Neuropsychologie - Université Toulouse PDF

Document Details

ProactiveJadeite2820

Uploaded by ProactiveJadeite2820

Université Toulouse-Jean Jaurès

2024

Claudine Melan

Tags

neuropsychology cognitive function neuroscience

Summary

These are course notes in Neuropsychology from the Université Toulouse - Jean Jaurès. It covers topics such as cognitive functions, brain structures, and neuropsychological assessments. The document also delves into specific areas like executive functions, memory, and spatial awareness.

Full Transcript

PY00607T Neuropsychologie Sommaire Neuropsychologie – 48 pages Neuropsychologie - 26 pages Virginie VOLTZENLOGEL Perception & Agnosies – 24 pages Mehdi SENOUSSI Des ressources complémentaires seront mises en...

PY00607T Neuropsychologie Sommaire Neuropsychologie – 48 pages Neuropsychologie - 26 pages Virginie VOLTZENLOGEL Perception & Agnosies – 24 pages Mehdi SENOUSSI Des ressources complémentaires seront mises en ligne durant le semestre La partie de M. Radouane EL YAGOUBI sera accessible en ligne sur l'UE IRIS_SED Les modalités de contrôle des connaissances, éventuellement indiquées dans le document sont données à titre indicatif, sous réserve de validation par les départements de l’Université. Elles sont donc susceptibles d’être soumises à modifications. Pour vérification, connectez-vous sur le site de l’Université https://www.univ-tlse2.fr/accueil/formation-insertion/inscriptions-scolarite/le-controle-des- connaissances Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024/2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel PY00607V - Neuropsychologie Licence 3, UFR de Psychologie, UTJJ Responsable : Virginie Voltzenlogel Rédaction du document SED : Radouane El Yagoubi (MCF en Neurosciences) Mehdi Senoussi (MCF en Neurosciences) Virginie Voltzenlogel (MCF en Neurosciences) Objectifs théoriques : Cet enseignement vise à apporter des bases théoriques pour l’étude neuropsychologique et neuroscientifique des fonctions cognitives. Compétences développées : S’approprier les modèles théoriques et apprendre à appliquer la théorie lors de l’étude de cas pratiques. Description du contenu : Les enseignements magistraux illustreront : 1) La neuroanatomie fonctionnelle : étude des fonctions cognitives et des structures cérébrales qui les sous-tendent. Le fonctionnement normal et pathologique des différentes fonctions cognitives (fonctions exécutives, attention, mémoire, langage, capacités visuo-spatiales…). 2) Les bases des phénomènes de neuroplasticité, notamment au cours du développement. Les TD illustreront les thèmes abordés en CM avec la présentation de données cliniques (cas de patients cérébro-lésés) ou expérimentales qui seront analysées. Compétences attendues : Savoir reconnaître les caractéristiques de certaines pathologies cérébrales ; savoir analyser des données empiriques. Bibliographie : - Neuropsychologie des fonctions exécutives (2004). Direction T. Meulemans, F. Collette, M. Van der Linden. Edition Solal (chap 1, 2 et 6). - Des amnésies organiques aux amnésies psychogènes (2008). Pascale Piolino, Catherine Thomas-Antérion, Francis Eustache. Edition Solal (chap. 1, 2, 3, 4, 9). - La mémoire : de l’esprit aux molécules (2002). Squire & Kandel (traduction frç Desgranges & Eustache). Edition De Boeck Université (chapitres 3 à 7). - Traité de neurospychologie clinique : neurosciences cognitives et cliniques de l’adulte. Edition De Boeck (chap. 15, 16, 18, 20, 24, 25, 27, 28). - Le grand Larousse du cerveau (2010). Rita Carter, Susan Aldridge, Martyn Page, Steve Parker. Larousse. - Cerveau et Comportement (2008). Bryan Kolb Ian Wishaw (traduction frç J-C. Kassel) De Boeck, (chapitres 5, 8, 9, 143, 15). Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024/2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel PLAN DU COURS assuré par Virginie Voltzenlogel, MCF en Neurosciences, UTJJ INTRODUCTION 1. Qu’est-ce que la neuropsychologie ? La neuropsychologie est une discipline scientifique qui étudie le lien entre les fonctions cognitives et les structures cérébrales. Elle s’intéresse aux perturbations cognitives, émotionnelles, comportementales apparaissant après des lésions cérébrales dans le but de mieux comprendre le fonctionnement cognitif normal. Plus récemment, elle a commencé à s’intéresser également aux apprentissages et aux comportements en relation avec le développement cérébral. La neuropsychologie est avant tout une discipline clinique : elle est née au chevet des patients cérébro-lésés ; mais elle peut aussi être qualifiée de cognitive puisqu’elle va utiliser les performances de ces patients pour mettre à l’épreuve des modèles cognitifs élaborés sur la base d’expériences menées chez les sujets sains. Le développement des méthodes de neuroimagerie fonctionnelle, qui permettent de visualiser « directement » les structures cérébrales impliquées dans différentes opérations cognitives chez le sujet sain, ont donné lieu à une profusion de recherches et ont permis une évolution des connaissances en neuropsychologie. La neuropsychologie se situe au carrefour d'autres disciplines : les neurosciences, la psychologie, la neurologie, la psychiatrie… 2. En quoi consiste le métier de psychologue spécialisé en neuropsychologie? Le psychologue spécialisé en neuropsychologie travaille avec des personnes de tous âges qui présentent des difficultés cognitives. Il réalise des évaluations neuropsychologiques dans une perspective diagnostique et parfois pronostique. Il a également en charge la rééducation des troubles ; le but de la rééducation étant de réduire et/ou compenser les troubles du patient afin d’améliorer son autonomie dans la vie de tous les jours. Il peut ainsi être amené à intervenir auprès d’enfants présentant des troubles des apprentissages (dyslexie, dyspraxie, dysphasie, etc.), auprès de personnes souffrant d’atteintes neurologiques (traumatismes crâniens, tumeurs cérébrales, accidents vasculaires, épilepsies, maladies neurodégénératives) ou de certaines pathologies psychiatriques (comme la schizophrénie par ex). Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024/2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Le psychologue spécialisé en neuropsychologie doit avoir de bonnes compétences cliniques, de solides connaissances dans le champ des pathologies mentales, mais aussi dans le domaine des neurosciences et de la neurologie. Il est amené à travailler avec d’autres psychologues cliniciens, des orthophonistes, des psychomotriciens, des ergothérapeutes, es médecins, des enseignants, des éducateurs spécialisés, etc… 3. Qu’est-ce qu’une évaluation neuropsychologique ? L’évaluation neuropsychologique dure généralement plusieurs heures et se déroule typiquement sur 2 ou 3 rencontres. Elle débute toujours par un entretien clinique, suivi de la passation d’une série de tests neuropsychologiques évaluant les capacités intellectuelles, l’attention, la mémoire, les fonctions exécutives, le raisonnement, le langage (en compréhension et en expression), les habiletés visuo-spatiales, la vitesse de traitement ou d’exécution, etc… Cette évaluation va permettre d’identifier les forces et les faiblesses de l’individu, d’établir un profil neuropsychologique en précisant les fonctions cognitives préservées et les fonctions altérées. Il s’agira de comprendre la nature et la cause des difficultés que l’individu rencontre lors des activités de la vie quotidienne (que ce soit pour l’école, le travail ou les loisirs). Les aspects psycho-affectifs et comportementaux susceptibles d’interagir avec le fonctionnement cognitif seront également pris en compte. Un compte-rendu est rédigé à la suite de ce bilan comprenant les résultats aux différents tests et leur interprétation, ainsi qu’une éventuelle proposition de suivi ou de prise en charge parfois pluridisciplinaire, càd faisant appel à d’autres professionnels comme les orthophonistes par ex. Une restitution orale est également faite au patient et parfois à ses proches. Lors de cette rencontre, le neuropsychologue aide le patient à faire le lien entre les résultats de l’évaluation et les difficultés rencontrées et présente les différentes pistes d’intervention possibles. L’évaluation neuropsychologique permet donc de mieux comprendre et de respecter les limites du patient, d’avoir un encadrement adapté à l’école pour les enfants souffrant de troubles des apprentissages ou sur le lieu de travail pour les adultes souffrant d’une lésion cérébrale, d’avoir les connaissances nécessaires afin de faire valoir les droits du patient. Une nouvelle évaluation permettra juger de l’efficacité de la prise en charge sur le plan de l’efficience cognitive et de la qualité de vie. L’évaluation des fonctions cognitives peut également s’inscrire dans le cadre d’une expertise médico-légale demandée par la médecine du travail, l’assurance maladie ou un procès avec comme enjeu une mise ou non en invalidité, le versement ou non d’une indemnité. Il s’agira dans ce cas de déterminer l’importance des déficits cognitifs dus à l’accident et de détecter les comportements de simulation ou d’exagération des troubles. Enfin, une évaluation neuropsychologique peut être réalisée dans le cadre d’un protocole de recherche. Tous les patients inclus dans l’étude passeront les mêmes tests dans des conditions de passation similaires afin de répondre à une question de recherche concernant par ex la validité d’un modèle cognitif. Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024/2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Chapitre 1 : Les Fonctions Exécutives 1. Fonctions exécutives Le terme anglais de « executive functions » rassemblent la plupart des fonctions cognitives sous-tendues par le lobe frontal. Ce terme de fonctions exécutives a été initialement proposé par Luria. Ce sont les fonctions de haut niveau, appelées aussi fonctions de contrôle, fonctions transversales ou intégratives. Elles régulent l’ensemble du fonctionnement mental (d’où l’analogie du chef d’orchestre). Elles permettent de s’adapter aux situations non routinières, c’est-à-dire inhabituelles, conflictuelles ou complexes, pour lesquelles les répertoires de comportements ou de raisonnements que possèdent la personne sont inappropriés. Ce sont donc les capacités qui permettent d’établir des patrons nouveaux de comportements et des manières nouvelles de raisonnement, donc de résoudre des problèmes. Elles permettent lors de la réalisation d’une tâche de définir un but ou des objectifs à atteindre, une stratégie pour y parvenir, le contrôle de sa mise en œuvre et la vérification du résultat obtenu. Les fonctions exécutives sont requises dès lors que la mise en oeuvre de processus contrôlés (« top-down ») est nécessaire, illustrant ainsi leur rôle central de supervision du comportement au sens large (Seron, Van der Linden & Andrès, 1999). Les fonctions exécutives regroupent les composantes suivantes: La planification: agencement et ordonnancement temporel des différentes étapes nécessaires à la mise en place de la stratégie ; La mise en place de stratégies: choix des moyens les plus appropriés pour atteindre le but attendu ; Initiation d’un comportement, d’un plan d’actions : aptitude à s’engager dans une tâche, générer des idées ; Maintien de l’attention: maintien en activation du plan jusqu’à sa réalisation complète ; Mise à jour des informations en mémoire de travail ; Flexibilité mentale: adaptation du plan d’action en fonction des contingences environnementales ; capacité à changer de stratégie mentale et à passer d'une opération cognitive à une autre, qui requiert le désengagement d'une tâche pour se réengager dans une autre ; Inhibition: capacité à résister aux interférences (informations non pertinentes) et à renoncer à tout comportement inadapté ou automatique ; suppression des informations précédemment pertinentes devenues inutiles ; Rétrocontrôle : arrêt en cas d’échec et correction des erreurs ; Déduction, identification et maintien de règles opératoires ; Prise de décision ; Anticipation… Les fonctions exécutives sont impliquées dans un grand nombre d’activités cognitives au quotidien. Elles contribuent à déterminer la manière de s’adresser à quelqu’un, le fait de parler au moment approprié, de récupérer les informations utiles en mémoire, ou encore d’organiser les étapes nécessaires pour choisir ses vêtements ou prendre son repas. Elles doivent être préservées pour une autonomie normale et la pratique d’une activité professionnelle. Elles sont sous-tendues par le cortex préfrontal. 2. Neuroanatomie des lobes frontaux Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024/2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Les lobes frontaux sont les lobes les plus volumineux du cerveau, ils occupent 1/3 du volume cortical total. Ils représentent, d'un point de vue évolutif, les structures néocorticales les plus récentes. Ce sont également celles dont la maturation s'achève en dernier (vers l'âge de 15-16 ans). Les lobes frontaux sont spécifiques à l’Homme. Ils contrôlent nos comportements les plus complexes, tels que la prise de décision ou le raisonnement, mais interviennent aussi dans la coordination motrice volontaire, le langage et la mémoire. Les lobes frontaux sont caractérisés par une impressionnante complexité neuro-anatomique (et fonctionnelle!). Ils s’étendent entre la scissure de Rolando postérieurement et la scissure de Sylvius latéralement et comportent trois parties principales : le cortex moteur primaire, le cortex prémoteur et le cortex préfrontal. - Le cortex moteur primaire est impliqué dans la commande de la motricité élémentaire de l’hémicorps controlatéral. - Le cortex prémoteur, qui comprend, dans sa partie supérieure l’aire motrice supplémentaire, sous-tend l’organisation et le contrôle des mouvements fins et séquentiels, ainsi que l’initiation du mouvement. L’aire de Broca qui intervient dans l’expression et l’initiation du langage, correspond au tiers inférieur du cortex prémoteur gauche (voir chapitre 4 sur les aphasies). - Le cortex préfrontal qui représente environ un quart de la masse corticale et comprend l’ensemble des régions non motrices des lobes frontaux. Le cortex préfrontal a de multiples connexions, souvent réciproques, avec de nombreuses parties du cerveau (structures corticales et sous-corticales). Il reçoit des projections directes, pour la plupart doublées de projections réciproques, des aires associatives temporales, pariétales et occipitales. Les régions préfrontales dorsolatérales sont habituellement associées au versant cognitif ou à la composante « cold » (froide) du fonctionnement exécutif, càd les situations qui n’impliquent pas au premier plan d’état émotionnel particulier, sous-tendant plutôt une certaine logique, abstraite et décontextualisée (planification, flexibilité mentale notamment). Les régions orbito-frontales du cortex préfrontal sont davantage associées au versant affectif ou « hot » (chaud), càd aux contextes dans lesquels sont impliqués de manière prépondérante des aspects affectifs, émotionnels et/ou motivationnels (capacités d’autorégulation et de contrôle de ses émotions notamment). 5 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024/2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Dans une étude explorant l’organisation des lobes frontaux publiée en 2016, de Schotten et ses collaborateurs ont utilisé une méthode (tractographie des IRM de diffusion) qui permet de suivre les fibres blanches (càd les axones des neurones qui assurent la transmission de l’information nerveuse) et donc les connexions cérébrales. Ces chercheurs ont identifié, en fonction de leurs connexions anatomiques, 12 sous-régions dédiées à des fonctions différentes, des plus simples, comme la motricité, aux plus complexes, comme le comportement social. Ces chercheurs ont également confirmé l’organisation antéro-postérieure du lobe frontal : l’arrière du lobe frontal étant associé à des aires qui contrôlent les mouvements simples, alors que l’avant du lobe correspond aux aires associées à des fonctions plus complexes (prise de décision, planification, comportement social…). Enfin, en analysant plus précisément l’anatomie de ces régions, les chercheurs ont observé qu’à l’avant du lobe frontal, la quantité de myéline (qui permet la transmission rapide de l’information nerveuse) diminue, ce qui se traduit par un traitement de l’information plus lent. En revanche, on y trouve un plus grand nombre de connexions entre neurones. 3. Conséquences des atteintes préfrontales : le syndrome dysexécutif Pendant très longtemps, on pensait que les fonctions cognitives supérieures (raisonnement, attention, langage, mémoire…) n’étaient pas atteintes lors de lésions frontales. Les régions frontales étaient considérées comme des zones « muettes » du cerveau, puisqu’on n’observait pas de déficit apparent après lésions de ces régions cérébrales. Dans les années 1930, des recherches effectuées sur les chimpanzés par Fulton et Jacobson ont montré qu’une lobotomie (destruction massive des fibres de substances blanches reliant un lobe cérébral au reste du cerveau) du lobe préfrontal était apaisante. Egas Moniz mis alors au point une méthode chirurgicale de traitement des maladies mentales qui permet de réduire les réactions émotionnelles sans affecter les capacités intellectuelles (pour laquelle il reçut un prix Nobel en 1949!). Ainsi, de nombreuses lobotomies préfrontales furent pratiquées chez des patients psychiatriques, notamment schizophrènes, qui donneront lieu beaucoup plus tard à toute une série de recherches sur les séquelles cognitives insoupçonnées des lésions préfrontales. De nombreuses pathologies neurologiques (maladies neurodégénératives comme la démence fronto-temporale, accidents vasculaires cérébraux suite à l’obstruction ou la rupture d’un vaisseau sanguin, tumeurs, traumatismes crâniens, pathologies inflammatoires comme les encéphalites ou la sclérose en plaques)…) et psychiatriques (dépression, schizophrénie…), ainsi que de troubles neurodéveloppementaux (autisme, trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité…) s’accompagnent d’une atteinte/d’un dysfonctionnement des lobes frontaux et plus particulièrement du cortex préfrontal. Les déficits consécutifs à des lésions frontales sont souvent hétérogènes. Ainsi, on peut observer un syndrome dyséxecutif cognitif et/ou comportemental. 6 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Le profil cognitif peut associer des déficits de planification, d’inhibition, de prise de décision… Ces déficits sont non expliqués par des déficits cognitifs élémentaires. Les difficultés des patients, plus ou moins importantes selon les cas, sont observées dans les situations nécessitant d’inhiber un schéma d’action prépondérant (situation conflictuelle), de résoudre un problème, et en particulier de déduire des règles (situations complexe), de séquencer des opérations successives en évitant de persévérer sur l’étape préalable. Des persévérations (=répétitions anormales d’une action, d’un comportement spécifique) motrices ou verbales peuvent apparaître. Un geste sera répété ou maintenu inutilement, ce qui perturbera l'ensemble de l'activité motrice. Par exemple, si on demande au patient de réaliser 5 mouvements successifs, il peut faire le premier de la séquence et le reproduire sans cesse. Dans les cas graves, le patient peut se borner à répéter la consigne sans même l’exécuter. Dans les années 1980, Lhermitte définit le syndrome de dépendance à l’environnement. Il décrit ainsi le comportement d’utilisation qui est une tendance exagérée d’un patient à saisir et à utiliser les objets à proximité, bien qu’ils ne soient pas appropriés à la tâche en cours, ainsi que le comportement d’imitation, c’est-à-dire qu’un patient ne peut s’empêcher d’imiter les gestes réalisés devant lui malgré la consigne explicite de ne pas le faire. Ces différents comportements pathologiques sont tous interprétés comme des déficits d’inhibition. Ces derniers peuvent se traduire dans la vie courante par le fait qu’un patient va s’immiscer dans une conversation qui ne le concerne pas, répondre au téléphone alors que l’appel n’est pas pour lui. Il peut exister une dissociation entre les intentions du patient et la mise en œuvre des actions nécessaires à la réalisation du but. L’action projetée est débutée, mais pas menée à son terme, du fait de la présence de persévérations et d’une grande distractibilité (liée notamment à des difficultés de maintien de l’attention). Par exemple, un patient prépare son repas. Il va faire cuire des pâtes 10 min. Au lieu de faire cuire sa viande en même temps, il attend que les 10 min soient écoulées pour commencer une autre action. Quand il s’apprête à passer à table, il passe devant la fenêtre et s’aperçoit que la pelouse doit être tondue. Il va sortir la tondeuse et laisser brûler son repas. Le matin avant de partir au travail, il entend à la radio qu’il y a une grève des bus, malgré tout il va s’asseoir à l’arrêt de bus et attendre. On peut également observer une modification de la personnalité, du caractère du patient avec des troubles comportementaux soit sur le