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Summary

Cet extrait traite de la place de la religion en politique, en explorant l'interaction entre le monothéisme (judaïsme et christianisme) et l'autorité politique. Il analyse les concepts fondateurs de ces deux religions et les liens entre la cité céleste et la cité terrestre.

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La place de la religion en politique: Introduction: Le monothéisme est une croyance religieuse qui affirme l’existence d’un seul Dieu, comme l’indique son étymologie : mono signifiant "un" et théos "Dieu". Il se distingue du polythéisme, qui reconnaît l’existence de plusieurs divinités, comme c’est...

La place de la religion en politique: Introduction: Le monothéisme est une croyance religieuse qui affirme l’existence d’un seul Dieu, comme l’indique son étymologie : mono signifiant "un" et théos "Dieu". Il se distingue du polythéisme, qui reconnaît l’existence de plusieurs divinités, comme c’est le cas dans des religions telles que l’hindouisme ou le confucianisme. La politique, selon Aristote, se définit comme "l’art du commandement social, l’activité pacificatrice permettant à une société divisée de s’ordonner vers un but supérieur". Ce concept met en lumière l’importance de l’organisation sociale et de l’autorité dans la construction de la cohésion collective. Dans ce contexte, il convient de se demander : comment la croyance en un Dieu unique peut-elle s’harmoniser avec l’obéissance à une autorité politique ? Quelles relations existent entre la cité céleste, promise par Dieu à ses fidèles, et la cité terrestre, celle des hommes ? Cette question soulève la distinction entre deux niveaux de réalité : d’une part, celui de la transcendance, où l'homme est appelé à se dépasser pour atteindre l’au-delà ; et d’autre part, celui de l’immanence, le monde tangible, perceptible par nos sens. Ces deux mondes, bien que distincts, sont néanmoins interconnectés. Ainsi, tandis que la religion repose sur la foi et l’aspiration spirituelle, la politique s’ancre dans la réalité concrète de la société. La tension entre ces deux dimensions soulève des enjeux cruciaux quant à l’articulation entre foi religieuse et obéissance civile. Première partie : le temps des fondations Section 1. La bible hébraique: la révolution monothéiste Le judaïsme, en tant que tradition religieuse du peuple hébraïque, repose sur une révélation divine, perçue comme une alliance entre Yahvé et le peuple d’Israël. Cette alliance se concrétise à travers la figure de Moïse, qui, après avoir reçu les Tables de la Loi (les Dix Commandements) sur le Mont Sinaï, devient l’interprète de la volonté divine. Moïse apparaît ainsi comme le prophète par excellence de cette alliance sacrée. Bien que l'événement fondateur ne puisse être daté avec précision sur le plan historique, il a donné naissance à la rédaction progressive d’un ouvrage majeur : la Torah. Ce texte, qui recevra sa forme définitive autour du IVe siècle avant Jésus-Christ, raconte l’histoire sacrée du peuple d'Israël, de la création du monde à la mort de Moïse, et consigne les récits des prophètes qui lui succèdent. Moïse est également présenté dans l'Ancien Testament comme le descendant d’Abraham, figure centrale du judaïsme, qui aurait contracté une première alliance avec Dieu au deuxième millénaire avant notre ère. Cette alliance d'Abraham avec Dieu marque ainsi un tournant décisif dans l’histoire religieuse, préparant la voie à l’établissement d'une relation exclusive et unique entre Yahvé et le peuple d’Israël. § 1. Le royaume d’Israël selon la Bible Le royaume d’Israël, tel qu'il est présenté dans la Bible, relève en grande partie du domaine légendaire, car les principales sources auxquelles nous avons accès proviennent directement de l’Ancien Testament. Ces récits nous font remonter aux premières dynasties juives, qui émergent au Ier millénaire avant Jésus-Christ, avec les figures emblématiques des rois David et Salomon. Quel régime politique incarne ce royaume ? Selon la Bible, Yahvé accorde à David et à sa lignée une « maison éternelle », signifiant que ses descendants régneront sur Israël, sous condition de respecter les lois divines. Cette promesse prend la forme de l’alliance davidique, dont le prophète Samuel est le porte-parole. David est ainsi présenté comme le premier roi d’Israël, fondateur du royaume, et sera plus tard vu comme le messie, « oint de Dieu ». L'onction par le prophète, un rite sacré, marque la consécration du roi dans une cérémonie comparable à un sacre. La monarchie davidique se caractérise par une structure héréditaire et repose sur trois principes fondamentaux : 1. Yahvé se réserve le droit de rompre l’alliance à tout moment. 2. Le prophète agit en tant qu’intermédiaire entre Yahvé et le roi. 3. Le roi a la mission de faire respecter la loi divine et de rassembler les 12 tribus d’Israël, puisque, à l’époque, il n'existe pas encore de peuple israélite unifié. Bien que la figure de David ait existé historiquement (une stèle portant son nom a été retrouvée), il ne semble pas avoir dirigé un royaume véritablement unifié, mais plutôt un ensemble de petites communautés, parfois plus ou moins regroupées. C’est sous le règne de son successeur, Salomon, que l’unité politique d’Israël sera consolidée. Salomon est également le bâtisseur du temple de Jérusalem, connu sous le nom de temple de Salomon, dont la construction débute vers -900. Ce temple deviendra le centre religieux central pour les différentes tribus d'Israël. § 2. Les royautés juives selon l’histoire La mort du roi Salomon en 931 avant J.-C. provoque une crise de succession qui conduit à la division du royaume d'Israël en deux entités distinctes : au nord, le royaume d'Israël, et au sud, le royaume de Juda. Cette division engendre une situation problématique, car ces deux royaumes sont entourés par de puissants empires voisins qui entrent fréquemment en conflit. Sur le plan religieux, bien que Yahvé soit reconnu comme le Dieu des Juifs, il n’est pas encore l’objet d’un culte exclusif. En réalité, les différentes tribus continuent à vénérer plusieurs divinités, et il est prématuré de parler de monothéisme dans ce contexte. Ce qui caractérise cette époque est plutôt une forme de monolâtrie, une croyance en plusieurs dieux, tout en consacrant une préférence particulière à Yahvé. Sur le plan politique, les deux royaumes d’Israël et de Juda partagent le même modèle de gouvernement : une monarchie héréditaire d'inspiration religieuse. Il n'existe pas de distinction claire entre la sphère politique et la sphère religieuse. Chaque royaume dispose d’un roi, d’une administration, d’un clergé, de temples, ainsi que de sanctuaires locaux. Ainsi, la religion et la politique sont indissociables, et les dirigeants royaux sont vus comme les garants de l’ordre divin sur terre. § 3. Le temps de l’exil ou l’affirmation du monothéisme juif Sur le plan historique, les deux royaumes juifs sont progressivement conquis et absorbés par des empires plus vastes. Entre le 8e et le 6e siècle avant J.-C., les invasions successives entraînent la déportation de larges portions de la population juive vers d'autres territoires, dont les fameuses « dix tribus perdues d'Israël ». En l’espace de deux siècles (entre 700 et 500 avant J.-C.), les trois piliers fondateurs du peuple juif disparaissent : Plan politique : La monarchie est abolie. Plan religieux : Le temple de Salomon est détruit. Plan social : La dispersion géographique des tribus juives engendre la diaspora. C’est dans ce contexte de crise et de rupture que se forme un sentiment d’appartenance nationale parmi les Juifs, ainsi qu’une conscience collective fondée sur la foi en Yahvé. Ce phénomène marque l'affirmation du monothéisme absolu et la naissance du judaïsme tel que nous le connaissons aujourd'hui. Trois éléments clés contribuent à cette renaissance : 1. Compilation, structuration et rédaction des textes sacrés : À partir du 5e siècle avant J.-C., la Bible, ou Ancien Testament, prend forme. Avant cette époque, la transmission des enseignements se faisait oralement. La mise par écrit des traditions et des récits fondateurs permet de cimenter l'identité du peuple juif autour de ses textes sacrés. 2. La Torah comme socle identitaire : Privés de territoire et d’existence politique, les Juifs se rassemblent autour d’un livre, la Torah. Ce texte devient le noyau central de leur identité, d'où le terme « les gens du livre » pour désigner les Juifs. 3. La Torah comme manifestation de la foi : Plus qu'un simple recueil des lois et des traditions, la Torah devient le fondement de la foi juive, inscrivant définitivement le judaïsme comme une religion monothéiste. Ce mouvement religieux se solidifie au 5e siècle avant J.-C., et Yahvé devient le seul Dieu adoré par le peuple juif. Ainsi, le judaïsme se définit désormais non seulement comme un peuple et une religion, mais aussi comme une politique de préservation de l’identité à travers la référence religieuse. Il s'agit d'une religion qui, loin de se perdre dans l'exil, trouve dans cette dispersion géographique une unité fondée sur un texte sacré et un dieu unique. Section 2. Le nouveau Testament : la radicalité chrétienne § 1. Jésus de Nazareth dans l’histoire Jésus est né à Bethléem, dans une famille juive. Son nom, issu de l’hébreu « Ieschoua » (Josué), signifie « Yahvé sauve ». En l'an 30, Jésus se rapproche de Jean le Baptiste, un prophète juif radical qui annonce la colère de Dieu sur le peuple d'Israël. Jésus reçoit son baptême, marquant ainsi son entrée dans la communauté de Jean. Ce dernier regroupe des disciples pour annoncer une nouvelle parole, celle de la révélation ultime : l'apocalypse. Cependant, Jésus se distingue de la tradition prophétique de Jean en allant encore plus loin : il n’est pas seulement le messager de Dieu annonçant l’avènement du royaume de Dieu, mais il se présente comme le fils de Dieu, et son message s’adresse à tous, marquant ainsi le passage d’un monothéisme particulier à une religion universelle, le christianisme, d’où le terme catholica. Trois éléments marquent l’originalité de Jésus : 1. La radicalité de l’incarnation : Jésus incarne Dieu sur Terre. Il se présente comme le Fils de l’homme, révélant à ses disciples que sa mission vient directement de Dieu, son Père. Jésus se considère porteur d’une nouvelle alliance, qui remplace l’alliance d’Abraham. Cette prétention à être l’incarnation de Dieu sur Terre est un scandale pour les Juifs, car l'idée même que Dieu puisse se mettre au niveau des hommes paraît impensable ; et une folie pour les païens. 