Fondements romains du droit privé PDF

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Summary

Ce document est un cours sur les fondaments du droit romain. L'auteur, Prof. Doris Forster, explique l'importance et les raisons d'étudier le droit romain. Le document détaille aussi l'histoire du droit, la période classique et la période tardive.

Full Transcript

Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 Table des matières Introduction au droit romain...........................................................................................................

Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 Table des matières Introduction au droit romain.................................................................................................................. 1 Pourquoi étudier le droit romain au XXIe siècle ?............................................................................... 2 Pourquoi les juristes du XIXe siècle ont-ils utilisé le droit romain en tant que source d’inspiration pour la création de nouveaux codes ?................................................................................................ 2 Introduction à l’histoire du droit......................................................................................................... 3 La migration du droit romain de Rome à l’Europe contemporaine................................................ 3 L’Ancien Testament......................................................................................................................... 4 La Grèce antique.............................................................................................................................. 5 Aperçu de l’histoire de Rome.............................................................................................................. 6 Monarchie....................................................................................................................................... 6 République...................................................................................................................................... 6 Le Principat...................................................................................................................................... 6 Le Dominat...................................................................................................................................... 7 Le début du droit comme science................................................................................................... 7 Les juristes romains......................................................................................................................... 8 La période classique........................................................................................................................ 9 La période classique tardive.......................................................................................................... 10 « Case law » à la période classique............................................................................................... 10 Sources principales du droit romain............................................................................................. 11 L’effet du droit romain sur le droit actuel : l’expansion du droit romain en Europe.................... 13 Aujourd’hui.................................................................................................................................... 15 Questions récapitulatives...................................................................................................................... 16 Introduction au droit romain Le droit est en changement constant. Le droit que vous, étudiant-e-s, étudiez aujourd’hui à l’université ne sera en partie plus en vigueur quand vous aurez fini vos études. C’est aussi pour cette raison qu’une bonne connaissance de la méthode et des bases du droit sont très importantes. Ces connaissances sont plus durables que celles en droit positif. Il est aussi important de comprendre pourquoi le droit change. Les notions juridiques changent souvent pour des raisons économiques, sociales et morales. Si la morale change, la législation 1 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 change aussi. Les évolutions du droit de la famille, telle que l'égalité des couples homosexuels, en sont un très bon exemple. L’histoire du droit nous permet ainsi d’adopter une perspective globale sur l’évolution du droit. Cette analyse historique du droit nous permet de comprendre pourquoi le droit est tel qu’il est aujourd’hui. Nous observons comment le droit a changé et pour quelles