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TITRE 2 – LES CONDITIONS D'EXISTENCE DE L'ACTION ﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏ On n'a pas toujours le droit d'agir en justice, il faut réunir des conditions. C'est pourtant un droit fondamental. L'État doit garantir que si on a un litige avec quelqu'un il y aura toujours un juge p...

TITRE 2 – LES CONDITIONS D'EXISTENCE DE L'ACTION ﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏ On n'a pas toujours le droit d'agir en justice, il faut réunir des conditions. C'est pourtant un droit fondamental. L'État doit garantir que si on a un litige avec quelqu'un il y aura toujours un juge pour le trancher. Nul ne peut se faire justice à soi-même, c'est un fondement du pacte social. La vengeance privée est interdite. Chaque citoyen se dessaisit de son droit à se rendre justice. En contrepartie, l'État doit organiser la possibilité pour les citoyens que justice leur soit rendue par l'intermédiaire d'un tiers : le juge. L’État a donc un devoir de protection juridictionnelle. C'est le fondement philosophique du droit d'agir en justice. Lorsque l'on insiste ainsi sur ce caractère fondamental, on l'appelle le droit d'accès à un juge. Le droit d'accès à un juge est garanti par divers instruments internationaux dont l'article 6 paragraphe 1 de la CEDH tel qu'interprété par la Cour EDH depuis un arrêt Golder contre RU du 21 février 1975 : pour avoir le droit à un procès équitable garanti par l'article 6-1, encore faut-il avoir le droit à un procès tout court, c'est-à-dire le droit d'accéder à un juge. L’État doit donc garantir le droit d'agir en justice aux citoyens. Il est obligé d'instituer des organes juridictionnels, et il doit garantir une réelle possibilité d'accès en levant les obstacles à cet accès, notamment financier en prévoyant un système d'aide juridictionnelle. Pour autant, ce n'est pas un droit fondamental absolu. La Cour EDH admet que l'État puisse prévoir des restrictions au droit d'accès à un juge, ce qui est habituel en matière de CEDH. Un droit ou une liberté garanti par la CEDH peut faire l'objet d'une restriction (ingérence), si cette ingérence poursuit un intérêt légitime, et qu'elle est proportionnée à un objectif légitime. Quel est cet objectif légitime ? Quelles sont les limites apportées à l'État ? L’État restreint l'accès au juge à ceux qui ont un intérêt personnel à agir. L'État met en place un filtre. Le droit d'agir en justice est donc un droit fondamental relatif, subordonné à la réunion de conditions, les conditions du droit d'action : Intérêt à agir ; Absence de prescription ; Autres conditions Si ces conditions ne sont pas réunies, le juge va rendre un jugement non pas sur le fond, mais déclarer la demande irrecevable. Le défendeur qui conteste l'existence de l'une des conditions d'ouverture du droit d'action le fera dans une fin de non-recevoir, raison pour laquelle c'est dans le texte qui définit la fin de non-recevoir et qui les énumère que l'on trouve énoncées de façon négative les conditions d'existence de l'action en justice (article 122). Selon l'article 122, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d'agir » tels « le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfixe, la chose jugée ». On obtient les conditions d'existence du droit d'action : L'intérêt à agir ; La qualité pour agir ; L'absence d'écoulement d'un délai de prescription ; L'absence d'écoulement d'un délai préfixe ; L'absence d'une décision antérieure portant sur la même demande et dotée de l'autorité de la chose jugée Des fins de non-recevoir ont été ajoutées par la jurisprudence, et donc des conditions aussi : Il ne faut pas s'être contredit au détriment d'autrui (estoppel) ; Il faut avoir respecté une éventuelle clause de conciliation ou de médiation préalable obligatoire Ces conditions sont généralement divisées en deux catégories : Les conditions subjectives de l'action : celles relatives au sujet titulaire de l'action intérêt ; qualité Les conditions objectives de l'action : celles extérieures au sujet Les conditions subjectives sont positives, les conditions objectives sont négatives. ﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏ CHAPITRE 1 – LES CONDITIONS SUBJECTIVES DE L'ACTION L'intérêt et la qualité sont les seules conditions énoncées de façon négative à l'article 122 et de façon positive à l'article 31 du CPC : « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt détermine ». Sont donc évoqués l'intérêt et la qualité. Il y a deux façons de lire ce texte : ✱ Une lecture littérale : on comprend qu'il faut tantôt avoir intérêt, tantôt avoir qualité. Les conditions semblent alternatives. ✱ Une lecture simplifiée : il faut toujours avoir qualité pour agir, car la qualité est le titre juridique qui permet d'avoir l'action. L'État doit conférer ce titre, qui est nécessaire en toutes circonstances. Mais dans la grande majorité des cas, pour avoir ce titre juridique, il suffit d'avoir un intérêt personnel à agir. La condition d'intérêt est ainsi mise en avant par l'article 31, car quand on a intérêt à agir, en réalité, on a qualité. On exige donc la qualité de façon autonome dans les cas dans lesquels l'intérêt personnel ne confère plus automatiquement qualité. Cela arrive dans deux cas : Le cas où « la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention » : l'intérêt personnel ne suffit pas ; Le cas où « la loi attribue le droit d'agir aux personnes qu'elle qualifie pour défendre un intérêt déterminé » : certaines personnes qui ne défendent pas leur intérêt personnel, et ne cherchent pas à le défendre, se voient attribuer la qualité d'action Dans ces deux cas, pour avoir qualité à agir, il faut que la loi confère cette qualité. ✱ En résumé, soit le demandeur défend un intérêt personnel : de ce fait, il a qualité pour agir. C'est une action banale. ✱ Sauf si la loi réserve ce droit d'action à une autre personne, c'est une action attitrée. ✱ Soit le défendeur ne défend pas un intérêt personnel : pour avoir un droit d'action, il faut qu'il ait reçu la qualité pour défendre cet intérêt déterminé SECTION 1 – L'INTÉRÊT À AGIR L'importance de la condition d'intérêt à agir est exprimée par le brocard « pas d'intérêt, pas d'action ». L'intérêt est l'avantage de toute nature que le demandeur obtiendra si sa demande est accueillie, peu importe que son action soit infondée ou non. L'intérêt à agir doit présenter certains caractères, il doit être : Né et actuel ; Légitime (article 31) ; Personnel I. L'intérêt doit être né et actuel Le demandeur doit justifier d'un intérêt qui existe au jour où il exerce l'action. Un intérêt éventuel ne suffit pas. Certains types d'actions sont donc en principe irrecevable parce que l'intérêt n'est pas né et actuel, mais sont parfois admises : Les actions déclaratoires ; Les actions préventives ✱ L'action déclaratoire a pour objet de faire constater, par le juge, l'existence ou l'étendue d'une situation juridique. Cette action est en principe irrecevable. Le juge modifie l'état de droit, il ne le constate pas