Histoire des Faits Économiques, Licence Eco-gestion - Université Paris Nanterre, 1ère année - Séance 11.

Summary

These are lecture notes from a course on Economic History for first-year Economics students at the University of Paris Nanterre. The notes cover the subject of economic crises in general, and specifically the transformation of banks from commercial establishments to central banks. These notes include references to some specific historical episodes.

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Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Séance 11 – 10/12/2024 Les crises économiques Histoire des Faits Économiques Les crises économiques Résumé de la séance précédente : Des banques aux banques centrales Les banques sont une réalité très ancienne d...

Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Séance 11 – 10/12/2024 Les crises économiques Histoire des Faits Économiques Les crises économiques Résumé de la séance précédente : Des banques aux banques centrales Les banques sont une réalité très ancienne des économies étatiques et urbaines Elles jouent un rôle fondamental en assurant le change et la convertibilité des différents instruments monétaires, notamment – Les monnaies « verticales », fiscales et/ou contrôlées par des États – Les monnaies « horizontales » créées par le jeu des relations commerciales entre agents économiques Une évolution marquante, accélérée durant la R.I., a été la transformation des banques commerciales en banques d’émission puis en banques centrales – En effet, les banques sont inséparables de la R.I., dont elles ont été des acteurs centraux En finançant l’essor du commerce En animant le marché des capitaux En mettant à disposition les moyens monétaires nécessaires à des échanges plus rapides et plus nombreux – Les banques d’émission émettent une monnaie fiduciaire : les billets de banque, garantis par des actifs enregistrés à leur bilan : matières précieuses, effets de commerce, crédits… – Le pouvoir monétaire ainsi conquis a amené les États à leur imposer peu à peu de se transformer en banques centrales, organismes publics (en général indépendants) dotés de 4 caractéristiques : Le monopole de l’émission fiduciaire l’abandon du caractère lucratif Le développement de la fonction de prêteur en dernier ressort (PDR) Un rôle croissant de supervision du système monétaire et financier dans son ensemble Patrice Baubeau Les crises économiques Introduction : Qu’est-ce qu’une crise (économique) ? La notion de crise est loin d’être neuve : Avant le XIXe siècle, l’idée de crise demeure étroitement associée à… – La disette ou famine. En Europe, on parle de crise frumentaire – La peste qui désigne en réalité toutes les épidémies jusqu’au XVIII e siècle, sauf la vérole et la variole qui sont bien connues – La guerre, qui cause d’ailleurs plus de dégâts par les famines et les épidémies que par les morts au combat jusqu’au XVIIIe siècle – Si l’on y ajoute les catastrophes naturelles, la peur des bêtes sauvages (loups, ours, chauves-souris, insectes mais aussi monstres) et la mort comme personnage, on obtient les quatre cavaliers de l’apocalypse Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’autres crises, mais elles sont largement ignorées, soit incomprises, soit moins graves – Les crises commerciales ne touchent longtemps que des cités commerciales et des grands ports – Dans les cités italiennes, des crises monétaires sont décrites dès le XIVe siècle, notamment comme succession de phases de largezza et de stretezza Patrice Baubeau Les crises économiques Introduction : Qu’est-ce qu’une crise (économique) ? Les quatre cavaliers de l’apocalypse (Beatus de Saint-Sever, f.108-109 11e siècle, B.N.F. Image Wikimedia Commons Patrice Baubeau Les crises économiques Introduction : Qu’est-ce qu’une crise (économique) ? Récit de la Genèse, Livre 41, versets 15 à 36 Pharaon dit à Joseph : J'ai eu un songe. Personne ne peut l’expliquer ; et j'ai appris que tu expliques un songe, après l'avoir entendu. […] Dans mon songe, voici, je me tenais sur le bord du fleuve. Et voici. Sept vaches grasses de chair et belles d'apparence montèrent hors du fleuve, et se mirent à paître dans la prairie. Sept autres vaches montèrent derrière elles, maigres, fort laides d'apparence, et décharnées : je n'en ai point vu d'aussi laides dans tout le pays d'Egypte. Les vaches décharnées et laides mangèrent les sept premières vaches qui étaient grasses. Elles les engloutirent dans leur ventre, sans qu'on s'aperçût qu'elles y fussent entrées ; et leur apparence était laide comme auparavant. Et je m'éveillai. Je vis encore en songe sept épis pleins et beaux, qui montèrent sur une même tige. Et sept épis vides, maigres, brûlés par le vent d'orient, poussèrent après eux. Les épis maigres engloutirent les sept beaux épis. Je l'ai dit aux magiciens, mais personne ne m'a donné l'explication. Joseph dit à Pharaon : […] Les sept vaches belles sont sept années, et les sept épis beaux