versant de l’inhibition (attribuée généralement à des lésions de la région dorso-latérale), soit sur celui de la désinhibition, du manque de contrôle (liée plutôt à des lésions orbito-frontales). Ainsi, les troubles peuvent associer une apathie qui va se traduire par une perte d’initiative, d’intérêts et de motivation pour les activités de la vie quotidienne, une indifférence affective, une réduction de la spontanéité verbale, une aboulie (volonté d’accomplir les actions, mais incapacité de prendre des décisions et panifier). Ces troubles ne peuvent pas s’expliquer par une dépression (pas d’anxiété, d’idées noires ou de douleur morale comme dans les états dépressifs). A l’opposé, on peut observer des manifestations telles que des conduites socialement inappropriées, une labilité émotionnelle (= changement brusque et important d’humeur, passage du rire aux larmes par exemple), une intolérance aux frustrations, une irritabilité, des accès incontrôlables de violence verbale/physique, une impulsivité ; une attitude moriatique, caractérisée par une euphorie pathologique, accompagnée d’insouciance, de désinhibition (notamment sexuelle), une attitude irresponsable et puérile caractérisée notamment par des jeux de mots faciles, des plaisanteries niaises ou caustiques à connotation souvent sexuelle. Ces patients peuvent présenter également des changements au niveau de leur allure (tenue vestimentaire négligée ; cheveux pas lavés, mal coiffés ; maquillage excessif pour les femmes…). Ils sont souvent enclins à la gloutonnerie, avec une appétence particulière pour 7 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel les sucreries, et au collectionnisme (=besoin pathologique de rassembler des objets inutiles et sans valeur comme de vieux journaux, des clous rouillés, des emballages d’aliments, etc…). Ces 2 versants peuvent parfois alterner chez un même patient selon les circonstances. Il est important de noter que les troubles de la personnalité, qui ont été décrits chez un nombre important de patients souffrant de lésions préfrontales, ne sont pas d’origine psychiatrique, mais bien d’origine neurologique. D’un point de vue historique, la connaissance de l’impact de lésions frontales sur le comportement a débuté avec la description par le Dr Harlow du célèbre patient Phineas Gage (1848). Lors d’un accident lié à des explosifs, une barre de fer transperce la joue gauche, la base du crâne et l’avant du cerveau du jeune homme avant de ressortir par le dessus de la tête. Il survit à ses blessures sans déficits cognitifs (son intelligence, son langage étaient normaux) ni moteurs. Cependant, une transformation radicale de sa personnalité fut observée. Il est devenu « d’humeur changeante, irrévérencieux, proférant parfois de grossiers jurons (ce qu’il ne faisait jamais avant l’accident) : ne manifestant que peu de respect pour des amis supportant difficilement les contraintes ou les conseils, lorsqu’ils venaient entraver ses désirs ; s’obstinant parfois de façon persistante ; cependant, capricieux et inconstant ; formant quantité de projets aussitôt abandonnés dès qu’arrêtés… » (d’après Damasio, 1994). Plus récemment, des études en neuroimagerie ont mis en évidence que les psychopathes anti- sociaux présentaient un plus faible volume de matière grise dans le cortex préfrontal antérieur comparés aux sujets contrôles. Des anomalies similaires ont également été constatées chez de jeunes garçons violents. Ce type d’études soulève de nombreuses questions éthiques. En effet, aux Etats-Unis, des examens de neuroimagerie pourraient être intégrés dans la procédure médico-légale visant à établir et déterminer la responsabilité d'un individu par rapport à un délit, tout spécialement dans le cadre d'agressions sexuelles et d'homicides. Les patients avec une lésion frontale souffrent souvent d’anosognosie (= non conscience, méconnaissance des troubles) qui est parfois difficile à distinguer du déni (= mécanisme de défense psychologique). Souvent ces patients sous-estiment leurs difficultés cognitives, alors qu’ils sont bien conscients de leurs déficits moteurs ou sensoriels. Remarques importantes : - Comparées aux autres aires cérébrales, les aires préfrontales sont celles dont le développement se poursuit le plus longtemps après la naissance. Les délais de maturation de ces aires sont longs (jusqu’à l’âge adulte); les fonctions exécutives s’établissent donc graduellement au cours du développement. On peut ainsi observer chez l’enfant des manifestations comportementales sensiblement comparables à celles qu’on trouve chez des adultes cérébro-lésés, du simple fait de l’immaturité des lobes préfrontaux. L’inhabileté d’un jeune enfant à inhiber un comportement inapproprié ou le manque de flexibilité de sa pensée n’est donc pas nécessairement pathologique. Prenons l’exemple du réflexe de préhension (« grasping »). C'est une réaction de préhension déclenchée par la stimulation tactile de la paume de la main. Elle est pathologique lorsqu’elle est présente chez l’adulte (atteinte du cortex prémoteur), mais tout à fait normale chez le bébé jusqu’à l’âge de 12 semaines. - On parle de fonctions exécutives et non de fonctions frontales car elles peuvent être atteintes lors de lésions ne touchant pas les lobes frontaux mais d’autres régions cérébrales corticales ou sous-corticales (fortement connectées aux lobes frontaux). Par conséquent, l’appellation « syndrome dysexécutif » a été préférée à celle de « syndrome frontal ». 8 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel 4. Evaluation des fonctions exécutives Lors d’une évaluation neuropsychologique d’un patient avec une lésion frontale, on constate souvent un éclatement des scores aux tests évaluant les fonctions exécutives mettant en évidence la multiplicité des composantes de ces fonctions. Il faut toujours proposer plusieurs épreuves pour explorer les différentes facettes du fonctionnement exécutif. Il existe un grand nombre de tests neuropsychologiques permettant d’évaluer les fonctions exécutives. Parmi les épreuves les plus utilisés, on trouve le test de Stroop qui permet d’évaluer les capacités d’inhibition du processus automatique qu’est la lecture. On présente au patient une planche avec une série de noms de couleurs imprimés dans une couleur d’encre différente de celle que désigne le mot. La tâche du patient sera de donner la couleur de l’encre d’un maximum de mots (et non les lire) en un temps limité. Un autre test classique est le Trail Making Test qui consiste à relier alternativement, le plus rapidement possible, par ordre numérique et alphabétique des chiffres et des lettres aléatoirement répartis sur une feuille. Ex : 1-A – 2-B – 3-C, etc. … Ce test mesure notamment les capacités de flexibilité mentale (alterner chiffre et lettre). On peut également citer le test de classement de cartes de Wisconsin (cf image ci-contre) qui consiste à apparier chaque carte présentée à l’une des cartes stimuli selon une règle (ou critère de classement) que l’on ne donne pas et qu’il faut découvrir. Après chaque essai, l'examinateur lui indique si sa réponse était bonne ou non. C’est de ce feed-back que le patient doit inférer la règle à appliquer pour répondre correctement. Les séquences graphiques de Luria peuvent mettre en évidence des persévérations. Ce test consiste à reproduire le modèle en alternant les séquences sans lever le crayon. Remarques importantes: - Les tests permettant d’évaluer les fonctions exécutives sont tous « impurs », car composés de multiples facteurs qui ne mesurent pas un processus spécifique (comme l’inhibition). Lorsque l’on interprète la performance obtenue à un tel test, il faut tenir compte de la préservation ou non d’autres fonctions non exécutives (le Stroop, par exemple, peut être échoué en raison d’un déficit visuel, langagier, attentionnel…). - Les déficits des fonctions exécutives sont susceptibles de parasiter plusieurs domaines du fonctionnement cognitif, comme le langage (par ex. difficultés pour structurer un récit), les praxies visuo-constructives (par ex. organisation laborieuse des dessins), la mémoire épisodique (par ex. mauvaises stratégies d’encodage et/ou de récupération) ou encore l’attention (par ex. manque d’efficacité des stratégies d’exploration visuelle). Enfin, une performance normale aux tests « classiques », généralement au format « papier-crayon », ne signifie pas absence de troubles dans la vie de tous les jours. En effet, ce type d’épreuves s’appuie sur un matériel et une procédure de passation standardisée et n’aborde qu’un problème à la fois avec des essais courts, une initiation par l’expérimentateur…. Ils sont très structurés et ont par conséquent une faible validité 9 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel écologique, càd qu’ils sont peu représentatifs de l’engagement des fonctions exécutives dans la vie quotidienne. Des questionnaires (par ex. inventaire comportemental d’évaluation des fonctions exécutives) et/ou des tâches se rapprochant des situations de vie « réelle » (par ex. faire les courses et réaliser une recette de cuisine) peuvent alors être proposées. Il faut également prendre en compte les indices provenant de l’entretien et de l’observation clinique pour repérer notamment des troubles du comportement (familiarité ou jovialité excessive, exploration intempestive de l’environnement ou au contraire passivité généralisée, absence d’intérêt pour la situation d’examen…). Un questionnaire évaluant les changements de personnalité peut également être proposé aux proches du patient. 