Management de l'innovation 2022-2023 - EM Normandie PDF

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EM Normandie Business School

2023

Alberic Tellier

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innovation management business strategies entrepreneurship business

Summary

This document details a course on innovation management at EM Normandie Business School. The course covers the key stages of the innovation process, from idea generation to market launch, including creativity techniques, industrial protection, and marketing aspects of innovation. The author, Alberic Tellier, discusses different innovation types, strategic approaches, and organizational aspects of innovation, and the importance of protecting innovation.

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GO FUTURE EM NORMANDIE MAG 2022 - 2023 Management de l'innovation Alberic Tellier QU’EST-CE QUE POURQUOI MANAGER COMMENT GÉNÉ...

GO FUTURE EM NORMANDIE MAG 2022 - 2023 Management de l'innovation Alberic Tellier QU’EST-CE QUE POURQUOI MANAGER COMMENT GÉNÉRER DES L’INNOVATION ? L’INNOVATION ? IDÉES D’INNOVATION ? COMMENT RAISONNENT DÉFINIR UNE STRATÉGIE DIFFUSER L’INNOVATION LES INNOVATEURS ? D’INNOVATION SUR LE MARCHÉ PROTÉGER ORGANISER EN OUVRIR LE PROCESSUS L’INNOVATION INTERNE L'INNOVATION D’INNOVATION Conception / production em-normandie.com Auteur : Alberic Tellier Ingénierie : Direction de l’innovation et des technologies éducatives - QUALIA éditions Réalisation ingenium-elearning.com 2 EM Normandie Business School Édito D octeur en sciences de gestion et agrégé des Universités, je suis Professeur de Management de l’innovation. Au sein de l’équipe M-Lab du centre de recherche DRM, je développe des travaux sur les stratégies et l’organisation de l’innovation qui ont fait l’objet de nombreuses publications nationales et internationales. Ces travaux ont notamment été menés sur l’industrie des semi-conducteurs, l’informatique, l’électronique grand-public mais aussi l’aéronautique ou plus récemment les technologies sans contact voire des secteurs plus traditionnels où il est aussi nécessaire d’innover comme la filière des métiers du paysage. Depuis quelques années, je mène également des travaux sur l’innovation dans les industries culturelles et créatives comme le jeu vidéo et la musique. J’ai ainsi publié deux ouvrages récents dans lesquels je revisite les thèmes clés du management de l’innovation par l’histoire de musiciens, de groupes et de disques célèbres. Le cours que j’ai conçus pour l’École de Management de Normandie permet d’aborder toutes les étapes d’un processus d’innovation, de la génération d’idées nouvelles à la mise sur le marché. Ce cours est ainsi l’occasion d’aborder les techniques de créativité, les questions de protection industrielle, les enjeux du marketing de l’innovation, la formation d’une stratégie en matière d’innovation ou encore le délicat sujet des dispositifs organisationnels propices à l’innovation. Je vous souhaite un bon apprentissage ! Alberic Tellier EM Normandie Business School 3 Intro B ienvenue dans le module de Cet enseignement s’articule autour de neuf Management de l’innovation. séquences qui permettent d’aborder toutes les étapes d’un processus d’innovation, de La capacité d’innovation est l’une la génération d’idées nouvelles à la mise des clés de la compétitivité de l’entreprise. sur le marché. Vous aurez ainsi l’occasion Dans un contexte de plus en plus exigeant, d’aborder les techniques de créativité, les s’est développé un ensemble de concepts, questions de protection industrielle, les enjeux de théories, et de démarches visant à mieux du marketing de l’innovation, la formation comprendre et à mieux gérer l’innovation. d’une stratégie en matière d’innovation ou encore le délicat sujet des dispositifs L’objectif de cet enseignement est de vous organisationnels propices à l’innovation. permettre de cerner tous les enjeux et toutes les facettes de l’innovation pour vous mettre en capacité d’intervenir dans des projets de développement de nouvelles offres. 4 EM Normandie Business School Dans la première séquence nous aborderons nouveaux entrants de prendre des positions une question essentielle au vu des objectifs fortes dans des secteurs d’activités. de ce cours : qu’est-ce que l’innovation ? Une stratégie ne donne les résultats attendus Nous verrons qu’en management, l’innovation que si l’innovation se diffuse. La sixième est le résultat d’un effort entrepreneurial séquence permet d’étudier ce processus de (un nouveau produit par exemple) mais diffusion de l’innovation. Nous y abordons aussi le processus qui a permis d’aboutir une question simple à formuler mais délicate à ce résultat (les différentes étapes qui à résoudre : qu’est-ce qui fait le succès mènent au lancement). En cela, l’innovation d’une nouvelle offre sur le marché ? est un résultat mais aussi un processus. La septième séquence permet d’aborder une La deuxième séquence permet d’aborder autre question centrale : comment protéger les enjeux du management de l’innovation. l’innovation ? Nous verrons qu’à l’intérieur de l’organisation, les innovations sont très déstabilisantes. Elles Divers moyens sont disponibles : la marque remettent en cause les habitudes de travail, commerciale, le droit d’auteur, l’enveloppe nécessitent des compétences nouvelles Soleau, les dessins et modèles, le brevet et le et même parfois une redistribution des secret. Nous les abordons dans cette séquence. pouvoirs. Ainsi, il est fréquent d’observer à tous les niveaux hiérarchiques des attitudes de Avec la huitième séquence nous résistance au changement et un attachement abordons les facettes organisationnelles profond aux schémas traditionnels. de l’innovation. Comment imaginer des dispositifs organisationnels capables de Dans la troisième séquence nous aborderons générer des connaissances nouvelles et la génération de nouvelles idées qui est des idées susceptibles d’être traduites essentielle au processus d’innovation, à ensuite sous la forme de produits, la fois pour l’alimenter et pour surmonter services ou procédés nouveaux ? d’éventuels obstacles au cours des différentes étapes. C’est pourquoi, la créativité des La neuvième et dernière séquence permet individus, et plus largement la capacité de d’aborder les évolutions les plus récentes l’organisation à générer et capter les idées, dans l’organisation de l’innovation. Dans un sont aujourd’hui considérées comme des environnement souvent complexe, incertain éléments décisifs pour l’entreprise innovatrice. et turbulent, les entreprises tentent de renouveler leurs dispositifs organisationnels Dans la quatrième séquence nous en matière d’innovation. Pour accélérer le allons aborder le travail de conception processus d’innovation, réduire les risques que mène l’innovateur. La conception et augmenter les gains, elles se tournent innovante est un travail particulier. Les de plus en plus vers l’innovation ouverte. attentes ne sont pas complètement spécifiées au début de la conception et se Plusieurs activités sont proposées pour précisent au fur et à mesure que l’objet, compléter et enrichir ce module. Elles vous le produit ou le service prend forme. aideront à retenir l’essentiel du cours mais aussi à approfondir certains points et à vous La cinquième séquence est dédiée aux interroger sur certaines problématiques aspects stratégiques de l’innovation. En effet, managériales liées à l’innovation. l’innovation est souvent au cœur des stratégies déployées par les firmes. Elle permet de J’espère que cet enseignement vous bouleverser les positions concurrentielles intéressera et répondra à toutes vos attentes ! et représente souvent un moyen pour des EM Normandie Business School 5 Sommaire 10 Qu’est-ce que 53 Comment générer des idées l’innovation ? d’innovation ? 10 Les différents types 55 Qu'est ce que la créativité ? d’innovation 61 Mettre en place des espaces et méthodes de créativité 21 Le processus d’innovation 72 Comment raisonnent les innovateurs ? 74 Comment imaginer des produits et services qui n'existent pas ? 80 La théorie CK : fondements et applications 92 Définir une stratégie d’innovation 10 94 Pourquoi l’innovation est-elle " stratégique " ? 103 Les différents types de stratégies fondées sur l’innovation 28 Pourquoi manager 92 l’innovation 30 Les niveaux d’action du management de l’innovation 36 Apprécier le potentiel des technologies de demain : des erreurs typiques 42 Intégrer les clients potentiels pour découvrir les usages de demain : les pièges à éviter 6 EM Normandie Business School 154 Organiser en interne l'innovation 156 Le modèle R&D interne 163 Le modèle de l’intrapreneuriat 174 Ouvrir le processus d’innovation 176 Pourquoi " ouvrir " le 112 processus d’innovation ? 180 Comment " ouvrir " le processus d’innovation ? 