raisons, ce qui nous permet de mieux comprendre notre droit actuel. En outre, il est plus facile d’anticiper les développements futurs du droit. Qui connaît le passé, connaît aussi l’avenir. En revanche, les questions réglées par le droit restent souvent les mêmes. Par exemple, la question de savoir comment transférer la propriété est une question essentielle dans la plupart des ordres juridiques. En droit romain, il s’agissait d’un processus très compliqué, en particulier pour les choses d’une grande importance économique comme les animaux ou les esclaves par exemple : il était nécessaire d’avoir 5 témoins. Aujourd’hui, des témoins ne sont plus nécessaires pour transférer la propriété d’une chose mobilière. Une exigence formelle aussi élevée ne serait tout simplement pas réaliste dans le monde commercial et contractuel d'aujourd'hui, car elle impliquerait trop de temps et de coûts. Pourquoi étudier le droit romain au XXIe siècle ? Néanmoins, il est important d'étudier le droit romain aujourd'hui. D'une part, il n'a rien perdu de son actualité et, d'autre part, la qualité du droit romain est encore sans équivalent à ce jour. Les codes des obligations européens trouvent leurs racines dans le droit romain. De même, l’histoire du droit privé européen commence avec le droit romain. Le droit romain a par ailleurs de grandes influences sur le droit privé suisse et allemand. En particulier, le BGB est largement influencé par le droit romain. Au cours du XIXe siècle, les Pandectistes ont systématisé le droit romain. Ce travail de recherche devint ultérieurement la base de la création du BGB. Pourquoi les juristes du XIXe siècle ont-ils utilisé le droit romain en tant que source d’inspiration pour la création de nouveaux codes ? Le droit romain présentait et présente toujours une source d’inspiration pour les juristes. Même après la chute de Rome, le droit romain a été préservé et a pu être perpétué dans les siècles et millénaires qui ont suivi. Pour cette raison, on parle aussi de droit romain « classique ». Les règles juridiques sont de nature générale et peuvent être appliquées indépendamment du temps 2 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 et du lieu. Cela démontre la qualité du droit romain. Il ne s'agit pas de décisions individuelles comme en droit archaïque, mais de règles générales (du droit des contrats, par exemple) qui peuvent encore être appliquées aujourd'hui. La supériorité du droit romain se reflète également dans la qualité d'argumentation de ses juristes. Les juristes romains comme Iulianus (Julien) ou Celsus (Celse) étaient très forts dans leur argumentation. Par exemple, Iulianus appliquait les règles de la logique au droit. Cette méthode permet de montrer les contradictions dans l’argumentation et peut être appliquée à un grand nombre de cas. Le contraire de cette approche serait de prendre une décision individuelle à chaque cas de figure : dans ce cas, le droit est plus aléatoire et offre une sécurité et une prévisibilité moindres. Par la suite, une telle qualité de droit n’a plus été atteinte pendant des siècles. Le droit romain est le fondement du droit privé européen. Pourtant, les ordres juridiques des pays européens se sont développés de manières différentes. Pour analyser le droit privé, il faut se placer sous une perspective non seulement historique mais aussi de droit comparé. Afin de comprendre le développement des différences dans les pays européens, il faut aussi étudier les époques du droit naturel et du pandectisme. Ces époques ont permis de grands développements. Les questions suivantes sont, dès lors, primordiales : quel rôle la tradition joue-t-elle dans le droit ? Sommes-nous lié-e-s aux idées du droit de nos ancêtres ? Si oui, pourquoi et dans quelles limites ? Introduction à l’histoire du droit La migration du droit romain de Rome à l’Europe contemporaine Le droit n’est pas né à Rome. Dans les grandes cultures avant Rome, dans l’ancienne Babylone (vers le IIe millénaire av. J.-C), des premiers codex ont été rédigés. Les premiers codex sont le Code Hammurabi et le Code Eschnunna, nommés d’après les empereurs de ces époques. L’ancienne Babylone se situe dans l’Irak et l’Iran actuels. Le Code Hammurabi peut être consulté au musée du Louvre à Paris. C’est une stèle de 2 à 3 mètres (cf. ci-dessous). 