sont sept années : c'est un seul songe. Les sept vaches décharnées et laides, qui montaient derrière les premières, sont sept années; et les sept épis vides, brûlés par le vent d'orient, seront sept années de famine. Ainsi, comme je viens de le dire à Pharaon, Dieu a fait connaître à Pharaon ce qu'il va faire. Voici. Il y aura sept années de grande abondance dans tout le pays d'Egypte. Sept années de famine viendront après elles ; et l'on oubliera toute cette abondance au pays d'Egypte, et la famine consumera le pays. Patrice Baubeau Les crises économiques Introduction : Qu’est-ce qu’une crise (économique) ? Traditionnellement, le rôle de l’État ou du prince ne consiste pas principalement à prévoir ou empêcher les crises, mais à protéger les sujets et citoyens de leurs conséquences : – Greniers publics, règles limitant la spéculation sur les grains, plus récemment « boucliers tarifaires » – Règles de quarantaine contre les maladies Mais cette vision fataliste des crises évolue dans l’Europe du XVIIIe siècle, du fait du poids croissant des gouvernements, de l’apparition des crises financières modernes (Banque de Law, South Sea Company, 1720) et de la multiplication des chocs commerciaux – Les crises peuvent être causées par des décisions humaines, aussi bien politiques que spéculatives – En sens inverse, de « bonnes » politiques peuvent éviter ou limiter ces sortes de crises Enfin, au XIXe siècle la notion même de crise paraît bouleversée : La production de richesse atteint des niveaux très supérieurs à tout ce qu’on connaissait dans le passé, tant du point de vue industriel qu’agricole Mais parallèlement, des embarras ou purges surviennent, apparemment sans raison : D’un côté les biens disponibles en abondance ne se vendent plus De l’autre côté, l’extension de la misère est manifeste… Et puis, après un temps variable, les affaires reprennent, l’optimisme revient, l’embauche se développe, la consommation augmente… Comment interpréter ces crises dans l’abondance, formes contemporaines de la crise ? Patrice Baubeau Les crises économiques Introduction : Qu’est-ce qu’une crise (économique) ? D’où le plan de la séance : I. Peut-on faire la théorie des crises ? A. La thèse des théoriciens libéraux B. La thèse des économistes « pratiques » C. La thèse des économistes « socialistes » II. Des crises anciennes aux crises modernes A. La crise ancienne « type » : une crise de disette B. La crise moderne « type » : une crise d’abondance C. Les trois formes de la crise moderne : cycle, mutation, épuisement Conclusion : le modèle schumpétérien Patrice Baubeau Les crises économiques I. Peut-on faire la théorie des crises ? Les crises économiques modernes sont donc, chronologiquement, les filles de la révolution industrielle Dès les années 1810- 1820, trois thèses principales tâchent d’expliquer, de comprendre et d’interpréter ces crises et, éventuellement, d’y remédier : A. La thèse des théoriciens « libéraux » B. La thèse des économistes « pratiques » (qu’ils soient conservateurs ou progressistes) C. La thèse des économistes « socialistes » Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? A. La thèse des théoriciens libéraux Les théoriciens libéraux considèrent que la crise a forcément une cause non-économique car de lui-même le marché est équilibré C’est ce que semble le démontrer la « loi de Say » ou « loi des débouchés », selon laquelle toute offre crée sa propre demande : « Il est bon de remarquer qu’un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de l’argent que lui procure sa vente, pour que la valeur de l’argent ne chôme pas non plus. Or, on ne peut se défaire de son argent qu’en demandant à acheter un produit quelconque. On voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits. » J.-B. Say, Traité d'économie politique Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? A. La thèse des théoriciens libéraux Pourtant, il existe des phénomènes de mévente, pendant lesquels la loi des débouchés semble ne plus s’appliquer : « Cela étant ainsi, d’où vient, demandera-t-on, cette quantité de marchandises qui, à certaines époques, encombrent la circulation, sans pouvoir trouver d’acheteurs ? Pourquoi ces marchandises ne s’achètent-elles pas les unes les autres ? Je répondrai que des marchandises qui ne se vendent pas, ou qui se vendent à perte, excèdent la somme des besoins qu’on a de ces marchandises, soit parce qu’on en a produit des quantités trop considérables, soit plutôt parce que d’autres productions ont souffert. Certains produits surabondent, parce que d’autres sont venus à manquer. En termes plus vulgaires, beaucoup de gens ont moins acheté, parce qu’ils ont moins gagné ; et ils ont moins gagné, parce qu’ils ont trouvé des difficultés dans l’emploi de leurs moyens de production, ou bien parce que ces moyens leur ont manqué. » J.