112 Diffuser l’innovation sur le marché 114 Les idées clés du modèle classique de la diffusion 120 Les prolongements du modèle de Rogers 174 129 Protéger l’innovation 131 Marque, droit d’auteur, droit de possession personnelle antérieure, dessins et modèles 139 Le brevet Pour une expérience augmentée, flashez les QR codes ! Ils vous donneront accès à différents médias permettant de compléter et d'enrichir votre lecture. EM Normandie Business School 7 Dossier Qu'est-ce que L'innovation ? 8 EM Normandie Business School Introduction Q u’est-ce que l’innovation ? La question appliquée ou, à l’inverse, quand l’inventeur souhaite est simple à formuler. La réponse est réaliser lui-même l’exploitation économique délicate. En effet, l’innovation est un de sa découverte. Mais dans de nombreux cas, concept difficile à appréhender car l’entreprise fait l’acquisition de découvertes pour elle peut prendre de multiples formes. On peut tenter de les rencontrer des innovations de natures (produit, « amener " sur le marché via une offre nouvelle et service, procédé, organisation), d’origines (des un modèle économique adéquat. Par exemple, un avancées scientifiques, des développements fabricant achète le droit d’utiliser un brevet pour technologiques, des signaux du marché…) ou revoir la manière de fabriquer ses produits. d’ampleurs (d’amélioration ou de rupture) tout à Cette définition permet ensuite de souligner fait différentes. que le degré de nouveauté (le " quelque chose La langue française (Le Petit de nouveau ") peut être très différent d’un cas à l’autre. Le premier smartphone, les téléviseurs à Robert) définit l’innovation comme écran plat ou encore le baladeur numérique, sont des innovations à fort degré de nouveauté. Mais la l’introduction dans un domaine nouvelle version d’un shampoing, d’une clé USB avec une capacité de stockage supérieure ou la établi de quelque chose de nouveau. mise à disposition d’un espace WiFi gratuit dans un " Fast Food " sont également des innovations. Cette définition, très large, est déjà utile. Tout Nous verrons plus loin d’abord, elle permet de préciser qu’on parle qu’une innovation peut d’innovation quand il y a introduction d’une être une " rupture " ou nouveauté dans un domaine établi. On peut une " amélioration ". ici considérer ce " domaine établi " comme le domaine d’activité dans lequel évolue (ou souhaite Enfin, cette définition permet de comprendre évoluer) l’entreprise. que l’innovation est le " résultat " d’un effort Ainsi, on ne peut parler d’innovation que s’il y a entrepreneurial (un nouveau produit par exemple) tentative de commercialisation. C’est d’ailleurs mais aussi le processus qui a permis d’aboutir à ce qui distingue l’innovation de l’invention. ce résultat (les différentes étapes qui mènent au L’innovation implique un travail de nature lancement). En cela, l’innovation est un résultat économique tandis qu’inventer est un travail mais aussi un processus. L’innovateur (typiquement de nature scientifique et technique. un dirigeant d’entreprise) doit donc se poser L'innovation ne simultanément deux questions quand il réfléchit sur se limite pas à la ses projets d’innovation : Quel est le résultat voulu ? R&D (Recherche et Comment arriver à ce résultat ? Développement), mais Il est important de bien cerner les formes que intègre un travail sur le peut prendre l’innovation pour bien comprendre marché, les usages, les les défis et problèmes que peut rencontrer la modèles économiques, firme. On peut d’abord s’intéresser à l’innovation le design, le marketing, comme un résultat et identifier les diverses formes etc. Parfois l’innovateur d’innovation que l’on rencontre. La section 1 est l’inventeur. C’est le permettra d’aborder les différentes manières cas quand l’entreprise de classer l’innovation. On peut aussi envisager a pris à sa charge une l’innovation comme un processus et se focaliser sur activité de recherche les différentes étapes qui mènent au résultat. Cette fondamentale et perspective sera adoptée dans la section 2. EM Normandie Business School 9 Partie 1 Les différents types d'innovation Pour mettre en exergue les différentes formes que peut prendre l’innovation, on peut utiliser des typologies fondées sur la nature de l’innovation ou ses différents degrés. La distinction prestation / procédé / organisation est ainsi fondée sur la nature de l’innovation. Mais on peut aussi distinguer des types d’innovation en évaluant l’intensité du changement introduit. Ces typologies sont présentées ci-après. Les articles LA NATURE DE L'INNOVATION OU LA DISTINCTION PRESTATION PROCÉDÉ ORGANISATION LES DEGRÉS DE L'INNOVATION DE LA RUPTURE À LA CONTINUITÉ LE PIÈGEDE LA DISRUPTION 10 EM Normandie Business School Les différents types d'innovation La nature de l'innovation ou la distinction Prestation Procédé Organisation L a manière la plus simple de classer les innovations est de faire référence à leur domaine d’application. On distingue classiquement dans ce cas, les innovations de prestation (produit et/ou service), de procédé (ou managériales) et enfin les innovations organisationnelles (Loilier et Tellier, 2013). L'innovation de prestation consiste à offrir un produit et/ou un service présentant au moins une nouveauté par rapport aux offres existantes et perçu comme tel par le marché visé. EM Normandie Business School 11 Cette définition très générale a le mérite d’englober tous les types d’innovation de produit ou de service. En effet, l’innovation est souvent perçue dans les médias comme une création ou une modification plus ou moins radicale d’un produit afin de proposer des fonctions nouvelles ou améliorées. Mais elle peut porter sur de purs services (par exemple développer une action de formation nouvelle qui intègre un accès à une plate-forme « e-learning ") ou, plus fréquemment, sur des services liés proposés au client en complément d’un produit : conditions d’utilisation, de distribution, de maintenance, etc. Si le premier micro-ordinateur, le lecteur MP3 ou le TGV représentent bien sûr des innovations, il en est de même pour le yaourt à boire, la restauration rapide ou la livraison à domicile de repas. L'innovation de procédé consiste en une transformation des processus industriels mis en œuvre pour concevoir, réaliser et distribuer les produits et services. Il faut souligner ici que l’impact de ce type d’innovation sur l’entreprise, son univers concurrentiel ou encore son secteur industriel, peut être tout aussi important que celui des innovations de produit les plus spectaculaires. Le procédé " float glass " de fabrication du verre, le remplissage en continu des briques de lait " Tetra Pak " et la découpe par jet d’eau, sont des exemples souvent cités. Dans une organisation, il est aussi possible travail de Ford, les démarches qualité dans les d’introduire des modifications dans les méthodes, entreprises japonaises ou, plus récemment, le Lean les façons de faire, les procédures. Dans ce cas, on Management sont de bons exemples d’innovations a pris l’habitude depuis quelques années d’utiliser managériales. l’expression " d’innovation managériale ". Celle-ci Dans d’autres cas, ce sont de nombreux procédés se définit comme la mise en place de pratiques, et processus qui sont modifiés. Dans le cas de de processus, de dispositifs de management Dell, présenté dans l’encadré ci-dessous, on a une nouveaux, qui sont significativement différents modification profonde des manières de gérer des normes habituelles. L’attention portée à ce les relations clients et fournisseurs, de fabriquer type d’innovation est motivée par l’idée qu’il y a les ordinateurs, de les livrer… Dans ce cas, les souvent une sous-estimation très forte de l’intérêt procédés et processus sont tellement nombreux à de l’innovation managériale et de ses effets sur être renouvelés que l’on peut parler d’innovation la performance de l’entreprise. La division du organisationnelle. 