3 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 La naissance de ces codes coïncide avec la naissance de l’écriture. L’alphabet a été inventé à cette époque. Les lettres ont pour origine l’écriture cunéiforme. Dans un premier temps, seules des images étaient utilisées comme forme d’écriture. Pour dire vache (« cow » dans l’image), l’on a utilisé le symbole d’une vache. Dans un long processus, le symbole a été pivoté de 90° et simplifié. À la fin, le symbole de la vache devint le symbole d’une certaine sonorité. Les lettres cunéiformes étaient écrites sur des tablettes. Ces dernières sont très caractéristiques de cette époque et comportent les premiers témoignages des lois. L’Ancien Testament Durant le IIe millénaire av. J.-C., une autre source de droit apparut, même si elle est plus connue en tant que source religieuse. Il s’agit de l’Ancien Testament. Sa date de création est très difficile à déterminer. Dans les cinq livres de Moïse (Genesis, Exodus, Leviticus, Numeri, Deuteronomium1), on trouve beaucoup de lois à caractère pénal (comme la loi du Talion) et civil. Un cas très souvent discuté, aussi bien dans le Code Hammurabi et le Code Eschnunna, est la question de la compensation après avoir été blessé ou tué par un bœuf. Il s’agit d’un cas commun à cette époque. Les cinq livres de Moïse, qui font aussi partie de la Torah, sont importants pour le droit talmudique, c’est-à-dire le droit juif. La Torah est sa base. Le droit talmudique est né au même moment que le droit romain. Au IIe siècle ap. J.-C., la « Mishna » fut compilée. Des commentaires furent également rédigés au sujet de la Mishna. La Mishna et les commentaires 1 En français : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. 4 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 forment ainsi le Talmud. Il y a une version jérusalémite et une version babylonienne, un peu plus jeune. Dans l’Empire babylonien, il y avait une grande communauté juive. C’est la raison pour laquelle il existe un Talmud babylonien plus long que le Talmud jérusalémite. Nous ignorons s’il y eut des influences réciproques entre le droit romain et le droit talmudique. Néanmoins, la probabilité est faible. Mais confronter les deux ordres juridiques est un exercice de pensée très intéressant : ils illustrent souvent des grandes différences, mais, sur certains points, il se dégage aussi des similarités frappantes. Pour résumer, les sources les plus anciennes du droit proviennent de l’ancienne Babylone. Il s’agit des Codes Hammurabi et Eschnunna. Par ailleurs, la Torah contient des normes de droit civil et pénal, qui sont importantes pour le droit talmudique. La Grèce antique Retournons à présent vers l’ancienne Europe où la culture de la Grèce antique a joué un rôle fondamental. La philosophie grecque est intemporelle. Les ancien-ne-s grec-que-s avaient aussi une éthique et une logique très développées. Ils ont fondé la démocratie attique. Les œuvres des philosophes comme Socrate, Platon, Aristote et la philosophie stoïcienne sont à la base de la pensée européenne. Cependant, les Grecs n’avaient pas encore de droit ni de jurisprudence très développés. Presque uniquement les écrivain-e-s de documents officiels rédigeaient des contrats. Reste que le droit romain a largement profité de la philosophie grecque. La combinaison du droit romain et de la philosophie grecque a causé la naissance des études de droit à Rome dans la République romaine. Les Romains étaient conscients du fait que leur droit était sophistiqué et se sont souvent vanté de leur droit, unique dans le monde antique. Cicéron le souligne dans un extrait de son De oratore (dat. 55 av. J.-C.) : Cic., De oratore, 1.44.197 Percipietis etiam illam ex cognitione iuris laetitiam et voluptatem, quod, quantum praestiterint nostri maiores prudentia ceteris gentibus, tum facillime intellegetis, si cum illorum Lycurgo et Dracone et Solone nostras leges conferre volueritis; incredibile est enim, quam sit omne ius civile praeter hoc nostrum inconditum ac paene ridiculum. Vous tirerez également de la joie et du plaisir de la connaissance du droit en ce que vous verrez plus facilement les grands avantages de nos ancêtres dans la sagesse de l'État par rapport aux autres peuples si vous voulez comparer nos lois avec celles de Lykurgos, Drakon et Solon. Car il est incroyable que le droit civil soit désordonné et, je dirais presque, ridicule partout, sauf chez nous. 5 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 Aperçu de l’histoire de Rome Pour comprendre le droit romain, il faut aussi connaitre l’histoire de Rome. C’est important pour contextualiser le droit. Effectivement, en tant que science sociale, ce sont les circonstances économiques, morales et sociales qui influencent le droit. Monarchie Rome est née en 753 av. J.-C. C’est la date légendaire de la fondation de Rome selon Titus Livius (Tite-Live). En réalité, Rome a été fondée vers 600 av J.-C. Au cours de cette période, c’étaient les rois étrusques qui régnaient sur Rome. Rome était alors une monarchie. République En 509 av. J.