-B. Say, Traité d'économie politique Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? A. La thèse des théoriciens libéraux Pour les libéraux du XIXe siècle, s’il y a crise, c’est qu’un déséquilibre du marché est survenu, qui ne peut provenir que d’en-dehors du marché Pour ces théoriciens libéraux, la crise est exogène : Action monétaire du gouvernement ou des banques d’émission… Dépense budgétaire ou pression fiscale excessive Rôle néfaste des monopoles Accident climatique provoquant disette ou famine – Mais la loi de King-Davenant joue un rôle équilibrant Rigidité des salaires (à la baisse) – Ce principe qu’aucune crise de « sous-consommation » ou de « sous- production » spontanée n’est possible devient une sorte de mantra, alors même que son statut dans la théorie économique est douteux Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? A. La thèse des théoriciens libéraux Enfin, dans ce cadre interprétatif, les théoriciens libéraux mettent l’accent, à partir du milieu du XIXe siècle, sur les bénéfices de la crise, comme l’exprime Joseph Garnier dans l’article « Crise » du Dictionnaire du Commerce de 1859 : – [Les crises sont donc] « inévitables ; mais les inconvénients ne peuvent, à beaucoup près, balancer les immenses avantages que les peuples retirent des développements immenses de leurs affaires. Les crises de cette nature sont des crises de croissance. » En résumé, pour la théorie libérale au XIXe siècle : – La crise est un désordre sur les marchés, mais qui n’est pas causé par le fonctionnement même des marchés : elle est donc exogène – Toute tentative de suppression des crises par la politique économique est vouée à l’échec, puisque la cause de la crise se trouve en dehors des mécanismes de marché – Les crises jouent donc un rôle positif, puisqu’elles permettent de rétablir l’équilibre des marchés à la suite de perturbations exogènes – Enfin, une seconde justification provient du fait qu’elles sont le prix à payer pour la croissance Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? B. La thèse des économistes « pratiques » Ces économistes « pratiques » ou praticiens, conservateurs ou progressistes, partent de leurs observations : ils constatent des crises, donc elles existent Ils cherchent à les comprendre, à les interpréter, en vue d’agir sur elles Ils proposent en particulier des schémas expliquant l’alternance de périodes de prospérité et de difficultés L’écrivain, économiste et historien suisse Jean-Charles Simonde de Sismondi (1773-1842) est le premier en France à poser les bases de l’analyse moderne des crises – Libéral « classique » dans un premier temps (1803), Sismondi observe les effets de l’industrialisation dans les villes et campagnes suisses, italiennes et anglaises (1817 sq) – Il dresse très tôt le constat des ravages de l’industrie moderne sur les ouvriers et surtout remarque le retour régulier de « crises de surproduction » – Il note que la théorie des débouchés de Say n’est vraie que si l’on fait abstraction du temps (délai entre le revenu et sa dépense) et de l’espace (impact des échanges inter - régionaux)… – Sans s’écarter de principes libéraux et conservateurs, il montre ainsi l’étendue de la pauvreté (sous-consommation) ouvrière et accuse les impacts à court terme du changement technologique sur le chômage, etc. Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? B. La thèse des économistes « pratiques » La critique conservatrice du progrès : « Aussi ce n’est pas en général le progrès naturel de l’industrie, tel qu’il est causé par les intérêts personnels, qui a produit l’encombrement des marchés, et qui a condamné au désœuvrement et à la famine des milliers d’ouvriers ; c’est par une influence étrangère aux intérêts personnels, que nous avons vu “gâter” systématiquement, et en grand, “les métiers”, tantôt par les gouvernements, qui mettant en serre-chaude toutes les industries, ont voulu que leur nation fît tout ce qu’ils voyaient faire à toutes les autres, et lui ont fait produire ce qu’on ne lui demandait pas ; tantôt par des citoyens zélés et des savants, qui ont cru ne pouvoir servir plus utilement leur patrie qu’en important à la fois toutes les inventions qui faisaient la richesse des autres pays, en attaquant tous les préjugés, en renversant toutes les habitudes, en répandant rapidement toutes les découvertes aussi loin qu’elles pouvaient aller, et en demandant aux capitalistes, au nom de leur patriotisme, la fondation de manufactures qu’ils n’auraient point obtenues d’eux au nom de leur intérêt. » J.