simplement. Il y a des exceptions : En matière de nationalité, l'article 29-3 du Code civil donne une action à toute personne qui veut demander au TJ de décider qu'elle a ou non la qualité de français ; La jurisprudence admet des actions déclaratoires lorsqu'il y a un intérêt sérieux à lever une incertitude juridique (ex : prescription d'une dette) ✱ Les actions préventives ont pour objet de prévenir un trouble futur. Les exceptions sont nombreuses, notamment en matière de référé. Une action peut être engagée lorsque l'on cherche à obtenir des mesures conservatoires en vue de prévenir un dommage imminent. En réalité, il ne s'agit pas vraiment d'une exception. Ce n'est pas parce que le trouble est futur que l'intérêt à le prévenir n'est pas d'ores et déjà né et actuel. II. L'intérêt doit être légitime L'article 31 pose cette exigence. C'est une reprise de la jurisprudence antérieure au nouveau CPC qui exigeait que le demandeur fasse état d'un intérêt légitime juridiquement protégé. Pendant très longtemps, l'action pour une victime par ricochet (concubine) visant à obtenir des dommages-intérêts a été déclarée irrecevable, car la victime n'avait pas d'intérêt légitime (arrêt de 1937 Cour de cassation). C'est de l'ordre du droit substantiel. Autrement dit, on transformait un moyen qui relève du fond du droit en moyen d'irrecevabilité, et donc à maquiller sous un aspect procédural la vérification au fond de la moralité et de la conformité au droit public du droit substantiel invoqué. Ce caractère légitime est donc une survivance de la confusion du droit d'action et du droit substantiel. Selon certains auteurs, on peut conférer au caractère légitime de l'intérêt une autre signification : lorsque le demandeur invoque un droit substantiel qui n'est pas légitime, on pourrait lui opposer le défaut de légitimité de son intérêt pour déclarer la demande irrecevable. Mais cela peut aussi mener à une confusion entre droit substantiel et droit d'action. La jurisprudence de la concubine a été abandonnée dans deux arrêts de chambre mixte du 27 février 1970, appelés arrêts dangereux. La concubine a été admise comme victime par ricochet. III. L'intérêt doit être personnel Le demandeur ne peut agir qu'autant qu'il percevra personnellement un avantage en cas de succès de son action. S'il n'agit pas dans son intérêt propre, il n'est pas recevable, sauf s'il a reçu spécialement qualité pour le faire. Deux remarques : ✱ Comment apprécier l'intérêt personnel lorsque le demandeur est représenté ? La représentation en droit privé est un mécanisme qui permet à une personne d'accomplir un acte juridique au nom et pour le compte d'une autre, et de faire produire les effets de cet acte juridique directement dans le patrimoine du représenté comme si le représentant n'existait pas. On dit que le représentant a reçu le pouvoir d'accomplir l'acte au nom et pour le compte du représenté. La représentation peut être d'origine légale (tuteur, parent, dirigeant de société...), d'origine judiciaire (mandataire judiciaire), ou d'origine conventionnelle (contrat de mandat). Dans le procès, il y a deux types de représentation : La représentation à l'action (représentation ad agendum) : le représentant à l'action décide d'intenter une action en justice au nom et pour le compte du représenté ; La représentation à l'instance (représentation ad litem) : le représentant à l'instance accomplit les actes de la procédure On a souvent une combinaison des deux représentations. Comment apprécier l'exigence d'un intérêt personnel lorsque le demandeur est représenté ? C'est le représenté qui doit avoir intérêt à agir, et non le représentant, car il est transparent. Seul le représenté est le demandeur. ✱ L'exigence d'un intérêt personnel est souvent justifiée par l'adage « nul ne plaide par procureur ». Cet adage ne signifie pas toujours la même chose selon le contexte : Dans un premier sens (à retenir), il signifie que nul ne peut agir pour défendre l'intérêt personnel d'une autre personne en se faisant de ce fait le procureur de celle-ci. Nul ne peut être personnellement partie à un procès s'il ne défend pas son intérêt propre. C'est l'exigence d'un intérêt personnel. Dans un second sens, l'adage impose une règle de forme dans l'hypothèse d'une représentation en justice : nul ne peut être le représentant à l'action d'une autre personne s'il ne nomme pas cette personne. Nul ne peut être représenté en justice sans être nommé. SECTION 2 – LA QUALITÉ POUR AGIR La qualité pour agir est le titre juridique qui confère le droit de solliciter du juge l'examen au fond d'une prétention. La qualité pour agir dérive en principe automatiquement de l'existence d'un intérêt personnel. Elle n'apparaît de façon autonome que dans deux cas : Soit quand la loi réserve l'action à certaines des personnes qui ont un intérêt personnel à agir (actions attitrées, ex : action en divorce) : la qualité réserve le droit d'agir à certaines personnes ; Soit quand la loi attribue le droit d'action à des personnes qui n'ont pas intérêt à agir et qui ne prétendent pas l'avoir afin qu'elles défendent un intérêt déterminé (ex : associations, syndicats) : c'est une extension du droit d'agir I. Les hypothèses de restriction du droit d'agir Les hypothèses dans lesquelles l'action est réservée à certaines personnes, parmi toutes celles qui auraient un intérêt à agir, relèvent souvent du droit de la famille, mais aussi du droit des contrats, ou dans diverses autres matières. Pour être recevable à exercer ce type d'action, il faut avoir la qualité exigée, mais aussi avoir un intérêt personnel à agir. II. Les hypothèses d'extension du droit d'agir Il arrive que les impératifs de la vie en société conduisent le législateur à conférer qualité pour agir à des personnes qui ne défendent pas leur intérêt personnel. On songe à trois types d'intérêts : L'intérêt général : lui ne peut jamais être défendu par une personne privée ; Un intérêt collectif ; L'intérêt personnel d'autrui A) L'absence d'extension en vue de la défense de l'intérêt général Le ministère public a le monopole de l'intérêt légitime à agir pour l'intérêt général. Exceptionnellement, cette défense de l'intérêt générale peut être confiée à différents ministres, mais l'autorité en question reste une émanation de l'État et non une personne privée, ce qui serait une action populaire. B) L'extension en vue de la défense d'un intérêt collectif Le législateur, parfois la jurisprudence, peut conférer un droit d'action à des personnes défendant un intérêt collectif. L'intérêt collectif est l'intérêt qui est en jeu lorsqu'un agissement est susceptible de porter atteinte aux membres d'une catégorie. Se rattachent à cette notion des causes qui ne concernent pas forcément une catégorie de personne (ex : environnement, cancer). L'intérêt collectif se distingue de la somme des intérêts personnels d'autrui. Il ne s'agit pas d'agir contre le trouble qu'une ou plusieurs personnes ont subi, mais seulement contre le trouble qu'une catégorie de personnes peut subir (ex : anciens combattants). L'action exercée dans un intérêt collectif est exercée au nom de l'altruisme, contrairement à la défense d'une somme d'intérêts personnels. L'intérêt collectif se distingue aussi de l'intérêt général. L'intérêt collectif n'est pas l'intérêt de toute la société, mais seulement d'une catégorie de personnes visée. Mais l'intérêt collectif peut aussi consister dans des causes plus générales, comme l'environnement, la drogue, etc.. C'est donc un démembrement de l'intérêt général. L'intérêt collectif peut être défendu par certains groupements, notamment les syndicats et les associations (qui peuvent également très bien agir en justice pour leur intérêt personnel en tant que personnes morales). L'action des syndicats et des associations n'a pas été accueillie avec la même faveur. 