-C., la monarchie a été transformée en une République. C’est pendant cette phase qui a duré jusqu’en 27 av. J.-C. que Rome est devenu une puissance mondiale suite à de vastes expansions géographiques. Sur le plan juridique, Rome n’était pas encore une grande puissance : la seule codification qui existait à ce moment consistait en la loi des XII Tables. Elle date de 451 av. J.-C., bien qu’il ne soit pas possible de donner une date avec certitude. Le texte original des XII Tables ne nous est pas parvenu. Il s’agit d’une loi dite « archaïque ». Dictature La République romaine s’est fissurée avec l’avènement d’un des romains les plus connus : Gaius Iulius Caesar (César). César a introduit une dictature qui a duré six ans (49-43 av. J.-C.). L’un des Romains les plus importants de la période de César était Marcus Tullius Cicero (Cicéron). Cicéron était un juriste toutefois plus célèbre pour sa rhétorique que pour la science juridique en tant que telle. Le Principat (Haut-Empire) La science juridique a atteint son âge d’or pendant le Principat. C’est pendant cette phase, plus précisément des empereurs Trajan à Marc-Aurèle (époque des Antonins), que le droit « classique » est né. 6 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 À la différence d’aujourd’hui, il n’existait pas de législateur attitré. Les préteurs et les savants du droit créaient le droit. Les savants utilisaient les « responsa prudentium » (litt. : les avis des prudents) pour créer de nouvelles règles de droit. Les juristes, eux, rendaient des responsa (opinions) pour chaque cas concret, qui étaient ensuite publiées. Le Dominat (Bas-Empire) À la fin du Principat, la période classique du droit romain s’est achevée. Dès ce moment, l’on parle de droit « postclassique ». Au cours de cette période, l’empereur créait principalement le droit. La loi s’est vulgarisée et la qualité du droit s’est dégradée. La séparation de l’Empire C’est à la suite du déclin de l’Empire romain qu’en 395 ap. J.-C., l’Empire acheva de se diviser en deux parties : l’Empire d’Orient et l’Empire d’Occident. Cela précéda la chute de l’empire d’Occident en 476 ap. J.-C. Certains empires germaniques ont dès lors créé les lois des barbares en langue latine. Le siège de l’empire romain d’Orient se trouvait à Byzance, qui devint Constantinople par la suite2, et a perduré jusqu’en 1453. Au cours du VIe siècle, l’empereur Justinien a conquis une petite zone de l’ancien empire d’Occident : Ravenne (Italie). Il s’y trouve encore de belles mosaïques byzantines illustrant Justinien. Cette image de Justinien existe dans la plupart des manuels de droit romain, car c’est grâce à lui que nous avons la source la plus importante du droit romain : le Corpus Iuris Civilis. C’est dans les années 528-534 ap. J.-C. que Justinien fit compiler le Corpus Iuris Civilis à Constantinople (et non pas à Rome). Le début du droit comme science La science juridique romaine a beaucoup profité des influences grecques, en particulier après la conquête de la Grèce dans les trois guerres macédoniennes (216-168 av. J.-C.). Durant cette période, il y eut beaucoup plus d’échanges entre les deux cultures. La philosophie hellénistique a également grandement profité au monde romain. 2 Connue de nos jours sous le nom d’Istanbul. 7 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 Ainsi, la pensée juridique romaine devint peu à peu plus scientifique. La jurisprudence n’était plus seulement une simple casuistique. L’on chercha un système, un fondement rationnel au droit, et l’idée de justice commença dès lors à émerger. Petit à petit, le droit devint plus systématique. En effet, les décisions prises dans des cas individuels furent transformées en des règles générales, applicables en différentes circonstances. C'est typique de l'évolution du droit et un signe du développement de la jurisprudence. Il est possible de trouver la raison abstraite d’une décision individuelle. Cette raison abstraite est exprimée dans une loi générale. Exemple : un Romain blesse délibérément le taureau de son voisin. Le juge décide que le Romain est tenu de réparer les dommages qu'il a causés. Dans un autre cas, un Romain blesse le cheval de son voisin. Ce n'était pas intentionnel cette fois-ci, mais simplement dû à une négligence car le Romain était distrait. Est-il également tenu de verser une indemnité dans ce cas ? Quelle est la raison de l'obligation de payer des dommages et intérêts ? L'intention est-elle une condition préalable, ou bien les dommages doivent-ils toujours être compensés ? La règle générale applicable au cas pourrait être la suivante : Quiconque cause un dommage à autrui est