12 EM Normandie Business School Dell où les mérites du modèle direct C’est en 1984 que Michael Dell commence à assembler des ordinateurs pour les revendre à son entourage. Sa réputation ne cessant d’augmenter, il se met à embaucher du personnel. Dès le départ, son objectif est de devenir un " courtier en ordinateurs ". Plutôt que d’investir dans la fabrication d’ordinateurs, il préfère faire appel à un réseau de partenaires pour se concentrer sur l’activité commerciale. Très rapidement, Michael Dell va élaborer son fameux modèle de la vente directe. Il s’agit d’être en contact direct avec l’acheteur potentiel en supprimant les intermédiaires de la distribution et d’apporter un meilleur service au client en lui proposant des produits spécifiques. L’entreprise va d’abord utiliser le courrier et le téléphone puis, dès 1996, se lancer dans l’utilisation d’Internet. Grâce à Internet, Dell peut concilier personnalisation du produit et marché de masse. Chaque client se voit offrir une palette de configurations possibles (l’ordinateur " à la carte "), des délais de livraison (à domicile) très courts et un prix extrêmement compétitif. Cela a été rendu possible par une refonte complète de l’ensemble de la chaîne de valeur. De nombreux processus ont été revus : prise de commande, facturation, production, livraison... Par exemple, pour définir les ordres de livraisons aux fournisseurs sur la base des commandes clients sans ralentir le processus de fabrication, les entrepôts des principaux fournisseurs de Dell ne sont jamais situés à plus de 30 minutes de l’usine d’assemblage. Sources : Godeluck S. (2000), Le boom de la netéconomie, Éditions La Découverte, p.169-172. La Tribune, 09/02/2000. Loilier T. et Tellier A. (2001), Nouvelle économie, net organisations, EMS. Pour terminer ce point il faut ajouter que la La fabrication de la Cracotte est en effet distinction entre innovation de produit et de directement issue de la technique de cuisson- procédé est commode mais souvent discutable. extrusion bi-vis utilisée dans le secteur Ces deux types d’innovations sont souvent couplés du plastique ! lors de la réalisation de produits radicalement nouveaux. Si le code barre a été inventé au début des années cinquante par Norman Joseph Woodland et son associé Bernard Silver, il a fallu attendre 1972, et les travaux de Denis Allais, pour disposer d’un procédé d’impression fiable permettant une utilisation massive de ce système de codage. Quand Lu a commercialisé la " Cracotte ", il s’agissait de prime abord d’une innovation de produit assez banale : une nouvelle biscotte au format inédit et à la texture allégée. Cependant, derrière ce nouveau produit destiné à relancer le marché de la biscotte se cachait une innovation de procédé et un transfert de technologie. EM Normandie Business School 13 Les différents types d'innovation Les degrés de l'innovation de la rupture à la continuité Une autre façon de s’intéresser à l’innovation est de distinguer les innovations significatives, qui ont un impact considérable sur le marché et la concurrence, des simples améliorations. C ette distinction entre les degrés d’innovation repose d’abord sur l’intensité technologique du changement introduit. Dans certains cas, l’entreprise tente d’imposer une technologie nouvelle. Dans d’autres, elle peut chercher à améliorer des technologies déjà exploitées. Mais il est aussi nécessaire d’évaluer la nouveauté sur les modèles économiques en vigueur. Parfois l’innovation reconfigure la filière, le marché, modifie en profondeur les modes de consommation… On aboutit ainsi à quatre cas typiques : 14 EM Normandie Business School Comme l’indique cette figure, l’innovation radicale correspond à l’utilisation d’une technologie nouvelle sans changement sur le modèle d’affaires. Par exemple, le lancement du Compact-Disc correspond à l’introduction de la technologie numérique dans l’industrie de la reproduction sonore en remplacement de la technologie analogique. La technologie est nouvelle mais le modèle d’affaires est préservé. Quand Sony et Philips lancent le Compact-Disc, leur objectif est de relancer la vente de lecteurs de disques. Cette innovation, à bien des égards, révolutionnaire, n’a pas d’effets sur les règles du jeu sectoriel. Notamment, les métiers des acteurs de la filière ne sont pas contestés (distribution, fabrication, édition…). On réservera la dénomination de rupture à des innovations qui reposent sur des technologies à fort degré de nouveauté et qui entraînent un changement de modèle d’affaires. Des changements technologiques majeurs peuvent en effet permettre le développement de nouveaux modèles d’affaires et rendre obsolètes les anciens. Celui des géants de la photographie argentique comme Kodak, fondé sur la vente et le développement de pellicules, a été balayé par l’arrivée des technologies numériques. Les ruptures technologiques représentent pour les firmes des enjeux stratégiques particulièrement importants. Elles remettent en cause les Cependant, si les effets de la L’entreprise doit donc répondre positions acquises, introduisent rupture peuvent être brutaux, à des questions majeures de nouvelles règles du jeu, une il n’en reste pas moins que le avant d’orienter ses efforts vers nouvelle donne, éventuellement processus qui y conduit est des innovations susceptibles de nouveaux acteurs. généralement long. Si l’arrivée d’engendrer de telles ruptures : de la photographie numérique grand public a représenté une rupture particulièrement difficile Peut-on prévoir l’arrivée et à gérer pour les fabricants à la l’ampleur de la rupture ? fin des années quatre-vingt- dix (voir l’encadré suivant), le Quel est le véritable premier appareil électronique a potentiel des technologies été mis au point en 1975 chez actuellement exploitées ? Kodak et plusieurs produits ont été commercialisés dans les Quand interviendra leur années quatre-vingts sans grand remplacement ? succès. EM Normandie Business School 15 L’évaluation des choix qui technologies nouvelles. s’offrent à l’entreprise passe On parlera alors d’innovation ainsi par une analyse de la de perturbation. dynamique du développement technologique et de La presse quotidienne gratuite l’innovation. fournit un exemple de ce type d’innovation. Ses promoteurs L’introduction d’une nouvelle sont parvenus à élaborer une technologie peut conduire à proposition de valeur nouvelle des changements sur le modèle (un journal au contenu très d’affaires. factuel, sur du papier de qualité moindre mais gratuit et mis à Mais on a pris conscience ces disposition dans des lieux de dernières années que l’on peut passage) pour des clients jusque- très bien innover sur le modèle là négligés par les acteurs en d’affaires lui-même sans place (les non lecteurs de la pour autant développer des presse payante). Cette proposition a nécessité Enfin, comme l’indique différentes générations apparues une architecture de valeur la figure, l’innovation depuis correspondent à des renouvelée (pas de système de incrémentale correspond innovations incrémentales avec distribution, sous-traitance de à l’amélioration d’une une augmentation progressive l’impression, mobilisation de technologie déjà exploitée de la capacité de stockage (1 journalistes indépendants et sans modification du modèle giga, 4 gigas, 8, 16, etc.) polyvalents) et repose sur une d’affaires. équation économique nouvelle (coûts réduits au maximum, Ce genre d’innovation est pas de ventes au numéro, pas fréquent. Si son impact est d’abonnement, dépendance plus modeste, elle peut être vis à vis des annonceurs). En en revanche fort intéressante revanche, ce type d’innovation financièrement et perçue comme n’a pas nécessité d’importants moins risquée. Si l’apparition de changements d’un strict point de la première clé USB correspond vue technologique. à une innovation radicale, les Qu’est-ce qu’un modèle d’affaires ? Dans le vocabulaire du Management, ce que propose une entreprise, les clients qu’elle vise et la manière dont elle organisée constituent son « modèle d’affaires " (« business model "). Cette expression est devenue à la mode avec l’explosion d’Internet. Dans divers secteurs, de nouveaux entrants ont remis en cause les positions dominantes en bouleversant les pratiques : les fabricants de logiciels ont vu apparaître des offres gratuites " open source ", la presse quotidienne a dû faire face à des concurrents " numériques " tout comme les agences de voyages, etc. Depuis quelques années, de très nombreux travaux en Management abordent les questions de la formation, de l’utilisation et du renouvellement des modèles d’affaires. De manière simple, et comme le proposent les auteurs de l’ouvrage Strategor (2016) on peut considérer qu’un modèle d’affaires est composé de trois éléments : 16 EM Normandie Business School Une proposition de valeur pertinente 01 et attractive pour le client. 