Politique locale et jeunesse - 1960 1980 PDF
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Summary
This document discusses local politics and youth in the region of Valais in Switzerland, focusing on socio-economic developments, leisure activities, cultural and social change between 1960 and 1980. The text references various organizations and movements concerning youth and their involvement in the community during this period.
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Valais, vers 1950. (Max Kettel, MV-Martigny) Politique locale et jeunesse par Gabriel Bender...
Valais, vers 1950. (Max Kettel, MV-Martigny) Politique locale et jeunesse par Gabriel Bender professeur à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO, Valais/Wallis) Les chiens de faïence Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Valais voit se Celles-ci connaissent trois étapes. La mise à disposition d’es- conjuguer deux phénomènes sociodémographiques : l’ef- paces et d’infrastructures pour les loisirs, le soutien à des or- fondrement de la société agricole et l’arrivée d’une nou- ganismes (clubs sportifs, associations), puis l’engagement de velle vague d’émigrants. Les trente glorieuses de l’écono- professionnels pour gérer les dispositifs. Ainsi par imitation mie valaisanne bouleversent le paysage réel et le paysage et distinction se crée un nouveau standard. Une commune mental : construction tous azimuts, à la montagne pour les doit offrir des infrastructures pour les activités sportives et touristes, en plaine pour les familles, équipement lourd en la culture. Terrains de jeux, places de sport et piscines, bi- génie civil (ponts, tunnels et barrages) et développement bliothèques et théâtres sont des impératifs comme l’étaient d’emplois dans les services. autrefois l’église et la place du marché. La famille traditionnelle organisée autour d’une économie agricole et familiale disparaît peu à peu. Les temps de travail des enfants et des adultes ne coïncident plus. Les espaces de rencontre se réduisent. Les enfants des villes sont dé- sœuvrés mais non dénués de désirs. En quelques années (1960-1980), le Valais entre dans la société de consomma- tion, puis passe à la civilisation des loisirs. Des heurts iné- vitables auront lieu entre les tenants de la société tradition- nelle qui s’effondre et les jeunes qui assistent et provoquent ce chambardement. La question des activités sur le temps libre devient de plus en plus préoccupante. Les activités agricoles qui dominèrent ne sont la condition que d’une minorité de plus en plus infime. Le soutien des administra- tions publiques à des projets associatifs s’inscrit dans la mise en place progressive de politiques de la jeunesse. Patinoire de Haute-Nendaz, 1981. (Anonyme, Treize Etoiles, MV-Martigny) 96 Gabriel Bender LA PROFESSIONNALISATION DE L’ENCADREMENT (1960-1980) Dans les villes du Valais, des associations sont créées pour proposer des lieux de rencontre où s’adonner aux loisirs. L’ Association sierroise Loisirs et Culture (ASLEC) est fon- dée à Sierre en 1960, la Maison de loisirs des jeunes de Sion en 1963 – cinq ans plus tard, elle devient l’associa- tion Rencontres, Loisirs et Cultures (RLC). La même an- née s’ouvre le Centre de rencontre et d’amitié monthey- san (CRAM), qui a la particularité d’être une émanation du Conseil communal. Les intervenants se spécialisent. Ils tendent d’une part à canaliser les moyens d’expression dans des formes légitimées, d’autre part à définir une ac- tion socioculturelle comme alternative au contrôle et à l’as- sistance sociale. Les premières formations sont créées à l’intérieur des mou- vements respectifs : animateurs de paroisse, moniteurs de la Jeunesse ouvrière chrétienne. Le Centre d’enseignement des méthodes d’éducation active (CEMEA) est mis en place par le Mouvement de la jeunesse