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This document discusses French monetary systems, from the Ancien Régime to the 19th century. It examines the causes of monetary fluctuations, the roles of various monarchs, and the impact of crucial events such as the French Revolution. The text includes questions on the topic.
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CHAPITRE 1 MONNAIE ET FISCALIté Eval QCM 10q 2pts Section 1- Le système monétaire : de l’instabilité d’Ancien Régime à la stabilité du XIXe s. I. Les variations monétaires et des prix sous l’Ancien Régime Nombreuses causes de fluctuations, notamment : A) 1ère cause : var...
CHAPITRE 1 MONNAIE ET FISCALIté Eval QCM 10q 2pts Section 1- Le système monétaire : de l’instabilité d’Ancien Régime à la stabilité du XIXe s. I. Les variations monétaires et des prix sous l’Ancien Régime Nombreuses causes de fluctuations, notamment : A) 1ère cause : variations de l’offre et de la demande de biens Diverses formes : - Variations à court terme de l’offre entraînant des variations à court terme des prix. Le cas des céréales est typique. Exemple 1: La «soudure»: d’une saison à l’autre, lorsque les stocks de grains provenant de la récolte précédente sont épuisés et que la nouvelle récolte n’est pas encore arrivée sur les marchés, il y a pénurie et flambée brutale des prix accentuée par la spéculation. Exemple 2: Variations des prix d’une année à l’autre en fonction des quantités produites, elles-mêmes fonction des conditions météorologiques; la réglementation empêchant la compensation d’une région à l’autre aggrave le problème. - Variations à moyen terme des prix en fonction de l’état de sécurité du pays (guerre civile ou étrangère -> réquisitions pour l’armée, constitution de stocks spéculatifs). - Variations à long terme des prix liées à une évolution + ou - forte de la demande en fonction de la croissance démographique, des variations de l’offre, (changements climatiques sur le long terme, importance des surfaces défrichées, croissance des rendements 5ou pas], etc....). B) 2ème cause : les manipulations monétaires de la monarchie Deux techniques utilisées en période de crise pour assurer des dépenses auxquelles les ressources normales ne permettent pas de faire face. But poursuivi: disposer de davantage de monnaie sans que la masse de métal précieux en circulation n’augmente (la période étant marquée par une insuffisance chronique de métal précieux par rapport aux besoins). - L’avilissement : diminution de la quantité de métal précieux contenu dans chaque pièce, ce qui permet de créer davantage de pièces tout en leur conservant le même pouvoir libératoire. Résultat: les commerçants sachant que les pièces sont avilies, augmentent leurs prix. Ex. des «monnaies noires» des XIVe-XVe s. - Le décri : accroissement artificiel de la valeur de la pièce, ce qui permet notamment de léser les créanciers de la monarchie. Concrètement, quatre grandes périodes de manipulation: guerre de Cent ans (milieu XIVe-milieu XVe s.), guerres de religions (XVIe s.) guerre de Trente ans (XVIIe s.), guerres de la fin du règne de Louis XIV (début XVIIIe s.) C) 3ème cause : évolution des quantités disponible de métaux précieux Jusqu’au XVIe siècle, insuffisance chronique de métal précieux donc de la masse monétaire. Au XVIe siècle, afflux subit d’or et d’argent en provenance des colonies espagnoles d’Amérique centrale («l’or des Incas»). Ce métal transformé en monnaie permet à l’Espagne de financer ses opérations en Europe (achats, diplomatie, guerres). Cette inflation de métal précieux et de pièces en Espagne puis en Europe provoque une hausse des prix (x4 entre 1500 et 1620). Page 1 sur 70 D) 4ème cause : insuffisances du système bancaire français Les investissements sont difficiles en raison de la rareté des banques et de leur taille médiocre. Le crédit est rare et cher car le marché des capitaux est étroit (pas assez de capitaux disponibles car pas assez de monnaie qui, à l’époque, est une monnaie métallique ; de plus, les capitaux sont trop souvent stérilisés [achat d’offices, par ex.] ou investis dans la terre, source de prestige). Pour tenter de résoudre le problème, expérience menée par John Law, sur la base de deux idées : celle de rôle moteur de la monnaie dans l’économie ; celle de la nécessité d’une bonne orientation des capitaux vers des secteurs productifs. D’où 2 mesures : création d’une banque privée (1716) destinée à créer de la monnaie papier ce qui doit permettre de donner de la souplesse à l’économie ; création d’une société par actions (1717) destinée à orienter les capitaux vers le développement des colonies. Problème : une très forte spéculation sur les titres de la société qui entraîne la banque dans sa chute (1724). Cet échec (en dépit de la justesse des idées de Law concernant la monnaie-papier) aura des conséquences économiques et sociales néfastes (ruines multiples et spectaculaires) mais aussi psychologique (désormais méfiance à long terme des Français pour le billet). II. L’expérience des assignats et son échec durant la Révolution A) Phénomène d’inflation monétaire (le seul jusqu’en 1914) En 1789, les caisses de l’Etat sont vides ; problème, en partie hérité de l’Ancien Régime et aggravé par les révolutionnaires. La solution va consister dans la nationalisation puis la mise en vente des «biens nationaux» (biens du clergé, des émigrés, etc.). Cependant, pour éviter un effondrement des cours de l’immobilier, les révolutionnaires décident de ne vendre que progressivement, alors que les besoins d’argent sont immédiats. Ils décident alors d’émettre des assignats (papier-monnaie) gagés sur les biens nationaux. Les assignats vont se déprécier très vite : les 1ers assignats sont émis à la fin 1789 ; au début 1796, cette monnaie a perdu 99% de sa valeur. Plusieurs causes se cumulent : 1) Causes mécaniques Ecart de plus en plus grand entre l’offre de biens de consommation (elle s’effondre du fait de la chute de la production en raison de la guerre) et la masse de billets en circulation (qui augmente en fonction des besoins de l’Etat (400 millions en billets émis en 1789 - 45 milliards, début 1796). 2) Causes techniques A côté des assignats, les révolutionnaires tolèrent le système monétaire ancien fondé sur des pièces métalliques. Plus le billet chute, plus les pièces (d’or) prennent de la valeur et plus les Français se méfient des billets car ils peuvent effectuer des comparaisons. Conséquence, la dépréciation des billets s’accentue, pratiquement chaque jour. Voir fournisseur aux armées 3) Causes psychologiques Souvenir de la catastrophe liée à l’expérience de la Law => grande méfiance des Français pour les billets, méfiance aggravé par l’instabilité politique et la conviction de beaucoup que la Révolution va échouer et que donc sa monnaie s’effondrera avec elle. Malgré leur échec final (situation économique et sociale désastreuse à la fin de la Révolution) les assignats ont cependant permis de financer la Révolution puisque, en 6 ans, les révolutionnaires se sont procuré l’équivalent de 14 années de ressources normales. Page 2 sur 70 III. Le France germinal («Germinal» = mars dans le calendrier révolutionnaire en vigueur jusqu’en 1806. La nouvelle monnaie tire son appellation de la loi du 7 germinal an XI, 28 mars 1803 dans le calendrier grégorien) Nouveau système monétaire mis en place par Napoléon Bonaparte, entre 1800 et 1808, fondé sur la coexistence d’une monnaie métallique (pièces d’or et d’argent => système bimétalliste à la différence de l’Angleterre, Russie, Allemagne, Japon monométallistes-or) et d’une monnaie papier. Bonaparte prend ce qu’il y avait de bon dans le système d’Ancien Régime et dans le système révolutionnaire, tout en prenant des précautions pour éviter de renouveler les mêmes erreurs. Beau succès puisque cette monnaie conserve une grande stabilité jusqu’en 1914. A) La monnaie métallique Pour assurer sa stabilité : règles strictes empêchant l’Etat de pratiquer l’avilissement et le décri. -Pour empêcher l’avilissement : la loi du 28 mars 1803 établit un rapport intangible entre l’unité monétaire et une certaine quantité de métal précieux (or ou argent): 1 kg d’or = 3100 francs; 1 kg d’argent = 200 francs. Autrement dit, avec 1 kg d’or, impossible de créer plus de 3100 F en pièces; idem pour l’argent : avec 1 kg d’argent, l’Etat ne peut frapper que 200 F en pièces. -Pour empêcher le décri : principe de la frappe libre établissant un lien entre la valeur du métal précieux fixée par la loi de 1803 et sa valeur commerciale. En effet, l’or et l’argent dont sont composées les pièces sont des marchandises comme les autres. La valeur du métal varie donc sur les marchés (comme la valeur de toute autre marchandise) alors que, dans le même temps la loi française leur fixe une valeur intangible, ce qui est artificiel. Dès lors, pour que les règles du capitalisme libéral (auxquelles adhère le régime de Bonaparte) puissent fonctionner et que la valeur des pièces ne soit pas le résultat d’une obligation légale artificielle, il faut que la valeur commerciale du métal précieux s’identifie à sa valeur légale. La règle de la frappe libre permet donc à toute personne de demander des pièces en échange de lingots si la valeur légale dépasse la valeur commerciale du métal (par ex., si les cours commerciaux mondiaux du kg d’or chutent à 2000F alors que la loi française fixe son prix à 3100 F lorsqu’il se présente sous forme de pièces) ; inversement, on peut obtenir des lingots en échange de pièces si la valeur commerciale dépasse la valeur légale du métal (par ex., si les cours mondiaux de l’or montent à 4000 F le kg, vous pouvez obtenir un lingot d’1kg d’or (soit 4000 F) en échange de pièces (la loi française disant qu’avec 1kg d’or on ne peut frapper que pour 3100 F en pièces). -Une 3ème règle reconnaît un pouvoir libératoire illimité à cette monnaie, c’est-à-dire que la loi impose aux vendeurs et créanciers de l’accepter en paiement de toute opération, quel qu’en soit le montant. Grand intérêt de cette nouvelle monnaie métallique, du point de vue économique : sa stabilité. Par contre, un inconvénient majeur auquel s’est autrefois heurté l’Ancien Régime : sa rigidité. En effet, la quantité de pièces en circulation est fonction de la production des mines de métal précieux et pas du tout des besoins réels de l’économie. L’insuffisance de pièces risque donc de freiner le développement des échanges, investissements, etc. D’où la nécessité d’un 2nd signe monétaire, beaucoup plus souple : le billet de banque. B) La monnaie papier Janvier 1800 : création de la Banque de France (BF). Sa mission va être d’accorder des crédits aux investisseurs sous forme de pièces et/ou de billets (billets dont elle a le monopole d’émission), ce qui permet de résoudre le problème du manque de capitaux disponibles auquel s’était heurté l’Ancien Régime. Cependant, un danger majeur : retomber dans les mêmes pratiques que la Révolution (énormes émissions de billets) et donc compromettre la stabilité de la monnaie française. Concrètement, 3 dangers qui appellent 3 précautions: Page 3 sur 70 - Il faut éviter que l’Etat ne soit tenté de financer un éventuel déficit de son budget grâce à une émission inflationniste de billets (cf. assignats) : la Banque de France sera donc un établissement privé (société par actions jusqu’en 1946, date de sa nationalisation) ce qui la protégera des pressions des pouvoirs publics. - Il faut éviter que les actionnaires désireux de gagner facilement de l’argent (+ j’accorde de crédit, + je perçois d’intérêts) ne prêtent des sommes trop importantes grâce à de trop grosses émission de billets. D’où plusieurs mesures : surveillance de l’Etat qui nomme le gouverneur