5. Modèles des fonctions exécutives 5.1. Le modèle du contrôle attentionnel de Norman et Shallice (1982, 1988) L’étude des blessés de guerre a permis d’avancer dans la compréhension et la description des troubles des fonctions exécutives. Ainsi, Luria formule le premier modèle explicatif du fonctionnement du lobe frontal à partir d’évaluations neuropsychologiques effectuées sur des victimes de la seconde guerre mondiale. D’après lui, le cortex pré-frontal joue un rôle essentiel dans le contrôle et la régulation de l’action. Les conceptions de Luria sont à la base de la plupart des modèles contemporains, notamment celui développé par Norman et Shallice. Ces 2 auteurs ont apporté une contribution essentielle à la modélisation du contrôle de l’action. Ils distinguent deux formes d’actions: - les routines (comportements surappris, permettant les activités répétitives de la vie quotidienne) ne nécessitant pas ou peu de contrôle attentionnel ; - les actions nouvelles, complexes qui elles, au contraire, nécessitent un contrôle attentionnel important. Leur modèle du contrôle attentionnel postule l’existence de trois composantes : un répertoire d’habitudes motrices et cognitives (les schémas d’actions), un gestionnaire des conflits (GC), ainsi qu’un système attentionnel superviseur (SAS). - Les schémas d’actions constituent les unités de base et peuvent être de bas ou de haut niveau (selon la complexité des séquences d’actions). Un schéma de haut niveau peut comprendre plusieurs schémas de bas niveau ; schémas de bas niveau qui peuvent être partagés par plusieurs schémas de haut niveau. Dans les situations les plus routinières, les schémas d’actions peuvent s’effectuer de manière automatique et en parallèle. - Le GC est un processus semi-automatique de régulation qui contrôle les séquences d'actions activées pour une situation donnée et intervient dans la résolution de conflits en choisissant les schémas d'action les plus pertinents au regard de la tâche demandée. Il gère la compétitivité entre schémas d’action et empêche ainsi la sélection simultanée de 2 schémas utilisant les mêmes ressources. - Le SAS, lui, intervient quand les procédures de déclenchement automatique des schémas ne suffisent plus pour aboutir au but. Il est donc sollicité lors de situations pour lesquelles il faut prendre une décision ou inhiber une réponse automatique non pertinente, lors de situations nouvelles pour lesquelles il n’existe pas de schémas pré-établis et qui impliquent de nouveaux apprentissages. Le SAS permet le maintien des buts à long terme, l’appréciation des résultats d’une stratégie choisie et la mise en place des changements si nécessaire. Il fait appel à des processus de contrôle volontaire, accessibles à la conscience. Ses ressources 10 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel attentionnelles sont limitées. Par conséquent, si le SAS est mobilisé par une autre tâche, on peut observer des « lapsus d’action » chez les sujets sains. Ex. de lapsus d’action classique : durant le week end, une personne effectue un trajet en voiture pour aller au cinéma. Ce trajet est dans sa partie initiale identique à celui pour se rendre au travail. Une erreur fréquente est de poursuivre le chemin habituel vers le lieu de travail. Le SAS peut être considéré comme équivalent de l’administrateur central de la mémoire de travail dans le modèle de Baddeley (1986). Ce modèle permet d’expliquer que les patients souffrant d’une lésion préfrontale aient des difficultés dans la sélection d’actions appropriées et l’inhibition d’actions inapproriées. Une atteinte du SAS entraîne des difficultés à s’orienter vers des réponses non surapprises, et donc une rigidité comportementale avec des persévérations. 5.2. Modèle de Miyake (2000) Lors d’une évaluation neuropsychologique d’un patient avec une lésion frontale, on constate souvent un éclatement des scores aux tests évaluant les fonctions exécutives mettant en évidence la multiplicité des composantes de ces fonctions. De nombreux chercheurs se sont alors demandés si les fonctions exécutives correspondaient à un mécanisme sous-jacent unique. A partir de l’étude des différences inter-individuelles dans trois fonctions essentielles (flexibilité, mise à jour en mémoire de travail et inhibition) et grâce à une analyse de régression, Miyake a pu démontrées qu’elles sont dissociables, mais font partie d'une certaine unité puisqu’elles sont corrélées entre elles. 5.3. La théorie des marqueurs somatiques de Damasio (1991, 1995) Les patients souffrant des lésions orbito-frontales présentent généralement une perturbation de l’adaptation sociale, une difficulté à retarder la survenue des satisfactions et à anticiper les conséquences de ses choix propres. Ces lésions ont également été mises en 11 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel relation avec l’incapacité à exprimer et à ressentir des émotions. L’ensemble de ces troubles du comportement sont désignés par le terme de «sociopathie acquise» par Damasio. Selon cet auteur, les marqueurs somatiques associent, tout au long de l’existence, des situations (stimuli comme un serpent ou un gâteau au chocolat, ou des représentations mentales générées par la mémoire autobiographique) à leur retentissement émotionnel positif ou négatif vécu par le corps. Le système capable d’enregistrer ce lien est sous-tendu par les régions orbito-frontales. Lorsqu’une situation similaire à une situation déjà vécue se présente, ce système permet la réactivation de l’état somatique correspondant, dont la fonction est de «marquer» automatiquement la situation selon les conséquences qui lui ont été associées dans le passé. Le rappel des informations contenues dans ces marqueurs peut être conscient ou inconscient. En présence d’un choix à opérer, l’activation des marqueurs somatiques fonctionne comme un signal corporel d’aide à la décision et va interférer avec le raisonnement. Les marqueurs somatiques vont inciter à l’action, en conduisant l’individu à rejeter immédiatement une série de réponses potentiellement néfastes et en facilitant par conséquent la mise en place de réponses avantageuses. Le cortex orbito-frontal fournit ainsi les informations nécessaires au cortex moteur pour déclencher une réponse comportementale (théoriquement) adaptée à la situation. La théorie des marqueurs somatiques postule que les réponses sociales aberrantes et les choix inconsidérés de patients atteints de lésions orbito-frontales proviennent de leur incapacité à évoquer les états somatiques (musculaires ou viscéraux, déclenchés par l’amygdale) précédemment associés à des situations sociales spécifiques. En effet, les patients atteints de ce type de lésions ne génèrent quasiment plus de réponses somatiques suite à la présentation de stimuli émotionnels. Ils ne montrent pas de réponses électrodermales (variations de l’activité électrique cutanée enregistrées à la surface de la peau et qui traduit l’activité des glandes sudoripares) suite à la présentation de stimuli émotionnels (corps mutilés, ou personnages nus), contrairement aux sujets sains. Par ailleurs, lorsqu'il leur est demandé de générer des images émotionnelles personnelles (mariage, funérailles, accidents…), les réponses somatiques des patients sont également très faibles et ils attribuent une intensité émotionnelle subjective basse à ses souvenirs. Prenons une situation expérimentale, une tâche de prise de décision proche possible d’une situation de vie réelle: la tâche du casino ou jeu de poker (« gambling task ») de Bechara et collaborateurs (1996). Voici le principe : le participant reçoit une somme d’argent factice qu’il doit faire fructifier. Il doit ensuite retourner 100 cartes (une à la fois) appartenant à 4 tas (A, B, C et D) en commençant par celui de son choix et en changeant de tas dès qu'il le désire et autant de fois qu'il le souhaite. Le choix des sujets est conditionné par un système de pertes et profits propre à chaque tas. Ainsi, le choix des cartes des deux premiers tas (A et B) entraîne des gains d’argent immédiats et élevés, mais aussi des pertes importantes, alors que le choix des cartes des deux autres tas (C et D) entraîne des gains moins élevés, mais des pertes plus faibles. Pour résumer, à moyen et long terme les tas A et B sont désavantageux mais les tas C et D sont avantageux. Les sujets sains évitent les tas A et B, en privilégiant les tas C et D. Les patients au contraire choisissent les mauvais tas. Ils savent quels sont les tas désavantageux, mais ne peuvent pas pour autant modifier leur comportement. 12 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel On peut noter que ces patients ne présentent pas de perturbations importantes aux tests cognitifs classiques, y compris ceux évaluant les fonctions exécutives ou la mémoire de travail. Des patients souffrant de lésions préfrontales dorso-latérales réussissent la tâche de casino, mais auront des difficultés en mémoire de travail. Bechara et collaborateurs ont mesuré simultanément les niveaux d'activation somatique (variation de la conduction cutanée). Tant les patients atteints de lésions orbito-frontales que les sujets sains montrent des modifications de conduction cutanée après avoir effectué un choix et donc après avoir appris le gain ou la perte. L'énorme différence réside dans le fait que les sujets sains, contrairement aux patients, commencent à générer des réponses électrodermales anticipées (c’est-à-dire avant de choisir un tas) à mesure qu'ils avancent dans la tâche. Ces réactions anticipées sont amplifiées lorsque les sujets s’apprêtent à choisir une carte dans un des tas désavantageux (A ou B). Les patients ne produisent pas ces réactions anticipées lors d’une prise de risque. CONCLUSION Nous avons vu que les lobes frontaux sous-tendent des processus et des comportements du plus haut niveau d’élaboration. Ils contrôlent la réalisation de l’ensemble des tâches complexes indépendamment de leur domaine d’application (langage, mémoire, action...). Des lésions du lobe frontal peuvent entrainer une désorganisation des fonctions exécutives, nécessaires pour s’adapter à des situations nouvelles, ainsi qu’une altération du comportement social. En cas de perturbations des fonctions exécutives et/ou de troubles comportementaux suite à une atteinte cérébrale, le patient ne pourra plus avoir une vie autonome. Lorsqu’une fonction cognitive spécifique est touchée (comme le langage ou la mémoire), des rééducations peuvent être proposées pour permettre une réinsertion socio-professionnelle du patient cérébro-lésé. Or, les stratégies thérapeutiques sur lesquelles s’appuient ces rééducations font généralement appel aux capacités de contrôle exécutif. En effet, les exercices mis en place visent souvent à amener le patient à mieux structurer ses activités, à planifier et programmer l’action et à parvenir à un meilleur contrôle. La prise en charge des patients souffrant de lésions frontales s’avère ainsi très délicate. A cela s’ajoute le fait qu’un certains nombre d’entre eux sont anosognosiques et ne voient donc pas l’utilité d’un éventuel programme de rééducation. Chapitre 2 : La mémoire déclarative 1. Les systèmes de mémoire La mémoire n’est pas un phénomène unitaire, il ne faut pas parler de la mémoire... mais des mémoires. En effet, les recherches fondées sur l’étude de patients cérébro-lésés et l’analyse des dissociations, méthode privilégiée de la neuropsychologie cognitive clinique, vont à l’encontre d’une conception unitaire de la mémoire et sont incontestablement à l’origine de progrès dans la compréhension de l’organisation de la mémoire humaine. Le fait qu’un patient échoue une tâche 1 et réussisse une tâche 2 est une dissociation simple. Si l’on en trouve un autre qui réussit la tâche 1, mais échoue la tâche 2, on a une double dissociation qui plaide en faveur de l’indépendance fonctionnelle entre deux systèmes ou deux processus 13 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel (A et B) impliqués respectivement dans la tâche 1 et la tâche 2. Ainsi, l’existence de doubles dissociations permet d’affirmer que la mémoire ne correspond pas à une entité unique mais à différents systèmes relativement indépendants. Existence de 2 systèmes ou sous-systèmes distincts et indépendants (A et B), chacun assurant une fonction précise Il existe plusieurs manières d’aborder les systèmes mnésiques, l’une fait appel aux processus mnésiques, l’autre au facteur temps et la dernière au contenu. 