FASCICULE OB1 - PREUVES PDF - Droit des Obligations - Formation Estivaux 2024

Summary

Ce fascicule de cours sur le droit des obligations, destiné aux étudiants du Pré-Barreau de la formation estivale 2024, couvre les aspects relatifs à la preuve. Il aborde la question de la charge de la preuve entre les parties et présente divers modes de preuve, tels que les écrits (acte authentique ou sous seing privé), les témoignages et l’aveu. Il explore aussi le droit de la preuve postérieur à la réforme de 2016.

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LE PRÉ-BARREAU FORMATION ESTIVALE 2024 FASCICULE DE COURS DROIT DES OBLIGATIONS "PREUVES" Toute reproduction de ce document ou communication à des personnes autres que les étudiants du Pré-Barreau - sauf autorisat...

LE PRÉ-BARREAU FORMATION ESTIVALE 2024 FASCICULE DE COURS DROIT DES OBLIGATIONS "PREUVES" Toute reproduction de ce document ou communication à des personnes autres que les étudiants du Pré-Barreau - sauf autorisation expresse et écrite de notre établissement – expose son auteur à des poursuites judiciaires. 2 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau SOMMAIRE AVANT-PROPOS......................................................................................................................... 5 INTRODUCTION.......................................................................................................................... 6 CHAPITRE 1 : L’OBJET DE LA PREUVE..................................................................................................... 7 §1 : Détermination de l'objet de la preuve............................................................................................. 7 §2 : L’aménagement de l'objet de la preuve........................................................................................... 8 CHAPITRE 2 : LA CHARGE DE LA PREUVE................................................................................................ 9 §1 : Les principes de répartition de la charge de la preuve entre les parties......................................... 9 A. La preuve de l’existence de l’obligation......................................................................................................... 9 B. La preuve de l’exécution de l’obligation........................................................................................................ 9 § 2 : Les aménagements aux principes.................................................................................................. 10 A. Les aménagements légaux et jurisprudentiels............................................................................................ 10 B. Les aménagements conventionnels............................................................................................................. 11 CHAPITRE 3 : LES MODES DE PREUVE.................................................................................................. 13 §.1 : Typologie des modes de preuve.................................................................................................... 13 A. Les modes de preuve parfaits...................................................................................................................... 13 1. L’écrit...................................................................................................................................................... 13 a. L'acte authentique........................................................................................................................................................ 14 b. L'acte sous signature privée.................................................................................................................................... 15 c. L'acte sous signature privée contresigné par avocat.................................................................................... 17 2. L’aveu judiciaire et le serment décisoire................................................................................................ 17 a. L’aveu judiciaire............................................................................................................................................................ 17 b. Le serment décisoire................................................................................................................................................... 17 B. Les modes de preuve imparfaits.................................................................................................................. 18 1. Le témoignage........................................................................................................................................ 18 2. L'aveu extrajudiciaire et le serment déféré d’office............................................................................... 18 §. 2 : Admissibilité des modes de preuve.............................................................................................. 18 A. La preuve des faits juridiques...................................................................................................................... 19 B. La preuve des actes juridiques..................................................................................................................... 20 1. Le contenu de l’article 1359 (1341 anc.) du Code civil........................................................................... 20 a. La preuve de l’existence de l’acte........................................................................................................................... 20 b. La preuve contre et outre le contenu de l’acte................................................................................................ 20 2. Les dispenses à l'application de l’article 1359 (1341 anc.) du Code civil................................................ 21 a. Conventions relatives à la preuve.......................................................................................................................... 21 b. Liberté de preuve pour les tiers............................................................................................................................. 21 c. Contrats conclus par un commerçant.................................................................................................................. 21 3. Les tempéraments à l’article 1359 (1341 anc.) du Code civil................................................................. 21 a. Les exceptions à l’article 1359 du Code civil.................................................................................................... 22 b. Les preuves supplétives............................................................................................................................................. 22 c. La copie fiable (fidèle et durable).......................................................................................................................... 23 3 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau 4 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau AVANT-PROPOS Avant toute chose, il convient de dire quelques mots sur la réforme du droit des obligations. L’Ordonnance n°2016-131 portant réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations a été promulguée le 10 février 2016 et est entrée en vigueur le 1 er octobre 2016. L’Ordonnance institue notamment dans le Livre III du Code civil, un titre IV bis relatif à la preuve des obligations. Comme toute ordonnance, celle-ci devait toutefois être ratifiée à peine de caducité. C’est ainsi qu’une loi de ratification a été adoptée le 20 avril 2018 et est entrée en vigueur le 1er octobre 2018. Cette loi de ratification a apporté quelques modifications aux dispositions instituées par l’ordonnance de réforme. Celles relatives à la preuve n’ont toutefois pas été amendées. L’Ordonnance et la loi de ratification organisent dans le temps l’application des nouvelles dispositions. Relativement à la preuve, deux règles sont à retenir. Tout d’abord, l’article 9 de l’Ordonnance prévoit que les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, soit le 1er octobre 2016, demeurent soumis à la loi ancienne. En l’absence de précisions, il faut sans doute penser que la même règle s’applique aux faits juridiques. L’article 9 prévoit également que lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Ensuite et conséquemment, les actes et faits juridiques intervenus à compter du 1 er octobre 2016 sont régis par les nouvelles dispositions du Code civil telles qu’elles résultent de la réforme. Dans la suite des développements, vous seront présentés tant le droit antérieur à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance que le droit postérieur. La connaissance des anciennes règles (légales ou jurisprudentielles) reste en effet indispensable pour au moins trois raisons. Tout d'abord, l’Ordonnance se veut une réforme à droit et jurisprudence constants. A l’exclusion de certains articles qui innovent, les nouveaux textes sont donc en principe la retranscription des règles antérieures. Ensuite, compte tenu des règles d’application de la loi nouvelle dans le temps, les textes anciens sont toujours applicables aux actes et faits juridiques antérieurs au 1 er octobre 2016. Enfin, œuvre de codification, l’Ordonnance ne peut prétendre à l’exhaustivité. Pour toutes les questions qu’elle ne règle pas, il pourra donc être utile de se référer aux solutions jurisprudentielles antérieures. 