2. L’annonce du royaume de Dieu : Jésus proclame la bonne nouvelle : la venue imminente du royaume de Dieu. En cela, il se présente comme le Messie, l’envoyé tant attendu par Israël, celui qui, sous le nom de Christ, accomplit les prophéties de l'Ancien Testament. Pour Jésus, le royaume est déjà présent, car il œuvre dans le monde, bien que son épanouissement complet ne soit pas encore réalisé. Cette prédication constitue une déclaration de guerre vis-à-vis des autorités religieuses juives, car elle rend obsolètes les anciennes lois, et elle défie également les autorités politiques romaines, car Jésus ne prend jamais en compte l’Empire romain dans ses discours. Cette nouvelle parole se situe dans la tradition juive, mais finit par la dépasser. Jésus s’appuie sur les Dix Commandements, mais il en renouvelle le sens dans deux directions : 1. Intériorisation de la loi divine : Pour Jésus, la loi divine ne doit pas seulement servir à la cohésion d’une communauté, mais doit être profondément intériorisée. Elle doit être vécue comme un rapport intime avec Dieu. 2. Le principe de l’amour : Jésus réinterprète le commandement traditionnel de l’Ancien Testament, « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi », en l’inversant : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ». Il promeut une pureté du cœur qui s'étend à tous les hommes. À son époque, Jésus est perçu comme un révolutionnaire : il remet en cause les dogmes et refuse d’adhérer à une politique. Son message va au-delà des préoccupations politiques. A) Un constat : ni programme politique, ni réforme sociale Le Nouveau Testament ne contient ni programme politique, ni réforme sociale. Jésus se tient volontairement à l’écart de ces questions temporelles. B) Jésus et la politique : une distinction claire Un épisode clé illustre cette distinction : lorsqu'on lui demande s’il faut payer l’impôt à César, Jésus répond : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Cette réponse souligne l’existence de deux niveaux de réalité : Le niveau temporel, relatif au pouvoir politique (l’empire romain). Le niveau spirituel, relatif au pouvoir de Dieu. Le royaume de Jésus n’est pas de ce monde. C) Une politique spirituelle : la subversion des cœurs Jésus prône ce que l’on pourrait appeler une politique spirituelle, qui repose sur la transformation intérieure des individus plutôt que sur des changements dans les lois ou les structures politiques. Cette « révolution spirituelle » consiste à inviter les hommes à se convertir et à renoncer à eux-mêmes pour aimer Dieu et leur prochain. Jésus dit : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera ». Il appelle à une abandon totale de soi-même pour devenir son disciple. Jésus ne vient pas apporter la paix, mais appelle ses disciples à la glorieuse révolution qui se réalise dans l’amour. Ce changement ne compte que si les plus faibles le suivent, comme le symbolise la présence des 12 apôtres, représentants des 12 tribus d’Israël. Cette révolution spirituelle marque le début d’une nouvelle forme de politique, non plus terrestre, mais céleste. § 2. Jésus-Christ selon l’enseignement de la Bible Le christianisme est une religion en construction, et tout y est marqué par une dimension religieuse. Deux éléments majeurs marquent cette évolution : 1. La constitution de l’église catholique: Le terme "Église" provient du grec "ekklesia", signifiant assemblée ou communauté des citoyens. Dans le contexte chrétien, ce terme désigne la communauté des fidèles, un lieu de rassemblement pour ceux qui partagent la foi en Jésus-Christ. Le mot "catholique" signifie universelle, ce qui reflète l’ambition de l’Église d'étendre son message à tous les hommes, une démarche profondément missionnaire. Cette extension vise à porter la bonne parole à tous, y compris à travers l’Empire romain. Un verset fondamental de l’enseignement de Jésus définit l’Église : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Matthieu 16:18). Jésus confie à Pierre la mission de fondation et de témoignage de l’Église, qui portera la voix du Christ et témoignera de sa présence dans l’attente de son retour. 3 éléments clés consolidant l’Église au moment où les chrétiens subissent des persécutions : 1. Organisation hiérarchisée : Les apôtres ordonnent des diacres, puis des prêtres, et chaque communauté chrétienne est placée sous l’autorité d’un épiscopos (surveillant), terme qui évoluera pour désigner les évêques. 2. Distinction entre clercs et laïcs : Au sein des communautés chrétiennes, on distingue les clercs (ceux ayant des fonctions religieuses) des laïcs (les chrétiens sans charge religieuse). 3. Structuration du culte : Le culte est dirigé par l’évêque, dont le siège, ou cathedra, symbolise l’unité de l’Église. Ce siège deviendra plus tard le Saint-Siège, incarnation du pouvoir ecclésiastique situé au Vatican. Le pape Marcellin, en 296, est reconnu comme le premier pape. Cette organisation est cruciale pour la diffusion du christianisme, car elle permet de réunir des communautés qui n’ont ni territoire ni pouvoir politique. Elle offre également une autorité religieuse capable de définir les dogmes de la foi et de lutter contre les hérésies qui surgissent au sein même de l’Église. Il faut attendre le Concile de Nicée en 325 pour que les premiers dogmes chrétiens soient établis. 2. Rédaction du Nouveau Testament Le Nouveau Testament, ou nouvelle alliance, est rédigé au Ier siècle. Il comprend les quatre évangiles (Matthieu, Marc, Luc et Jean), qui sont les récits fondateurs de la vie et des enseignements de Jésus. S'y ajoutent les Actes des Apôtres, les épîtres de Saint Paul et l'Apocalypse de Jean. Parmi ces écrits, les épîtres de Saint Paul sont particulièrement importantes car elles insistent sur la dimension universelle du message du Christ. Ces lettres font de l’Église le canal privilégié de diffusion de ce message. L'exemple de Paul, particulièrement lors de son chemin de Damas, où il se convertit et devient le premier grand missionnaire, illustre son rôle de "militant" du Christ. La constitution de l’Église et la rédaction du Nouveau Testament permettent progressivement au christianisme de s’imposer comme la religion dominante de l’Empire romain. Deux éléments marquent la victoire du christianisme : Le baptême de l’empereur Constantin en 337. L'interdiction des cultes païens en 392. La question qui se pose alors : Comment les chrétiens doivent-ils se comporter vis-à-vis d’un pouvoir politique qui fait désormais du christianisme sa religion officielle ? Section 3. Le Coran : le «sceau de la prophétie» La présence de l'Islam comme le sceau de la prophétie signifie plusieurs choses : 1. L’Islam s’inscrit dans la révélation d’Abraham : L’Islam reconnaît les textes sacrés du Nouveau Testament et de l’Ancien Testament. En ce sens, il se positionne comme une continuité des révélations antérieures, notamment celles adressées à Abraham, à Moïse, et à Jésus, bien que dans une perspective différente. 2. L’Islam rompt avec les autres monothéismes : Si l’Islam se considère comme une continuation des traditions monothéistes, il marque cependant une rupture importante. Cette rupture se manifeste par la nouvelle révélation portée par le prophète Mahomet, considéré par les musulmans comme le dernier et le plus grand des prophètes. Mahomet reçoit le message divin, consigné dans le Coran, qui est vu comme une correction et une complémentarité des précédentes révélations. En cela, l’Islam se présente comme la fermeture du monothéisme. Il est perçu comme le dernier stade de la révélation divine, clôturant ainsi la chaîne des prophéties entamée avec Abraham. Le Coran est considéré comme la parole définitive de Dieu, réaffirmant et consolidant les enseignements des précédents prophètes, tout en les complétant. § 1. La vie de Mahomet Tout commence au VIe siècle de l'ère chrétienne avec la naissance de Mahomet dans la famille de la tribu du Quraych en 570. La Péninsule arabique, lieu de naissance de Mahomet, est alors dominée par le polythéisme, avec des cultes organisés autour de lieux saints comme la Kaaba à La Mecque, où la pierre noire est vénérée. La Révélation de Mahomet En 610, à l’âge de 40 ans, Mahomet reçoit la première apparition de l'archange Gabriel, qui l'invite à réciter un texte aux habitants de La Mecque. Ces révélations forment progressivement le Coran. À la différence de Jésus, Mahomet n’est pas divin, mais il est considéré comme le véhicule du message d'Allah. Sa mission consiste à unifier les tribus arabes sous un seul Dieu. Deux phases de la Révélation 1. La période mecquoise (610-622) : Pendant ces 12 ans, Mahomet prêche un monothéisme pur, centré sur la parole d'Allah et l'attitude de soumission. Il remet en cause le polythéisme et annonce la fin du monde et le jugement dernier. Une centaine de disciples forment le groupe des compagnons. Toutefois, la majorité des Mecquois le méprisent et considèrent son message comme une secte. Les dernières révélations insistent sur la nécessité de l’exil et de la prédication dans le désert. En 622, Mahomet et ses disciples partent en exil à Médine, marquant le début du calendrier musulman. 2. La période médinoise (622-632) : Après son arrivée à Médine en 622, Mahomet commence à prêcher à nouveau. Cette fois, la majorité des tribus arabes reconnaissent son rôle de prophète, et la Oumma, une communauté musulmane, se forme. Mahomet devient le chef à la fois religieux et politique, unifiant les tribus arabes autour d'une loi islamique. La communauté musulmane n'est pas définie par des frontières politiques, ethniques ou territoriales, mais uniquement par la religion. Organisation de la communauté Sous l'autorité d'Allah, Mahomet continue à recevoir des révélations plus détaillées concernant l’organisation de la communauté musulmane. Cela inclut des règles sur des sujets tels que le mariage, la conduite morale, et l’alimentation. Ces révélations se structureront autour des cinq piliers de l'Islam : 1. La profession de foi 2. La prière cinq fois par jour 3. L'aumône aux démunis 4. Le jeûne du Ramadan 5. Le pèlerinage à La Mecque La guerre sainte (Djihad) Après son installation à Médine, Mahomet devient également un chef de guerre, menant des expéditions armées, notamment pour reprendre La Mecque en 630. Il réussit à réunir autour de lui de nombreuses tribus arabes. Cependant, bien que certains reconnaissent son talent militaire, beaucoup ne comprennent pas son message spirituel. Le Sermon d'Adieu et la diffusion du message En 632, lors de son pèlerinage à La Mecque, Mahomet prononce son sermon d'adieu, proclamant : « Le musulman est intégralement sacré pour le musulman ». Il ordonne également l'arrêt des pillages entre tribus arabes au nom de l'Islam. Durant cette même période, Mahomet prend contact avec des régions extérieures comme l'Égypte et l'Iran, amorçant la diffusion de son message au-delà de la Péninsule arabique. Enfin, le 8 juin 632, Mahomet décède de manière soudaine. § 2. Le califat islamique À la mort de Mahomet, ce dernier n’avait laissé aucune consigne concernant sa succession, car il était seul à être en relation directe avec Allah. Après son décès, les compagnons (Mecquois) et les auxiliaires (Médinois) s'accordent sur la désignation d'Abu Bakr comme premier calife. Abu Bakr, un des premiers compagnons de Mahomet, avait dirigé la prière en l'absence du prophète, ce qui lui conférait une certaine légitimité. Le terme de calife signifie « successeur de l'Envoyé de Dieu » et constitue un choix politique majeur, marquant la fondation du califat. 1ère observation : Le calife et la communauté religieuse Abu Bakr est à la tête de la communauté religieuse et incarne le ciment de celle-ci : la foi et la religion. En tant que calife, il porte le titre de commander des croyants, symbole de son autorité spirituelle. 2ème observation : Le calife et la mission religieuse Le calife n’est pas seulement le leader spirituel, mais aussi le dépositaire d'une mission religieuse, notamment celle du Djad, qui représente la conquête de nouveaux territoires au nom de l'Islam. La première expansion de l'Islam : Abu Bakr parvient, après la mort de Mahomet, à remettre de l’ordre et à mater la révolte de nombreuses tribus arabes. Omar Ibn Khattab, compagnon du prophète et deuxième calife, poursuit cette œuvre de conquête. En l'espace de 10 ans, il parvient à étendre l'Islam sur un territoire immense comprenant la Syrie, l'Irak, l'Iran, l'Égypte et Jérusalem. L'Islam devient ainsi une religion de conquête. Cependant, un problème majeur se pose : comment gérer un empire aussi vaste ? En 644, Omar est poignardé dans la Mosquée de Médine par un esclave iranien, dans un acte de vengeance. L'ère d'Othman Ibn Affan : Othman Ibn Affan, le troisième calife, est désigné par l'assemblée des compagnons. Il transforme la communauté religieuse en un véritable empire politique. Deux actions majeures marquent son règne : 1. La standardisation du Coran : Othman ordonne la destruction de toutes les copies du Coran existantes, à l’exception d’une seule qui deviendra la référence officielle. 