Notions de philosophie Philosophie des sciences (1) 2024-2025 PDF

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UCLouvain

2024

UCLouvain

Dr. Nathalie Grandjean

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These lecture notes cover the subject of the philosophy of science. The document introduces core concepts and discusses relevant historical figures and developments.

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Notions de philosophie Philosophie des sciences (1) Dr. Nathalie Grandjean - UCLouvain 2024-2025 SBIM1BA & FARM1BA 11/10/24 Philosophie des sciences (20ème siècle) Faire science? Le Cercle de Vienne et l’empirisme logique (1929-1936) Kar...

Notions de philosophie Philosophie des sciences (1) Dr. Nathalie Grandjean - UCLouvain 2024-2025 SBIM1BA & FARM1BA 11/10/24 Philosophie des sciences (20ème siècle) Faire science? Le Cercle de Vienne et l’empirisme logique (1929-1936) Karl Popper (1902-1994) Thomas Kuhn (1922-1996) Isabelle Stengers (1949-) Philosophie des techniques et technosciences 2 Faire science? Qu’est-ce que la vérité ou qu’est-ce que la connaissance? Questions philosophiques aussi anciennes que la philosophie: Aristote, Platon, Descartes, Kant… Science? Questions philosophiques qui apparaissent au 19ème siècle , au moment où les sciences prennent une place politique, économique et culturelle incontournables (naissance du capitalisme Chargement… industriel) 1. Qu’est-ce que la science (ou les sciences) ? Qu’est-ce qui distingue ce type de savoir des autres ? Comment la définir ? 2. Comment la science (ou une science) s’est-elle constituée ? Quels ont été les facteurs (technologiques, mathématiques, sociologiques, philosophiques, religieux,...) qui ont influé sur son évolution ? Quelles méthodes de travail et de réflexion ont été employées pour la construire ? 3. Comment juger de sa validité ou de sa valeur ? Que veut dire qu’une théorie scientifique est vraie ? Comment vérifier la validité d’une théorie scientifique ? Comment définir la science? Définition 1 (Petit Robert) : « ensemble de connaissances, d’études d’une valeur universelle, caractérisées par un objet et une méthode déterminés, et fondées sur des relations objectives vérifiables. » Définition 2 (Larousse) : « ensemble cohérent de connaissances relatives à une certaine catégorie de faits, d’objets ou de phénomènes. » Définition 3 : « La science est une connaissance objective qui établit entre les phénomènes des rapports universels et nécessaires autorisant la prévision de résultats (effets) dont on est capable de maitriser expérimentalement ou de dégager par l’observation la cause. » (Philosophie critique. Tome 3 « La science – épistémologie générale », M.C. Bartholy, J.P. Despin, G. Grandpierre, Magnard, 1978) Comment définir la science? Une science doit apporter des connaissances sur son objet, c’est-à-dire avoir un contenu. Pour accéder au statut de connaissance et non de simple croyance, son contenu doit être justifiable, c’est-à-dire vérifiable ou validable → La vérification doit pouvoir être faite par n’importe quelle personne (compétente) → C’est en cela que le savoir scientifique est dit objectif : il est (idéalement) indépendant de la Chargement… personne menant l’opération de vérification. Caractère universel du contenu de la science : la loi de la gravité est supposée s’appliquer partout dans l’univers, aussi bien hier, aujourd’hui que demain. L’espace et le temps scientifiques sont en cela homogènes et isotropes : tous les lieux de l’espace et tous les temps sont équivalents du point de vue de l’applicabilité des énoncés scientifiques. Une discipline scientifique se doit d’être capable d’expliciter ses moyens d’investigation et sa méthode de construction de la connaissance Enoncés singuliers et universels Enoncés singuliers ou Énonces universels ou d’observation théoriques Les oiseaux que je vois sur ce fil La couleur des plumes des oiseaux sont tous bruns est produite par des pigments Un gars bourré au bar vient de Tout corps matériel à la surface du tomber globe est attiré par la terre en Mon bus était à l’heure ce matin. fonction de la gravitation Ils se réfèrent à des situations universelle précises (localisation espace- Ils portent sur de très larges temps) ensembles de phénomènes Peuvent être vérifiés par un Ils ne sont pas localisés dans Induction et déduction: deux types de raisonnements Inférence inductive Raisonnement déductif Une accumulation d’énoncés On relie des énoncés généraux à singuliers conduit à un énoncé de des énoncés singuliers type général/universel Repose sur la validité des Particulier > général connecteurs logiques Exemple : On observe de Général > particulier multiples fois que l’eau gèle à 0 Exemple : ̊C dans des conditions normales Tous les corbeaux sont noirs. de pression Cet oiseau est un corbeau. On énonce l’affirmation générale Donc il est noir. : « l’eau gèle toujours à 0 ̊ C dans Valide = vrai ? Pas nécessairement... Il neige tous les vendredis. On est vendredi. Donc il neige. Attention, on peut avoir... - Des énoncés universels qui sont faux - Des raisonnements valides qui produisent des énoncés faux La validité d’un raisonnement ne détermine donc pas la vérité de sa conclusion La science comme induction ou déduction? La conception inductiviste de la On fait quoi avec les lois science fait reposer la valeur de scientifiques ? On explique vérité des lois scientifiques sur L’application d’une loi les observations, considérées scientifique selon les règles comme relations neutres et logiques de la déduction permet objectives à la réalité de comprendre le particulier à La loi scientifique est le lieu partir du général d’une vérité certaine : Explication rétrospective : Le - On « tire la loi de l’expérience phénomène X s’est produit à » cause de la loi Y - L’expérience scientifique nous donne un accès neutre à la réalité Explication prédictive : Selon la loi Y, si on fait X, Z se produira. Le Cercle de Vienne et l’empirisme/le positivisme logique (1929-1936) Naissance de la philosophie des sciences 19e et début 20e siècle : les sciences sont en quête d’une objectivité absolue par la méthodologie A la fin du 19e siècle, la philosophie des sciences devient une Chargement… discipline à part entière sur un plan institutionnel, lors de la création des premières chaires de « philosophie inductive » ou de « théorie des sciences inductives » Cela semblait évident à l’époque : les sciences de la nature procéderaient globalement par induction, c’est-à-dire formuleraient des lois générales après l’observation répétée de phénomènes identiques, plutôt que par déduction, comme le feraient les