tenu de verser des dommages et intérêts. Si cette règle s’appliquait, le Romain devrait payer des dommages et intérêts dans les deux cas. Cependant, la généralisation des décisions individuelles en droit est un long processus. Les juristes romains Qui étaient les juristes romains, les penseurs qui ont créé le droit romain et dont l’influence est toujours déterminante sur le droit en Europe, même après 2000 ans ? Le premier juriste ayant composé un commentaire sur la loi des XII Tables3 est Sextus Aelius. Les XII Tables avaient un caractère archaïque dans la mesure où ce sont des prêtres qui les avaient pensées. Partant, le droit était fortement inspiré de la religion. Avec la naissance de la science juridique, le droit s’est progressivement sécularisé. Le premier juriste ayant traité du droit sous une perspective plus scientifique est Publius Mucius Scaevola en 130 avant J.-C. Il s’est inspiré de la philosophie grecque. Les mêmes pensées et 3 Pour l’époque, cf. supra p. 7. 8 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 méthodes ont été utilisées pour développer le droit romain. C’est à partir de ce moment que l’on considère que le droit en tant que science est né. Publius Mucius Scaevola est l’un des premiers juristes. Il a écrit dix volumes sur le droit privé romain. Il était praetor, consul et pontifex maximus. Son fils Quintus Mucius Scaevola était aussi un excellent juriste qui a écrit un commentaire du ius civile. L’époque classique a commencé aux environs du Ier siècle av. J.-C. Servius Sulpicius Rufus (consul en 51 av. J.-C.) symbolise le début de cette période. C’était un ami de Cicéron. Servius Sulpicius Rufus est le premier juriste à écrire un commentaire pour l’édit du préteur. Dans cet édit, une longue liste d’actions était établie. Disposer d’une action – actio – signifiait avoir une prétention fondée sur le droit. Cette prétention devait être prouvée en justice. C’est seulement si les faits propres à remplir les conditions commandées par l’actio étaient prouvés que le droit matériel était réalisé et déployait ses effets. Par exemple, l’acheteur d’une chose peut demander la délivrance de la chose vendue avec l’actio de l’achat, l’actio empti. L’acheteur doit utiliser la formule de cette action pour faire valoir sa prétention. Il ne peut pas utiliser une autre actio. Le texte de l’action, la formula, était rédigé par le préteur. L’édit du préteur présentait la liste des actions possibles et existantes. La période classique La période classique représente l’apogée du droit romain. C’est à cette période que les juristes ont écrit les textes juridiques les plus développés. Les juristes se sont divisés en deux grandes écoles : les Proculiens et les Sabiniens. Il n’existait que ces deux écoles à Rome. L’école proculienne a d’abord été fondée par Labéon, le juriste le plus important sous le règne de l’empereur Auguste. Par la suite, Proculus suivit et reprit l’école proculienne. L’école sabinienne tient son nom du juriste Sabinus. Sabinus a fait un exposé systématique du droit civil. Cet exposé a suscité de nombreux commentaires (sous le nom de « ad Sabinum ») de la part d’autres juristes romains. Les juristes les plus importants sont Julien, Celse, Pomponius, Gaius et Scaevola. Nous traiterons en particulier de Gaius et Julien. Julien était un excellent juriste. Son style était très clair et élégant. Une grande partie du Digeste fut reprise de ses écrits. Il est surtout connu pour son édit perpétuel. Comme mentionné précédemment, les actions (mises sous formula) se trouvaient dans l’édit du préteur. Les préteurs présentaient chaque année, lors de leur entrée en fonction, une longue liste d’actions. Pour la plupart, ils reprenaient la liste de leur prédécesseur. 9 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 Pour des raisons de clarification, l’empereur Hadrien chargea Julien de mettre par écrit un édit du préteur définitif. En 131 ap. J.-C. l’édit perpétuel (edictum perpetuum) fut promulgué. Gaius a vécu au cours du IIe siècle à Beyrouth, où se trouvait une école de sciences juridiques. Il y était professeur de droit. Il a écrit un manuel d’enseignement : les Institutions. Cette œuvre est la base des Institutions de Iustinianus (Justinien) intégrées dans le Corpus Iuris Civilis. Il s’agit toutefois de deux textes distincts. La période classique tardive Cette période s’est déroulée sous la dynastie des Sévères, de l’empereur Septimus Severus (Septime Sévère) jusqu’à Alexander Severus (Alexandre Sévère). Les juristes les plus connus du temps classique tardif sont Papinianus (Papinien), Ulpianus (Ulpien) et Paulus (Paul). Une très grande partie des Digestes fut reprise des écrits d’Ulpianus. Cette période prit fin avec l’arrivée des empereurs-soldats au pouvoir, marquant ainsi le début de 50 ans d’anarchie militaire. Durant la phase politique du Bas-Empire (dès l’empereur Dioclétien, en 284 ap. J.