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L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif PREMIERE PARTIE : FONDEMENTS DU DROIT PUBLIC BELGE ET CARACTERISTIQUES DU REGIME POLITIQUE ET DE L’ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA BELGIQUE TITRE 1ER : LES FONDEMENTS DU DROIT PUBLIC BELGE SECTION 1 : DEFINITION DU DR...

L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif PREMIERE PARTIE : FONDEMENTS DU DROIT PUBLIC BELGE ET CARACTERISTIQUES DU REGIME POLITIQUE ET DE L’ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA BELGIQUE TITRE 1ER : LES FONDEMENTS DU DROIT PUBLIC BELGE SECTION 1 : DEFINITION DU DROIT PUBLIC Le droit public au sens large du terme est la branche du droit qui régit, au sein des États, le statut des gouvernants ainsi que les rapports entre ces derniers et les citoyens. Le droit public comprend tant le droit constitutionnel que le droit administratif. Le droit constitutionnel est la partie du droit public qui comprend l’ensemble des règles essentielles fixant, d’une part, l’organisation, le fonctionnement et les attributions des organes supérieurs de l’État et, d’autre part, le contenu et les garanties des droits fondamentaux des individus. Le fait que le droit constitutionnel ne couvre que les règles essentielles relatives à l’État et aux droits fondamentaux et ne concernant que les organes supérieurs de l’autorité publique permet de faire la distinction entre le droit constitutionnel et le droit administratif. Le droit administratif est en effet constitué de l’ensemble des règles juridiques qui régissent l’organisation, les attributions et les modalités de fonctionnement des structures administratives de l’État, c’est-à-dire des structures en charge des tâches quotidiennes d’intérêt général remplies par les services publics. La différence entre le droit public au sens large et le droit privé se fonde, pour sa part, sur la qualité des personnes en cause : le droit public régit l’organisation des pouvoirs publics et les relations des particuliers avec ceux-ci, tandis que le droit privé régit en principe les relations des particuliers entre eux. De manière générale, en régime démocratique, le droit public a pour fonctions premières de garantir que les pouvoirs publics utilisent les prérogatives qui sont les leurs à des fins d’intérêt général, de protéger les droits et libertés des particuliers dans leurs rapports avec l’autorité et d’encadrer la participation des citoyens à l’exercice du 2 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 2 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif pouvoir. Les règles de droit public trouvent donc, notamment, leur sens dans la circonstance que les pouvoirs publics sont en mesure d’adopter d’autorité des mesures qui s’imposent aux citoyens. En droit privé, une telle asymétrie dans les relations entre les parties n’existe en revanche pas, du moins en droit. La distinction entre le droit public et le droit privé n’est cependant pas étanche. Dans toute une série de domaines, les pouvoirs publics sont en effet, par exemple, eux-mêmes soumis aux règles qui régissent les relations entre les particuliers (par exemple, en matière de responsabilité civile). SECTION 2 : LES SOURCES DU DROIT PUBLIC Le contenu des règles et principes qui forment le droit public belge se détermine par référence à ce que prescrivent les sources formelles du droit reconnues en Belgique. Les principales sources du droit pertinentes pour l’étude du droit public belge sont détaillées ci-après. La législation (au sens large) consolidée applicable en Belgique peut être consultée à partir du moteur de recherche (Justel) accessible à l’adresse internet suivante : http://www.ejustice.just.fgov.be/loi/loi.htm. Reflex, la base de données du Conseil d'État, permet de retrouver de nombreuses informations indispensables se rapportant aux normes juridiques applicables en Belgique (références des travaux parlementaires des normes législatives, dates d’entrée en vigueur des différentes normes, etc.), ainsi que des liens vers les sites internet pertinents : http://reflex.raadvst-consetat.be/reflex/. La jurisprudence des juridictions belges peut, lorsqu’elle est numérisée, être consultée à partir du moteur de recherche (Juridat) accessible à l’adresse internet suivante : http://jure.juridat.just.fgov.be/JuridatSearchCombined/?lang=fr. Les sites internet du Conseil d’État et de la Cour constitutionnelle permettent également, pour le premier, d’accéder aux arrêts de la section du contentieux et aux avis de la section de législation du Conseil d’État et, pour le second, aux arrêts de la Cour constitutionnelle : http://www.raadvst-consetat.be/ https://www.const-court.be/ 3 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 3 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif § 1er. La Constitution I. Définition Au sens formel, la Constitution est le texte qui se trouve au sommet de la hiérarchie des normes et qui ne peut être modifié que suivant une procédure spéciale, visant à garantir sa stabilité et à éviter que les pouvoirs constitués puissent trop aisément modifier le texte qui les institue. La Constitution est, en droit interne, la « source des sources » du droit et, notamment, du droit public. L’article 33 de la Constitution belge prévoit d’ailleurs que « Tous les pouvoirs émanent de la Nation » et qu’ils doivent être « exercés de la manière établie par la Constitution ». Cette disposition établit, ce faisant, un principe d’indisponibilité des compétences, selon lequel les pouvoirs constitués ne peuvent, de leur propre volonté, modifier l’étendue des compétences qui leur ont été attribuées par la Constitution ou en vertu de celle-ci. Ils doivent eux-mêmes exercer de manière effective les compétences qui sont les leurs, sans en abandonner l’exercice, en fait ou en droit, à des tiers. Au sens matériel, la notion de Constitution vise l’ensemble des règles essentielles fixant, d’une part, l’organisation, le fonctionnement et les attributions des organes supérieurs de l’État, et, d’autre part, le contenu et les garanties des droits fondamentaux des individus. La plupart des dispositions de la Constitution matérielle d’un État se retrouvent normalement dans sa Constitution formelle. Le recoupement n’est toutefois pas toujours parfait. Certaines règles importantes relatives à l’organisation des pouvoirs peuvent ne pas