de Suisse romande avec d’autres associations du même genre. Il forme des moni- teurs de colonies de vacances. La mise sur pied d’organes de contrôle ou de services officiels de la jeunesse induit la création de filières de formation qui vont délivrer des titres reconnus. En 1962, l’Ecole d’animateurs de jeunesse ouvre ses portes à Genève. A Lausanne, en 1965, on adjoint à la forma- tion d’assistant social la possibilité d’obtenir un diplôme en animation socioculturelle. Celle-ci prend son essor en Haut-Valais, 1970. (Oswald Ruppen, Treize Etoiles, MV-Martigny) Suisse romande avec la création d’associations de quartier ou d’habitants, l’émergence de mouvements d’extrême comme un espace d’élaboration d’une contre-culture au gauche, de groupes tiers-mondistes anti-impérialistes ou service de l’expression des minorités et un laboratoire de liés à la mouvance féministe, qui transforment en pro- l’approche communautaire. fondeur les conceptions du travail de l’animation auprès Au début des années 1980, dans la rue, la priorité va à la des jeunes également. De leur côté, les lieux d’interven- parole conquise plutôt qu’à la parole donnée : les mou- tion d’origine chrétienne-sociale s’organisent de manière vements « Züri brennt » et « Lôzanne bouge » illustrent plus structurée et tendent à s’éloigner des paroisses. Les ce nouveau phénomène. Depuis, l’animation est souvent lieux d’animation socioculturelle se revendiquent à la fois perçue par les notables conservateurs comme provocatrice Politique locale et jeunesse 97 et spontanée. On reproche aux animateurs de favoriser le L’ offre d’encadrement et les projets des professionnels se désordre alors qu’ils étaient engagés pour créer de l’ordre. resserrent autour de problématiques socio-éducatives ré- A cause de ces quiproquos, les animateurs de la jeunesse et currentes : processus de socialisation et d’intégration des les autorités se regardent en chiens de faïence. jeunes issus de la migration, création et maintien de liens L’ évolution rapide des contextes socio-économiques sociaux. La priorité est à nouveau donnée à la prise en montre que l’action institutionnalisée ne peut se substi- charge d’activités destinées aux enfants, à la supervision tuer aux forces sociales organisées. Le contraire est juste d’espaces destinés aux adolescents et à la vitalisation de la aussi. L’ animateur est alors envisagé comme un réformiste. vie associative, bref à l’encadrement du temps libre. Sapinhaut : de la lutte des classes au conflit de générations Le Festival de Sapinhaut, sur les hauts de Saxon, est une mot culture son sens premier : ‘ ensemble des connaissances des premières manifestations d’une jeunesse valaisanne et du savoir d’une civilisation ’. »2 Ce choix est différemment qui conteste le rigorisme et les options de développement affirmé, comme le montrent certains procès-verbaux, rédi- économique. Les jeunes Valaisans en rupture avec la socié- gés à l’en-tête de « Sapinhaut-Fête contre-culturelle », ainsi té conservatrice importent les expressions et attitudes du que les traductions « Sapinhaut : marginales freies Festival », mouvement hippie (musique, vêtements, consommation de « Sapinhaut-Fiesta marginale gratuita », « Sapinhaut : margi- chanvre, vie en communauté). Festival de l’île de Wight en nal free festival ». 