1) Action conférée à un syndicat Très tôt, la Cour de cassation a admis que le syndicat pouvait défendre en justice l'intérêt collectif de la profession qu'il représente (chambres réunies, Cour de cassation, 5 avril 1913). Les syndicats sont recevables à se porter partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. Très vite, la jurisprudence a étendu cette capacité aux actions civiles devant le juge civil. Cette formule a été consacrée en 1920 par le législateur, à l'article L2132-3 du Code du travail. Il s'agit d'agir en justice pour protéger la profession contre le trouble causé par le comportement d'un employeur, trouble qui doit être susceptible d'être ressenti par la profession toute entière, ou au moins une collectivité de salariés, même si ce trouble n'a effectivement atteint qu'une personne dans les faits. 2) L'action conférée à une association Contrairement aux syndicats, il n'existe pas de texte de portée générale conférant aux associations un droit d'action pour défendre un intérêt collectif pour la défense duquel elles ont été constituées. Traditionnellement, jusqu'aux années 2000, le principe était l'irrecevabilité de l'action de l'association qui défend un intérêt collectif (application de l'article 31 du CPC). Ce principe avait été affirmé dans un arrêt des chambres réunies du 15 juin 1923, arrêt Cardinal de Luçon. Des exceptions existaient : la loi pouvait conférer spécialement une habilitation à une association en particulier. Elles étaient le relais du ministère public. C'est le cas des associations agréées des consommateurs (lois de 1973 et 1988). Cette différence entre les syndicats et les associations s'explique parce que l'intérêt collectif apparaît comme un démembrement de l'intérêt général. La Constitution et le fonctionnement des syndicats est très encadré par la loi, pas les associations. Les syndicats, en outre, sont considérés comme le légitime représentant de la profession, pas les associations. L'association s'autoproclame représentante. Les syndicats, enfin, revêtent une dimension publique qui justifie qu'ils aient des attributions proches du ministère public, contrairement aux associations qui sont des personnes privées dont on craint l'action populaire. Les choses ont changé dans les années 2000 par une série d'arrêts, notamment un arrêt de la première chambre civile du 18 septembre 2008 : « même hors habilitation législative et en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt de voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social ». La seule condition de recevabilité est que l'intérêt collectif défendu soit dans l'intérêt social C) Extension en vue de la défense de l'intérêt personnel d'autrui 1) L'action conférée à un particulier Il arrive que la loi confère à un particulier qualité (un droit d'action) pour défendre l'intérêt d'autrui (ex : action oblique, action ut singuli à l'article 1843-5 du Code civil et qui est une action de substitution). Dans une action ut singuli, un associé d'une société va pouvoir défendre l'intérêt de la société qui est tiers au procès mais bénéficiaire de l'intérêt tiré contre le gérant de la société qui a engagé sa responsabilité. Les dommages-intérêts seront alloués à la société. 2) L'action de substitution du syndicat Le législateur a intégré dans le Code du travail des actions confiées aux syndicats en tant que demandeur pour défendre l'intérêt d'un salarié dans certaines hypothèses : ✱ Par exemple, si le syndicat constate que l'employeur a porté préjudice à un salarié, le syndicat peut agir en justice (disparité de rémunération [article L1144-2 CTR], harcèlement moral ou sexuel [article L1154-2 CTR]...). Le syndicat n'a pas à justifier d'un mandat de l'intéressé, car il n'en est pas son représentant. Il détient l'action en son nom propre : le salarié est un tiers qui n'est pas partie à l'action. Pour s'assurer du consentement du salarié, le CC a émis le principe constitutionnel dans une décision du 25 juillet 1989 selon lequel le syndicat peut exercer cette action à la condition que l'intéressé – le salarié – ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause, et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action. C'est pourquoi les textes précisent que le salarié doit avoir été averti par écrit de l'action intentée par le syndicat, et qu'il doit pouvoir s'y opposer dans un certain délai. Nul ne peut donc voir son intérêt défendu en justice s'il ne l'a pas voulu. 3) L'extension en vue de la défense d'un intérêt personnel d'autrui (particuliers, syndicats, associations, action de groupe) Si l'on excepte l'action banale que l'association peut exercer dans son intérêt propre, une association peut exercer deux types d'action en justice : Pour défendre une grande cause ; Pour défendre la somme des intérêts personnels individuels de personnes ayant subi un trouble Longtemps, les associations n'ont bénéficié que d'une action à la portée très limitée dans ce deuxième but. Aujourd'hui, elle dispose en plus de l'action de groupe. a) L'action de type « ligues de défense » Certains individus qui ont des intérêts convergents peuvent se regrouper en association pour agir en justice pour obtenir réparation de leur préjudice. Cela permet de partager les honoraires d'avocat et les frais de justice, mais aussi de donner une importance, une crédibilité, au cas devant le tribunal. Accorder une action à de telles associations heurte l'article 31 du CPC, puisque l'association ne va pas défendre son intérêt propre de personne morale, mais l'intérêt de ses membres. Pourtant, c'est vite devenu possible pour les associations dès un arrêt de la chambre civile du 23 juillet 1918 qui a créé l'action de type « ligues de défense », mais seulement en l'absence d'infraction pénale. Dans cette arrêt, la Cour de cassation admet que l'association « peut faire par voie d'action collective ce que chacun de ses membres peut faire à titre individuel ». Une autre formule habituelle est la suivante : « une association peut, conformément à son objet, réclamer en justice la réparation de toute atteinte aux intérêts collectifs de ses membres ». Il s'agit de défendre des intérêts égoïstes, il n'y a pas de risque de concurrence avec le ministère public, puisque ces intérêts ne s'apparentent pas à l'intérêt