sciences formelles (logique et mathématiques) Défenseurs philosophiques de la science comme induction La philosophie positive d’Auguste Comte (1798-1857) Contexte Culture de « Weimar » (1918-1933): même si Vienne n’est pas en Allemagne, la culture de la République de Weimar l’influence (https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_de_Weimar) ; mouvements intellectuels progressistes dans l’entre-deux-guerres centre-européen, tant intellectuel, scientifique qu’artistique Vienne « rouge » : commune socialiste; période bouillonnante en réformes sociales Les persécutions nazies causent la dispersion du mouvement néopositiviste L’émigration transatlantique des empiristes logiques met une fin à l’empirisme logique dans sa version contestataire Le Cercle de Vienne Réunit des savants et l’intelligentsia de l’époque: Kurt Gödel (mathématicien), Hans Hahn (mathématicien), Kurt Reidemeister (mathématicien), Friedrich Waismann (mathématicien), Felix Kaufmann (juriste), Viktor Kraft (historien), Otto Neurath (sociologue), Hans Feigl (physicien), Moris Schlick, Rudolf Carnap De 1918 à 1924 : phase constitutive du Cercle 1922: nomination de Schlick au cursus de philosophie naturelle (« philosophie des sciences inductives ») à Vienne; rendez-vous réguliers du jeudi soir organisés par Schlick 1926: Rudolf Carnap est nommé à l’université de Vienne et devient un des animateurs du groupe 1928: Hans Reichenbach fonde à Berlin un groupe aux intérêts similaires: La Société pour une Philosophie Empirique Le Cercle de Vienne 1928-1939: Encyclopédie de la Science Unifiée 1929 : Les deux groupes organisent à Prague une « session pour une théorie de la connaissance dans les sciences exactes » 1929 : Le manifeste du cercle de Vienne est publié (Hahn, Neurath et Carnap). Une conception scientifique du monde: Le Cercle de Vienne 1934: fin du Cercle, émigration de Neurath et décès de Hahn 1936: assassinat de Schlick par son étudiant Hans Nelböck, fin définitive du Cercle. L’homicide est précédé de deux menaces de la part de Nelböck et d’une campagne de diffamation ciblant la victime sur plusieurs années (son meurtre même ne manque pas d’être récupéré par la presse d’extrême droite) Le Cercle de Vienne Beaucoup de nouvelles disciplines veulent « faire science »: marxisme, psychanalyse, fascisme Prolonge le projet positiviste du XIXe siècle (« n’admettre pour vrai que ce qui est démontré et vérifiable »), mais en s’appuyant davantage sur la logique et l’analyse technique des problèmes philosophiques En réaction à l’idéalisme post-kantien (qui implique la croyance en une chose en soi) alors dominant en Allemagne, les néopositivistes s’attachent à la rigueur des énoncés et traquent les aberrations du langage métaphysique, pour produire une construction logique du monde sur une base strictement empirique (ce pour quoi il est aussi appelé « empirisme logique ») Le Cercle de Vienne Empirisme logique/positivisme logique Positivisme: Leur projet se veut détaché de toute métaphysique plus ou moins « cachée » Renonce à donner des causes externes (comme Dieu) aux phénomènes, cherche plutôt à énoncer les lois qui décrivent et prédisent Les sciences sont les seules sources légitimes de la connaissance Empirisme: La connaissance scientifique se construit grâce à l’expérience Logique: Toute connaissance scientifique doit être codée dans le langage idéal de la logique formelle Le Cercle de Vienne Mouvement de pensée qui tient à la fois du rationalisme et de l’empirisme « Toute connaissance est soit empirique soit formelle » « La philosophie est une élucidation des propositions scientifiques, éthiques et esthétiques par l'analyse logique » « Les énoncés métaphysiques sont dépourvus de sens : les problèmes philosophiques traditionnels auraient été mal posés, et leurs solutions auraient été exprimées inadéquatement » (Wittgenstein) Unité de la science Il ne faut pas séparer la théorie d’une connaissance du monde d’une volonté d’émancipation politique et sociale La science est une conception du monde à part entière, et pas simplement une discipline à laquelle on peut ou pas se livrer La politique aussi doit renoncer à ses « dogmes métaphysiques » et être dirigée Énoncés d’observation et énoncés théoriques Distinction entre les énoncés d’observation et les énoncés théoriques L’ensemble des énoncés d’observation qui peuvent être rattachés à un énoncé théorique forme son contenu empirique, encore appelé son contenu factuel On appelle énoncé métaphysique tout énoncé théorique sans contenu factuel Distinction entre les énoncés analytiques et les énoncés synthétiques Les énoncés synthétiques sont vrais ou faux en vertu des rapports qu’ils entretiennent avec l’expérience (exemple : un objet est posé sur la table) Les énoncés analytiques sont vrais ou faux en raison de leur cohérence interne (exemple d’énoncé faux : il y a et il n’y a pas d’objet sur la table) Les énoncés éthiques et métaphysiques Tout énoncé de connaissance est soit analytique, soit synthétique a posteriori, et donc vérifiable par l’expérience Dès lors, les énoncés éthiques et métaphysiques sont, parce qu’ils sont prescriptifs et non descriptifs (et non vérifiables), nécessairement « vides de sens » (mais pas nécessairement absurdes); il sont uniquement des énoncés sur le langage et non sur le monde, ils n’ont pas de valeur de vérité Exemple: une proposition affirmant « il y a un Dieu » n'est ni vraie, ni fausse, mais tout simplement dénuée de signification, car invérifiable La métaphysique ne peut donc être une science Le positivisme logique est ainsi à l'origine de la dichotomie entre « faits » et « valeurs » Critères de scientificité (Carnap) Est scientifique ce qui est vérifiable (vérificationnisme) Est vérifiable ce qui peut être mis en rapport avec des perceptions partagées et incontestables basé sur la vérité-correspondance vise à établir une démarcation nette entre science et non-science Les énoncés d’observation sont directement vérifiables. Ils forment donc la base de la théorie scientifique les énoncés d’observation peuvent être tenus pour vrais et acquièrent un sens lorsqu’ils sont vérifiés les énoncés théoriques ne sont pas directement vérifiables : ils ne peuvent être mis à l’épreuve que par le biais des énoncés d’observation que l’on peut déduire d’eux Problème de la complétude de la base scientifique ? Carl Hempel (1905-1997) dans Eléments d’épistémologie (1966) «... une recherche scientifique ainsi conçue ne pourrait jamais débuter. Même sa première démarche ne pourrait être conduite à son terme, car, à la limite, il faudrait attendre la fin du monde pour constituer une collection de tous les faits ; et même tous les faits établis jusqu’à présent ne peuvent être rassemblés, car leur nombre et leur diversité́ sont infinis. Pouvons-nous examiner, par exemple, tous les grains de sable de tous les déserts et de toutes les plages, recenser leur formes, leur poids, leur composition chimique, leurs distances, leur température toujours changeante et leur distance au centre de la lune, qui change, elle aussi, tout le temps ? Allons-nous recenser toutes les pensées flottantes qui traversent notre esprit au cours de cette Problème de la complétude de la base scientifique La base empirique ne peut ni consigner ni vérifier tous les faits Solution: ne retenir que les faits significatifs, pertinents. Mais c’est quoi un fait pertinent ? Risque de subjectivisme dans le choix de la pertinence Fin du Cercle de Vienne et dispersion de ses idées… Assassinat de Moris Schlick en 1936 par un étudiant d’extrême-droite Fuite de la plupart de ses membres aux USA, UK… à cause des persécutions nazies Grande critique de la part des phénoménologues (Husserl et surtout Heidegger) qui y voient une réduction de la philosophie à la seule logique L’influence de ce courant fut considérable dans le monde anglo-saxon. Le néopositivisme est souvent intégré dans le mouvement plus global de la philosophie analytique, initiée par Russell Le cercle de Vienne https://www.radiofr ance.fr/francecultur e/podcasts/le-tour- du-monde-des- idees/le-cercle-de- vienne-philosophie- de-la-sobriete-pour- notre-temps- 8874074 Karl Popper (1902-1994) Karl Popper 1902-1994 (Vienne, UK) Démarcation entre science et non-science « La logique de la découverte scientifique » (1934) « La société ouverte et ses ennemis » (1945) Popper et le falsificationnisme Impasse: les énoncés théoriques de portée universelle (comme les lois) ne sont pas strictement vérifiables, même en ayant recours à l’expérience (problème de l’induction) Faut-il donc en conclure que la distinction entre la science et le reste des connaissances humaines ne peut être que purement subjective ? Solution de Popper: falsificationnisme si la confrontation à l’expérience ne peut jamais permettre de répondre par « oui » à la question de la valeur de vérité pour un énoncé, elle peut en revanche répondre « non » Si oui -> il faut vérifier une infinité d’énoncés d’observation Si non -> il suffit de trouver un unique contre-exemple Popper et le falsificationnisme « Une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique » Autrement dit, une théorie n’est scientifique qu’à condition d’être réfutable (ou, selon d’autres traductions, falsifiable) Attention : réfutable ne signifie pas réfuté ! Qu’une théorie soit réfutable ne veut certainement pas dire qu’elle est fausse, mais seulement qu’elle pourrait éventuellement l’être à certaines conditions si tel ou tel événement se produisait Autrement dit, une théorie scientifique doit pouvoir être testée, elle doit pouvoir se soumettre à certains protocoles expérimentaux permettant d’établir que s’il se produit tel résultat, elle sera vérifiée (validée), mais dans le cas contraire, elle sera réfutée (invalidée), et donc considérée comme fausse. « Essayez pour voir avec la théorie de la gravité, par exemple : lâchez votre téléphone d’une certaine hauteur. Est-il resté à la même hauteur ? Cela voudrait dire que la théorie est fausse. S’est-il brisé sur le sol ? Rassurez-vous, cela veut dire que la théorie est vérifiée, Chargement… prouvée et donc vraie… Enfin, pas exactement, puisque la vérité scientifique n’est alors jamais autre chose qu’une vérité provisoire, en attente d’une éventuelle réfutation qui n’est pas encore venue – et qui ne viendra peut-être jamais. Provisoirement corroborée, oui ; mais définitivement prouvée, certainement pas ! » Apports et limites du falsificationnisme Une théorie empirique est scientifique si elle est falsifiable, c’est-à- dire si elle est susceptible d’être infirmée par l’expérience Donc ne peuvent être inclus dans une théorie, pour qu’elle soit scientifique, que des énoncés réfutables On ne peut donc pas dire avec certitude ce qui est vrai. Mais on peut dire ce qui est faux : est faux tout énoncé falsifiable qui est falsifié, c’est-à-dire qui a été réfuté par l’expérience → Lignes de démarcation entre les théories scientifiques et celles qui ne le sont pas, comme la la métaphysique ou la psychanalyse qui, n’étant pas susceptibles d’expériences permettant d’en établir la vérité ou la fausseté, sont irréfutables Limites: les tests auxquels sont soumis les énoncés d’observation pour tenter de les falsifier reposent sur la base empirique disponible Karl Popper https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le- pourquoi-du-comment-science/le-pourquoi-du-comment- science-du-mardi-27-septembre-2022-4367349 Le paradoxe de la tolérance « La société ouverte et ses ennemis » (1945) « La thèse du complot [...] est, sous sa forme moderne, la sécularisation des superstitions religieuses. Les dieux d’Homère, dont les complots expliquent la guerre de Troie, y sont remplacés par les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes » Notions de philosophie Philosophie des sciences (2) Dr. Nathalie Grandjean - UCLouvain 2024-2025 SBIM1BA & FARM1BA 11/10/24 Philosophie des sciences (20ème siècle) Faire science? Le Cercle de Vienne et l’empirisme logique (1929-1936) Karl Popper (1902-1994) Thomas Kuhn (1922-1996) Faisons le point sur la vérité scientifique… Georges Thill & Pierre Thuillier Isabelle Stengers (1949-) Philosophie des techniques et technosciences 2 Chargement… Karl Popper (1902-1994) Karl Popper 1902-1994 (Vienne, UK) Démarcation entre science et non-science « La logique de la découverte scientifique » (1934) « La société ouverte et ses ennemis » (1945) Popper et le falsificationnisme Impasse: les énoncés théoriques de portée universelle (comme les lois) ne sont pas strictement vérifiables, même en ayant recours à l’expérience (problème de l’induction) Faut-il donc en conclure que la distinction entre la science et le reste des Chargement… connaissances humaines ne peut être que purement subjective ? Solution de Popper: falsificationnisme si la confrontation à l’expérience ne peut jamais permettre de répondre par « oui » à la question de la valeur de vérité pour un énoncé, elle peut en revanche répondre « non » Si oui -> il faut vérifier une infinité d’énoncés d’observation Si non -> il suffit de trouver un unique contre-exemple « Qu’on observe dix, vingt ou vingt milliards de cygnes blancs, il suffit d’un seul qui soit noir pour falsifier la théorie selon laquelle tous les cygnes sont blancs » Popper et le falsificationnisme « Une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique » Autrement dit, une théorie n’est scientifique qu’à condition d’être réfutable (ou, selon d’autres traductions, falsifiable) Attention : réfutable ne signifie pas réfuté ! Qu’une théorie soit réfutable ne veut certainement pas dire qu’elle est fausse, mais seulement qu’elle pourrait éventuellement l’être à certaines conditions si tel ou tel événement se produisait Autrement dit, une théorie scientifique doit pouvoir être testée, elle doit pouvoir se soumettre à certains protocoles expérimentaux permettant d’établir que s’il se produit tel résultat, elle sera vérifiée (validée), mais dans le cas contraire, elle sera réfutée (invalidée), et donc considérée comme fausse. Exemple « Essayez pour voir avec la théorie de la gravité, par exemple : lâchez votre téléphone d’une certaine hauteur. Est-il resté à la même hauteur ? Cela voudrait dire que la théorie est fausse. S’est-il brisé sur le sol ? Rassurez-vous, cela veut dire que la théorie est vérifiée, prouvée et donc vraie… Enfin, pas exactement, puisque la vérité scientifique n’est alors jamais autre chose qu’une vérité provisoire, en attente d’une éventuelle réfutation qui n’est pas encore venue – et qui ne viendra peut-être jamais. Provisoirement corroborée, oui ; mais définitivement prouvée, certainement pas ! » Apports et limites du falsificationnisme Une théorie empirique est scientifique si elle est falsifiable, c’est-à- dire si elle est susceptible d’être infirmée par l’expérience Donc ne peuvent être inclus dans une théorie, pour qu’elle soit scientifique, que des énoncés réfutables On ne peut donc pas dire avec certitude ce qui est vrai. Mais on peut dire ce qui est faux : est faux tout énoncé falsifiable qui est falsifié, c’est-à-dire qui a été réfuté par l’expérience → Lignes de démarcation entre les théories scientifiques et celles qui ne le sont pas, comme la la métaphysique ou la psychanalyse qui, n’étant pas susceptibles d’expériences permettant d’en établir la vérité ou la fausseté, sont irréfutables Limites: les tests auxquels sont soumis les énoncés d’observation pour tenter de les falsifier reposent sur la base empirique disponible Karl Popper https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le- pourquoi-du-comment-science/le-pourquoi-du-comment- science-du-mardi-27-septembre-2022-4367349 Le paradoxe de la tolérance Karl Popper Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis (1945) Rédigé pendant la montée du nazisme, c’est une défense de la démocratie et de ses difficultés inhérentes, dont le "paradoxe de la tolérance » Chargement… « Une tolérance sans limites ne peut que mener à la disparition de la tolérance. Si nous étendons une tolérance sans limites même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas préparés à défendre une société tolérante contre l’assaut des intolérants, alors les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance » Vérité et démocratie Popper veut une défense de la vérité Pour sauver la vérité, il faut accepter les pensées divergentes, le doute et l'erreur… tout en se défiant du relativisme ou du scepticisme Car ces positions conduisent à trois impasses : 1. l'impossibilité d'agir (si nous doutons de tout, nous ne faisons plus rien) ; 2. l'inutilité de communiquer (à chacun sa vérité", alors pourquoi en discuter ?) ; 3. l'abandon de toute ambition de connaissance (si rien n'est sûr ou que tout se vaut, autant vivre sans se soucier de ce qui est vrai ou faux) Vérité et démocratie Pour vivre en commun, il faut d’abord s'accorder sur la vérité des faits objectifs (c'est-à-dire de ce qui effectivement s'est passé) Ensuite, il est possible de débattre de la signification des faits Cette vérité des faits est la condition de possibilités des interprétations divergentes à son sujet Cf. Georges Clemenceau sur les responsabilités respectives quant au déclenchement de la Première Guerre mondiale : "Je n’en sais rien, mais tout ce dont je suis sûr, c’est qu’ils [les futurs historiens] ne diront jamais que le 4 août 1914 la Belgique a envahi l’Allemagne." (cité par Hannah Arendt, dans La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, (1961), Gallimard, 1989) La voie du pluralisme critique La conception de la tolérance de Popper s'inscrit dans le cadre du modèle épistémologique qu'il défend, fondé sur la réfutabilité: une théorie ne vaut que si elle se prête à être réfutée, testée, invalidée Popper en fait le critère de distinction entre l'énoncé scientifique et le discours idéologique, qui récuse l'épreuve des faits et refuse la critique Suivant ce modèle, Popper appelle à lutter contre le relativisme, forme de "tolérance laxiste", au nom du pluralisme des idées, de la même manière que l'on devrait revendiquer le droit de combattre l’intolérance au nom de la tolérance. « Tandis que le relativisme, qui ressort d'une tolérance laxiste, conduit au règne de la violence, le pluralisme critique, lui, peut contribuer à la maîtrise de la violence » Thomas Kuhn (1922-1996) Thomas Kuhn 1922-1996, USA Philosophe et historien des sciences Le développement historique des théories scientifiques est discontinu, par ruptures successives, « en révolution » Concept de paradigme dans l’histoire des sciences « La structure des révolutions scientifiques » (1962) Thomas Kuhn D’abord docteur en physique, puis historien et philosophe des sciences ça bouleverse son cadre de pensée La science est souvent perçue sous un angle purement cognitif : un ensemble de découvertes sur le fonctionnement de la nature et des moyens mis en œuvre pour y parvenir Or l’histoire montre que nombre de découvertes scientifiques d’hier n’ont plus aucune valeur aujourd’hui ! Il faut arrêter de considérer que la science se développe sous la forme d'une « accumulation » plus ou moins continue de résultats Repenser le sens de la science: vérité, progrès? Il faut tenir compte des facteurs sociaux ! Paradigme Le scientifique a une représentation théorique particulière du monde et de la nature, à un instant « t », avec des méthodes, des questions et des observations légitimes à cet instant « t » « paradigme » Les chercheurs de la « science normale » s’attachent à résoudre les problèmes auxquels est confronté le paradigme dominant, même s’ils peuvent croire eux-mêmes procéder de manière neutre C’est quand les anomalies s’accumulent, et que les scientifiques ont de plus en plus de mal à les expliquer, que le paradigme entre en crise. La « révolution scientifique » marque l’émergence d’un nouveau paradigme, une manière transformée de voir, d’étudier et de comprendre le monde par exemple : le passage du géo- à l’héliocentrisme