2. L’officialisation du Coran : Le texte sacré devient la référence juridique de l’Islam, servant de base à l’organisation de la vie musulmane. Othman cherche également à rétablir l’autorité des anciens chefs de tribus arabes au détriment des premiers compagnons de Mahomet, afin de mieux gérer l’expansion de l’Empire. De 644 à 656, il parvient à élargir l’influence de l’Islam et à poser les bases d’une véritable organisation impériale. Cependant, une effervescence religieuse se manifeste : des groupes révolutionnaires, rattachés aux premiers compagnons, réclament un retour à la lecture littérale du Coran et dénoncent l'éloignement de la pratique originelle. En 656, Othman est assassiné sans avoir désigné de successeur, ce qui plonge l'Empire dans une période de guerre civile. Cette guerre est connue sous le nom de La Fitna, la grande discorde. La fracture entre Sunnites et Chiites : Deux successeurs se profilent après la mort d'Othman, chacun incarnant une vision différente de l’Islam : Ali, le gendre de Mahomet et quatrième calife, incarne un Islam politique et légitime la succession d’Othman. En 661, Ali est assassiné par l'un de ses propres partisans, ce qui marque la fondation du califat omeyyade par Mu'awiya. La Fitna provoque une fracture profonde au sein de la communauté musulmane, donnant naissance à deux branches principales de l’Islam : 1. Les sunnites : Ils respectent la succession des califes et considèrent que le califat peut être exercé par toute personne compétente choisie par la communauté. 2. Les chiites : Ils prennent le parti d’Ali, qu'ils érigent en martyr, et rejettent le califat au profit de l’imamat, un système de leadership spirituel fondé sur la descendance d’Ali. Conclusion : le monothéisme comme forme de pensée Le monothéisme constitue une rupture majeure dans l’histoire de la pensée humaine. Il marque une véritable révolution en renversant la conception cyclique du temps, propre aux religions polythéistes, pour instaurer une vision linéaire du temps. Cette perspective linéaire implique que tous les événements qui s’y inscrivent doivent être interprétés à la lumière de l'alliance entre Dieu et l'homme, et non plus comme une répétition éternelle des cycles naturels. Le monothéisme est ainsi un système éthique fondé sur la croyance en un Dieu unique, ce qui implique une adhésion à des valeurs considérées comme éternelles et absolues, car dictées par la volonté divine. Ces valeurs ne sont pas seulement une affaire de croyance intime mais doivent se traduire par des comportements concrets dans la vie de tous les jours. Le monothéisme impose un style de vie, modelé à partir du cœur de l’individu et transformant son âme. Ce processus implique une création de l’individu, conçu désormais comme un être individualiste, responsable de ses actions et de son rapport à Dieu. Le monothéisme absolu, symbolisé par le premier commandement « Tu n’auras pas d’autre Dieu que », entraîne le rejet total du polythéisme. Ce rejet va au-delà de la simple croyance, impliquant des pratiques et des structures sociales qui s’organisent autour du respect strict de ce principe. Différences entre les monothéismes : Si le judaïsme et l’islam partagent l’idée d’un Dieu transcendant, totalement séparé de la nature et du monde, leur relation avec le divin reste médiatisée par des textes sacrés et des pratiques religieuses. Dans ce cadre, la relation entre Yahvé ou Allah et l’homme se fait à travers des médiateurs tels que les prophètes ou les Écritures. Les juifs sont ainsi désignés comme « les gens du Livre », tandis que les musulmans sont appelés « les gens du Verbe », dans la mesure où le Coran est vu comme la parole directe de Dieu transmise à Mahomet. En revanche, le christianisme présente une singularité en ce sens que Dieu n'est pas entièrement transcendant. La figure de Jésus-Christ, à la fois Dieu et homme, permet une relation plus intime entre le divin et l'humain. Les chrétiens sont appelés à imiter la vie de Jésus, une démarche qui va au-delà de l’obéissance aux commandements et se traduit par une identification personnelle au Christ. Ainsi, bien que les trois grandes religions monothéistes partagent un principe fondamental – celui de l’existence d’un Dieu unique –, elles se distinguent par leur compréhension de la relation entre le divin et l’humain et la manière dont cette relation influence la vie des croyants. Le monothéisme, en tant que forme de pensée, a profondément remodelé les sociétés humaines, de la conception du temps à la structure des croyances et des pratiques. Deuxième partie : le processus d’institutionnalisation Section 1. Définition des termes «religion» et «institutionnalisation» L’étymologie du terme « religion » provient de deux racines latines : « religare », qui signifie relier, et « releguere », qui signifie relire. Ces deux notions suggèrent l’idée de connexion ou de retour aux principes essentiels à travers une révision continue des croyances et des pratiques. Selon Willaime, la religion peut être définie comme une communication symbolique régulière qui repose sur des rites et des croyances liées à un charisme fondateur (tel que Moïse, Jésus, ou Mahomet). Ce charisme est au cœur de la transmission de valeurs et de croyances qui, au fil du temps, génèrent une filiation s’inscrivant dans l’histoire, c'est-à-dire une tradition. Cette tradition religieuse devient alors organisée sous la forme d’une religion structurée, encadrée par des institutions et des règles. Le terme « institutionnalisation », dans ce contexte, se réfère à plusieurs processus clés dans l’organisation d’une religion : La codification définitive du texte sacré : cela signifie que les écrits considérés comme sacrés sont fixés de manière définitive, souvent après des débats et des interprétations, afin de préserver l’intégrité de la révélation divine. L’encadrement des pratiques fluctuantes : cela implique la régulation des pratiques religieuses par l’établissement de figures d’autorité, telles que les clercs, et la construction de lieux consacrés (temples, mosquées, églises) où se déroule le culte. Il peut également inclure la mise en place d’une autorité religieuse plus ou moins centralisée, qui veille à l’application des enseignements. Le développement d’un corpus religieux : il s’agit de l'ensemble des commentaires, explications et interprétations du texte sacré, qui permettent de l’adapter aux différents contextes historiques et sociaux. Ces écrits, souvent rédigés par des théologiens ou des docteurs de la foi, façonnent la compréhension de la religion et guident les croyants. Max Weber, dans sa théorie de l’institutionnalisation, décrit ce processus comme une routinisation du charisme. Selon Weber, le charisme initial du fondateur, qui repose sur une relation directe et exceptionnelle avec le divin, doit être séparé de la personne du fondateur pour être transmis et préservé. Le charisme devient ainsi attaché à l’institution elle-même et non plus à l’individu, établissant une communauté des croyants. Cette institutionnalisation permet à la religion de perdurer et de se transmettre à travers les générations, indépendamment du fondateur. Section 2. Le judaïsme rabbinique En 66 après J.C., la Palestine, au Proche-Orient, est le théâtre d'une révolte de plusieurs tribus juives contre l'Empire romain. Après quatre années de combats, les légions romaines reprennent Jérusalem et détruisent le second temple. Cet événement est perçu comme une calamité pour les Juifs et soulève la question de la survie des tribus juives dispersées. Suite à cette destruction, plusieurs éléments institutionnels vont se mettre en place pour structurer le judaïsme post-temple. 1) La constitution d’un rabbinat Après la chute du second temple, les prêtres juifs sont progressivement remplacés par des rabbins (signifiant "sages" en hébreu). Ces derniers possèdent deux caractéristiques majeures : Une connaissance approfondie de la Torah (la loi juive) et des traditions orales, qu'ils transmettent et interprètent. Le rôle de juges au sein de la communauté juive. Ainsi, les rabbins deviennent des figures d'autorité religieuse et juridique, formant une nouvelle caste religieuse capable de guider et de réguler les pratiques et les comportements des Juifs. 2) Le développement des synagogues Les synagogues, en hébreu appelées "communautés", deviennent des lieux essentiels pour la communauté juive. Elles remplissent trois fonctions primordiales : Lieux de prière, où les Juifs se réunissent pour honorer et adorer Dieu. Lieux d'enseignement de la Torah, où les rabbins transmettent les enseignements religieux et légaux. Lieux de réunion de la communauté, où les Juifs se rencontrent pour discuter de leur foi, échanger et maintenir la cohésion sociale. Les synagogues deviennent donc des espaces de sociabilité juive, renforçant ainsi les liens au sein de la communauté. 3) La mise en place du Talmud Le Talmud constitue l’un des ouvrages les plus importants de la tradition juive. Il s’agit des commentaires de la Torah, auxquels sont ajoutées des interprétations, des discussions rabbiniques et des lois détaillées. Le Talmud joue un rôle décisif à deux niveaux : Sur le plan pratique, il permet de préciser tous les actes à accomplir pour vivre conformément aux préceptes de la Torah, de manière détaillée et systématique. Sur le plan identitaire, le Talmud forge une culture juive distincte, différenciant les Juifs des autres communautés environnantes. Ce texte devient ainsi un fondement pour la construction d’une identité juive claire et cohérente. Après le Talmud, le Zohar vient approfondir certaines interprétations mystiques et ésotériques de la Torah. Ce judaïsme institutionnalisé, avec ses textes, ses pratiques et ses prescriptions religieuses, permet aux communautés juives dispersées à travers le Moyen-Orient de se forger une identité collective durable. Ces communautés réussissent à traverser les siècles malgré les épreuves. Sur le plan politique, elles privilégient le respect des législations extérieures, tout en négociant des statuts spécifiques pour assurer leurs droits et protections. Tout en refusant de se dissoudre dans les sociétés environnantes, elles préservent une identité religieuse forte, marquée par un refus de l'assimilation. Section 3. La chrétienté occidentale § 1. La politique selon Saint Augustin La question centrale que Saint Augustin aborde dans La Cité de Dieu est la suivante : comment le chrétien doit-il se comporter dans la cité terrestre ? Comment le plan divin se traduit-il dans l'histoire humaine ? Cette réflexion survient dans un contexte historique particulier, à savoir le pillage de Rome par les Wisigoths en 410, événement traumatique pour l'Empire romain et particulièrement pour la chrétienté, qui commence à s'impliquer dans les affaires de l'État. Dans La Cité de Dieu, rédigée entre 413 et 427, Saint Augustin répond à la question de l'avenir de Rome, en particulier après sa chute et les critiques des païens qui accusaient le christianisme d'avoir attiré la colère des dieux. Augustin y développe une théologie politique complexe qui repose sur l'idée de deux cités : 1. Première thèse : La distinction entre la cité terrestre et la cité céleste Saint Augustin expose une vision binaire du monde, marquée par une distinction entre deux cités : La cité terrestre, qui est soumise aux lois humaines et aux luttes politiques. Elle est représentée par l'empire romain et les sociétés humaines en général. Selon lui, les vices de Rome (tels que l'orgueil, l'avarice et la débauche) sont les causes des malheurs qui frappent l'Empire, et non le christianisme. La cité céleste, qui relève de la foi chrétienne et de la tutelle divine. Elle est constituée par la communauté des croyants, qui vivent selon les principes de la foi chrétienne et sont en attente du salut. Ces deux cités coexistent, mais elles ne sont pas d’égale importance. La cité céleste, attachée à la foi vraie et pure, est plus importante et plus stable que la cité terrestre, soumise à l’instabilité et aux vicissitudes humaines. 