1968, Woodstock en 1969 et Sapinhaut en 1970… On peut être surpris par la précocité de la réplique locale qui est assu- mée : « Nous étions dans le ‘ trip Woodstock ’. »1 Des parents exigent l’interdiction du festival, prétextant des problèmes de mœurs et de drogues. Les autorités de la com- mune refusent d’accorder les autorisations pour l’édition de 1973. Pour contourner l’obstacle, le comité baptise l’édition de 1974 Fête populaire. Celle-ci combine les expressions artistiques (théâtre, marionnettes, cinéma, musique) avec des rencontres sur des thèmes politiques et avec la présence de nombreuses organisations. Les responsables s’en expliquent : « Nous ré- pondons, à ceux qui voudraient que nous l’appelions contre- culturelle, que nous nous réclamons de la culture vraie, fon- damentale, totale, et que nous essayons ainsi de redonner au Festival de Sapinhaut, 1974. (Philippe Schmid, Treize Etoiles, MV-Martigny) 1 « Sapinhaut aurait inspiré Daniel Rossellat », in Le Courrier, 2 'Culture, contre culture', «Sapinhaut édition », in Tribune Le Matin, 19 août 2000. 21 août 1976. 98 Gabriel Bender Les organisateurs sont attentifs à montrer la dimension va- être séduit par la capacité de la jeunesse valaisanne à loca- laisanne des débats : construction de l’autoroute, stations de liser le champ de la lutte ? Cette volonté d’agitation dans le ski, situation des saisonniers, lutte antimilitariste dans le but d’une transformation sociale est très clairement expri- Haut-Valais. Ils puisent leurs références à divers source de mée par les organisateurs : « Nous n’allons pas nous contenter la théologie de la libération au Mouvement de libération de de nous taper les mains sur les cuisses au son de la guitare, la femme (MLF). Ils sont accusés d’être à la solde de thèses croyez-moi […] Oui, ce sera d’abord la grande fête de la jeu- politiques importées de Pékin, Moscou ou Nanterre. Ces nesse, nous aurons nos stands, nos orchestres, nos amis de trois villes sont autant de points cardinaux idéologiques : la chanson de toute expression musicale, mais Sapinhaut 76 maoïsme, trotskisme et anarchisme qui se reproduiraient sera surtout marqué par d’importants débats sur ‘ l’homme sur le sol valaisan à Sierre, Sion et Saint-Maurice, en une et la nature ’. Nous allons déclencher une prise de conscience nouvelle trinité. Il serait réducteur de résumer l’ensemble face à la pollution, qu’elle soit baptisée fluor ou autre. Aborder du discours à un refus de la société traditionnelle ou au ces problèmes entre jeunes, c’est aussi faire de la politique. »3 désir de participer à une culture de masse plus hédoniste. Les visées subversives de la manifestation sont dénoncées Rappelons qu’en avril 1968, un baiser partagé dans un éta- par les conservateurs. Le Nouvelliste tente de son côté de blissement public d’une station de montagne donnait l’occa- réduire et de circonscrire la dimension politique. Le quo- sion à Férid-Gérard Gessler de dénoncer, dans le Nouvelliste, tidien titre : « Sapinhaut : la jeunesse dit ‘ oui ’ au festival et « le triste comportement d’une certaine jeunesse inspirée par ‘ non’ aux agitateurs ». Selon le quotidien, le volet musical Sylvie Vartan ». Le journaliste promet les pires ennuis ju- de la manifestation a connu « un immense succès », tandis diciaires à ces jeunes « voyous sans foi ni loi » qui vivent à que les jeunes se désintéressent totalement des débats. Le l’heure « du juke-box, de la surprise-party, de la surboum, Nouvelliste faisait le même constat lors de l’édition 1974. Le de la voiture décapotable et de la marijuana ». Le Nouvelliste, journaliste L. R., reproduisant la répartie d’un jeune « face comme l’armée ou la religion, sera dans le champ de mire des au notoire gauchiste, communiste affiché » qui lui repro- organisateurs. Mais le comité du festival se sait sous contrôle. chait son indifférence et son apathie : « Tu oublies une chose, Pour faire taire les reproches, toute consommation d’alcool et aurait répondu le jeune, que nous, on pense pop. Bien sûr, de produits stupéfiants est interdite sur le terrain. on aurait pu penser Marx et Lénine, mais qu’est-ce que tu « Sapinhaut : culture ou politique ? », demande le pasteur veux, on pense pop… »4 Malgré le Nouvelliste, Sapinhaut Pierre Wanner, dans une libre opinion parue le 8 septembre donne une visibilité et une tribune à