La représentation change dès que le point de vue se modifie car on ne « La structure des révolutions scientifiques » (1962) Le progrès scientifique consiste moins à comprendre le fonctionnement de la nature qu’à mettre au point un cadre théorique accepté par la communauté scientifique. La science a besoin d’un cadre théorique pour avancer ; Les révolutions scientifiques sont provoquées non par des découvertes, mais par des crises au sein de la communauté scientifique ; La science fait régulièrement table rase du passé et des erreurs commises ; Le progrès scientifique n’est pas fondé sur la recherche de la vérité, mais sur l’idée que les scientifiques se font de la vérité. Discontinuité, paradigme et révolutions Faisons le point sur la vérité scientifique Vérité scientifique? Science ≭ Opinion La science montre/dit la réalité, ou du moins a pour idéal régulateur de la dire (= réalisme scientifique) Arguments anti-réalistes: « causalité ne vaut pas corrélation » Biais embarqués : la recherche de la causalité est relative à nos intérêts, à nos intentions, à notre capacité et notre volonté d’action Pluralité de la vérité? Càd plusieurs normes de connaissances dans différentes disciplines? Oui! C’est le propre des sciences ce qui explique le scepticisme vis-à-vis des sciences Remettre en question la vérité scientifique? Le doute scientifique, ce n’est pas dire: "tout ça, c'est n'importe quoi » « je pense que le Covid ça n’est pas vrai, c’est juste une grippe” Il faut avoir des raisons pour être pris au sérieux quand on avance/critique une proposition scientifique il faut connaître la science que l’on remet en question il faut également connaître comment fonctionnent les sciences Le doute est toujours permis mais pas par n'importe qui … Il faut avoir un rapport avec le champ scientifique remis en question… Il y a des normes dans « qui peut douter de quoi » Les sciences reviennent rarement en arrière (// Darwin et l’évolution), elles cherchent à s’améliorer à partir des vérités/faits déjà existants… Fake news et théories du complot Fake news: informations fausses, volontairement truquées Théories du complot /conspirationniste : une hypothèse non nécessaire de l'existence d'une conspiration d'agents malveillants derrière un événement (9/11, crise Covid, …) Comment faire la différence entre les théories du complot/conspirationniste et le doute raisonnable? Pas toujours facile! Car il existe des controverses scientifiques (OGM, OEM, glyphosate…) non encore résolues Ça dépend aussi de l’environnement politique, exemple de la presse en Corée du Nord/ doutes déraisonnables de Trump sur les médias US… Des exemples… Des exemples… Didier Raoult et le débat sur la chloroquine Didier Raoult va contre l’avis de la communauté scientifique Lancet: analyse, de manière statistiquement fausse, des données qui n'existaient pas à propos de l'hydroxychloroquine Autre histoire de la production de vérité ! organisation défaillante des sciences « telles qu’elles se font » modèle archi-concurrentiel, néolibéral, d’organisation de la science, de production de publications scientifiques et de carrières scientifiques course à l'argent, course aux postes, course à la publication, aux résultats pousse à la publication (trop) rapide, moins de vérifications (// dopage) science frelatée car gangrénée par la compétitivité et la productivité Didier Raoult : expert qui joue sur trois champs: scientifique, mais aussi politique et médiatique Le politique décrédibilise-t-il la science? Le trumpisme comme politique Chargement… scientifique ? Caractéristiques du « trumpisme » Trump = outsider charismatique (cf. Weber, leadership charismatique) Contexte: apathie électorale, défiance vis-à-vis des institutions et de l’establishment Programme: populisme de gauche (défense de Social Security, de Medicare, protectionnisme) et de droite (immigration, mur à la frontière, America First) Explosion des normes de la démocratie US: respect de l’opposition, agressivité, déni, division des pouvoirs, mélange privé et public, népotisme, etc Trump et la post-vérité Le problème de la post-vérité : elle n'a pas pour objet l'interprétation d'un fait, mais la réalité du fait lui-même. Cf. les faits alternatifs Au lendemain de son investiture, le porte-parole de Trump soutient mordicus qu'il y avait "la plus grande audience à avoir assisté à une investiture, point barre", alors même que la comparaison des données sur l'affluence des cérémonies donne l'avantage à son prédécesseur à la Maison-Blanche (250 000 personnes contre 1 800 000 lors de la première investiture de Barack Obama en 2009) Devant la presse, la conseillère du président, Kellyane Conway, défend alors le mensonge du porte-parole en employant cette expression surréaliste : "il a donné des faits alternatifs" Trump et la post-vérité Post-vérité politisée par Trump = indifférence à la vérité, qui conduit au relativisme voire au révisionnisme Exemple: Trump face aux militants suprématistes blancs Il a autorisé les violentes manifestations suprématistes en 2017, dont Charlottesville (2017), 20 personnes blessées et 1 décès Il rejette dos à dos manifestants antiracistes et manifestants racistes Trump fait preuve de laxisme face aux intolérants plus que de tolérance envers les intolérants Notions de philosophie Philosophie des sciences (3) Dr. Nathalie Grandjean - UCLouvain 2024-2025 SBIM1BA & FARM1BA 18/10/24 Philosophie des sciences (20ème siècle) Faire science? Le Cercle de Vienne et l’empirisme logique (1929-1936) Karl Popper (1902-1994) Thomas Kuhn (1922-1996) Faisons le point sur la vérité scientifique… Vers la sociologie des sciences : Georges Thill (1935-2019) & Pierre Thuillier (1932-1996) Isabelle Stengers (1949-) Philosophie des techniques et technosciences 2 De la philosophie des sciences à la sociologie des sciences Au début (1930 --> 1960), les études sociologiques sur la science visaient plutôt à protéger les fondements de la science et à garantir son fonctionnement et son autonomie qu’à la mettre en question Comme Robert Merton (1938) le souligne : « La situation dans l’Allemagne nazie dès 1933 illustre bien les moyens par lesquels des processus logiques et non logiques convergent pour modifier ou diminuer l’activité scientifique. [...] Selon le dogme de la pureté de la race, pratiquement toutes les personnes qui ne sont pas comprises dans les critères, politiquement imposés, des ancêtres “aryens” et d’une sympathie manifeste pour les propos nazis doivent être éliminées des universités et des institutions scientifiques. [...] Dans ces conditions, les sentiments de pureté nationale et raciale ont prévalu sur ceux d’un utilitarisme