-C.), le droit était d’une moins bonne qualité et l’art juridique était en déclin : on parle aussi de « droit vulgaire ». Une approche dogmatique comme l’utilisation des méthodes fixes, la systématisation et l’abstraction de la pensée était de moins en moins présente. « Case law » à la période classique Dans la Rome antique, il n’existait aucune codification dans le sens d’un code actuel. La seule codification du droit romain que nous connaissons était les XII Tables. En 286 av. J.-C., une loi spéciale régissant la responsabilité délictuelle fut promulguée : la lex Aquilia. Par la suite, il n’y eut plus beaucoup d’autres lois semblables. Sans codification ni loi, qu’est-ce qui constituait la source principale du droit ? Les œuvres scientifiques des juristes. Les juristes n’assistaient pas les parties au procès, mais rendaient leurs avis juridiques (responsa) sur les cas qui leur étaient soumis. Ces responsa existaient sous la République, mais c’est Auguste qui leur donna un poids concret. Il octroya aux juristes les plus importants le « ius respondendi ex auctoritate principis ». Autrement dit, les juristes à qui ce droit avait été confié pouvaient donner des consultations, qui étaient fondées sur l’autorité de 10 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 l’empereur et donc plus importantes que celles des autres juristes. Le droit était similaire au « case law », c’est-à-dire des opinions sur les cas pratiques comme pratiqué encore en Angleterre et aux États-Unis de nos jours. Il ne s’agit, dès lors, pas de loi dans le sens d’une règle générale et abstraite, mais d’une règle individuelle et concrète. C’est donc le préteur qui créait le droit. À côté du ius civile, il a créé le ius honorarium. Le ius civile, ou droit des Romains4, reposait d’abord sur la coutume. Mais, peu à peu, l’on fit reposer le ius civile sur des lois écrites (leges) comme la loi des XII Tables ou la lex Aquillia et sur d’autres sources formelles du droit comme les senatus consulti, les décrets des empereurs et les décisions des jurisconsultes. Par ailleurs, le préteur créa le ius honorarium (litt. : droit honoraire), c’est-à-dire le droit prétorien. Le droit prétorien se définit comme le droit que le préteur introduit pour confirmer, suppléer ou corriger le droit civil, (« adiuvandi, supplendi, corrigendi iuris civilis », D.1.1.7.1). Ainsi, le préteur pouvait changer le droit de manière plus profonde. Par exemple, il introduisit un deuxième type de propriété. Pour transférer la propriété en droit romain, il était nécessaire d’avoir cinq témoins. Ce transfert s’appelle « mancipatio ». Comme la procédure était très compliquée, le préteur décida que, lorsque les conditions de la mancipatio n’étaient pas remplies, un autre type de propriété pouvait être transféré : pas la propriété civile, mais la propriété prétorienne5. Sources principales du droit romain Il convient de savoir comment le droit romain s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui. Quelles sont les sources du droit romain ? Se pose également une question plus importante : comment ces sources ont-elles fait leur chemin de la Rome antique jusqu’à aujourd’hui ? Le « sauvetage » du droit romain par Justinien : Le Corpus Iuris Civilis Commençons par le « sauvetage » du droit romain par Justinien au cours du VIe siècle. Cette période est une période sombre en Europe occidentale. Dès 476 ap. J.-C., suite à l’invasion des barbares, un choc culturel se produisit. L’on note un appauvrissement des connaissances juridiques et l’apparition du nommé « droit vulgaire ». Rome fut séparée de la Rome orientale et de la culture grecque. Au cours de cette période, Justinien, alors à Byzance, fit compiler le Corpus Iuris Civilis. C’est par le Corpus Iuris Civilis que le droit romain fut sauvé et préservé. 4 Le terme « civile » se rapporte à une cité, ici la cité de Rome. 5 Pour la différenciation entre les deux notions, cf. Séance 11. 