2. Deuxième thèse : La double citoyenneté du chrétien Selon Saint Augustin, chaque chrétien a une double citoyenneté. Il est en même temps citoyen de la cité terrestre (en tant que membre de la société humaine) et citoyen de la cité céleste (en tant que membre de l’Église et de la communauté des croyants). Cette double appartenance implique que le chrétien doit s’engager dans les affaires de la cité terrestre tout en restant fidèle aux valeurs chrétiennes, de manière à orienter la société terrestre vers la cité céleste. 3. Troisième thèse : L'indépendance de l'Église par rapport à la politique L’Église, dans cette réflexion, est comprise comme la communauté des chrétiens. Elle a pour rôle d'incarner et de témoigner de la cité céleste au sein de la cité terrestre, mais elle ne doit pas s’impliquer directement dans les affaires politiques. Saint Augustin insiste sur le fait que l’Église doit rester fidèle à sa mission spirituelle et ne pas s'attacher aux formes politiques passagères du monde. Il ne faut pas que l’Église se confonde avec l'État, mais elle doit être un phare de valeurs chrétiennes au sein de la société humaine. La relation entre l'Église et la politique est donc diplomatique. L’Église doit influencer la cité terrestre par ses valeurs, mais elle n’a pas pour vocation de gouverner directement le monde matériel. Saint Augustin propose ainsi une vision nuancée de la politique chrétienne : bien que les chrétiens soient appelés à être de bons citoyens et à participer à la vie politique de la cité terrestre, leur priorité doit être la cité céleste. Cette distinction, ainsi que la notion de double citoyenneté, oriente les chrétiens vers un équilibre délicat entre leur engagement politique et leur fidélité à la foi, tout en préservant l’indépendance de l’Église par rapport à l'État. La cité céleste, dans cette perspective, demeure la plus importante, guidée par les mystères de l’histoire divine et l’attente du salut éternel. § 2. L’augustinisme politique Avec l'installation des royaumes barbares et la naissance de la dynastie carolingienne, une nouvelle phase de l’histoire politique chrétienne se dessine. En effet, les royaumes barbares, bien qu'ils soient devenus les maîtres politiques du territoire, ont dû composer avec la hiérarchie chrétienne pour légitimer leur pouvoir. La fusion entre l’autorité royale et religieuse s’intensifie au fil du temps, notamment sous l’impulsion des Carolingiens, qui instaurent un augustinisme politique. Cette doctrine théocratique, fondée sur les idées de Saint Augustin, va radicaliser sa pensée en faisant dépendre l’autorité des rois de l’Église, inversant ainsi la relation de pouvoir entre le roi et le pontife. Les éléments principaux de cet augustinisme politique sont les suivants : 1. Le sacre des rois comme imitatio des rois d'Israël Le sacre des rois devient un geste symbolique majeur, inspiré par l’onction des rois d’Israël par les prophètes dans l’Ancien Testament. Ce geste, lors duquel le roi reçoit l’autorité divine, est en quelque sorte une confirmation spirituelle de son pouvoir temporel. L’onction royale par l’Église fait du roi un fonctionnaire de Dieu, placé sous la tutelle et l’autorité de l’Église, marquant ainsi la fusion entre le politique et le religieux. 2. Le rôle de l’Église comme juge suprême des rois Le sacerdoce (l’Église) acquiert une autorité morale et juridique en devenant le juge des rois. Cela implique que l’Église a le pouvoir de sanctionner ou d’approuver les actions des monarques, assurant ainsi que le roi gouverne selon les principes de la morale chrétienne. Ce pouvoir judiciaire se fonde sur l'idée que les rois, bien qu’investis d’un pouvoir temporel, sont avant tout des serviteurs de Dieu et doivent rendre des comptes devant l’Église. 3. La mission divine du roi : gouverner selon les préceptes de la Bible Selon cette doctrine, le roi n’est pas un souverain absolu au sens séculier, mais plutôt un gouverneur du peuple de Dieu, dont la mission est de régner selon les préceptes bibliques. Son pouvoir est donc vu comme étant dévoué à Dieu, et son rôle politique consiste à guider la société en respectant les lois chrétiennes, inscrites dans la Bible. Le roi, en tant que défenseur de la foi, est ainsi perçu comme le protecteur de l'ordre moral et religieux de la société. L’augustinisme politique va ainsi marquer l’ensemble du Moyen-Âge, traversant différentes dynasties et systèmes politiques, et se traduisant par la mise en place de formes de gouvernance théocratique. En particulier, il renforce l’absolutisme politique, où le pouvoir royal est conféré par Dieu et régulé par l’Église. Cette idée d’une monarchie divinement ordonnée et contrôlée par l’Église va structurer profondément la relation entre le pouvoir spirituel et temporel jusqu'à l’émergence de tensions au Moyen Âge, qui culmineront avec des questions sur la séparation entre les pouvoirs religieux et politiques à l’aube de la Renaissance. § 3. La politique selon Saint Thomas d’Aquin La pensée politique de Saint Thomas d’Aquin marque une révolution intellectuelle majeure au XIIIe siècle, notamment par sa redécouverte d’Aristote, qu’il intègre pour éclairer la révélation chrétienne à la lumière de la raison humaine. Pour lui, la philosophie grecque ne s’oppose pas à la foi chrétienne, mais au contraire, elle parfaite la nature humaine et l’ordonne de manière plus profonde. Il écrit ainsi : « La Grèce ne détruit pas la nature mais la mène à la perfection », une affirmation qui place la philosophie politique dans un contexte à la fois naturel et surnaturel, avec une vision de l’humanité se dirigeant vers un but ultime, la cité céleste. La pensée politique de Thomas d’Aquin repose sur quatre principes essentiels : 1. L’homme est social par nature et trouve son accomplissement dans une cité bien ordonnée Selon Saint Thomas, l'homme est naturellement social et ne peut s'épanouir que dans le cadre d’une cité bien structurée. Cette cité doit refléter l’ordre naturel, semblable à celui de la famille, qui est le fondement de l’ordre politique. Il s’agit d’une société où les individus trouvent leur place et peuvent se réaliser pleinement dans une harmonie collective. 2. La cité est plus que la somme de ses parties et débouche sur un bien commun Pour Thomas d’Aquin, la cité n’est pas simplement une agrégation d’individus ; elle est une entité qui dépasse la simple somme de ses membres et constitue une communauté morale. Cette unité collective se concrétise par le bien commun, une notion essentielle dans sa pensée politique. Le but de la politique n’est pas seulement l’intérêt individuel, mais le bien de l’ensemble de la communauté. 3. L’autorité politique est naturelle et a pour fonction d’assurer l’unité et la cohésion L’autorité politique n’est pas une invention humaine, mais une réalité naturelle, inscrite dans l’ordre du monde. Elle a pour fonction essentielle d’assurer l'unité et la cohésion de la communauté. Cette fonction est indispensable pour maintenir la paix et la justice au sein de la cité, et permettre à chaque individu de se réaliser dans un environnement ordonné et juste. 4. La monarchie comme le meilleur régime politique Saint Thomas d’Aquin considère que la monarchie est le meilleur régime politique, car elle permet de diriger la multitude sous un principe unificateur. Le roi, en tant que chef suprême, incarne l’autorité et guide la communauté vers le bien commun. Toutefois, Saint Thomas précise que ce pouvoir royal doit toujours être exercé au service de ce bien commun et qu'il doit éviter de se transformer en tyrannie. Le roi doit agir selon les principes de justice et de bienveillance, garantissant ainsi une gouvernance vertueuse. Ainsi, Saint Thomas d’Aquin propose une vision politique qui articule nature et grâce, où l'ordre naturel trouve son accomplissement dans une structure politique juste et dirigée vers le bien de la collectivité. Son idéalisme monarchique ne va pas à l'encontre de la nécessité d’une gouvernance morale, car le souverain est toujours sous le contrôle de la justice divine et du bien commun. Section 4. La civilisation islamique Dans le monde musulman, l’Islam a toujours occupé une place fondamentale en tant que ciment à la fois politique et religieux des grandes civilisations. L’Islam s’est structuré autour de puissantes dynasties et des califes qui gouvernaient des empires s’étendant sur d’immenses territoires. Le modèle de gouvernance qui s’est développé dans ces empires se rapproche de celui des dynasties européennes avec une forte composante héréditaire, où l’autorité était souvent transmise de manière familiale, au sein de l’élite dirigeante. L’âge d’or de la civilisation islamique se situe entre le IXe et XIIIe siècles. Cette période a été marquée par une prospérité intellectuelle, culturelle et scientifique, en grande partie due à la redécouverte et à l’intégration des œuvres philosophiques grecques, en particulier celles d’Aristote, et à une nouvelle interprétation du Coran. Cette époque a également été le théâtre de débats intellectuels profonds sur la relation entre raison et foi, en particulier au sein des écoles philosophiques islamiques. Deux grandes figures intellectuelles de cette période sont Avicenne (Ibn Sina) et Averoès (Ibn Rushd), dont les travaux ont été fondamentaux dans le développement de la théosophie et de la philosophie islamique. Avicenne, médecin et philosophe persan, est connu pour avoir introduit des interprétations philosophiques d’Aristote dans le monde islamique, en conciliant platonisme et aristotélisme. Il a particulièrement influencé la théologie islamique et la pensée philosophique en général, en abordant des questions essentielles sur la nature de Dieu, la création et l’âme. Averoès, quant à lui, a approfondi les travaux d’Aristote en les réconciliant avec les doctrines islamiques. Il a soutenu que la raison et la révélation divine pouvaient coexister harmonieusement, mais il a aussi affirmé l’importance de l'intellect humain dans la quête de la vérité. Averoès est également connu pour sa vision du rôle de la philosophie dans la compréhension de la législation religieuse, un point particulièrement pertinent dans le cadre de l'Islam. En somme, durant cette période de l’âge d’or, la civilisation islamique a non seulement été un lieu de réflexion philosophique mais aussi de progrès scientifiques, propulsée par l’ouverture aux grands penseurs de l'Antiquité et par l’interprétation audacieuse de ses propres textes sacrés. Les débats sur la relation entre religion et politique ont façonné l’évolution des empires islamiques et de leur organisation politique, sous l’influence des califes et des dynasties qui ont dirigé ces vastes territoires. Troisième partie : L’épreuve de la sécularisation Section 1. définition du terme «sécularisation» Le concept de sécularisation désigne le processus par lequel la religion perd son influence sur les institutions sociales, politiques et culturelles, marquant une évolution des rapports entre la religion et la société. Il s'agit d'un paradigme visant à expliquer cette transformation, que Friedrich Nietzsche a illustrée par la métaphore de la « mort de Dieu ». Cette expression renvoie à la sortie progressive de la religion de l'espace public et à son affaiblissement au sein des sociétés modernes. Il existe deux formes principales de sécularisation : 1. La sécularisation objective : Il s'agit de l'émancipation des principales institutions sociales (économie, politique, éducation) de l'influence religieuse. Ce phénomène culmine en 1905 en France avec la séparation de l’Église et de l’État, marquant ainsi une rupture institutionnelle entre le politique et le religieux. 