général. Si les victimes sont très nombreuses, et pas toutes identifiées, une action de type ligue de défense semble possible en théorie, mais en pratique, ce n'est pas le cas, car ces associations n'ont généralement pas de tels moyens. Il fallait donc introduire une action particulière pour ces préjudices de masse, c'est-à-dire l'action de groupe. b) L'action de groupe L'action de groupe est une action qui doit permettre à une personne unique de porter en justice une demande en réparation d'un préjudice pour le compte de toute une classe de victimes qui ne sont pas toutes connues au moment de l'introduction de l'instance, et donc sans avoir nécessairement obtenu un mandat des victimes au préalable. Les victimes sont informées de la décision grâce un système de publicité efficace. Ces caractéristiques permettent à l'action de groupe de traiter les préjudices de masse. Cela permet en outre aux victimes d'obtenir réparation de micro-préjudices : « il est difficile de voler 1 million de dollar à une personne, il est très facile de voler 1 dollar à 1 million de personnes ». Le projet d'action de groupe date des années 80 et a donné lieu à l'introduction d'une action en représentation conjointe par la loi du 18 janvier 1992 dont le but était de permettre aux associations agréées de consommateurs d'obtenir réparation d'un préjudice de masse. Mais elle n'a jamais vraiment eu de succès. L'idée a été relancée en 2005, jusqu'à-ce que la loi Hamon du 17 mars 2014 introduise dans le Code de la consommation une partie relative à l'action de groupe. L'action de groupe a fait l'objet de réticences de la part des professionnels qui pouvaient utiliser l'argument des dérives que l'on constate outre-atlantique contre cette action de groupe. Toutefois, ces dérives sont dues en majeure partie à des mécanismes qui n'existent pas en France. Un autre obstacle a contribué à retarder l'introduction de l'action de groupe en France, un obstacle culturel : indirectement, l'idée c'est que le professionnel ne souhaite pas faire l'objet d'une action de groupe, car il va devoir réparer le préjudice et subir une contre-publicité. La finalité est donc dissuasive et punitive. Il s'agit de moraliser le comportement des professionnels. Il y a donc une forme de résistance à l'idée que des personnes privées regroupées en classes puissent contribuer à moraliser les comportements des professionnels, c'est-à-dire à servir l'intérêt général, même si cette action ne le sert qu'indirectement. Face à ces résistances, le législateur a introduit l'action de groupe a minima en adoptant une politique des petits pas, d'abord parce qu'il a utilisé une approche sectorielle, domaine par domaine. La loi justice 21 du 18 novembre 2016 a ensuite introduit une sorte de socle procédural commun à toutes les actions de groupe (celles de droit à la consommation exceptées) dans le CPC et dans le CJA. Le législateur a dû définir trois variables au moment d'introduire l'action de groupe dans son droit : le domaine de l'action de groupe : pour quels types de litiges ?; qui va-t-on admettre pour être le représentant de la classe ?; système d'opt-in, ou système d'opt-out ? ✱ La première variable que le législateur doit définir lorsqu'il décide d'introduire une notion de groupe dans son droit : pour quel type de litiges ? Le législateur français a fait le choix d'une approche sectorielle. La première action de groupe introduite est celle en matière de consommation de la loi Hamon du 17 mars 2014. Elle est étroite en son domaine et dans la définition du type de préjudices dont on peut obtenir réparation par cette voie : elle ne permet que la réparation des « préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs » (article L623-2 Code de la consommation). Le dommage est l'atteinte matérielle, factuelle, qui a été causée. Ce ne seront que les dommages matériels qui seront réparés, pas le dommage corporel, par exemple. Le préjudice désigne ce qui est réparable au titre du dommage causé. Ici, on ne répare que les préjudices patrimoniaux. Pour les dommages corporels, la loi Touraine du 26 janvier 2016 a introduit une action de groupe en matière de santé, mais ouverte pour la réparation des dommages corporels résultant des produits de santé. Par la suite, la loi Justice 21 du 18 novembre 2016 a introduit une salve d'actions de groupe : En matière de discrimination ; De discrimination au travail ; Environnement ; Protection des données à caractère personnel ; Administrative ✱ Deuxième variable : quelles sont les personnes que l'on va admettre à représenter le groupe ou la classe ? Représentant désigne la personne qui pilote l'action du groupe, mais ce n'est pas un représentant : il reçoit qualité à agir pour défendre l'intérêt d'autrui, elle est donc bien demanderesse à l'action. En France, on n'a pas voulu consacrer un pilotage de l'action de groupe par les avocats. L'action de groupe a donc été réservée aux associations. Précisément, pour la loi Hamon, aux associations de consommateurs agréées et représentatives au niveau national. Il y en a 15. En matière de dommages corporels causés par des produits de santé, c'est la loi Touraine qui a réservé l'action aux associations agréées d'usagers du système de santé. Mais il suffit qu'elles soient représentatives au niveau régional, pas forcément national. Pourquoi ne pas ouvrir l'action de groupe au moins aux associations ad-hoc ? On craint qu'un concurrent crée, sans que l'on puisse remonter jusqu'au concurrent, une association ad-hoc pour exercer une action de groupe, et donc faire une mauvaise publicité à son concurrent sans nécessairement de fondement. ✱ Troisième variable : un système opt-in ou un système opt-out ? Le système de l'opt-in est un système dans lequel ne peuvent profiter du jugement issu d'une action de groupe que les personnes qui auront manifesté leur volonté d'adhérer au groupe. On appelle cela une option d'inclusion. Les personnes qui n'auront pas manifesté leur volonté positive d'adhérer au groupe ne bénéficieront pas du jugement et pourront agir individuellement. Dans un système opt-out, toutes les personnes qui répondent à la définition qui aura été donnée du groupe peuvent de ce fait profiter du résultat de l'action de groupe. Ce système d'opt-out fait l'objet d'une non-conformité à des principes fondamentaux, notamment au principe posé par le CC dans sa décision du 25 juillet 1989 : le caractère facultatif de l'action en justice. Nul ne peut voir son intérêt défendu en justice s'il ne l'a pas voulu. Il faut que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause. Il y a donc un problème à considérer qu'une personne puisse être partie à l'action sans d'abord manifester sa volonté de l'être, raison pour laquelle le législateur a choisi un système d'opt-in. D'habitude, l'action de groupe connaît deux phases : Une phase de certification : on vérifie la recevabilité de l'action, on se contente de constater qu'une action de groupe est indispensable pour obtenir la réparation du préjudice ; Une « phase » de publicité : par tout moyen approprié, on