Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales PDF

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This article examines the genesis and development of a system for classifying departmental archives in France. It explores the historical context and the challenges of organizing archival materials. The author discusses the reports, instructions, and the role of the ministerial officials in the process.

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La Gazette des archives Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales Julie Lauvernier Citer ce document / Cite this document : Lauvernier...

La Gazette des archives Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales Julie Lauvernier Citer ce document / Cite this document : Lauvernier Julie. Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales. In: La Gazette des archives, n°229, 2013-1. Varia. pp. 23-40; doi : https://doi.org/10.3406/gazar.2013.5187; https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2013_num_229_1_5187; Fichier pdf généré le 13/03/2024 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales1 Julie LAUVERNIER Après avoir assuré, dès 1838, des ressources aux Archives départementales, Charles-Marie-Tanneguy Comte Duchâtel, ministre de l’Intérieur, souhaita les mettre en ordre. Cependant, le Rapport au Roi du 8 mai 1841, formulait qu’ « il était aisé de concevoir que la situation d’un grand nombre d’archives départementales soit restée déplorable ». Il n’y a d’ailleurs, poursuivait-il, « ni système fixe de classement ni régularité dans la disposition matérielle. Si quelques essais […] ont eu lieu à de longs intervalles, les traces en ont presque entièrement disparu »2. L’incurie était telle que le ministre s’était résolu à diffuser une instruction en date du 24 avril 1841 sur la mise en ordre et le classement des archives des départements, afin de « donner une direction régulière aux travaux commencés de toutes parts »3. L’instruction précisait que préalablement au classement matériel des archives par fonds, il était indispensable de « fixer l’ordre dans lequel ces fonds dev[aient] être disposés »4. Cet ordre n’était pas laissé à la sagacité de l’archiviste mais imposé par un « cadre » rejeté en annexe de l’instruction. Support normatif pour l’administration, il fut imposé sans explication. 1 Cet article est issu de notre thèse, nous nous permettons de renvoyer à : LAUVERNIER (Julie), Classer et inventorier au XIXe siècle. Administration des fonds et écriture de l’histoire locale par l’archiviste dijonnais Joseph-François Garnier (1815-1903), Doctorat (histoire) : Université de Bourgogne, 2012, inédit. 2 DUCHATEL (Charles-Marie-Tanneguy comte), « Rapport au roi sur les Archives départementales et communales », Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Paris, P. Dupont, 1841, p.141. 3 Instruction du 24 avril 1841 pour la mise en ordre et le classement des archives départementales et communales, Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Paris, P. Dupont, 1841, p.90. 4 Ibid. La Gazette des archives, n° 229 / année 2013-1 Julie Lauvernier S’enquérir de l’existant Afin d’élaborer, dans ses divers éléments, l’instruction du 24 avril 1841, le ministre Duchâtel se fit rendre compte de la nature des archives des départements au travers de « l’étude de la composition générale des archives des préfectures d’après les inventaires ou les comptes rendus transmis » au ministère, « la comparaison des méthodes adoptées par les archivistes des départements » et enfin « les travaux réalisés à la Section administrative des Archives du royaume »1. Connaître l’état des archives locales François Guizot proposa l’envoi de missionnaires élèves de l’École des chartes entre 1833 et 1838. Les deux premiers furent Louis Rédet (1807-1881) et Claude Chelle (1807-1848). Ces émissaires du ministre de l’Instruction publique se trouvèrent temporairement missionnés afin de servir les ambitions du comité des Travaux historiques. Chelle et Rédet2 reçurent consigne de commencer par rendre compte au ministre de l’état et de la composition des archives, de la nature des pièces et de l’état du classement. Plus scientifiques que techniques, les instructions laissées aux élèves-missionnaires par le ministre n’en étaient pas moins claires. Il était attendu qu’ils effectuent deux tâches élémentaires principales. Indépendamment de la mise en ordre des documents dont se composaient les archives, les élèves