de la BF; règlementation stricte des prêts (remboursement du capital emprunté dans les 3 mois maximum, nécessité de 3 cautions) ; limitation des émissions de billets à un seuil fixé par la loi en fonction des seuls besoins de l’économie (ex: le seuil est fixé à 12 millions pour l’année 1800 et 6,8 milliards pour 1914 (à comparer avec les 45 milliards atteints en 1796...). En réalité, la BF est très prudente: jamais ne créera autant de billets que la loi l’y autorise (ex: en 1914, émission de 5,6 milliards en billets alors que le plafond est fixé à 6,8 milliards). - Il faut éviter une entente entre les actionnaires de la BF et le gouverneur représentant de l’Etat, ce qui pourrait aboutir à une émission inflationniste. D’où la règle de la libre convertibilité des billets, c’est-à-dire que toute personne peut à tout moment échanger, auprès de la BF, ses billets contre des pièces d’or ou d’argent. Résultat, la BF est conduite à limiter ses émissions de billets et à conserver une forte encaisse métallique. Mesure efficace : la confiance dans le billet s’instaure, bien que lentement (mauvais souvenir de Law et de l’assignat). Conclusion : la coexistence de ces deux signes monétaires permet une grande stabilité monétaire et une adéquation (relative) entre masse monétaire en circulation et besoin de l’économie. A noter cependant le développement progressif de nouveaux instruments monétaires, notamment la monnaie scripturale, qui facilite cette évolution. C) Difficultés de fonctionnement du nouveau système monétaire 1) Difficultés techniques liées à une évolution chaotique de la production mondiale de métal précieux Selon la loi de 1803, 1 kg d’argent = 200 F, 1 kg d’or = 3100 F; selon la loi française, l’or vaut donc 15,5 fois plus que l’argent. Pour que ce rapport se maintiennent, il faut que la production d’or et d’argent soit parallèle, ce qui est à peu près le cas jusqu’en 1850. Puis de 1850 à 1873, la production d’or augmente plus vite. Conséquence, sur le marché mondial la valeur commerciale de l’or diminue par rapport à celle de l’argent. Les particuliers ont alors intérêt à faire fondre leurs pièces d’argent sous-évaluées par la loi (ex: imaginons que la production mondiale d’or ayant fortement augmenté, son cours commercial baisse. Résultat, le kg d’or ne vaut plus que dix fois plus que le kg d’argent alors que la loi française continue de dire qu’il vaut 15,5 fois + ; sous forme de pièces l’argent est donc sous-évalué). Résultat: les pièces de monnaie argent ont tendance à disparaître de la circulation, d’où un bimétallisme incomplet. Enfin, de 1873 à 1914, phénomène inverse : la production d’argent augmente plus vite que celle de l’or. Donc, la valeur commerciale de l’or augmente par rapport à celle de l’argent => les pièces d’or vont avoir tendance à disparaître de la circulation 2) Difficultés liées à une vie politique agitée En période normale, les réserves (ou encaisse métallique cad le stock d’or et d’argent) de la BF lui permettent de faire face à des demandes de conversion même en grand nombre. Par contre, en cas de crise grave, il y a risque et l’Etat accorde à la BF le bénéfice de l’inconvertibilité. On ne peut plus obtenir de pièces d’or et d’argent en échange de billets 1848 : crise éco + Révolution: => inconvertibilité mais le billet ne perd que - de 3%; convertibilité rétablie quelque mois plus tard. 1870: défaite militaire face à la Prusse et chute du régime de Napoléon III => inconvertibilité mais le billet ne perd que -2,5%; convertibilité rétablie en droit en 1878, mais en fait dès 1874. 1914: début de la première guerre mondiale => inconvertibilité. Cette fois, la convertibilité ne sera rétablie qu’en 1928 et pour quelques années seulement. Page 4 sur 70 Section 2 : Le système fiscal Sous l’Ancien Régime, le système fiscal enregistrait des contre-performances quasi systématiques: peu productifs en raison du mécanisme de prélèvement de l’impôt (système de la ferme); impopulaires en raison du caractère inégalitaire des impôts et de la brutalité des agents percepteurs; gênants sur le plan économique en raison des freins qu’ils apportaient à la production et aux échanges. Dans la foulée de la Révolution, les hommes du XIXème siècle, vont vouloir rompre avec ce passé sans y parvenir totalement. I. Les nouveaux impôts Quatre impôts directs mis en place durant la Révolution subsistent sans grands changements jusqu’au début du XXe siècle : - Contribution foncière (1790) : frappe la fortune immobilière (terres et bâtiments) - Contribution mobilière (1791) : frappe les biens mobiliers. - Patente (1791) : frappe les revenus du commerce, de l’industrie et des professions libérales. - Contribution sur les portes et fenêtres (1798). En revanche, les taxes indirectes instaurées progressivement à partir du Consulat et de l’Empire (et qui ont la préférence des économistes libéraux) sont très diverses : taxe sur le tabac, les domestiques, les mulets, etc. Techniquement, ce nouveau système correspond à une double volonté : discrétion (l’Ancien Régime est souvent accusé d’inquisition fiscale) et rendement (ne pas avoir à se livrer à des vérifications administratives coûteuses). D’où une évaluation de la matière imposable grâce à la technique indiciaire. -Contribution foncière : calculée en fonction de la superficie des terrains bâtis et non bâtis détenus par le contribuable (connue grâce au cadastre). -Contribution mobilière : calculée en fonction de la valeur locative du local d’habitation du contribuable. -Patente : calculée en fonction de 3 indices: nature de la profession, taille du local professionnel, lieu d’implantation. -Portes et fenêtres : le nombre d’ouvertures du local d’habitation est considéré comme indice de la fortune. II. Caractère de la nouvelle fiscalité A) Sur le plan politique : modération Impôts directs relativement légers car la bourgeoisie qui détient l’essentiel de la fortune en France sait que, quel que soit le mode de calcul de l’impôt, c’est elle qui a vocation à être frappée la première. De plus, elle est très attachée à la non-intervention de l’Etat en matière économique. Elle souhaite donc pour motifs égoïstes et de philosophie économique que les dépenses de l’Etat (et donc les impôts qui servent à les financer) soient aussi limitées que possible. Résultat: les dépenses publiques (et donc le montant des impôts directs) augmentent peu : 13% du produit national en 1800, 14,5% en 1913. B) Sur le plan social : justice très relative Il y a progrès par rapport à l’Ancien Régime mais des inégalités persistent. Le nouveau système favorise la propriété mobilière par rapport à la propriété immobilière. Cette dernière est touchée directement par la contribution foncière et sur les portes et fenêtres et, indirectement, par la contribution mobilière et la patente (ces deux derniers impôts mettant au premier plan la valeur du local d’habitation ou professionnel), ce qui est favorable à la bourgeoisie dont la base de la fortune n’est pas l’immobilier, contrairement à Page 5 sur 70 l’aristocratie. Il favorise de nouveau la bourgeoisie car le commerçant, l’industriel, le médecin, le rentier, etc. ne paiera pas davantage d’impôts, tant qu’il ne change pas de local professionnel ou d’habitation. De plus, les impôts indirects concernent la circulation et la consommation des biens plus que leur production ce qui est également favorable à la bourgeoisie (inversement, un ouvrier consomme la totalité de son revenu en biens de consommation courante). Enfin, le système favorise l’épargnant (donc le bourgeois) par rapport au consommateur (les titulaires de revenus faibles dépensent en biens de consommation de base la totalité de leur revenu) en raison de l’absence d’impôt sur le capital et de la légèreté des droits de succession et de mutation. III. La nouvelle politique budgétaire : principe de la neutralité budgétaire L’Ancien Régime = déficit budgétaire chronique; en 1789, 475 millions de livres de recettes, pour 530 millions de dépenses avouées (en réalité, plutôt 625 millions). Ce déficit aurait pu être couvert grâce à l’avilissement et au décri, techniques qui ne sont plus utilisées à la fin du XVIIIe siècle. Par contre, la monarchie recourt systématiquement à l’emprunt à long terme, le paiement des intérêts étant garanti par la rentrée d’un impôt nommément désigné (problème si l’impôt en question ne produit pas autant que prévu). De plus le remboursement du capital emprunté n’intervenant presque jamais, la monarchie continue de payer, à la fin de l’Ancien régime, les intérêts d’emprunts parfois effectués plusieurs siècles auparavant. La monarchie recourt donc parfois à un expédient consistant à réduire arbitrairement le taux d’intérêt fixé au moment de l’emprunt, d’ou perte de confiance du public ce qui conduit la monarchie à emprunter par l’intermédiaire d’autres institutions (par ex. ville de Paris, banquiers, etc.) qui seront garantes du paiement des intérêts pour le Trésor public mais qui, en échange du risque pris, conserveront à leur profit une partie du profit de l’emprunt. Autre technique utilisé pour accroître les rentrées d’argent: multiplications des ventes d’offices inutiles mais avec nécessité, ensuite, de verser des traitements aux titulaires. Or, en même temps que le poids de la dette s’accroît, les dépenses publiques augmentent : 3 millions par an au XIIIe siècle, 72 au XVIe, 220 sous Louis XIV, 625 en 1789 et pour les 3/4, ces dépenses correspondent, en 1789, au paiement des intérêts de la dette publique (50%) et aux dépenses militaires (25%). D’après le chiffre officiel fournis en 1789, soit 530 millions de dépenses, on a : intérêts de la dette publique = 240 millions; dépenses militaires = 140 millions ; dépenses de la cour = 65 millions. Ne restent donc que 85 millions pour l’ensemble des autres dépenses. Certains secteurs essentiels sont ainsi réduits à la portion congrue (ex. 5,6 millions pour les ponts et chaussées). En réaction contre cette situation, qui est l’une des causes de la dislocation de l’Ancien Régime, les financiers classiques vont souhaiter imposer 3 règles. A) L’équilibre budgétaire Il suppose une égalité aussi parfaite que possible entre recettes et dépenses, d’où le refus du déficit budgétaire qui serait comblé par l’emprunt ou par l’inflation monétaire. Pour les financiers classiques, l’emprunt = 2 dangers; il est analysé comme une anticipation des recettes rejetant le poids des dépenses actuelles sur les générations futures et comme une amputation du capital national mettant en péril le crédit de l’Etat. Le recours à l’emprunt doit donc être limité soit à de très brèves périodes en attendant la rentrée des impôts, soit à des périodes exceptionnelles (guerre, notamment). L’inflation monétaire = aussi danger car elle provoque un phénomène de hausse artificielle des prix qui dérègle tous les mécanismes économiques, notamment au niveau international. L’excédent budgétaire est également refusé car 2 dangers: il est source de gaspillage immédiat puisque une partie des recettes n’est pas utilisée et de gaspillage dans l’avenir car cet excédent conduit les pouvoirs publics à des engagements démagogiques et fort coûteux sur le long terme. B) La limitation des dépenses publiques Page 6 sur 70 C) Egalité et rendement de l’impôt Cette exigence => que l’essentiel des ressources publiques provienne de l’impôt, ce qui conduit à refuser les ressources domaniales, l’Etat ne devant pas se mêler de gestion privée qu’il doit laisser aux particuliers. Cette exigence => aussi une réelle égalité des contribuables face à l’impôt (souci de justice, assez approximatif, on l’a vu, mais préoccupation économique consistant à ne pas favoriser un producteur au détriment d’un autre). Concrètement, cette