prévient le plus grand nombre de victimes possibles ; Une phase de procès : jugement au fond, même si dans 90% des cas c'est une transaction qui est conclue Le problème de ce système, c'est que la contre-publicité pour le professionnel intervient alors qu'il n'a pas été jugé, ce qui porte atteinte à son image. Le législateur français a donc choisi un autre calendrier : Phase de recevabilité, de jugement sur la responsabilité, et de jugement sur le montant de chaque préjudice ; Phase de mise en œuvre de l'indemnisation : cela suppose que les victimes manifestent leur volonté de bénéficier du jugement qui a été porté (opt-in). L'adhésion au groupe vaut mandat au profit de l'association pour se mettre en rapport avec le professionnel et obtenir l'indemnisation pour chaque victime. Si le professionnel refuse certaines réparations, il y aura un second jugement sur chaque cas litigieux En réalité, ce système n'évite pas vraiment les problèmes, puisque lorsqu'une société intente une action de groupe, elle communique tout de suite sur l'existence de cette action. Donc la contre-publicité existe quand même tout de suite, avant même le jugement du professionnel. Puis, il y a des inconvénients à retarder à ce point les mesures de publicité. Du point de vue des victimes, ils pourront espérer avoir une indemnisation dans très longtemps, car la publicité ne pourra avoir lieu non seulement qu'après le rendu du jugement, mais également après les voies de recours si il y en a. Donc les preuves, comme un ticket de caisse, seront probablement perdues. Du point de vue du professionnel, un tel système perturbe ses droits de la défense, puisqu'il ne sait pas encore qui il a en face de lui pour se défendre. Sur le choix de l'opt-in, on reproche que c'est prendre le parti qu'elle sera beaucoup moins efficace que si on avait adopté l'opt-out, parce que dans un système d'opt-in, si la victime n'adhère pas au groupe et ne vient pas chercher son dû, le professionnel ne paie la somme qui correspond à son préjudice. Dans un système d'opt-out, si la victime ne se manifeste pas, elle est quand même considérée comme partie à l'action, et donc le professionnel va devoir verser une indemnisation correspondant au nombre total des victimes envisagées, en enlevant simplement celles qui se seront expressément exclues. Il devra donc verser une somme très importante. Souvent, moins de 10% des victimes réclament leur dû, il reste donc un important reliquat dans le système . Parfois, on décide qu'il revient au professionnel, d'autre fois à l'association, ou encore à un fonds qui aurait été constitué spécialement pour financer des actions de groupe. L'opt-out est donc plus dissuasive, et contribue à résoudre le problème du financement de l'action de groupe. Dans le système français, le problème du financement n'est pas réglé. La question est donc de savoir si l'argument du principe constitutionnel en faveur de l'opt-in est un argument indépassable. On pourrait dire que dans l'opt-out le principe constitutionnel est garanti par le fait que les victimes qui sont d'office considérées comme parties à l'action peuvent en sortir, et donc manifester leur volonté de ne pas faire partie de l'action. Le problème se pose lorsque le système de publicité est tel qu'il n'est pas certain que toutes les victimes aient réellement été informées, et donc ne consentent réellement à l'action. Cette situation n'est toutefois pas sans remède : il suffit de prévoir une exception. Si une victime ne s'est pas déclarée pendant le délai qu'elle avait pour sortir du groupe, et qu'elle ne veut pas bénéficier des effets du jugement car elle veut intenter sa propre action, il suffit d'exiger la preuve qu'elle n'a légitimement pas eu connaissance de l'action de groupe, et l'autoriser auquel cas à exercer son action individuelle. En conclusion, l'action de groupe fait l'objet d'un certain nombre de critiques : elle est sectorielle, limitée, réservée à certains types d'association, au financement difficile, avec un système d'opt-in peu efficace et peu dissuasif. Mais on peut voir le côté positif de cette action : elle a le mérite d'exister. Quelques actions de groupe ont été intentées depuis leur introduction en France, à peu près une quinzaine. L'action de groupe peut encore être élargie par le législateur. Ces actions ont quand même un effet dissuasif, puisqu'une contre-publicité est faite. On peut espérer que l'action de groupe est en passe d'être réformée de façon à devenir un instrument plus utile. Historiquement, un rapport de la Commission des lois de l'Assemblée nationale écrit par deux députés (Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin) déposé le 11 juin 2020 porte sur le bilan et les perspectives de l'action de groupe. Ce bilan est négatif. Peu de temps après a été émise, dans le cadre de l'UE, une directive : la directive européenne 2020/1828 relative aux actions représentatives, adoptée le 25 novembre 2020. Le champ d'application de cette directive est le domaine de la consommation entendue au sens large : outre le droit général de la consommation, la directive vise également les secteurs de la santé, des transports, de l'environnement, de la protection des données, etc.. Elle ne vise pas la discrimination, les droits fondamentaux, ni les infractions au droit de la concurrence. Certaines dispositions de la directive visent les actions de groupe transfrontières : un victime d'un État membre pourrait intenter une action de groupe contre un professionnel d'un autre État membre. D'autres dispositions concernent les actions de groupe domestiques, c'est-à-dire internes à un seul État membre de l'UE. En réalité, dans cette directive, les dispositions relatives aux actions de groupe domestiques sont peu contraignantes pour les États. Par exemple, l'action de groupe est réservée à des « entités qualifiées ». Contrairement à l'action transfrontière, la directive ne pose aucun critère pour les actions de groupe domestiques. Elle laisse les États libre d'adopter un système opt-in ou un système opt-out. Elle n'impose aucun moyen de financement des actions de groupe. ²WCette directive devait être transposée par chaque État membre au plus tard le 25 décembre 2022. La France était donc certes en retard, mais elle a choisi, à l'occasion de la transposition de la directive, de refondre le système français des actions de groupe. Pour l'instant, c'est une proposition de loi qui est en ce moment examinée par le Parlement. Elle a déjà été acceptée en première lecture par l'AN à l'unanimité le 8 mars 2023, aujourd'hui elle est pendante devant le Sénat. Ses points essentiels sont les suivants : ✱ Le point le plus important est que la proposition de loi vise à élargir l'objet et le champ de l'action de groupe : Les différentes définitions de l'action de groupe ont vocation à être fusionnées. L'ensemble des régimes spécifiques est abrogé, et on a une définition unique du champ d'application des actions de groupe : les membres du groupe doivent être placés dans une situation similaire, ils doivent subir un même