des personnages re- 1976, dans la Tribune Le Matin. Avant de donner la réponse : connus de l’opposition. Le pasteur René Cruse pour le pa- « Les discussions ont démontré que nous n’en sommes plus à cifisme, Narcisse Praz pour l’anticléricalisme, Franz Weber sensibiliser l’opinion publique, mais à préparer la lutte. Nous pour les écologistes, ou encore l’inclassable écrivain Nicolas n’en sommes plus à l’analyse des effets, mais à la recherche Meienberg. Ces personnalités auront agité le Valais et don- des moyens pour combattre les causes. » Comment ne pas né de l’urticaire à certains pendant près de quarante ans. 3 'Culture, contre culture', «Sapinhaut édition », in Tribune Le Matin, 4 « Malgré les imperfections, les faiblesses, Sapinhaut attend », 21 août 1976. in Nouvelliste, 21 septembre 1974. Politique locale et jeunesse 99 NE PAS PERDRE LE CONTACT sens, la politique culturelle est également une action pré- AVEC LES JEUNES EN DÉRIVE ventive. Le travailleur social Pierre-André Thiébaud, de l’antenne sédunoise de la LVT, s’inscrit dans ce courant de Depuis les années 1960, une certaine jeunesse se décline l’action socioculturelle6. Entre 1984 et 1989, il crée une en sexe, drogue et rock’n roll. Le monde de la consomma- petite publication, Communication impossible, qui édite les tion de substances, « la zone », est très proche du monde textes de jeunes artistes, de détenus ou de toxicomanes, de la culture. Ils se confondent souvent. Pour atteindre en un savant mélange de genres. Cinquante numéros sont l’un, il faut viser l’autre ; c’est ce qui se tente à Monthey, publiés. Le Centre Contact de la LVT s’inspire des Free à Martigny, à Sion et à Sierre dans les antennes Contact clinics américaines ou Drop-in, lieu à vocation psychoso- de la Ligue valaisanne contre la toxicomanie (LVT)5. Des ciale et contre-culturelle. Le bâtiment abrite également travailleurs sociaux ayant une vision large de la prévention une galerie, un artisan du cuir et l’atelier d’un astrologue. primaire font du développement culturel. La LVT engage L’ouverture du Centre de loisirs et culture de Martigny des spécialistes issus de deux courants complémentaires : (CLCM), en septembre 1984, s’inscrit dans ce mouvement. d’une part, les professionnels de la prise en charge, qui s’inscrivent plutôt dans un courant médicoso- cial (soins et soutien psychosocial à apporter aux toxicomanes et à leur famille, information et pré- vention secondaire dans les écoles et pour le grand public) ; d’autre part, des intervenants plus orien- tés sur la prévention primaire. Pour ces derniers, toute action qui améliore le cadre de vie doit être soutenue. Simon Darioli, travail- leur social à Martigny puis chef du Service cantonal de l’action sociale, soutient toutes initiatives qui favorisent des loisirs actifs, créatifs, parce qu’ils permettent l’expression et donnent de l’es- pace. Ces actions participeraient de la réduction des risques. En ce Maison des jeunes, Brigue, 1981. (Thomas Andenmatten, Treize Etoiles, MV-Martigny) 5 Sur le sujet, voir Bender, Moroni 2011. photographies ou de reportages. Il s’est formé par la suite au cinéma. 6 Pierre-André Thiébaud a mené, parallèlement à son emploi à la LVT, Il est aujourd’hui réalisateur et producteur de films. des actions dans le domaine de la culture, qu’il s’agisse de 100 Gabriel Bender Il est le signe de la prise en compte par l’autorité locale, de cette montée en puissance de l’action municipale au- très tardivement à Martigny, de deux mouvements qui ré- près de la jeunesse, qui se combine à une politique so- clament leur place : la culture jeune et l’intégration sociale cioculturelle tous publics. En 1985, le premier animateur des marges. Ces actions d’ouverture sont rendues possibles professionnel est engagé à Martigny pour un poste à mi- par l’arrivée simultanée sur le