notion d’égalité va évoluer; Elle est à l’origine (XIXe siècle) conçue comme mathématique, ce qui suppose une universalité de l’impôt et une proportionnalité rigoureuse entre revenus du contribuable et montant de sa contribution. Elle est ensuite «personnalisée» : prise en compte de la situation particulière de chaque contribuable avec exemption des titulaires des revenus les plus bas, détaxation des chefs de famille nombreuse, apparition à la vieille de la première guerre mondiale de la progressivité de l’impôt (taux d’imposition + élevé pour les revenus les + élevés). Cette exigence => la recherche du rendement de l’impôt qui doit être productif et donc économique dans ses frais de perception (d’où l’intérêt du système indiciaire) et inéluctable dans ses modalités de perception pour éviter la fraude fiscale (d’où la préférence pour les impôts indirects, inévitables et relativement indolores). Cette exigence => également que l’impôt soit modéré pour ne pas décourager le producteur (et le pousser aussi à la fraude), stable (il ne doit pas varier quelque soit le taux) caractérisé par son élasticité (la matière imposable ne doit pas varier quelque soit le taux d’imposition) ; ainsi, a contrario, un impôt sera non élastique lorsqu’une augmentation de la taxe entraînera une telle réduction des recettes que le produit global de l’impôt chutera. Cf. taxe sur les tabacs. Dans la pratique, divers éléments font que cet idéal d’équilibre budgétaire n’est que rarement atteint. IV. Entorses au principe de la neutralité budgétaire A) Les déséquilibres clandestins du budget se développent en dépit des précautions Précautions : les gouvernements sont soupçonnés par principe de chercher à dissimuler de grosses dépenses mal couvertes par les recettes ; le Parlement met donc au point des règles destinées contrôler le respect de l’équilibre recettes-dépenses: - L’annualité budgétaire (règle affirmée dans la Constitution de 1791) : la durée de chaque budget est limitée à 1 an. But= permettre la remise en cause fréquente des recettes et dépenses. - L’universalité budgétaire (1817) : interdiction de la compensation entre recettes et dépenses car elle ne ferait apparaître que le solde de l’opération - La non affection budgétaire (1822) : interdiction de prévoir l’utilisation de recettes déterminées pour couvrir des dépenses déterminées. - La spécialité budgétaire (entre 1817 et 1830) : le Parlement se fait présenter des chiffres aussi précis et détaillés que possible - L’unité budgétaire (définitive en 1890) : toutes les recettes et dépenses doivent figurer dans un seul document. But : mettre en évidence leur nécessaire équivalence. Ces mesures n’empêchent pas les déséquilibres. Ex 1: sous le second Empire, chiffres présentés au Parlement régulièrement faussés par les «crédits supplémentaires» ou «exceptionnels» (entre 1853 et 1860, dépenses = 16 milliards, recettes = 12,9 milliards Causes = multiplication des interventions militaires françaises (guerre de Crimée, d’Italie «expéditions» du Mexique). Ex 2. : Entre 1876 et 1897 (sous la IIIe République), 11 budgets avec déficit et 11 avec excédent. Page 7 sur 70 B) L’augmentation progressive des dépenses publiques 530 millions (officiellement) en 1789, 900 en 1815, 1 milliard en 1828, 1,5 en 1848, 2 en 1859, 3 en 1876, 4 en 1908, 5 en 1913 => dépenses x10 en un peu plus d’un siècle avec accélération de la croissance des dépenses. - Causes psychologiques : les prestations exigées de l’Etat sont plus importantes dans le pays latins qu’anglo-saxons. Ex: en 1913, dépenses publiques en France = 14 % du produit national; 12% en Angleterre, 2% aux USA. De plus, les revendications s’affirment particulièrement en période de prospérité avec croissance du niveau de vie. Ex: 1830-1870 => 1ère phase de croissance rapide des dépenses publiques coïncidant avec le phénomène d’essor industriel. - Causes politiques : liées à l’enracinement de la démocratie et du suffrage universel (donc pressions des électeurs sur les députés). Ces causes s’affirment de plus nettement avec les progrès des idées socialistes qui supposent un accroissement des dépenses de l’Etat. Ex: 1890-1914=> 2ème phase d’augmentation rapide des dépenses publiques coïncidant avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition de gauche. Cette augmentation des dépenses permet : -un accroissement des dépenses bureaucratiques et de l’interventionnisme économique de l’Etat. Jusqu’en 1890 environ, cet interventionnisme vise surtout à aider l’initiative privée en cas de crise (Ex: 1860, Napoléon III pour aider les secteurs de l’économie française menacés par la politique commerciale de libre échange qu’il a décidée au plan international), -d’aider des activités qui commencent à se développer ( industrie textile, par ex.). Mais, à partir de 1890 (gauche au pouvoir), une partie des interventions publiques a désormais pour objectif non plus de soutenir mais de remplacer l’initiative privée. Ex. du «socialisme municipal » : création par des municipalités de gauche de magasins municipaux (boulangeries, boucheries, etc.) et d’entreprises municipales (abattoirs, éclairage, transport, etc.), -une augmentation des interventions sociales de l’Etat (enseignement, santé, services d’assistance, logement avec création en 1912 des offices publics de logement à bon marché, ancêtre des offices HLM). Page 8 sur 70 CHAPITRE 2 LA LIBERTE DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE Section 1: Le système d’Ancien Régime Cette période est caractérisée par une importante réglementation pesant sur les productions agricoles (modes d’assolement, vaine pâture, parfois interdiction de certains outils tels que la faux), artisanales (système des corporations), industrielles (privilèges et monopoles des manufactures, avec en contrepartie un sévère contrôle des normes de production), sur la circulation des marchandises (douanes intérieures). Ex des douanes intérieures c’est-à-dire 3 régimes douaniers différents selon les régions: -Dans la moitié nord de la France, système présentant le moins d’inconvénients : les «cinq grosses fermes» (prélèvement des taxes selon le système de la ferme). Les marchandises circulent librement dans cette zone, mais lourdes taxes si elles en sortent. L’un des buts essentiels = favoriser l’approvisionnement de Paris. -Dans les régions du Nord-est («province à l’instar de l’étranger effectif»), notamment Alsace, Loraine: système le plus gênant. Provinces intégrées au royaume sous Louis XIV, elles ont conservé le régime douanier antérieur à l’annexion à la France => les marchandises ne paient pas de droits dans les échanges avec l’étranger: en revanche, droits très élevés dans les échanges avec le reste du royaume. -La France du sud («provinces réputées étrangères») est morcelée par de nombreuses barrières douanières (5, par ex., entre Montpellier et Bordeaux). A cela s’ajoutent des interdictions pures et simples frappant certains produits, parfois à la demande des populations craignant la concurrence (ex. du vin, l’entrée du produit venant d’autre région est alors prohibée). S’ajoutent aux douanes royales, les péages seigneuriaux sur certaines voies de communication et les octrois à l’entrée des villes. Avec la Révolution: proclamation de la liberté du commerce et de l’industrie (bien que, dès 1774-76, la monarchie ait tenté sans succès d’instaurer la liberté de circulation des grains et la suppression des corporations). Section 2: Instauration de la liberté du commerce et de l’industrie I. Principe et atténuations 5 novembre 1789 : suppression des douanes provinciales et condamnation du principe des octrois. Difficultés immédiates: mauvais entretien des voies de communication et difficultés financières de certaines municipalités. Conséquence: en 1796, réapparition des octrois qui sont progressivement généralisés au profit des budgets municipaux d’assistance. 2 et 17 mars 1791 : loi d’Allarde supprimant les corporations. Chacun peut désormais exercer l’activité de son choix (sous réserve du paiement de la patente). Mais dès avril, restriction de cette liberté ➔ les professions «de confiance» sont soumises à un contrôle, voire à une autorisation préalable (apothicaires, orfèvres, établissement dangereux comme les poudreries, etc.). 14 et 17 juin 1791 : loi Le Chapelier interdisant les coalitions ouvrières temporaires ou permanente. Cette loi fera obstacle au droit de grève (reconnu seulement en 1864) et à la création de syndicat (autorisés seulement en 1884) => les ouvriers sont désormais isolés, livrés aux pressions des employeurs d’où une détérioration rapide des conditions de vie et de travail des ouvriers. Page 9 sur 70 Octobre 1791 : loi supprimant le corps de contrôle et les privilèges de manufactures => les inventeurs sont laissés sans protection d’où la rapide mise en place d’une législation sur les brevets d’inventions. II. Remise en cause du principe en période de crise Elle est alors indispensable, ne serait-ce que parce que la population ne comprendrait pas que les pouvoirs publics restent inactifs. Ex: le législateur révolutionnaire prévoit une taxation des produits de première nécessité (pain, viande, etc.) en cas de famine, ce qui est contraire au principe de la liberté des prix. => En 1793 (période de disette et de hausse des prix), la Convention nationale vote la «loi du maximum» limitant le prix des grains, puis la «loi du maximum général» fixant le prix des denrées les plus consommées (plusieurs dizaines) à leur niveau de 1790+30%. Idem pour les salaires : niveau de 1790+50% pour tenir compte de l’effondrement des assignats. Mesure mal appliquée par les communes, favorise le marché noir et les conflits du travail. Dispositions comparables prises en 1810, 1848, 1871 sans plus de succès. Section 3 : Le protectionnisme douanier Au XVIIIème siècle (physiocrates) puis au XIXème siècle (libéraux), les économistes sont en général favorables à la liberté des échanges en matière de commerce extérieur. Analyse = la concurrence internationale doit permettre une baisse des prix et une amélioration de la productivité en favorisant une spécialisation par pays. Cependant, la France mènera une politique très protectionniste durant la période 1800-1914, avec une brève parenthèse durant la période 1860-1880. Cette politique résulte d’une alliance entre la grande bourgeoisie industrielle et les propriétaires fonciers qui s’entendent au niveau parlementaire pour protéger l’industrie et l'agriculture française de la concurrence étrangère en votant des droits de douane élevés. I. 1800 – 1860 : Le protectionnisme A) Raison de son application Période de la Révolution et du 1er Empire : 25 ans de conflits peu propices au commerce et à l’industrie. L’attitude française en matière douanière et dictée par des raisons politiques et non d’analyse économique ; elles aboutissent à l’établissement du Blocus continental en 1806 (Napoléon Ier tente d’étouffer le commerce anglais en empêchant ses produits de débarquer sur l’ensemble du continent, espérant ainsi faire plier l’Angleterre qu’il n’arrive pas à soumettre par les armes). En 1815, retour à la paix, mais la France reste protectionniste, désormais pour protéger les producteurs nationaux. Ex : loi du 16 juillet 1819 instituant «l’échelle mobile des céréales» => une hausse (de 1 Franc par exemple) intervient automatiquement sur les droits de douane pesant sur les céréales venant de l’étranger chaque fois que le prix des céréales françaises baisse de 1 Franc, jusqu’à un seuil au delà duquel toute importation devient impossible. Entre 1820 et 1822, diverses lois votées à la demande des industriels édictent des droits de douanes très élevés pour protéger les industries métallurgiques, de textile, et sucrières de la concurrence étrangère. B) Ses conséquences 1ère conséquence : le volume du commerce extérieur de la France (exportations + importations en Francs) décroît sous la révolution de l’Empire (opérations militaires, perte des colonies, Blocus continental). Page 10 sur 70 1789 : Exportations = 441 millions; importations = 577 millions => commerce extérieur = 1,8 milliards. 