2. La sécularisation subjective : Cette forme se rapporte à l'émancipation des consciences individuelles par rapport à l'emprise religieuse, accompagnée du développement d'une vision profane de la réalité. Les individus se distancient de la religion dans leur vie personnelle et adoptent une conception plus rationnelle et scientifique du monde. La sécularisation se déploie en trois âges : Premier âge : L'âge positif, considéré comme l’âge d'or de la sécularisation, marque la rupture entre la raison et la révélation chrétienne. Cet âge incarne le triomphe de la science et de la raison sur la foi religieuse. La société passe d'un ordre religieux à un ordre plus rationnel, avec un transfert des croyances religieuses vers un nouveau système de valeurs, souvent celui du positivisme. Au niveau politique, cet âge annonce une émancipation humaine et un dépérissement de la religion, perçu comme un processus inéluctable. Deuxième âge : Cet âge débute au XXe siècle avec l’émergence des grandes idéologies politiques comme le socialisme, le communisme et le fascisme. Ces idéologies opérant dans le domaine politique sont perçues comme des substituts de la religion, offrant aux individus une nouvelle espérance et des promesses de salut sous forme d’un ordre social à construire. Raymond Aron parle à ce sujet de religions séculaires ou de religions politiques, où les doctrines politiques prennent la place des anciennes croyances religieuses. Par exemple, les régimes comme le communisme ou le nazisme ont proposé une vision messianique de l'avenir, où la politique se chargeait du salut des individus et de l’humanité. Troisième âge : Dès les années 1980-1990, un nouveau visage de la sécularisation émerge. Les religions institutionnelles ne disparaissent pas, mais elles se transforment pour s’adapter à un monde de plus en plus sécularisé. Ce troisième âge se caractérise par quatre grandes tendances : a) L'affaiblissement des grandes religions institutionnelles, avec une perte de leur pouvoir traditionnel, mais une présence toujours notable dans certains secteurs de la société. b) La réhabilitation du fait religieux dans l'espace public, où le religieux, bien que non dominant, trouve une place dans la culture et les discussions sociales. c) Le transfert de références religieuses dans des domaines profanes comme la publicité, le sport, le cinéma ou la littérature. Cela crée une religiosité qui détourne la dimension sacrée des religions pour en faire des objets de divertissement et de consommation. d) Le réinvestissement du religieux dans de petits groupes de croyants cherchant à redécouvrir la véritable essence de la foi et à organiser leur vie selon des principes spirituels plus intenses. Cette tendance est associée à une demande d’intensité religieuse, où la religion se pratique de manière plus personnelle et moins institutionnalisée. Les trois monothéismes (le judaïsme, le christianisme et l'islam) devront relever le défi de cette sécularisation qui transforme les modes de vie et de croyance à travers le monde. Section 2. Le sionisme : un judaïsme sécularisé Le sionisme, bien qu’il ne remplace pas le judaïsme en tant que religion, en constitue néanmoins un projet politique majeur qui façonne l’identité et la création de l’État d’Israël. Il présente un caractère ambivalent, en s’inscrivant à la fois dans une logique de sécularisation et un héritage religieux. 1. Produit de la sécularisation : Le peuple juif comme une nation moderne Le sionisme peut être considéré comme un produit de la sécularisation dans le sens où il transforme le peuple juif d’une communauté religieuse en une nation moderne, ayant ses propres aspirations politiques, culturelles et territoriales. Ce mouvement prend racine à la fin du XIXe siècle et vise à établir un foyer national juif en Palestine. L’idée sioniste, portée par des figures comme Theodor Herzl, repose sur la conviction que le peuple juif, tout comme d’autres peuples, doit disposer d’un État souverain. Le sionisme n'est pas uniquement une revendication religieuse, mais aussi une revendication nationale et politique. Ainsi, bien que le sionisme fasse appel à des éléments du passé religieux juif, il les inscrit dans un cadre moderne et politique, où la construction d’une nation juive repose sur des principes laïques, plutôt que sur des dogmes religieux. L’État d’Israël, issu de ce mouvement, se définit avant tout comme un État juif mais aussi comme un État démocratique, dans lequel les principes politiques modernes, tels que les droits civiques, l’égalité et l’autodétermination des peuples, prévalent. 2. Produit d’un héritage religieux : Un lien avec un passé légendaire Malgré son caractère sécularisé, le sionisme garde également un lien fort avec l'héritage religieux juif. Le mouvement sioniste repose en grande partie sur la conviction que le peuple juif a un droit historique et spirituel sur la terre de Canaan, région identifiée par les textes bibliques comme la terre promise. Le retour à Sion (Jérusalem) et la réappropriation de la terre d’Israël sont, pour les sionistes, à la fois un projet politique et une réalisation religieuse d’un rêve millénaire. Cette dimension religieuse trouve notamment son expression dans la relation spirituelle du peuple juif avec la terre d'Israël, telle que décrite dans la Bible, et dans les aspirations messianiques. Le sionisme combine ainsi des éléments d’un passé légendaire avec des aspirations politiques modernes. En ce sens, il constitue un croisement entre le politique et le religieux, où l’idéal d’un État juif moderne se nourrit de références et de symboles historiques et spirituels issus de la tradition juive. En résumé, le sionisme s’impose comme un mouvement complexe, à la fois sécularisé et profondément ancré dans un héritage religieux, visant à réaliser un État juif tout en inscrivant ce projet dans une perspective historique et spirituelle propre au judaïsme. § 1. définition Le sionisme, qui tire son nom du terme Sion (référence à Jérusalem), désigne une idéologie politique et un mouvement ayant pour objectif de créer un État souverain en terre d’Israël (Eretz Israël), un projet visant à réunir les 12 tribus juives dispersées à travers le monde. Il trouve son origine à la croisée de trois grands événements, qui en font un mouvement à la fois religieux, historique et politique. 1. Élément mythique : L’aspiration messianique Au cœur de l’idéologie sioniste réside un élément mythique lié à l’aspiration messianique des juifs. Dans les siècles de dispersion et d’exil, le peuple juif a nourri l’espoir du retour de Messie, qui, selon la tradition juive, viendra rétablir la paix et la prospérité, notamment en ramenant le peuple juif sur sa terre. Cette croyance en la vengeance divine et le retour à la terre promise joue un rôle fondamental dans la constitution du sionisme, où la terre d’Israël devient l’objectif ultime de la restauration du peuple juif, tant sur le plan spirituel que physique. 2. Élément matériel et historique : Les persécutions et les pogroms Un autre facteur déterminant dans la naissance du sionisme est l’élément matériel et historique des persécutions et des pogroms subis par les juifs, notamment en Europe de l'Est, à partir du milieu du XIXe siècle. Ces violences à l’encontre des communautés juives renforcent le sentiment de vulnérabilité et d’oppression, et stimulent l’idée que les juifs doivent se doter d'un État propre afin de protéger leur sécurité et leur identité. Ces persécutions sont perçues comme une manifestation des limites de l’assimilation et de l’intégration dans les sociétés européennes, ainsi que de l’échec des solutions politiques internes face à l'antisémitisme croissant. 3. Élément politique : Les mouvements de nationalisme et la quête identitaire Le sionisme s’inscrit également dans un contexte politique plus large, marqué par les mouvements nationalistes en Europe au XIXe siècle. Dans le cadre de ces courants, les peuples commencent à revendiquer leur droit à l’autodétermination et à la formation de nations souveraines. Le sionisme se nourrit de cette quêté identitaire, notamment à travers des intellectuels et des penseurs comme Theodor Herzl, qui défendent l’idée qu’en tant que peuple, les juifs doivent aussi disposer de leur propre patrie. L’objectif est ainsi de construire un État juif, une nation juive moderne, capable de garantir l’épanouissement du peuple juif et de protéger son identité face à un environnement souvent hostile. La question du lieu de cette nation : La terre d’Israël, bien qu’elle soit centrale dans la pensée sioniste, ne constitue pas une évidence géographique. Le territoire précis où établir cet État fait l’objet de discussions et de débats. Dès les premières étapes du sionisme, la question de savoir si le Palestine (Eretz Israël) est la seule ou la meilleure solution a été posée, notamment en raison de la présence des populations arabes dans cette région, ce qui a donné lieu à des tensions sur le plan politique et territorial. Ainsi, le sionisme est un mouvement qui mêle des éléments mythiques, historiques, et politiques, et qui se nourrit de l’aspiration à la fois spirituelle et matérielle de constituer un État juif en terre d’Israël. § 2. histoire du sionisme Le sionisme prend un tournant décisif avec l’action de Théodore Herzl, souvent considéré comme le père fondateur du sionisme politique. Théodore Herzl, né à Budapest en Hongrie en 1860, est formé en droit et devient journaliste. C’est en tant que reporter en France, où il couvre l’affaire Dreyfus (1894-1906), qu’il se trouve profondément marqué par l’antisémitisme persistant. Bien que la France se réclame des principes d’égalité et de fraternité, Herzl observe qu’aucun juif, même dans une nation démocratique, ne peut véritablement s’assimiler à la société. Cette prise de conscience renforce son intuition que les juifs doivent se séparer des sociétés européennes et fonder leur propre État. Les grandes étapes du sionisme 1. L’État des Juifs (1896) : En 1896, Herzl publie son ouvrage « L’État des juifs », où il défend l’idée que, face à l’antisémitisme endémique et à la volonté de certains juifs de former une nation, la seule solution viable est la création d’un État juif indépendant. Ce livre est traduit en vingt langues et fait de Herzl l'un des symboles du sionisme politique. Selon Herzl, cette création d'État doit être appuyée par les grandes puissances européennes, et non par une simple colonisation. Il affirme que la question juive doit devenir une question de politique internationale. 