se trouver dans la Constitution formelle tandis que, à l’inverse, la Constitution formelle peut parfois contenir des règles d’importance secondaire. Dans ses Trente leçons de droit constitutionnel, M. UYTTENDAELE explique ainsi que (2ème édition, pp. 85 et 86, note de bas de page omises) : « En Belgique, certaines dispositions qui pourraient, par leur nature, faire partie de la Constitution, figurent dans des lois ordinaires ou spéciales […]. Par ailleurs, certaines règles inscrites dans la Constitution sont parfois d’importance secondaire. Ce ne sont pas des règles constitutionnelles au sens matériel. Ainsi l’article 71 de la Constitution suisse prévoit que la « Confédération peut légiférer pour encourager une offre d’œuvres cinématographiques variée et de qualité ». De telles dispositions sont rares dans la Constitution belge. On peut cependant citer le dernier alinéa de l’article 21 qui précise que « Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf des exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu », un principe qui n’a même pas pour portée d’affirmer le caractère laïque de l’État ». 4 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 4 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif II. Le pouvoir constituant originaire Le pouvoir constituant originaire est l’organe appelé à établir une constitution dans un État qui n’en a pas encore ou qui n’en a plus. En Belgique, ce fut le Congrès national, dont l’œuvre principale fut précisément d’adopter la Constitution, le 7 février 1831. En dépit de la rapidité avec laquelle ce texte a été rédigé, en s’inspirant tout à la fois de l’ancien droit applicable en Belgique et de plusieurs sources étrangères1, il a constitué, pendant plusieurs décennies, un véritable modèle de constitution moderne pour les pays étrangers. La Constitution belge de 1831 est un texte d’inspiration libérale, dans lequel se retrouvent les grands compromis qui ont sous-tendu l’alliance entre bourgeoisie catholique et bourgeoisie libérale à l’origine de la révolution belge de 1830. Le régime politique mis en place par le Constituant de 1831 est, plus précisément, une monarchie parlementaire, dans laquelle les grandes libertés sont garanties (notamment les libertés d'association, de la presse, de conscience et d'enseignement). Sur le plan territorial, c’est un État unitaire décentralisé qui est organisé en 1831, dans lequel une large place est reconnue aux pouvoirs locaux (communes et provinces). Historiquement, la première autorité de la Belgique indépendante a été une commission administrative de trois personnes et de deux secrétaires, qui n’était qu’une autorité de fait et dont le premier acte a été de proclamer, le 24 septembre 1830, qu’en l’absence de toute autorité constituée à Bruxelles, à la suite des émeutes et de l’expulsion de la ville des autorités hollandaises, elle avait pris le pouvoir. Cette commission s’est élargie, deux jours plus tard, en un gouvernement provisoire, composé de sept membres et deux secrétaires. Ce gouvernement provisoire a veillé à substituer rapidement à son autorité de fait, une autorité de droit. Le 4 octobre 1830 – soit, une semaine après sa création – il a, en effet, pris un arrêté organisant des élections nationales en vue de la constitution d’un Congrès national chargé d’élaborer une constitution. C’est ce Congrès national qui – on l’a vu – a rédigé la Constitution belge de 1831 et qui constitue donc le pouvoir constituant originaire de la Belgique. La Constitution belge de 1831 a permis, pendant près d’un siècle et demi, un fonctionnement harmonieux des institutions. Les seules modifications intervenues jusqu’en 1970 ont consisté, pour l’essentiel, à étendre progressivement le droit de vote, On retrouve ainsi, dans la Constitution belge, tout à la fois, l’influence française de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’influence britannique (d’où proviennent notamment les règles relatives au régime représentatif, le système parlementaire bicaméral et le gouvernement de cabinet) et des dispositions (surtout techniques) de la Loi fondamentale de 1815 du Royaume des Pays-Bas Unis dont la Belgique faisait partie intégrante avant son indépendance. En outre, l’idée d’une constitution écrite provient des États-Unis d’Amérique - premier pays à s’être doté d’une constitution écrite - et certaines dispositions relatives aux droits fondamentaux s’inspirent également de la Constitution des États-Unis. 1 5 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 5 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif afin de passer d’un régime censitaire au suffrage universel que nous connaissons actuellement. En revanche, la transformation de l’État unitaire belge en un État composé a entraîné, à partir de 1970, l’obligation de revoir profondément l’économie de la charte fondamentale et, par là même, en raison de la complexité des conflits et des intérêts divergents qui s’expriment dans toute société démocratique en général et dans tout État divisé en particulier, de renoncer à ce qui faisait la qualité de la Constitution de 1831, à savoir la simplicité de ses termes et la concision de ses règles. Chaque nouvelle disposition constitutionnelle étant le produit d’un compromis patiemment élaboré, elle se caractérise, le plus souvent, par une formulation très détaillée – chacun souhaitant intégrer dans le texte même de la Constitution toutes les garanties qu’il estime pouvoir revendiquer – ou confuse, le texte étant conçu de telle sorte que chacun puisse l’interpréter dans le sens qui lui convient. Par ailleurs, toujours à partir de la seconde moitié du XXème siècle, l’émergence en Belgique de l’État-providence, d’abord, de l’État-régulateur, ensuite, ainsi que les progrès, en parallèle, de l’intégration européenne, ont multiplié les cas dans lesquels l’exercice du pouvoir en Belgique n’a, au moins en pratique, plus été organisé selon les règles et les principes fixés par la Constitution. On pense notamment à l’importance qu’ont prises en Belgique les conventions collectives de travail ou les autorités administratives indépendantes, en marge du texte constitutionnel. De même, les droits et libertés garantis par le titre II de la Constitution belge apparaissent désormais en retrait par rapport à l’évolution des textes protecteurs des droits fondamentaux en Europe et sur la scène internationale et auxquels