missionnaires devaient envoyer un rapport général concernant l’ensemble du dépôt, la nature des pièces qui pouvaient s’y trouver, leur nombre approximatif siècle par siècle et l’importance réelle du dépôt. Ce premier rapport devait être suivi d’un second sur l’état des inventaires ou des catalogues, s’il en existait, et sur les moyens qu’il y aurait dans le cas contraire d’en dresser un3. Dès 1837-1838 d’autres élèves furent envoyés dans les dépôts provinciaux ; Charles Louandre fut mandaté dans la Sarthe, Marius Clairefond dans l’Allier, Auguste Vallet de Virille dans l’Aube. Il obtint, vraisemblablement, des rapports lui indiquant les systèmes de classement entrepris4. Fort de ces premiers retours et afin de 1 Ibid. 2 A.N. : F17 4052, Archivistes départementaux. Archives de Lyon, envoie d’une lettre du ministre à M. Champollion-Figeac, du 9 octobre 1834. 3 Ibid. Lettre jointe émanant du ministre et destinée à Chelle, s.d. 4 MOORE (Lara J.), Restoring Order. The Ecole des Chartes and the organization of Archives and Libraries in France, 1820-1870, Duluth Minn., Litwin books, 2008, p. 112-116. 24 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales compléter ses connaissances, malgré tout parcellaires, Duchâtel fit parvenir aux préfets une circulaire, en date du 8 octobre 1839, qui requérait que lui soit précisée la nature des pièces conservées dans chaque département1. Tous les préfets, dans la mesure de leurs connaissances sur le sujet, donnèrent réponse2. Natalis de Wailly et l’expérience de la Section administrative des Archives nationales3 Parallèlement à ces enquêtes au sein même des dépôts provinciaux, la Section administrative expérimentait depuis le début des années 1831 une méthode nouvelle de classement. Succédant à l’abbé Guiter et secondé par deux employés, Natalis de Wailly prit la tête de la Section administrative le 1 er décembre 1830. Confronté à des versements irréguliers, produits du ministère de l’Intérieur et des services qui lui furent successivement détachés, le jeune chef entreprit de les débrouiller du chaos et de s’occuper « du mouvement des papiers de la Section » 4 ; évoquant deux mois plus tard, suite à la pression exercée par les bureaux, le projet d’« une révision complète des papiers de la section administrative » 5 pour les lettres E, F, G, H des quatre séries de la Section telles que les avaient définies Pierre-Claude- François Daunou (1761-1840) dans son Tableau systématique des archives de l’Empire de 1811. En novembre 1831, Natalis de Wailly fait état à Daunou de son projet de révision des papiers de la Section promettant de lui soumettre un exposé sommaire6. La Section administrative des Archives fit parvenir une une première note7 , puis un second « Projet de classement », de la main de 1 A.D.C.O. : XXII T 4/2, situation du service 1830-1859. Circulaire n° 76, demande de renseignements sur la nature, l’importance et la situation de ces archives du 8 octobre 1839. 2 Voir les notices annexées au rapport au Roi du 8 mai 1841. 3 Sur le sujet voir les travaux de : OGILVIE (Denise), « Natalis de Wailly : du classement de la série « versements des ministères » à la théorie du respect des fonds », à paraître Actes du colloque archives et histoire dans l’Europe du XIX e siècle. A la racine de l’identité culturelle européenne, Florence, 4- 7 décembre 2004. [en ligne : http://www.archiviodistato.firenze.it/atti/aes/ogilvie.pdf] ; OGILVIE (Denise), « De Daunou à Natalis de Wailly : le cadre de classement à l’épreuve du principe de respect des fonds », dans AUBRY (M.), CHAVE (I.), DOOM (V.), Archives, archivistes et archivistique dans l’Europe du Nord-Ouest du Moyen-Age à nos jours. Entre gouvernance et mémoire, CEGES-Lille 3, 2006. 4 A.N. : AB X 3, Rapports mensuels du Chef de la Section Administrative, septembre 1831. 5 Ibid., novembre 1831. 6 Ibid. 7 Introduction, dans État sommaire des versements faits aux Archives nationales par les ministères et les administrations qui en dépendent (Séries F, BB, Justice et AD XIX). Tome premier avec une introduction de M. Ch.-V. Langlois membre de l’Institut directeur des Archives, Paris, Imprimerie nationale, 1924, p. LXXIV. 