-C. Simonde de Sismondi, Études sur l’économie politique, Bruxelles, 1837 Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? B. La thèse des économistes « pratiques » A la suite de Sismondi, ces économistes contestent l’idée d’un équilibre perpétuel de l’économie. Ils mettent en avant trois facteurs principaux d’explication – voire de nécessité – des crises : 1. Les décalages temporels : – Entre revenus et consommation : le revenu distribué n’étant pas immédiatement consommé, la production ne trouve pas son « débouché » – Entre investissement et revenus de cet investissement : il y a des erreurs de prévision et des coûts spécifiques à ces décalages – La thésaurisation (distinguée de l’épargne), qui soustrait à la consommation une part des revenus investis dans des richesses immobiles (or, objets précieux) et provoque une insuffisance de la demande adressée aux secteurs productifs 2. Le rôle des banques et du crédit : – Financement de revenus futurs, anticipés mais non certains, impliquant des excès d’investissement (spéculation) et de production (erreurs d’anticipation). – Substitution de monnaie « malsaine », c’est-à-dire de la monnaie dette, à de la monnaie « saine », c’est-à-dire de la monnaie cash, puis panique en cas de crise de confiance envers cette monnaie malsaine (run bancaire, crise de la dette) 3. Les chocs exogènes : – La concurrence extérieure lorsqu’elle se manifeste de manière brutale, soudaine – Les événements catastrophiques : accident climatique, éruption volcanique, guerre… – L’excès du progrès technique, qui crée un chômage immédiat avant de susciter des revenus nouveaux Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? B. La thèse des économistes « pratiques » Sismondi aboutit ainsi à la première théorie moderne des crises technologiques, que l’on retrouvera plus tard chez tous les auteurs évoquant les transitions, les changements de régime : « Mais il est dans la nature des arts que les inventions se succèdent l’une à l’autre, qu’une découverte nouvelle vienne enlever les fruits de la précédente, et que la période de prospérité de toute manufacture soit promptement suivie par une période de détresse. Il nous suffit de savoir qu’une manufacture fleurit aujourd'hui pour pouvoir prévoir, presque avec certitude, que dans dix ans, dans bien moins de temps encore, selon toute probabilité, elle aura dû succomber à la concurrence ; car plus nous avançons dans la science et plus nos pas sont gigantesques, plus les découvertes se succèdent l’une à l’autre avec une accélération qui ne laisse pas le temps de se reconnaître. » (Sismondi, op. cit.) Il semble ainsi que Sismondi soit le premier théoricien de la destruction créatrice développée par Schumpeter. Simplement, il tend à mettre plus l’accent sur la destruction que sur la création : la misère qu’il observe l’amène à développer une lecture pessimiste du « progrès » et de la révolution industrielle, comme Toynbee (ou Carlyle) Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » Le socialisme est issu comme le libéralisme du mouvement intellectuel des Lumières, qui valorise le progrès et la liberté de l’individu. Mais il émerge plus tardivement – L’abbé Siéyès, libéral épris d’égalité et auteur du célèbre Qu’est-ce que le Tiers État (1789) aurait ainsi hésité, d’après ses papiers privés, à utiliser le terme de « socialisme » Ses racines en France se trouvent dans deux idéologies politiques distinctes : – D’un côté, un mouvement lié aux petits commerçants et artisans parisiens et qui se manifeste notamment dans la « conspiration des égaux » de Gracchus Babeuf (1760-1797) – le babouvisme devenant ainsi le premier mouvement socialiste de l’histoire – De l’autre, un mouvement porté par des élites intellectuelles, et notamment Claude-Henry de Saint-Simon (1760-1825), aristocrate en rupture avec son milieu. Saint-Simon, le premier, aurait utilisé le terme socialisme pour désigner un mouvement idéologique et politique Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » En Angleterre, le rôle du mouvement coopératif et syndical a été plus important, débouchant sur une forme spécifique du socialisme : le travaillisme – Mouvement mutualiste et coopératif inspiré notamment par Robert Owen (Angleterre, 1771-1858) – Mouvement syndicaliste et de défense des droits politiques et sociaux des travailleurs, en lien avec les Trade Unions et le chartisme (revendications portant sur les droits électoraux) Le mouvement socialiste en Europe puis au-delà se développe donc au croisement de ces deux inspirations, l’une plus intellectuelle, tôt qualifiée de socialiste et l’autre plus concrète et souvent qualifiée de travailliste ou syndicale Schématiquement, les économistes socialistes s’inscrivent dans quatre traditions plus ou moins apparentées Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » La tradition progressiste valorise le progrès technique et les producteurs Cette tradition propose une réorganisation sociale et politique qui tienne compte du rôle nouveau de la technique et de l’industrie – C’est le modèle inauguré par Saint-Simon, qui oppose les abeilles – les producteurs utiles à la société, ouvriers, industriels et scientifiques – et les frelons – les parasites nuisibles qui fondent leur suprématie sociale sur la tradition et l’hérédité Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » La tradition travailliste revendique une meilleure place pour les ouvriers et les producteurs dans la société Elle valorise les progrès de la production mais conteste la concentration des revenus dans les mains des