11 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 Rome était tombée. Les écoles de sciences juridiques se trouvaient à Constantinople et Beyrouth. Dès lors, Justinien décida d’installer une commission, ayant à sa tête un juriste nommé Tribonien, afin de « compiler toutes les constitutions impériales encore en vigueur en un seul code en les ordonnant selon une même systématique […] »6. Quelques années plus tard, la commission se mit d’accord sur la matière à insérer dans le Corpus Iuris Civilis. Le Corpus Iuris Civilis est divisé en quatre parties : les Institutiones (Institutions), les Digesta (Digeste), le Codex (Code) et les Novellae (Novelles). La première partie, le Codex, a été créé en 529. Il se compose d’une collection de décisions impériales. Quatre ans plus tard, le Digeste (ou Pandectes) ont été compilés. Il fallut lire 2000 livres de jurisprudence de 40 auteurs différents. Le Digeste lui-même comprend 50 livres.7 Les membres de la commission n’ont disposé que de très peu temps pour achever ce travail gigantesque. Seulement trois ans s’écoulèrent entre la nomination de la commission et la systématisation de l’œuvre. Les Digestes sont le fruit d’une mosaïque d’œuvres de multiples auteurs. Toutefois, il faut noter que la moitié du texte avait déjà été rédigée par Ulpien et Paul et a été simplement reprise. Pour la dernière partie, la commission adapta les Institutions de Gaius pour former celles de Justinien. Les Institutions de Justinien furent insérées dans le Corpus Iuris Civilis en 533 ap. J.-C. Les Novelles furent intégrées dans le Corpus Iuris civilis en 565 ap. J.-C., à la fin du règne de Justinien. Elles retracent les nouvelles décisions impériales datant de 535 à 565 ap. J.-C. Le Codex et les Novelles représentent le droit des empereurs. En revanche, le contenu des Institutions et des Digestes date de l’époque classique et fut adapté par la commission de Justinien au VIe siècle. L’intérêt du Corpus Iuris Civilis est que, bien qu’il ait été compilé au VIe siècle, son contenu demeure bien plus vieux. On appelle ces adaptions ou changements des « interpolations ». Un très grand romaniste, Lenel, reconstruisit les textes classiques dans une « Palingénésie ». Cela signifie qu'il a utilisé les citations indirectes des sources pour faire revivre, et donc recomposer, le texte original. Les Institutions de Gaius Tout d’abord, il importe de ne pas confondre les Institutions de Gaius avec les Institutions de Justinien tirées du Corpus Iuris Civilis. Les Institutions de Gaius sont la seule source complète du droit classique qui nous est parvenue. Au XIXe siècle, un ami de Savigny, Niebuhr, trouva dans un monastère un palimpseste non loin de Vérone. Un palimpseste est un manuscrit sur 6 PICHONNAZ, les fondements romains du droit privé (2008), N 156. 7 PICHONNAZ 2020, p. 55. 12 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 parchemin, d'auteurs anciens, que les copistes du Moyen-Âge ont effacé pour le recouvrir d'un second texte. Niebuhr effaça le texte médiéval à l’aide d’un agent acide et, sous le texte, il découvrit les Institutions. Ce que Niebuhr ne savait pas, c’est que l’acide était si agressif que le palimpseste finit par être totalement détruit. Heureusement, le texte classique de Gaius a pu être conservé. Cela nous donne la possibilité de comparer chaque version des Institutions – les Institutions de Gaius et de Justinien – et d’en déduire ainsi les interpolations postclassiques. La loi des XII Tables Une autre source principale du droit romain est la loi des XII Tables. Elles n’ont pas été systématisées. On peut seulement les reconstruire par leurs citations dans les Digestes : les traces des XII Tables restent donc fragmentaires. L’effet du droit romain sur le droit actuel : l’expansion du droit romain en Europe Comment le droit romain ou les sources du droit romain ont-ils fait leur chemin jusqu’à aujourd’hui ? Comment le droit romain a-t-il pu s’étendre dans toute l’Europe ? Quand le droit romain a-t-il été redécouvert en Europe, et où ? Où se trouvait la première université pour étudier le droit ? C’était à Bologne, dont l’université fut créée au XIe siècle. Partant, Bologne devint le centre des études juridiques dans toute l’Europe. Toute personne désirant étudier le droit venait à Bologne. Le Corpus Iuris Civilis était le document central de ces études. Après avoir achevé leurs études, les étudiants retournaient chez eux, provoquant ainsi l’expansion du droit romain en Europe. Au cours des siècles, les juristes ont davantage annoté et commenté le Corpus Iuris Civilis. Des glossateurs comme Irnerius et Accursius, au XIe siècle ont écrit de larges gloses et ont discuté et développé les pensées des Romains. Par la suite, d’autres commentateurs se sont aussi penchés sur le Corpus Iuris Civilis et ont commenté ses textes. Les commentateurs les plus prodigieux étaient Bartolus et Baldus. Leur prestige était si grand que l’on disait « Nemo iurista nisi Bartolista » (personne n’est juriste s’il n’est pas bartoliste). Le voyage du droit romain, désormais ius commune, s’est ensuite poursuivi par la fondation de plusieurs nouvelles universités dans toute l’Europe. Les