dommage ou un dommage de même nature, causé par un même manquement ou des manquements de même nature. Le champ du préjudice indemnisable est étendu à tous les types de préjudices, quelle qu'en soit leur nature. L'action peut être exercée afin d'obtenir la réparation des préjudices, mais également la cessation du manquement. ✱ Les autres points importants sont un élargissement de la qualité pour agir à un certain nombre d'associations ou d'entités : les quinze associations agréées, les associations syndicales représentatives dans certains cas. Ne figurent toujours pas dans la liste les avocats. ✱ Le texte prévoit la spécialisation de certains tribunaux judiciaires pour connaître des actions de groupe. ✱ Il est prévu que l'État puisse prendre en charge totalement ou partiellement les frais d'instruction de l'action de groupe, à condition qu'elle présente un caractère sérieux. Reste pour l'instant la déception qui concerne deux points : L'opt-out reste totalement exclu ; Les mesures de financement restent insuffisantes : il n'est pas prévu de créer un fonds. CHAPITRE 2 – LES CONDITIONS OBJECTIVES DE L'ACTION Les conditions objectives de l'action en justice sont énumérées par l'article 122 du CPC : Il ne faut pas qu'il y ait prescription ; Il ne faut pas qu'un délai préfixe soit expiré ; Il ne faut pas que la chose ait déjà été jugée La jurisprudence a ajouté des conditions : Il ne faut pas qu'il y ait une contradiction au détriment d'autrui ; Une éventuelle clause de conciliation ou de médiation préalable obligatoire doit avoir été respectée SECTION 1 – L'ABSENCE D'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE I. Signification de l'autorité de la chose jugée Selon l'article 480 du CPC, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure une fin de non-recevoir ou tout autre incident, a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Cela signifie que l'existence d'un jugement qui statue sur une demande interdit aux parties de former à nouveau cette demande devant un juge, et ce dès son prononcé, même si ce jugement est susceptible de faire l'objet d'une voie de recours. Si une partie forme une demande et en est déboutée par un jugement, elle ne peut pas à nouveau saisir un juge de première instance, mais elle peut faire appel, à supposer que le jugement soit susceptible d'appel, c'est-à-dire que l'enjeu du litige soit supérieur à 4000€ et qu'elle soit toujours dans le délai d'appel d'un mois à compter de la notification du jugement. Il faut distinguer trois notions : L'autorité de la chose jugée : elle s'attache à tous les jugements qui tranchent un point litigieux ; La force de chose jugée : c'est le caractère de la décision qui n'est plus susceptible de faire l'objet d'un recours suspensif d'exécution : l'appel ; l'opposition Ces recours sont suspensifs d'exécution : cela signifie que si un jugement condamne une partie qui fait appel, elle n'a pas à l'exécuter tant que la procédure d'appel est en cours. Lorsque le jugement n'est pas susceptible d'appel ou de suspension d'exécution, au moment où le délai de recours d'un mois expire, on dit que le jugement passe en force de chose jugée. À partir de ce moment-là, il acquiert force exécutoire. Le caractère irrévocable des jugements : c'est le caractère qui concerne un jugement qui non seulement n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours suspensif d'exécution, mais même d'un recours non-suspensif d'exécution, c'est-à-dire une voie de recours extraordinaire (principalement le pourvoi en cassation). Le jugement ne peut plus faire l'objet d'aucun recours : la décision est irrévocable La décision, au moment de son prononcé, a autorité de la force jugée, et ce n'est que dans certains cas seulement qu'elle a force de chose jugée. L'autorité de la chose jugée pose donc une interdiction qui se traduit par l'adage latin non bis in idem, « pas deux fois la même chose », c'est-à-dire le même litige. La stabilité juridique exige que le jugement soit définitif. D'un autre côté, on considère qu'il y a un droit des justiciables à voir son procès examiné à nouveau par un tribunal. Pour maintenir un équilibre entre ces deux exigences contradictoires, des voies de recours existent, mais ne concerne ainsi pas tous les litiges. Pour les litiges qui peuvent faire l'objet d'une voie de recours, celle-ci est limitée dans le temps, et au-delà de ce délai, ou à partir de ce second jugement, c'est définitif. Techniquement, cette interdiction se traduit par une fin de non-recevoir. L'absence de chose déjà jugée est une condition objective d'ouverture de l'action en justice. Il faut opérer une dernier distinction : celle entre l'autorité négative de la chose jugée et l'autorité positive de la chose jugée. La jurisprudence ne fait pas la distinction. Les arrêts font allusion à l'autorité de la chose jugée. Le Code non plus ne fait pas la distinction. Mais il faut absolument faire la différence, car elles ne s'appliquent pas du tout dans les mêmes situations. En principe, il n'y a pas d'autorité positive de la chose jugée en droit français, sauf exception. Dans une situation d'autorité positive de la chose jugée, un litige est soumis à un juge, avec des points communs avec un premier litige, points communs qui ont déjà reçu des qualifications. La demande est recevable, puisque l'objet de la demande n'est pas le même. La question qui se pose est de savoir si le nouveau juge est lié par les qualifications qu'a donné le juge précédent à ces points communs. Si on estime qu'il est lié, on estimera que le jugement a autorité positive de la chose jugée. L'exception principale est l'autorité du pénal sur le civil : les faits d'une infraction constatés par le juge pénal lient le juge civil lorsqu'il est ensuite appelé à statuer sur les dommages-intérêts dus à la victime. Dans une situation d'autorité négative de la chose jugée, c'est le même litige qui est soumis à nouveau à un juge, ce qui rend la seconde demande irrecevable. II. Les conditions de mise en œuvre de l'autorité de la chose jugée Pour que la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée soit opposée avec succès à une demande, il faut que cette demande ait déjà été tranchée dans le dispositif d'un véritable jugement. Trois conditions doivent être réunies : Il faut que ce soit bien la même demande ; Il faut que la demande qui a déjà été jugée ait fait l'objet d'un véritable jugement ; Il faut que la demande ait déjà été jugée dans la partie du jugement appelée le dispositif, et non pas seulement dans les motifs A) Première condition : la chose doit avoir été jugée Il faut qu'il s'agisse de la même demande que la première fois. L'article 1355 du Code civil (ancien article 1351) dispose que : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité ». C'est l'énoncé de la triple identité : Parties : les parties doivent être les mêmes, étant précisé que si au cours d'un premier procès, une personne agit comme représentant d'une autre, et qu'elle forme ensuite la même demande en son nom propre, les parties ne sont pas les mêmes ; Objet : la chose demandée doit être la même, c'est-à-dire les prétentions, l'avantage demandé au juge d'octroyer ; Cause : la cause doit être identique. Dans le CPC, on ne trouve pas la notion de cause, c'est une notion très ambiguë. La cause vise la raison qui fonde le droit du demandeur à obtenir l'obtention de dommages-intérêts. Ce fondement peut s'entendre différemment, il a donc fallu attendre l'arrêt Césareo de l'assemblée plénière du 7 juillet 2006 pour avoir des précisions. Gilbert Césareo avait effectué pour son père un travail dont il n'avait pas été payé. Son père décède, et Gilbert Césareo entend être payé par la succession, et assigne son frère en paiement. Le tribunal le déboute de cette demande, car le fondement juridique invoqué ne lui permettait pas d'obtenir ce qu'il voulait. Gilbert Césareo décide donc d'assigner à nouveau son frère en première instance, en changeant de fondement juridique. Après une première instance, la Cour d'appel est saisie, et le frère soulève la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée. La Cour d'appel déclare effectivement cette demande irrecevable parce qu'elle a déjà été jugée. Gilbert Césareo forme donc un pourvoi en cassation en invoquant l'ancien article 1351 et la triple-identité, en faisant valoir que la cause n'est pas la même, puisque le fondement juridique a changé, et tel était le sens de la jurisprudence au moment de ce pourvoi. Pourtant, le pourvoi est rejeté, avec l'attendu suivant : « Mais attendu qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci. Qu'ayant constaté que, comme la demande originaire, la demande dont elle était saisie, formée entre les mêmes parties, tendait à obtenir paiement d'une somme d'argent à titre de rémunération d'un travail prétendument effectué sans contrepartie financière, la Cour d'appel en a exactement déduit que Gilbert Césareo ne pouvait être amené à contester l'identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile, de sorte que la demande se heurtait à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation » L'assemblée plénière décide ainsi que même si le fondement juridique a changé, on doit considérer, si tout le reste est identique, qu'il s'agit de la même demande, et qu'elle se heurte ainsi à l'autorité de la chose jugée et est donc déclarée irrecevable. Juridiquement, comment cette nouvelle solution est-elle fondée ? L'arrêt énonce : « Gilbert Césareo ne pouvait être admis à contester l'identité de cause des deux demandes ». Autrement dit, selon la Cour de cassation, il y avait bien identité de cause, parce que dans les considérations qui servent à fonder une prétention, il n'y a pas que des considérations juridiques, des faits sont également énoncés. La Cour de cassation décide que la cause désigne exclusivement les faits, et pas le fondement juridique invoqué. « Comme la demande originaire, la demande dont elle était saisie, formée entre les mêmes parties, tendait à obtenir paiement d'une somme d'argent à titre de rémunération d'un travail prétendument effectué sans contrepartie financière », ici, l'assemblée plénière caractérise la triple-identité formée entre les parties : identité de parties ; identité d'objet : comme la demande originaire, elle tendait à obtenir le paiement d'une somme d'argent ; identité de cause : à titre de rémunération d'un travail prétendument effectué sans contrepartie financière. Dans les deux cas, Gérard Césareo estimait qu'il avait droit à une somme d'argent parce qu'il avait fait un travail pour son père qui n'avait pas été payé. Les faits sont les mêmes. On interprète donc désormais différemment la mot cause, plus largement qu'avant. Avant 2006, la cause était le fondement de la prétention défini à la fois factuellement et juridiquement. La cause étaient uniquement les faits qualifiés d'une certaine façon par le demandeur auxquels il avait appliqué une certaine règle de droit. Depuis 2006, la cause sont les faits quelle que soit leur qualification faite par le demandeur. C'est plus simple d'avoir autorité de la chose jugée. Contrairement à ce que pensent certains auteurs, l'exigence d'identité de cause n'a pas disparu. Simplement, la cause n'est plus entendue de la même façon : elle est purement factuelle. Si les faits ont changé entre temps, et que la situation a évolué, la demande sera recevable, il n'y aura pas autorité de la chose jugée. Ce revirement est intervenu pour des raisons de politique judiciaire : il y a un gain de temps net. La Cour de cassation, dans son rapport de l'année 2006, a mis en avant qu'il s'agissait de préserver la loyauté des parties. La conséquence pratique de cette modification de la notion de cause et de l'expansion de l'autorité de la chose jugée est énoncée par la Cour de cassation elle-même dans son arrêt : « Mais attendu qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ». L'instance relative à la première demande fait référence au procès qui a été initié par une première demande. Cela signifie que désormais, puisque les parties ne pourront pas recommencer tout un procès depuis la première instance avec un nouveau fondement juridique, il faut présenter tous les fondements juridiques envisageables lors du premier procès, ce que l'on appelle la concentration des moyens. Cette exigence de concentration des moyens a ensuite été bilatéralisée au profit du défendeur dans un arrêt de la troisième chambre civile du 13 février 2008. Le défendeur aussi doit présenter tous les moyens pour faire rejeter la demande. On exige de lui aussi qu'il pense à tous les moyens au soutien du rejet de la prétention. Le revirement de jurisprudence opéré par l'assemblée plénière le 7 juillet 2006 dans l'arrêt Césareo a déclenché une énorme polémique qui n'est toujours pas résolue sur la nouvelle conception de la cause et de l'autorité de la chose jugée. ✱ Première série de critiques : les critiques du point de vue de la séparation des pouvoirs. Il a été reproché à la Cour de cassation de s'ériger en législateur en modifiant la définition légale de l'autorité de la chose jugée, et d'édicter le principe de concentration des moyens alors même qu'il ne se trouvait pas dans le Code. ✱ Deuxième série de critiques : des critiques du point de vue de la politique judiciaire. Cette solution contribuait à bouleverser l'équilibre entre les rôles respectifs du juge et des parties dans les procès civils en faisant peser une énorme charge sur les parties, là où le CPC avait voulu un équilibre et un rôle actif pesant sur le juge. Cette critique est devenue particulièrement prégnante lorsque la Cour de cassation a rendu un arrêt dans le domaine de l'office du juge, arrêt de l'assemblée plénière du 21 décembre 2007, qui a énoncé qu'en principe le juge n'a pas l'obligation de relever d'office le bon fondement juridique, la règle de droit applicable. Donc si les parties n'y ont pas pensé, et qu'il existe une règle de droit qui aurait pu être invoquée par l'une d'entre elles, le juge a le pouvoir de la relever, mais pas une obligation. La combinaison des deux arrêts d'assemblée plénière