propriétaires des capitaux Elle recherche une extension des idées égalitaires et démocratiques au domaine économique – Souvent associée au mutualisme et à aux coopératives de production ou de consommation, elle a été représentée en France notamment par Charles Gide Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » La tradition utopiste ou politique est la plus ancienne – Elle s’inspire largement des écrits de Thomas More (1478-1535) ou Tommaso Campanella (1568-1639), voire de François d’Assises (1181- 1226) [aujourd’hui réclamé par une partie du mouvement écologiste] Elle propose une réorganisation globale de la société selon des principes idéaux, souvent associés à une morale du partage et de la complémentarité sociale d’inspiration chrétienne – Notez que l’on retrouve des éléments similaires dans certaines traditions et communautés soufies, donc musulmanes Ces principes sont supposés s’appliquer et s’incarner dans des communautés de taille réduite, de nature autarcique, pacifique et souvent hiérarchique et patriarcale – Cabet ou Fourier s’inscrivent cette tradition en France, qui est à l’origine de petites communautés qui essaiment au XIXe siècle, notamment en Amérique, et échouent le plus souvent Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » La tradition marxiste, devenue dominante au XXe siècle Elle s’appuie sur une analyse qui se veut rigoureuse, le socialisme scientifique, des mécanismes économiques et sociaux – Cette tradition a joué un rôle crucial dans la structuration des mouvements ouvriers, politiques et syndicaux à partir des années 1860 Première internationale ou Association internationale des travailleurs, 1864 – Elle a également considérablement influencé les sciences sociales modernes jusqu’à aujourd’hui Michaël Burawoy en sociologie Michał Kalecki, Joan Robinson, Paul Boccara ou Raúl Prebisch en économie Et à Nanterre l’école de la régulation s’en est largement inspirée (Michel Aglietta, Robert Boyer, André Orléan…) mais aussi Philippe Herzog, co-auteur du premier modèle économétrique français (Zogol, avec Gaston Olive) Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » Ces quatre traditions convergent dans l’identification de trois formes distinctes de crises : – La crise de sous-consommation ou de surproduction, qui découle de la réduction excessive des revenus des travailleurs soumis à la loi d’airain des salaires et au monopole de quelques capitalistes qui se coordonnent contre les ouvriers auxquels on dénie le droit d’agir collectivement D’où les luttes tout au long du XIXe, voire jusque dans l’entre-deux-guerres (États-Unis) en faveur de la légalisation des organisations syndicales et de la grève comme moyen d’action – La crise périodique ou de liquidation, qui vient solder un emballement spéculatif – les marchés étant par essence spéculatifs, il n’est pas question de fonctionnement rationnel – provoqué par l’appât du gain qui dresse les individus (qui en ont les moyens) les uns contre les autres Exemples : crise de la banque Overend Gurney de 1866 ; krach des cuivres de 1889 ; krach des mines d’or en 1895 Plus récemment on peut citer les corners du sucre de 1905, de l’argent en 1980 ou du cuivre en 1996 – La crise structurelle, au cœur de l’analyse marxiste (cf. ci-après) Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » C.3. La crise analysée par Marx et Engels La bourgeoisie n’existe qu’à la condition de révolutionner constamment les instruments de travail, ce qui veut dire le mode de production, ce qui veut dire tous les rapports sociaux. […] Ce bouleversement continuel des modes de production, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. […] Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, mettent de plus en plus en question l'existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé un paradoxe s'abat sur la société – l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement rejetée dans un état de barbarie momentanée ; on dirait qu’une famine, une guerre d’extermination lui coupent tous les moyens de subsistance ; l'industrie et le commerce semblent annihilés. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le développement des conditions de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces conditions qui se tournent en entraves – et toutes les fois que les forces productives sociales s'affranchissent de ces entraves, elles précipitent dans le désordre la société tout entière et menacent l'existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'une part, par la destruction forcée d'une masse de forces productives ; d'autre part, par la conquête de nouveaux marchés et l'exploitation plus parfaite des anciens. C’est-à-dire qu'elle prépare des crises plus générales et plus formidables et diminue les moyens de les prévenir. Friedrich Engels et Karl Marx – Extraits du Manifeste du Parti Communiste (1848) Patrice Baubeau I. Peut-on faire la théorie des crises ? C. La thèse des économistes « socialistes » En