Le Client a Toujours Raison - Document PDF

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Ce document décrit l'expérience d'une jeune vendeuse dans un grand magasin parisien au 19ème siècle. Le texte met en lumière les attentes, le travail et les relations entre le personnel et les clients.

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NOM :.......................... PRENOM :..................... CLASSE :........ DATE :..... **Le client a toujours raison** *Pauline a été prise à l'essai par la seconde, Madame Laurent. Après s'être installée dans les combles, au 5^e^ étage du magasin, elle prend ses fonctions de vendeuse en confe...

NOM :.......................... PRENOM :..................... CLASSE :........ DATE :..... **Le client a toujours raison** *Pauline a été prise à l'essai par la seconde, Madame Laurent. Après s'être installée dans les combles, au 5^e^ étage du magasin, elle prend ses fonctions de vendeuse en confection.* La matinée passa comme un éclair. Pauline dut attendre son tour. Comme elle se tenait très droite près du comptoir, observant les demoiselles afin de retenir comme il fallait s'y prendre, elle vit venir vers elle madame Laurent qui lui souffla discrètement : -- Mais voyons, ne restez pas là plantée comme une souche, faites le déplié ! Faire le déplié ? Pauline n'avait jamais entendu cette expression. Elle jeta autour d'elle quelques coups d'œil inquiets quand une jeune fille au teint pâle, à la chevelure de jais, passa près d'elle : -- Faire le déplié, expliqua-t-elle à voix basse, cela signifie ranger les articles sortis par les autres vendeuses. Il faut les trier, les plier, les classer dans les armoires pour les futures clientes. Pauline remercia la demoiselle d'un sourire. C'était la première fois qu'on lui montrait un peu de gentillesse depuis qu'elle était arrivée dans ce magasin, et cette douceur consolante, ce secours fraternel la touchaient au cœur. -- Merci, bredouilla-t-elle avec gratitude, merci mille fois... Elle regarda autour d'elle. Afin de contenter les premières clientes, on avait étalé sur les tables en chêne des manteaux, des robes, des pelisses, qui gisaient à présent en un amas informe. Pauline entreprit de faire le déplié, sous les regards des autres employées. Elle devinait que c'était là une besogne inférieure, réservée aux débutantes, mais elle s'y employait de bonne grâce, attendu qu'elle devait montrer d'abord beaucoup de docilité si elle voulait se voir confier ensuite de plus grandes tâches. Enfin, le tour de vente de Pauline arriva. Elle servit d'abord une femme très grosse, à qui il fallut trouver un manteau à sa taille. Mais le modèle ne convenait pas, ou bien l'étoffe était trop fine, les épaules mal ajustées, la taille la serrait. La cliente partit sans avoir rien acheté. Valentine Dupré, l'employée qui avait effacé le nom de Pauline[^1^](#fn1){#fnref1.footnote-ref}, l'observait du coin de l'œil, un petit sourire narquois sur les lèvres. Elle semblait attendre le faux pas de la nouvelle, l'erreur qui la ferait renvoyer. Et les occasions ne manquaient pas. À L'Élégance parisienne, comme dans tous les grands magasins, le client était roi. S'il estimait qu'il avait été mal servi, sa simple plainte pouvait aboutir au renvoi immédiat de la vendeuse, sans aucune sorte d'indemnité. Aussi les employées rivalisaient-elles de sourires et d'amabilité avec les acheteurs, conservant toujours, même face aux plus exigeants, une sérénité, une patience des plus polies. \[...