la Belgique a adhéré. C’est, dans ce contexte, un dépassement, au moins partiel, du texte de 1831 qui peut donc être observé. III. Le pouvoir constituant dérivé : la procédure de révision de la Constitution Le droit en général, et le droit public en particulier, étant des matières en constante mouvance, un texte, même de qualité, ne peut régir indéfiniment un système institutionnel. Celui-ci doit s’adapter à l’évolution de la société et à celle des mentalités. La Constitution belge n’a pas fait exception à la règle, même si, comme on vient de l’exposer, la Constitution belge paraît désormais dépassée sur plusieurs points par les évolutions sociales, politiques et économiques des dernières décennies. S’agissant de la procédure de révision de la Constitution, il faut relever, d’abord, qu’il est interdit de modifier la Constitution, soit en totalité, soit partiellement, dans certains cas : - en temps de guerre ou lorsque les chambres se trouvent empêchées de se réunir librement sur le territoire national (article 196 de la Constitution). Le but de cette interdiction est d’éviter qu’un régime dictatorial ne soit instauré dans le respect apparent des formes constitutionnelles. 6 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 6 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif - d’autre part, l’article 197 de la Constitution interdit de modifier pendant une régence les dispositions relatives à la désignation du titulaire de la fonction royale ou du Régent, au statut du chef de l’État et aux pouvoirs constitutionnels du Roi. Cette disposition a pour objet d’interdire que la situation de la couronne soit modifiée à une époque où la fonction royale est exercée, à titre intérimaire, par un Régent qui risquerait de ne pas défendre avec suffisamment de vigueur les pouvoirs royaux. Pour le surplus, la Constitution belge est une constitution rigide, en ce sens qu’elle ne peut être révisée que par un organe différent (le pouvoir constituant dérivé) et suivant une procédure différente que ceux prévus pour l’adoption d’une loi ordinaire. La Constitution belge est même une des plus rigides du monde : elle est plus difficile à amender que la plupart des Constitutions existantes à l’étranger. La rigidité d’une Constitution permet d’assurer sa suprématie par rapport aux autres normes juridiques internes et, notamment, par rapport à la loi, au décret ou à l’ordonnance dans le cas de la Belgique. Elle permet aussi d’assurer la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués, ces derniers ne pouvant porter atteinte à la Constitution qui les institue. La Constitution bride, de la sorte, le pouvoir des gouvernants et contraint leur action, notamment en plaçant hors de leur portée les droits fondamentaux qu’elle consacre. Il s’agit d’un principe de base du concept de constitutionnalisme. Par sa rigidité et sa suprématie, une Constitution formelle peut aussi être utilisée pour orienter l’action des pouvoirs publics vers des objectifs prédéfinis et, notamment, vers davantage de prise en compte du long terme dans leurs décisions. Les cycles électoraux et le désir des gouvernants d’être réélus sont de nature à biaiser la prise de décision publique en faveur du court terme, parfois au détriment du long terme. Les citoyens attendent en effet souvent d’un homme ou d’une femme politique qui souhaite se faire réélire qu’il ou elle puisse présenter des résultats à l’issue de son premier mandat. Cette attente décourage l’adoption de mesures qui peuvent avoir des effets négatifs pour certains segments de la population dans un premier temps, mais qui permettent de satisfaire des intérêts plus importants plus tard dans le temps, c’est-à-dire après l’élection suivante. La Constitution peut tempérer certains aspects de cette tendance au court-termisme typique des démocraties, en consacrant en son sein des principes comme celui du développement durable ou de la protection de l’environnement. Parce qu’ils se trouvent dans la Constitution, ces principes s’imposent aux dirigeants, même lorsqu’ils contrarient les intérêts de court terme que ceux-ci pourraient être tentés de privilégier. L’article 7bis de la Constitution belge est un exemple d’une telle disposition visant à orienter la prise de décision vers davantage de prise en compte du long terme. Cet article, introduit en 2007 dans la Constitution belge, dispose en effet que; « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations ». 7 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 7 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif La procédure de révision de la Constitution est prévue par son article 195. Elle se décompose en trois phases : 1) la déclaration de révision de la Constitution, faite par les trois branches du pouvoir législatif – à savoir, la Chambre, le Sénat et le Roi –, par laquelle les trois branches du pouvoir législatif déclarent qu’il y a lieu à la révision de certaines dispositions de la Constitution qu’elles désignent. Cette déclaration doit être adoptée, s’agissant de la Chambre et du Sénat, à la majorité simple des suffrages, de la même manière qu’une loi. Les dispositions à réviser doivent être désignées spécifiquement : soit un article, soit une partie d’article. Cette règle ne doit cependant pas être comprise de manière trop formaliste : ce que le Constituant peut réviser, c’est la règle juridique contenue par la disposition soumise à révision. D’autre part, les chambres ne peuvent pas indiquer dans quel sens la révision doit être effectuée. Quand bien même elles le feraient, cette précision ne lierait pas le pouvoir constituant dérivé, qui serait toujours libre de procéder à une modification différente de celle qui avait été prévue. 