5 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau INTRODUCTION La question de la preuve en tant que telle est indépendante de la question de l’existence du droit. Cette question intervient toujours en aval et ne préjuge pas du point de savoir si le droit existe ou non. En pratique cependant, il faut admettre que le droit que l’on n’arrive pas à prouver revient pour l’intéressé à un droit qui n’existe pas : c’est ce qu’exprimait le droit romain avec l’adage « idem est non esse aut non probari » (ne pas être ou ne pas être prouvé, c’est tout un). Aujourd’hui, le droit de la preuve se trouve codifié dans le Code civil (art. 1353 à 1386-1 – art. 1315 à 1369 anciens – ainsi qu'à l'art. 10) et dans le Code de procédure civile (art. 9 à 11, art. 132 à 322). Cette ventilation s’explique par le fait que les règles de preuve sont à la fois des règles de procédure intéressant le déroulement du procès et des règles substantielles. Si l’on essaye de retracer rapidement l’évolution de la matière, deux remarques doivent être formulées. Tout d’abord, le droit civil français de la preuve a évolué d’un objectif de sécurité juridique – où le juge est un acteur passif – vers un objectif de vérité – où le juge a un rôle plus actif. Avant, le droit de la preuve était tourné vers les parties : il devait donc leur permettre de s’assurer que le moment venu, s’il y avait contestation, elles pourraient prouver. Autrement dit, la preuve était uniquement un moyen d’assurer l’efficacité des prétentions. Depuis les années 1970, le droit de la preuve a davantage pour finalité la révélation de la vérité. En conséquence, le juge peut rechercher certains faits ou encore ordonner certaines mesures lui permettant de trancher le litige. Ainsi l’article 10 C. civ. permet au juge d’enjoindre, sous astreinte, à une partie ou à un tiers de produire certaines pièces. De même, l’article 10 C.P.C. dispose de manière générale que le juge peut ordonner d’office des mesures d’instruction1. La deuxième évolution résulte de l’apparition de nouvelles technologies qui ont obligé le législateur à réglementer la preuve électronique. S’agissant de l’ordonnance de réforme, elle n’a que peu modifié les dispositions relatives à la preuve sur le fond. En revanche, elle a remanié la structure du Code. La preuve est désormais traitée dans un titre IV bis qui organise les règles en trois sections : - la première consacrée aux dispositions générales qui traite de la charge de la preuve, des présomptions légales et des contrats de preuve (art. 1353 à 1357) ; - la deuxième consacrée à l’admissibilité des modes de preuve (art. 1358 à 1362) ; - la troisième consacrée aux différents modes de preuve (art. 1363 à 1386-1). Cette nouvelle structure permet ainsi de séparer dans des sections distinctes les questions relatives à la charge de la preuve (section 1) et celles qui touchent aux moyens de preuve (sections 2 et 3). Il ne sera question dans ce cours - conformément à votre programme du C.R.F.P.A en obligations - que de la preuve judiciaire et pas de la preuve extrajudiciaire qui peut devoir être fournie en dehors de tout procès (comme la preuve de l’identité à l’occasion d’un contrôle de police ou encore la preuve de la propriété à l’occasion d’une vente). La preuve judiciaire est la preuve qui doit être apportée à l’occasion d’un litige, dans le cadre d’un procès. Les règles du Code civil et du Code de procédure civile visent cette preuve judiciaire Au sujet de cette preuve, trois questions se posent : - Sur quoi porte la preuve ? (objet de la preuve) - Qui doit prouver ? (charge de la preuve) - Comment prouver ? (modes de preuve) 1On peut également citer : art. 138 et s. (relatifs à l'obtention de pièces) ; art. 143 et s. (relatifs aux mesures d'instruction) ; art. 249 et s. (relatifs aux constatations) ; art. 282 et s. (relatifs aux expertises). 6 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau CHAPITRE 1 : L’OBJET DE LA PREUVE On envisagera d'abord la détermination de l'objet de la preuve (§1) avant de voir les aménagements qui peuvent y être apportés (§2). §1 : Détermination de l'objet de la preuve Prouver un droit, c’est démontrer l’existence des circonstances qui lui donnent naissance. Or, pour pouvoir invoquer un droit subjectif, il faut, d’une part, qu’une règle de droit accorde certaines prérogatives à des catégories déterminées de personnes dans des situations abstraitement définies et, d’autre part, que celui qui prétend avoir le droit soit concrètement placé dans une situation correspondant à celle qui est visée par la règle de droit. Il y aurait donc théoriquement deux éléments à établir : la règle de droit et la situation de fait concrète. Mais les juges sont censés connaître la loi (à ce sujet, v. art. 12 al. 1 C.P.C. : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables »). Par conséquent, les justiciables n’ont pas à faire la preuve des règles de droit. Seule la preuve des faits leur incombe, étant entendu que ces faits se comprennent par opposition au droit et englobent donc aussi bien les actes juridiques (c'est-à-dire, selon l’article 1100-1 du Code civil, les manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit) que les faits juridiques (c'est-à-dire, selon l’article 1100-2 du Code civil, les agissements ou les événements auxquels la loi attache des effets de droits, sans que les parties aient spécialement recherché cette conséquence)2. Par exemple, le demandeur à une action en responsabilité délictuelle du fait personnel devra établir concrètement l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité car c'est de la réunion de ces trois éléments que naît le droit à réparation de la victime selon l’article 1240 (art. 1382 anc.) du Code civil. En revanche, on ne pourra lui reprocher de n'avoir pas prouvé l'existence et le contenu de la règle de l’article 1240. Tous les faits nécessaires pour déclencher l’application de la règle de droit invoquée ne sont d’ailleurs pas à prouver, mais seulement, en principe, ceux qui sont pertinents et contestés. Les faits pertinents sont ceux qui ont une incidence sur la solution du litige. Autrement dit, il est inutile d'alléguer un fait qui, à le supposer établi, ne pourra exercer aucune influence sur l'opinion du juge et donc sur l'issue du litige. L'offre de preuve doit porter sur un fait apte à convaincre le magistrat. Pour prendre un exemple, il est inopérant - afin de prouver la faute d'un conducteur cause d'un accident - de vouloir démontrer sa passion pour le tiercé ; cela n'a évidemment aucun rapport avec le litige. Ensuite, l'exigence de rapporter la preuve des faits contestés signifie que seuls les points de divergence entre les parties sont objet de preuve. Encore faut-il préciser. Il est évident que si les parties s'accordent pour reconnaître l'existence et le contenu d'un contrat, cette preuve n'aura pas à être apportée. Mais quid juris lorsqu'un plaideur oppose un silence à l'affirmation d'un fait par son adversaire. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation, après bien des fluctuations, a décidé qu'un tel silence ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait. Autrement dit, il semble, pour la jurisprudence, qu'un fait ne peut être tenu pour établi que si le silence de l'adversaire est corroboré par d'autres éléments de preuves (Com. 29 novembre 2017, n°16-14.627 ; 21 mars 2018, n°15-27.213). Les faits à établir sont généralement des faits positifs (par ex. : existence d’un contrat de vente) et plus exceptionnellement des faits négatifs (par ex. : prouver que l’on n’a pas commis de faute). Au-delà, les faits à établir peuvent être au sens strict des faits juridiques (par exemple, une faute), ce qui ne pose pas de difficultés. Mais il peut s’agir aussi d’actes juridiques dont il faudrait, en particulier, établir l’existence et le contenu. Dans ce cas, le demandeur n’a à prouver que les conditions d’existence de l’acte ou ce qu’il contient. En revanche, il n’a pas à démontrer sa validité. En effet, il appartient à celui qui invoque la nullité d’un acte d’en apporter la preuve. Pour établir l’existence d’un acte juridique et, en particulier d’un contrat, il faut démontrer l’accord des parties sur les éléments essentiels du contrat. Ainsi, par exemple, les éléments essentiels du contrat de vente étant la chose et le prix (art. 1583 du Code civil), pour prouver l’existence d’un contrat de vente, il faut établir l’accord des parties sur ces deux éléments. De même, pour démontrer l’existence d’un contrat de prêt, il faut 2C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’art. 9 C.P.C. : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. » 7 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau prouver, d’une part, la remise de la chose et, d’autre part, l’accord des parties quant à l’obligation de restitution (Civ. 1re, 4 décembre 1984, n°83-14.360 ; 8 avril 2010, n°09-10.977)3. §2 : L’aménagement de l'objet de la preuve On vient de voir les règles de détermination de l'objet de la preuve. Cependant, il faut avoir à l'esprit que la preuve pourra parfois porter sur un autre objet que les éléments donnant naissance au droit. Dans deux hypothèses en effet, il peut y avoir déplacement de l'objet de la preuve. La première hypothèse correspond au cas où une convention de preuve a été conclue entre les parties. Comme on le verra un peu plus tard dans le cours, les règles de preuve ne sont pas, en principe, d'ordre public, de sorte que les parties peuvent conventionnellement les modifier et peuvent, notamment, modifier l'objet de la preuve (art. 1356 C. civ.). Ainsi, par exemple, modifie l'objet de la preuve la clause qui, en cas de perte ou de vol de carte bancaire, autorise la banque à prouver la faute du titulaire de la carte en établissant que le code confidentiel de la carte perdue ou volée a été utilisé́ par un tiers. La seconde hypothèse est le recours à des présomptions judiciaires. Lorsque la preuve directe du fait, initialement objet de la preuve, se révèle difficile à établir - notamment parce qu'il s'agit de prouver un fait négatif, comme une absence de faute - le droit vient parfois au secours du plaideur - du moins si la preuve est libre - en admettant que cette preuve soit indirectement apportée par le biais de présomptions judiciaires. Les présomptions judiciaires (dite aussi présomptions du fait de l'homme ou encore présomptions de fait) sont réglementées par l’article 1382 (art. 1353 anc.). Elles se définissent comme les conséquences que les magistrats tirent d’un fait connu quant à l’existence d’un fait inconnu. Ainsi, pour reconstituer la vitesse à laquelle roulait une voiture, on mesure les dépôts qu’ont laissés les pneus sur la route lors du freinage. On prouve ainsi directement des faits (la longueur et l'intensité des traces de pneus lors du freinage) qui ne sont pas l’objet de la preuve (puisque l'objet de la preuve c'est la vitesse !), mais en établissant un lien de causalité (la longueur et l'intensité des traces des pneus est la conséquence d’une certaine vitesse), on déduit de la preuve fournie la preuve indirecte de la vitesse. La présomption consiste donc en un déplacement de l’objet de la preuve : pour prouver la vitesse, il suffit de prouver les dépôts qu’ont laissés les pneus sur la route. Reste que ces présomptions constituent un procédé de preuve dangereux, car elles ne donnent presque jamais une certitude complète : le juge peut se tromper dans ses déductions, même s’il est éclairé par des expertises. D’où deux règles. Tout d'abord, l’article 1382 (art. 1353 anc.) précise que le juge ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes. Ensuite, les présomptions du fait de l’homme sont nécessairement simples, c’est-à-dire susceptibles d’une preuve contraire pouvant être rapportée par tout moyen. 3La preuve du contrat de prêt peut être notamment apportée par la production d’une reconnaissance de dette. En effet, selon une jurisprudence établie (v. par ex. : Civ. 1re, 4 mai 2012, n°10-13.545), la production d’une reconnaissance de dette permet d’apporter la preuve à la fois de la remise des fonds et, en même temps, de l’obligation de restitution. Cela ne vaut plus, toutefois, si la reconnaissance de dette mentionne que la remise des fonds s’effectuera à une date postérieure à la confection de l’acte. Dans ce cas, la reconnaissance de dette permet d’établir l’obligation de restitution ; en revanche, elle ne permet pas de prouver la remise des fonds qui devra alors être établie par celui qui se prétend créancier. La remise des fonds étant un fait juridique, elle pourra être prouvée par tous moyens (Civ. 1re, 9 février 2012, n°10-27.785). 