’espace perçu », qui fait davantage référence au cadre bâti et au paysage urbain que l’on perçoit ; – les « représentations de l’espace » ou « l’espace conçu », qui fait référence aux institutions qui produisent l’espace, le gèrent, voire l’aménagent ; 7. H. Lefebvre, La production de l’espace, Anthropos, Paris, 1974. Sociétés n° 164 — 2024/2 146 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles – et les « espaces de représentation » ou « l’espace vécu »8, qui fait référence aux habitants ainsi qu’aux images et autres symboles qui en découlent. Lefebvre a marqué une différenciation entre l’espace vécu et l’espace conçu. « L’espace vécu » est l’espace des habitants et va au-delà d’un simple cadre de vie inerte pour être construit socialement par l’ensemble des activités humaines de ses occupants. Quant à « l’espace conçu », ce n’est pas celui de la population, mais celui des acteurs, et il reflète davantage leurs intérêts à produire cet espace. Les travaux de Lefebvre nous fournissent un modèle théorique qui met en exergue les rapports conflictuels générés par les représen- tations que l’on se fait d’un espace et de l’utilité qu’on cherche à lui attribuer. Un processus de production qui mène vers un espace résidentiel diffé- rencié, « espace vécu » versus « espace conçu », permet de saisir les dimen- sions qui opposent les concepteurs (architectes), les technocrates (institutions administratives) et la population, en l’occurrence les attributaires. En effet, plus on examine l’espace résidentiel et mieux on le considère, car on arrive à saisir les besoins qui tendent à l’éclatement d’une image abstraite et à la production d’une réalité sociale autre. En ce sens, l’image mentale que l’on se fait d’un « chez-soi » résulterait des pratiques d’usage et des représentations visuelles des espaces vécus anté- rieurs. L’analyse de logements attribués à une population aussi contrastée que celle venant à la fois de la Médina, du quartier colonial et des bidonvilles aidera à reconnaître l’existence d’identités collectives, à savoir des identités qui « trouvent leur origine dans les formes identitaires communautaires où les © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) sentiments d’appartenance sont particulièrement forts »9. En effet, l’identité forme un « lien idéel » entre les habitants et leurs loge- ments et devient par là même un « moteur » de la production de l’espace social. D’ailleurs, depuis les travaux de Lefebvre, la notion d’espace occupe une place prépondérante dans les sciences sociales, qui ont mis en exergue la dimension sociale de l’espace ainsi que le processus de son appropriation. Dans le cas de la ville nouvelle Ali Mendjeli, il nous semble nécessaire de réinvestir cette notion d’appropriation, dans la mesure où elle permettra d’appréhender le logement sous l’angle idéel, mais aussi matériel, puisque le logement est un moyen de production et, par là même, un attribut social valorisé par la popu- lation en général et valorisant pour les bénéficiaires en particulier. 8. Le concept d’espace vécu a été introduit au début des années 1970 par Armand Frémont, en particulier dans le livre La région, espace vécue (1976), Flammarion, Paris, 1999, dans lequel l’espace est à la fois le produit de stratégies et de rapports sociaux. 9. M. Castra, « Identité », op. cit., p. 73. Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 147 Appropriation des logements selon les anciens habitants de la Médina Si l’on venait à examiner l’état des façades des immeubles de logements sociaux avant et après installation des habitants transférés de la Médina (voir figures 4 et 5), nous remarquerions qu’il est rare de trouver un balcon dans son état d’origine. L’appropriation du balcon est devenue synonyme de clôture, à travers un dispositif matériel qui prend la forme d’une véranda. Pour ces habi- tants : « Le balcon est exposé aux regards indiscrets des passants […]. Seule la pose d’une véranda permettra d’exploiter le balcon du nouvel appartement en toute intimité. » Notons que les façades arabo-musulmanes auxquelles ils étaient accoutumés sont pour la plupart aveugles, avec parfois un mouchara- bieh qui permet de voir sans être vu. Figures 4 et 5 – Façades d’immeubles de logements sociaux avant et après transformation © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) Sociétés n° 164 — 2024/2 148 