1.1. En fonction des processus mnésiques Les processus mnésiques sont des opérations précises qui traitent l’information à des étapes distinctes. - L’encodage: traitement de l'information perçue en vue d'un stockage ultérieur. Il nécessite de l'attention et peut être superficiel ou profond (traitement phonologique vs sémantique des stimuli). Ce processus est intact dans la plupart des amnésies. - Le processus de consolidation ou stockage est la formation d’un engramme ou trace mnésique. Le déficit de consolidation est la cause la plus fréquente des amnésies. - Le processus de récupération consiste en l’interaction d’indices externes avec l’information stockée. Cette interaction ou ecphorie réactive les représentations mentales telles qu’elles avaient été formées lors de l’encodage. 1.2. En fonction du temps L’étude de la mémoire en fonction du temps comporte un système d’enregistrement sensoriel d’une durée de quelques millisecondes (mémoire iconique et échoïque), suivi d’un système de mémoire à court terme (MCT) et mémoire de travail (MDT), puis du système de mémoire à long terme (MLT). La MCT est transitoire, elle a une capacité limitée (empan moyen de 7 chiffres ou 6 lettres ou 5 mots) et ne permet de conserver une information que pendant une durée de quelques secondes. La MLT se caractérise par la rétention d’une quantité illimitée d’informations pouvant durer toute une vie. 14 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel 1.3. En fonction du contenu L’étude des systèmes mnésiques en fonction de leur contenu prend en considération uniquement la MLT. Le modèle actuel le plus utilisé est celui de Tulving. Il comprend : la mémoire épisodique qui se réfère à la mémoire des expériences personnelles et de leurs relations temporo-spatiales ; la mémoire primaire ou MDT ; la mémoire sémantique qui se rapporte aux connaissances conceptuelles générales ; le système de représentations perceptives, sous-tendant les effets d’amorçage (paradigmes expérimentaux basés sur la présentation préalable d'un stimulus pour influencer le traitement d'un autre stimulus) et la mémoire procédurale qui renvoie à l’acquisition, la rétention et l’utilisation d’habiletés motrices, cognitives ou perceptives. La mémoire épisodique est au sommet de la hiérarchie, elle est la plus vulnérable et peut être affectée de manière isolée. 2. Structures cérébrales sous-tendant la mémoire déclarative En 1953, le neurochirurgien Scoville réalise une exérèse (=ablation) bilatérale des lobes temporaux médians (voir figure ci-contre) dans le but de soulager son patient H.M. de crises épileptiques pharmacorésistantes (=persistantes malgré un traitement médicamenteux). Il constate que H.M. devient profondément amnésique pour tout événement vécu après son intervention chirurgicale, alors que ses autres fonctions cognitives restent préservées. La description du profil mnésique de H.M., en 1957, constitue ainsi un tournant dans l’histoire de la connaissance de la mémoire. D’autres cas de troubles exclusifs de la mémoire ont été décrits par la suite et ont permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur les structures cérébrales sous-tendant la mémoire. On peut égalent citer le patient R.B., qui souffrait d’une lésion bilatérale des hippocampes, sans autre structure atteinte et présentait une amnésie antérograde importante (Zola-Morgan, Squire et Amaral, 1986). Ce cas a prouvé que les hippocampes jouaient un rôle majeur dans la mémoire. Ci-contre : Coupe frontale montrant les lésions des 2 hippocampes (cercles rouges). Circuit de Papez La description par Papez, en 1937, d'un circuit synaptique reliant entre eux hippocampe, corps mamillaire, thalamus et cortex cingulaire marque une date importante, même si l'auteur lui attribuait essentiellement un rôle de contrôle des comportements émotionnels. Le circuit de Papez est donc une notion ancienne dont le fonctionnement a été remodelé par les travaux récents mais dont l’architecture de base est inchangée. Ce circuit bilatéral et symétrique intervient dans l’apprentissage, la consolidation et le rappel des informations déclaratives. C’est l’étape obligatoire pour une mise en mémoire à long terme. 15 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Des lésions bilatérales, symétriques ou non, des structures cérébrales de ce circuit ou des tracts nerveux qui les unissent entre elles, perturbent la fixation et le rappel d’informations nouvelles, c’est-à-dire provoquent une amnésie antérograde. Situé à la face interne des hémisphères cérébraux, ce circuit est ainsi composé de l’enchaînement de plusieurs structures : l’hippocampe, les corps mamillaires (structures diencéphaliques qui sont reliés aux hippocampes par l’intermédiaire du fornix), le thalamus (structure diencéphalique) et le gyrus cingulaire. Schéma du circuit de Papez ou circuit hippocampo- mamillo-thalamo- cingulaire Le système limbique En 1949, MacLean complexifie le circuit neuro-anatomique de la mémoire décrit par Papez. Il l’enrichit de nouveaux éléments, notamment les cortex entorhinal, périrhinal et parahippocampique, mais aussi l’amygdale. En 1952, il nomme ce groupe étendu de structures corticales et sous-corticales qui s’innervent mutuellement et forment un réseau dense de connexions autour de l’hippocampe et de l’amygdale, système limbique. Parallèle au circuit hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire, avec lequel il est interconnecté, le circuit amygdalien est souvent lésé en même temps que lui, ce qui en aggrave les conséquences. Rôle fonctionnel de ces structures Le rôle de l’hippocampe dans les circuits de la mémoire a été très étudié au moyen de l’imagerie fonctionnelle. Différentes études ont pu mettre en évidence, lors de l'encodage d'informations topographiques, de visages, d'images complexes, une activation hippocampique bilatérale ou droite, alors que l'encodage d'informations verbales active l'hippocampe gauche. En plus d’être indispensable à l’acquisition d’une nouvelle information, l’hippocampe intervient dans l’apprentissage des relations spatiales et dans la consolidation des informations. La récupération en mémoire fera également intervenir le lobe frontal. D’autres études ont montré que le circuit amygdalien est principalement engagé dans l’analyse émotionnelle au sens large, mais permet aussi l’indiçage émotionnel et affectif des souvenirs, ce qui lui confère un rôle majeur dans la transformation à long terme d’une information en trace mnésique. En effet, les caractéristiques émotionnelles et affectives des informations sont cruciales, aussi bien pour leur apprentissage et leur stockage que pour leur rappel différé. Le thalamus est également impliqué dans des aspects émotionnels de la mémoire. Plus précisément, le noyau médio-dorsal joue un rôle dans le contrôle de l’humeur et des émotions. Le noyau antérieur, quant à lui, est impliqué dans la sélection du matériel à stocker et sa lésion entraîne un trouble du codage de l’information et de la stratégie de mémorisation. 16 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Remarque importante : Ce ne sont pas les mêmes structures cérébrales qui sous-tendent la mémoire procédurale. Cette dernière est sous-tendue essentiellement par le cervelet et les noyaux gris centraux. 3. Les amnésies Chez le sujet sain, l'information peut ne pas être retrouvée, soit temporairement, soit définitivement, c’est le phénomène d'oubli. L’oubli est la perte d'une partie ou de toute l'information due à un déficit d’accès de la trace mnésique ou à une indisponibilité cette trace (qui a été détériorée ou jamais stockée). Il s’agit d’un processus mental indispensable tout à fait normal. Il peut cependant devenir pathologique ; on parle alors d’amnésie. On distingue l’amnésie antérograde (=incapacité sélective d'établir et de maintenir des traces mnésiques nouvelles suite à une affection cérébrale, amnésie qui touche donc les capacités d'apprentissage) de l’amnésie rétrograde (=perte ou l’altération d'informations acquises préalablement à un épisode pathologique). Ces deux types d’amnésie sont souvent associés et il est parfois difficile de les distinguer quand les troubles se sont installés progressivement. Les amnésies consécutives à des lésions du cerveau sont qualifiées d'amnésies organiques (ou neurologiques) et celles qui ont des causes psychologiques relèvent des amnésies psychogènes (ou fonctionnelles). Les amnésies peuvent être transitoires ou définitives. L’amnésie hippocampique Elle fait suite à des lésions bihippocampiques (hippocampes gauche ET droit lésés) et se caractérise par une amnésie antérograde massive avec oubli à mesure (le patient oublie immédiatement tout ce qui vient de se passer), une amnésie rétrograde peu étendue, une désorientation temporo-spatiale, une absence de confabulations (= récits de richesse variable venant remplacer les souvenirs, peuvent concerner des événements inventés ou bribes d’événements réels déplacés dans le temps et l’espace), une absence de fausses reconnaissances (= personnes totalement inconnues reconnues comme familières par le patient) ; une MCT et une mémoire procédurale préservées ; pas de troubles des autres fonctions cognitives, ni de la personnalité ; pas d’anosognosie, c’est-à-dire que le patient est conscient de ses troubles. Le cas le plus connu d’amnésie hippocampique est le patient H.M. (cf : ci-avant). Si ce modèle neurochirurgical est devenu historique, la pathologie spontanée est susceptible d’engendrer des états pathologiques similaires qui n’atteignent généralement pas la sévérité ni surtout la pureté du cas H.M. La plupart du temps, des perturbations neuropsychologiques diverses sont associées aux troubles mnésiques dans ces pathologies. Les autres