\] Durant toute la matinée, elle servit ainsi des clientes exigeantes, prudentes, dépensières, hésitantes, capricieuses... Elle pliait et dépliait les étoffes, conseillait les indécises, encourageait les économes, portait à bout de bras des montagnes de manteaux, de robes, de pelisses... À onze heures, elle était épuisée, fourbue. Son dos était douloureux. Ses pieds surtout, enfermés dans ses souliers trop petits, la faisaient horriblement souffrir. Or, il n'était pas permis de s'asseoir, ni même de s'appuyer aux tables, et Pauline tentait de demeurer vaillamment debout entre deux clientes, sentant sur elle le regard des autres employées, avides sans doute de la voir capituler. Enfin, madame Laurent vint la prévenir que c'était son tour de se rendre au réfectoire ; elle était du dernier service, celui de onze heures et demie. Elle accueillit cette nouvelle comme une bénédiction. \[...\] À quatre heures de l'après-midi, le magasin était bondé. De toutes parts, une cohue indescriptible se bousculait dans les escaliers, se pressait aux comptoirs, envahissait les rayons, avide d'acquérir le dernier article à la mode, la bonne affaire, la nouveauté à ne pas manquer. Il faisait si chaud que les femmes venaient avec leurs éventails, même à la mauvaise saison, pour tenter de trouver un peu d'air dans cette effervescence et ne point s'évanouir dans ce tourbillon euphorisant. \[...\] La vente battait son plein. Partout on voyait des employées en robe noire, des commis en habit vert, les bras chargés d'articles, zigzaguant à travers la foule, la note de débit coincée sous le menton, le crayon derrière l'oreille. À la caisse, on annonçait des chiffres faramineux que le caissier inscrivait sur le registre, tandis que les vendeurs zélés s'élançaient vers de nouvelles clientes. À présent, le soleil pénétrait la verrière centrale de ses rayons rougeoyants et c'était comme un immense incendie allumé au cœur du grand magasin, qui faisait flamber les étoffes et les soieries, et se propageait par les multiples reflets des miroirs. Puis, lentement, le magasin se désemplit. Une à une, on alluma les lampes de gaz, qui constellaient les rayons de leurs globes blancs, comme autant de pleines lunes au-dessus des comptoirs. C'est alors qu'une femme portant sur la tête un immense chapeau à plumes entra. Aussitôt, toutes les employées la saluèrent avec beaucoup de respect. Pauline ne manqua pas de remarquer qu'on échangeait sur son passage des mots à voix basse. La grande fille aux yeux verts qui avait effacé son nom sur l'ardoise le matin même se tourna vers elle et lui déclara avec un mouvement de menton : -- C'est ton tour, vas-y donc ! Pauline, qui réinscrivait son nom sur l'ardoise après chaque vente, la regarda, interloquée. Il y avait deux autres tours de vente avant le sien, dont celui de Valentine Dupré. Pourquoi celle-ci préférait-elle lui céder son tour ? Que lui valait cette faveur ? Au sourire railleur de Valentine, Pauline devina un piège, une méchanceté secrète contre elle, pour la mettre dans l'embarras. Sans doute, la cliente était-elle connue. La jeune fille chercha du regard Juliette Renard, mais la Lyonnaise était occupée avec une cliente et lui tournait le dos. Alors, ignorant ce qu'elle devait faire, elle céda à l'insistance des yeux verts et s'approcha de la dame au chapeau. -- J'aimerais une robe, mademoiselle, annonça la cliente d'un air impérieux. -- Fort bien, madame, répondit Pauline, nous avons de très beaux modèles pour l'hiver. Et Pauline, qui reprenait courage en présentant les articles, vanta la qualité des étoffes, la qualité de la coupe. -- Nous vendons beaucoup ce modèle, expliqua-t-elle en répétant une phrase qu'elle avait entendue autour d'elle depuis l'ouverture. -- Comment le savez-vous ? répliqua sèchement la femme au chapeau, c'est la première fois que je vous vois ici, vous êtes nouvelle, non ? Interdite, Pauline se sentit défaillir. Ainsi, on devinait qu'elle était débutante. Quel mot, quel geste avait pu la trahir ? Elle n'osait plus parler à présent, de peur de