Le Processus de Destruction Créatrice PDF
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Université Paris-Dauphine
J. A. Schumpeter
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Summary
Le document présente une analyse du processus de destruction créatrice, un concept de J.A. Schumpeter qui décrit les dynamiques d'innovation et de transformation constantes au sein du capitalisme. Il souligne que le capitalisme, par sa nature, est un système en perpétuelle évolution, influencé par les nouveaux produits, les nouvelles méthodes de production et l'innovation technologique.
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Le processus de destruction créatrice extrait du Chapitre 7 de Capitalisme, Socialisme et Démocratie de J. A. Schumpeter (1942) […] Le point essentiel à saisir consiste en ce que, quand nous traitons du capitalisme, nous avons affaire à un processus d'évolution. Il peut paraître singulier que...
Le processus de destruction créatrice extrait du Chapitre 7 de Capitalisme, Socialisme et Démocratie de J. A. Schumpeter (1942) […] Le point essentiel à saisir consiste en ce que, quand nous traitons du capitalisme, nous avons affaire à un processus d'évolution. Il peut paraître singulier que d'aucuns puissent méconnaître une vérité aussi évidente et, au demeurant, depuis si longtemps mise en lumière par Karl Marx. Elle n'en est pas moins invariablement négligée par l'analyse en pièces détachées qui nous a fourni le gros de nos thèses relatives au fonctionnement du capitalisme moderne. Il convient donc de décrire à nouveau ce processus et de voir comme il réagit sur les données de notre problème. Le capitalisme, répétons-le, constitue, de par sa nature, un type ou une méthode de transformation économique et, non seulement il n'est jamais stationnaire, mais il ne pourrait jamais le devenir. Or, ce caractère évolutionniste du processus capitaliste ne tient pas seulement au fait que la vie économique s'écoule dans un cadre social et naturel qui se transforme incessamment et dont les transformations modifient les données de l'action économique : certes, ce facteur est important, mais, bien que de telles transformations (guerres, révolutions, etc.) conditionnent fréquemment les mutations industrielles, elles n'en constituent pas les moteurs primordiaux. Le caractère évolutionniste du régime ne tient pas davantage à un accroissement quasi-automatique de la population et du capital, ni aux caprices des systèmes monétaires - car ces facteurs, eux aussi, constituent des conditions et non des causes premières. En fait, l'impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle - tous éléments créés par l'initiative capitaliste. Comme nous l'avons montré dans le chapitre précédent, le contenu des budgets ouvriers, disons de 1760 à 1940, n'a pas simplement grossi sur la base d'un assortiment constant, mais il s'est constamment modifié du point de vue qualitatif. De même, l'histoire de l'équipement productif d'une ferme typique, à partir du moment où furent rationalisés l'assolement, les façons culturales et l'élevage jusqu'à aboutir à l'agriculture mécanisée contemporaine - débouchant sur les silos et les voies ferrées, - ne diffère pas de l'histoire de l'équipement productif de l'industrie métallurgique, depuis le four à charbon de bois jusqu'à nos hauts fourneaux contemporains, ou de l'histoire de l'équipement productif d'énergie, depuis la roue hydraulique jusqu'à la turbine moderne, ou de l'histoire des transports, depuis la diligence jusqu'à l'avion. L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux entreprises amalgamées telles que l’U.S. Steel, constituent d'autres exemples du même processus de mutation industrielle - si l'on me passe cette expression biologique - qui révolutionne incessamment1 de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de 1 A strictement parler, ces révolutions ne sont pas incessantes : elles se réalisent par poussées disjointes, séparées les unes des autres par des périodes de calme relatif. Néanmoins, le processus dans son ensemble agit sans interruption, en ce sens qu'à tout moment ou bien une révolution se produit ou bien les résultats d'une révolution sont assimilés. 1 Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme: c'est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter. Or, la dite donnée affecte notre problème à un double point de vue. En premier lieu, puisque nous avons affaire à un processus dont chaque élément ne révèle ses véritables caractéristiques et ses effets définitifs qu'à très long terme, il est vain d'essayer d'apprécier le rendement de ce système à un moment donné - mais on doit juger son rendement à travers le temps, tel qu'il se déroule sur des dizaines ou des centaines d'années. Un système - tout système, économique ou autre - qui, à tout instant considéré, exploite au maximum ses possibilités peut néanmoins, à la longue, être inférieur à un système qui n'atteint à aucun moment de résultat, un tel échec pouvant précisément conditionner le niveau ou l'élan de la performance à long terme. En deuxième lieu, puisque nous avons affaire à un processus organique, l'analyse du fonctionnement d'un élément spécifique de l'organisme - par exemple, d'une entreprise ou branche distincte - est, certes, susceptible d'élucider certaines particularités