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles En effet, dans la Médina de Constantine, la résidence arabo-musulmane est une véritable bulle endogène et contraste avec l’animation qui s’étend au- delà de son périmètre, mais, comme la ville nouvelle Ali Mendjeli a délibéré- ment été conçue en rupture avec la vieille ville, la conception architecturale endogène qui permettait aux résidents, commerçants et passants de coexister en évitant à chacun de porter atteinte à l’autre s’est transformée. En témoignent ces nouveaux balcons qui ne sont visiblement pas adaptés aux modes de vie des habitants, puisqu’ils sont ouverts sur l’extérieur et seront refermés aussitôt par le biais de vérandas pour préserver leur intimité. L’analyse des transformations effectuées, non pas à l’extérieur, mais à l’in- térieur des logements sociaux attribués aux anciens habitants de la Médina, nous conforte dans cette logique de privatisation de l’espace résidentiel et ce besoin vital d’intimité. En effet, nous avons constaté que le hall de distribution a remplacé d’une façon consciente ou non le patio central de la maison tradi- tionnelle. En effet, le patio de la maison arabo-musulmane est le cœur de la résidence. Cette cour intérieure à ciel ouvert est un lieu de vie à part entière, mais aussi un espace pour recevoir ses amis ou sa famille proche. Voulant recréer un système endogène dont les pièces donneraient sur un noyau central dans ce nouvel appartement, les habitants ont procédé à certains changements (voir figure 6). Figure 6 – Un appartement avant et après transformation © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) D’après les enquêtés, le hall a pris la place centrale pour être converti en cas de besoin en « un lieu de rencontre où l’on peut se retrouver autour d’une table basse, pour prendre un café ou même un repas ». S’ensuivent alors d’autres transformations dans la distribution interne du logement. La cuisine, pièce maîtresse, sera reconvertie en chambre grâce à la présence immédiate d’un petit séchoir, qui fera désormais office de kitchenette. Les enquêtés affir- ment avoir pour habitude « de sécher leur linge au grand air dans un patio soumis aux variations de l’ensoleillement » et qu’ils ne voient pas « l’utilité de Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 149 ce qui a été conçu ». Ils affirment qu’une cuisine exiguë ne gêne pas et que ces transformations étaient « nécessaires ». Les concepteurs (architectes) ainsi que les technocrates (institutions admi- nistratives) doivent dorénavant faire face à l’attachement de la population à une architecture vernaculaire et à l’image sociale qu’y en découle, d’autant plus que cette exclusivité est souvent revendiquée au nom de « la liberté d’usage », puisque les habitants choisissent d’attribuer à chaque espace interne une nou- velle fonction, voire une nouvelle « utilité ». L’appropriation des logements selon les habitants venant des bidonvilles Si l’on venait à considérer l’intérieur des logements sociaux attribués aux habitants transférés des bidonvilles, nous constaterions une éventuelle addi- tion de cloisons en briques pour une conception différente et plus adaptée à leurs besoins (voir figure 7). Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver plus d’un ménage dans l’appartement, ce qui explique en partie le fait que les bénéfi- ciaires choisissent de diviser leur espace de vie : « Nous n’avons bénéficié que d’un deux pièces […]. Déçus, nous l’avons transformé en trois pièces […]. Nous sommes habitués à des chambres exiguës » (voir figure 7). Figure 7 – Un appartement avant et après transformation © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) Dans ce cas de figure, l’appropriation se traduit par un usage « exclusif » de l’espace, lequel est matérialisé sous forme de murs en briques. « Cette exclu- sivité peut provenir de raisons strictement matérielles ou fonctionnelles, mais aussi de raisons plus directement sociales : l’appropriation est alors synonyme de clôture par le biais de divers dispositifs matériels »10. 