résumé, pour les socialistes, la crise apparaît à la fois comme… – …le symptôme des contradictions du système de production, du capitalisme – …une solution temporaire à ces contradictions, la crise imposant les destructions nécessaires à chaque nouvelle phase de développement – …la promesse d’une révolution, sous la forme d’une crise finale qui permettra l’avènement de la société socialiste La crise révèle ainsi les contradictions inhérentes au système productif et aux rapports sociaux qu’il entretient D’où d’ailleurs une contradiction, ou du moins une tension : – À court terme la crise pèse sur les plus modestes – les prolétaires – À long terme la crise est la condition de leur désaliénation, de leur liberté Aussi, à plusieurs reprises, les socialistes ont cru voir dans une crise donnée la crise finale du capitalisme, et notamment : – En 1848 – En 1929 – En 1974 Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes A. La crise ancienne « type » : une crise de disette Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les principales crises sont associées aux mauvaises récoltes, qui causent des disettes voire des famines dans les cas les plus graves – Pendant l’hiver 1709, les Français dans les campagnes mangent feuilles et racines et l’on retrouve leurs cadavres noircis par l’empoisonnement sur le bord des chemins… Jusqu’à 1,8 millions de personnes auraient ainsi péri, soit un Français sur 12 environ – Les guerres provoquent des effets similaires par destruction des cultures ou des récoltes L’absence de données solides et continues sur les quantités de céréales produites a débouché sur une lecture essentiellement démographique de ces crises appelées alors crises de subsistance : – Schéma de ces crises : disette de céréales -> crise démographique = crise de subsistance – La crise se repère donc par ses conséquences démographiques : hausse de la mortalité, baisse de la natalité, effondrement de la nuptialité – Elle peut être confirmée par les indices de hausse des prix des céréales, à la base de l’alimentation – Vous retrouvez donc, de manière implicite, le modèle malthusien que nous avons étudié Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle en Europe, jusqu’au milieu du XXe siècle dans le reste du monde, la forme dominante de la crise est donc la pénurie – Elle se traduit notamment par le manque de marchandises et la hausse des prix Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes A. La crise ancienne « type » : une crise de disette Mais comme le démontrera plus tard Amartya Sen, la plupart de ces crises de subsistance ont en réalité une forte composante politique – En 1709-1710, la famine qui frappe la France est associée aux difficultés liées à la Guerre de Succession d’Espagne – Aujourd’hui, pensez à l’impact de la guerre en Ukraine sur les prix alimentaires dans les pays en développement À partir de la fin du XVIIIe siècle, ces crises de subsistance disparaissent en Europe, même si les mauvaises récoltes dues à des événements climatiques subsistent jusqu’à nos jours : – Hivers glaciaux de 1787 et 1788 – Année sans été de 1816 après l’explosion du Tambora (1815) – Hivers pluvieux de 1845 et 1846 Mais à chaque fois, c’est le facteur politique qui transforme ces mauvaises récoltes en crise catastrophique – Guerres de Révolution et d’Empire en 1791-1815 – Domination politique d’une population sur une autre : Irlande et Flandre belge en 1846-47 – Colonialisme : Bengale en 1943-44 ; émeutes de Sétif et Guelma en 1945 dans l’Algérie « française »… – Idéologie : Holodomor, collectivisation en Ukraine en 1931-33 ; Grand Bond en avant en 1958-62 en Chine (50 M † ?) Aujourd’hui, on explique souvent les famines africaines par la désertification ou le réchauffement climatique. En fait, les famines actuelles sont d’abord politiques, comme le montrent les exemples de la Somalie ou de Madagascar : de mauvaises politiques menées par des pouvoirs corrompus qui y voient le moyen d’affaiblir l’ennemi intérieur. La famine est une arme Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes B. La crise moderne « type » : une crise d’abondance Cette crise ancienne de pénurie est supplantée à partir du XIXe siècle (un peu plus tôt dans les Provinces-Unies et en Angleterre) par la crise moderne qui est une crise dans l’abondance : le problème n’est plus le manque de ravitaillement mais son excès – On constate la mévente des produits, qui restent en magasin – D’où une baisse des prix – Mais aussi une hausse du chômage, une baisse des salaires et l’extension de la pauvreté C’est par exemple ce qui se passe en France en 1846-1847 : – Deux mauvaises récoltes, en 1845 et en 1846, se conjuguent avec une crise de l’industrie des chemins de fer – La crise s’étend rapidement à tous les secteurs économiques et provoque hausse des prix alimentaires, baisse des prix industriels et des salaires, chômage – Mais il n’y a pas de crise de subsistance : la natalité diminue à peine ; la mortalité ne change pas