devant de la scène de person- temps. Depuis, la dotation et les missions croissent réguliè- nalités respectables, issues du champ du travail social ou rement : 130 % en 1989, 210 % en 1991, 280 % en 1995, de la mouvance chrétienne-sociale, et de personnalités qui 360 % en 2001, 450 % en 2010. Une partie de l’action est se revendiquent de la contre-culture. Elles vont déstabili- destinée aux jeunes et le reste s’adresse à l’ensemble de ser la politique petite-bourgeoise qui organise la politique culturelle locale depuis les années 1960. Les mouvements laïcs du travail social et les chrétiens-sociaux sont bien plus proches qu’il n’y paraît. Tous deux sont fondés sur la conviction qu’il faut offrir aux jeunes et aux marginaux des espaces et des activités plus ou moins structurés qui favorisent le développement personnel et rendent possible leur intégration sociale. Il y a dans le Centre de loisirs et culture de Martigny une volonté éducative affirmée. Daniel Rausis, qui rejoint Simon Darioli au comité du Centre de loisirs, défend le lieu comme une école du civisme en rup- ture avec une société qui tend à allier le loisir au travail, sur le modèle bourgeois : « Je pense qu’il est important d’avoir une culture de la participation où tout n’est pas livré clés en main. […] Dans ce sens-là, c’est une bonne idée de la prévention. Et ce n’est pas simplement une culture de dé- lassement qui nous permettrait de retourner le matin sans revendication dans un boulot un peu chiant. »7 En Valais, nous assistons à la deuxième vague du déve- loppement de l’animation socioculturelle, un secteur dont la croissance est soutenue ou stimulée par la création au Centre de formation pédagogique et social (CFPS) d’une filière de formation à l’animation socioculturelle en 1991. Les communes de plaine engagent à leur tour des anima- teurs professionnels ou en formation et leur confient des mandats de politique de la jeunesse. C’est le cas à Vouvry, Saint-Maurice, Fully, Conthey et Martigny. La situation de la ville du coude du Rhône est emblématique Valais, 1980. (Anonyme, Treize Etoiles, MV-Martigny) 7 Wernimont 1994, p. 44. Politique locale et jeunesse 101 la population. L’ idée se fait jour de construire une poli- tique locale de la jeunesse en partant des droits de l’enfant. Une vision qui peut être définie comme un ensemble de mesures pour créer une bonne qualité de vie et permettre l’épanouissement de chaque enfant dans l’intérêt de tous. Concrètement, cela donne : L’enfant a le droit de : Etre entendu Avoir de l’espace Etre encadré Etre soutenu Entendre des messages cohérents Grandir dans une cité accueillante Terrain de jeux. (Anonyme, Treize Etoiles, MV-Martigny) NAISSANCE D’UNE POLITIQUE COMMUNALE social ne sont plus considérés comme préalables à l’action, mais intégrés à une praxis. Sollicités lors de la mise en place La jeunesse s’allonge. L’ accès à l’emploi et la fondation d’une des hautes écoles spécialisées (HES) dans les années 2000, famille sont plus tardifs, les parcours plus variés, l’école et les responsables de l’animation socioculturelle des écoles de l’environnement social ne jouent plus le même rôle intégra- travail social de Sion, Lausanne et Genève délivrent leur vi- teur. « Cela se traduit par un sentiment de fragilité de leur sion : « Au plan des hiérarchies sociales et de pouvoir, l’ani- condition, une perte de confiance dans les systèmes existants mateur est un cadre moyen, situé certes à un carrefour straté- et une certaine désaffection pour les formes traditionnelles gique, mais ne déterminant qu’indirectement les orientations de participation à la vie publique mais aussi de participa- majeures qui définissent son mandat. La notion de ‘projet tion aux organisations de jeunesse. Certains disent ne pas d’intervention’ ou d’action nécessitant une technicité carac- toujours