02 Une architecture de valeur Toute entreprise a pour objectif de proposer Pour être capable de proposer la prestation une prestation. Celle-ci, qu’elle soit un produit dans de bonnes conditions, l’entreprise doit et/ou un service, correspond à un ensemble mobiliser des ressources (financières, techniques, de caractéristiques qui vont être proposées matérielles, humaines) et maîtriser des processus à des clients en espérant qu’ils les valorisent. (prise de commande, planification de la C’est la raison pour laquelle ont dit que ces production, expéditions, etc.). L’architecture de caractéristiques (prix, fonctionnalités, services valeur correspond ainsi au cadre organisationnel liés, image de marque…) forment la qui permet à l’entreprise de proposer sa « proposition de valeur ". Il faut noter ici que le prestation. Certaines activités nécessaires à la client ne valorisera la prestation que s’il dispose réalisation de la prestation sont effectuées en des ressources suffisantes pour pouvoir l’acquérir interne tandis que d’autres font appel à des et l’utiliser. partenaires. Concevoir une telle architecture Par exemple, un client ne valorisera la prestation revient à se poser la question du " comment ? " d’un fabricant de meubles en kit comme Ikea (Qu’ai-je intérêt à faire en interne, à faire avec des que s’il dispose des moyens pour acheminer partenaires, et à faire-faire par d’autres ? "). les parties emballées du meuble chez lui, de l’outillage nécessaire pour le monter et des 03 Une équation économique de valeur compétences minimales pour déchiffrer la notice de montage. Bien entendu les choix faits par l’entreprise sur Tous les clients potentiels n’ont pas les mêmes ce qu’elle propose et sur son organisation ne ressources. Ainsi, la proposition de valeur sont judicieux que s’ils lui permettent, au final, s’adresse seulement à un certain type de clients d’être rentable. En d’autres termes, le modèle qu’il faut définir. Pour résumé, concevoir une est cohérent si l’ensemble des éléments qui proposition de valeur nécessite de répondre le composent permet de créer de la valeur aux questions du " quoi " (« Qu’est-ce que je économique. Les revenus, en type et en quantité, propose ? ") et du " qui " (« Quels sont les clients sont déterminés par la proposition de valeur. Les pouvant être intéressés ? "). coûts et les capitaux engagés sont déterminés par l’architecture de valeur. Bâtir cette équation nécessite de répondre à la question du " combien ". On perçoit déjà le dilemme dans lequel s’inscrit l’élaboration de la stratégie d’innovation et l’orientation de l’activité de Recherche et Développement (R&D) : faut-il continuer à améliorer des technologies déjà maîtrisées ou se lancer dans le développement de technologies nouvelles ? La réponse à cette question est difficile, essentiellement du fait que les risques encourus ne sont généralement pas les mêmes. Dans le même temps, refuser ce risque et orienter le travail de la R&D exclusivement vers l’amélioration des technologies déjà exploitées rend l’entreprise vulnérable face à l’émergence d’une rupture technologique. Nous allons développer ce point dans l'article suivant. EM Normandie Business School 17 Les différents types d'innovation lE piège de la disruption L ’histoire nous montre une prédilection La représentation graphique de ce type de pour les innovations de continuité chez les cycle se fait traditionnellement par une courbe grandes entreprises leaders de leurs secteurs. en S. En ordonnée du graphique, on retrouve Pourquoi et comment ces acteurs installés ratent la performance de la technologie étudiée le virage de la nouvelle technologie ? alors qu’en abscisse est placée la somme des investissements de R&D. Ce cycle permet de C’est la question que pose Christensen dans comprendre l’opposition entre innovation radicale ses travaux qui vont l’amener à la publication et incrémentale, et les dilemmes technologiques de son ouvrage le plus connu The Innovator's sous-jacents qui les caractérisent. L’entreprise Dilemma (1997, Harvard Business School) qui peut innover par amélioration ou par substitution introduit le concept de " disruption ". Si ce terme d’une technologie utilisée dans le produit ou sa est aujourd’hui largement utilisé, il fait référence fabrication. L’innovation incrémentale consiste à initialement à un mécanisme bien particulier qui est prolonger et remonter la courbe lié à l’évolution des technologies. en S tandis que l’innovation radicale (voire de rupture) Il est ainsi maintenant admis que les consiste à choisir une nouvelle technologies suivent des cycles de vie. Elles technologie et donc à se placer passent par des phases de naissance, de sur une autre courbe. croissance, de maturité et de stagnation. 18 EM Normandie Business School Au fur et à mesure que l’on avance sur la courbe de cycle de vie, les investissements en R&D sont de plus en plus importants pour des progrès de plus en plus minimes. La technologie va être progressivement adoptée temps de sa diffusion, la nouvelle technologie peut par l’ensemble des acteurs du secteur et devenir avoir des niveaux de performance plus faibles que une technologie de base, nécessaire à l’activité. l’ancienne. Les investissements dédiés ne vont donc En phase de maturité, l’efficacité marginale des pas se traduire immédiatement par le lancement de investissements se met à décroître. En phase de produits nouveaux plus performants. stagnation, les progrès sont de plus en plus rares, Dans son ouvrage Christensen mobilise la courbe de plus en plus onéreux. Les performances sont en S pour décrire le mécanisme de la disruption. proches du maximum théorique, la technologie Dans les premiers temps de sa diffusion, une touche à ses limites. innovation est souvent moins performante sur les critères classiques d’évaluation des produits Cette dernière phase de l’évolution de la déjà installés. Mais elle entre en cohérence technologie est principalement celle où se pose avec les attentes de non-consommateurs ou de le problème de l’innovation : faut-il mobiliser consommateurs atypiques. Grâce au soutien de ces des ressources supplémentaires pour tenter premiers adeptes, l’innovation peut commencer de déplacer encore la limite de la technologie à remonter sur sa courbe en S : ses performances considérée ou les affecter au développement augmentent continuellement et parvient à d’une nouvelle technologie ? convaincre un nombre toujours plus grand de clients. Prendre la décision d’explorer de nouvelles voies est difficile à prendre. En effet, dans les premiers EM Normandie Business School 19 Exemple du développement des disques durs Son exemple le plus souvent retenu est celui la taille n'était pas un facteur important pour du développement des disques durs dans les les premières générations d'ordinateurs les années 1970. Ces produits, largement achetés nouveaux produits n’ont pas été perçus comme par des entreprises pour stocker les données de une menace. C’est l’arrivée des ordinateurs leurs systèmes centralisés étaient essentiellement personnels qui a fait de la taille un critère évalués sur la capacité brute de stockage. Quand important de choix par les clients. les petits disques apparaissent dans les années 1980, leur faible niveau de performance sur ce critère leur interdit l’accès à ce marché existant. Mais la possibilité d’une utilisation nomade les rend très attractifs pour une clientèle au départ très limitée qui ne va cesser d’augmenter avec le développement du PC. Ainsi, comme Dans son ouvrage suivant The Innovator’s solution dans une technologie de plus en plus obsolète (2003, avec M. Raynor), Christensen enrichit son alors que l’entreprise exploratrice se focalisera analyse. Il ne pose plus uniquement le problème en sur les technologies émergentes successives sans des termes strictement technologiques mais intègre forcément parvenir à rentabiliser ses efforts. également la notion de modèle d’affaires. Il définit alors l’innovation de rupture comme une innovation La recherche d’un équilibre entre exploitation et qui introduit un nouveau modèle d’affaires et exploration est donc cruciale. Cela nécessite une montre à quel point il est délicat pour un acteur affectation " raisonnée " des investissements de installé de changer de modèle. R&D à des projets d’amélioration et à d’autres plus ambitieux mais risqués. Par exemple, le La direction d’une firme en place ne peut président de la société 3Com (solutions de réseau pas voir dans l’innovation de rupture une local pour entreprise) déclarait que dans son opportunité car celle-ci ne lui permettrait plus secteur d’activité : " Quand une société dépense d’exploiter ses ressources et compétences et 10 % de son CA en R&D, 1 % est consacré à des sa clientèle. Il y a donc une véritable " tragédie du développements risqués et 9% à l’amélioration de modèle d’affaires " : il est l’instrument de la réussite ses produits. " Il reste qu’il est difficile dans la durée de l’entreprise mais aussi ce qui la condamne en cas de maintenir un équilibre. de rupture. Dans certains cas, il faut savoir retarder le lancement Ainsi, l’entreprise doit être capable de profiter de nouveaux produits tant que les produits déjà de l’existant (innovations incrémentales) tout en commercialisés n’ont pas exploités leur potentiel préparant l’avenir (anticiper le développement de cash-flow. À l’inverse, il faut savoir parfois arrêter de nouvelles technologies). En d’autres termes, de financer l’amélioration d’une technologie proche elle doit être capable d’exploiter et d’explorer. de ses limites pour favoriser le développement d’une technologie alternative prometteuse. Le L’exploitation se définit comme