conduit ainsi à une situation très sévère pour les parties, car le fondement juridique pertinent qui n'avait ainsi pas été relevé en premier procès ne pourra plus être utilisé à cause de l'autorité de la chose jugée. La responsabilité repose ainsi sur les avocats, qui engageront leur responsabilité professionnelle plus souvent, ce qui fera augmenter le prix de leur assurance, et donc probablement le prix de leurs honoraires. Il a aussi été fait valoir que les avocats, par peur d'engager leur responsabilité professionnelle, vont écrire des conclusions interminables à la recherche de tous les fondements juridiques possibles et imaginables, qui sera plus longue à lire pour le juge et retardera l'issue du procès. Pour résumer, on critique ce revirement qui, à nouveau, n'est motivé que par la considération de gérer les flux judiciaires et de réduire le prix de la justice au détriment du justiciable, et en portant atteinte à l'équilibre réfléchi par les auteurs du CPC. ✱ Troisième série de critiques : du point de vue des libertés fondamentales. Il a été fait valoir que cette solution portait atteinte au droit d'accès à un juge. En effet, dès lors qu'une fin de non-recevoir est opposée à la seconde demande, cela signifie que le demandeur (ou le défendeur) n'a pas le droit de voir examinée sa demande sur un autre angle juridique qui n'a encore jamais été examiné. Donc il n'a pas l'accès à un juge pour cet angle juridique. Cette solution a en revanche été approuvée par un assez grand nombre d'auteurs, plutôt spécialistes de droit international privé. Dans d'autres pays, cette solution existe depuis très longtemps. Les objections portées aux critiques sont les suivantes : ✱ Le juge n'a fait que prendre l'ancien article 1351 du Code civil et interpréter le mot « cause » qui n'est pas défini. Il a joué son rôle de juge, pas celui du législateur. ✱ Du point de vue de la partie qui n'a pas pensé à tous les fondements juridiques lors du premier procès, la sanction est effectivement très sévère. Mais l'intérêt de l'autre partie doit aussi être pris en compte : cette partie a subi tout un procès, première instance, appel, cassation, il est donc essentiel que la stabilité juridique joue pour elle et la préserve d'un nouveau procès juste parce que l'autre partie a oublié un fondement. ✱ Les écritures vont certes être plus longues à lire, mais l'allongement du procès par la possibilité d'en refaire un nouveau fait perdre encore plus de temps et d'argent à tout le monde. ✱ Cela dit, il est vrai que la solution serait sans doute moins déséquilibrée si elle ne se combinait pas avec l'arrêt du 21 décembre 2007. Mais la solution à changer n'est pas celle de 2006. Il faudrait considérer, qu'au moins dans certaines circonstances, le juge a l'obligation d'appliquer d'office la bonne règle de droit. Dans ce cas, la sanction de l'irrecevabilité n'interviendra plus si fréquemment puisque le juge aura eu l'obligation lui-même de relever d'office la règle de droit manquée. ✱ Enfin, concernant l'atteinte au droit d'accès au juge, la CEDH admet qu'il puisse y avoir une atteinte (ingérence) si cette ingérence poursuit un intérêt légitime et qu'elle y est proportionnée. Peut-être peut-on dire que c'est le cas en l'espèce. Le but légitime, c'est la stabilité juridique. Si on considère que le demandeur a eu tout un procès pour faire valoir ses fondements juridiques, on peut considérer que le fait qu'il ne puisse plus le faire une fois le procès terminé est une atteinte proportionnée au but légitime. Dans les pays de Common Law, il arrive même qu'il faille concentrer les préjudices, c'est-à-dire que l'on ne pouvait pas faire un deuxième procès alors même que l'objet était différent. Un arrêt de la première chambre civile du 28 mai 2008 a posé la question de cette extension au droit français. Lors d'une première instance, le demandeur avait demander l'exécution forcée d'une obligation contractuelle qui avait été inexécutée, et il avait été débouté. La deuxième fois, il a donc demandé des dommages-intérêts. La première chambre civile a exigé qu'il forme les deux demandes au cours du premier procès. Une exigence de concentration des demandes paraissait ainsi posée : « Il incombe au demandeur de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur la même cause ». Comme il s'agissait en réalité de deux instances successives en matière d'arbitrage interne, on s'était demandé si la solution était justifiée par ce contexte. D'autres arrêts de la première chambre civile ont semé le doute par la suite. Aujourd'hui, toutes les chambres de la Cour de cassation rejettent le principe de concentration des demandes. La première chambre civile a même déclaré recevable une demande qui n'avait pas été formée au premier procès au motif qu'elle n'avait pas le même objet que la demande qui avait initié le premier procès. Il n'y avait donc pas autorité de la chose jugée, la demande était recevable. B) Deuxième condition : la nature du jugement antérieur Selon l'article 480 du CPC, tout jugement a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Cela signifie que la demande ne sera déclarée irrecevable que si une demande identique a déjà été véritablement tranchée par un jugement. Les jugements qui tranchent une contestation sont les jugements définitifs évoqués par l'article 480 : ce sont les jugements qui tranchent « tout ou partie du principal (le fond), ou le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir, ou tout autre incident ». Quand on dit que ce sont des jugements définitifs, cela ne signifie pas qu'ils ne peuvent pas faire l'objet d'une voie de recours (= irrévocables). Ils sont définitifs au sens où ils ne seront jamais remis en cause. Ces jugements définitifs tranchent une contestation, soit qui relève du fond, soit purement procédurale. Ils ont tous autorité de la chose jugée relativement à la contestation tranchée. Cela signifie que si un jugement a statué sur une exception de procédure, on ne peut plus soulever cette exception de procédure, même devant un autre juge. Ordinairement, on énonce en revanche les jugements provisoires : ce sont les jugements rendus : Par le juge des référés ; Par le juge des requêtes ; Par le juge de la mise en état ; Par le juge du fond dans un jugement avant dire droit sur une mesure provisoire Ces jugements sont dits provisoires car ils posent une solution obligatoire pour les parties mais qui pourra être remise en cause par la suite si le juge du fond est saisi. Ils ne sont pas revêtis par l'autorité de la chose jugée, et pas visés par l'article 480. Mais en réalité ils tranchent aussi une contestation, simplement ils la tranchent au provisoire. Donc, précisément, cette ordonnance de référé n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée au principal, c'est ce qu'énonce l'article 482 du CPC : « Le jugement provisoire n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée ». Cela veut dire que si le juge des référés ordonne la mesure, et qu'ensuite l'autre partie saisit le juge du fond qui ne fait pas la même appréciation, il va reme