2) La dissolution des chambres et leur renouvellement. La déclaration de révision de la Constitution du pouvoir législatif est publiée au Moniteur belge. Elle entraîne automatiquement la dissolution des chambres et l’organisation de nouvelles élections. La dissolution des chambres répond à une double préoccupation : d’une part, comme elle met fin au mandat des parlementaires, elle empêche ceux-ci de déclarer à la légère qu’il y a lieu à révision de la Constitution. D’autre part, et surtout, elle est censée permettre à la population de se prononcer, par son vote, sur les questions en rapport avec la révision proposée. Les élections devraient permettre, idéalement, de dégager la volonté de la population quant au sens dans lequel il y a lieu de réviser la Constitution. Il s’agit là, à l’évidence, d’une fiction. En effet, les campagnes électorales qui précèdent un processus de révision constitutionnelle ne sont pas d’une autre nature que celles qui précèdent une élection législative ordinaire. Les programmes des partis sont à ce point diversifiés qu’il est en général impossible à un observateur objectif, comme à un acteur politique, de déterminer, après les élections, dans quel sens les électeurs souhaitent voir modifier la Constitution. En outre, en pratique, la dissolution des chambres consécutive à l’adoption d’une déclaration d’ouverture à révision de la Constitution est devenue le mode presque normal de fin des législatures fédérales. 3) La révision proprement dite, par les nouvelles chambres issues de ce scrutin. Ce sont ces chambres, dites « constituantes », qui sont habilitées à modifier les dispositions ayant fait l’objet de la déclaration de révision et qui constituent, en conséquence, le pouvoir constituant dérivé. La procédure d’examen des propositions de modification de la Constitution est, à peu de choses près, la même que celle de l’élaboration d’une loi pour laquelle les deux chambres interviennent à égalité. Cette procédure sera examinée par la suite en détails. En synthèse, la procédure d’élaboration de la loi suppose que le texte déposé sur le 8 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 8 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif bureau de l’assemblée soit discuté, amendé et, le cas échéant, adopté, d’abord en commission et, ensuite, en séance plénière de la chambre concernée, à chaque fois à la majorité des voix exprimées et pour autant que la majorité des membres de l’assemblée soit présente (exigence de quorum)2. Pour le vote d’une révision de la Constitution, l’article 195 impose cependant un quorum et une majorité différents de ce qui est prévu pour la loi ordinaire et pour la loi spéciale. Il faut en effet : - un quorum particulier : chacune des chambres ne peut délibérer que si deux tiers au moins de leurs membres sont présents ; - une majorité qualifiée : pour être adoptées, les propositions doivent réunir deux tiers au moins des suffrages. Les abstentions doivent être considérées comme des suffrages pour le calcul du quorum des présences (de telle sorte que le total des votes positifs, négatifs et des abstentions doit atteindre les deux tiers du nombre de membres que compte l’assemblée), mais non pour celui de la majorité qualifiée. En raison de l’importance de la matière, la modification de la Constitution doit recevoir dans chaque assemblée l’appui positif des deux tiers des parlementaires présents et qui ne se sont pas abstenus, c’est-à-dire l’appui des deux tiers des parlementaires qui se sont exprimés par un vote positif soit par un vote négatif. À la limite, une disposition constitutionnelle pourrait donc être adoptée par la Chambre par 2 voix pour, 1 voix contre, et 147 abstentions. Dans son Vocabulaire politique, Le Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP) définit les différents types de majorité comme suit (http://www.vocabulairepolitique.be/majorite/) : « Le terme de majorité, qui provient du latin « major », plus grand, a diverses significations. […] []Lors d'un vote dans une assemblée, pour qu'une décision soit valablement prise à la majorité simple ou ordinaire, on exige qu'elle recueille plus de la moitié des voix. Il faut donc réunir la majorité absolue notamment pour qu'un projet de loi, de décret ou d'ordonnance ou une proposition de loi, de décret ou d'ordonnance soit adopté par une assemblée parlementaire (article 53 de la Constitution en ce qui concerne la Chambre des représentants et le Sénat). Exemple : une décision est prise par 7 voix contre 6. Cette 2 Le mot « quorum » signifie donc, dans ce contexte, « nombre de présents ». 9 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 9 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif décision est prise à la majorité absolue puisqu'elle recueille plus de la moitié (13 ÷ 2 = 6,5) des suffrages. En cas de parité des voix, la proposition mise en délibération est donc rejetée. Dans tous les cas, les abstentions ne sont pas prises en compte dans les calculs de majorité. On distingue la majorité simple ou ordinaire de la majorité renforcée ou qualifiée. La majorité simple est utilisée pour la plupart des votes (lois, décrets ou ordonnances ordinaires, motions, résolutions…). La majorité renforcée ou qualifiée est employée pour les révisions constitutionnelles, pour l'adoption des lois institutionnelles ou linguistiques les plus importantes, pour l'adoption de certaines décisions au sein de l'Union européenne (UE) ou d'autres institutions internationales. Exemple : l'article 195 de la Constitution précise qu'une révision de celle-ci n'est possible que « si l'ensemble des modifications réunit au moins les deux tiers des suffrages exprimés ». En Belgique, cette majorité renforcée des deux tiers est également appelée majorité constitutionnelle. On parle aussi de majorité renforcée ou qualifiée quand on ajoute une ou plusieurs conditions à celle de recueillir un plus grand nombre de voix. […] » Dans le cadre de la procédure de révision de la Constitution, lorsque les textes ont été adoptés par chacune des deux chambres, ils sont, comme pour les lois, soumis à la sanction royale : par sa sanction, le Roi, en sa qualité de troisième branche du pouvoir constituant, marque son approbation à l’égard des projets de textes adoptés par les chambres. Les modifications à la Constitution sont ensuite publiées au Moniteur belge. Notons enfin que les chambres constituantes n’ont aucune obligation de réviser une disposition de la Constitution qui a été ouverte à révision : elles peuvent tout aussi bien décider qu’il n’y a pas lieu à révision ou s’abstenir de toute décision sur ce point. Aucun délai ne leur est d’ailleurs imposé, sinon celui qui découle de la durée du mandat parlementaire, soit, en principe, cinq ans. Les chambres issues des élections suivantes n’auront le pouvoir de poursuivre l’œuvre de révision constitutionnelle que si les chambres précédentes ont, de commun accord avec le Roi, pris l’initiative d’une nouvelle déclaration de révision. Par exemple, la déclaration de révision de la Constitution du 25 avril 2014 prévoyait