révéler plus encore son ignorance des pratiques du grand magasin. En levant les yeux, elle aperçut le sourire narquois de Valentine Dupré, qui acheva de la déstabiliser. Il fallait pourtant se ressaisir. Jamais elle ne supporterait d'avoir perdu sa place à cause de cette bêcheuse. Alors, feignant une assurance qu'elle ne possédait guère, elle répondit avec un large sourire : -- Oh, il n'est guère besoin d'avoir vendu ici pour le savoir, madame. Il suffit de lire la presse. On dit que Sa Majesté l'impératrice Eugénie ne veut plus rien porter d'autre que cette coupe. Et c'est une femme de goût, comme vous-même, à coup sûr. La cliente, d'abord, parut surprise par cette repartie. Puis elle répliqua : -- Mademoiselle, la lourde charge qui est la mienne me rend insensible à la moindre flatterie. Aussi est-il inutile d'en user avec moi sur ce registre. -- Madame... bredouilla Pauline décontenancée, je ne dis que la vérité. Puis, se ressaisissant, elle apporta un nouveau modèle. -- C'est une soie de très grande qualité, voyez vous-même... Et le tombé est impeccable. -- Enfin ça, c'est vous qui le dites ! siffla la cliente entre ses dents. Puis elle examina le tissu d'un air dubitatif. -- Si madame voulait me préciser ses goûts, je trouverais peut-être quelque chose qui soit plus en rapport avec ce que recherche madame, proposa Pauline à bout d'arguments. Mais la cliente ne savait pas ce qu'elle voulait. C'était justement à elle de proposer ce qui pourrait la satisfaire, sinon à quoi servaient les vendeuses, hein ? Alors, patiemment, Pauline sortit de l'armoire toutes les pièces, les présentant avec éloquence, s'efforçant de trouver des qualités à chacune tandis que, dans un effort démesuré, elle tentait d'ignorer la moue sceptique de la cliente. Sur le comptoir maintenant s'étalait toute la nouvelle collection, et les robes ainsi jetées formaient une sorte de tour géante et bigarrée. Tout en exposant les modèles, Pauline songeait aux efforts qu'il lui en coûterait ensuite pour tout remettre à sa place, au départ de la cliente, alors qu'elle était déjà toute courbaturée par sa journée. Enfin, la femme se décida pour une robe de serge bleue. Soulagée, Pauline s'empressa de griffonner la note correspondant à l'achat. Jusqu'au bout, elle avait été persuadée que la femme n'achèterait rien, qu'elle était là simplement pour la persécuter et lui faire payer un ressentiment auquel elle était pourtant étrangère. Dans sa hâte d'en finir, Pauline oublia même de demander à la cliente s'il lui fallait autre chose. Avant de la guider vers la caisse, elle jeta un dernier coup d'œil vers le comptoir où gisaient en un tas informe les robes jetées à la hâte. Alors, craignant que des larmes de découragement ne lui montassent aux yeux, elle accéléra le pas, sous le regard amusé des autres employées. Enfin parvenue à la caisse, elle annonça son chiffre à voix haute puis salua la cliente. C'est alors qu'il se produisit quelque chose de véritablement affreux. La femme au chapeau, considérant une dernière fois la robe qu'elle avait choisie, la jeta brusquement dans les bras de Pauline et d'un air de dédain lui lança : -- Et puis non, finalement je n'ai besoin de rien ! Alors, ravalant les sanglots qui lui montaient à la gorge, Pauline répondit dans un souffle : -- Très bien madame, comme il vous plaira... Et, impuissante, elle regarda longtemps s'éloigner dans l'escalier monumental le grand chapeau noir qui l'avait anéantie. ::: {.section.footnotes} ------------------------------------------------------------------------ 1. ::: {#fn1} Valentine Dupré : une autre vendeuse qui a effacé le nom de Pauline sur l'ardoise qui détermine les tours de vente.[↩](#fnref1){.footnote-back} ::: :::

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