se retrouver dans les politiques publiques conçues térisée tend à requalifier et à redimensionner celles de ‘mise pour et par leurs aînés. »8 Dès lors, et progressivement, l’ani- en relation’ et ‘d’aide à la communication’ dans le vocabulaire mation s’oriente vers une conception plus structurante. Les et la culture professionnelle. Dans la perspective d’une action professionnels se mettent au service d’un projet municipal orientée par une éthique démocratique rigoureuse, le nou- de soutien à la création d’un cadre de vie stimulant pour vel animateur est recruté en fonction de compétences dé- la jeunesse. Les activités ne sont plus jugées pour elles- finies préalablement et non plus pour son tempérament. »9 mêmes, mais en fonction d’objectifs décrits préalablement. Aujourd’hui, l’action auprès de la jeunesse se construit à Le travail en réseau avec d’autres acteurs devient une des clés partir de ce capital d’expériences et de concepts accumulés pour l’instauration et le maintien d’espaces entre structures durant quatre décennies. Il s’agit d’abandonner le recours administratives et société civile. L’ analyse et le diagnostic à la logique de la différence que les Valaisans chérissent 8 Commission européenne 2002. 9 Bender et al. 2001. 102 Gabriel Bender pour s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Une fois admise pour différentes classes d’âge. Si les plus jeunes se déplacent la similitude des maux, il faut bien concevoir qu’il existe à l’intérieur d’un espace balisé, sous le contrôle des parents, une cohésion dans les réponses. La plaine du Rhône vit les plus âgés roulent en voiture, ce qui leur permet un ac- peu à peu sur un modèle périurbain. Le cadre de vie ne cès à une offre plus étendue, qu’ils mettent en concurrence. se distingue plus vraiment du reste de la Suisse romande. L’accès aux infrastructures collectives dépend de la mobilité Les problèmes sont semblables, les moyens pour les ré- dans le territoire. C’est dans l’espace, bien plus que dans le soudre également. Ce qui est valable à Yverdon vaut aus- temps, que les jeunes gens placent leurs repères. A mesure si pour Sierre ou Delémont. Désormais, les animateurs se que s’accroît l’indépendance, la charge financière des loisirs voient confier des projets d’intervention, de régulation so- s’alourdit. Les prestataires d’offres en sont conscients. Dans ciale, là où vivent les habitants : rue, place de jeux, cours le domaine de la jeunesse, Sion n’est pas la capitale du Valais. d’immeuble ou d’école, proximité des supermarchés, etc. Elle est une petite ville de plaine en concurrence avec Sierre, La maison des jeunes ou le centre de loisirs sont au service Martigny, Monthey, les stations et surtout les grandes villes d’un projet d’action socioculturelle. Ils sont, comme le lo- de Suisse romande et d’ailleurs. Le brassage de la population cal des pompiers, un endroit où s’élaborent les interven- juvénile rend caduques les stratifications d’antan, lorsque les tions, où se stocke le matériel, où aboutissent les appels. jeunes se percevaient comme différents en fonction de leur La différence entre jeunes est telle qu’il est difficile d’envisager domicile ou de leurs origines. une politique communale sans fixer des objectifs spécifiques La politique de la jeunesse se développe en prestations particulières qui recoupent le sport, la culture, l’aide sociale, les mesures d’intégration. Une partie de ces prestations sont offertes par des structures béné- voles, charitables ou militantes. Il faut se garder d’en profiter sans contrepartie. La difficulté à renou- veler les cadres et à maintenir les effectifs des associations se double d’une adhésion plus éphémère. Il est donc particulièrement inopé- rant d’opposer le travail des pro- fessionnels de la jeunesse à l’activi- té des bénévoles, de comparer les coûts