10. F. Ripoll, V. Veschambre, « Introduction », Norois, « L’appropriation de l’espace », 195, 2005(2), p. 9, en ligne : https://journals.openedition.org/norois/153 Sociétés n° 164 — 2024/2 150 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles Figure 8 – L’appartement d’un immeuble avant et après transformation Quant à l’apparence externe, nous avons constaté, cette fois encore, que le balcon n’en était plus un et qu’il faisait partie intégrante de la salle de séjour ou de la cuisine, sans que les habitants aient pensé aux problèmes d’isolation thermique ou d’humidité que cela impliquerait (voir figure 8). Seulement, cette fois-ci, les vérandas « barreaudées » traduisent non pas un besoin d’intimité, mais un besoin de sécurité. Ces enquêtés avaient fui la campagne pour s’ins- taller en ville à cause de la crise sécuritaire qu’avait traversée l’Algérie dans les années 1990, appelée communément « la décennie noire ». Cette forme d’appropriation du nouvel appartement devient « inséparable d’intention, de © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) perceptions et représentations et même de constructions imaginaires ou idéo- logiques »11. Avoir un sentiment de sécurité, se sentir chez soi, à l’abri de toute forme d’inconvenance, devient alors une source de bien-être et de confort pour ces attributaires. L’appropriation des logements selon les habitants issus du quartier colonial D’après notre enquête, les victimes des glissements de terrain remettraient en cause l’image de la ville nouvelle en général et de ses appartements en particulier : « La dévalorisation de la ville nouvelle − quand celle-ci n’est pas chic − se double de celle d’une ville béton compromise par l’illisibilité des lieux […] et par les coulures et autres bavures qui signent si mal le béton et l’enduit. » Ces personnes résidaient autrefois dans de grands appartements du quartier colonial, en plein centre-ville. Elles sont habituées à un certain mode de vie, qu’elles cherchent d’ailleurs à reproduire dans la ville nouvelle. Seulement, une fois sur place, elles se retrouvent, dans le meilleur des cas, dans des F3 qui ne correspondent pas à leur mode d’habiter. 11. Ibid., p. 10. Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 151 Certes, les îlots haussmanniens dans lesquels ces habitants ont vécu pré- sentaient plusieurs inconvénients, notamment celui d'empêcher une bonne dif- fusion de la lumière naturelle (les pièces donnant sur cours étaient souvent très sombres), « mais nous avions une vue imprenable sur Constantine ». Ainsi, la vue et le standing l’emportent sur le confort en habitat. Notons que les repères urbains du centre-ville de Constantine marquent d’une empreinte indélébile les propos des personnes que nous avons interrogées. Nos interlocuteurs parlent d’ailleurs avec une relative éloquence de leur quartier d’origine, qui traduit, pour eux, l’image la plus représentative de leur espace de vie. Ce sentiment d’appartenance, qui va au-delà d’une simple appropriation, est présent chez toutes les personnes interrogées lors de nos enquêtes, indé- pendamment du fait qu’elles aient été transférées des anciens bidonvilles de Constantine, de sa Médina ou encore de son quartier colonial. Après plusieurs années d’occupation de ces espaces résidentiels, elles estiment avoir été « délo- gées » de chez elles, une dénomination plutôt « affective », qui montre qu’elles ont une vision très personnelle de leurs anciennes résidences. Ces habitants évoquent leur appartenance, comme pour se distinguer des autres habitants de la ville nouvelle, et restent très attachés à leur quartier d’origine. On parle alors d’attachement affectif, puisque cette production architecturale, patrimo- niale et culturelle est devenue un des vecteurs d’affirmation symbolique pour ces attributaires de logements sociaux originaires pour la plupart des quartiers centraux de Constantine, désigne le sentiment de se sentir chez soi et renforce ce lien identitaire, sensible et affectif au quartier de provenance. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) Par conséquent, au-delà des déterminants classiques liés au statut socio- économique, à l’âge, au genre, aux appartenances multiples de ces enquêtés, il convient de retenir l’expression particulière de leur vécu et de leurs expériences sociales et, surtout, spatiales. Dans le cas présent, il est possible de lire et de décrypter l’espace résidentiel à partir des habitants, de leurs représentations visuelles, de leurs comportements sociaux, de leurs pratiques spatiales et de leurs actions individuelles et collectives. En tant qu’exemple d’urbanisme volontaire, la ville nouvelle doit faire face à l’attachement des habitants à leurs quartiers de