1818 : Exportations = 502 millions; importations = 355 millions => commerce extérieur = 857 millions. La progression reprend sous la Restauration (1815-1830) et la Monarchie de juillet (1830-1848) grâce à la paix et au démarrage industriel: 1848 : Exportations = 1,48 milliards; importations = 791 millions => commerce extérieur = 1,839 milliards. Mais à noter qu’il a fallu presque 60 ans pour retrouver le niveau de 1789... 2ème conséquence : ce protectionnisme freine le progrès économique. Les modes de productions plus avantageux à l’étranger et notamment en Angleterre ne pénètrent que lentement en France, faute du moteur de la concurrence. Ex. : En Angleterre, la houille tend à remplacer le charbon de bois dans la métallurgie. En France, les propriétaires de forêt y sont défavorables car l’industrie métallurgique consomme à elle seule 1/4 de la production forestière. Les industriels français de la métallurgie adoptent la même position car ils craignent des modifications techniques rapides et coûteuses qui les obligeraient à renouveler leurs installations. Résultat, au Parlement la coalition propriétaires fonciers- industriels joue pleinement aboutissant au vote de droits de douane très élevés sur le fer anglais (moins cher que le fer français). Cette protection douanière retarde en France le développement des hauts fourneaux fonctionnant à la houille donc la métallurgie et, par voie de conséquence, par ex., le développement du réseau ferré). 3ème conséquence : ce protectionnisme soulève des critiques de plus en plus vives mais incapables de vaincre la coalition parlementaire, en dépit des conclusions de commissions d’enquête nommées par le gouvernement (1828, 1834, 1837, 1840,1842) qui insistent sur les effets nuisibles, pour le développement français, d’un régime douanier excessif. Il faudra attendre le second Empire pour que la situation évolue. II. 1860-1880 : le libre échange A) Son instauration progressive Dès son arrivé au pouvoir, Napoléon III souhaite instaurer cette politique, car il souhaite favoriser les intérêts de la bourgeoisie et la protéger contre elle-même, en favorisant par contre-coup le développement de l’économie française. Argument : depuis 1842, l’Angleterre pratique l’ouverture à la concurrence étrangère, ce qui favorise son développement. Il est soutenu par la bourgeoisie des grands ports (Marseille, Bordeaux, Nantes), bien évidemment favorable au développement du commerce international, et par les banquiers qui rêvent d’opérations fructueuses hors de France. Mais la coalition protectionniste au parlement fait la sourde oreille. D’où une stratégie en 2 temps. Le gouvernement commence par abaisser les droits de douane par décret (pas besoin d’un vote au Parlement) : chaque année à partir de 1853, Napoléon III suspend la protection agricole pour un an : à la fin de l’année, on fait le bilan et, s’il est positif, nouveau décret valable pour un an. En même temps, également par décret, les droits de douanes sur les produits industriels (notamment métallurgiques) sont abaissés. En 1856, le gouvernement, croyant avoir convaincu les protectionnistes, décide de déposer un projet de loi (suppose un vote du Parlement pour être adopté; mécanisme plus démocratique) ; très prudent, il vise non pas à supprimer la politique douanière, mais simplement à remplacer des interdictions d’importations par des droits de douanes => tollé général des protectionnistes et le gouvernement doit retirer son projet. La coalition protectionniste croit que Napoléon III va renoncer. Or, selon la Constitution de 1852, l’Empereur n’est pas obligé de soumettre les traités de commerce au Parlement. Il engage donc des discussions secrètes avec le gouvernement britannique et, le 15 janvier 1860, à la stupeur générale, est annoncée la signature d’un traité supprimant les droits de sortie et les prohibitions d’importation entre les deux pays, faisant aussi disparaître les droits de douane sur l’ensemble des matières premières (y compris agricoles) ; pour les produits finis, la France accepte de limiter les droits de douane sur les produits anglais à 30% (puis 25% en 1864), l’Angleterre admettant en échange 42 produits finis français en franchise (pas de droits de douane). Ce traité sera suivi d’autres traités signés par la France avec, notamment, la Prusse, l’Italie, la Belgique, etc. (au total avec 14 pays entre 1861 et 1868). Page 11 sur 70 B) Ses effets Les résultats ne correspondent ni à toutes les craintes des protectionnistes, ni à tous les espoirs du gouvernement. Exemple 1 : malgré la disparition de la protection douanière, les prix agricoles se maintiennent à la hausse/à la première moitié du XIXème siècle. (Succès pour Napoléon III dont le régime sera d’ailleurs soutenu par la classe paysanne). Exemple 2 : difficultés dans l’industrie. Le gouvernement (contrairement aux principes du libéralisme économique) débloque des crédits pour soutenir les secteurs les plus menacés (métallurgie, mines, textile, sucre, papeterie, etc.), permettant ainsi aux bénéficiaires de se moderniser pour soutenir la concurrence en évitant la faillite à beaucoup de petites entreprises vieillies. Exemple 3 : Succès mitigé en matière de commerce international (importations + exportations = 4,2 millions en 1860 et 6,2 millions en 1869) ; mais, en réalité, cette tendance au développement du commerce international français est un phénomène antérieur à la signature des traités (1,8 millions en 1850 ; 3,2 en 1855 ; 4,2 en 1860). De plus, les progrès sont plutôt plus rapides de 1852 à 1860 que de 1861 à 1870 et ne permettent pas à la France de rattraper son retard sur l’Angleterre et la Prusse. En définitive, le libre échange a seulement permis à donner un deuxième souffle à l’expansion du second Empire (expansion qui reste cependant considérable durant la période 1852-1870 : le PNB augmente de 25%; la production métallurgique est x 3). De plus, ces résultats ne désarment pas l’opposition protectionniste. §III. 1881-1914 : Le retour au protectionnisme A) Les causes Traités signés par Napoléon III généralement pour 10 ans avec faculté de renouvellement (donc, a contrario, il y a faculté de dénonciation). Cette possibilité de dénoncer les traités plus une baisse des prix à partir de 1873 conduisent la IIIème République à renouer avec le protectionnisme. La même coalition entre intérêts agricoles et industriels que pendant la première moitié du XIXème siècle se retrouve au Parlement et elle est même plus efficace. En effet, les intérêts agricoles représentent désormais un groupe électoral très important (suffrage universel masculin + forte population rurale ; de plus les circonscriptions rurales sont favorisées/aux circonscriptions urbaines politiquement suspectes) ; quant aux industriels, leurs poids économique désormais considérable leur vaut d’être écoutés avec bienveillance. De plus, cette coalition bénéficie désormais de la complicité des gouvernements successifs, également favorables au protectionnisme. B) Les mesures et leurs effets Le retour au protectionnisme se traduit par la dénonciation systématique des traités à partir de 1881 et une hausse générale des droits de douane. Le 11 janvier 1892, le Parlement établit deux tarifs douaniers nouveaux («Tarif Méline» : Méline = ministre de l’agriculture de 1883 à 1889, redevenu député, puis président du conseil en 1896, puis ministre de l’agriculture en 1915-1916). Le 1er tarif («Tarif Général») est le plus élevé ; il frappe les pays n’ayant pas conclu d’accords avec la France. Le deuxième («tarif minimum») contient la même liste de produits que le tarif général mais les droits de douane sont plus bas ; s’applique aux pays qui consentent des avantages équivalant à la France. Par rapport au second empire, le montant des droits de douane est plus élevé, le nombre de produits concernés plus important ; enfin, les droits de douane touchent désormais des matières premières jusqu’à là épargnées. Pour certains produits agricoles, la volonté protectionniste est si forte que le tarif minimum s’établit parfois au même niveau que le tarif minimum! D’une façon générale, les droits de douanes s’établissaient, à la fin du second Empire, entre 8 et 15 % ; en 1892, pour le seul tarif minimum (donc le plus avantageux), ils s’élèvent à 15 voire 30%. Le 25 Mars 1910, Page 12 sur 70 une nouvelle loi accroît ces pourcentages, surtout pour le tarif général qui est désormais supérieur de plus de 50% au tarif minimum... D’autre part, le parlement veille désormais à éviter de se voir forcer la main par le gouvernement, comme sous le second Empire. C’est le Parlement qui peut seul établir et modifier les deux tarifs. La marge des diplomates français est très réduite car ils ne peuvent accorder que le bénéfice total ou partiel du tarif minimum ; par contre, si l’on veut fixer des droits inférieurs à ceux prévus par le tarif minimum, il faut un vote du Parlement, ce vote ne pouvant intervenir que cas par cas (pour tel produit, pas pour tel autre) et il faut que le pays bénéficiaire consente à la France des avantages particulièrement substantiels. Enfin, lorsqu’un traité est conclu, il n’a pas de durée fixe et peut donc être dénoncé à tout moment, sauf respect d’un bref délai de préavis variant de trois mois à un an. Cette politique n’empêchera pas le déficit des exportations françaises par rapport aux importations. Elle n’empêchera pas non plus la croissance du commerce extérieur français (15,3 milliards en 1913 contre 6,2 en 1869) ; mais, dans ce domaine, il faut remarquer qu’intervient de plus en plus le progrès des échanges entre la France métropolitaine et ses nouvelles colonies. De plus, cette politique retarde le progrès technique, surtout dans les secteurs les plus protégés comme l’agriculture ; celle-ci s’habitue à des prix de revient, donc de vente, élevés par rapport aux cours mondiaux (cette politique s’accroîtra avec les deux guerres mondiales, la crise de 1929 et les fluctuations de valeur du franc, la tendance ne commençant à se renverser qu’avec la mise en place du marché commun à partir de 1957). ` Page 13 sur 70 CHAPITRE 3 LES SECTEURS DE LA CROISSANCE Section 1 : Progrès et crise de l’agriculture Progrès en valeur absolue sur le plan technologique et de la production. Crise et même déclin = phénomène relatif car il s’agit de la place de l’agriculture par rapport aux autres secteurs économiques. I. Les principaux progrès Se traduisant par une croissance du produit agricole final : valeur annuelle de 4,4 milliards durant la décennie 1780-1790 ; 11,6 milliards annuels durant la période 1905-1914. - Progrès de l’outillage. Ex : amélioration de la charrue => labours plus efficaces. - Recul des terres incultes. 