étiologies possibles sont les encéphalites (= inflammation du cerveau) qui peuvent aboutir à une nécrose 17 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel des LTM, la maladie d’Alzheimer, l’anoxie (= diminution importante de l'oxygénation du cerveau, suite à un arrêt cardiaque ou une intoxication au monoxyde de carbone), certaines lésions vasculaires, un traumatisme crânien… Remarque : Dans le cas des ablations unilatérales de l’un ou l’autre lobe temporal médian (suite à une tumeur ou pour guérir une épilepsie temporale pharmacorésistante), les patients présentent généralement des déficits de mémoire touchant le matériel verbal si l’ablation est gauche, et le matériel non-verbal si l’ablation est droite. L’amnésie hippocampique se distingue de l’amnésie diencéphalique, dont le prototype est le syndrome de Korsakoff. Ce dernier est dû à des lésions des corps mamillaires et est lié à une carence en vitamine B1 (impliquée dans le métabolisme du glucose). Généralement associé à l'alcoolisme chronique, il peut toutefois survenir, plus rarement, en cas de troubles nutritionnels (anorexies sévères, vomissements excessifs, malabsorption intestinale). Il se caractérise par une amnésie antérograde moins dense, mais une amnésie rétrograde plus étendue que dans l’amnésie hippocampique ; la présence de confabulations et de fausses reconnaissances ; une désorientation spatio-temporelle ; une anosognosie; des traits frontaux (désinhibition, déficits d’attention, difficultés à mettre en place des stratégies, sensibilité aux interférences…) ; une MCT et une mémoire procédurale préservées ; une intelligence préservée. L’ictus amnésique (amnésie globale transitoire) Ses caractéristiques rappellent celles de l’amnésie hippocampique, mais il est transitoire et n'est accompagné d'aucune lésion cérébrale et ne semble pas consécutif à un choc psychologique. Il apparaît brutalement, dure en général quelques heures (6H en moyenne) et se termine subitement. La mémoire épisodique est atteinte, plus rarement la mémoire sémantique. Le comportement du patient est quasiment normal pendant la crise. Il se montre cependant souvent inquiet et perplexe, et répète de manière incessante les mêmes questions du fait de l’oubli à mesure (« mais où suis-je ? on est quel jour? qu’est-ce qui m’est arrivé ? »). La mémoire des faits anciens est conservée, on ne constate pas de perte d’identité, pas de confabulations ou de fausses reconnaissances. Les autres fonctions cognitives sont préservées. On n’observe pas de L’examen neurologique est normal. Après la crise, il persiste une amnésie lacunaire couvrant la durée de l’épisode. L’ictus amnésique survient généralement chez des sujets en bonne santé ayant dépassé la cinquantaine sans causes décelables. Le plus souvent l’épisode reste unique (récidive chez seulement 10% des patients) et est de bon pronostic. L’amnésie psychogène ou fonctionnelle Il s’agit de patients dont le vécu émotionnel leur est tellement intolérable qu’ils « effacent » leur passé. Ces patients perdent leurs souvenirs personnels, en raison d’une perturbation de leur mémoire épisodique. Leur mémoire sémantique peut parfois être atteinte, mais leur MCT et leur mémoire procédurale restent préservées. Dans les formes sévères, l'amnésie psychogène s'accompagne de fugues. La police recueille souvent ces personnes qui ne se souviennent ni de leur nom ni de leur adresse. L’épisode amnésique peut durer de quelques heures à quelques jours, parfois plusieurs mois. On distingue deux types de déclencheurs émotionnels : l'expérience d'un traumatisme (agression, sévices sexuels, guerre, catastrophe naturelle) et le stress prolongé. La définition de ce type d’amnésie est basée sur l’absence de lésion organique et la récupération totale des troubles mnésiques. L’amnésie psychogène a été interprétée en terme de refoulement par Freud. Cependant, ces patients montrent fréquemment un 18 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel hypométabolisme touchant les zones cérébrales sous-tendant la mémoire, notamment temporales internes, lors d’études en neuroimagerie fonctionnelle, ce qui ouvre la voie à une interprétation neuroscientifique. 4. Evaluation de la mémoire Dans le cadre d’un bilan neuropsychologique, les capacités mnésiques ne s’explorent jamais de manière isolée. Une anamnèse, ainsi qu’une évaluation neuropsychologique de l’ensemble des fonctions cognitives est nécessaire pour interpréter correctement les performances obtenues aux tests de mémoire. Par ailleurs, il est important de bien choisir ses outils en fonction de l’âge, du niveau culturel du patient, de sa plainte. La MCT peut être évaluée à l’aide d’une tâche d’empan direct de chiffres (répétition à l'endroit de séries croissantes de chiffres) et la MDT par la tâche d’empan indirect de chiffres (répétition à l'envers de séries croissantes de chiffres). La mémoire épisodique est classiquement évaluée sur le versant antérograde, càd que les capacités à enregistrer de nouvelles informations sont examinées. La mémoire verbale est classiquement examinée au moyen du RL/RI 16 (ou test de Grober et Buschke). Il s’agit d’un test d’apprentissage d’une liste de 16 mots qui permet de déterminer si le déficit mnésique est lié à des difficultés d’encodage, de stockage ou de récupération. Il comprend une tâche de rappel libre (aucune aide externe fournie pour retrouver les mots appris), une tâche de rappel indicé (la catégorie sémantique des mots non rappelés est donnée) et une tâche de mémoire de reconnaissance (présentation des mots appris parmi des distracteurs). Ce test permet de distinguer 2 profils neuropsychologiques : un déficit hippocampique avec un rappel libre chuté et peu d’amélioration avec l’indiçage, ainsi que des fausses reconnaissances, suggérant un problème de stockage, et un déficit frontal avec un rappel libre chuté et une amélioration avec l’indiçage révélant un problème de récupération. La mémoire non verbale peut être testée par la Figure de Rey (copie puis rappel libre) et par un test de mémoire de reconnaissance topographique. Phase d’encodage puis reconnaissance : Laquelle des images a été vue précédemment ? La mémoire épisodique peut également être évaluée sur le versant rétrograde (rappel des informations acquises avant la lésion cérébrale). Pour cela, on peut par exemple utiliser une tâche de mots indices. Le patient devra évoquer avec le plus de détails possibles le souvenir d’un événement qu’il a vécu en lien avec le mot-indice donné pour une période de vie définie (petite enfance, dernière année, etc…) CONCLUSION 19 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Les troubles de la mémoire constituent une des séquelles les plus fréquentes après une atteinte cérébrale. Les perturbations de la mémoire peuvent très diverses et de degré de sévérité très variable. Elles peuvent avoir des répercussions très importantes dans la vie personnelle, sociale et professionnelle. Le rôle du neuropsychologue sera de comprendre la nature des troubles pour tenter de mettre en place un programme de rééducation spécifique et personnalisé. 20 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Illustration clinique du cours de plasticité cérébrale Partie rédigée par Virginie Voltzenlogel (MCF en Neurosciences) RECUPERATION D’UNE APHASIE APRES ACCIDENT VASCULAIRE CEREBRAL : rééducation et études en IRMf 1. Récupération d’une aphasie Lors d’un accident vasculaire cérébral, la récupération peut être variable en fonction de patients (âge, niveau d’études, antécédents médicaux, motivation…). Elle est souvent modérée, parfois quasi nulle. D’autre part, les troubles initiaux des patients anomiques sont les moins sévères et ils ont tendance à s’améliorer ; au contraire, les troubles des patients aphasiques globaux sont très sévères et n’évoluent que peu. Après une lésion cérébrale, une récupération est possible grâce au recrutement de régions périlésionnelles ou à l’implication des aires homologues controlatérales. Une réorganisation cérébrale a donc lieu. La récupération peut être spontanée ou liée à l’action spécifique d’une rééducation. La symptomatologie aphasique suite à un AVC dans les aires du langage évolue généralement vers une relative amélioration malgré la persistance de la lésion. Une rééducation peut améliorer la récupération spontanée, même si la prise en charge est effectuée tardivement. Une rééducation cognitive est un programme qui s’appuie sur une analyse détaillée des déficits présentés par le patient. Un bilan neuropsychologique complet centré sur le langage est indispensable. Il permettra de mettre en évidence les fonctions altérées, mais également celles qui sont préservées. Une rééducation doit toujours se baser sur un modèle cognitif existant. Il s’agit d’une prise en charge individuelle et adaptée à chaque cas, dont le but est de rétablir la fonction déficitaire ou de réorganiser le fonctionnement cognitif en utilisant les fonctions intactes. Elle nécessite l’implication du thérapeute et du patient, voire parfois de sa famille. Une rééducation est très difficile à mettre en place lorsque le patient est anosognosique, c’est-à-dire non conscient de ses troubles. Les effets de la rééducation doivent être attribuables au programme mis en place et non à n’importe quel autre facteur spécifique comme la récupération spontanée ou l’effet de l’entraînement. Enfin, il faut mesurer la survenue de changements dans des contextes significatifs pour l’adaptation du sujet aux réalités de la vie quotidienne. IV. Apport des études en IRM fonctionnelle L’imagerie cérébrale fonctionnelle permet de montrer l’implication de différentes zones cérébrales dans une fonction cognitive lors du fonctionnement normal, mais aussi de comparer ce fonctionnement normal à celui après lésion cérébrale et après récupération spontanée ou rééducation. Peu d’études se sont intéressées aux substrats neuronaux de la récupération. En effet, ce type d’études se heurte à des problèmes méthodologiques : - Tout d’abord, pour pouvoir inclure un patient aphasique dans une telle étude, il faut que sa compréhension soit relativement préservée pour qu’il soit en mesure de comprendre la tâche demandée. - Ensuite, la grande hétérogénéité des lésions, la variabilité dans la rééducation administrée et la récupération observée pose des difficultés pour la réalisation d’études de groupes. Des études de cas semblent donc plus appropriées, mais les résultats de celles-ci ne seront pas généralisables à l’ensemble d’une population. 