et les prestations. Les termes du problème ne se posent plus ain- si. Les militants de la culture, les entraîneurs et moniteurs de sport, les membres des comités sont de Groupe d’adolescentes, vers 1970. (Anonyme, Treize Etoiles, MV-Martigny) Politique locale et jeunesse 103 Tableau 1 : Les objectifs de promotion du cadre de vie et de prévention sont inversés. Politique de la jeunesse (mesures socioculturelles) 100 % Objectif 1 : mesure sur le cadre Objectif 3 : réduire les fac- de vie teurs de risques Proportion de la donner de l’espace, créer ou faciliter population de jeunes vi- l’accès aux infrastructures, favoriser sée dans l’idéal les contacts, assurer la cohérence 66 % Objectif 2 : soutenir les projets des Zone perméable entre l’action Objectif 2 : suivre, accompa- jeunes et les organisations socioculturelle et les mesures gner, soutenir les jeunes en de jeunes… socio-éducatives difficulté 33 % Objectif 3 : intégrer les marges Objectif 1 : protéger les favoriser les réseaux de enfants menacés 1% solidarité, valoriser les cultures dépréciées, etc. Politique sociale (mesures socio-éducatives) Les autorités espèrent que le maximum de jeunes profitent des infrastructures, dans l’idéal le 100 % ; inversement, elles souhaitent que le minimum d’enfants soient victimes d’abus, dans l’idéal 0 %. (Gabriel Bender) plus en plus difficiles à recruter. Les municipalités doivent intergénérationnelle, comme la fanfare, qui est autant une y être attentives, car les associations ont besoin d’être recon- école de vie qu’une école de musique. Certains disposi- nues et soutenues. tifs et mécanismes de distribution oublient les fonctions Les adolescents ont besoin d’être écoutés, compris et va- latentes de nombreuses sociétés. Plus grave encore, on lorisés. Cela commence dans la famille évidemment, mais oppose parfois le pôle socioculturel et le pôle socio- doit trouver son prolongement institutionnel. L’ expression éducatif alors que la politique de la jeunesse peut et doit rem- de la jeunesse peut passer par des voies institutionnelles, plir deux objectifs complémentaires. D’une part, le socio- comme un parlement des jeunes, ou une commission per- culturel offre la possibilité de travailler avec les forces vives manente, ou un délégué municipal à la jeunesse. Mais l’ex- qui se dégagent dans une population de jeunes, par l’écoute, périence montre que les jeunes les mieux insérés saisissent l’analyse et la connaissance du terrain. Il s’agit de donner ces opportunités, alors que l’expression marginale em- des moyens aux leaders positifs. D’autre part, le socio- prunte d’autres canaux à côté de ces organes. Celle-ci doit éducatif permet à une population de jeunes socialement être décodée pour être comprise. Les actes de vandalisme, défavorisés d’entrer dans un processus d’apprentissage de le regroupement en bandes, l’occupation d’espaces privés compétences sociales à travers différentes activités. Il s’agit ou semi-privés, le désœuvrement sont des messages. Il de soutenir celui qui boite. faut tendre l’oreille. Dans la réalité, les objectifs sont différents, voire antago- Le club de football fait du travail socio-éducatif, c’est une nistes. La politique socioculturelle vise un large public, institution sportive et sociale, à la fois interculturelle et dans l’idéal il est de 100 % (tous les jeunes utilisent les 104 Gabriel Bender Tableau 2 : De l’objectif politique à la prestation. Objectifs généraux Objectifs spécifiques Prestations ou projets soutenus Ecouter les besoins 1. Améliorer la capacité des adultes à * Formation de responsables à l’écoute écouter des adolescents des jeunes 2. Améliorer le dialogue entre les généra- * Représentation des jeunes auprès de tions l’autorité * Conférence des associations de jeunesse Donner de l’espace 1. Mettre à disposition des lieux de ren- * Mise