l’utilisation maintien de cet équilibre est notamment délicat efficiente de savoirs existants. L’exploration est la quand la situation de la firme se dégrade. Le même découverte de nouvelles idées qui se fondent sur président reconnaissait d’ailleurs que " lorsqu’on l’expérimentation, la prise de risque (synonyme sert les coûts, ce sont les développements à risque parfois d’erreur et d’échec) et l’engagement dans qui sont arrêtés les premiers ". Une entreprise qui des directions nouvelles. Ces deux processus ne parvient à maintenir un équilibre entre exploration peuvent être exclusifs. Une organisation spécialisée et exploitation est dite " ambidextre ". dans l’exploitation s’améliorera constamment 20 EM Normandie Business School Partie 2 Le processus d'innovation Nous venons de voir les différents types d’innovation qui peuvent naître d’un effort entrepreneurial. Mais on peut aussi s’intéresser au processus qui permet d’aboutir à ce résultat. Comment le modéliser ? Quelles sont les différentes étapes ? Quels problèmes peut-on rencontrer au cours de ce processus ? Ces questions sont l’objet des développements suivants. Les articles CARACTÉRISTIQUES ET PROBLÈMES POSÉS LE DÉROULEMENT DU PROCESSUS D'INNOVATION EM Normandie Business School 21 Caractéristiques Le processus d'innovation et problèmes posés I l est habituel de représenter pharmaceutique par exemple, de l’activité d’innovation implique le processus d’innovation sous on estime généralement qu’une inévitablement des procédures la forme d’un entonnoir. Cela molécule sur 10 000 identifiées de sélection, d’évaluation mais se justifie par le fait que la plupart donne finalement naissance aussi de négociation. C’est des idées créatives ne deviennent à un médicament. D’autre part, pourquoi les idées et les projets pas des innovations à succès. les ressources financières, sont en concurrence au sein D’une part, les idées ne résistent matérielles et humaines de la firme pour l’obtention pas toujours aux procédures de l’entreprise sont forcément de ressources. de tests. Dans l’industrie limitées. Dès lors, l’organisation Une modélisation du processus d’innovation Stratégie Vision Allocation des ressources Pilotage... Idées créatives Recherches = Idée en phase Développement avec la stratégie = Idée partiellement Projet en phase avec la stratégie = Idée en décalage Lancement avec la stratégie Sources : inspiré de : Chauvel D. (2006), " L'innovation, un levier de la croissance ", Innotijmi, Marseille Innovation, 19 Octobre. 22 EM Normandie Business School Comme le souligne cette figure, travaux de R&D, l’évaluation des Cependant, la R&D reste le processus d’innovation idées, la sélection de projets, fondamentalement une activité doit être en lien direct avec plus largement l’organisation de incertaine dans laquelle le hasard, la stratégie. L’incertitude qui l’activité d’innovation. les concours de circonstances pèse sur l’activité de R&D, les ou encore les " rencontres investissements colossaux que En mobilisant les individus heureuses » jouent un rôle nécessite l’effort d’innovation autour de la vision stratégique, souvent décisif. Des exemples et, plus largement, le rôle clé de en définissant les objectifs bien connus permettent de l’innovation dans la compétitivité clés et les règles de sélection montrer l’importance des de l’entreprise, justifient une des projets, la stratégie joue évènements non programmés. implication directe de la direction ainsi un rôle majeur dans le générale dans l’orientation des processus d’innovation. Exemple du post-it 3M Dans certains cas, des produits à succès sont et Art Fry se rencontrèrent et donnèrent développés par des acteurs de l’entreprise sans naissance au Post-It. Ce produit fut un succès aucune volonté initiale des dirigeants. Le Post- colossal alors qu’il n’entrait pas a priori dans les It de 3M est ainsi né d’une série d’événements priorités stratégiques de la firme à cette époque. non planifiés. Le chercheur Spence Silver travaillait sur de Comme le montre cet exemple, nouvelles colles. Il n’obtenait il est important, mais difficile, que des pâtes gluantes au de concevoir un dispositif qui faible pouvoir collant. autorise le développement de " bons " projets même si ceux-ci On lui demanda de cesser ses sont en décalage avec la stratégie recherches. De son côté, Art officielle de l’entreprise. Fry réfléchissait sur un moyen de perfectionner le système des marques-pages. Spence Silver Accepter l’incertitude, évaluer, sélectionner, généralement dans la grande consommation, admettre la contestation des priorités stratégiques : qu’une innovation a 1 chance sur 3 de disparaître l’innovation est un processus difficile à faire vivre l’année suivant son lancement et 1 chance sur 2 au sein de l’organisation. On considère ainsi qu’il y a dans les 2 ans. trois grands types d’obstacles à surmonter. Il y a enfin des raisons plus organisationnelles : Il y a tout d’abord des raisons financières : manque de personnel qualifié, manque risque excessif, coûts trop élevés, absence de d’information sur la technologie, échec de financement… coopération, rigidités organisationnelles… Il y a ensuite des risques liés à l’introduction sur le En effet, l’activité d’innovation n’est pas naturelle marché : manque de réactivité du client, manque dans l’organisation. L’innovation perturbe, d’informations sur le marché, méconnaissance implique le renouvellement des façons de faire, de la réglementation... Sur ce point, de des compétences. Il est dès lors assez fréquent nombreuses études vont dans le même sens. Dans d’observer, à tous les nouveaux hiérarchiques et un travail sur la diffusion des " nouveaux produits " dans toutes les fonctions, des phénomènes de (sans distinction du degré de nouveauté), Andréani blocage. Cela est évidemment particulièrement (2001) concluait qu’aux États-Unis, seulement 5 % le cas quand l’innovation est radicale ou de des lancements étaient des véritables " succès " rupture, s’appuie sur des technologies nouvelles (objectifs commerciaux initiaux atteints) (10% en et/ou " emmène " l’entreprise dans des domaines Europe dans la même étude). De même, on estime qu’elle maîtrise peu ou pas du tout (un nouveau marché par exemple). EM Normandie Business School 23 Le déroulement du Le processus d'innovation processus d'innovation L es développements précédents montrent Le processus d’innovation est avant tout qu’on ne peut pas cerner le concept séquentiel sans pour autant être considéré d’innovation en se contentant de comme strictement linéaire. On admet l’appréhender comme un simple " résultat ". l’existence d’aller-retour entre les différentes L’innovation est également un " processus » phases du processus. qui engendre incertitude et instabilité. Les compétences doivent être renouvelées, la Chaque phase est pilotée par une fonction répartition des ressources modifiée, l’organisation de l’entreprise qui, si elle n’est pas la seule revue, l’univers stratégique réévalué... à intervenir, reste très prépondérante dans les orientations prises par le projet. Comment se déroule un projet d’innovation ? La représentation classique correspond à un Entre chaque phase, l’entreprise est amenée découpage en phases. Ce découpage se fonde à prendre des décisions de type sur la nature du travail à effectuer. Dans ce modèle, dichotomique : au vu des résultats déjà le développement de l’innovation est perçu atteints, doit-on continuer ou arrêter comme une succession d’activités permettant le processus ? de passer d’une idée nouvelle à de véritables développements techniques puis à une diffusion Les avantages généralement attribués à ce type commerciale. On trouve dans la littérature différents de processus sont la limitation des risques financiers types de modèle avec des nombres de phases par l’évaluation du projet à la fin de chaque phase, différents. Au-delà de leurs divergences, ces et la simplification du contrôle et du suivi par modèles sont fondés sur les principes suivants : regroupement au sein de chaque étape de tâches 24 EM Normandie Business School de natures proches sous l’autorité de cohérence de l’ensemble sont phase, ajoutée à la somme d’une fonction principale. souvent reprochés à ce modèle des temps passés à la réflexion En revanche, l’incapacité en phases. La durée totale sur la continuation du projet au développement rapide du projet est au moins égale à la et au " passage de témoin " de l’innovation et le manque somme des durées de chaque entre les fonctions. La vision séquentielle du processus d’innovation Découverte Exploration - Intuition Incubation - Formation de concept Élaboration du projet Initiation - Filtrage Adoption - Programmation Développement technique Conception - Construction de prototypes Expérimentation - Mise au point Introduction de l’innovation Présérie - Test