21 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel - Par ailleurs, les activations observées chez les patients doivent être comparées à celles d’un groupe de sujets sains, afin de voir si les activations après rééducation se rapprochent de celles des contrôles qui effectuent la même tâche ou si des régions non présentes chez les contrôles sont activées chez les patients. - Etant donné que les patients passent un examen en IRMf pré et post-rééducation, il faudrait proposer également 2 passations aux sujets sains. En effet, chez les sujets sains comme chez les aphasiques, des changements dans les activations cérébrales liés à une certaine automatisation de la tâche et une habituation aux conditions en machine, sont possibles lors de la deuxième passation. Etude 1 : Léger et al. (2002) IRMf pré et post-rééducation du langage (2 ans après AVC), patient RC avec aphasie persistante (déficit de production orale : omissions, additions de phonèmes en discours spontané, répétition, lecture, dénomination ; mais compréhension de mots normale). Rééducation de 6 semaines, 6 séances/semaine, 1H par jour. Lésions du patient RC Items de la tâche de jugement de rime Protocole IRMf : 2 tâches pour étudier les effets spécifiques de la rééducation passées avant et après rééducation : une tâche préservée (jugement de rimes nom de l’objet / mot) et l’autre déficitaire que l’on va rééduquer (dénomination objet / mot) comprenant 60 mots et 60 dessins (30 de chaque inclus dans la rééducation). Condition de contrôle: repos. Comparaison avec les activations cérébrales de 6 sujets sains appariés qui passent la même tâche (1 seule fois). Activations cérébrales des sujets sains durant la tâche de rime (a) et du patient RC avant (b) et après (c) rééducation du langage. Résultats: 94,5% de bonnes réponses dans les 2 tâches pour les sujets sains, donc niveau de difficulté équivalente ; RC : rime = 92% (séance 1) et 95% (séance 2), dénomination = 20% en séance 1; 63% pour mots entrainés et 50% pour les mots non entrainés en séance 2. NB: meilleur score à un test de dénomination, mais toujours score pathologique (15/80 à 33/80), donc pas sûr qu’il y ait un bénéfice dans la vie quotidienne du patient. 22 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel IRMf: activation des aires périlésionnelles et disparition des activations droites suite à la rééducation. Discussion: Cette étude a mis en évidence des changements au niveau des activations cérébrales qui accompagnent l’amélioration des performances de dénomination. Le substrat principal de la récupération serait les régions gauches épargnées par la lésion. De plus, l’amélioration s’observe pour items entrainés et non entrainés, ce qui suggère une généralisation. Etude 2 : Fernandez et al. (2004) Ces auteurs ont effectué un suivi longitudinal d’un patient, afin d’étudier les changements dynamiques durant la récupération. Participants: 1 patient aphasique, PL (IRMf 1 mois et 1 an après AVC) et 10 sujets sains (2 passations en IRMf à au mois 3 mois d’intervalle) Protocole: 2 tâches verbales avec stimulations visuelles et auditives simultanées : i. Tâche de rime (est-ce que l’image vue et le mot entendu riment?) ii. Appariement sémantique (est-ce que l’image vue et le mot entendu appartiennent à la même catégorie sémantique?) Résultats / discussion: tâche sémantique réussie par PL, mais difficultés pour la tâche de rime. Cette dernière s’améliore lors de la 2e session. Phénomène dynamique de recrutement des régions homologues aux régions lésées à droite et des aires périlésionnelles à gauche avec la récupération chez le patient. Activation également des aires préfrontales bilatérales chez le patient lors de la tâche de rime, qui s’explique par le fait qu’il mobilise plus de ressources attentionnelles que les sujets sains pour réaliser cette tâche difficile pour lui. Aires cérébrales activées par les sujets contrôles, mais pas par PL durant la tâche de rime. Aires cérébrales activées par PL, mais pas par les sujets contrôles durant la tâche de rime, lors de la 1ère session (un mois après AVC). Aires cérébrales activées par PL, mais pas par les sujets contrôles durant la tâche de rime, lors de la 2e session (un an après AVC). 23 Université Toulouse-2 Jean Jaurès PY00607V – Neuropsychologie SED 2024 / 2025 R. El Yagoubi – M. Senoussi - V. Voltzenlogel Etude 3 : Saur et al. (2006) Ces chercheurs ont étudié, grâce à l’IRMf, la réorganisation cérébrale durant la récupération du langage de la phase aiguë (immédiatement après AVC) à la phase chronique (après stabilisation) chez 14 patients aphasiques, tout en réalisant des évaluations du langage en parallèle. Protocole : Tâche de compréhension auditive. Trois passations pour chaque patient : 0 à 4 jours après AVC, 2 semaines plus tard et 4 mois à un an après AVC. Résultats / discussion : En phase aiguë, phénomène de diaschisis (= inhibition des fonctions intactes liée à la lésion), d’où très peu d’activations. Puis, recrutement des aires homologues à droite et des aires périlésionnelles gauches en corrélation avec l’amélioration du langage. Activations cérébrales des contrôles et des patients (lors des 3 passations) au cours de la réalisation de la tâche de compréhension auditive Autres études : - Warburton et al. (1999) : activation temporale gauche dans les régions adjacentes à la lésion suite à une rééducation. - Musso et al. (1999) : corrélation entre l’augmentation de l’activité du cortex temporal droit et des scores à des tests de compréhension après rééducation intensive de la compréhension. - Thomson et al. (2000) : changements observés dans l’hémisphère droit lors d’une tâche d’appariement d’images suite à une rééducation. L’ensemble de ces études montre que même si les neurones ne se renouvellent pas, une amélioration est généralement observée après lésion cérébrale, ce qui indique l’existence d’une plasticité cérébrale chez l’adulte. 24 PY00607T Neuropsychologie Perception & Agnosies Techniques d’imagerie cérébrale ; considération épistémologiques Auteure : Claudine MELAN Enseignant : Mehdi SENOUSSI Perception et agnosies 1- Généralités sur la perception et les agnosies La perception est une fonction cognitive essentielle pour appréhender notre environnement physique, et elle joue également un rôle essentiel dans nos interactions sociales notamment. C’est une fonction cognitive supérieure, tout comme par exemple le langage et la mémoire ; deux fonctions qui sont en interaction étroite avec celle de perception. Cependant, tandis que ces dernières sont multimodales (traitent des informations de plusieurs modalités sensorielles, notamment lors du rappel d’un souvenir d’enfance incluant une scène visuelle, des paroles et des bruits, voire des sensations tactiles, un contexte émotionnel…), la perception est unimodale. En effet, celle-ci est spécifique à chaque modalité sensorielle. Lorsque nous appréhendons notre environnement, les informations sont d’abord traitées au niveau sensoriel, avant d’être traitées par les systèmes impliqués dans la perception. Le traitement sensoriel des informations correspond au codage des informations de l’environnement et à leur transmission au système nerveux central. Ainsi, lors du traitement sensoriel des informations visuelles par exemple, la rétine procède au codage des informations (longueurs d’ondes) en influx nerveux transmis par les nerfs optiques et les radiations optiques au cortex visuel primaire. La fonction de perception assure ensuite l’analyse de ces informations au niveau des aires visuelles secondaires et des aires associatives pour attribuer une signification aux éléments – objets et personnes - qui nous entourent. La perception assure la formation d’un percept, l’identification et la dénomination des personnes et objets qui nous entourent : - l’analyse des informations sensorielles de l’environnement permet d’élaborer un percept, c’est-à-dire une forme/un ensemble cohérent perçu d'un stimulus externe (objet, personne) ; - l’identification de l’objet/personne en comparant le percept avec les éléments stockés en mémoire, - la dénomination de l’objet/personne grâce à un accès au système lexical et sémantique qui stockent les mots et leurs significations. De cette manière la perception permet d’attribuer une signification aux éléments de l’environnement. La gnosie correspond à la faculté permettant de reconnaître, par l'un des sens (toucher, vue, etc.), un objet et d'en saisir la signification. Dès1890, Lissauer propose un modèle à 2 étapes pour la reconnaissance des éléments du monde environnant : - une étape « aperceptive » : durant cette étape s´opère l’analyse des traits élémentaires, puis l’élaboration d’un percept. Celui-ci correspond, dans la modalité visuelle par exemple, à la perception consciente d’un objet/visage ou mot. Dans la modalité auditive, l’analyse aboutira à la perception d’un morceau de musique (et non d’un bruit quelconque). Selon la terminologie du modèle neuropsychologique dominant actuellement, proposé par Humphreys et Riddoch, cette étape correspond à la catégorisation perceptive. - une étape « associative » : cette étape permet d´identifier/reconnaitre et de nommer le percept en associant celui-ci à des éléments similaires contenus en mémoire et à des étiquettes du système sémantique (mot désignant l’objet), respectivement. Dans la modalité visuelle par exemple, reconnaitre l´objet comme étant un téléphone, le visage 3 comme étant notre voisine et le mot écrit "MOT". Dans la modalité auditive, le morceau de musique perçu sera identifié comme étant notre musique préférée... Dans le modèle de Humphreys et Riddoch, il s’agit de l'étape de catégorisation sémantique. L’agnosie est un déficit au niveau de la gnosie qui se traduit par une incapacité de reconnaître un objet ou un élément du réel, alors que leurs qualités sensibles sont perçues par les fonctions perceptives restées intactes (selon les cas, les capacités sensorielles visuelles, auditives, tactiles, …). L’agnosie a été décrite comme une perception déshabillée de sa signification par H.L. Teuber (1960) ; le terme a été introduit par Freud (1891). Les agnosies sont provoquées par une lésion des aires sensorielles secondaires et/ou associatives. Il est important de distinguer l’agnosie d’un handicap sensoriel qui se produit lors d’une atteinte du système sensoriel. Ainsi, la cécité correspond au handicap visuel associé à une atteinte des voies visuelles sensorielles (nerfs et radiations optiques) ou du cortex visuel primaire. Classification des agnosies Plusieurs critères sont utilisés pour classer les agnosies. En premier lieu, on désigne une agnosie selon la modalité de