1840 = 9,1 millions d’hectares; 1913 = 3,8 millions. - Recul du système ancestral de la jachère (1840 = 16,7 millions d’hectares: 1913 = 10 millions). -Développement du massif forestier = souci constant depuis l’Ancien Régime (création de l’administration des Eaux et Forêts). But = bois pour la construction navale, l’industrie, le bâtiment. - Augmentation des surfaces en prairie artificielle (1840 = 5 millions d’hectares de prairie, dont un million en prairie artificielle ; 1913 = 14 millions d’hectares dont 4 millions en prairie artificielle). Raison = progrès de l’élevage du à la modification lente mais irréversible des habitudes alimentaires. II. Résistances et difficultés - La tendance à l’individualisme, facteur de progrès, se heurte aux contraintes communautaires (favorables aux petits paysans) héritées de la nuit des temps : assolement collectif, droit de vaine pâture qui => l’interdiction de clôturer empêchant les individus de se soustraire à ces modes d’exploitation semi-collective. Recul très lent de ces pratiques malgré les efforts de l’Ancien Régime. Après la Révolution, ni le Code rural ni le Code civil qui autorisent les propriétaires à clôturer n’ont d’effets fondamentaux car beaucoup de propriétaires sont dissuadés de tenter l’expérience de l’enclosure du fait de l’opposition de leurs voisins et des manœuvres d’intimidation non exemptes de violence. Il faut attendre une loi de 1889 supprimant les pratiques collectives sauf délibération contraire des conseils municipaux pour constater de réels progrès, d’ailleurs favorisés par une évolution progressive des mentalités. Mais les pratiques communautaires ne disparaissent que durant l’entre-deux guerres. - France rurale = pays de petites exploitations familiales (10 à 12 hectares en moyenne, mais plus de 50 % des paysans ont moins de 5 hectares) => obstacle au développement d’une agriculture industrielle. Plusieurs explications : accroissement de la population rurale durant le 1ère moitié du XIXème siècle (forte natalité et baisse de la mortalité). Ce phénomène, lié à l’application des règles égalitaires du Code civil en matière successorale provoque un véritable hachage du sol. - Longue crise de l’agriculture (entre 1885 et 1905 = revenus agricoles chutent de 20 à 30 %). Certains secteurs sont frappés de plein fouet. Ex. : ravages causés à la vigne par le phylloxéra; crise des plantes tinctoriales ; de plus, la concurrence étrangère achève de démoraliser un marché déjà difficile. Conséquences : appauvrissement de ceux qui étaient déjà les plus faibles, notamment les paysans du sud, d’où des revendications protectionnistes (voir Méline, voir aussi aujourd’hui). Page 14 sur 70 Bilan : au XIXème siècle = progrès, mais limités par rapport aux autres pays développés. L’individualisme agraire s’affirme progressivement, mais dans le cadre de petites exploitations économiquement peu rentables et victimes d’un passage difficile de l’autarcie traditionnelle à l’économie du marché. Le paysan français vend dans les pires conditions (au prix de gros) car il propose sur les marchés des produits non homogènes, vendus de façon discontinue et par grosses quantités ; il achète aussi dans les pires conditions (prix de détail) par petites quantités, sans commandes préalables ni achats groupés. Peu rentables, ces exploitations sont cependant politiquement très puissantes électoralement (suffrage universel) car les députés élus par les circonscriptions rurales sont solidaires de leurs électeurs, d’où la politique protectionniste. Fin XIXème, début XXème siècle, ces petites exploitations familiales sont à la fois «trop petites pour vivre et trop nombreuses pour mourir» Section 2 : La croissance industrielle §I. Les matières premières Handicap de la France, largement dépendante de l’extérieur, à la différence de ses concurrents. Ex : production de charbon : 1789 = 230.000 tonnes ; consommation = 450.000 tonnes. 1914 : production = 42 millions de tonnes ; consommation = 64 millions de tonnes. Ex : il faut attendre 1877 pour que des découvertes technologiques permettent l’exploitation industrielle des gisements de minerai de fer lorrains (forte proportion de phosphore qui détériore rapidement les convertisseurs). De plus, les traitements nécessaires font augmenter les prix ; fin XIXème siècle: une tonne de charbon français = 11,07 Francs ; allemand = 7,09 Francs ; anglais = 6,96 Francs ; américain = 6,59 Francs. Lors de la seconde révolution industrielle fondée sur le pétrole et l’électricité, la France est défavorisée par rapport aux pays producteurs (USA) ou qui contrôlent les zones pétrolifères étrangères (USA, Angleterre, Pays-Bas). Idem, retard de la France dans le développement de l’industrie chimique (avance allemande). §II. Fréquent décalage entre innovations techniques et leur mise en œuvre Ex : industrie textile. Les nombreuses améliorations apportées par les anglais entre 1733 et 1799 ne se répandent que très lentement en France car les Anglais interdisent, dans un 1er temps, l’exportation des machines. Surtout, les industriels français sont méfiants (ne disposant que d’un capital modeste, ils investissent lentement et prudemment) et les ouvriers franchement hostiles (peur de suppressions d’emplois), d’ou de véritables insurrections ouvrières (Cf., sous la monarchie de Juillet, canuts lyonnais contre machines à tisser introduites par Jacques-Marie Jacquard). Il faut attendre le choc du traité de commerce conclu avec l’Angleterre en 1860 pour que les entreprises françaises acceptent de se moderniser (avec l’aide financière de l’Etat) pour devenir concurrentielles. §III. Retard des techniques juridiques favorables à la concentration Au début du XIXème siècle, on utilise encore en France des techniques héritées du passé, peu favorables à la concentration des capitaux. -Société en nom collectif : tous les associés sont solidairement responsables des dettes de la société sur l’ensemble de leur patrimoine et non pas uniquement à hauteur de ce qu’ils ont investi dans la société => situation dangereuse pour des investisseurs extérieurs et donc technique surtout utilisée pour les entreprises familiales. -Société en commandite (progrès /à la 1ère forme) : deux catégories d’associés. Les commandités : responsables solidairement des dettes de la société sur l’ensemble de leur patrimoine ; en contrepartie dirigent la société (C’est le noyau familial comme dans la société en nom collectif). Les commanditaires : ne risquent que leur apport, mais ne participent pas à la gestion. Page 15 sur 70 -L’association en participation (nouveau progrès) : tous les associés ne sont responsables des dettes de la société qu’à concurrence de leur apport. Problème : ce type de structure n’a pas la personnalité morale et ne constitue donc qu’un accord provisoire pour une opération limitée. D’où l’intérêt de la société anonyme par actions (forme connue depuis l’Antiquité ; au Moyen-âge aussi en Italie, voir aussi les moulins du Bazacle à Toulouse au XIVe s.) ; mais cette structure ne se développe réellement en France qu’à compter d’une loi de 1867. Auparavant, pour créer une SA, nécessité d’une autorisation de l’administration, rarement donnée par prudence (en raison de la volonté de protéger les créanciers de ce type de sociétés) ; c’est cette condition qui disparaît en 1867. Le développement des SA favorise la concentration des capitaux et la concentration industrielle, désormais nécessaires en raison du coût de la mécanisation. Ex. : secteur de la métallurgie = 1845 : les dix principales entreprises ne représentent que 14 % de la production (l’essentiel de la production est donc assuré par de nombreuses petites unités) ; 1869 : les dix principales entreprises = 55 % de la production (dont 11% pour la seule firme de Wendel). La concentration s’affirme donc rapidement et demeure pratiquement inchangée jusqu’au milieu du XXème siècle. §IV. Le chemin de fer, ex. de développement «à la française» : hésitation, retard Plusieurs révolutions ferroviaires (technique, financière, économique) : -Révolution technique : 1ères locomotives à vapeur construites en Angleterre au début du XIXème siècle. (George Stephenson) ; 1830-1835 = amélioration des chaudières par les français (Marc Seguin) => puissance accrue, possibilité de convois plus importants ; vers 1850 mise au point du boggie par les anglais => les convois peuvent s’incurver dans les courbes donc possibilité de convois plus longs et de construire ailleurs qu’en plaine. Résultat : fin XIXème siècle, une locomotive peut tirer un convoi de 2000 tonnes à 60 km/h de moyenne (charge x 400 et vitesse x 10 par rapport à une diligence). -Révolution financière : avant le chemin de fer, aucune entreprise n'a exigé une telle concentration de capitaux. 1ère compagnie française = 1824, ligne Saint-Etienne- Andrezieux (50 km environ, transport de charbon) se constitue avec un capital de 1 million de F ; la 2ème = 1826 (Saint-Etienne-Lyon, 65 km, charbon), avec un capital de 10 millions. Mais, en 1845 la Compagnie du Nord (Paris-Lille, 200 km environ) se constitue avec un capital de 200 millions. Il a fallu trouver le moyen de réunir ces capitaux considérables d'où l'intérêt de la SA ; actions vendues aux épargnants). Problème : les actions des 2 premières compagnies sont vendues 5000F l'unité (très cher) ; elles sont donc réservées à des individus très aisés, peu nombreux. En 1837, idée des banquiers James de Rothschild et Emile Péreire ; créer une compagnie avec des actions à prix plus réduit (500F) => testent leur idée en créant une petite « ligne réclame » (Paris-Saint-Germain en Laye). Succès car les acquéreurs d'actions peuvent être plus nombreux et des capitaux beaucoup plus importants qu'auparavant peuvent donc être réunis. C'est sur cette base qu'est créée la Compagnie du Nord en 1845 par J. de Rothschild (+ de 20.000 actionnaires dans les premiers mois, capital de départ = 200 millions de F). Malgré ces progrès, le chemin de fer français ne connaît pas de véritable développement durant cette période (Monarchie de Juillet) pour diverses raisons : de 1825 à 1837, vaste polémique pour ou contre le principe du chemin de fer. En effet, présence de lobbies opposées au développement du rail : transporteurs routiers, navigation fluviale, aubergistes, etc.). De +, phénomène d'incompréhension : Adolphe Thiers (député d'opposition sous la Monarchie de Juillet, président de la République en 1871-1873) = le chemin de fer est dangereux pour la puissance militaire de la France car l'infanterie perdra l'habitude de marcher … François Arago (député, savant éminent très novateur, entre autres, en matière de télégraphe électrique) = danger pour la santé en raison de la vitesse de déplacement et asphyxie dans les tunnels). S'ajoute à cela (et surtout) des difficultés financières car le réseau bancaire est encore trop peu développé pour être capable de « coaguler » l'épargne par la vente des titres ferroviaires (en 1847, sur 1 milliard investi dans les ch. de fer français, 600 millions appartiennent à des Anglais). Egalement difficultés d'ordre éco : cherté des produits sidérurgiques français (donc des rails, du matériel Page 16 sur 70 ferroviaire)/aux produits anglais, cherté entretenue par la protection douanière => retard de la construction. Au total : 1847, en France 1900 km de voies ferrées contre 15000 en Angleterre. De plus, le retard du développement est aggravé par de longues discussions de 1830 à 1842, opposant partisans de la nationalisation et ceux du secteur privé. Finalement, l'Etat intervient adoptant une solution de compromis : une loi de 1842 (dite "charte ferroviaire française») fixe les lignes à construire en priorité (Paris-frontières) ; surtout, elle répartit la charge financière liée au développement du réseau (association fonds publics-capitaux privés). L'Etat financera et construira les infrastructures (achats des terrains, construction des ponts, viaducs, du ballast, etc.) Ex : de 1842 à 1845, l'Etat débours 80 millions pour l'infrastructure de la ligne Paris-Lille [Cie du Nord]). Les dépenses assurées par l'Etat devront ensuite être remboursés par les compagnies et, au terme d'un délai variable (15 à 35 ans en 1842, porté à 99 ans en 1851), l'Etat rachètera les installations des entreprises privées. Donc, en 1842, nationalisation prévue à moyen terme. C'est seulement à