l’ouverture à révision des dispositions suivantes de la Constitution : - l'article 7bis de la Constitution ; - le titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 10 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 10 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif - du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau permettant de garantir la jouissance des droits et libertés aux personnes handicapées ; - du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau garantissant le droit à la sécurité ; - de l'article 10, alinéa 2, deuxième membre de phrase, de la Constitution ; - de l'article 12, alinéa 3, de la Constitution, afin de respecter la jurisprudence européenne en ce qui concerne l'assistance d'un avocat dès la première audition ; - de l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution ; - de l'article 22 de la Constitution ; - de l'article 23 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité ; - de l'article 25 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa permettant d'élargir les garanties de la presse aux autres moyens d'information ; - de l'article 28 de la Constitution ; - de l'article 29 de la Constitution ; - du titre III de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau relatif à la décentralisation par service ; - de l'article 63, §§ 1er à 3, de la Constitution ; - de l'article 111 de la Constitution ; - de l'article 146 de la Constitution; - de l'article 148, alinéa 2, de la Constitution ; - de l'article 149 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa en vertu duquel la loi peut prévoir des dérogations à la lecture intégrale obligatoire des jugements, par le juge, en audience publique ; - de l'article 150 de la Constitution ; - de l'article 151, § 2, alinéa 2, deuxième phrase, de la Constitution, en vue d'optimaliser l'efficacité de l'organisation de la justice ; - de l'article 151, § 3, de la Constitution, afin de pouvoir mener une discussion générale relative à la compétence du Conseil supérieur de la Justice, notamment suite à un nouveau modèle de gestion de la Justice ; - de l'article 151, § 6, de la Constitution, afin de permettre également l'évaluation des 11 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 11 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif chefs de corps du siège ; - de l'article 152, alinéas 2 et 3, de la Constitution ; - de l'article 157 de la Constitution, afin de permettre, dans le cadre de la réforme du droit disciplinaire, la création d'un tribunal disciplinaire et d'en régler la composition et l'organisation par le biais d'une loi ; - de l'article 161 de la Constitution, en vue d'optimaliser l'efficacité de l'organisation de la justice ; - du titre IV de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau relatif à des juridictions internationales. En fin de compte, à l’issue de la législature 2014-2019, seuls l’article 12 et l’article 149 de la Constitution ont été modifiés. S’agissant de l’article 12, en outre, cet article a été modifié pour étendre à 48 heures le délai dans lequel une personne arrêtée doit impérativement voir son arrestation confirmée par un juge (précédemment, ce délai était de 24 heures), alors que la déclaration de révision de la Constitution prévoyait l’ouverture à révision de cette disposition « afin de respecter la jurisprudence européenne en ce qui concerne l'assistance d'un avocat dès la première audition ». Ceci illustre le principe, énoncé plus haut, selon lequel le pouvoir constituant n’est pas lié par les intentions exprimées dans la déclaration de révision de la Constitution quant au sens dans lequel la révision d’une disposition doit intervenir. On relèvera que l’article 195 de la Constitution a été complété en 2012 par une disposition qualifiée de « transitoire », qui institue une procédure spécifique afin de permettre la mise en œuvre de la sixième réforme de l’État intervenue lors de la législature 2010-2014. En ajoutant cette disposition « transitoire » à l’article 195 de la Constitution (qui était ouvert à révision), il s’agissait de permettre la révision de plusieurs articles de la Constitution qui n’avaient pas été inclus dans la déclaration de révision qui avait achevé la législature précédente (2007-2010), ce qui n’est normalement pas possible selon la procédure ordinaire de l’article 195 de la Constitution. L’accord de gouvernement conclu à la fin 2011 à la suite des élections de 2010 a en effet nécessité, pour sa mise en œuvre, une extension de la liste des articles de la Constitution susceptibles d’être révisés par rapport à ce qui avait été envisagé dans la déclaration de révision de 2010. Cette manière de faire n’est certes pas très orthodoxe, dès lors qu’elle aboutit à contourner la procédure mise en place par l’article 195 de la Constitution. Elle a 12 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 12 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif cependant été considérée par la majeure partie de la doctrine comme compatible avec le texte de l’article 195 de la Constitution. Elle n’a pas non plus été condamnée par la Commission de Venise3, qui est un organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles. La procédure dérogatoire introduite dans l’article 195 de la Constitution a été limitée dans le temps : elle a expiré à l’issue de la législature 20102014. L’article 195 n’a pas été inséré dans la déclaration de révision de la Constitution du 20 mai 2019 parmi les dispositions pouvant actuellement être soumises à une révision. Si, dans l’avenir, l’article 195 de la Constitution était à nouveau ouvert à révision, il pourrait théoriquement à nouveau être procédé comme il vient d’être exposé à propos de la mise en œuvre de la sixième réforme de l’État, pour contourner la procédure « normale » de révision de la Constitution que cet article institue. Certains constitutionnalistes considèrent par ailleurs que la procédure actuelle de révision de l’article 195 de la Constitution est trop rigide, notamment par la nécessité qu’elle impose de dissoudre les chambres après la déclaration de révision et avant la révision elle-même, et que l’article 195 de la Constitution devrait faire l’objet d’une révision structurelle, et non plus temporaire et conjoncturelle comme pendant la période 2012-2014. Le fait que l’on ait dû avoir recours en 2012 à cette procédure dérogatoire de révision