rationnel » (1938 : 225) èMenaces exercées par les régimes fasciste, soviétique … èPrise de conscience que la science est porteuse que plus que des faits scientifiques, elle est aussi un porte-étendard de diverses valeurs (dont politiques) Réf : Merton R., 1938, « Science and the Social Order », Philosophy of Science, 5 : 321-37 Débuts de la sociologie des sciences : Merton Robert K. Merton : fondateur de la sociologie des sciences Son professeur le sociologue Talcott Parsons se questionne sur les conditions d’institutionnalisation de la science : pour qu’elle devienne une institution dans la société moderne, la science devait être intimement intégrée au système de valeurs et à la structure sociale grâce à la constitution d’un corps de scientifiques professionnels Glissement de la sociologie de la connaissance à la sociologie des sciences; création d’une nouvelle spécialité avec son objet, ses méthodes, puis ses revues (Science Studies, Social Studies of Science) et ses colloques (comme ceux de la 4S Society) Merton consacre sa thèse de doctorat (1938) : étude des conditions culturelles, sociales et économiques du développement des sciences et des techniques dans l’Angleterre du 17e siècle En 1942, il décrit ce qu’il appelle la « structure normative de la science » : la science en tant qu’activité sociale est réglementée par un « ethos », un système de normes que sont l’universalisme, le communalisme, le désintéressement et le scepticisme organisé. Débuts de la sociologie des sciences: Bloor David Bloor, mathématicien et sociologue anglais, Knowledge and Social Imagery (1976). « Programme Fort » de la sociologie de la connaissance Quatre principes : causalité, impartialité, symétrie et réflexivité La production des connaissances scientifiques répond à la fois à des causes cognitives et sociales; toutes les deux doivent être étudiées La connaissance scientifique doit être considérée, sociologiquement, comme une croyance, tout comme n’importe quelle autre croyance social La fonction théorique de la science et le péril technocratique Interview de Pierre Thuillier par Georges Thill, in Esprit, n°80-81, 1983, pp. 107- 119 https://esprit.presse.fr/article/thuillier-pierre/la-fonction-theorique-de-la- science-et-le-peril-technocratique-entretien-avec-pierre-thuillier-28738 Les auteurs Georges Thill (1935-2019): mathématicien, chercheur en physique des particules élémentaires, puis professeur ordinaire au département interdisciplinaire Sciences, philosophies sociétés de la Faculté des sciences à l'Université de Namur Pierre Thuillier (1932-1998): philosophe & historien des sciences: émergence de la découverte scientifique, darwinisme, etc. « La fonction théorique de la science et le péril technocratique » La science a une fonction ? Laquelle ? Une fonction théorique ? Le péril technocratique, ça veut dire quoi ? 7 Les fonctions de la science Différentes fonctions de la science : fonction théorique vs fonction pratique, « visées pratico-sociales » (technologie) fonction sociale et culturelle fonction morale Attention au « scientisme » et à la montée en puissance des experts comme détenteurs du pouvoir moral et social Deux positions quasi idéologiques de la place de la science dans la société : la science comme construction sociale vs la science comme production de savoirs Le rôle de la théorie dans les sciences La théorie n’a pas qu’une finalité pratique, elle possède une réalité et une autonomie spécifique : 1. C’est un discours explicatif qui peut utiliser différents types de langages et de symboles, qui permet de formuler des lois. 2. D’un point de vue culturel, le mot théorie est associé à des valeur; la théorie, c’est le lieu où se dit la vérité è« Vérité » è savoir global, rêve métaphysique è idée du sacré 3. Puissance épistémologique de la théorie: elle surplombe la pratique, elle explique et révèle les secrets de la « nature » ; les scientifiques considèrent qu’ils font progresser le « savoir pur » ; le fait de faire de la théorie leur paraît suffisant è autonomie de la théorie Le rôle de la théorie dans les sciences 4. Autonomie institutionnelle de la théorie : différence entre « recherche appliquée » et « recherche pure », qui se vit selon dans des lieux différents (Université vs entreprises) ; c’est en réalité beaucoup moins simple, même si la chose est bien acceptée dans l’opinion publique 5. Liens institutionnels et épistémologiques : les scientifiques sont essentiellement jugés par leurs pairs sur les questions de validité de savoirs ; par contre, dans la pratique, ou les savoirs appliqués, la responsabilité se déplace, vers la société, les politiques, l’Etat, certains financiers… 6. Fonctionnement socioculturel de la science : la théorie = savoir ultime, presque religieux, valorisation énorme des termes tels que fondements, principes, comme la mécanique newtonienne qui a un rôle sacré, un statut ontologique et dévoile le Réel. Ce qui intéresse Thuillier : ces fondements sont très valorisés, cela permet de trier le vrai du faux; les théoriciens ont la capacité d’installer un tribunal des savoirs valides Sacralisation et hiérarchisation des savoirs Notre société a décidé de privilégier les savoirs scientifiques au détriment des autres savoirs (avant, les savoirs religieux étaient plus valorisés), distinction entre savoirs solides (sciences exactes) et sciences moins solides (molles, les sciences humaines), hiérarchie dans la validité des savoirs è organisation collective qui contrôle les savoirs et pratiques, une technocratie fondée sur la science ècas des mathématiciens, qui sont presque des théologiens, produisent des archétypes de Vérité ; grande valorisation du chiffre, du nombre, même avec des statistiques et des économistes, idem pour l’informatique « Chaque société a la science qu’elle mérite » Chaque société a besoin d’un corpus théorique qui la fait exister, par rapport au sens et à l’origine du monde, etc. Pourquoi le savoir scientifique a-t-il pris une telle place en Occident ? Au Moyen-Age, le savoir religieux était la base théorique, fourni par les livres de la Bible Epistémologiquement, la science et la religion fonctionne différemment, mais d’un point de vue socioculturel, elles fonctionnent de la même manière ! Elle explique l’origine du monde, etc. Chez les Modernes : La théorie permet de réaliser un projet : « se rendre maître et possesseur de la Nature » La bonne théorie doit être active et efficace La théorie doit toujours dévoiler l’ordre du monde Mais dans un objectif de transformer et manipuler le monde Le savoir scientifique est enraciné dans diverses pratiques sociales Sciences et techniques sont liées