la suite de cette loi que la construction démarre véritablement, et surtout sous le second Empire (même si, dans les faits, ce sont généralement les compagnies privées qui assureront les dépenses d'infrastructures). En 1845, pour augmenter le capital de la Cie du Nord, Emile Péreire à l'idée de lancer non plus des actions à 500 F, mais des obligations (titres à revenu fixe => aspect de sécurité dans le revenu). Enorme succès, imité par les concurrents, permettant de concentrer dans les mains des compagnies ferroviaires des sommes considérables. Ces mécanismes de rassemblement des capitaux (actions et obligations) vont également être utilisés par les autres secteurs (métallurgie, textile, navigation, banques, etc.). La construction ferroviaire a ainsi été le laboratoire de la concentration des capitaux, donc du grand capitalisme. Désormais, construction et exploitation ferroviaires sont le fait de groupes financiers puissants qui rassemblent, autour des grandes compagnies, des éléments industriels (charbonnage, sidérurgie, constructions mécanique, banques). Ex, entre 1840 et 1860 constitution des 2 principaux groupes dans ce secteur : groupe Rothschild = Compagnie du Nord, Compagnie de construction des Batignolles, banque ; groupe Péreire = Compagnie du Midi, Sidérurgie stéphanoise, banque). De cette époque, date une 3ème révolution due aux chemins de fer. - Révolution économique : né des besoins éco, le chemin de fer vient modifier à son tour les conditions de la vie éco. Les 1ères lignes n'étaient que des voies évacuatrices de charbon depuis les lieux d'extraction jusqu'aux lieux de consommation (le + souvent, elles ont relayé puis remplacé les canaux) ; c'est donc la croissance de la production charbonnière, liée à la demande industrielle, qui a provoqué la construction des voies ferrées. Puis, dans un 2ème temps, le ch. de fer devient à son tour facteur de développement car il stimule les secteurs industriels fondamentaux : développement de l'extraction charbonnière (consommation des locomotives ; de plus, la consommation industrielle s’accroît considérablement ; hors les ch de fer permettent de transporter des quantités de plus en plus importantes de charbon=> consommation industrielle + possibilité d’évacuer des quantités de + en +importantes = stimulation de la production de charbon ), de l'extraction du minerai de fer et de la sidérurgie (fonte, fer puis acier pour les rails, loco, wagons, ponts, viaducs, halls de gares, etc.), des grands travaux publics (ponts, tunnels, gares, entrepôts, etc.) de nouvelles entreprises apparaissent (construction et réparation mécaniques). La révolution ferroviaire provoque en même temps une considérable accélération des échanges sur le sol national et avec l'étranger d'où une baisse du coût des transports de marchandises qui retentit sur l'ensemble de l’économie (baisse des prix de revient, donc des prix). De plus, une fois lancé, l'essor économique favorise à son tour le développement industriel et agricole grâce à l'élargissement du marché. Pourtant, de nouveau, ce développement n'est que partiellement spontané et doit beaucoup à l'effort d'incitation de l'Etat. A la suite de la loi de 1842 et surtout, avec le second Empire, la construction ferroviaire démarre véritablement en France : entre 1852 et 1860, 6 grandes compagnies se constituent (absorbant des dizaines de petites) : Cie du Nord, du Midi, de l'Ouest, de l'Est, PO (Paris-Orléans), PLM (Paris-Lyon-Méditerranée ou Marseille). Mais difficulté financières dès 1855-60. Elles se tournent vers le gouvernement (qui a d'ailleurs, dès 1851 prolongé jusqu'à 99 ans les concessions ferroviaires). Page 17 sur 70 Plusieurs raisons à ces difficultés : Les 1ères grandes lignes ont été créées en plaine = dépenses d'infrastructures limitées. De plus, elles ont relié de grands centres urbains = trafic important. Au total, elles ont donc été rentables. Mais, l'opinion publique, les intérêts éco régionaux ou locaux réclament l'élargissement du réseau, d'où construction de voies « secondaires » qui se révèlent déficitaires (coût de l'infrastructure élevé car régions de plateaux et montagnes ; trafic bien moins important car zones rurales) => 1857-58 (année de crise éco) toutes les Compagnies sont endettées et se tournent vers l'Etat avec lequel elles signent des conventions (les 1ères en 1858, puis en 1863, 1864) ; si une compagnie est en déficit, elle peut demander l'aide de l'Etat (en 1914, seule la Cie du Nord ne l'aura jamais fait) qui garantira le paiement des intérêts des obligations possédées par les particuliers mais en contrepartie elle s'engage à construire de nouvelles lignes. Ainsi, sous l'impulsion de l'Etat, est assurée l'extension du réseau. Au total, loi de 1842 + conventions contiennent en germe le passage d'une gestion privée à une gestion étatique ; ainsi, en 1908, la compagnie de l'Ouest, en déficit permanent, est nationalisée. Pour les autres nationalisations en 1937, Front populaire = > SNCF. Section 3 : Les transformations du secteur tertiaire §I. Evolutions des structures commerciales A) Améliorations des méthodes de transport traditionnel : routes, voies navigables 1) Transports routiers Le développement des échanges passe d'abord par l'amélioration des voies de communication et, surtout, pendant la 1ère moitié du XIXe s. par celle du réseau routier. L'Ancien Régime avait développé un réseau routier relativement efficace, au moins sur les grands « routes royales » construites et entretenues, souvent grâce à la corvée royale, Ponts et Chaussées). La révolution abroge l'organisation administrative de ce secteur mais hésite sur les nouvelles solutions à adopter. 1er projet = financement par les départements ; 2ème projet = prise en charge par l'Etat dans le cadre d'une politique de grands travaux destinés à lutter contre le chômage ; 3ème projet = rétablissement des péages d'Ancien Régime malgré leur impopularité. D'expériences en expériences et, dans certaines régions, du fait du passage incessant des armées, le réseau routier devient très peu praticable. De +, multiplication des bandes de brigands. Les bases de la nouvelle organisation administrative et financière de ce secteur sont jetées par Napoléon Ier. Décret du 16 nov. 1811 qui distingue : les routes impériales (financement sur le budget de l'Etat ; au cours du XIXe., passent de 27.000 à 38.000 km) ; les routes départementales (financement par les conseils généraux + subventions de l'Etat ; passent de 18.000 à 46.000 km). Pour les voies d'intérêt local, loi du 21 mars 1836 qui distingue : les chemins vicinaux (les plus utilisés ; construction et entretien sur les budgets municipaux + prestations en travail fournies par les habitants + subventions départementales et étatiques) ; les chemins ruraux (moins importants, les communes ne sont tenues à aucune obligation). Les crédits émanant de l'Etat et des collectivités locales seront dégagés en fonction des besoins et des préoccupations propres à chaque période : 1er Empire et Restauration = s'intéressent surtout aux routes impériales (puis royales) qui ont beaucoup souffert des opérations militaires ; Monarchie de Juillet : termine la remise en état des routes royales dont le rôle diminue légèrement avec le développement des ch. de fer et fait porter son effort essentiel sur les départementales, désormais d'autant plus utiles qu'elles relient les principaux bourgs ruraux aux nouvelles gares ; le second Empire poursuit cette politique ; la IIIème République porte son attention sur les chemins vicinaux (le système électoral favorisant les campagnes, on veille à satisfaire les électeurs) Bilan = à la veille de la 1ère guerre mondiale réseau routier étendu et correctement entretenu. 2) Voies navigables Page 18 sur 70 Leur aménagement et leur création se poursuivent. Mais, désormais, handicap face à la route (+ souple) et au chemin de fer (+ rapide). La batellerie reste cependant concurrentielle grâce à des tarifs peu élevés, ce qui la rend encore intéressante pour le transport de produits pondéreux, non périssables. Principaux travaux réalisés sous la Restauration (921 km) et la Monarchie de juillet (2041km) Effort supplémentaire de IIIème République (684 km). Au total, à la veille de la 1ère guerre mondiale : 11.200 km de voies navigables fréquentées dont 4.900 de canaux. B) Evolutions de l'appareil de distribution 1) Spécialisation des commerces traditionnels Au XIXème siècle, les commerces traditionnels, en se spécialisant, rompent beaucoup moins avec la tradition d’Ancien Régime qu’avec la situation née de la Révolution (liberté du commerce). Jusqu’à la Révolution : spécialisation = conséquence de la réglementation corporative qui, en disparaissant lors de la Révolution, a laissé la place à des commerces indifférenciés (dans une même boutique vente de marchandises hétéroclites). En revanche, pendant, la 2ème moitié du XIXème siècle, réapparition de la spécialisation résultant d’un plus grand raffinement de la clientèle, d’une relative démocratisation du luxe, de la mode. Résultat: de plus en plus nombreux sont les magasins se consacrant à la vente d’un seul type de produits et tirant argument de cette limitation (garantie de compétence, de nouveauté, de qualité, de fraîcheur pour le secteur alimentaire). 2) Phénomène concomitant de concentration dans des établissements nouveaux Cette concentration se traduit par l’apparition et la multiplication des grands magasins et établissements à succursales multiples. 1ers grands magasins (à Paris) = sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Mais, véritable inventeur du procédé = Aristide Boucicaut sous le second Empire («Le Bon Marché»: chiffre d’affaire = 500.000 Francs en 1852, 27 millions en 1870, 227 millions en 1910). Entre temps, apparition d’imitations (toujours à Paris), avec le même succès («Le Printemps», «La Samaritaine», la société des «Galeries Lafayette», cette dernière multipliant son activité grâce à ses succursales de province). Causes du succès: masse des marchandises commercialisées permettant de comprimer les prix au moment de l’achat aux grossistes (commandes importantes) et à la vente (marge bénéficiaire réduite mais compensée par les quantités vendues). Autre nouveautés = vente au comptant et à prix fixe, presse publicitaire, etc. La clientèle s’enthousiaste malgré les critiques (pressions sur les producteurs pour faire baisser les prix (critique toujours valable aujourd’hui à l’encontre des «grandes surfaces» ; procédés de publicité pour pousser à la consommation, personnel exploité voyez E. Zola, Le bonheur des dames). S’y ajoutent les craintes du petit commerce traditionnel, bien que, pour l’instant le danger ne soit pas imminent (en 1900, dans les secteurs où existent des grands magasins, ces derniers ne représentent encore que 7% des ventes ; bien évidemment, la proportion est encore plus faible si on la compare à l’ensemble du commerce français). Autre ennemi du petit commerce traditionnel = coopératives de consommation (influence des idées socialistes) dont l’objectif est la défense des intérêts des consommateurs avec un système de distribution tourné vers l’intérêt général (limitation du nombre des intermédiaires, pas de frais de publicité, pas de hausse artificielle des prix, etc.), mais influence limitée. Ex. : 1872 = 2875 coopératives pour 293 millions de francs seulement de ventes). Pour mémoire, penser également aux magasins municipaux (mais expérience fragile à la merci d’un changement de majorité municipale). §II. Evolution du secteur bancaire A) Les établissements traditionnels (apparus avant le démarrage économique en 1830) 1) La Banque de France Mène après 1830, sous l’impulsion de l’Etat, une politique de décentralisation