temporaire et provisoire de l’article 195 pour ajouter des articles à la liste de ceux ouverts à la révision par la déclaration de 2010, a montré le caractère inadapté, aux yeux des détracteurs de l’actuel article 195 de la Constitution, de la procédure telle qu’elle est organisée par cette disposition. D’autres auteurs envisagent cependant avec plus de faveur la rigidité de l’article 195 de la Constitution, dont ils considèrent qu’elle constitue un rempart appréciable contre les aventures institutionnelles qui pourraient tenter certains mouvements politiques et, notamment, les nationalistes flamands. La question se pose en outre, dans l’hypothèse d’une éventuelle révision de l’article 195 de la Constitution, de savoir s’il ne faudrait pas tenir compte des structures institutionnelles de la Belgique telles qu’elles sont issues des réformes qui ont conduit le pays au fédéralisme depuis 1970, par exemple en faisant intervenir les groupes linguistiques des deux chambres fédérales, ce qui n’est pas le cas actuellement, en théorie tout au moins, ou les parlements des entités fédérées, à la procédure de révision de la Constitution. Des pistes visant à mieux associer les citoyens à la procédure de révision constitutionnelle – par l’introduction de panels citoyens ou par le recours à la technique référendaire, par exemple – sont également parfois évoquées. 3 Commission européenne pour la démocratie par le droit, avis n°679 / 2012, 20 juin 2012, disponible sur https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2012)010-f 13 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 13 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif § 2. Les traités et le droit international et européen dérivé Outre la Constitution, certaines règles de droit international public font partie du système juridique belge et constituent des sources du droit public. Parmi ces règles, il y a d’abord celles qui découlent des traités régulièrement conclus et entrés en vigueur à l’égard de la Belgique sur le plan international et dont l’objet relève du droit public. Un traité est un accord conclu entre deux ou plusieurs sujets du droit international (États et organisations internationales principalement), destiné à produire des effets juridiques selon les règles de ce droit. Sont également susceptibles de relever des sources du droit public les règles internationales qui — le cas échéant — dérivent de ces traités et qui ont été adoptées par les institutions mises en place par ces traités. Il s’agit de ce qu’on appelle le droit international dérivé. De même, les règles du droit de l’Union européenne, que celles-ci découlent des traités constitutifs de l’Union européenne (droit primaire européen) ou qu’elles aient été adoptées par les institutions européennes (droit européen dérivé), sont à compter parmi les sources du droit public en Belgique. Les traités et le droit international et européen dérivé constituent une source importante du droit public belge, spécialement en ce qui concerne la protection des droits et libertés. Par un célèbre arrêt Fromagerie Franco-suisse Le Ski du 27 mai 1971, la Cour de cassation a décidé qu’un traité contenant des règles de droit directement applicables dans l’ordre juridique interne pouvait, en tant que tel, être invoqué devant et appliqué par les cours et tribunaux. En ce sens, la Belgique est un État moniste dans ses rapports avec le droit international. Elle se distingue ainsi des États dits dualistes, comme le Royaume-Uni, qui établissent une séparation en principe étanche entre leur droit interne et leurs engagements internationaux. Parmi les sources du droit public applicables en Belgique et dont l’origine se trouve dans le droit international public, on peut mentionner, à titre d’exemple, différents instruments protecteurs des droits fondamentaux et, en premier lieu, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, appelée généralement « Convention européenne des droits de l’homme ». La Convention européenne des droits de l’homme a été négociée au sein du Conseil de l’Europe et signée par les États membres de cette organisation le 4 novembre 1950. Elle a ensuite été approuvée par la loi belge du 13 mai 1955. Elle consacre les droits suivants : - le droit à la vie (article 2) ; - l’interdiction de la torture et des peines et traitements inhumains et dégradants 14 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 14 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif (article 3) ; - l’interdiction de l’esclavage, de la servitude et du travail forcé ou obligatoire (article 4) ; - le droit à la liberté et à la sûreté (article 5) ; - le droit à un tribunal et à un procès équitable (article 6) ; - la non-rétroactivité de la loi pénale (article 7) ; - le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance (article 8) ; - la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9) ; - la liberté d’expression, d’opinion et le droit à l’information (article 10) ; - la liberté de réunion pacifique et d’association, y compris la liberté syndicale (article 11) ; - le droit de se marier et de fonder une famille (article 12) ; - le droit à un recours effectif devant une instance nationale en cas de violation de la Convention (article 13) ; - la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention (article 14). Des protocoles additionnels ont complété ce catalogue, notamment en consacrant le droit au respect des biens, le droit à l’instruction, le droit à des élections libres, l’interdiction des expulsions collectives d’étrangers, le droit à un double degré de juridiction en matière pénale, la non-discrimination générale, l’abolition expresse de la peine de mort, etc. La plupart de ces protocoles ont été ratifiés par la Belgique. La majeure partie des libertés garanties par la Convention européenne des droits de l’homme sont communes à celles protégées par ailleurs par la Constitution belge, même si la rédaction de leur texte diffère et que les possibilités de restriction des droits fondamentaux sont expressément prévues dans la Convention, alors que ce n’est pas le cas dans la Constitution belge. Dans le système conventionnel, ces restrictions doivent dans tous les cas être prévues par la loi, légalement prise « dans une société démocratique » et ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues. Une procédure originale à caractère juridictionnel a été mise sur pied par la Convention européenne des droits de l’homme, pour en assurer l’effectivité. Ses caractères principaux sont les suivants. 