2. Premier congrès sioniste (1897) : En 1897, Herzl organise à Bâle le premier Congrès sioniste mondial, marquant ainsi la naissance de l’Organisation sioniste mondiale. Ce congrès est un moment clé de l’histoire du sionisme, où Herzl déclare fièrement : « Ici, j’ai créé l’État juif ». Cette déclaration symbolise la volonté de fonder un État juif indépendant. 3. Proposition britannique (1903) : En 1903, un projet britannique propose la création d’un État juif en Afrique, dans la région du territoire de l’Ouganda (actuel Kenya), ce qui est perçu par les sionistes comme une trahison de leur cause. Le projet est rejeté par Herzl et ses partisans, qui insistent sur la terre d’Israël comme étant le seul lieu légitime pour un État juif. 4. La Déclaration Balfour (1917) : Le 2 novembre 1917, le gouvernement britannique publie la Déclaration Balfour, promettant de soutenir la création d’un foyer national juif en Palestine, qui est alors sous mandat britannique. Cela marque un tournant décisif dans la reconnaissance internationale du projet sioniste. 5. L’après-guerre et la naissance de l’État d’Israël : La tragédie de l'Holocauste, qui a coûté la vie à six millions de juifs, donne une dimension urgente à la création de l’État d’Israël. En 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte un plan de partage de la Palestine en deux États, juif et arabe. Cela ouvre la voie à la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël par David Ben Gourion le 14 mai 1948, date marquant la naissance officielle de l’État d’Israël avec environ 850 000 citoyens. 6. Exode et émigration : Après la déclaration d’indépendance, plusieurs vagues d’émigrations juives arrivent en Israël, dont beaucoup de juifs d’Europe et du Moyen-Orient. Aujourd’hui, Israël compte environ 7,5 millions d’habitants, dont 75% sont juifs. L’État d’Israël, bien que confronté à des tensions géopolitiques et régionales, est devenu un pôle central pour le peuple juif du monde entier. Ainsi, le sionisme, grâce à l'action de figures comme Herzl, s’est transformé d’un projet intellectuel en un mouvement politique concret, culminant avec la création de l’État d’Israël. Ce mouvement n’a pas seulement été le fruit de la persécution, mais également d’une volonté de redéfinir l’identité et la souveraineté du peuple juif dans un monde moderne. § 3. problématiques 1. L’autonomie du politique Dans les premières décennies suivant la fondation de l'État d'Israël en 1948, une large majorité des sionistes étaient issus de milieux socialistes et marxistes. Ces derniers ont conçu l'État autour de la classe ouvrière et de la sécurité militaire, en mettant peu l'accent sur l'héritage religieux. Cette approche visait à moderniser le peuple juif et à construire une nation laïque. Leur principal adversaire était la communauté juive orthodoxe, qui s'opposait à la création d'un État moderne et à la rupture avec les principes religieux traditionnels. Cependant, cette opposition entre les sionistes laïques et les juifs orthodoxes persistera jusque dans les années 1960. La guerre des Six Jours en 1967 a constitué un tournant important. Suite à cette victoire, une lecture religieuse du sionisme a émergé, affirmant que les premiers sionistes, bien qu'athées ou laïques, s'étaient en réalité comportés comme les agents d’un plan divin. Cette interprétation suggère que la création d'Israël n’était pas uniquement une affaire politique, mais un projet messianique, marquant la récupération du royaume de David et l'accomplissement de la promesse biblique. Depuis les années 1960, des groupes ultra-orthodoxes, initialement opposés à la création de l’État juif moderne, ont commencé à jouer un rôle plus actif. Ils se sont organisés politiquement et ont contribué à donner à l’État une dimension religieuse et même messianique. Aujourd’hui, ces deux approches coexistent toujours : La première approche est plutôt laïque et considère l’État comme un moyen de normaliser le peuple juif dans un cadre national semblable à celui d’autres nations. La deuxième approche est religieuse et perçoit l’État comme un instrument destiné à accomplir le destin messianique des juifs, en lien avec la Terre promise et les prophéties bibliques. 2. La place de la laïcité L'État d'Israël se présente comme un État laïque, mais la question de l'articulation entre religion et politique reste complexe. Bien qu’il ne soit pas officiellement un État religieux, Israël reconnaît le judaïsme comme une composante fondamentale de son identité. Le judaïsme n’est pas la religion d'État à proprement parler, mais sa présence dans la symbolique et les institutions de l'État est marquée. Par exemple, le drapeau israélien porte une étoile de David, et le chandelier à sept branches (Menorah) est un symbole central du pays. Le système juridique et institutionnel israélien intègre également des éléments religieux, bien que de manière complexe : Il existe un ministère des affaires religieuses qui est directement lié au Conseil du grand rabbinat et qui supervise plusieurs aspects de la vie religieuse. L'État subventionne les écoles religieuses et accorde à ces établissements des contrats dérogatoires, par exemple en matière de service militaire pour les élèves religieux. Ces caractéristiques suggèrent que, bien qu’Israël ne soit pas un État théocratique, les tensions entre la dimension religieuse et la dimension politique sont palpables. L'État cherche à trouver un équilibre délicat, où les préceptes religieux et la modernité politique s’entrelacent. Cette situation pose la question de savoir si l'État d’Israël peut véritablement être considéré comme laïque, ou si, de fait, il se situe dans une zone grise, entre laïcité et religiosité institutionnalisée. Section 3. Christianisme et Démocratie Le christianisme a été le premier monothéisme à se confronter aux effets de la sécularisation dans les sociétés modernes. Face à l'affaiblissement de l'influence religieuse et à l'essor de la raison et de la démocratie, l'Église a adopté plusieurs positions pour préserver ses valeurs et son rôle dans la société. Ces réactions se sont articulées autour de plusieurs axes : 1. Dénonciation de la toute-puissance de la raison : L'Église critique l'usage exclusif de la raison, considérant que celle-ci sépare l'homme de ses racines spirituelles. La pensée purement rationnelle, déconnectée de la transcendance religieuse, est perçue comme une forme de déshumanisation, éloignant l'individu de sa dimension spirituelle. 2. Dénonciation de la démocratie autonome : L'Église se montre sceptique face à la démocratie moderne, qui, selon elle, se déclare autonome et indépendante de toute influence religieuse. En rejetant l'autorité divine dans la sphère politique, cette démocratie risque, selon l'Église, de sombrer dans le relativisme moral et d'ignorer les principes spirituels fondamentaux. 3. L’Église contre-révolutionnaire et la défense de l'ancien régime : Dès la Révolution française et au cours des décennies suivantes, l'Église a adopté une posture contre-révolutionnaire. Elle lutte pour un retour aux structures politiques et sociales traditionnelles, rejetant la remise en cause de l'ordre monarchique et des valeurs chrétiennes traditionnelles. Encyclique Rerum Novarum de 1891 : En 1891, Léon XIII publie l'encyclique Rerum Novarum, qui marque un tournant dans la doctrine sociale de l'Église. L'encyclique aborde plusieurs problèmes sociaux et économiques : La misère et la pauvreté qui affectent injustement une large portion de la classe ouvrière. Rejet du socialisme athée : tout en reconnaissant les souffrances des ouvriers, l'Église rejette les idéologies socialistes qui, selon elle, sont en conflit avec la foi chrétienne. Rerum Novarum plaide donc pour une réforme sociale qui défend les droits des ouvriers, mais qui se situe en dehors des courants socialistes. L'encyclique insiste sur la dignité de la personne humaine et les devoirs moraux des employeurs envers leurs employés. 4. Les quatre principes de la doctrine sociale de l’Église : L’encyclique de 1891 définit quatre principes essentiels de la doctrine sociale chrétienne : La dignité de la personne humaine : chaque individu possède une valeur intrinsèque et doit être traité avec respect et justice. Le bien commun : la société doit œuvrer pour le bien-être de tous ses membres, en particulier les plus vulnérables. La solidarité : l’Église appelle à la solidarité entre les membres de la société, soulignant la nécessité de s’entraider et de soutenir ceux qui sont dans le besoin. La subsidiarité : ce principe stipule que les décisions politiques doivent être prises au plus proche des citoyens, par les autorités les mieux placées pour comprendre leurs besoins. L'État central ne doit pas intervenir dans les domaines où les collectivités locales ou les individus peuvent se gérer de manière plus efficace. Vatican II et la nouvelle doctrine politique : Il faudra attendre 1962 et le Concile Vatican II pour que l'Église, face à la modernité et à la sécularisation croissante, réévalue sa position vis-à-vis de la démocratie et du monde moderne. Vatican II ouvre une ère de dialogue et de réconciliation avec le monde laïc, en modifiant certaines de ses positions antérieures. En conclusion, l’Église catholique, tout en se montrant critique face aux dérives de la sécularisation, a progressivement cherché à adapter sa doctrine sociale aux réalités de la modernité, en appelant à une justice sociale et une harmonie entre foi et politique dans un monde pluraliste. § 1. Le IIe concile œcuménique du Vatican Le IIe Concile œcuménique du Vatican, également connu sous le nom de Vatican II, marque un tournant décisif dans la relation entre l'Église catholique et le monde moderne. Ce concile s'est tenu entre le 11 octobre 1962 et le 8 décembre 1965, sous la présidence de Jean XXIII et de son successeur Paul VI. Ce concile a eu pour objectif de réconcilier l'Église avec le monde moderne, en réexaminant son rôle et ses relations avec les sociétés contemporaines. Le texte phare issu de ce concile est la constitution "Gaudium et Spes" (Joie et Espoir), qui présente les nouvelles positions de l'Église face aux défis contemporains. Cette mise à jour des doctrines de l'Église, surnommée "aggiornamento", s'est particulièrement concentrée sur les relations entre l'Église et le monde politique. Trois points décisifs relatifs au politique émergent de ce texte : 1. La place de l'Église dans le politique L'une des questions fondamentales du concile porte sur le rôle de l'Église dans la politique. Il s'agit ici de définir le rapport entre la cité terrestre (le monde politique et social) et la cité céleste (le royaume spirituel de Dieu). Légitimité de l'Église à intervenir en politique : Le concile affirme que l'Église est légitime pour émettre un jugement moral sur les affaires politiques, en particulier lorsqu'il s'agit de défendre les droits fondamentaux de la personne. L'Église n'intervient pas dans la gestion quotidienne des affaires politiques, mais elle est responsable de la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine, dont le salut des âmes constitue la priorité. Distinction entre l'Église et la communauté politique : L'Église est en charge de la dimension spirituelle et du salut des individus, tandis que la communauté politique se concentre sur le bien commun, un concept qui se rapporte à la régulation et à l'organisation des sociétés humaines. 2. Définition du politique Vatican II s'appuie sur des traditions philosophiques, notamment celle d'Aristote, pour poser une vision du politique. Selon ce texte, il existe une communauté politique qui complète la communauté civile (telle que la famille et le village). Cette communauté doit être dirigée par une autorité qui est seule en mesure d'orienter les énergies de la société vers le bien commun. Obéissance et droit de résistance : Les chrétiens doivent obéir à l'autorité politique tant que celle-ci sert le bien commun. Toutefois, ils ont également le droit de résister à l'autorité lorsque celle-ci va à l'encontre du bien commun et de la dignité humaine. 