25 Julie Lauvernier Natalis de Wailly1. Il avait été décidé que les papiers de la série F admettraient d’abord deux divisions principales : « 1° le Ministère de l’Intérieur ; 2° Ministères autres que celui-là »2. Le ministère de l’Intérieur comprenant à lui seul la presque totalité de la série F, en supposant que ce ministère avait dans ses attributions les cultes, l’instruction publique et la police qui avaient formées, à certaines époques, des ministères particuliers, il avait en conséquence été établi pour le classement des papiers de ce ministère 10 séries et 22 subdivisions3. Ensemble de séries et de matières d’intérêt général, pour reprendre les mots de Charles-Victor Langlois, regroupées sous des intitulés thématiques, ce plan de classement de la série F anticipe l’élargissement et la spécialisation des domaines d’intervention des dossiers provenant d’un appareil administratif en constante évolution. L’intervention de Natalis de Wailly n’a pas seulement eu pour effet de donner à la série F une forme, elle inspira l’instruction du 24 avril 1841 et notamment le cadre de classement. Élaborer un cadre pour servir au classement des différents fonds d’archives conservés dans les dépôts dépendant des préfectures La volonté manifestée par Natalis de Wailly d’étendre sa méthode aux autres séries de la Section administrative traduit la résonnance dont peut se targuer le cadre de classement des Archives départementales. Pour entrevoir et comprendre sa genèse et les repentirs de sa préparation, il nous faut suivre les notes manuscrites conservées dans les papiers Louis-Léon Gadebled à la Bibliothèque nationale de France. Reliquats des années passées par Gadebled comme chef du Bureau du ministère de l’Intérieur, ces feuillets épars, isolés, non datés sont cependant les seules traces tangibles du bouillonnement intellectuel dont le cadre de classement des archives départementales est le fruit. 1 A.N. : AB XIV 1, Section administrative, inventaires et notes. Inventaires, notes, états et rapports relatives à la partie administrative proprement dite et communs aux séries E, F, G, H (1809-1856). Inventaires et notes relatives aux séries E, F, G, H gérés par la Section administrative, 1817-1853. Série F-administration générale de la France : projet de classement de la série, s.d. 2 Ibid. Projet de classement donné pour les papiers de la série F de la section administrative, s.d. 3 Annexe n° 1. 26 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales Une tentative de cadre de classement Retenant la césure de 1789, le cadre de classement se partageait entre 7 séries des lettres A à G pour les archives antérieures à 1789 elles-mêmes subdivisées entre archives civiles et archives ecclésiastiques et offrait, pour les archives postérieures à 1789, un découpage en 10 séries distinctes des lettres H à R1 comprenant « les archives départementales proprement dites » qui ne formaient déjà aux yeux des archivistes qu’un seul fonds en ce sens qu’elles appartenaient entièrement au seul département qu’elles concernaient. Si la première partie du cadre de classement avait déjà sa physionomie définitive, proposant un découpage par matière, sous-matière et par fonds, la seconde partie, en revanche, soumettait une mine singulière. « Si l’on considère la relation entre les pièces qui les composent et les attributions des différents ministères, on peut encore en déterminer les divisions principales d’après un principe analogue de celui de la distinction des fonds. C’est par ce motif qu’on a indiqué les séries J, K, L, M, N, O, P, qui correspondent chacune à un ministère particulier »2. Les divisions principales étaient déterminées en fonction des relations qu’entretenaient les pièces qui composent le fonds départemental et les attributions des différents ministères. Les séries J à P représentent chacune un ministère avec lesquels les préfectures entretenaient des liens étroits et des relations constantes. La série H consacrée aux collections de Bulletins des lois, du Moniteur, etc. servait de complément pour les temps modernes aux recueils d’Édits, d’Ordonnances, etc. classés dans la première subdivision de la série A ; quant aux papiers d’affaires locales qui ne se rattachent à aucun ministère, ils formaient une série particulière désignée par la lettre Q, enfin la lettre R comprenait les affaires qui ne rentraient pas dans les séries précédentes 3. Les archives départementales proprement dites La singularité du plan proposé pour les archives postérieures à 1789 est pourtant toute relative puis qu’on y retrouve presque en décalque, pour la série J-Ministère de l’Intérieur, les 22 subdivisions, à l’exception d’une distinction entre la police et la garde nationale, établies à la faveur du « plan général de classification » pour la série F. Administration générale de la France de la Section administrative des Archives nationales. La tentative de transposition est 1 Annexe n° 2. 