juristes utilisaient des méthodes 13 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 similaires à ce qui se faisait à Bologne. Tous parlaient en latin. On parle alors de ius commune : le droit est devenu un droit commun, sans frontières. Les humanistes À la fin du XVe siècle, une nouvelle classe d’intellectuels est née : les humanistes. Ils donnèrent de nouvelles impulsions au droit. Ils accordaient une importance particulière à l’histoire. Ils examinèrent les textes du Corpus Iuris Civilis dans une perspective plus historique, « Back to the roots » : autrement dit, ils voulaient connaître l’origine du texte. Ils utilisaient ainsi des méthodes philologiques. Les textes des glossateurs et commentateurs n’avaient donc pas d’intérêt pour eux. Ils voulaient tenter de déterminer le sens originel du texte, soit son sens à l’époque à laquelle il avait été écrit. Leur « approche » des sources était inspirée d’un certain humanisme religieux manifesté au cours de la Réforme protestante. Par exemple, Martin Luther a fait sa propre traduction de l’Ancien Testament, écrit en hébreu, pour mieux comprendre le texte original. Cette façon de travailler s’appelle le mos gallicus par opposition au mos italicus des juristes bolonais. Le nom est lié à l’origine géographique des membres de cette école : Jacques Cujas est un des humanistes les plus importants. Un auteur également important était Donellus, qui a écrit un grand commentaire sur le Corpus Iuris Civilis. L’école du droit naturel Une autre approche est née en Hollande et en Allemagne : l’école du droit naturel. Cette école a apporté un nouvel élan à l’évolution du droit. En Hollande, Hugo Grotius, et en Allemagne, Pufendorf, Thomasius, Wolff et Leibniz, ont élaborèrent les idées du droit naturel au XVIIe siècle. L’idée principale du droit naturel est que le droit existe par nature, sans que l’être humain le crée. Les principes comme l’aequitas et la justice étaient fondamentaux. Le droit inscrit dans le Corpus Iuris Civilis était considéré comme conforme au droit naturel. Les codifications civiles du XVIIe et du début du XIXe siècle suivent la tradition du droit naturel. L’on compte parmi ces codes le Code Napoléon (France) et l’ABGB (Autriche), mais aussi le Codex Maximilaneus Bavaricus Civilis (Électorat de Bavière) et le « Preußisches Allgemeines Landrecht » (en Prusse) qui datent du XVIIIe siècle. Par la suite, une autre perspective, plus pratique, fut suivie au XVIIe siècle en Allemagne et en Hollande. Il s’agit de l’usus modernus pandectarum, un mouvement qui s’opposait à 14 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 l’humanisme. Les juristes les plus importants qui en faisaient partie étaient Stryck, Lauterbach, Struve et Leyser. Ils ont eux aussi utilisé le droit romain comme base de leurs travaux. L’école historique Au cours du XIXe siècle, le droit romain joua encore un rôle important à travers l’école historique, qui voulait retrouver la pureté et l’origine historique du droit romain. Le juriste Savigny était d’une grande importance pour cette école. À titre d’information, Savigny s’opposait à la codification du droit. Les Pandectistes Les Pandectistes (Dernburg, Vangerow, Windscheit et d’autres) utilisèrent le droit romain pour développer de nouveaux concepts de droit moderne. Leurs travaux, en particulier ceux de Windscheid, forment la base du Code Civil allemand, le BGB. Ils y ont fortement systématisé le droit romain. Par exemple, les contrats ont été subsumés sous le terme collectif de transaction juridique, « Rechtsgeschäft » en allemand. Aujourd’hui Pourquoi utilisons-nous encore le droit romain de nos jours ? L’idée d’une unification du droit en Europe est très discutée au sein de la communauté des juristes. C’est pourquoi nous utilisons l’histoire du droit, le droit comparé, la critique du droit et la philosophie du droit pour créer un nouveau droit. En conclusion : rien ne fonctionne sans le droit romain. 15 Prof. Doris Forster Fondements romains du droit privé Séances 2-3 Questions récapitulatives 1. Quelle est la valeur de l’histoire du droit pour nos ordres juridiques modernes ? 2. Quelles étaient les cultures juridiques avant Rome ? Nommez deux sources écrites datant d’avant 753 av. J.-C. 3. Sauriez-vous donner un aperçu de l’histoire de Rome ? Quelles étaient les 5 étapes de son histoire ? 4. Décrivez le contenu du Corpus Iuris Civilis. Cette source est-elle « classique » ? 5. Connaissez-vous deux autres sources principales du droit romain ? 6. Décrivez la migration du droit romain, de Rome à aujourd’hui. 7. Pourquoi utilisons-nous le droit romain de nos jours ? 16

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