Comment l’expliquer ? – Par le rôle du commerce : les régions en excédent agricole sont en relation rapide avec celles en déficit de récoltes – Par le rôle du progrès agricole : lorsqu’une culture échoue il est possible d’y substituer rapidement une culture secondaire, moins productive, mais suffisante pour écarter la famine – Par le rôle de l’État : la remontée des informations, le stockage de précaution, le contrôle des prix et l’importation de céréales permettent d’écarter les conséquences démographiques des crises frumentaires Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes B. La crise moderne « type » : une crise d’abondance Évolution bimensuelle des prix des céréales dans les mercuriales françaises, 1825-1854 Source : Drame et alii 5000 Aisne / Soissons Basses-Alpes/Digne Ardennes/Charleville Aude/Carcassonne Bouches-du-Rhône/Marseille Calvados/Bayeux 4500 Charente/Angoulême Charente-Inf./Marans Cher/Bourges Corrèze/Tulle Côtes-du-Nord-St-Brieuc Eure/Bernay 4000 3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 Jan. 1 Jul. 2 Feb. 1 Mar. 1 Sep. 2 Apr. 1 Oct. 2 May 1 Nov. 2 Jun. 1 Jul. 1 Jan. 2 Aug. 1 Feb. 2 Sep. 1 Mar. 2 Oct. 1 Apr. 2 Nov. 1 May 2 Dec. 1 Jan. 1 Jul. 2 Feb. 1 Mar. 1 Sep. 2 Apr. 1 Oct. 2 May 1 Nov. 2 Jun. 1 Jul. 1 Jan. 2 Aug. 1 Feb. 2 Sep. 1 Mar. 2 Oct. 1 Apr. 2 Nov. 1 May 2 Dec. 1 Jan. 1 Jul. 2 Feb. 1 Mar. 1 Sep. 2 Apr. 1 Oct. 2 Aug. 2 Jun. 2 Aug. 2 Jun. 2 Aug. 2 Dec. 2 Dec. 2 1825 1826 1827 1828 1829 1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 1839 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes B. La crise moderne « type » : une crise d’abondance Le premier à noter le phénomène de la crise dans l’abondance est Sismondi Il faut bien comprendre ce que ce type de crise a (et conserve) de paradoxal et de moralement scandaleux pour les femmes et les hommes du XIX e siècle – Les produits ne manquent pas, ils sont stockés – Et pourtant les ménages et les consommateurs n’y ont pas ou plus accès, soit que les vendeurs trouvent les prix trop bas, soit que les salaires aient trop baissé – C’est pourquoi des stocks de produits peuvent être détruits ou dénaturés, tandis que des consommateurs en sont privés : Utilisation du café comme combustible au Brésil durant l’entre-deux-guerres Dénaturation des excès de raisin en vinaigre et en alcool pur en France après 1907 Stockage de laitages dans la Communauté économique européenne des années 1980 Ces crises dans l’abondance appellent de nouvelles politiques économiques, par exemple la réduction des capacités de production : – Jachères agricoles en Europe ou aux États-Unis – Primes à l’arrachage (de vignes, de vergers…) – Primes à la conversion ou financement de la destruction d’outils encore opérationnels : véhicules à combustion interne, chaudières, centrales énergétiques, usines chimiques… Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes B. La crise moderne « type » : une crise d’abondance Or ces crises semblent se répéter régulièrement, notamment au XIX e siècle – On parle, à partir de 1839 notamment (Dupin, 1839), de crises commerciales périodiques Commerciales car le phénomène marquant est la mévente en même temps que l’engorgement des magasins : il y a excès « d’abondance » et insuffisance de pouvoir d’achat Périodiques parce que ces crises semblent se répéter à intervalles réguliers Le premier à proposer une description globale et un début d’explication à ces crises périodiques est Clément Juglar (1819-1905), médecin et économiste français, libéral – Juglar Clément, Des Crises commerciales et de leur retour périodique, en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, Paris, Guillaumin, 1889 (1ère éd. 1862) Il note que les crises commerciales – Reviennent selon une périodicité d’environ 10 ans – Se déclenchent lorsque les prix, les ventes, les cours boursiers, les investissements et les crédits bancaires atteignent leur maximum – Se diffusent à l’échelle internationale et coordonnent ainsi les conjonctures nationales Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes B. La crise moderne « type » : une crise d’abondance B.3. La crise périodique ou cycle de Juglar La contagion internationale des crises Spectre de puissance (Cazelles & Baubeau, 2011) de l’évolution détrendée du PIB française au XIXe siècle (Lévy-Leboyer, 1985) Article de Cl. Juglar, « Crises », in L. Say, Nouveau dictionnaire d’économie politique, 1900. Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes B. La crise moderne « type » : une crise d’abondance B.3. La crise périodique ou cycle de Juglar Le schéma en trois temps de la crise classique au XIXe siècle (Faucher, Juglar, Lescure) Crises Période 1 Période 2 Phase 2 Crise Phase 1 Phase 3 Prospérité Purge Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes C. Les trois formes de la crise moderne : cycle, mutation, épuisement Si l’on tient compte de l’ensemble de ces phénomènes – Crises périodiques, liées en particulier aux cycles d’inventaire ou de stockage – Crises de mévente liées à des mutations productives : nouveaux produits, nouveaux producteurs, nouvelles méthodes – Crises liées à des mutations majeures qui modifient les conditions de rentabilité du capital – crise énergétique, crise financière, bouleversement des chaînes mondiales de sous-traitance… On obtient une lecture combinée de ces crises, dominée par des oscillations périodiques et deux phénomènes remarquables – La substitution causée par l’épuisement progressif de la capacité d’entraînement d’un secteur économique nouveau La croissance du secteur se poursuit mais en se ralentissant Il s’agit en quelque sorte d’une logistique, proche des courbes de cycle de vie des produits – La mutation opérée par le glissement d’un secteur dominant à un autre avec les dévalorisations d’actifs et les désordres productifs ou politiques que cela entraîne L’interprétation la plus satisfaisante de ce schéma est celle proposée par Joseph Schumpeter Patrice Baubeau II. Des crises anciennes aux crises modernes C. Les trois formes de la crise moderne : cycle, mutation, épuisement La périodisation de la croissance et des crises aux XIXe et XXe siècles (synthèse entre Juglar et Schumpeter) Crise de substitution de 1974-1982 Crise de maturité de 1930-1933 Crise de substitution de 1875-1895 Crise de maturité de 1848-1850 1780 1810 1840 1870 1900 1930 1960 1990 2020 Patrice Baubeau Les crises économiques Conclusion : le modèle schumpétérien La crise économique apparaît comme un phénomène permanent dans le monde né de la révolution industrielle Contrairement aux crises antérieures, liées à des événements exogènes à l’économie… – Accidents climatiques – Épidémies – Guerres et autres phénomènes politiques – Catastrophes naturelles … le nouveau régime des crises économiques nées de la R.I. est d’abord endogène : – La crise découle du mécanisme normal du processus économique – Spéculation – Cycles de stockage / déstockage – Cycles d’investissement – Progrès et mutations techniques - innovations En ce sens, et comme l’écrivaient les économistes libéraux du XIXe siècle, la crise est le prix à payer pour bénéficier de la croissance de l’économie En généralisant, on retrouve le point de vue de Joseph Schumpeter (1883-1950), selon lequel la croissance fait toujours des gagnants et des perdants Patrice Baubeau Les crises économiques Conclusion : le modèle schumpétérien Selon Schumpeter la transformation économique se produit parce que les secteurs nouveaux, bénéficiant d’une demande plus dynamique, proposent une rémunération du capital, du travail et de l’innovation supérieure aux secteurs anciens Ces facteurs de production se déplacent donc des anciens vers les nouveaux secteurs, aggravant les difficultés des secteurs anciens – La hausse du coût des facteurs dégrade la rentabilité des secteurs anciens, accentue leur tendance à la concentration (investissements de productivité et non de capacité) et libère les ressources nécessaires aux secteurs dynamiques Par ailleurs, la croissance se déroule dans le temps : l’économie est essentiellement dynamique et par conséquent chaotique – c’est-à-dire peu prédictible Chaque transition, chaque mutation, peut se manifester par une crise, tandis que les oscillations conjoncturelles, liées aux accidents naturels ou politiques ou aux conflits d’horizon temporel entre agents, éloignent l’économie d’une trajectoire d’équilibre La destruction créatrice rappelle ainsi que la croissance de l’économie résulte d’une compétition – Pour la valorisation des capitaux techniques, humains et financiers – Pour l’appropriation des revenus issus de ces capitaux Patrice Baubeau Les crises économiques Références bibliographiques Baubeau Patrice et Cazelles Bernard, « French economic cycles: A wavelet analysis of French retrospective GNP series », Cliometrica, Octobre 2009, 3, p. 275-300 Chaunu Pierre, « Conjonctures, structures, systèmes de civilisation », Conjoncture économique, structures sociales. Hommage à Ernest Labrousse, Paris, Mouton, 1974. Chevet J.-M. et Ó Gráda C., « Crisis what crisis? Prices and mortality in mid-nineteenth century France », in Ó Gráda C., Paping R. et Vanhaute E. (ed.), When the Potato Failed. Causes and Effects of the Last European Subsistence Crisis, 1845-1850, Corn publication n° 9, Turnhout, Brepols, 2007, p. 247-265. Juglar Clément, Des Crises commerciales et de leur retour périodique, en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, Paris, Guillaumin, 1889 (1ère éd. 1862). Juglar Cl., « Crises », in L. Say, Nouveau dictionnaire d’économie politique, 1900. Koselleck Reinhart, « Crisis », trad. de l’allemand [« Krise », 1972] par Michaela Richter, Journal of the History of Ideas, vol. 67, n° 2, Avr. 2006, p. 357-400. Piketty Thomas, Le Capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2013. Simonde de Sismondi Jean Charles Léonard, Etudes sur l’économie politique, tome 2e, Bruxelles, 1837.

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