d’où une multiplication des guichets en province (0 en 1830 ; 583 en 1913) ce qui facilite les transactions commerciales par le développement de l’escompte des effets de commerce). Page 19 sur 70 2) Les caisses d’épargnes et de prévoyance Apparues à compter de 1818 pour encourager l'épargne populaire qui est attirée par le versement d'un intérêt de 3,5 % ; de plus, ce caractère populaire est garanti par la fixation d'un montant maximum du dépôt sur le livret (3000 F). Problème : les capitaux collectés font l'objet d'une utilisation trop prudente sous forme de souscription d'emprunts publics ; ce sont donc les investissements publics et non privés qui sont favorisés. En 1830 = 11 caisses dont 10 en province, soit + de 100,000 livrets ; après 1830 = affirmation de la spécificité par multiplication des guichets en province (525 en 1870, 548 en 1913), par augmentation du taux d'intérêt versé (passe à 4%) et diminution du dépôt maximum (abaissé à 1500 F). Enfin, en 1881, création de la Caisse Nationale d'Epargne et de Prévoyance mise en place pour mieux atteindre les épargnants ruraux grâce à l'utilisation des guichets de la Poste avec des horaires élargis => 1914, toutes caisses confondues = + de 15 000 guichets, + de 14 millions de livrets (46 millions aujourd'hui...) 3) La « haute banque » Composée d'établissements caractérisés, au début du XIXème s. par leur aspect familial Surtout des familles juives = Rothschild, Péreire, ou protestantes = Mallet, Courtois, cette dernière créée à Toulouse au XVIIIe s.) Causes : freins longtemps apportés aux activités bancaires par L’Eglise catholique qui prohibe le prêt à intérêt. Le caractère familial se retrouve à plusieurs niveaux : les capitaux disponibles = capitaux propres de la famille auxquels s'ajoutent, sous forme de participations, ou, + souvent, de dépôts à terme, les apports de quelques personnalités connues et peu nombreuses => ces banques apparaissent comme des organismes de gestion pour grandes fortunes. Manière dont sont investis les capitaux : placements en France au profit d'entreprises appartenant souvent à la famille ou liées à elle (ex: banque Mallet liée aux entreprises du textile, liens renforcés par des mariages d'intérêt), placements à l'étranger par l'intermédiaire des membres étrangers du même groupe bancaire (ex : Rothschild installé à Francfort, Londres, Vienne, Naples, Paris : grandes places financières). Ces placements doivent être d'une grande rentabilité (prises de participation dans les secteurs industriels de pointe) ou, à défaut, d'une grande sécurité (opérations avec l'Etat : ex., en 1871, rôle majeur de la banque Rothschild lors du lancement d'emprunts par le gouvernement français pour accélérer la libération du territoire national après la défaite face à la Prusse). Au total, la haute banque a joué en France un rôle essentiel dans la vie politique et dans le démarrage des secteurs de croissance primaire. Elle reste cependant incapable de prendre en charge la totalité du développement éco par manque de disponibilité financières. Or, à partir de la 2ème moitié du XIXème s. = 2 phénomènes nouveaux : développement d'une épargne de + en + importante dans les classes moyennes qui se développent ; apparition de demandes de crédit à des fins d'investissement émanant de l'ensemble du secteur industriel qui ne peut plus assurer son expansion par le seul autofinancement. Mais, le secteur bancaire traditionnel n'est ni habitué, ni adapté pour servir d'intermédiaire entre cette nouvelle épargne et cette nouvelle demande de crédit, d'où apparition d'un nouveau type d'établissements bancaires. B) La nouvelle spécialisation bancaire 1) Banques de dépôts Comptoir d'Escompte de Paris (1853), Crédit Industriel et Commercial (1859), Crédit Lyonnais (1863 ; son fondateur, Henry Germain = véritable inventeur du procédé), Société Générale (1864). Font appel à l'épargne que les classes moyennes sont en train de constituer. Principes de fonctionnement : capital social et réserves limités / aux dépôts effectué par les particuliers. Ex : Crédit Lyonnais constitué en 1863 avec un capital social de 20 millions de F et 4 millions déposé par des particuliers durant les 1ers mois de fonctionnement ; mais, en 1913 : capital social = 250 millions seulement contre 1,269 milliard en comptes courants + 912 millions de dépôts à vue). A l'origine, ces capitaux servent indistinctement pour des investissements à court, moyen et long terme surtout au bénéfice du secteur industriel et des Etats étrangers. Danger de cette politique, car des immobilisations trop longues de capitaux ne permettent pas à ces banques de faire face rapidement à des demandes massives de retraits des fonds déposés par les particuliers, ce qui se produit en Page 20 sur 70 1880, année de crise éco ; le Comptoir d'Escompte qui avait consenti des prêts considérables et imprudents à la Société des Métaux n'évite la faillite que grâce à l'intervention de l'Etat. Le législateur viendra sanctionner ces pratiques et donner un statut précis aux banques de dépôts : ne peuvent recevoir que des dépôts à vue ou à terme n'excédant pas 2 ans ; ne peuvent détenir, dans les entreprises industrielles, + de 10 % du capital de ces entreprises ; le montant de ces participations ne peut excéder 75 % des ressources propres de ces banques. Rôle stratégique de ces banques en matière éco d'où leur nationalisation en 1945 (et parfois leur reprivatisation lors de la « première cohabitation ». Cf. société Générale en 1987). 2) Banques d’affaires Apparition postérieure à celle des banques de dépôts, car précédée et préparée par 2 expériences malheureuses : celle du banquier Laffitte sous la monarchie de Juillet (prématurée car le marché financier n'est pas assez important pour répondre à ses ambitions) ; celle des frères Emile et Isaac Péreire sous le second Empire (car manque de soutien du gouvernement qui refuse d'autoriser une nouvelle émission d'obligations et coalition des banques traditionnelles qui craignent la concurrence et finissent par racheter la banque fondée par les Péreire). Mais, par la suite, plusieurs réussites montrent que ces pionniers avaient vu juste : Banque de Paris et des Pays Bas (1872) ; Banque de l'Union Parisienne (1904). Ont vocation à effectuer des placements à moyen et long terme en prenant des participations dans les entreprises qui se créent ou se développent. Capitaux disponibles = capitaux propres de la banque obtenus par de fréquentes émissions d'actions ou d'obligations (donc, peu de dépôts). Stratégie = ne consiste pas à tenter de contrôler le + grand nombre possible d’entreprises mais à se porter rapidement sur les entreprises de pointe (à la fois fragiles parce que nouvelles, et très prometteuses) pour les abandonner dès qu'elles sont devenues + solides mais avec une croissance moindre. Ex : au XIXème s. et début XXème s., le portefeuille de ces banques se porte successivement sur les nouvelles sources d'énergie (charbon, puis électricité et pétrole) sur les nouvelles matières premières (fer et cuivre d'abord, puis nickel, aluminium, caoutchouc). Cette politique doit leur permettre de faire de gros bénéfices (donc de satisfaire les actionnaires) tout en encourageant le progrès. Elles ont donc joué un rôle fondamental durant l'étape intermédiaire entre phase de démarrage et phase de consommation de masse. Rôle toujours essentiel d'où leur nationalisation lors de l'arrivée au pouvoir de F. Mitterrand puis leur reprivatisation pendant la « première cohabitation ». Autres banques spécialisées apparues plus tardivement : Crédit Foncier de France (1852) se consacrant surtout, sous contrôle de l'Etat, à aider les propriétaires d'immeubles, Crédit Agricole (1894). Sous l'influence de ces divers types d'établissements = évolution de la répartition de la fortune privée française au cours du XIXème s. C. L’orientation de l’épargne française Jusqu'au milieu du XIXème s., faveur des épargnants surtout pour les placements immobiliers et les emprunts émis par l'Etat français. Ce qui s'explique par la médiocrité des investissements productifs dans le secteur industriel avant le démarrage de ce secteur et par la recherche d'une sécurité maximale. A cela s'ajoute, en faveur de la propriété immobilière foncière (terre), une tradition héritée de l'Ancien Régime : dans une éco et une société encore aux ¾ rurales, prestige attaché à la possession du sol. De plus, mode de vie des catégories sociales les + élevées fondé sur la double résidence (hiver en ville, été à la campagne). Il faut cependant nuancer : l'intérêt pour la propriété foncière rurale diminue progressivement avec le déclin relatif de l'agriculture ; en revanche l’intérêt pour les placements dans l’immobilier urbain augmente en liaison avec une hausse des loyers et l'espérance d'une plus value en capital grâce au développement des villes. En même temps, on assiste à une croissance des placements mobiliers d'abord au profit des titres à revenu fixe (obligations, emprunts d'Etat), puis, à compter des années 1890, des actions en liaison avec la croissance industrielle et, donc l'espérance de bénéfices importants. De +, durant la même période (1893-1913), accroissement rapide de l'intérêt pour les valeurs mobilières Page 21 sur 70 étrangères pour différentes raisons : intérêt des organismes financiers de placement qui perçoivent des commissions avantageuses lorsqu'ils vendent des titres étrangers aux épargnants + politique internationale de la France désireuse de se concilier des allier puissants dans la perspective d'un futur conflit (ce sera la 1ère guerre mondiale) + goût des épargnants français persuadés que ces pays éloignés, riches en matières premières et en main d'œuvre peu payée constituent les lieux d'investissements les + productifs. Résultat, à la veille de la 1ère guerre : 45 milliards de F or placés à l'étranger dont 2,5 en Europe orientale et dans les Balkans, 6 en Afrique du sud et en Amérique du sud, 11 en Russie (le fameux « emprunt russe »). Les convulsions politiques liées à la guerre et à l'après-guerre (révolution bolchévique, démembrement des empires centraux) remettront en cause la plupart de ces avoirs qui, en toute hypothèse, constituent autant de capitaux non investis dans les entreprises françaises. CHAPITRE 4 LES ACTEURS DE LA CROISSANCE Section 1 : Le monde ouvrier Son émergence est liée au démarrage et à la concentration industrielle dont il est à la fois l'un des acteurs majeurs et la victime. Il faut cependant relativiser car subsistent de nombreuses petites unités de production dans lesquelles patron et ouvriers coexistent et partagent les mêmes tâches, de même que de nombreuses activités traditionnelles (« vieux métiers »), ce qui contribue à restreindre la part du prolétariat d'usine dans le monde ouvrier (« solidarités verticales » entre patron et salariés dans les petites unités). Globalement cependant, le monde du travail change avec une distinction possible en deux périodes. §I. La première moitié du XIXème siècle A) Libéralisme et aggravation de la condition ouvrière Pendant longtemps, le système des corporations doublées de confréries religieuses a contribué à fixer des règles précises en matière de normes de production, de durée du travail, de salaire, de relations entre ateliers d'un même métier, a cherché à limiter les affrontements sociaux. L'influence de l'Eglise a aussi contribué à moraliser le travail au nom du « juste prix », favorable aussi bien au producteur qu'au consommateur. Mais ce système se pervertit dès la fin du Moyen-âge : tendance à l'hérédité de la maîtrise (d'où blocage des salariés [« compagnons »] dans leur condition et compétence des patrons [« maîtres »] parfois contestables, conservatisme