2 BnF. : N.A.F. 21578, Papiers Louis-Léon Gadebled (V) Commission des archives. Instruction pour le classement des archives conservées dans les dépôts dépendant des Préfectures, f° 355. 3 Ibid. 27 Julie Lauvernier patente. Par ailleurs, comme dans le plan général de classification, il n’a pas été tenu compte des changements qui ont modifié soit le nombre soit les attributions des différents ministères. « Pour établir ce cadre, il était indispensable de ne pas tenir compte des changements qui ont modifié, soit le nombre, soit les attributions des différents ministères. […] On a donc considéré le ministère de l’Intérieur comme comprenant outre ses attributions actuelles, l’Agriculture et le commerce, les Travaux publics, l’Instruction publique et les Cultes » 1. Il ne s’agissait pas non plus prétendre faire une énumération complète des subdivisions qui devaient être établies par des archivistes lorsqu’ils s’occuperaient du classement de la série J-Ministère de l’Intérieur. Il paraissait évident que les titres Personnel, Administration départementale, etc., devraient admettre chacun plusieurs subdivisions, « mais il aurait été difficile de faire entrer dans un cadre tous les développements »2. Les principales lignes avaient alors été tracées pour guider les archivistes dans le classement des papiers qui se rattachent au ministère et avec lesquelles les préfectures ont les relations les plus nombreuses et les plus importantes. « Ces indications n’auraient pas eu la même utilité pour les séries suivantes »3 précisait-on ; les cadres de classement sur le modèle de waillyien n’existaient pas pour les autres ministères. Les archivistes pouvaient, s’ils le jugeaient à propos, adopter pour les papiers qui s’y trouvaient compris, un classement conforme aux attributions des bureaux de leur préfecture, mais en maintenant toujours la séparation établie par ce cadre entre les différentes séries et en distinguant les matières de chaque série avec la plus scrupuleuse exactitude 4. Prendre en compte la singularité des archives départementales Si aucune observation ne se rapporta ni au principe de la méthode de classement ni au premier texte de l’instruction qui paraissent « bien conçus et clairs »5 , le cadre de classement fit, en revanche, l’objet d’amendements et de remaniements. La liberté laissée aux archivistes apparue vite inapplicable, car avec cette méthode les papiers devaient être classés en fonction des relations que les préfectures et les départements entretenaient avec les ministères. Le 1 Ibid. 2 Ibid., Cadre pour servir au classement des différents fonds d’archives conservés dans les dépôts dépendant des préfectures, f° 366. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid., Questions et observations relatives au projet d’instruction sur le classement des archives départementales, f° 359. 28 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales cadre de classement fut donc réexaminé. Les titres de la première partie du cadre furent précisés, ceux de la seconde partie repris. Classer en fonction des attributions en préfecture ? En envisageant d’une manière générale le classement de la partie moderne des archives, sans doute était-il naturellement conçu l’idée de former des séries correspondantes aux attributions du ministère, lesquelles réunies permettaient de comprendre l’ensemble de l’administration du royaume. Pour autant, il fut reconnu que ce point de vue n’était pas celui qui s’offrait aux archives départementales. « Car les préfectures n’embrass[e]nt pas tous les genres d’administration et les archives départementales ne renferment pas de séries complètes de documents qui correspondent à tous les ministères. Le point de vue analogue pour les archivistes est plutôt de former des séries correspondantes aux bureaux de la Préfecture » 1. Plusieurs rapports avait reconnu cette base de classement « vicieuse à cause de la variabilité de [la] division du travail » 2, car l’application large que recevait dans le cadre la dénomination de Ministères paraissait offrir, « indépendamment de quelques inconvénients, celui de confondre les idées des archivistes » qui peut-être n’auraient pas tous adopté « sans quelque difficulté cette interprétation philosophique des mots » 3. Léon Gadebled et Natalis de Wailly pensaient qu’il y