3. Trois prises de position du Vatican II Vatican II s'engage également sur plusieurs questions politiques concrètes : A) La démocratie Le concile reconnaît la démocratie comme le régime politique le plus conforme à la vision chrétienne de l'homme et de la société. La démocratie est perçue comme le moyen de garantir le suffrage universel, de protéger les minorités, et de reconnaître les droits de la personne. De plus, Vatican II valorise le rôle des partis politiques dans un système démocratique, les invitant à agir dans le respect des principes de justice et d'égalité. B) Le pluralisme politique Face à la diversité des courants politiques, Vatican II reconnaît le pluralisme politique. L'Église ne s'implique pas directement dans le soutien d'un mouvement ou d'un parti politique spécifique. Les catholiques doivent se positionner en fonction de leurs convictions personnelles. Le concile précise que personne, ni aucun parti politique, ne peut revendiquer l'autorité de l'Église sur le plan politique. C) La participation des chrétiens à la politique Le concile encourage la participation active des chrétiens à la vie politique. Il rappelle que les citoyens doivent cultiver une loyauté et un amour de la patrie sans se laisser piéger par des visions étroites ou partisanes. Les catholiques doivent être conscients de leur rôle dans la société et en politique, en prenant à cœur le sens des responsabilités et le dévouement au bien commun. Conclusion Le concile Vatican II a constitué une véritable révolution intellectuelle au sein de l'Église catholique, notamment en ce qui concerne son engagement politique. Il a reconnu la démocratie comme un régime valide et a validé l'existence d'une autorité politique légitime, tout en appelant les chrétiens à participer activement à la politique pour promouvoir le bien commun, sans pour autant que l'Église prenne parti dans les affaires partisanes. § 2. Les papes et la question politique Les papes ont continué à préciser et développer les enseignements du concile Vatican II tout au long du XXe et XXIe siècles, en fonction des enjeux politiques contemporains. Leurs pontificats ont mis en lumière des principes éthiques et philosophiques essentiels pour guider les chrétiens dans leur engagement politique. 1. Le pape Jean-Paul II (1978-2005) Jean-Paul II a enrichi les enseignements du concile Vatican II sur plusieurs points cruciaux, en particulier face aux défis politiques de son époque. 1. Résistance non violente au totalitarisme : Jean-Paul II a insisté sur la résistance non violente face aux régimes totalitaires, notamment en Europe de l'Est, soulignant le rôle de l'Église comme force morale contre l'injustice politique et la répression. Cette position a été particulièrement pertinente pendant la guerre froide et la chute du communisme. 2. Soumettre les dynamiques économiques au contrôle des autorités politiques : Le pape a appelé à une régulation des dynamiques économiques, insistant sur la nécessité de les soumettre au contrôle des autorités politiques pour éviter qu’elles ne deviennent un facteur d’injustice et d’exploitation sociale. Cela faisait écho à la doctrine sociale de l’Église, qui prône la justice sociale et la solidarité. 3. Exhortation à l’implication des chrétiens dans la cité : Jean-Paul II a encouragé les chrétiens à s’investir dans la politique, soulignant que chaque chrétien a le droit et le devoir de participer activement à la politique, en promouvant les valeurs chrétiennes et en cherchant à construire une société juste. 2. Le pape Benoît XVI (2005-2013) Sous le pontificat de Benoît XVI, la question politique a été abordée avec une approche plus philosophique, intégrant des principes moraux et théologiques. 1. La justice et la charité : Benoît XVI a rappelé que la charité et la justice ne sont pas opposées, mais complémentaires. Il a précisé que la justice est l'attache propre du politique, tandis que la charité est l'attache propre de l’Église. Il a souligné que la société juste ne peut être l’ordre de l’Église, mais doit être réalisée par les politiques, et que l'Église doit intervenir dans le domaine spirituel, tandis que le politique doit se concentrer sur l'organisation sociale juste. 2. La foi comme modération de la politique : Benoît XVI a affirmé que la foi doit purifier la raison humaine et modérer l’action politique. Il a ainsi invité les hommes politiques à s'inspirer des principes chrétiens, notamment ceux de justice sociale, dédiée au bien commun et à la dignité humaine. 3. La politique et le bonheur ici-bas : Le pape a mis en garde contre l’idée que la politique pourrait se substituer à la religion pour permettre le bonheur ici-bas. Il a rappelé que la politique a sa propre vocation, mais que la foi chrétienne offre une vision transcendantale qui va au-delà des préoccupations temporelles. 3. Le pape François (2013-présent) Le pape François a marqué son pontificat par une attention particulière aux questions environnementales, notamment à travers son encyclique "Laudato Si" (2015), dédiée à la protection de l’environnement et au changement climatique. Responsabilités écologiques : Le pape François commence par dresser un constat scientifique des déséquilibres environnementaux, citant les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Il pointe deux types de responsabilité : 1. La responsabilité d’une économie carnivore : Cette économie, fondée sur la consommation compulsive et la culture du déchet, est accusée d’épuiser les ressources naturelles et d'engendrer des inégalités. 2. La responsabilité des pays riches : Ces pays, selon le pape, ont contracté une dette écologique vis-à-vis des nations plus pauvres, exploitant leurs ressources naturelles tout en ne leur offrant pas les moyens de se protéger contre les effets du changement climatique. Réactions internationales et soumission de la politique : François dénonce la faiblesse des réactions internationales face à l'urgence écologique et la soumission de la politique aux intérêts de la technologie et de la finance. Il appelle à un changement radical de style de vie pour protéger la maison commune de l'humanité. Écologie intégrale : L'un des points majeurs de "Laudato Si" est l’appel à une écologie intégrale, qui considère non seulement la protection de la Terre, mais aussi le lien social et les inégalités humaines. Le pape François lie les perturbations écologiques aux perturbations sociales et appelle à repenser les relations humaines et environnementales de manière holistique. Le rôle des papes dans les questions politiques a évolué au fil du temps, de Jean-Paul II à François, avec une attention particulière à l'engagement des chrétiens dans la politique, la justice sociale, et plus récemment la question écologique. Ces interventions ont souligné l’importance de la moralité et de la spiritualité chrétienne dans les affaires publiques, tout en insistant sur la distinction entre la sphère politique et la sphère religieuse, et sur la responsabilité collective vis-à-vis de l’environnement. Section 4. L’Islam aux prises de l’islamisme L’islamisme, comme idéologie politique radicale, est né dans un contexte de réaction contre l'influence croissante des sociétés occidentales et de désir de rétablir un système politique fondé sur la loi divine. Cette idéologie vise à intégrer les principes religieux dans toutes les sphères de la vie publique, transformant ainsi la société musulmane en un état théocratique. § 1. Les fondateurs de l’islamisme L’islamisme émerge officiellement en 1928 avec la fondation de la Société des Frères Musulmans par Hassan al-Banna. Ce mouvement marque un tournant dans l’histoire moderne de l’islam, cherchant à renouveler la société musulmane en l’adaptant aux principes religieux stricts. Hassan al-Banna (1906-1949) suit des études à l’université d’Al-Azhar, l'un des centres religieux les plus prestigieux du monde musulman, avant de devenir instituteur en 1927. Très vite, il constate la décadence des sociétés musulmanes sous l’influence de l'Occident et décide de fonder une organisation à but religieux et social, qui a pour objectif de promouvoir le bien et d’éradiquer le mal. Il résume la doctrine des Frères Musulmans par le slogan suivant : "L’islam est religion d’État, Coran et glaive, culte et commandement, patrie et citoyenneté." Il est également l’auteur d’une célèbre devise : "Allah est notre but, le Prophète notre modèle, le Coran notre loi, le Djihad notre voie, le martyr notre vœu." La doctrine des Frères Musulmans repose sur trois points principaux : 1. Constat de la décadence des sociétés musulmanes : L’influence croissante de l’Occident est perçue comme une cause de l’affaiblissement des sociétés musulmanes. 2. Le projet : La création d'un État islamique fondé sur la loi divine (la charia) et la justice sociale. 3. La stratégie : La réislamisation de la société par une élite éclairée, militante et persévérante, inspirée de la stratégie révolutionnaire de Lénine. Cette approche vise à conquérir le pouvoir progressivement, à partir des bases populaires, et à rétablir un ordre islamique. Les Frères Musulmans connaissent un succès fulgurant, avec plus de 2 millions d’adhérents en l’espace de 20 ans. Le mouvement se développe rapidement, surtout en Égypte, un pays qui connaît une forte insatisfaction à la suite du rejet des Britanniques, de la corruption des élites politiques et de la situation en Palestine. Hassan al-Banna est assassiné par le gouvernement égyptien en 1949, mais son héritage perdure. En 1952, les Frères Musulmans soutiennent le coup d’État du colonel Nasser, un nationaliste arabe laïque. Cependant, ils se brouillent rapidement avec Nasser, ce qui entraîne une longue période de persécution pour le mouvement. Sayyid Qutb : Un intellectuel radicalisé Une deuxième figure marquante de l’islamisme apparaît dans les années 1950 avec Sayyid Qutb (1906- 1966), un intellectuel égyptien qui devient l’un des penseurs les plus influents de l’islamisme moderne. Qutb part aux États-Unis en 1948 pour approfondir ses études en sciences et découvre ce qu’il considère comme une société totalement anti-divine. Il critique violemment le modèle américain, qu’il juge totalement en décalage avec les principes islamiques. Cette expérience marquera un tournant dans sa pensée. La doctrine de Sayyid Qutb repose sur deux points essentiels : 1. Le Djihad : Qutb fait de la guerre sainte (le Djihad) un pilier central de l’islamisme, avec la nécessité de combattre les mécréants partout où ils se trouvent, y compris dans les pays musulmans qui ont perdu leur lien avec l’Islam originel. 