commercial Ajustement - Lancement Diffusion Expansion - Différenciation Maintenance - Améliorations Source : inspiré de Tarondeau J.C. (1994), Recherche et développement, Vuibert, p. 41. Pour réduire la durée du Les avantages de la structure purement séquentiel. Il reste processus d’innovation et offrir intégrée sont nombreux : qu’au cours d’un projet des produits de qualité, les firmes réduction de la durée du d’innovation, la nature du ont eu tendance à intégrer dès processus, intégration de travail change. En conclusion, les phases amont les différents l’ensemble des composantes quand on cherche à représenter départements concernés fonctionnelles de l’entreprise, un projet selon la nature du (Recherche & Développement, forte réactivité par rapport travail à effectuer, on obtient production, industrialisation et à l’environnement socio- un modèle en phase. Mais marketing) dans une structure économico-technique, forte derrière ces phases successives, unique. Ainsi, toutes les activités collaboration entre les on trouve souvent une équipe liées au développement d’un différents acteurs du processus multifonctionnelle relativement produit nouveau sont effectuées d’innovation. stable. simultanément dans une entité de développement unique où Mettre en place une structure se trouve rassemblée la totalité unique, par exemple une des compétences nécessaires à équipe projet, permet d’éviter l’accomplissement du processus les dangers de l’organisation d’innovation. compartimentée et du travail EM Normandie Business School 25 Conclusion Au terme de ces développements une idée s’impose : il n’est pas naturel pour une entreprise d’innover. L’innovation contribue à modifier ou à redéfinir les ressources, les compétences et les savoir-faire de l’entreprise. Mais comme l’indique la distinction entre innovation radicale (voire de rupture) et incrémentale, ce changement peut tout aussi bien être de nature conservatoire ou déstabilisatrice. Les questions sont nombreuses : quand innover ? Sous quelle forme ? Quelle technologie utiliser ? Comment mettre en œuvre le projet ? Quelles sont les chances de réussite ? etc. Et les réponses souvent difficiles ! L’innovation doit donc se concevoir comme un processus de renforcement/destruction de compétences, plus ou moins facile à organiser. Il est notamment nécessaire de veiller à ce que les idées " subversives " ne soient pas étouffées par l’organisation. En deux mots, il faut gérer l’innovation. 26 EM Normandie Business School u i z qssons vos connaissances... Rafraîchi 1. Pour pouvoir parler 4. L’innovation 6. Une innovation qui d’innovation, il faut incrémentale consiste en : repose sur un nouveau mo- nécessairement : A) L’utilisation de savoirs dèle d’affaires peut corres- A) Une tentative de nouveaux pondre à : commercialisation B) L’exploitation d’effets A) Une innovation de B) Une fonction R&D d’apprentissage rupture C) Une invention C) Une innovation de B) Une innovation radicale D) Un travail de nature rupture C) Une innovation de économique D) Un développement perturbation d’une nouvelle D) Une innovation technologie incrémentale 2. Le lancement du Compact-Disc 7. La distinction entre correspond à : 5. Une transformation des innovation de prestation / A) Une innovation de processus industriels mis de procédé / d’organisation produit en œuvre pour concevoir, est fondée sur : réaliser et distribuer les B) Une innovation de A) Le degré de nouveauté produits et services corres- rupture de l’innovation pond à : C) Une innovation radicale B) La nature de A) Une innovation de D) Une stratégie de rupture l’innovation produit B) Une innovation de C) La technologie utilisée service D) Le modèle d’affaires 3. La presse quotidienne utilisé C) Une innovation de gratuite fournit un bon procédé exemple d’innovation : D) Une innovation de A) De perturbation rupture B) Radicale C) Incrémentale D) De Rupture Réponse 1 : AD. Réponse 2 : AC. Réponse 3 : A. Réponse 4 : B. Réponse 5 : C. Réponse 6 : AC. Réponse 7 : B. EM Normandie Business School 27 Dossier Pourquoi manager l'innovation ? 28 EM Normandie Business School Introduction D e nombreux dirigeants Dans de nombreux secteurs, dynamique du développement sont convaincus qu’ils ces changements sont souvent technologique et des tendances doivent favoriser brutaux et rapides. Dans la du marché.L’objectif des l’innovation sous peine de voir photographie, le numérique développements suivants leurs positions concurrentielles a remplacé l’argentique. Dans est de vous fournir des clés se détériorer. Mais les projets l’automobile, le moteur électrique de compréhension de cette d’innovations perturbent les remplacera peut-être le moteur dynamique et de vous alerter sur organisations car ils consomment à explosion. Les conséquences les pièges à éviter. des ressources et remettent en de l’apparition de telles cause les compétences et les ruptures technologiques sont Dans une première section, nous façons de faire historiquement considérables : obsolescence aborderons les niveaux d’action établies. L’entreprise doit accélérée des offres du management de l’innovation, notamment abandonner les commercialisées, bouleversement les points de blocage et les technologies qu’elle maîtrisait des positions concurrentielles, pièges typiques. Les erreurs pour se lancer dans des effondrement des barrières à classiques dans l’évaluation des développements coûteux et l’entrée, remise en cause des technologies et du marché seront risqués. modèles économiques… Pour abordées dans les deux sections innover, une entreprise doit avoir suivantes. une compréhension fine de la Pour innover, une entreprise doit avoir une compréhension fine de la dynamique du développement technologique et des tendances du marché. EM Normandie Business School 29 Partie 1 Les niveaux d'action du management de l'innovation À l’intérieur de l’organisation, les innovations sont très déstabilisantes. Elles remettent cause les habitudes de travail, nécessitent des compétences nouvelles et même parfois une redistribution des pouvoirs. Ainsi, il est fréquent d’observer à tous les niveaux hiérarchiques des attitudes de résistance au changement et un attachement profond aux schémas traditionnels. Au-delà des particularités de chaque contexte, il est possible de repérer des invariants, des défis et des problèmes que l’on rencontre dans tous les domaines où l’on cherche à innover. Les articles LES PRINCIPAUX POINTS DE BLOCAGE LES PIÈGES AUXQUELS DOIT FAIRE FACE L'ENTREPRISE INSTALLÉE 30 EM Normandie Business School Les niveaux d'action du management de l'innovation Les principaux points de blocage courroies de transmission et non des forces de proposition. R éussir à manager Les chercheurs Greg Stevens et l’innovation, c’est James Burley (1997) ont montré surmonter des points que dans seulement un cas sur de blocage qui surviennent dix une personne qui a une idée à différents niveaux : acteurs, nouvelle dans le cadre de ses projets, organisation stratégie, activités professionnelles trouve environnement. le temps, l’énergie et l’envie de la formaliser pour la défendre Les intuitions de ces acteurs, auprès de sa hiérarchie ! les initiatives qu’ils prennent, leur force de conviction, leurs traits de personnalités aussi, L’innovation est tout d’abord une affaire jouent un rôle décisif dans de personnes. l’émergence des idées nouvelles Si les opportunités technologiques, et leur concrétisation dans des les dispositifs organisationnels, ou encore produis, procédés ou services les pratiques managériales fournissent nouveaux. Sans incitation, sans un terreau plus ou moins propice dispositif dédié, les acteurs au développement des projets, sans d’une organisation peuvent " innovateurs ", pas d’innovation ! se comporter comme des EM Normandie Business School 31 L’innovateur est convaincu Épaulé par une équipe, l’innovateur doit atteindre de la justesse de ses propositions des objectifs, dans des délais fixés et en respectant et obstiné. Il est prêt à consacrer beaucoup les budgets alloués. C’est le temps du projet. de temps et d’énergie à développer, tester, Les idées se précisent, certaines perspectives sont convaincre. Mais pour parvenir à ses fins, il doit abandonnées tandis que d’autres surviennent obtenir des ressources financières, matérielles, chemin faisant. Le temps du projet est celui humaines. Celles-ci lui sont données par des des contraintes, des objectifs à atteindre, décisionnaires, investisseurs ou supérieurs des négociations à mener au sein de l’équipe, hiérarchiques convaincus du potentiel de l’idée. du timing à respecter… Ces structures temporaires que sont les projets comptes et à faire des compromis. Cette relation ne sont pas des iles isolées du reste du monde. du " Je t’aime moi non plus " génère fréquemment, Elles existent au sein d’organisations qui