8 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau CHAPITRE 2 : LA CHARGE DE LA PREUVE L’enjeu de la question de la charge de la preuve doit être bien compris : il s’agit de savoir qui va succomber, qui va perdre le procès si le doute subsiste quant à l’existence d’un certain évènement, nécessaire à l’application de la règle de droit. Pour dire les choses autrement, on peut retenir que celui qui supporte la charge de la preuve supporte le risque de la preuve. En effet, en proie au doute, le juge ne peut pas pour autant refuser de statuer. Il commettrait alors un déni de justice, prohibé par l’article 4 du C. civ. : « L’incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d’une preuve doivent nécessairement être retenus au détriment de celui qui avait la charge de la preuve » (Soc. 31 janvier 1962). C’est dire que l’identification de la personne sur laquelle pèse la charge de la preuve est l’un des enjeux essentiels du procès. Après avoir présenté les principes qui permettent de déterminer sur qui pèse la charge de la preuve (§1), on s’arrêtera sur les aménagements à la charge de la preuve (§2). §1 : Les principes de répartition de la charge de la preuve entre les parties Les règles permettant de déterminer qui supporte la charge de la preuve sont posées dans les deux alinéas de l’article 1353 du Code civil (art. 1315 anc.). La ventilation s'opère entre la preuve de l'existence de l'obligation (A) et la preuve de l'exécution de l'obligation (B). A. La preuve de l’existence de l’obligation Selon l’alinéa premier de l’article 1353 (art. 1315, al. 1, anc.) C. civ.4, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. C’est donc à celui qui réclame l’exécution d’une créance qu’il appartient de rapporter la preuve qu’il est véritablement créancier, ce qui implique qu’il établisse l’existence de sa créance5. On dit que la charge de la preuve repose sur le demandeur à l'allégation. Ex : il appartient au garagiste qui réclame le paiement d’une facture d’établir que les travaux dont il demande le paiement ont bien été commandés par le client. Il doit établir l’existence de l’obligation qui pèse sur le prétendu débiteur (Civ. 1re, 6 janv. 2004, n°00-16.545 ; 11 janvier 2017, n°15-25.826). Ex : un entrepreneur érige un mur durant un chantier et réclame le paiement pour ce mur. Le client refuse de payer en faisant valoir qu’il n’a jamais demandé le travail en question. Le problème tient à l’existence du contrat portant sur la construction du mur. C’est à l’entrepreneur qu’il appartient de rapporter la preuve que la construction lui a bien été demandée. Il doit établir l’existence de l’obligation dont il demande l’exécution. B. La preuve de l’exécution de l’obligation Selon l’alinéa second de l’article 1353 (art. 1315, al. 2, anc.) du Code civil, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. C’est-à-dire que c’est à celui qui se prétend libéré, parce qu’il a exécuté son obligation ou bénéficie d’une autre cause d’extinction (prescription, remise de dette, compensation, caducité de l’obligation…), qu’il appartient de prouver cette exécution ou ce fait qui a entraîné l’extinction de son obligation. Cette hypothèse suppose bien sûr que l’existence même du contrat ne soit pas, ou ne soit plus, contestée. Ex. : un particulier achète des objets auprès d’une société. Il était convenu entre les parties qu’une fraction du prix serait payée au comptant, et l’autre, à terme. Le terme échu, la société réclame le solde à l’acheteur. L’acheteur refuse d’accéder à cette demande au motif qu’il a déjà réglé en espèces la somme réclamée. Le vendeur assigne alors en justice l’acheteur afin d’obtenir la condamnation de celui-ci au paiement du solde litigieux. Sur qui pèse la charge de la preuve ? Est-ce au vendeur de démontrer qu’il n’a pas reçu le paiement prétendu ou bien à l’acheteur qu’il a effectué le paiement ? En vertu de l’article 1353 al. 2 (art. 1315 anc.) 4 V. également l'article 9 du Code de procédure civile. 5 L'existence de la créance comprend sa nature et son contenu. Pour une illustration : Civ. 3e, 20 avril 2017 (n°16-16.695) ou encore Civ. 3e, 6 septembre 2018 (n°17-21.329) – où un client contestait non pas l’existence du contrat conclu avec un architecte mais l’étendue des missions confiées à celui-ci : la preuve de l’étendue des missions incombe à l’architecte qui se prétend créancier. 9 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau du Code civil, il appartient à celui qui se prétend libéré de sa dette de rapporter la preuve du paiement allégué (Com., 16 juin 1981, n°80-12.740). Il faut noter que, dans les cas où l’alinéa 2 de l’article 1353 (art. 1315 anc.) C. civ. s’applique, le demandeur à la preuve est généralement le défendeur à l’instance. La solution s’explique aisément. Il est rare, en effet, qu’une personne saisisse le juge à la seule fin de voir constater sa libération. L’hypothèse la plus fréquente est, au contraire, celle dans laquelle la personne assignée en justice se défend d’être véritablement redevable. Il faut donc supposer que le demandeur à l’instance a prouvé par exemple l’existence d’un contrat ; c’est alors le défendeur à l’instance qui, devenant « demandeur à la preuve », va devoir prouver, s’il veut échapper à une condamnation, qu’il a déjà exécuté le contrat. Pour résumer, il faut retenir que la charge de la preuve incombe au demandeur à l’allégation, indépendamment du point de savoir s’il est demandeur ou défendeur à l’instance. On le voit, les règles du Code civil envisagent la charge de la preuve de manière chronologique. Par un mécanisme d’alternance, chacun apporte la preuve de ses allégations. Celui qui saisit le juge supporte la première charge de la preuve. S’il la satisfait, il gagne en principe le procès. Mais le défendeur à l’instance peut alléguer une affirmation contraire et devenir à son tour demandeur à la preuve. S’il réussit à rapporter cette preuve, la charge de la preuve est renvoyée à son adversaire et ainsi de suite. Ce combat probatoire s’achève lorsque l’une des parties n’est plus en mesure de rapporter la preuve des faits qu’elle allègue. Elle perd alors la bataille. Cette présentation classique d’un ordre de la production de la preuve est cependant très théorique. En général, le plaideur n’attend pas passivement que son adversaire prouve les faits qu’il allègue. En pratique les deux parties apportent leur contribution à la vérité même lorsqu’elles n’y sont pas obligées. L’ordre théorique de la production des preuves n’est généralement pas suivi. Est-ce à dire que les règles relatives à la charge de la preuve du Code civil soient inutiles ? La réponse est négative, car ces textes – comme on l’a déjà vu – répondent en réalité à la question du risque de la preuve. Si celui sur lequel pèse la charge de la preuve n’est plus solitaire dans sa recherche, il reste seul sanctionné en cas d’échec. Si malgré la collaboration de l'autre partie, la preuve nécessaire n’est pas obtenue, c’est le demandeur à l’allégation qui perdra le procès. Lorsque les faits sont prouvés, peu importe de savoir qui devait les prouver. En revanche, quand les faits ne sont pas établis, le juge obligé de statuer le fera au détriment de celui sur lequel pesait la charge de la preuve. C’est lui qui perdra le procès. Le problème de la charge de la preuve est donc bien celui du risque de la preuve. § 2 : Les aménagements aux principes Ces aménagements résultent soit de la loi ou de la jurisprudence (A), soit de la convention des parties (B). A. Les aménagements légaux et jurisprudentiels Les aménagements légaux et jurisprudentiels s’effectuent par le biais de présomptions de droit. Elles reposent sur l’idée, développée en doctrine, que le risque de la preuve doit peser sur celui qui allègue une situation contraire à la situation la plus normale. La charge de la preuve incomberait donc à celui contre lequel l’apparence existe, indépendamment du point de savoir s’il est ou non demandeur à l’instance. En d’autres termes, celui qui invoque une situation normale correspondant au cas le plus vraisemblable devrait être dispensé de la charge de la preuve alors même qu’il est demandeur à l’allégation. Ces présomptions ont, ainsi, pour effet de dispenser celui au profit duquel elles sont édictées d’apporter la preuve du fait que la loi tient pour certain. Ces présomptions de droit peuvent résulter tant de la loi que de la jurisprudence. La loi établit certaines présomptions légales, réglementées à l’article 1354 du Code civil (art. 1350 et 1352 anc.), qui opèrent principalement renversement de la charge de la preuve quant au fait présumé. Ainsi, par exemple, l’article 2274 C. civ. énonce que la bonne foi est toujours présumée et que c’est à celui qui la conteste de rapporter la preuve de la mauvaise foi. Autrement dit, comme la plupart du temps les personnes sont de bonne foi, c’est à celui qui allègue la mauvaise foi, même s’il est défendeur à l’allégation, de produire cette preuve. Les présomptions légales sont, en principe, simples. Cependant, il arrive que certaines présomptions posées par la loi ne supportent pas la preuve contraire (art. 1354 al. 2 – 1352 anc. du C. civ.). On parle alors de présomptions irréfragables (voir, par ex., l’article R. 212-1 du Code de la consommation qui fixe une liste de 10 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau clauses irréfragablement présumées abusives dans les contrats entre professionnels et consommateurs) 6 , lesquelles se rapprochent alors de véritables règles de fond. Il existe enfin des présomptions dites « mixtes » qui ne peuvent être renversées que par certains procédés de preuve ou par des causes particulières (il en est ainsi, par exemple, de la présomption selon laquelle la propriété du sol entraîne la propriété du sous-sol qui découle de l’article 552 du Code civil. Il est de jurisprudence constante que cette présomption ne peut être combattue que par une preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription acquisitive. De même, ces présomptions mixtes sont nombreuses en droit de la responsabilité civile qui vient souvent limiter les causes d’exonération de l’auteur du dommage). Quant à la jurisprudence, elle a également pu créer, parfois, des présomptions qui renversent la charge de la preuve et qui sont dites quasi-légales. Par exemple, lorsqu’une prestation est fournie dans le cadre de relations d'affaires, la Cour de cassation décide que la charge de la preuve de son caractère onéreux ou gratuit repose sur celui qui prétend à sa gratuité – alors même qu’il serait défendeur à l’instance – car la volonté de rémunération, dans la logique marchande, est normale et l’intention libérale exceptionnelle (Civ. 1re, 28 février 1984, n°83-10.310 ; Civ. 3e, 31 mai 1989, n°88- 11.524 ; Com., 11 décembre 2001, n°99-12.233). B. Les aménagements conventionnels Sachant que les règles de la preuve sont, en principe, d’ordre privé, l’article 1356 du Code civil admet la validité des contrats sur la preuve. Les parties peuvent ainsi aménager conventionnellement la répartition de la charge de la preuve, voire de son objet ou des modes de preuve. Cette nouvelle disposition issue de l’ordonnance de réforme n’est qu’une consécration de la jurisprudence antérieure qui admettait, depuis longtemps un tel aménagement conventionnel (sur ce point, v. par ex. : Req., 15 mars 1909 ; Com. 19 juillet 1965). Si ces conventions sont admises, le risque qu’elles conduisent à mettre en place un système probatoire trop déséquilibré, voire à priver une partie d’un droit substantiel, impose toutefois que des limites y soient fixées. Ainsi, deux limites à ce pouvoir des volontés ont été posées, tant par le droit antérieur que par le droit postérieur à la réforme. Tout d’abord, en ce qu’elles constituent de véritables contrats, les conventions sur la preuve sont, en vertu des articles 6 et 1102 du Code civil, limitées par les règles d’ordre public auxquelles elles ne peuvent déroger. Ainsi, la validité de ces conventions peut être remise en cause quand elles se heurtent à une loi qui relève de l’ordre public probatoire ou de l’ordre public substantiel. L’ordre public probatoire désigne les règles impératives posées en matière de preuve. C’est ainsi que l’article 1356 dispose, en son alinéa 2, que ces contrats ne peuvent « contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment ». Bien que le texte ne le précise pas, il faut sans doute considérer que ne peuvent davantage faire l’objet d’une convention de preuve les règles probatoires applicables à la procédure d’inscription de faux ou celles relatives à la force probante d’un acte authentique. L’ordre public substantiel concerne les droits qui font l’objet de conventions de preuve : seuls les droits librement disponibles peuvent en faire l’objet (art. 1356 al. 1). Ainsi, un mineur ne pourrait convenir avec son cocontractant de fixer sa majorité à une autre date que celle établie par la loi. Autre exemple, tiré cette fois-ci du droit de la consommation. Dans le cadre de la réglementation des clauses abusives, le décret du 18 mars 2009 interdit certaines conventions probatoires puisque ce texte place sur la liste noire les clauses ayant pour objet « d’imposer au non-professionnel ou au consommateur la charge de la preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat » (R.212-1, 12° C. consom.). Ensuite, une convention sur la preuve ne saurait faire obstacle au droit à la preuve des parties. L’article 1356 alinéa 2 du Code civil interdit ainsi que soit établie, par contrat, une présomption irréfragable au profit d’une des parties. En effet, si une telle convention a pour effet de rendre impossible la preuve de son droit par une partie, elle revient à l’empêcher de faire valoir ses droits substantiels devant le juge, la privant ainsi de son droit à un recours effectif. C'est alors, également, sur le fondement de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l'on pourra critiquer devant le juge la convention probatoire 6Un autre exemple pouvait être trouvé, avant la réforme, à l’article 1282 ancien du Code civil qui présume de manière irréfragable que le débiteur est libéré de sa dette lorsque le créancier lui remet volontairement l’original du contrat sous signature privée qui constatait la créance. Depuis la réforme, l’article 1342-9 du Code civil maintient cette présomption mais prévoit expressément qu’il ne s’agit plus que d’une présomption simple. 11 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau (par ex. : Civ. 1re, 10 mars 2004, n°03-10.154). En revanche, il est loisible aux parties d’établir, par convention, une présomption simple au profit de l’une d’entre elles et notamment de ses propres écritures (en pratique, ce cas se rencontre fréquemment. Il n’y a qu’à songer aux nombreux contrats d’abonnement qui prévoient que le montant de la créance sera déterminé par le relevé du compteur ou le relevé des communications tels qu’établis par le créancier). Une telle convention ne doit toutefois pas priver le défendeur de toute chance de contester la validité ou la régularité de ces preuves et le juge de la possibilité d’en apprécier la valeur7. 7 De même, une convention probatoire ne peut avoir pour effet, lorsqu’elle limite les moyens de preuve admissibles, de priver l’une des parties de tout moyen effectif pour apporter la preuve du fait qu’il allègue, sauf à être, lorsqu’elle prend la forme d’une clause dans un contrat de consommation, qualifiée d’abusive (Com. 24 janvier 2018, n°16-19.866). Il pourrait alors être également envisageable de contester cette clause sur le fondement de l’article 1171 du Code civil (v. cours Contrats) 12 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau CHAPITRE 3 : LES MODES DE PREUVE Une fois déterminé ce qui devra être prouvé lors de l'instance et comment devra être réparti le fardeau de cette preuve entre les intervenants au procès, il faut encore préciser comment la partie débitrice de la preuve pourra satisfaire cette obligation. Si la question se pose, c'est que les parties ne sont pas nécessairement libres de faire la preuve par n'importe quel moyen. Deux grands systèmes s’opposent ou se complètent quant au régime de la preuve. Le système de la preuve libre, dit aussi de la preuve morale, qui ne pose aucune hiérarchie entre les modes de preuve et laisse au juge toute liberté pour former sa conviction. Le système de la preuve légale qui limite l’admissibilité des modes de preuve et commande au juge de tenir pour vrais les faits établis par les moyens de preuve admis. Le système français est, en la matière, dualiste, au sens où, selon ce qui est à prouver, c’est le système de la preuve légale ou le système de la preuve libre qui prévaut. Pour l’application de ce système mixte, le Code civil classe les procédés de preuve en deux catégories. D’une part, ceux qui lui paraissent très sûrs : les modes de preuve parfaits. Ils sont admissibles en toutes matières et lient, dans une mesure variable, le juge. D’autre part, les modes de preuve imparfaits, écartés dans certains domaines, et qui ne s’imposent jamais au juge qui demeure libre de sa décision. C’est dire que le système est tout à la fois équilibré - puisqu’il est fait une place à chacun des deux grands systèmes envisageables - et complexe. Pour tenter de l’appréhender de manière claire, il importe avant tout de savoir ce à quoi correspondent les modes de preuve parfaits et imparfaits avant de savoir quand on recourt aux uns ou aux autres. L’étude de la typologie des modes de preuve (§1) précédera donc celle de l’admissibilité des modes de preuve (§2). §.1 : Typologie des modes de preuve On l’aura compris : on peut distinguer les modes de preuve parfaits (A) et les modes de preuve imparfaits (B). A. Les modes de preuve parfaits Sont des modes de preuve parfaits, à la valeur et à la force probante légalement fixées, d'une part, l’écrit (1) et, d'autre part, l’aveu judiciaire et le serment décisoire (2). 1. L’écrit Dans la lecture qui était traditionnellement effectuée du droit de la preuve, l'écrit était confondu avec le support papier sur lequel il était apposé. Autrement dit, on ne concevait pas que l'écrit soit autre chose qu'un papier signé par les parties et, le cas échéant, le notaire. Le développement de l'économie numérique ou immatérielle a modifié la donne. Le législateur a dû prendre en compte l'essor de l'informatique. Il l'a fait par la loi du 13 mars 2000 en alignant, dans la mesure du possible, l'écrit électronique sur l'écrit papier. Depuis cette loi, la preuve littérale, c'est-à-dire la preuve par écrit, est définie de telle sorte qu’elle n’a pas besoin d’être transcrite sur un support papier. Plus précisément, l'article 1365 du Code civil - qui reprend en substance l'ancien article 1316 - définit l'écrit comme « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support ». Mais, qu’elle soit traditionnelle, c’est-à-dire transcrite sur papier, ou électronique, cette suite de lettres, de caractères, ou de chiffres, se décline selon trois modes qui n’ont pas exactement la même valeur. Il faut en effet distinguer l’acte authentique (a), l’acte sous signature privée (b), et l'acte sous signature privée contresigné par avocat (c). 13 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau a. L'acte authentique On envisagera les conditions de l'authenticité (a-1) avant d'étudier la force probante de l'acte authentique (a-2). a-1. Conditions de l'authenticité Aux termes de l’article 1369 alinéa 1 du Code civil (art. 1317 anc.), l'authenticité d'un acte résulte de deux conditions : Il faut que l'acte ait été reçu par un officier public compétent (*) et qu'il respecte certaines solennités (**). (*) L'officier public compétent L'officier public est la personne ayant la mission régalienne d'établir de façon impartiale les droits et obligations des parties. En tant qu'il est dépositaire d'une parcelle de puissance publique, l'officier public est choisi et contrôlé par l'Etat. Sont ainsi des officiers publics, les agents publics comme le préfet, le maire, l’officier d’état civil ; ou encore les officiers ministériels comme les huissiers et les commissaires-priseurs. Mais l’auteur par excellence d’un acte authentique, c’est le notaire. Le recours à l’acte authentique reçu par notaire est obligatoire pour la validité de certains contrats : c’est ainsi qu’une donation doit en principe, pour être valable, être passée devant notaire. C’est une formalité que l’on dit exigée ad validitatem, pour la validité de l’acte. Mais l’exigence d’une telle forme pour la validité d’un contrat est exceptionnelle, le principe étant en droit français celui du consensualisme et donc de l’absence de forme. Pourquoi recourir alors à un notaire, procédure coûteuse, lorsque ce n’est pas indispensable ? D’abord, parce que le notaire est tenu d'un devoir de vérification et de conseil et que recourir à ce professionnel assure – ou devrait assurer – un acte de très bonne qualité. Ensuite, parce que l’acte notarié est exécutoire c’est-à-dire qu’il peut donner lieu à exécution forcée sans qu’il soit nécessaire pour le créancier de saisir le juge pour faire constater sa créance. Les diverses catégories d'officiers publics ne sont pas habilitées à conférer l'authenticité à n'importe quel acte. Leur pouvoir d'authentification peut être limité à certains types d'actes (par exemple les notaires ne peuvent procéder à des actes de mariage ou à des significations) et à certains lieux (par exemple les huissiers ne peuvent signifier d'acte ou procéder à des mesures d'exécution forcée que dans le ressort de la cour d'appel où ils ont leur résidence professionnelle). **) Solennités requises Au-delà d'être reçu par un officier public compétent, l'acte, pour être authentique doit respecter des solennités. L'authenticité suppose l'accomplissement de nombreuses formalités requises ad probationem, au titre desquelles figure la signature de l'officier public, le paraphe, la rédaction en langue française, ou encore - lorsque l'acte est rédigé sur support papier - le recours à une encre indélébile. Si l’une de ces conditions de forme n’est pas remplie, l’acte authentique dégénère, selon l’article 1370 du Code civil (art. 1318 ancien), en simple acte sous signature privée, si du moins il a été signé par toutes les parties. Si seules certaines parties ont signé l’acte, celui-ci ne vaut acte sous signature privée qu'entre les parties signataires (v. par ex. : Civ. 1re, 28 septembre 2011, n°10-13.733, pour une hypothèse de co-donateurs dont un seul des deux avait apposé sa signature sur l’acte reçu par le notaire). a-2. Force probante Parce qu'il est reçu par un officier public, l'acte authentique bénéficie d'une force probante renforcée. L’article 1371 énonce en effet la même règle que l’ancien article 1319 du Code civil en disposant que « l’acte authentique fait foi jusqu’à inscription de faux ». L’inscription de faux est une procédure spécifique de contestation de la véracité des actes authentiques qui peut conduire au prononcé d’une sanction pénale contre celui qui s’y engagerait à tort. Le succès de cette procédure n'est pas subordonné au fait que l'officier public ait conscience de l'inexactitude de ses constatations (Civ. 1re, 25 février 2016, n°14-23.363). Cette force probante s'attache à la date et à la signature. 