technologique (d’où obstacle à toute innovation au nom de la qualité et maintien de prix élevés). Après une tentative avortée d’abolir les corporations sous le règne de Louis XVI, il faut attendre la Révolution pour que, au nom de la liberté et de l’individualisme, les corporations et, plus généralement, toute forme d’association (les «coalitions») soit prohibées (lois d’Allarde et Le Chapelier) ce qui exclut, en principe, aussi bien les solidarités verticales qu’horizontales (ententes entre salariés d’un même secteur ou de secteurs différents pour faire pression sur les employeurs) ainsi que les ententes entre employeurs. Cette conception ajoutée au démarrage industriel conduit en fait à un fort déséquilibre favorable aux employeurs, maîtres du jeu, et à une rapide détérioration des conditions de travail et de vie des salariés : main d’œuvre désormais en surnombre car, faute de limitation législative, aux salariés masculins traditionnels s’ajoutent femmes et enfants, pas de réglementation en matière de temps de travail (qui augmente) ni de salaire (qui baisse) ; La grève, corolaire de la coalition est évidemment prohibée (délit passible d’emprisonnement) et les employeurs peuvent compter sur l’intervention de la force publique (au besoin, l’armée) pour la réprimer, de même que toute activité de type syndical. De plus en plus nombreux, les ouvriers sont même considérés comme un danger potentiel pour la société. Pour les surveiller, loi du 12 Page 22 sur 70 avril 1803 instituant le «livret ouvrier» que tout salarié doit posséder. Il est visé par le maire ou le commissaire de police à chaque changement de domicile, le contrevenant étant réputé vagabond (amende et prison). Le patron mentionne également sur le livret les obligations, notamment financières (dettes) que l’ouvrier peut avoir contracté envers lui, la non exécution de ces obligations empêchant la nouvelle embauche auprès d’un autre employeur. Faute de moyen de défense, détérioration des conditions de travail des ouvriers. Ex.: allongement de la durée du travail (dans certains secteurs, jusqu’à 13 ou 14 heures par jour, voire davantage (jusqu’à 16 heures) pour les travailleurs à domicile payés à la pièce) Ex : l’éclairage artificiel au gaz puis à l’électricité est d’autant plus utilisé qu’il permet de satisfaire des objectifs nouveaux de rentabilité et permet aux employeurs d’amortir rapidement des machines coûteuse et parfois rapidement obsolètes. Au total, le contrat de travail, sensé résulter d’un libre accord de volontés autonomes se traduit par la seule liberté des employeurs d’imposer leur volonté, d’autant qu’ils n’hésitent pas, par des ententes plus ou moins secrètes (et illégales) à fixer les salaires et les prix des grandes branches industrielles pour limiter la concurrence. De 1815 environ à 1850 environ : salaires = jusqu’à moins 40% dans certains secteurs (ex. textile) car disparition de toute la réglementation d’Ancien Régime plus le déséquilibre du marché de l’emploi au détriment des salariés (mécanisation permettant d’augmenter la production avec une main d’œuvre moins importante et moins qualifiée ; en même temps, exode rural et natalité élevée dans les catégories défavorisées = augmentation du nombre de demandeurs d’emploi). Cette baisse des salaires n’est que très partiellement compensée par la baisse des prix => Marx : «paupérisation absolue». B) Moyens limités de réaction des salariés 1) Pratique des compagnonnages Tolérée bien qu’interdite en droit, elle crée une certaine solidarité en permettant aux compagnons, dans le cadre du «tour de France», de se perfectionner efficacement et de bénéficier d’allocations de secours en cas de maladie ou de chômage. Mais ne concerne que les métiers traditionnels antérieurs à la révolution industrielle, donc les moins touchés par l’évolution socio-économique et en déclin relatif face à la concurrence de l’usine ; de plus ne concerne que les jeunes en cours de formation ; enfin, les divers compagnonnages sont affaiblis par les antagonismes qui les opposent (qui vont parfois jusqu’à de véritables batailles rangées => pas de solidarité). 2) Sociétés de secours mutuel D’abord tolérées puis reconnues mais placées sous contrôle étroit (ne peuvent être autorisée qu’après enquête administrative ; présidence du maire ou du commissaire de police avec évolution cependant sous Napoléon III, le président étant désormais désigné par le préfet). Efficacité limitée: ne peuvent aider que les vieillards, les malades, les infirmes ; interdiction de secourir les chômeurs (on considère que cela leur permettrait de refuser les conditions de travail proposées par les patrons) ; de plus, ne concernent que les ouvriers d’usine qualifiés, donc les moins mal lotis (cotisations élevées) ; enfin, pas de mouvement de fédération entre sociétés qui restent donc très isolées. 3) Sociétés secrètes Secrètes (ou déguisées en sociétés de secours mutuel) car interdites parce que buts revendicatifs (durée de travail, salaires) pour tenter de compenser les ententes patronales. Au total, en règle générale, attitude de résignation du monde ouvrier face à un sort qui lui paraît inéluctable («pessimisme à long terme») => luttes organisées rares car pas de «conscience de classe» (les ouvriers ressentent plus leurs différences [par ex. entre ouvriers du textile, de la métallurgie, mineurs] que leur unité => influence limitée des thèses pré-marxistes). §II. La seconde moitié du XIXème siècle : libéralisme aménagé et montée des revendications Page 23 sur 70 A) Evolution législative et conséquence Seconde moitié du XIXème siècle et début XXème siècle = apparition d’un nouvel état d’esprit plus réaliste (conscience du danger à persister dans la voie précédente, nécessite de «lâcher du lest» pour éviter une explosion sociale) et plus bienveillant (ex. du catholicisme social). Dès la 1ère moitié du XIXème siècle, quelques mesures limitées en faveur des victimes les plus nettes du libéralisme et du développement industriel: ex : 1813 = décret interdisant le travail des moins de 10 ans au fond des puits de mine ; loi du 22 mars 1842 = 12h/jour maximum pour les 12-16 ans, mais limitée aux entreprises de plus de 20 salariés. La seconde République (1848) va plus loin => 1ers jalons d’une véritable législation du travail : 2 mars 1848 = décret abaissant le temps de travail à 10h/jour à Paris et 11h/jour en province ; interdiction des bureaux de placement ; proclamation du droit au travail et de la liberté d’association. Mais graves émeutes de juin 1848 (dues à la suppression des «ateliers nationaux») durement réprimées par l’armée => abolition de la plus grande partie de ces mesures. Il faut attendre le second Empire pour que l’évolution reprenne. Convictions de Napoléon III (De l’extinction du paupérisme) influencé par les thèses saint- simonistes qui veut que l’accroissement de la richesse nationale profite au plus grand nombre, ce qui en retour, favorisera le progrès général (également calcul politique car il espère ainsi consolider son régime) => intervient en faveur des grévistes condamnés par les tribunaux (droit de grâce) d’où une tolérance de fait en faveur des coalitions ouvrières. Finalement, consécration du droit de grève en 1864 mais interdiction des «piquets de grève» et de la «grève sur le tas») au moment même où se constitue la première Internationale => multiplication des grèves (110 en 1864, 1073 e 1913) avec refus des pratiques de dialogue et de concertation => durcissement (maximum de 6 jours de grève par gréviste en 1877, de 22 jours en 1902). L’influence des travaux de Marx et Proudhon contribue à une prise de conscience politique dont l’exemple le plus net est sans doute la «Commune de Paris» (printemps 1871) : ouvriers et classes moyennes tentent de fonder la société sur des bases nouvelles ; l’égalité juridique de 1789 doit se prolonger sur le terrain socio-économique, sinon elle ne signifie rien => expériences reprises plus tard par le législateur : école publique, laïque et obligatoire ; première forme très fruste de la sécurité sociale. Répression terrible: 20.000 communards tués («semaine sanglante»), déportation d’une partie des survivants => monde ouvrier condamné au silence relatif sans que soit totalement stoppée l’évolution. Il en résulte l’idée que l’Etat doit intervenir pour créer un équilibre en organisant le travail et ses modalités par la voie législative. Ex sous la IIIe République :concernant la durée du travail: 1874 = interdiction du travail des enfants avant 12 ans ; de 12 à 15 ans, maximum de 6h/jour jusqu’à obtention du certificat d’études (puis maximum de 12h/jour), interdiction du travail de nuit pour les hommes de moins de 16 ans et les femmes de moins de 21 ans ; 1892 = maximum de 10h/ jour pour les femmes et les moins de 18 ans. En 1905 = repos hebdomadaire obligatoire. Malgré ces progrès, les ouvriers ont le sentiment justifié d’être les laissés pour compte du progrès économique. ==> Mouvements violents un peu partout, réprimés avec la plus vive rigueur par les gouvernements, même de gauche. L’une des principales revendications est l’obtention de la journée de 8 heures et l’amélioration des conditions de travail. La loi du 21 mars 1884 ayant reconnu la liberté d’association professionnelle donc la création des syndicats, ceux-ci vont de plus s’appliquer à obtenir les 1ers éléments d’une législation sociale de type qualificatif. Ex : loi du 9 avril 1898 mettant à la charge de l’employeur l’assurance contre les risques d’accidents du travail très nombreux => désormais le patron doit verser une rente à l’ouvrier atteint d’une incapacité, assumer les frais médicaux et pharmaceutiques et, en cas de décès de l’ouvrier, doit verser une pension à la veuve et aux orphelins. Double conséquence : meilleure protection des ouvriers mais aussi, et surtout, amélioration de la sécurité dans les entreprises (les patrons veulent réduire les dépenses liées à la mise en œuvre du texte). Ex : loi du 5 avril 1901 organisant l’assurance vieillesse = le salarié gagnant moins de 3000 francs par an a droit à une rente annuelle de 60 francs par an après ces 65 ans à condition qu’il ait cotisé pendant 30 ans (9 francs par an pour les hommes, 6 francs par an pour les femmes) ; le patron doit doubler la prime et l’Etat assure le financement complémentaire => protestations des patrons, mais aussi des ouvriers car, statistiquement leur espérance de Page 24 sur 70 vie est inférieure à 60 ans = 70 % refusent de cotiser ; la loi reste lettre morte (mais importance du principe). Dans cette attitude, influence de l’anarcho-syndicalisme : refus de la collaboration de classes ; les ouvriers doivent œuvrer au remplacement de l’Etat bourgeois par le syndicat ; action directe avec, pour apothéose, la grève générale organisées en dehors des partis politiques considérés comme virtuellement peu surs. La «Charte d’Amiens» (1906) cristallise ces positions => rupture durable entre mouvement syndical français et partis politiques qui ne peuvent espérer d’adhésion massive des prolétaires (par comparaison, en Angleterre, le parti travailliste bénéficie du puissant relais des trade unions). Au total, montée des tensions : crainte de la bourgeoisie (face à la menace du «grand soir») qui se raidit dans la défense d’un ordre économique et social qu’elle souhaite immuable. La 1ère guerre mondiale apaise pour un temps ces conflits («Union sacrée») ; rapidement après la fin de la guerre, loi du 23 avril 1919 accordant la journée de 8 heures et donc la semaine de 48 heures. Mais, rapidement, nouvelles revendications en liaison avec les difficultés du franc, la crise de 29, la montée des antagonismes politiques dans un climat international de plus en plus tendu («inte