ont et à tous les niveaux hiérarchiques, des décalages leurs propres objectifs à atteindre et leurs règles profonds entre les discours et les pratiques et des de fonctionnement. Les projets perturbent les tensions entre les personnes impliquées. organisations car ils consomment des ressources Mais alors, si l’innovation est souvent synonyme que d’autres voudraient bien récupérer et remettent de tensions, de risques, de dérives et d’échecs, en cause les façons de faire historiquement établies. pourquoi l’entreprise devrait-elle chercher à C’est le paradoxe de l’innovation. Elle parait vitale innover ? Classiquement, on attend des dirigeants pour l’organisation mais contribue dans le même qu’ils assurent la survie et le développement temps à la déstabiliser. Méfions-nous des discours de l’organisation dont ils ont la charge. Or, les qui vantent les qualités de certaines entreprises qui changements technologiques, les évolutions auraient " l’innovation dans leur ADN ". Innover n’est sociétales, les manœuvres des concurrents et jamais naturel pour une organisation. On voudrait la les tentatives des nouveaux entrepreneurs sont privilégier mais elle fait peur. susceptibles de remettre en cause la position de Les dirigeants veulent que des propositions l’entreprise. Il est donc nécessaire de régulièrement nouvelles voient le jour mais celles-ci impliquent modifier son offre sur le marché pour éviter le un renouvellement des façons de faire qu’ils ne déclassement. L’innovation est stratégique car elle sont pas toujours prêts à accepter. Dans le même permet de renforcer la compétitivité de l’entreprise temps, les innovateurs courent après les soutiens, sur les marchés qu’elle exploite déjà ou sur d’autres les financements et les signes de reconnaissance, qu’elle ne visait pas jusqu’à lors. mais sont souvent peu enclins à rendre des 32 EM Normandie Business School Toute la difficulté tient dans l’équilibre à trouver le territoire, jouent un rôle souvent prépondérant. entre les impératifs de court-terme qui peuvent En 2014, une étude réalisée pendant deux ans par inciter à " faire toujours plus de la même chose » Médiamétrie sur l’Ile de France a montré que, 61 % et ceux de long-terme qui nécessitent parfois des entreprises franciliennes interrogées (4000) des changements profonds. ont dû abandonner des projets d’innovation par Les dirigeants doivent montrer la voie à suivre, fixer manque de financement, 40 % faute de trouver des objectifs, allouer les moyens nécessaires pour des partenaires, 34 % car ils ne collaient plus aux les atteindre et convaincre les parties prenantes nouvelles attentes du marché et 33 % par manque (salariés, actionnaires, investisseurs, partenaires…) de temps. Encore plus éloquent : 94 % des sociétés de la justesse de leurs choix. En d’autres termes, localisées en Ile-de-France ayant cherché à innover ils doivent élaborer une stratégie. Les projets en 2013 n’ont pas bénéficié d’aides à l’innovation. d’innovation seront évalués, sélectionnés, et parfois abandonnés, au regard de cette stratégie. On ne Finalement, des acteurs prennent des initiatives, peut comprendre le processus d’innovation d’une produisent des idées nouvelles et les développent entreprise qu’en intégrant ses priorités stratégiques. au sein de projets hébergés dans des organisations qui ont des objectifs stratégiques à atteindre et Notons enfin que l’environnement peut être qui évoluent dans des environnements plus ou lui aussi plus ou moins propice à l’innovation. moins propices. C’est ce contexte qui produit des L’environnement politique, légal, fiscal mais aussi innovations. Finalement, trois priorités peuvent être relevées : L’entreprise doit faire preuve, via sa stratégie, de capacité de réaction, de prise d’initiative et de remise en cause des règles de fonctionnement. L’organisation doit permettre à des acteurs aux compétences diverses et complémentaires de développer des idées et activités nouvelles (projets) sans perturber l’ensemble de la structure. Les individus, doivent trouver les occasions de se régénérer, de faire des propositions et de faire des erreurs. EM Normandie Business School 33 Les niveaux d'action du management de l'innovation Les pièges auxquels doit faire face l'entreprise installée O n le voit, les questions développées par d’autres, solutions courantes. On parle à traiter tout au long notamment de nouveaux alors de " myopie stratégique ". des projets d’innovation entrants (syndrome du Not Plus largement, les succès initiaux sont nombreuses et se posent à Invented Here). poussent à l’inertie et incitent les différents niveaux. On comprend dirigeants à rester fidèles à ce qui pourquoi l’innovation déstabilise Les managers d’une organisation a fait leur succès. On cherche à souvent les entreprises. Cette qui a dominé son marché sur réaliser " toujours mieux la même déstabilisation due à l’innovation longue période peuvent avoir chose " plutôt qu’à s’engager touche en particulier les firmes du mal à reconnaître que de dans des programmes qui qui sont implantées depuis petites entreprises sont en train remettraient en cause les choix longtemps dans leurs secteurs, d’inventer le futur. Frileux face précédents. En d’autres termes, voire qui en sont les leaders. au changement, ils répondent à l’entreprise est victime de son ces nouvelles pratiques par des succès : ce qui a été à l’origine Il est en effet difficile pour une solutions solidement éprouvées. de sa réussite devient la cause entreprise, qui possède une Les réponses nouvelles, qui de son déclin (« Le paradoxe longue expérience du secteur remettent en cause les schémas d’Icare ", selon l’expression du d’activité, de reconnaître préétablis, ne seront envisagées chercheur Canadien Danny qu’il est nécessaire d’adopter que dans une seconde étape, Miller). L’encadré suivant fourni un des solutions nouvelles après l’échec manifeste des exemple éclairant. 34 EM Normandie Business School Les dangers du manque d'innovation Dans l’informatique au début des années quatre-vingt-dix, la disquette 3.5 pouces est le standard des supports amovibles de stockage de données. Cependant, leur faible capacité de stockage (1,44 Mo) et la lenteur de transfert des données (lecture/écriture) commencent à poser problème à une époque où l’utilisateur doit gérer de plus en plus de gros fichiers et où la capacité des disques durs augmente considérablement. En 1994, Iomega commercialise une nouvelle solution de stockage baptisée Zip. Les disques Zip ressemblent à une disquette traditionnelle (plus épaisse) mais sa capacité est désormais de 100 Mo. Ce nouveau support, incompatible avec les précédents, repose sur une technologie magnétique. Iomega propose des lecteurs périphériques que l’on peut brancher sur n’importe quel ordinateur. Au-delà d’une capacité de stockage considérablement augmentée pour un objet nomade, Iomega propose également des fonctionnalités de sécurité et d’archivage susceptibles d’intéresser Le succès est immédiat. En 1997, Iomega a les particuliers et les professionnels. vendu plus de 10 millions de lecteurs externes. La diffusion rapide de ce support intéresse les fabricants d’ordinateurs qui commencent à équiper leurs machines de lecteurs internes. Pour faire face à cet engouement, la direction décide de développer sa capacité de production. Une usine dédiée est ainsi installée en Malaisie. En parallèle les investissements en R&D sont revus à la hausse (19,6 millions Cependant, dès 1997, le CD-RW apparaît de $ en 1995, 78 millions de $ en 1997) afin comme un support de stockage alternatif. d’améliorer la technologie magnétique. Fondé sur une technologie optique, il a la forme d’un Compact Disc. Alors que de plus en plus d’acteurs parient sur cette technologie, la direction d’Iomega préfère se focaliser sur l’amélioration des performances du Zip. Une version de 250 MB est commercialisée en 1998. En 2002, c’est un disque Zip de 750 Mo qui Il est pourtant trop tard, le CD-RW, moins cher est proposé. Le design des lecteurs est revu, la et plus performant, s’est définitivement imposé. gamme est élargie… À trop vouloir renforcer ses compétences dans le domaine des technologies magnétiques, Iomega n’a pas su anticiper la rupture introduite par la technologie optique. Le disque Zip ne deviendra jamais un standard de l’informatique. Il est progressivement retiré du marché à partir de 2005. Source : " Caira P. et al. (2002), " The rise and fall of the Iomega drive ", MBA Dissertation, INSEAD, January. EM Normandie Business School 35 Partie 2 Apprécier le potentiel des technologies de demain : Des erreurs typiques P our innover, une entreprise doit mobiliser diverses technologies qui lui permettront de proposer une prestation nouvelle sur un marché. Il faut donc concilier technologie et marché. Une technologie est un ensemble