à disposition de lieux d’expression contre et d’échange et de rencontre 2. Mettre à disposition des lieux de dé- * Aménagements urbains favorables, tente, de sport place de jeux 3. Mettre à disposition des locaux de * Bail de confiance travail ou de répétition pour jeunes artistes Encadrer 1. Renforcer des compétences sociales * Activité propre dans laquelle s’intègrent 2. Développer l’autonomie et la prise de les objectifs socioculturels et responsabilités socioéducatifs 3. Réduire l’isolement, l’esprit de clan ou * Animations soutenues (spectacles de ‘ghetto’ musicaux et culturels pour la jeunesse) 4. Soutenir les programmes d’insertion * Festival de la jeunesse des adolescents difficiles au sein de la * Clubs de jeunes communauté * Maison de jeunes Soutenir 1. Encourager le développement des ini- * Soutien aux clubs sportifs et culturels tiatives personnelles * Soutien aux spectacles, activités spor- 2. Accroître les expériences formatrices tives, etc. 3. Accompagner la mise en œuvre des * Prix de la jeunesse projets 4. Regrouper ou soutenir les initiatives de prise en charge des jeunes Diffuser des 1. Favoriser les liens, l’échange, la convi- * Système d’évaluation de la qualité messages cohérents vialité, la curiosité * Informations régulières 2. Favoriser les contacts entre associa- * Communication visible et solennelle tions locales, groupements et individus des intentions 3. Assurer la cohérence de l’ensemble du * Poste de délégué à la jeunesse dispositif * Participation au réseau local Politique locale et jeunesse 105 pistes cyclables). La politique sociale espère le contraire, et souhaite voir diminuer sa clientèle ; le mieux serait d’arri- ver à zéro (aucun enfant n’est maltraité). Le risque existe d’avoir d’un côté une population de jeunes gens actifs soutenus dans leurs loisirs et activités, et in- tégrés à la société (la majorité), et de l’autre un groupe de jeunes en difficulté, en rupture sociale ou en voie de l’être (la minorité). Les moyens devraient également être rééquilibrés entre les genres. Dans le domaine des loisirs, les autorités politiques ont tendance à oublier les jeunes filles, reléguées à la marge de la marge, sur le bord du terrain de foot ou à la buvette à trancher des citrons. Il faut favoriser les contacts et l’apprentissage, en intégrant filles et garçons, jeunes enracinés dans la tradition locale et primo-arrivants. Le partage d’expériences positives et l’uti- lisation d’espaces communs favorisent l’intégration. Sinon, le risque existe de transformer les espaces offerts par une municipalité en une antichambre de la marginalité. Une attention toute particulière doit être portée sur la compo- sition de la clientèle pour éviter la logique de ghetto et Aux abords du terrain de football, vers 1980. les stigmates afférents. Il s’agit d’un travail de longue ha- (Anonyme, Treize Etoiles, MV-Martigny) leine qui demande une forte présence et des compétences. Professionnels et amateurs peuvent y œuvrer de concert. Autrement dit, l’action auprès de la jeunesse doit s’ali- menter d’une vision et d’objectifs définis s’insérant dans le cadre d’un projet politique. Chaque droit donne un ob- jectif à atteindre qui se décline en prestations ou projets. Commission européenne 2002 BIBLIOGRAPHIE Commission européenne, Un nouvel élan pour la jeunesse européenne, Luxembourg, 2002. Bender et al. 2001 Wernimont 1994 Gabriel Bender et al., L’animation socioculturelle : Michel Wernimont, Un destin animé : un centre de loisirs pour quelle repères historiques, conceptuels et identitaires, Sion, 2001. demande, Travail de diplôme, CFPS, Sion, 1994. Bender, Moroni 2011 Gabriel Bender, Isabelle Moroni, Politiques culturelles en Valais : histoire, acteurs, enjeux, Lausanne, 2011. ENQUÊTE PHOTOGRAPHIQUE EN VALAIS Promenade dans l'adret, Savièse, 1995. (Gilbert Vogt)