14 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau S'agissant du contenu de l'acte, il convient d'apporter une précision : l’acte authentique ne fait foi jusqu’à inscription de faux que des faits que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté (art. 1371 du Code civil ou, avant la réforme, voir par ex. : Civ. 1re, 26 mai 1964). Mais d’autres éléments peuvent être contenus dans l’acte : l’acte peut, par exemple, mentionner que les parties déclarent avoir, l’une, effectué et l’autre, accepté un paiement hors la vue du notaire ; l’acte peut également mentionner que le testateur apparaît sain d’esprit. De fait, tous ces éléments, ou bien n’ont pas été vérifiés par le notaire, ou bien ne relèvent pas de la compétence du notaire. La force probante particulière des actes authentiques ne s’y attache donc pas. Ces mentions ne font foi que jusqu’à preuve du contraire (v. par ex. : Civ. 3e, 27 février 2008, n°07-10.222 ; Civ. 1re, 11 mars 2009, n°07-20.132 ; 9 mai 2019, n°18-10.885 : hypothèse d'un paiement hors la comptabilité du notaire ; v. aussi Civ. 1re, 25 mai 1959 : hypothèse de la déclaration du notaire sur l'état psychique d'un disposant ; v. enfin l'article 1371 du Code civil qui reprend explicitement cette règle). b. L'acte sous signature privée On envisagera les conditions de l'acte sous signature privée (b-1) avant d'étudier sa force probante (b-2) b-1. Les conditions de l'acte sous signature privée Pour valoir à titre de preuve, l’acte sous signature privée doit remplir trois conditions : il doit s’agir d’un un écrit (1) constatant un engagement (ou sa modification ou son extinction) (2) et signé par celui qui s’engage (3). Les conditions tenant à l’existence d’un écrit et d’un engagement ne posent pas de difficultés particulières, sauf à rappeler que l’écrit est désormais défini à l’article 1365 du Code civil. Quant à la signature, l’acte sous signature privée, comme son nom l’indique, ne peut être valable que s’il porte la signature de celui duquel il est censé émaner. La signature remplit, aux termes de l’article 1367 alinéa 1er C. civ. – et, avant la réforme, de l'article 1316- 4 - une double fonction : - d’identification de la partie qui l’appose. - de manifestation du consentement de cette partie. La signature peut être manuscrite ou électronique. Lorsqu'elle est électronique, elle suppose - aux termes de l’article 1367 alinéa 2, anciennement article 1316-4 – l’usage d’un procédé fiable garantissant non seulement l'identification de son auteur mais aussi le lien de cette signature - et donc de l'auteur - avec l'acte auquel elle se rattache (autrement dit un procédé permettant d’assurer qu’aucune modification de l’acte ne pourra plus intervenir, sans être détectable, postérieurement à l’apposition de la signature). Ainsi, la seule mention en bas d'un fichier d'un nom ou d'une signature manuscrite scannée ne saurait satisfaire à l'exigence de la fiabilité de la signature électronique. L’article 1367, tout comme l’ancien article 1316-4, vient toutefois poser une présomption de fiabilité lorsque la signature de l’acte répond à des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Concrètement, aux termes du décret du 28 septembre 2017, pour que la signature électronique soit présumée fiable, elle nécessite d’avoir recours aux services d’une autorité de certification vérifiant l’identité du signataire8. En dehors de l’exigence de signature, la forme de l’acte sous signature privée peut être très libre : peu importe que l’acte, autrement dit l’instrumentum, ait été rédigé par l’une ou l’autre des parties ou par un tiers, qu’il ait été manuscrit ou tapé à la machine ou imprimé, peu importe même que la signature ait été apposée après ou avant la rédaction du texte. Malgré ce principe de grande liberté de forme (voir par ex. : Civ. 1re, 30 octobre 2008, n°07-20.001), l’acte sous signature privée ne vaudra écrit préconstitué au sens du droit de la preuve que sous certaines conditions, qui varient selon les hypothèses. - La 1re hypothèse est celle où un acte sous signature privée contient une convention synallagmatique, c’est-à-dire un contrat qui crée des obligations réciproques et interdépendantes, comme une vente par exemple. L’article 1375 du Code civil – qui reprend l’ancien article 1325 – prévoit alors que l’acte doit être fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct. Cette formalité - dite du double - a pour but de conférer 8Le décret du 28 septembre 2017 renvoie, en réalité, au règlement UE n°910/2014 du 23 juillet 2014 qui fixe, pour les Etats membres, les conditions de certification des signatures électroniques. 15 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau à chaque partie une situation égale au point de vue de la preuve : il ne faut pas, en effet, que l’une d’elles ait entre les mains l’écrit probatoire, alors que les autres en seraient démunies ; sinon, celles-ci seraient à la merci de leur adversaire qui pourrait, au gré de ses intérêts, soit invoquer l’existence du contrat, soit en nier la conclusion. Il ne suffit d’ailleurs pas que l’acte écrit ait été rédigé en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct ; la loi veut encore que chaque original contienne « la mention du nombre des originaux qui ont été faits ». La raison de cette formalité supplémentaire est qu’autrement, il dépendrait de chaque contractant, quand bien même la formalité requise aurait été régulièrement accomplie, de rendre inopérante la preuve de son adversaire, en détruisant ou en dissimulant l’original resté entre ses mains, pour invoquer alors la prétendue violation de la règle de l’original multiple. Toutefois, les textes prévoient que celui qui a exécuté le contrat - même partiellement - ne peut plus invoquer le défaut de pluralité d'originaux ou l'absence de mention du nombre d'originaux. De la même manière, s'il n'y a qu'un seul original et qu'il est déposé entre les mains d'un tiers, la formalité du double n'a plus à être respectée. Cette solution se comprend dans la mesure où elle assure que chacune des parties pourra obtenir copie de l’acte auprès du tiers concerné de sorte que l’égalité des armes est assurée9. Cette règle, posée expressément à l’article 1375 du Code civil, était déjà traditionnellement admise par la jurisprudence (v. par ex. : Civ., 2 juillet 1952 ; Civ. 3e, 15 avril 1992, n°91-14.297). Enfin, pour les écrits sous forme électronique, l’exigence d’une pluralité d’originaux est réputée satisfaite si l’acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 (intégrité de l’acte garantie) et 1367 (signature électronique) et si chaque partie peut disposer d’un exemplaire sur support durable ou y avoir accès. - La 2de hypothèse est celle où l’acte sous signature privée rend compte d’un acte unilatéral par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent (comme par exemple une reconnaissance de dette) ou à livrer une certaine quantité de choses fongibles (c-a-d de choses interchangeables, comme par exemple du blé ou du vin). Dans cette hypothèse - comme l'acte n'est rédigé qu'en un seul exemplaire puisqu'il n'y a qu'une seule personne engagée - le risque est important que le créancier, qui détient l'exemplaire unique, modifie le chiffre de la créance : 100 euros au lieu de 10 euros ; 100 quintaux au lieu de 10 quintaux de blés. C’est principalement pour prévenir ce type de fraude que l’article 1376 du Code civil - ancien article 1326 - prévoit que l’acte ne vaudra écrit sous signature privée que s’il porte la mention écrite par le débiteur (mais pas nécessairement de sa main, la mention peut être tapuscrite) de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, ce qui rend évidemment les falsifications beaucoup plus complexes (par ex. : Civ. 1re, 25 mai 2005, n°04-14.695 ; v. également : Civ. 1re, 13 mars 2008, n°06-17.534 ; 28 octobre 2015, n°14-23.110). Les textes précisent qu’en cas de différence entre la mention en lettres et la mention en chiffres, il faut privilégier la mention écrite en toutes lettres. b-2. La force probante de l'acte sous signature privée Selon l’article 1372 (art. 1322 anc.) du Code civil, l’acte sous signature privée fait foi entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause. Quelques précisions toutefois. Tout d'abord, quant à son contenu, l’acte sous signature privée ne fait foi que jusqu’à preuve contraire, et non jusqu’à inscription de faux comme l'acte authentique. Ensuite, l’article 1373 – qui reprend les anciens articles 1323 et 1324 - prévoit également que la signature ne vaut pas jusqu'à inscription de faux. Si une personne désavoue sa signature, il appartient au juge de vérifier la signature litigieuse selon la procédure de vérification des écritures sous signature privée. En pratique, eu égard aux progrès de l'expertise en écriture, il est devenu assez rare qu'un plaideur de mauvaise foi désavoue sa signature. Enfin, s'agissant de la date, alors que celle de l'acte authentique est certaine à l'égard de tous dès sa conclusion, la date de l'acte sous signature privée appelle une distinction prévue à l'article 1377 (ancien 1328). Si, à l'égard des parties, de leurs héritiers ou de leurs créanciers, la date vaut jusqu'à preuve contraire ; en revanche, à l'égard des tiers - et afin de protéger ces tiers contre les actes antidatés - la date n'est certaine que dans des circonstances particulières. Il en est ainsi lorsque l'acte a fait l'objet d'un enregistrement ou à compter du jour du décès de l’une des parties (puisque, par hypothèse, l’acte ne peut pas être postérieur) ou encore à compter du jour où il est fait référence à leur contenu dans un acte authentique. 