complexe de connaissances scientifiques et techniques (savoir-faire et procédés) dont la maîtrise permet la conception de produits (ou de services) et leur production industrielle. Les technologies utilisées par l’entreprise peuvent être plus ou moins nouvelles, développées par l’entreprise en interne ou acquises auprès de partenaires. Chacune de ces technologies possède sa dynamique propre : elle apparaît, progresse, stagne pour être ensuite remplacée par une autre. Évaluer le potentiel d’une technologie est évidemment une tâche délicate mais importante. Le choix entre continuité ou rupture passe en effet par la prévision et l’évaluation des discontinuités technologiques qui peuvent tour à tour être analysées comme des menaces ou des sources d’avantages concurrentiels. Évaluer le potentiel d’une technologie prometteuse est un exercice délicat qui revient généralement aux ingénieurs de la fonction Recherche & Développement R&D). Dans ses recherches sur les flops technologiques, Nicolas Nova (2011) relève trois erreurs typiques : La focalisation exclusive sur la technologie ; La focalisation excessive sur le marché actuel ; L’absence de considération de l’écosystème dans lequel la technologie doit s’insérer. Les articles UNE FOCALISATION EXCLUSIVE SUR LA TECHNOLOGIE UNE FOCALISATION EXCESSIVE SUR LE MARCHÉ ACTUEL L'ABSENCE DE CONSIDÉRATION DE L'ÉCOSYSTÈME DANS LEQUEL LA TECHNOLOGIE DOIT S'INSÉRER 36 EM Normandie Business School Apprécier le potentiel des technologies de demain : Des erreurs typiques Une focalisation exclusive sur la technologie L e travail à réaliser dans les phases amont les ingénieurs en charge du projet peuvent se d’un projet d’innovation est généralement contenter de simplifications dangereuses ou se de nature scientifique et technique et la R&D rassurer en s’appuyant sur l’existant. Parmi les joue un rôle prépondérant. Le pilotage exercé raccourcis qui peuvent légitimer le projet mais par cette fonction et les difficultés que l’on peut également l’orienter vers des chemins dangereux, rencontrer dans les échanges et négociations avec les croyances que l’innovation " va simplifier la vie les autres fonctions (le Marketing et la Production des gens " ou quelle " s’inscrit dans l’air du temps ", notamment), incitent parfois à une focalisation sont des syndromes souvent observés. excessive voire exclusive sur les " possibilités Or, la diffusion d’une innovation ne dépend pas techniquement réalisables ". L’intégration de uniquement de ses caractéristiques mais aussi considérations liées au marché et aux usages reste de sa cohérence avec le contexte qui l’accueille. superficielle. On pense pouvoir commercialiser Il est donc particulièrement dangereux de miser l’innovation en misant sur ses qualités intrinsèques. uniquement sur un éventuel saut de performance Puisqu’il leur est difficile de dessiner l’avenir, rendu possible par l’innovation. EM Normandie Business School 37 Apprécier le potentiel des technologies de demain : Des erreurs typiques Une focalisation excessive sur le marché actuel Comment définir le marché propice à l’innovation alors que celle-ci ne sera commercialisée que dans plusieurs années ? C ette question est difficile excessive sur le marché actuel, l’apparition des premiers micro- à aborder notamment les segments de masse et/ou les ordinateurs, IBM a demandé aux pour des personnes de plus rentables. responsables informatiques de la R&D qui peuvent se sentir très ses clients les plus importants éloignés des clients futurs. C’est Cette démarche peut paraître ce qu’ils pensaient de cette pourquoi il peut être tenant de judicieuse puisqu’elle vise à innovation. Tous ont répondu raisonner par rapport aux clients innover sans remettre en cause qu’elle n’avait aucun intérêt. À que l’on connait déjà et qui nous le marché qui a précédemment l’inverse, les nouveaux entrants rapportent du chiffre d’affaires ! fait le succès de l’entreprise. Elle comme Apple, qui n’avaient Ainsi, la prise de conscience peut d’ailleurs recevoir pendant pas encore de clientèle des enjeux liés à l’intégration de quelques temps la bénédiction importante mais qui étaient très considérations sur le marché de quelques clients clés. liés aux cercles d’amateurs de peut conduire à une focalisation micro-informatique, ont reçu N’oublions pas que le client est de leur marché des signaux souvent lui-même conservateur et complètement différents. hostile au changement puisqu’il L’exemple du visiophone relaté perçoit d’emblée que l’innovation dans l’encadré suivant permet est de nature à remettre en d’illustrer ces deux premières cause ses investissements erreurs typiques. précédents, ses habitudes, ses compétences... Lors de Quand l’ajout d’une fonctionnalité n’améliore pas le produit Associer le son et l’image : imaginés dès les années 1930, les appareils permettant d’ajouter la vidéo aux conversations téléphoniques semblent devenir une réalité en 1964 quand AT&T dévoile son « Picturephone " à la New York World’s Fair. Les visiteurs de l’exposition sont émerveillés devant cet objet futuriste. En 1968, Stanley Kubrick dédiera une scène de son film " 2001 L’odyssée de l’espace » au Picturephone. En 1969, l’appareil est enfin commercialisé et des cabines équipées sont mises en place dans plusieurs villes américaines. Pourtant, les consommateurs n’adoptent pas ce système. AT&T arrête la production en 1972 et tous les appareils sont retirés en 1978. La firme américaine se tourne alors vers le marché professionnel mais là encore le succès n’est pas au rendez-vous. Pour les concepteurs, pas de doute : le prix des communications et un décalage voix-son expliquent cet échec. 38 EM Normandie Business School En 1992, nouvel essai avec le lancement du " Vidéophone ". Le produit a été nettement amélioré : le décalage voix-son a été réduit, la qualité visuelle est meilleure, les prix ont été revus à la baisse. Pourtant, les ventes n’ont jamais décollé. Les modèles lancés dans les années suivantes par Bosch ou installés par Telecom Italia connaîtront le même destin. Pourquoi de tels échecs à répétition ? Deux points méritent d’être mis en exergue. D’une part, là où les ingénieurs ont vu une fonctionnalité supplémentaire, un " plus produit " qui s’imposerait de lui-même, les usagers ont plutôt perçu une contrainte. Une expérience menée à la fin des années quatre-vingts en France (Biarritz) avec un millier de visiophones a donné des résultats intéressants. Tout d’abord, les usagers n’ont pas apprécié le caractère " intrusif " de l’image. Ensuite, ils ont perçu l’impact de l’image sur la conversation : il est plus difficile d’être agressif ou de mentir avec l’image. Il est, en outre, délicat de refuser l’image ou de l’éteindre pendant la conversation. Enfin, l’image amène une contrainte nouvelle : on ne peut rien faire d’autre pendant que l’on téléphone. D’autre part, AT&T a considéré son produit comme l’amélioration d’un service destiné à un marché déjà existant, le téléphone. Dès lors, on a visé d’emblée ce marché de masse sans le préciser. Installer directement des visiophones dans les cabines téléphoniques n’a pas beaucoup de sens. Au contraire, ce type de système peut être utile pour des communautés, des familles dispersées ou des clients ayant des besoins spécifiques (malentendants ou muets par exemple). Finalement, cet exemple nous montre que l’ajout d’une fonctionnalité nouvelle à un produit ne l’améliore pas forcément aux yeux de ses utilisateurs. Sources : Nova N. (2011), Les flops technologiques. Comprendre les échecs pour innover, FYP éditions, p. 37-44. Nosengo N. (2010), L’extinction des technosaures. Histoires de technologies oubliées, Belin, p. 140-148. EM Normandie Business School 39 Apprécier le potentiel des technologies de demain : Des erreurs typiques L'absence de considération de l'écosystème dans lequel la technologie doit s'insérer D ans de nombreux cas, l’innovation, technologies complémentaires, pour fonctionner et être utile, a besoin d’un " écosystème " favorable. du soutien de différents acteurs : des partenaires industriels, des organismes de Dans ce type de situation, le processus d’adaptation réglementation et de normalisation, des offreurs de de l’innovation à son milieu (et inversement le services complémentaires, des distributeurs, des développement d’un milieu propice) s’étend prescripteurs, etc. Si les concepteurs n’abordent généralement sur un temps long que l’on a pas des questions comme " De qui avons-nous tendance à sous-estimer. besoin ? », " Avec quoi le client va-t-il combiner notre offre ? ", " " Quelle est la prestation L’exemple du développement de la carte à complète ? ", ils prennent le risque de proposer puce développé dans l’encadré suivant illustre une innovation qui se révèlera finalement peu

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