15 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 15 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif 1. Il existe une juridiction permanente, la Cour européenne des droits de l’homme, composée d’autant de juges que d’États parties à la Convention. Les juges sont soumis à un statut garantissant leur impartialité et leur indépendance, même à l’égard de l’État dont ils émanent : ainsi, leur nomination par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est limitée à neuf ans, non renouvelable. Les juges cessent de siéger lorsqu’ils atteignent septante ans. La Cour désigne en son sein son président et un ou deux vice-présidents. Au sein de la Cour, des chambres de sept juges exercent le principal des compétences juridictionnelles qui lui sont reconnues. Une chambre n’est saisie que si un juge statuant seul (« juge unique ») ou un comité de trois juges n’a pas déclaré la requête irrecevable ou ne l’a pas rayée du rôle en raison du fait qu’elle ne nécessite pas un examen complémentaire. Le comité de trois juges peut aussi, à l’inverse, déclarer lui-même une requête recevable et se prononcer sur le fond lorsque la question qui est l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour. 2. Les recours peuvent être introduits devant la Cour par : a) tout État partie à la Convention ; b) toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation de la Convention ou de l’un de ses protocoles par un des États parties à la Convention. 3. La Chambre peut se dessaisir au profit de la Grande Chambre, composée de dix-sept membres, si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation de la Convention ou de ses protocoles ou si la solution d’une question peut conduire à une contradiction avec un arrêt rendu antérieurement. Une partie peut toutefois s’opposer à ce dessaisissement. 4. La Chambre ou la Grande Chambre examine la recevabilité de la requête, qui doit répondre aux conditions suivantes en ce qui concerne les recours individuels : a) le requérant a épuisé les voies de recours internes ; b) la requête est introduite dans les six mois à dater de la décision interne définitive ; c) la requête n’est pas anonyme ; d) elle émane d’une victime d’une violation de la Convention ; e) la requête ne peut être la même qu’une requête précédente, sauf faits nouveaux ; f) la requête n’est pas incompatible avec les dispositions de la Convention ou n’est pas manifestement mal fondée ou abusive ; g) le requérant doit avoir subi un préjudice important, sauf si le respect des droits de 16 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 16 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif l’homme exige un examen au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne. 5. La Chambre ou la Grande Chambre : - examine l’affaire de façon contradictoire et, s’il y a lieu, procède à une enquête ; - se met à la disposition des intéressés pour une tentative de règlement amiable. 6. La Chambre ou la Grande Chambre prononce un arrêt motivé sur le fond. Si sa compétence est contestée, elle se prononce préalablement sur cette question. Elle peut accorder une « satisfaction équitable ». Le juge élu au titre de l’État mis en cause, ou un juge désigné par cet État en cas d’absence ou d’empêchement, est membre de droit de la Chambre ou de la Grande Chambre. Tout juge peut joindre à l’arrêt une opinion séparée. 7. Si l’arrêt émane de la Grande Chambre, il est définitif. S’il est prononcé par une Chambre, il peut faire l’objet dans les trois mois d’une demande de renvoi par les parties devant la Grande Chambre si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave d’intérêt général. Un collège de cinq juges apprécie si les conditions du renvoi sont rencontrées. L’arrêt de la Grande Chambre, une fois rendu, est définitif. Les États sont tenus de se conformer aux arrêts de la Cour. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe surveille cette bonne exécution. Si l’État refuse de se conformer à l’arrêt, le Comité des Ministres peut saisir la Cour de cette question. Enfin, le Protocole n°16 à la Convention a permis d’étendre la compétence de la Cour européenne des droits de l'Homme, en la rendant compétente pour donner des avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles, à la demande d’une haute juridiction d’un Etat partie à la Convention. Ce Protocole est entré en vigueur à l’égard de la Belgique le 1er mars 2023. Outre la Convention européenne des droits de l’homme, il existe d’autres instruments de droit international public qui constituent des sources du droit public applicable en Belgique, dès lors qu’ils concernent la protection des droits fondamentaux. Notamment, le 19 décembre 1966, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé deux textes : - le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; 17 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 17 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif - le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le premier a été approuvé par la loi belge du 15 mai 1981 ; la plupart de ses règles sont directement applicables. Le second a été approuvé par une autre loi du 15 mai 1981, un décret de la Communauté française du 8 juin 1982 et un décret de la Communauté flamande du 25 janvier 1983. Il concerne des droits comme le droit des peuples à disposer d’euxmêmes, l’égalité des sexes dans la jouissance des droits visés, le droit au travail, le droit à des conditions de travail justes et favorables, la liberté syndicale, le droit à la sécurité sociale, la protection de la famille et de la maternité, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à la santé physique et mentale, le droit à l’éducation, le droit à la culture, etc. Les instruments de l’ONU de protection des droits de l’homme prévoient généralement des organes de contrôle, dont les pouvoirs sont cependant moins importants que ceux de la Cour européenne des droits de l’homme. Citons le Comité des droits de l’homme prévu par le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité contre la torture, devant lesquels un droit de recours individuel est prévu si les États l’admettent. La Belgique a reconnu le droit de tout particulier d’introduire des « communications » devant le Comité des