9Antérieurement à la réforme, la jurisprudence décidait toutefois que ce tiers ne doit pas entretenir avec l’une des parties des liens étroits qui pourraient faire douter de son impartialité (Civ., 2 juillet 1952). En toute logique, la solution devrait être maintenue. 16 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau c. L'acte sous signature privée contresigné par avocat L'acte contresigné par avocat, créé en droit français par la loi du 28 mars 2011, a intégré le Code civil à l'article 1374, à l'occasion de la réforme. Il s’agit d’un acte sous signature privée rehaussé par la signature de l'avocat ou des avocats des parties et dont la force probante est renforcée. Plus exactement, si le contenu et la date ne valent que jusqu'à preuve contraire (comme pour l'acte sous signature privée ordinaire), en revanche ce type d'acte fait foi de l’écriture et de la signature des parties comme un acte authentique. Autrement dit si l’une des parties entend désavouer sa signature ou son écriture, elle devra respecter la procédure d'inscription de faux. 2. L’aveu judiciaire et le serment décisoire On se contentera simplement d'évoquer les deux autres modes de preuve parfaits que sont l'aveu judiciaire (a) et le serment décisoire (b) parce qu'ils sont d'intérêt marginal dans le cadre de votre examen. a. L’aveu judiciaire Régi par les articles 1383 et 1383-2 - anciens articles 1354 et 1356 - l'aveu judiciaire est la déclaration, faite en justice, par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques10. Mode de preuve parfait, il est recevable même lorsqu’un écrit est exigé. Selon les textes, « il fait foi contre celui qui l’a fait », c’est-à-dire que toutes les informations qu’il comprend pourront être retenues contre l’auteur du fait. Mais s’il y a du contre et du pour dans l’aveu, c’est-à-dire si la personne, à l’occasion de son aveu, certes établit un élément de fait contre son intérêt, mais également un élément dans son intérêt, on ne pourra pas retenir le premier aspect sans retenir également le second. Cela se traduit par le fait que, en application de l’alinéa 3 de l’article 1383-2 (1356 ancien), l’aveu est indivisible. L’aveu pourra être divisé, c’est-à-dire que l’on pourra retenir ce qui est contraire à l’intérêt de celui qui avoue et écarter ce qui lui est favorable, uniquement si l’autre partie, sur qui pèse désormais la charge de la preuve, établit l’invraisemblance ou prouve l’inexactitude de la partie de l’aveu favorable à celui qui le formule. L’aveu est en principe irrévocable. b. Le serment décisoire Le serment décisoire - prévu aux articles 1384 et s. (anciens articles 1357 et s.) - est l'affirmation solennelle par une partie, à la demande d'une autre, de la véracité des faits qu'elle invoque au soutien de sa prétention. Le serment est un mode de preuve hérité de la morale qui s'appuie sur la crainte du parjure et le sens de l'honneur des parties, À la demande d’une des parties, le tribunal, s’il juge qu’une telle mesure est nécessaire et permettrait de trancher le litige, va inviter l’autre partie à jurer que ce qu’elle dit est vrai. L’objet du serment ne peut donc être qu’un fait personnel, un fait que la partie en question est en mesure de savoir vrai ou faux. Il faut relever que le serment peut être utilisé même si la partie qui enjoint au tribunal de déférer le serment à l’autre partie ne dispose d’aucun élément de preuve de quelque sorte que ce soit. Le serment peut donc être un palliatif à l’absence totale de preuve. Quelle est l’issue ? Soit la partie à laquelle le serment est déféré jure, prête serment : le fait est irrémédiablement établi et donc la partie gagne le procès. Soit la partie à laquelle le serment est déféré refuse de jurer : le fait en cause est considéré comme n’étant pas établi et donc la partie succombe dans sa demande ou son exception : elle perd le procès. Soit elle ne jure pas mais invite la partie, qui lui a demandé de jurer, de jurer elle-même la véracité du contraire. C’est ce qu’on appelle référer le serment. Les rôles sont alors inversés. Si la partie à qui le serment est référé refuse de jurer, elle succombe sur sa demande ou son exception, c’est-à-dire qu’elle perd le procès ; si elle prête serment, elle l’emporte. 10Pour une illustration récente, v. Civ. 3e, 10 mars 2016, n°15-10.995 (une société contestait s’être engagée à faire des travaux Toutefois, dans ses conclusions devant les juges du fond, elle reconnaît que les travaux ont été effectués et réglés. Pour la Cour de cassation, une telle reconnaissance peut constituer un aveu judiciaire. 17 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau Susceptible d’intervenir à tout moment, en toute matière (du moins, dès lors qu’est en cause un fait personnel), non susceptible de preuve contraire, et s’imposant au juge, le serment est certainement la reine des preuves, ce qui peut sembler quelque peu anachronique lorsqu'on sait que la peur du parjure n’est plus une des craintes majeures de la population. B. Les modes de preuve imparfaits On peut aller infiniment plus vite en la matière puisque, par hypothèse, ces modes de preuve sont beaucoup moins réglementés. On peut signaler les trois principaux : le témoignage d'une part (1), l'aveu extrajudiciaire et le serment déféré d’office, d'autre part (2). 1. Le témoignage La preuve testimoniale, la preuve par témoins, le témoignage, est certainement le recours le plus naturel d’un plaideur qui ne dispose pas d’un écrit pour justifier ses prétentions. Le témoignage est la déclaration faite au juge par une personne qui a perçu par ses propres sens le fait contesté. Selon l’article 1381 du Code civil, « la valeur probante des déclarations faites par un tiers dans les conditions du code de procédure civile est laissée à l’appréciation du juge ». Le témoignage doit être distingué de la preuve par commune renommée qui est la déclaration consistant à rapporter les propos d’un tiers relatifs au fait contesté. La preuve par commune renommée est dangereuse de sorte qu'elle est rarement admise par le juge, pour ne pas dire pas du tout. 2. L'aveu extrajudiciaire et le serment déféré d’office Il faut assimiler au témoignage, d'une part, l’aveu extrajudiciaire (articles 1383 et 1383-1, anciennement articles 1354 et 1355), formulé en dehors du prétoire, et d'autre part, le serment déféré d'office (articles 1384, 1386 et 1386-1, anciennement articles 1357 et 1366 à 1369) qui est déféré par le juge de sa propre initiative. Leur force probante est, comme celle de tout mode de preuve imparfait, laissée à l’appréciation des juges du fond. Le juge n’y recourt quasiment jamais. §. 2 : Admissibilité des modes de preuve Les modes de preuve parfaits sont admissibles en toutes matières ; les modes de preuve imparfaits ne le sont que dans certaines matières. En droit pénal, la preuve est absolument libre : les modes de preuves imparfaits sont admissibles. C’est ce qu’indique l’article 427 du Code de procédure pénale, qui dispose : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. » En droit social également, le principe est la liberté de la preuve. La Cour de cassation a ainsi pu affirmer qu’« en matière prud’homale, la preuve est libre ». En revanche, en droit civil, il importe de distinguer. Tous les modes de preuve ne sont pas admissibles en cette matière. Comme on l’a déjà vu, deux systèmes sont concevables quant à l’admissibilité des moyens de preuve. L’un est permissif, c’est le régime de la liberté probatoire. Dans ce système (dit de la preuve morale), la preuve est libre et tous les moyens de preuve peuvent être utilisés. L’autre système pose des restrictions. La loi énonce alors les modes de preuve légalement admissibles dans telle ou telle matière. C’est le système de la preuve légale. En matière civile – et singulièrement en droit des obligations –, le système probatoire, antérieurement à la réforme, est partagé entre ces deux tendances suivant une distinction fondamentale entre la preuve des faits juridiques (A) et la preuve des actes juridiques (B). 18 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau A. La preuve des faits juridiques La preuve du fait est libre, ce qui signifie que tous les moyens de preuve sont admissibles. Ce principe ressort désormais de l’article 1358 du Code civil qui consacre un principe de liberté de la preuve en admettant que la preuve peut être apportée par tout moyen, « hors les cas où la loi en dispose autrement ». Il faut préciser que les modes de preuve parfaits n’ont pas nécessairement, ici, une force probante supérieure aux modes de preuve imparfaits : si la preuve est libre, c’est au juge, et à lui seul, de forger sa conviction librement11. Il y a toutefois deux limites à ce principe de liberté absolue de la preuve du fait. 1re limite : dans certaines matières, comme l’état civil des personnes, l’importance particulière de certains faits conduit à n’en admettre qu’une preuve réglementée. Ainsi, la preuve de la naissance ou encore du décès se fait par les actes de l’état civil. 2de limite : la preuve doit être obtenue de façon loyale et licite sous peine de ne pas être recevable. Cette seconde limite ressort de la jurisprudence et n’a pas été consacrée par l’Ordonnance. Reste que le silence des nouveaux textes n’interdit pas à la jurisprudence de maintenir sa solution, selon laquelle la preuve est irrecevable dans deux hypothèses. En premier lieu, elle est irrecevable si elle est déloyale, c’est-à-dire si elle a été obtenue à l'insu de celui auquel on l'oppose ou par l’usage d’une manœuvre ou d’un stratagème. Ainsi un enregistrement télévisé, par caméra cachée, ne peut être utilisé à l’insu de l’intéressé (Soc., 20 novembre 1991, n°88-43.120 ; v. égal., Soc. 10 déc. 1997, n°95-42.661 ; Com. 25 février 2003, n°01-02.913). L’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (Civ. 2e, 7 octobre 2004, n°03-12.653 ; A.P., 7 janvier 2011, n°09-14.316). En revanche, un SMS – « minimessage » selon le terme adopté par la commission générale de terminologie et de néologie – n’est pas un procédé déloyal car l’auteur du texto ne peut ignorer qu’il est enregistré par l’appareil récepteur (Soc, 23 mai 2007, n°06-43.209 ; comp. avec les solutions retenues en matière de divorce, Civ. 1re, 17 juin 2009, n°07-21.796). En second lieu, la preuve est irrecevable si elle est illicite, c’est-à-dire lorsqu'elle a été obtenue en violation d'un droit fondamental comme par exemple le droit au respect de la vie privée (par ex. : Soc., 10 novembre 2021, n°20-12.263 : irrecevabilité des images tirées d’un système de vidéo-surveillance installé dans une entreprise sans que les salariés n’en aient été informés) ou encore le droit au respect du secret professionnel ou des correspondances (par ex. : Civ. 1re, 5 février 2009, n°07-17.525 : hypothèse d'irrecevabilité comme preuve d'un courrier adressé par un avocat à un confrère). Il convient cependant de noter que le droit tempère, parfois, le principe de l’irrecevabilité de la preuve déloyale. C'est notamment le cas en raison de l'émergence du droit à la preuve. Au nom de ce droit, certaines preuves a priori illicites ou déloyales peuvent en effet être déclarées recevables (solution dans un premier temps admise pour les preuves illicites puis étendue, récemment, aux preuves déloyales : Ass. Plén., 22 décembre 2023, n°20-20.648). Pour admettre la production d'une telle preuve, la Cour de cassation impose aux juges du fond de caractériser la réunion de deux conditions. D'une part, la preuve produite doit être "indispensable à l'exercice du droit à la preuve", ce qui signifie sans doute qu'elle doit être le seul moyen d'établir la réalité du droit litigieux. D'autre part, la Haute juridiction exige que l'atteinte résultant de la production de la preuve litigieuse soit "proportionnée aux intérêts antinomiques en présence", ce qui revient à une pesée d'intérêt propre à chaque espèce. Ainsi, au nom de ce droit à la preuve, la Cour de cassation a pu casser, pour manque de base légale, un arrêt où les juges du fond avait retiré des débats une lettre protégée par le respect de la vie privée et le secret des correspondances (Civ. 1re, 5 avril 2012, n°11-14.177)12. 