aurait alors « utilité soit à supprimer totalement la dénomination générale de Ministères, soit d’y substituer celle d’administration »4. Par ailleurs, il apparaissait que ce mode de classement laissait une part trop importante à l’erreur et à la subjectivité. De nombreux documents pouvaient trouver leur place dans au moins deux séries différentes, mais la série Q-Correspondance active et passive des Préfets avec les sous- préfets, les maires et autres fonctionnaires sur des affaires qui n’exigent pas l’intervention d’un ministre portait « atteinte à [s]a base même le système de classement », voire le rendait caduque. Le libellé limitait, de facto, sa portée aux affaires n’exigeant pas l’intervention d’un ministre et engendrait une question de fond : les affaires départementales dépendaient-elles de l’autorité ministérielle en ce sens qu’il n’en est aucune qui ne doive être dirigée conformément aux lois, règlements et instructions, ou bien fallait-il reconnaître qu’un grand nombre d’affaires se traitaient dans les préfectures sans l’intervention d’un ministre ? Toutefois, on ne devait trouver à comprendre dans la série Q que « des registres formés dans quelques préfectures seulement 1 Ibid. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 Ibid. 29 Julie Lauvernier d’après ce système et qu’on est obligé de conserver parce qu’un remaniement serait impossible », mais cela ne pouvait être l’objet d’une mention dans un cadre méthodique. Distribuer le fonds de la préfecture par matières Les écueils de cette première tentative, un à un soulevés, aboutirent à l’élaboration d’une autre version de la deuxième partie du cadre de classement1. L’économie du système aboutit pour les archives anciennes, à réunir les fonds selon une juxtaposition aisée et uniforme de noms d’institutions et au contraire pour les archives modernes à diviser l’unique fonds de l’Administration départementale par matières. Le fonds moderne fut réparti en plusieurs séries correspondant « aux principales branches des services publics »2 ; aussi faut-il insister sur principales. « Établies autant que possible de manière à former chacune un tout bien distinct par son objet », toutes les divisions du cadre de classement ne correspondent pas à une branche de l’administration départementale. Cette dernière se composait de 14 séries distribuées des lettres K à Y selon un ordonnancement thématique similaire et répondant en tout point à celui de la première partie. Il n’était cependant pas un essai ex nihilo mais bien une adaptation de l’ancien classement de la série J-Ministère de l’Intérieur. Plus concis que son prédécesseur, certaines matières furent reprises comme une simple branche d’un thème plus large. Ainsi les matières « sciences et arts, imprimerie, librairie, presse » furent considérées comme des branches de la série S-Instruction publique et arts. D’autres, de par la masse documentaire qu’elles étaient censées représenter, formèrent deux séries distinctes, notamment les séries O-Finances et P-Domaines. L’« ordre assigné dans le cadre aux différents fonds a[vait] été rédigé autant que possible, sur l’importance même de ces fonds » 3, non pas sur leur préciosité mais bien sur leur importance matérielle. On avait cru devoir en créer une « spéciale pour les Domaines » qui n’étaient pourtant qu’une branche des administrations financières « à cause de l’importance de cette matière et de la quantité de documents qui s’y rattachent dans les archives départementales »4. 1 Annexe n° 3 2 Instruction du 24 avril 1841 pour la mise en ordre et le classement des archives départementales et communales, Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Paris, P. Dupont, 1841, p.96. 3 Instruction pour la mise en ordre et le classement des archives départementales et communales du 24 avril 1841, Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Paris, P. Dupont, 1841, p.96. 4 Ibid. 30 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales Toujours plus proche de sa physionomie définitive, il restait cependant deux questions en suspend : comment traiter les liasses et documents issus de la période 1790-an VIII et à quelle date placer la césure ? 