2. La souveraineté exclusive d’Allah : Selon Qutb, l’autorité d'Allah doit s’imposer dans toutes les sphères de la société, prônant ainsi une théocratie et rejetant toute forme de gouvernement séculier. Il envisage un royaume de Dieu sur Terre, où l'intégralité de la loi d’Allah serait appliquée, remplaçant le royaume de l’homme. Qutb devient une figure emblématique de l’islamisme radical. Après son arrestation en 1954, il est emprisonné et subit de longues années de détention. En 1966, il est exécuté, devenant ainsi le premier martyr de l’islamisme. Sa pensée aura une influence profonde sur les mouvements islamistes du monde entier, même en dehors de l'Égypte. L’héritage des Frères Musulmans Après la mort de Sayyid Qutb, le mouvement des Frères Musulmans connaît une certaine marginalisation, mais ses idées continuent à prospérer dans le monde islamique, notamment après la révolution islamique en Iran en 1979 et les tensions croissantes dans le monde arabe. En 2011, après la chute du président égyptien Hosni Moubarak, il est révélé que les Frères Musulmans sont toujours présents et influents en Égypte. Ils remportent les premières élections démocratiques du pays, prenant le pouvoir en 2012 sous la présidence de Mohamed Morsi, avant d’être renversés par un coup d’État mené par Abdel Fattah al-Sissi en 2013. Les Frères Musulmans continuent d’être un acteur majeur dans la politique de nombreux pays musulmans, même s'ils sont souvent confrontés à des répressions violentes, notamment en Égypte, soutenue par les États- Unis, acteur clé de la géopolitique du Moyen-Orient. L’islamisme, né du rejet de l’Occident et de la volonté de rétablir un ordre islamique strict, a évolué à travers les écrits et actions de figures emblématiques comme Hassan al-Banna et Sayyid Qutb. Si l’influence des Frères Musulmans reste forte, leur pouvoir a été confronté à des défis politiques majeurs, illustrant la tension entre la volonté de réislamiser les sociétés musulmanes et les réalités politiques contemporaines. § 2. La révolution islamique en Iran En 1979, l’Iran connaît un bouleversement majeur avec le renversement du Shah Mohammad Reza Pahlavi, le dernier monarque de la dynastie impériale, au profit d’une république islamique fondée sur des principes chiites. Cette révolution marque un tournant historique, car elle représente la première fois qu’un mouvement islamiste parvient à prendre le pouvoir, renversant ainsi un régime autoritaire pour établir un État théocratique. 1. Contexte de la révolution L’Iran, avant 1979, est un État impérial dirigé par le Shah, un régime fortement influencé par l’Occident, notamment par les États-Unis, qui le soutiennent politiquement et militairement. Ce soutien occidental, couplé à une politique répressive et des inégalités sociales croissantes, conduit à un mécontentement populaire massif, notamment parmi les classes sociales populaires, les intellectuels et les religieux. Les mouvements révolutionnaires qui émergent contre le régime sont divers. D’un côté, il y a les marxistes laïcs, qui souhaitent un changement radical, et de l’autre, les islamistes menés par l'Ayatollah Ruhollah Khomeiny, un religieux chiite qui critique fortement la corruption du Shah et l’influence de l’Occident dans le pays. Les islamistes finissent par prendre le dessus, et la révolution islamique transforme l'Iran en une république islamique théocratique. 2. Le rôle d'Ayatollah Khomeiny et la mise en place de la république islamique Khomeiny, exilé en France, devient le leader incontesté du mouvement islamique. Grâce à son charisme et à sa critique virulente du régime impérial, il parvient à rallier de larges segments de la population iranienne. Lors de son retour triomphal à Téhéran en février 1979, Khomeiny prend le contrôle du pays, et l'Iran impérial se transforme en république islamique. La transition vers un nouvel ordre politique s’effectue par la création d’une assemblée constituante, où les islamistes parviennent à imposer leur vision d’un régime islamique. La nouvelle constitution, adoptée en 1979, pose les bases de la république islamique. Cette constitution prévoit un président de la république élu au suffrage universel et un parlement (Majlis), semblant instaurer une structure démocratique. Cependant, le régime met également en place deux institutions clés qui assurent un contrôle totalitaire sur le système politique : Le Conseil des Gardiens de la Révolution : Ce conseil a pour mission de vérifier la compatibilité des lois votées par le parlement avec les principes de l’Islam chiite. Il exerce également un contrôle sur toutes les candidatures aux élections, garantissant ainsi que seuls des candidats conformes aux idéaux de la révolution peuvent accéder aux fonctions politiques. Le Guide Suprême : Cette fonction, détenue par l’Ayatollah Ali Khamenei depuis 1989, est celle d’un dirigeant religieux et politique, nommé par un conseil de religieux. Le Guide Suprême détient un pouvoir considérable : il est à la fois le chef des armées, il a la capacité de nommer les responsables militaires et civils clés et supervise toutes les politiques nationales, y compris les affaires étrangères. 3. Un régime théocratique avec des institutions démocratiques L’Iran de Khomeiny est ainsi une théocratie où le pouvoir appartient à Dieu, et non à un souverain humain. Pourtant, le régime se distingue d’un pouvoir absolu en intégrant des institutions démocratiques : le président et le parlement sont élus, et les citoyens disposent d’une certaine forme de participation politique. Cependant, ce système démocratique est extrêmement limité, car toutes les décisions importantes, en particulier celles liées à la loi et à la politique, doivent être validées par les instances religieuses et le Guide Suprême. Depuis la révolution, le régime iranien a progressivement évolué vers un tournant autoritaire, avec une restriction croissante des libertés politiques et une intensification de la répression de la société civile. L’Islamisation de la société iranienne, portée par les dirigeants, a été confrontée à une montée du sécularisme, notamment chez les jeunes générations, qui se distancient de plus en plus des valeurs religieuses imposées par l’État. Ce dynamisme de sécularisation reflète une tension croissante entre le régime théocratique et les aspirations à la modernité et à la démocratie. La révolution islamique de 1979 en Iran marque un moment historique important où un mouvement islamiste, sous la direction de l'Ayatollah Khomeiny, parvient à renverser un régime autoritaire pour instaurer une république islamique. Ce régime se caractérise par un système théocratique où la loi islamique prime, mais avec des institutions démocratiques qui restent sous contrôle des autorités religieuses. Depuis 1979, le régime iranien a évolué vers une forme de pouvoir autoritaire, et la société civile semble de plus en plus distante de l'idéologie islamique dominante, ce qui pose des défis à la pérennité du régime. § 3. Islam et politique : perspectives La troisième grande vague islamique est marquée par les guerres de libération nationale, en particulier celle menée en Afghanistan entre 1979 et 1989, où les moudjahidines luttent contre l'occupation soviétique. Ces combats sont soutenus par les États-Unis dans le cadre de la guerre froide, faisant de cette guerre un moment clé de l’imaginaire islamique. La victoire des Afghans sur les Soviétiques est perçue comme un symbole de la reconquête musulmane et une référence dans la lutte contre l'influence étrangère, marquée par une coopération stratégique avec les États-Unis, malgré la divergence idéologique. En 1987, le Hamas est créé en Palestine, renforçant la lutte contre Israël et contribuant à une nouvelle dynamique islamique dans la région. Ces guerres marquent un tournant en renforçant une résistance islamique unifiée contre des puissances extérieures, devenant un symbole de l’affirmation islamique. 1. La 4e vague : Al-Qaida et ses objectifs La quatrième vague islamiste prend une forme plus réticulaire avec la création d’Al-Qaida, dirigée par Oussama Ben Laden. Cette organisation s’étend au-delà des frontières nationales et devient une entité transnationale. Al-Qaida a deux objectifs principaux : Lutter contre les régimes musulmans qualifiés d’apostats, c’est-à-dire les régimes musulmans jugés trop influencés par l’Occident ou déviants par rapport à l’interprétation de l’islam prônée par l’organisation. Lutter contre l’ennemi lointain, l'Occident, en particulier les États-Unis et leurs alliés. Al-Qaida marque une rupture avec les précédentes formes d’organisation, en se structurant de manière décentralisée et en s’appuyant sur un financement international. La création de camps d’entraînement pour les combattants, notamment en Afghanistan, et la possibilité de recrutement mondial via des réseaux transnationaux, permettent à Al-Qaida de se développer rapidement. Les attentats du 11 septembre 2001 ont été le point culminant de cette organisation, marquant un tournant majeur dans l’histoire des mouvements islamistes, et entraînant une réponse militaire massive, notamment par l'invasion de l'Afghanistan par les États-Unis. Après la mort de Ben Laden, la capacité opérationnelle d'Al-Qaida a été affaiblie, mais l'organisation reste active aujourd’hui, notamment avec des groupes affiliés au Yémen et en Syrie. 2. La 5e vague : Daech et la mise en place d’un "Califat" La cinquième vague islamiste prend forme dans un contexte spécifique, après l’invasion américaine de l'Irak en 2003. En 2004, Abou Moussab al-Zarqaoui crée l'État islamique en Irak et du Levant (Daech), un groupe qui se différencie de ses prédécesseurs par une approche particulièrement violente et une forte présence médiatique. Daech établit un califat autoproclamé, avec une structure étatique incluant un gouvernement, des tribunaux et l’application de la charia. Le groupe se distingue par une politique de communication, utilisant les réseaux sociaux pour diffuser sa propagande et recruter des combattants du monde entier. L'un des aspects les plus notables de Daech est sa barbarie : des violences extrêmes, y compris des décapitations, des exécutions publiques, et une guerre sans merci contre les minorités, les sunnites modérés, et les chiites. Malgré l’ampleur de sa violence et son contrôle temporaire sur des territoires en Irak et en Syrie, Daech finit par subir une défaite majeure à la suite d’une coalition internationale qui réussit à reprendre les territoires conquis. Cependant, l’organisation reste active sous forme de nébuleuse avec des cellules et des groupes affiliés dans des pays comme le Pakistan, le Soudan, et l'Afghanistan. La violence spectaculaire de Daech, bien qu’en déclin, continue d’alimenter des actes de terrorisme international et de semer la terreur. 3. Le djihadisme d’atmosphère et la radicalisation individuelle Le phénomène du djihadisme d’atmosphère, tel que décrit par Gilles Kepel, correspond à un processus de radicalisation individuelle facilité par l’accès à Internet. Ce phénomène touche des individus isolés, souvent instables psychologiquement, qui sont influencés par des "entrepreneurs de colère" qui les poussent à passer à l’action violente. Ce djihadisme de base est plus difficile à détecter pour les services de renseignement en raison de sa nature moins structurée mais plus éparse, ce qui le rend plus dangereux dans sa capacité à toucher des individus dans des sociétés plus larges. Aujourd’hui, Al-Qaida et Daech sont affaiblis, mais leurs idéologies persistent, alimentant des groupes locaux et des mouvements islamiques à travers le monde. L'Afghanistan est de nouveau sous contrôle d’un régime islamique, mais demeure un pays profondément fragmenté et dévasté par la guerre, où la force et la faiblesse du régime coexistent. Les vagues successives du djihadisme, d'Al-Qaida à Daech, ont modifié la dynamique politique au sein du monde islamique et au-delà. Tandis que ces organisations restent actives dans plusieurs régions du monde, le processus de radicalisation, facilité par Internet, continue d’alimenter des mouvements violents qui menacent la stabilité régionale et mondiale. La montée du djihadisme et des groupes affiliés demeure une force puissante dans les affaires géopolitiques contemporaines, même

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