11 Lorsque la preuve est libre, les moyens de preuve admissibles ne peuvent être limités. Ainsi, s’agissant de la preuve de l’expédition d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, elle ne suppose pas nécessairement la production d’un récépissé délivré à l’expéditeur par les services postaux (Civ. 2e, 7 décembre 2017, n°16-15.935). 12 V. égal. : Civ. 1re, 31 octobre 2012, n°11-17.476, qui énonce qu'un assureur peut se prévaloir du résultat d'une filature ; Civ. 1 re, 25 février 2016, n°15-12.403 : irrecevabilité d'une filature en raison d'une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. V. encore Com. 4 juillet 2018, n°17-10.158 : avant de rejeter des documents produits par une banque pour violation du secret bancaire, les juges du fond auraient dû rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice par la banque de son droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ; Soc. 22 septembre 2021, n°19-26.144 : en matière de discrimination dans le travail, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. 19 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau B. La preuve des actes juridiques Si la preuve du fait est libre, la preuve des actes juridiques est légale¸ ce qui signifie non seulement que la loi indique quels sont les modes de preuve recevables, mais aussi que le juge est lié par la hiérarchie que la loi instaure pour déterminer la force probante des différents moyens de preuve. Les règles régissant la preuve des actes juridiques13 sont posées dans l’article 1359 du Code civil (art. 1341 14 anc.). Commençons par étudier le contenu des règles énoncées par ces textes (1), avant de voir les dispenses à leur d'application (2) et enfin les exceptions dont elles souffrent (3). 1. Le contenu de l’article 1359 (1341 anc.) du Code civil Deux principes complémentaires sont posés par les textes qui ont trait, d'une part, à la preuve de l'existence de l'acte (a) et, d'autre part, à la preuve contre et outre le contenu de l'acte (b). a. La preuve de l’existence de l’acte Selon l'alinéa 1 de l'article 1359, qui reprend en substance l'alinéa 1 de l'ancien article 1341, « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique ». De cet article, il faut comprendre que la preuve de l’existence d’un acte juridique doit être rapportée par écrit. L’écrit exigé est un écrit préconstitué (c-a-d établi par les parties au moment de la naissance de l’acte, ou en tout cas, avant l’apparition de tout litige) qui peut être soit un acte authentique, soit un acte sous signature privée, contresigné ou non par avocat (sous réserve, bien évidemment, que l’acte sous signature privée respecte les exigences des articles 1375 et 1376 du Code civil, anciennement articles 1325 et 1326). L’exigence d’un écrit préconstitué n’est cependant requise que si l’acte juridique porte sur une somme supérieure à 1500 €, pour les actes passés après le 1er janvier 200515 (décret du 20 août 2004 pour l'application de l'ancien article 1341 et décret du 29 septembre 2016 pour l'application de l'article 1359 nouveau). Pour les actes d’un montant inférieur, la preuve est donc libre16. Pour déterminer si ce seuil monétaire est atteint, il faut s'attacher à l'objet de l'acte et non à l'objet de la demande. C'est la règle que l'on peut induire de l’alinéa 4 de l’article 1359 (art. 1344 anc.). Ainsi, par exemple, dans l'hypothèse où une personne demande le paiement du solde d'une créance d'un montant de 1000 euros alors que l'ensemble de la créance est d'un montant de 2000 euros, la preuve devra être rapportée par le biais un écrit préconstitué. b. La preuve contre et outre le contenu de l’acte Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 1359 (art. 1341 anc.), « il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique ». L’hypothèse est qu’un acte juridique a été constaté par écrit, mais qu’une partie au procès prétend que l’acte est incomplet, inexact, ou bien qu’il a été postérieurement modifié entre les parties. Le plaideur conteste donc le contenu de l’acte : soit il souhaite agir contre le contenu en arguant des stipulations contraires à ce qui est écrit, soit il souhaite aller au-delà du contenu, en soutenant des allégations qui ne figurent pas dans l’acte écrit. 13 Les actes juridiques sont désormais définis à l’article 1100-1 du Code civil comme des « manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit ». 14 S’agissant des actes juridiques, si le principe est désormais la liberté de la preuve en vertu du nouvel article 1358, le Code civil limite toutefois cette liberté dans les mêmes conditions que le droit antérieur (art. 1359). On relèvera par ailleurs que le Code civil consacre désormais le principe prétorien selon lequel « nul ne peut se constituer de titre à soi-même » (art. 1363). Ce principe, qui relève du bon sens, interdit qu’une partie puisse se prévaloir d’une preuve qu’elle aurait elle-même établie - sans concertation avec la personne à qui elle l'oppose - pour se proclamer créancier, acquéreur ou se délivrer tout autre titre. Sous l'empire de l'ancienne législation, la jurisprudence décidait que cette interdiction ne joue que pour les actes juridiques, à l'exclusion des faits juridiques (par ex. : Civ. 1re, 1er octobre 2014, n°13-24.699 ; 14 novembre 2018, n°17-20.551). Cette solution devrait être reconduite par la jurisprudence sous l'empire du nouveau droit. 15 800 € pour les actes passés avant le 1er janvier 2005 (décret du 15 juillet 1980) 16 Sous réserve des limites énoncées ci-dessus s’agissant de la preuve des faits juridiques. 20 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau Dans tous ces cas, la preuve par témoin est interdite, c’est-à-dire qu’il faut établir un écrit pour prouver contre et outre le contenu d’un acte écrit. Cette règle est valable dès lors qu’il y a un écrit constatant l’opération juridique, même si cet écrit ne porte pas sur une somme supérieure à celle fixée par décret (1500 €)17. Il y a cependant deux limites à cette interdiction qui, si elles ne sont pas reprises par les nouvelles dispositions du Code civil, devraient être maintenues. Tout d'abord, l’article 1353 ancien in fine du Code civil réserve le cas de la fraude. S’il s’agit de prouver une fraude, la preuve par témoignage et présomption est admise (Civ 1re, 17 décembre 2009, n°08-13.276)18. Ensuite, en cas d'erreur matérielle évidente (par ex. : noms des parties inversés, mauvais report d'un numéro de compte), la jurisprudence décide d'écarter le jeu de la deuxième proposition de 1341 ancien du Code civil (désormais art. 1359, al. 2) (par ex. : Civ. 1re, 26 janvier 2012, n°10-28.356). 2. Les dispenses à l'application de l’article 1359 (1341 anc.) du Code civil Dans certains cas, le jeu des principes qui viennent d'être exposés peut être purement et simplement exclu. Il en est ainsi dans trois hypothèses. a. Conventions relatives à la preuve Les dispositions de l’article 1359 (1341 anc.) ne sont pas d’ordre public. Ce sont des règles d’ordre privé ayant pour simple objet la protection des intérêts privés. Les parties peuvent donc conventionnellement modifier les règles de preuve – ce que prévoit désormais expressément l’article 1356 – notamment en les allégeant (par exemple en écartant l’écrit au bénéfice d’autres modes de preuve). Cette solution a été posée par la Cour de cassation dans une affaire concernant une carte bleue (Civ. 1re, 8 novembre 1989, n°86-16.197 ; v. égal. Civ. 1re, 23 mars 1994, n°91-21.242). Il faut préciser que si ces conventions probatoires sont valables, le juge conserve le pouvoir d'apprécier la force probante des moyens de preuve que les parties ont conventionnellement substitués à l’écrit. b. Liberté de preuve pour les tiers Ensuite les règles exigeant un écrit préconstitué ne s'appliquent qu’à l’égard des parties à l’opération juridique et non à l’égard des tiers. En effet, les tiers peuvent difficilement rapporter par écrit la preuve d’un acte auquel, par principe, ils n’ont pas été parties. Or, comme ils peuvent avoir intérêt à se prévaloir de cet acte juridique. Il leur est donc possible de rapporter par tous moyens une telle preuve (pour une illustration récente : Civ. 1re, 3 juin 2015, n°14-19.825). c. Contrats conclus par un commerçant L’article L. 110-3 du Code de commerce dispose qu’à « l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens, à moins qu’il n’en soit disposé autrement par la loi ». Encore faut-il, pour que le principe de liberté joue pleinement, que l’acte ait été conclu entre commerçants19. Si l’acte a été conclu entre un commerçant et un non-commerçant, il relève de la catégorie des actes mixtes. Si la preuve est dirigée par le commerçant contre le non-commerçant, la preuve est alors légale et l’écrit est exigé. Si la preuve est dirigée par le non-commerçant contre le commerçant, la preuve en revanche est libre. 3. Les tempéraments à l’article 1359 (1341 anc.) du Code civil Lorsque l'on se trouve dans le champ d'application du nouvel article 1359 ou de l'ancien article 1341, la preuve doit être rapportée par le biais d'une preuve littérale. Cependant, ce principe connaît des tempéraments. L’article 1360 du Code civil prévoit ainsi certaines exceptions à l’exigence d’une preuve littérale (a), tandis que 17L’article 1359, alinéa 2, n’impose une preuve littérale pour prouver contre ou outre un écrit constatant un acte juridique. La question peut, dès lors, se poser de savoir si cette règle doit également s’appliquer lorsque l’écrit constate un fait juridique, tel qu’un paiement (par ex., une quittance ou un acte précisant qu’un paiement a été effectué hors la vue du notaire). Sous l’empire des anciens textes, la Cour de cassation l’admettait, s’agissant du paiement (Civ. 1re, 4 novembre 2011, n°10-27.035 ; Civ. 1re, 9 mai 2019, n°18-10.885 ; Civ. 3e, 5 mars 2020, n°19-12.994). Ainsi, pour la Haute juridiction, dans un tel cas, la preuve de l’absence de paiement devait être apportée par un autre écrit. Il reste qu’au regard de l’article 1359, alinéa 2, il n’est pas certain que cette solution soit maintenue. 