1789 ou 1790 ? Le changement des autorités et des circonscriptions administratives, la suppression des corporations religieuses, le séquestre mis sur les papiers d’un grand nombre de familles, sont autant de causes qui durent amener le dépôt simultané dans un même local et souvent aussi la confusion de différents « corps d’archives » qui, à raison de leur origine et de leur nature devaient être distingués avec soin. Si des papiers postérieurs à 1789 se trouvaient mêlés à des documents plus anciens, il fallait commencer par les reconnaître et les mettre à part. Cette première mesure d’ordre avait été prescrite successivement par plusieurs circulaires, il est probable qu’on l’avait exécuté dans plusieurs départements et que les archives des préfectures étaient déjà divisées en deux classes distinctes : « documents antérieurs à 1789 ; documents postérieurs à 1789 » 1 lors de diffusion de l’instruction du 24 avril 1841. Il apparut cependant après révision de la première proposition « à peu près impossible de ne pas admettre une division ou une série spéciale pour les documents émanés des administrations qui se sont succédées dans l’intervalle de 1790 à l’an VIII »2. En effet de 1790 à l’an VIII les documents qui sont de nature à être réunis aux papiers de l’administration préfectorale ne formaient que le plus petit nombre : la presque totalité se rapporte à des opérations que cette période a vues s’ouvrir et s’accomplir tout entière, à des institutions qu’elle a créées et renversées. Cette distinction à faire dans les archives des préfectures des documents antérieurs à la division de la France en départements et les documents postérieurs à cette époque était une nouveauté. Dans la circulaire de 1839, le principe qui justifiait la séparation des archives était celui qui distinguait les pièces d’un intérêt historiques des pièces d’un intérêt pratique. La césure avait ainsi perduré pendant l’élaboration de la circulaire sur la conservation et le classement des archives départementales. Pourtant, cette distinction par périodes politiques n’était pas une nouveauté. Déjà la circulaire du 28 avril 1817 avait imposée cette partition3. La différenciation effectuée au sein de la circulaire de 1 BnF. : N.A.F. 21578, Papiers Louis-Léon Gadebled (V) Commission des archives. Instruction pour le classement des archives conservées dans les dépôts dépendant des Préfectures. Observations préliminaires, f°353. 2 Ibid. 3 Circulaire du 28 avril 1817, Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Paris, P. Dupont, 1841, p.155. 31 Julie Lauvernier 1841 n’était pas uniquement subordonnée à un ordre politique1, mais « à des divisions fondées sur des époques politiques, qu’il fa[llai]t surtout chercher à le disposer d’après un ordre puisé dans les temps, mais dans la nature même des documents et l’enchaînement réel des affaires »2. Ignorant les classements par sujets qui avaient pu être pratiqués, l’instruction du 24 avril 1841 institue pour les Archives départementales, un cadre de classement qui associe le respect de « l’origine » à un classement méthodique : les fonds, dont il faut préserver l’intégrité, sont regroupés par thèmes. Conçu pour contrecarrer les organisations singulières, il était valable pour les archives de tous les départements de la France et ne tenait aucun compte des pratiques locales dans la répartition des documents qu’il proposait. Le cadre de classement retenu était réparti entre 24 matières des lettres A à I, et K à Z et divisé en deux parties : d’un coté les archives antérieures à 1790, de l’autre « les archives départementales proprement dites »3. Publié en annexe de l’instruction du 24 avril 1841, le cadre de classement s’imposa, non sans difficultés, à tous les services départementaux 4. « Quelques critiques de détail pouvaient être faites au cadre adopté », remarquait Gustave Desjardins dans ses conférences aux élèves de l’École des Chartes, mais il valait mieux, poursuivait-il « un système médiocre auquel on se tient et auquel on s’habitue qu’une perpétuelle aspiration à une perfection insaisissable et des changements qui déroutent et occasionnent d’irréparables pertes de temps », ajoutant quelques lignes plus loin : « imparfaite ou non l’organisation est un fait accompli ; et, s’il est une chose absolument indispensable en matière d’archives, c’est la fixité »5. Julie LAUVERNIER Docteur en histoire et membre-associée CERHIO-UMR 6258 [email protected] 1 Instruction pour la mise en ordre et le classement des archives départementales et communales du 24 avril 1841, Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Paris, P. Dupont, 1841, p.91. 