du mécanisme, mais non de conduire à des conclusions plus générales. Chaque mouvement de la stratégie des affaires ne prend son véritable sens que par rapport à ce processus et en le replaçant dans la situation d'ensemble engendrée par lui. Il importe de reconnaître le rôle joué par un tel mouvement au sein de l'ouragan perpétuel de destruction créatrice - à défaut de quoi il deviendrait incompréhensible, tout comme si l'on acceptait l'hypothèse d'un calme perpétuel. Cependant une telle hypothèse est précisément adoptée par les économistes qui, d'un point de vue instantané, considèrent, par exemple, le comportement d'une industrie oligopolistique - comprenant seulement quelques grandes firmes - et observent les manœuvres et contre-manœuvres habituelles, lesquelles ne paraissent viser d'autre objectif que de restreindre la production en rehaussant les prix de vente. Ces économistes acceptent les données d'une situation temporaire comme si elle n'était reliée ni à un passé, ni à un avenir et ils s'imaginent avoir été au fond des choses dès lors qu'ils ont interprété le comportement des firmes en appliquant, sur la base des données observées, le principe de la maximation du profit. Les théoriciens, dans leurs articles habituels, et les commissions gouvernementales, dans leurs rapports courants, ne s'appliquent presque jamais à considérer ce comportement, d'une part, comme le dénouement d'une tranche d'histoire ancienne et, d'autre part, comme une tentative pour s'adapter à une situation appelée, à coup sûr, à se modifier sans délai - comme une tentative, de la part de ces firmes, à se maintenir en équilibre sur un terrain qui se dérobe sous leurs pieds. En d'autres termes, le problème généralement pris en considération est celui d'établir comment le capitalisme gère les structures existantes, alors que le problème qui importe est celui de découvrir comment il crée, puis détruit ces structures. Aussi longtemps qu'il n'a pas pris conscience de ce fait, le chercheur se consacre à une tâche dépourvue de sens, mais, dès qu'il en a pris conscience, sa vision des pratiques capitalistes et de leurs conséquences sociales s'en trouve considérablement modifiée. Du même coup, en premier lieu, est jetée par-dessus bord la conception traditionnelle du fonctionnement de la concurrence. Les économistes commencent - enfin - à se débarrasser des œillères qui ne leur laissaient pas voir autre chose que la concurrence des prix. Dès que la concurrence des qualités et l'effort de vente sont admis dans l'enceinte sacrée de la théorie, la variable prix cesse d'occuper sa position dominante. Néanmoins, l'attention du théoricien continue à rester exclusivement fixée sur les modalités 2 d'une concurrence enserrée dans un système de conditions2 notamment de méthodes de production et de types d'organisation industrielle) immuables. Mais, dans la réalité capitaliste (par opposition avec l'image qu'en donnent les manuels), ce n'est pas cette modalité de concurrence qui compte, mais bien celle inhérente à l'apparition d'un produit, d'une technique, d'une source de ravitaillement, d'un nouveau type d'organisation (par exemple l'unité de contrôle à très grande échelle) - c'est-à-dire la concurrence qui s'appuie sur une supériorité décisive aux points de vue coût ou qualité et qui s'attaque, non pas seulement aux marges bénéficiaires et aux productions marginales des firmes existantes, mais bien à leurs fondements et à leur existence même. L'action de cette modalité de concurrence dépasse celle de la concurrence des prix tout autant que les effets d'un bombardement dépassent ceux d'une pesée sur une porte et son efficacité est tellement plus grande que la question de savoir si la concurrence au sens ordinaire du terme joue plus ou moins rapidement devient relativement insignifiante : en tout état de cause, le levier puissant, qui, à la longue, rehausse la production en comprimant les prix, est d'un tout autre calibre. Il est à peine nécessaire de signaler que la concurrence du type présentement évoqué n'agit pas seulement quand elle se concrétise, mais aussi quand elle n'existe qu'à l'état latent de menace toujours présente, sa pression s'exerçant avant même qu'elle ne passe à l'offensive. L'homme d'affaires se sent placé dans une situation concurrentielle même s'il n'a pas de rival dans sa branche ou si, bien que n'étant pas seul de son espèce, il occupe une position telle que les enquêteurs officiels, ne constatant aucune concurrence effective entre lui et les autres firmes de la même branche ou de branches voisines, concluent à l'inanité des appréhensions concurrentielles formulées par lui : en fait, dans de nombreux cas, sinon dans tous, une telle pression virtuelle impose un comportement très analogue à celui que déterminerait un système de concurrence parfaite. […] 2 Il est bien entendu que ce changement de perspective affecte seulement notre évaluation du rendement économique, et non pas notre jugement moral. En raison de leur caractère autonome, l'approbation ou la désapprobation morales sont entièrement indépendantes de notre évaluation des résultats (sociaux ou extra- sociaux), à moins que nous n'adoptions un système moral tel que l'utilitarisme, dans lequel le point de vue moral est, par définition, conditionné par le point de vue rendement. 3