18 Le cas de la fraude n’est plus envisagé par la réforme. Est-ce à dire que la règle est désormais abandonnée ? Sans doute pas si l’on considère que la fraude est un fait juridique dont la preuve est donc libre. 19 Attention à bien distinguer les notions de commerçants et de professionnels. De nombreux professionnels ne sont pas à proprement parlé des commerçants. Ainsi, les professions libérales et notamment les avocats sont soumis au droit commun de la preuve. 21 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau l’article 1361 admet que certains modes de preuve puissent suppléer l’écrit (b). A ces deux tempéraments, il faut encore ajouter le cas particulier de la copie fiable (c). a. Les exceptions à l’article 1359 du Code civil L’article 1360 admet trois exceptions à l’exigence d’une preuve littérale : l’impossibilité de préconstituer un écrit (a-1), l’usage de ne pas établir un écrit (a-2) et la perte par cas de force majeure (a-3). Lorsque l’une de ces exceptions est caractérisée, les parties sont alors libres de prouver leurs allégations par tous moyens. a-1. L’impossibilité de préconstituer un écrit L'article 1360, comme l’ancien article 1348 alinéa 1, instaure une première exception à l'exigence de la preuve littérale qui tient dans l'impossibilité de se préconstituer un écrit. Cette impossibilité peut être matérielle. Il en est ainsi de tout événement qui par sa brutalité, sa soudaineté, sa gravité ne permet pas d’envisager de pourvoir à la rédaction d’un écrit. Cette impossibilité peut également être morale. Elle est retenue dès lors qu’un obstacle psychologique se révèle assez fort pour empêcher les parties de rédiger un écrit préconstitué. La jurisprudence admet cette impossibilité morale, notamment, lorsqu’il existe des relations d’ordre personnel ou affectif entre les parties. Il en est ainsi entre membres de la même famille, entre fiancés ou encore entre concubins (par ex. Civ. 1re, 17 mars 1958 : contrat entre frère et sœur ; Civ. 1re, 13 janvier 1969 : contrat entre beau-père et gendre ; Grenoble, 12 avril 1967 : contrat entre fiancés ; Paris, 16 mai 2013 : contrat entre deux amis gendarmes dont la relation est qualifiée de "fraternité d'armes" par la cour d'appel ; Civ. 1re, 7 mars 2018, n°16-25.329 : contrat entre une mère et son fils). Le juge apprécie souverainement la réalité de cette impossibilité (Civ. 1re, 19 juillet 1978, n°77-10.872) ; cependant, il doit justifier sa décision en énonçant précisément les éléments qui permettent de caractériser ou d’exclure une impossibilité de se procurer un écrit (Civ. 3e, 14 janvier 2014, n°12-28.777). Si l’impossibilité est admise par le juge, la preuve est alors libre (v. par ex. : Civ. 1re, 29 janvier 2014, n°12- 27.186). a-2. L’usage L’article 1360 admet également une exception à l’exigence d’une preuve littérale, lorsqu’il existe un usage conduisant les parties à ne pas constater par écrit la convention existant entre eux. Cet usage peut être professionnel (par ex. : Civ. 3e, 22 mars 2011, n°09-72.426 : vente d'aliments pour bétails) ou bien résulter de pratiques constantes entre les parties (par ex. : Civ. 1re, 29 janvier 2002, n°00-11.481). Si cet usage est établi, les parties peuvent alors apporter la preuve de leurs allégations par tous moyens. a-3. La perte par force majeure L’article 1360 du C. civ20., vise enfin l’hypothèse dans laquelle l’acte instrumentaire a été à l’origine dressé, mais a été ensuite perdu. Pour bénéficier de la liberté de la preuve, le plaideur doit prouver, par tous moyens, que l’écrit a existé et qu’il a été perdu dans un événement de force majeure. Celui-ci doit donc rapporter la preuve que la perte n’est pas imputable à son fait personnel mais résulte d’une circonstance extérieure à sa volonté, imprévisible et irrésistible : inondation, incendie, fait d’un tiers qui aurait égaré l’acte. Il doit de plus établir – là encore par tous moyens – le contenu de l’acte. b. Les preuves supplétives Selon l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. En d’autres termes, à défaut de disposer d’un écrit au sens de l’article 1359 du Code civil et de pouvoir se prévaloir d’une exception à l’exigence d’une preuve littérale, celui auquel incombe la charge de la preuve peut établir ses allégations en se prévalant d’un de ces trois modes de preuve. 20L'ancien article 1348 du Code civil envisage la perte par cas fortuit ou force majeure. En réalité, il y a là une maladresse de rédaction. Le cas fortuit étant un sous-ensemble de la force majeure, la référence au cas fortuit est superfétatoire. Le nouvel article 1360 en a tenu compte en supprimant la référence au "cas fortuit". 22 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau L’aveu judiciaire et le serment décisoire ayant déjà été vus, il faut se concentrer sur le commencement de preuve par écrit (CPPE)21. L’alinéa 1 de article 1362 - qui reprend en substance l'alinéa 1 de l'article 1347 ancien - définit le CPPE comme l’ « écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué ». La qualification de CPPE est donc subordonnée à la réunion de trois éléments. - Il faut un écrit. La jurisprudence et la loi comprennent assez largement cette condition. Tout d’abord, la jurisprudence admet que peuvent constituer de tels écrits les actes préconstitués irréguliers au regard des articles 1375 et 1376 (1325 et 1326 anciens) du Code civil (voir, par ex. : Com., 5 décembre 2002, n°00-11.566 ; Civ. 1re, 18 octobre 2017, n°16-20.817). Ensuite, les tribunaux se contentent d’un écrit quelconque, comme par exemple une simple lettre missive. Enfin, la loi est encore allée plus loin en prévoyant que le juge pourra considérer comme CPPE, non seulement les déclarations que fera la personne lors d’une comparution personnelle, mais encore son refus de répondre ou son absence de comparution (art. 1347 al. 3 anc. devenu l'art. 1362 al. 2). - Il faut que l’écrit émane de la personne à qui on l’oppose : l’interprétation large de la notion de CPPE vaut également en ce qui concerne la personne de qui il émane. En principe, la loi prévoit qu’il doit émaner de celui auquel on l’oppose, mais elle admet qu’il peut aussi émaner de son mandataire (par ex. : Civ. 3e, 10 oct. 1978, a contrario). - Il faut enfin que l’écrit invoqué rende vraisemblable - et non simplement possible - le fait allégué. La détermination de cette vraisemblance est un point de fait soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ. 1re, 22 juin 1976). Si ce CPPE est établi, il ne suffit pas à lui seul à rapporter la preuve de l’acte juridique, mais il rend admissible tout moyen de preuve complémentaire, alors pourtant qu’un écrit serait requis. Le CPPE doit en effet être complété par d’autres éléments de preuve appréciés souverainement par les juges du fond (art. 1361). Ces compléments de preuve peuvent être des témoignages, présomptions ou tout autre moyen de preuve. La seule condition les concernant est qu’ils soient extérieurs au CPPE (Com, 11 juin 2003, n°00-18.390)22. c. La copie fiable (fidèle et durable) Traditionnellement, une copie ne valait, en termes de preuve, que si l’original pouvait être produit (art. 1334 anc. C. Civ.). Autrement dit, une copie ne valait rien lorsque l’original avait été perdu ou détruit. Cette règle connaissait toutefois des exceptions. L’article 1348 al. 2 ancien établissait une dérogation aux règles de l’ancien article 1341 dans le cas où, l’écrit n’ayant pas été volontairement conservé, était présentée une copie qui en est la reproduction fidèle et durable. Ce texte avait été adopté sous la pression des banques. Celles-ci ont en effet l’obligation de conserver les chèques de leurs clients pendant 10 ans. Or, pour des raisons de stockage, ces établissements avaient pris l’habitude de reproduire les chèques sur microfilms et de détruire les originaux. Afin de valider le procédé, le législateur était donc intervenu en décidant que la reproduction fidèle et durable d’un écrit qui n’a pas été volontairement conservé vaut, en principe, preuve complète. La fidélité de la copie suppose l’absence de falsification, montage ou autre trucage ; quant au caractère durable, il est, selon le texte, attaché à toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. Ce texte n’aurait dû concerner que les microfilms de banques. Cependant la jurisprudence l’a utilisé pour les simples photocopies au terme d’une évolution qu’il convient de retracer. Dans un premier temps, la Cour de cassation a introduit une distinction. Si la copie était un carbone, elle pouvait valoir CPPE (Civ. 1re, 27 mai 1986, n°84-14.370). En revanche, si la copie était une photocopie, elle refusait, conformément à 1334 ancien C. civ., de lui attribuer une quelconque valeur probatoire (Com., 15 déc. 1992, n°90- 17.198). Dans un second temps, la Haute juridiction a admis que la qualification de CPPE puisse être retenue à propos de photocopies (Civ. 1re, 14 février 1995, n°92-17.061). Enfin, au terme d’une ultime évolution, la première Chambre civile de la Cour de cassation – par des arrêts en date du 9 mai 1996 (n°94-13.310), 25 juin 1996 (n°94-11.745) et surtout du 30 mai 2000 (n°98-16.519) – a 21 Il faut relever sur l’ancien article 1347 faisait du CPPE une exception à l’exigence d’une preuve littérale tandis que l’article 1361 l’admet désormais comme un mode de preuve permettant de suppléer le défaut d’acte écrit. C'est dire autrement que, pour les rédacteurs de l'ordonnance, le commencement de preuve par écrit est en soi un mode de preuve. En réalité, cela n'a aucune conséquence dans le cadre de la consultation que vous aurez à l'examen dès lors qu'il vous faudra toujours vérifier s'il existe une preuve littérale avant de faire jouer, éventuellement, le commencement de preuve par écrit. 22 Récemment, la Cour de cassation a admis que constituait un élément de preuve extrinsèque à même de corroborer un commencement de preuve par écrit, le fait pour l’auteur d’une reconnaissance de dette ne respectant pas les exigences de l’article 1376 du Code civil de reconnaître l’avoir signée (Civ. 1re, 10 mars 2021, n°19-22.117). 23 _________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau décidé que la valeur d’une photocopie dépend du pouvoir d’appréciation des juges du fond qui peuvent l’assimiler à la copie fidèle et durable de l’article 1348 al. 2 ancien dès lors que cette photocopie prése

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