2 Ibid. 3 Annexe n° 4 4 DUCHEIN (Michel), « Le respect des fonds en archivistique », La Gazette des archives, n° 97, 1977, p.71-96 ; DUCHEIN (Michel), « Le respect des fonds en archivistique. Principes théoriques et problèmes pratiques », Études d’archivistique 1957-1992, Paris, Association des archivistes français, 1992, p.19-20. 5 DESJARDINS (Gustave), Le service des Archives départementales. Conférences faites aux élèves de l’École des Chartes les 10, 18, 25 et 30 juin 1890, Supplément aux Archives historiques, artistiques et littéraires, n° 9, Paris, juillet 1890, p.30. 32 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales ANNEXES Annexe n° 1 A.N. : AB XIV 1, Section administrative, inventaire et notes. Projet de classement des archives de la série F de la Section administrative, s.d. Série I 1. Personnel 2. Administration départementale 3. Administration communale Série II 4. Comptabilité générale 5. Comptabilité départementale 6. Comptabilité communale Série III 7. Police générale 8. Police sanitaire 9. Police militaire, ou Affaires militaires et garde nationale Série IV 10. Agriculture 11. Subsistances 12. Commerce Série V 13. Travaux publics 14. Ponts-et-chaussées Série VI 15. Hospices et secours 16. Prisons Série VII 17. Instruction publique 18. Presse 19. Impressions Série VIII 20. Cultes Série IX 21. Statistiques Série X 22. Mélanges 33 Julie Lauvernier Annexe n° 2 Cadre pour servir au classement des différents fonds d’archives conservés dans les dépôts dépendant des préfectures, s.d., in BnF : N.A.F. 21578, Papiers Louis-Léon Gadebled (V) Commission des archives. Instruction pour le classement des archives conservées dans les dépôts dépendants des préfectures, f° 366. Première partie du cadre comprenant les archives antérieures à 1789 Archives civiles A. Actes et domaines de la couronne B. Cours et juridictions C. Administrations provinciales D. Instruction publique, sciences et arts E. Communes, bourgeoisie, familles Archives ecclésiastiques F. Clergé séculier G. Clergé régulier Deuxième partie du cadre comprenant les archives postérieures à 1789 Les archives départementales proprement dites. H. Lois, ordonnances et arrêtés J. Ministère de l’Intérieur (comprenant outre ses attributions actuelles, l’Agriculture et le Commerce, les Travaux publics, l’Instruction publique et les cultes) : Personnel, Administration départementale, Administration communale, Comptabilité départementale, Comptabilité communale, Police, Garde nationale, Affaires militaires, Agriculture, Subsistances, Commerce, Bâtiments civils, Ponts et Chaussées, Mines, Hospices et secours, Prisons, Instruction publique, Sciences et arts, Imprimerie, Librairie, Presse, Cultes, Statistique, Affaires diverses ne rentrant pas dans les subdivisions précédentes. 34 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales K. Ministères des Finances L. Ministère de la Justice M. Ministère de la Guerre N. Ministère de la Marine O. Ministère des Affaires étrangères P. Ministère de la Maison du Roi ou intendance de la liste civile Q. Correspondance active et passive des Préfets avec les sous-préfets, les maires et autres fonctionnaires sur des affaires qui n’exigent pas l’intervention d’un ministre R. Affaires diverses ne rentrant point dans les séries précédentes. 35 Julie Lauvernier Annexe n° 3 Deuxième partie du cadre comprenant les archives postérieures à 1789, s.d., in BnF : N.A.F. 21578, Papiers Louis-Léon Gadebled (V) Commission des archives. Instruction pour le classement des archives conservées dans les dépôts dépendants des préfectures, f° 365. K Lois, ordonnances, arrêtés L Personnel et administration générale M Administration et comptabilité départementale N Administration et comptabilité communale O Finances P Domaines Q Guerre et affaires militaires R Travaux publics S Instruction publique et arts T Justice U Cultes V Établissements de bienfaisance X Établissement de répression Y Affaires diverses ne rentrant pas dans les séries précédentes 36 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales Annexe n° 4 Cadre pouvant servir au classement des différents fonds d’archives conservés dans les dépôts dépendant des préfectures, s.d., in BNF : N.A.F. 21578, Papiers Louis-Léon Gadebled (V) Commission des archives. Instruction pour le classement des archives conservées dans les dépôts dépendants des préfectures, f° 366. 37 Julie Lauvernier 38 Mettre en ordre les archives des départements : genèse et élaboration du cadre de classement des Archives départementales 39 Julie Lauvernier 40

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