traitement perceptif touchée, de sorte qu’il existe autant de types d’agnosie que de modalités de traitement perceptif : agnosie visuelle, agnosie auditive, agnosie tactile, agnosie gustative, même si certaines de ces agnosies n’ont pas été décrites à l’état « pur », c’est-à-dire en dehors de tout autre déficit en raison de la taille réduite des structures cérébrales impliquées. Le traitement perceptif visuel implique deux voies nerveuses distinctes : l’une traite les caractéristiques visuelles des éléments/objets/visages du monde visuel et est désignée la voie du « Quoi » ; l’autre traite en parallèle les caractéristiques spatiales de ces mêmes éléments/ objets/visages et est désignée la voie du « Où ». Lors de la perception d’un téléphone portable, la voir du quoi analyse la forme, les bords, la brillance des surfaces etc et la voie du quoi traite la localisation dans l’espace, position du téléphone par rapport à d’autres éléments et le déplacement de l’objet. C’est pourquoi, en cas d’atteinte du système perceptif visuel, le déficit observé correspond à une agnosie visuelle ou à une agnosie spatiale, selon que l’une ou l’autre voie est touchée : - la voie de traitement du « Quoi » correspond à la voie visuelle ventrale occipito- temporale qui est composée d’aires cérébrales qui s’étendent du lobe occipital (cortex secondaire et associatifs) au lobe temporal (en violet sur la figure ci-dessous). Plus on se rapproche du pôle temporal et plus les éléments traités sont complexes (Figure ci-dessous de Behrmann et Plaut, 2013) et, inversement, plus on est proche de l’aire visuelle primaire, et plus le traitement concerne des caractéristiques visuelles simples (un pattern de formes) ; - la voie de traitement du « Où » correspond à la voie visuelle dorsale occipito- pariétale composée d’aires qui s’étendent du lobe occipital vers le lobe pariétal (en vert sur la figure ci-dessous). 4 Au niveau de chaque type d’agnosie, on distingue ensuite les agnosies selon le niveau de traitement qui est affecté. Les déficits qui concernent l’étape perceptive sont désignés agnosies aperceptives (incapacité d’élaborer un percept à partir des impressions sensorielles) et celles qui affectent l’étape associative sont désignés agnosies associatives (incapacité de reconnaitre et/ou de dénommer ce qui est perçu). La diversité des agnosies aperceptives et associatives au sein d’une modalité dépend de la spécialisation fonctionnelle de celle-ci. Lorsque la spécialisation fonctionnelle est importante, comme pour la modalité visuelle par exemple, plusieurs aires distinctes interviennent dans une étape de traitement, chacune traitant de façon indépendante un aspect différent. C’est pourquoi, plusieurs agnosies visuelles aperceptives et plusieurs agnosies visuelles associatives sont décrites dans les études cliniques. Inversement, lorsque la spécialisation fonctionnelle est faible, comme pour la modalité tactile, on distingue sur le plan clinique une seule agnosie tactile aperceptive et une seule agnosie tactile associative. Pour la modalité auditive, la spécialisation fonctionnelle est intermédiaire : on distingue à la fois au niveau perceptif et associatif une agnosie pour la musique et les bruits d’une part, et une agnosie pour les éléments du langage (mots entendus) d’autre part. La spécialisation fonctionnelle des aires cérébrales impliquées dans la modalité visuelle est si importante que l’on distingue les agnosies visuelles en outre selon la nature des aspects concernés : agnosies visuelles des objets, agnosies visuelles des couleurs, agnosies visuelles des visages, agnosies visuelles des symboles graphiques (mots lus). Pour chacune d’elles, des agnosies aperceptives et des agnosies associatives ont été décrites. En résumé, le tableau clinique des agnosies visuelles, auditives et tactiles est spécifique et les difficultés peuvent être limitées à une étape du traitement perceptif et/ou d’informations d’un seul type (nature de l’information visuelle et auditive). Le traitement des attributs spatiaux repose, au contraire, sur des processus beaucoup plus complexes et globaux, de sorte que la principale agnosie spatiale connue, l’héminégligence unilatérale, est caractérisée par un tableau clinique beaucoup plus complexe et handicapant. Par ailleurs, les manifestations des agnosies diffèrent selon l’hémisphère cérébral touché. L’hémisphère droit assure une perception visuelle et spatiale globale et simultanée de nombreux attributs de l’environnement et est plus souvent impliqué dans l’agnosie des visages ou spatiale, tandis que l’hémisphère cérébral gauche effectue une analyse de détails, qu’il traite successivement, de sorte qu’il est plus souvent impliqué dans l’agnosie des symboles graphiques notamment. Ces différents aspects seront illustrés en détaillant l’agnosie visuelle des visages (prosopagnosie) et l’héminégligence unilatérale. 5 2- Les agnosies visuelles : atteinte de la voie occipito-temporale Les agnosies visuelles correspondant à un déficit de reconnaissance de certains composants du monde visuel. Nous venons de voir qu’elles peuvent concerner des informations visuelles de nature différente, mais en réalité ces déficits s’associent souvent entre eux. Leur découverte et leur cadre théorique reposent en grande partie sur l’étude de patients souffrant d’agnosie des objets, plus spectaculaire souvent que celle des couleurs par exemple. 2.1. Perception des objets et agnosies des objets Les étapes de traitement aboutissant à l’identification puis à la dénomination d’un objet ont été identifiées dans des études de cas d’agnosie et formalisées dans deux modèles. Les agnosies aper- ceptives correspondent au déficit de l’analyse visuelle des objets, qui met en jeu les aires occipito- temporales bilatérales : - l’agnosie de la forme : les patients perçoivent les traits et les lignes qui composent la forme de base d’un objet sans pouvoir apprécier les distances, les longueurs et les orientations. Le tableau résume les 7 études de cas décrites dans la littérature (Martinaud, 2012) ; - l’agnosie intégrative : le patient parvient à traiter les aspects locaux des formes et à relier les différents éléments d’un objet, mais non pas de les intégrer pour élaborer une forme 6 cohérente et percevoir ainsi l’objet dans son entièreté. Une spécialisation hémisphérique a été observé chez certains patients, avec un déficit de traitement de la forme globale lors d’une lésion au niveau de l’hémisphère droit (traitement global ; colonne du milieu) et un déficit de perception de la forme locale lors d’une lésion au niveau de l’hémisphère gauche (traitement analytique, colonne de droite). - l’agnosie de transformation : un objet est reconnu lorsqu’il est présenté sous un angle habituel, une vue typique (un marteau de face par exemple), mais non pas lorsqu’il est présenté sous un angle inhabituel (vue d’un marteau depuis la base du manche par exemple). Il semble incapable d’élaborer une représentation 3D, indépendante de point de vue. Les agnosies associatives se traduisent par l’incapacité d’identifier un objet comme une forme cohérente, alors que le patient le perçoit pourtant correctement. La copie d’objets est préservée (colonne du milieu), alors que le dessin de mémoire est déficitaire (colonne de droite) Ce déficit du traitement configural est attribué à l’impossibilité de relier l’objet perçu aux images d’objets similaires stockées en mémoire. Il implique les aires occipito- temporales bilatérales. Parfois les aspects fonctionnels de l’objet (la fonction d’un peigne) sont maintenus. Un trouble gnosique est proposé en l’absence d’autres troubles cognitifs, en particulier sémantique ou aphasique, et si le déficit concerne seulement la modalité visuelle ; l’objet pouvant être reconnu en le touchant ou en entendant le bruit caractéristique de certains objets (sonnerie d’un téléphone). L’anomie, parfois désignée aphasie optique, consiste en l’impossibilité d’indiquer le nom d’un objet qui est par ailleurs correctement identifié. 2.2. Reconnaissance des visages et agnosies des visages (prosopagnosie) La perception des visages désigne le processus cognitif par lequel le cerveau analyse une image pour y détecter et identifier un visage. Le visage joue un rôle fondamental dans la communication ce qui expliquerait le développement d’une faculté très développée chez tous les primates à pouvoir identifier très rapidement un visage et d'en reconnaître l'identité particulière parmi plusieurs centaines d'autres. Cette aptitude très spécifique serait le résultat d’une pression de l’évolution et repose sur des mécanismes neurocognitifs complexes qui sont en partie innés. Chez les personnes ayant subi des lésions cérébrales localisées dans les régions du lobe 7 occipital et temporal, il n'est pas rare d'observer des difficultés de reconnaissance des visages. A l’état pur, ce syndrome est rare ; la plupart des personnes prosopagnosiques ont également des difficultés à reconnaître les objets. Si les premiers cas ont été décrits à partir de 1850, le terme de prosopagnosie est proposé à partir des mots grecs « prosopon » (visage) et « a- gnosis » (sans connaissance), càd absence de connaissance des visages, en 1947 par le neurologue allemand Joachim Bodamer. Cette définition et la description des cas laissaient croire qu'il existerait dans le cortex cérébral une région responsable de la faculté de reconnaître les visages. Outils d’évaluation clinique Afin d’évaluer un déficit de reconnaissance des visages, principalement deux types d’outils sont utilisés. Le premier (test des célébrités) fait appel à des souvenirs du passé (mémoire des faits publics), tandis que le second (test de reconnaissance des visages) évalue les capacités d’acquisition de nouveaux matériels. Le test des visages célèbres (Top 30) : Des photographies de visages d’artistes, sportifs ou hommes politiques des années 1940 à nos jours sont présentés, une à une. La tâche correspond à une série de questions, posées par ordre de difficulté décroissant. - nommer la personne - donner des informations la concernant : « c’est une actrice », « c’est la femme de…. » - reconnaître son nom parmi des distracteurs : « c’est Monica Belluci, Julia Roberts ou Angelina Jolie ? » Tests de reconnaissance des visages (inconnus) de Warrington : 50 visages sont d’abord présentés un à un, puis 50 paires de visages et le sujet doit indiquer celle qu’il a vu durant la présentation initiale. Méthodes d’études expérimentales Différentes épreuves proposées à des sujets sains permettent d’étudier comment nous traitons les visages.