provenance et à leurs espaces vécus, et les technocrates sont confrontés à des difficultés qu’ils doivent surmonter. Des mesures dissuasives ont été prises par les autorités locales pour contrecarrer les pratiques des nouveaux résidants et les alarmer quant au risque de porter préjudice à la structure de l’immeuble et, par là même, à leur sécurité. Il est difficile d’avoir une estimation exacte du nombre de bénéficiaires ayant remodelé leurs appartements sans aucune autorisation. Ceux d’entre eux ayant été dénoncés ont été assignés en justice. L’ordonnance du juge d’ins- truction interdit formellement de modifier la façade, et encore moins l’intérieur, Sociétés n° 164 — 2024/2 152 Le logement social à Constantine : entre pratiques d’usages et représentations visuelles et stipule que les locataires doivent remettre les lieux dans l’état dans lequel ils les ont trouvés. S’ils refusent, ils risquent une peine d’emprisonnement. Figures 9 et 10 – Exemples d’immeubles résidentiels dans le tissu colonial (9) et dans la ville nouvelle (10) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) Mais pour l’architecte que je suis, l’acuité des transformations effectuées est contestable. En examinant la conduite des habitants vis-à-vis des loge- ments et celle des services de contrôle de l’OPGI, l’enquête a démontré que les logements sont mal adaptés aux besoins des ménages, qu’aucune étude sociologique n’a été menée au préalable et que, si l’on applique la standardi- sation des modes de vie, cela se traduit par un besoin incessant d’espace pour les habitants. Par ailleurs, la conception architecturale des immeubles dans la ville nouvelle est tellement rigide qu’il serait erroné de croire que toutes les transformations sont possibles selon le bon vouloir des attributaires, et cela, à cause des murs porteurs en béton armé impossibles à abattre. En fait, les occupants ne font qu’ajuster les appartements pour améliorer leur bien-être, Sociétés n° 164 — 2024/2 LILIA MAKHLOUFI 153 et ce, en détruisant quelques cloisons non porteuses. Leurs modifications ne peuvent donc nuire à la structure de l’immeuble. Après avoir eu leurs repères bouleversés, leur sentiment d’appartenance aux quartiers centraux de Constantine troublé, les habitants manifestent tout simplement leurs inquiétudes vis-à-vis de leur passé et de leur futur. Pour l’ins- tant, ce sont les espaces en pied d’immeuble qui sont vécus comme des éléments identitaires, car l’on retrouve sous les arcades une série de petites boutiques, non loin desquelles on a installé un souk, rappelant la Médina et son puissant appareil commercial composé d’une juxtaposition d’échoppes et d’ateliers. Par conséquent, on peut regretter l’absence d’un sentiment d’apparte- nance à un territoire naissant, un territoire que l’on peut définir comme étant « l’expression globale du spatial, du social et du vécu, comme une temporalité plus ou moins fragile, comme la rencontre du signifiant et du signifié, du maté- riel et de l’idéel »12. Pour tout un chacun, les images évoquées par son logement, son quar- tier de résidence, sa ville natale ou d’adoption sont indissociables des pra- tiques d’usage et des processus identitaires. Ainsi, l’image de la ville nouvelle se retrouve liée à celle de l’usage, dès lors que, libre ou contraint, on y élit domicile, d’où la nécessité de penser le logement, ses pratiques, sa symbo- lique, ses modes de construction et surtout d’appropriation. « La possibilité de nous identifier positivement à un lieu […], de développer la fierté d’y vivre », voilà l’enjeu essentiel pour les nouveaux résidents. C’est donc une question de © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 21/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 91.65.32.94) personnalité ; il leur manque une image de référence, une preuve d’identité et d’ancrage dans leur territoire. Conclusion Dans cet article, notre position n’est nullement « passéiste » : nous ne défen- dons ni la ville ancienne ni son architecture. Nous désirons simplement saisir les tenants et aboutissants des espaces résidentiels socialement construits, et non pas dessiner un avenir inéluctable, celui de la standardisation des modes d’habiter. Nous tentons, au contraire, d’adopter une autre posture face à la ville contemporaine, où nul n’est censé échapper au fait d’habiter de la même manière et dans laquelle l’architecte est ce