dans la Modernité Galilée est théoricien et ingénieur: il écrit sur la mécanique dite rationnelle tout en écrivant, dans le même ouvrage, sur la résistance des matériaux La science moderne est expérimentale, elle prend naissance au laboratoire Les savoirs sont opératoires, ils peuvent passer du laboratoire à l’industrie c’est son fondement è si la théorie donne des moyens d’action, la société les mettra en œuvre La science comme institution est un produit historique et social, ce sont les contingences historiques qui ont séparé la théorie et la pratique On ne peut changer la science que si l’on change la société : exemple de l’écologie, qui est à la fois une science et un projet politique 13 Derrière toute science, il y a toujours des choix è Cette science a toujours des implications sociales. … Comme si la science n’était qu’une théorie, et que c’était son utilisation qui pouvait avoir des mauvais effets. Il faut éviter de sacraliser la théorie, car cela ne permet pas de comprendre l’enracinement socio-culturel de la science, et donc son statut particulier dans notre société. Le développement scientifique et technique n’est pas inéluctable, il faut un contrôle démocratique, avec des débats publics sur les projets scientifiques La politique de la science désigne la manière dont la science et les gouvernements orientent et financent les activités scientifiques ; ce sont les experts et les politiques qui la font 14 « Science et pouvoirs: faut-il en avoir peur? » Isabelle STENGERS, « Sciences et Pouvoirs », Labor, 1997, pp. 7-52. 15 Isabelle Stengers Chimiste Philosophe des sciences (1949- …), ULB 1979: La Nouvelle Alliance avec I. Prigogine 1997: Sciences et pouvoirs. Faut-il en avoir peur ? Travaux sur les pseudo-sciences et les pratiques scientifiques Science et pouvoir Autorité morale que s’abroge la Science (« on ne peut échapper aux lois scientifiques ») ; Pas de possibilité de délibération démocratique quant aux décisions scientifiques ; Séparation de l’ordre des faits (monde scientifique) et du monde des normes et des valeurs (mondes sociaux) ; une seule réalité tangible, stable vs des multiples monde sociaux (religion, politique, droit, socio,..) è Cela implique que la Science puisse statuer sur ‘ce qui est’, alors que les autres mondes sont prisonniers de leurs ‘subjectivités’. Raison (= neutralité et objectivité) > < émotion, passion, opinion Capacité de mettre tout le monde d’accord, pacification (exemple de ce qu’est la Terre) 17 Croyance vs objectivité scientifique Stengers distingue le régime de croyance et le régime de rationalité. Elle souligne le fait qu’assimiler la science à une croyance « comme une autre » met en danger, car elle pousse au relativisme. Elle explique que les philosophes des sciences se sont attachés à établir ce qui est une ‘bonne, vraie, intéressante’ démarche scientifique. Quels critères employer ? opposer science et pseudo-science (parapsychologie, astrologie) : les faits ‘parapsychologiques’ ne prouvent rien. è Prouver par des faits n’est pas un critère de scientificité. (trop large) cf K. Popper dira que réfuter les faits permet de confirmer les hypothèses, il faut mettre son hypothèse en danger, c’est le régime de l’erreur qui le conforte dans son hypothèse è trop restrictif : on connaît des théories dont le scientifique a protégé contre l’erreur, car il voulait la préserver ; et cette position exclut les science où il n’y a pas de rapport de prédictibilité (ex. de l’histoire) 18 Laboratoire et scientificité Laboratoire = lieu qui permet de confronter théories et faits scientifiques. Les théories ‘apprennent’ à devenir scientifiques en tentant de répondre aux faits qu’elles doivent prouver. Si on tire le raisonnement, on dira que le laboratoire ‘fabrique’ les faits que la théorie est supposée prouver ou/ et réfuter. Les résultats sont lisibles grâce aux instruments que le laboratoire aura mis en place et jugés fiables. « Si la Science n’existe pas, c’est sans doute d’abord et avant tout parce que nos pratiques scientifiques ont affaire à des types de réalités qui posent des problèmes complètement différents des uns des autres. » (p.17) Pas « la » Science, mais les sciences 19 Quelle objectivité? exemple du ‘chômage en hausse’ : les chiffres ont beau être objectifs, on ne sait pas de quelle réalité on parle, on ne sait pas comment interpréter les chiffres ! Ce n’est pas comme au laboratoire. Les chiffres, même objectifs, ne suffisent pas pour donner une interprétation univoque et fiable de la réalité qu’elle s’attache à détruire Exemple de l’historien qui voudrait faire une théorie de l’histoire, avec des lois universelles, etc. Les critères d’’objectivité’ ne sont pas du tout les mêmes ! La manière dont il va repenser les liens historiques sera peut-être novateur et intéressant, mais n’obéit pas aux mêmes règles scientifiques Stengers conclut en disant que c’est chaque discipline qui doit établir ses critères d’objectivité, ses régimes de vérité, qu’il faut se méfier de tout argument d’autorité scientifique. Elle ajoute enfin que les controverses scientifiques sont également nées dans les conflits sociaux, juridiques et politiques (ex. du génome, qui contredit l’idée de la race). 20 Liens entre démocratie et scientifiques ? Rôle des experts Séparation entre problème scientifico-technique et problème politique. les experts scientifiques détiennent un savoir qui prend valeur de pouvoir à travers les relations politiques dans lesquelles ils sont impliqués. (ex. barrage/ drogues) comment juger de la validité d’un savoir expert ? tout savoir, même expert, ne suffit pas pour répondre aux exigences d’une réalité pratique ! è exemple de la drogue : les stat. qui montrent que tout consommateur d’héroïne a commencé par le cannabis, cela ne dit pas que quiconque prend du cannabis devient héroïnomane, et l’exemple néerlandais montre que le pays ne l’est pas devenu ! le savoir expert influence aussi la réalité dont il parle, et vice et versa è Exemple : des psys et des drogués dans un cadre prohibitionniste : les drogués se définissent comme malades car la société ne leur laissent pas le choix, soit malades, soit délinquants ; ils choisissent donc de se définir comme malade car ils savent que ça va intéresser les psys. 21 Liens entre démocratie et scientifiques ? Rôle des experts è Nécessité d’un débat contradictoire, c’est-à-dire qu’aucun expert ne peut tout à coup, parce qu’il est diplômé scientifique, se débarrasser de ce qui fait sa fiabilité en tant que scientifique, c’est-à-dire de la controverse ; ce n’est pas parce qu’ils traitent des problèmes qui ne sont pas connotés scientifiques mais socio-techniques, que ces scientifiques deviendraient tout à coup fiables indépendamment de leurs contradicteurs. L’idée que « les sciences sont fiables parce qu’elles sont objectives », fait beaucoup de dégâts Il n’est objectif en tant que scientifique que parce qu’il travaille en sachant que des collègues- lecteurs de son champ vont sévèrement lire ce qu’il publie et voir si ça tient et s’il n’y a pas moyen de dire autre chose que lui sur le même point. 22 Objectivité et controverse Les sciences se pratiquent sur fond de controverses, qui sont des débats à la recherche de contradictions ou d’indéterminations, qui doivent être prises en compte. À la différence de l’expertise scientifique, où chacun méprise ou ignore les arguments de l’autre, est une véritable pathologie de l’expertise. L’idée que " le scientifique est objectif " permet à l’expert de prétendre ne pas avoir besoin de contradicteurs et il devient incontrôlable. D’autant plus incontrôlable qu’on n’a aucune garantie quant à son indépendance financière. Une bonne décision requiert des experts venus d’horizons différents, qui représentent aussi complètement que possible toutes les dimensions du problème, sans les hiérarchiser a priori entre ce qui serait dit crucial, primordial, et ce qui serait dit secondaire, devant s’arranger par la suite, n’ayant pas droit à être pris en compte. Le débat expert doit réussir à rassembler l’ensemble des dimensions du problème et donc l’ensemble de ceux qui sont intéressés au problème. 23 Objectivité et controverse Cela veut dire que, si l’on prend un exemple de groupes de malades, le débat expert ne doit pas uniquement unir des diplômés, que ce soit en sociologie, en anthropologie, en médecine ou autre ; il doit aussi réunir les groupes qui se sont rendus capables d’une parole experte C’est-à-dire: pas un individu illuminé dans son coin, mais l’ensemble de ce qu’on peut appeler des groupes d’intérêts, des groupes de citoyens qui ont créé cette capacité de dire « ceci nous intéresse », qui ont créé un nous qui est politique, pas politique au sens général, politique au sens de « nous sommes composantes de la cité, et donc les dimensions des problèmes qui nous concernent ne peuvent pas être éliminées comme secondaires ». 24 Liens entre sciences, pouvoirs et sociétés Les liens entre sciences et pouvoirs: sont multiples, multidirectionnels (autant dans le sens sciences et société que société et sciences), ont des conséquences dans les différents niveaux de pouvoir / société, montrant différents types de risques (éprouvés tant par les pouvoirs officiels que par les contre-pouvoirs). Le pouvoir de la preuve reste néanmoins central ! 25 Philosophie des techniques Technosciences Sciences et techniques? Sens commun: séparation des sciences et des techniques Sciences: naturelles, elles décrivent et expliquent la Nature Techniques: fabriquées, artefactuelles, elles sont des outils, instruments Il y aurait également une autonomie des sciences et des techniques Histoire des techniques qui remonte aux premiers hominidés (cf. Leroi-Gourhan) Histoire des sciences comme théories, comme décrivant et expliquant le réel, la nature La science est contemplative, mais la technique est de l'ordre de l'action, de la production, de la transformation, de la volonté de maîtrise Autre distinction : découvrir et inventer. Un découvreur est un scientifique, un inventeur est un technicien Newton découvre la loi de la gravitation universelle Pascal invente la machine à calculer Sciences et techniques? Il y a pourtant un intérêt philosophique à les penser ensemble… 1. Parce qu’il est impossible de penser les sciences modernes sans les techniques/technologies, sans lesquelles ces sciences n’auraient jamais émergé avec une telle agentivité et un tel réalisme. L’agentivité des techniques est souvent invisibilisée en philosophie des sciences et dans le récit des sciences èLa philosophie des techniques éclaire la philosophie des sciences 2. Parce que certaines innovations technologiques deviennent sciences, comme l’informatique. La philosophie des sciences permet dès lors de saisir les enjeux épistémologiques de ces sciences naissantes è La philosophie des sciences est nécessaire à une philosophie des techniques Léviathan et la pompe à air La philosophie des techniques éclaire la philosophie des sciences La naissance des sciences modernes se réalise grâce aux techniques, qui permettent l’expérimentation et l’établissement des faits scientifiques Shapin & Schaffer, Léviathan et la pompe à air (1985) Angleterre, décennie 1660 Hobbes vs Boyle à propos de la procédure et l'objet de la connaissance de la nature Hobbes: la connaissance ne peut pas se fonder sur l'expérience, elle ne peut être atteinte que par le raisonnement philosophique Boyle: seule l'expérimentation est susceptible d'établir les faits authentiques èl’expérimentation requiert des outils techniques! èOr ces outils ne sont pas neutres, ils embarquent une série de valeurs dans leur dispositif… les ignorer c’est aussi ignorer qu’elles vont influencer le fait scientifique en voie de stabilisation Technoscience ? Terme proposé par G. Hottois mi-1970 Contre les philo des sciences tournées vers le langage; concevant la science comme discursive & théorique Met en avant la dimension technique et opérationnelle de la science Lyotard (1982): met en évidence le lien entre la science et le capitalisme, « l’homme se rend maître et possesseur de la nature » Latour (1987): Les technosciences = science en action, càd: Technosciences sont une sorte de rhétorique car les énoncés pris pour vrais ou factuels sont ceux qui sont imposés par le vainqueur Entreprises complexes, en réseau, avec des acteurs humains et non-humains STS: Technoscience= enchevêtrement de la complexité de la science ; entre le symbolique et le technoscientifique (OGM) Ihde (2003): on passe d’une « science guidée par la théorie » à une « science guidée par la technologie » L’informatique comme science? La philosophie des sciences est nécessaire à une philosophie des techniques « L’ordinateur est une machine (…) mi-matérielle, mi-formelle, ou encore mi-concrète, mi-abstraite » (Varenne 2009, 13) Artefacts technologiques doués d’autonomie et d’agentivité (AI) Quel type de science? Plutôt une « technoscience » ? (Hottois) Obéit à des critères de scientificité Ne dévoile pas le réel, mais en crée Ihde (2003): on passe d’une « science guidée par la théorie » à une « science guidée par la technologie » Tension permanente entre la science formelle et la réalité des machines è Science exacte, technoscience ou science sociale?

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