droits de l’homme prévu par le Pacte international ONU relatif aux droits civils et politiques et par son Protocole facultatif. Ces « communications » désignent en réalité des recours, en langage diplomatique. Les personnes relevant de la juridiction des États qui ont ratifié le Protocole du 10 décembre 2008 au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – dont la Belgique – peuvent aussi adresser des plaintes, appelées pudiquement, elles aussi, des « communications », auprès du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU. D’autres conventions internationales encore constituent des sources du droit public applicable en Belgique, dans son volet protection des droits fondamentaux. La Charte sociale européenne, négociée au sein du Conseil de l’Europe, la Constitution de l’Organisation internationale du travail (O.I.T.) et les conventions et autres actes de l’O.I.T. ainsi que certaines dispositions des traité fondateurs de l’Union européenne et les règlements, directives et autres actes des organes de l’Union sont, ainsi, à des degrés divers, d’autres sources internationales de droits fondamentaux. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg s’est vu reconnaître la même valeur juridique que les traités européens par l’article 6 du Traité sur l’Union européenne dans sa version résultant du Traité de Lisbonne. Cette Charte reconnaît des droits analogues à ceux figurant dans la Convention européenne des droits de l’homme et dans ses 18 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 18 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif Protocoles. Elle consacre, en outre, certains droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi que l’énonce l’article 51 de la Charte, « 1. [S]es dispositions […] s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités. 2. La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités ». Ce n’est donc que dans le cadre – il est vrai de plus en plus large – des matières confiées à l’Union européenne que la Charte doit être observée, tant par les institutions européennes que par ses États membres, sans que cette Charte n’étende les compétences matérielles de l’Union. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales, qui a été signée par la Belgique sans avoir encore été ratifiée, consacre, pour sa part, un certain nombre de garanties au profit de personnes appartenant à des minorités nationales. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, a, en revanche, une valeur morale et politique considérable mais n’a aucune force juridique contraignante pour les États. Citons enfin d’autres conventions négociées au niveau de l’ONU, comme la Convention pour l’élimination de la discrimination raciale, la Convention interdisant la torture, la Convention des droits de l’enfant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention relative aux droits des personnes handicapées, etc. Ces instruments internationaux de protection des droit fondamentaux font également partie des sources formelles du droit public applicable en Belgique. Outre les textes internationaux ou européens protecteurs des droits fondamentaux, d’autres instruments internationaux ont également une importance significative pour le droit public applicable en Belgique. Il en est particulièrement ainsi des traités instituant l’Union européenne et des actes adoptés par les institutions européennes. Ces instruments encadrent en effet de manière substantielle la liberté d’action des pouvoirs publics belges et influencent leurs règles de fonctionnement. Ce sont, à ce titre, des sources importantes du droit public contemporain. Par exemple, le droit européen impose à la Belgique et, spécialement, au Gouvernement belge, de respecter l’indépendance de la Banque nationale de Belgique. De même, le droit européen oblige la 19 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 19 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif Belgique à créer diverses institutions indépendantes de régulation de l’économie, comme la Commission de régulation de l’électricité et du gaz ou l’Institut des postes belges et des télécommunications. 1. En 1951 a été créée à Paris la Communauté européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.), et en 1957, par le Traité de Rome, ont été instituées la Communauté européenne de l’énergie atomique (C.E.E.A. ou Euratom) et la Communauté économique européenne (C.E.E.). La raison d’être du traité C.E.C.A. était d’organiser la mise en commun et la gestion commune du charbon et de l’acier entre les États parties au traité (Italie, Allemagne, France, Benelux). L’objet principal du traité de Rome instituant la C.E.E. était, pour sa part, la création d’un marché intérieur européen entre ces mêmes États. Le traité Euratom visait, quant à lui, à coordonner les programmes de recherche sur l'énergie nucléaire des États parties. À partir de la fusion complète de leurs organes en 1965, ces trois organisations internationales ont formé ensemble ce que l’on appelait « les Communautés européennes ». Ces organes gardaient les compétences de leur organisation d’origine, qui étaient différentes l’une de l’autre. Au moment de l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht du 7 février 1992 sur l’Union européenne, la C.E.E. a changé de nom : elle s’est alors appelée alors « la Communauté européenne (C.E.) ». Depuis 2002, la C.E.C.A. n’existe plus, le traité l’ayant fondé ayant expiré, et ses compétences sont prises en charge par la Communauté européenne. Le Traité de Maastricht comporte en outre des dispositions autonomes, qui créèrent « l’Union européenne » et la rendirent compétente, selon des règles propres, en matière de politique étrangère et de sécurité commune ainsi qu’en matière de coopération dans les matières de la justice et des affaires intérieures. 2. Il en est résulté une architecture institutionnelle particulièrement complexe, que l’on peut schématiser comme suit : 1°) Le premier pilier de la construction européenne se fondait sur sa dimension proprement communautaire, c’est-à-dire héritée des traités initiaux de 1951 et de 1957 : il s’agissait des deux Communautés, agissant par des organes communs (Parlement européen, Conseil des ministres, Commission européenne, etc.) : - la Communauté européenne (C.E.), anciennement la Communauté économique européenne (C.E.E.) ; - la Communauté européenne de l’Energie l’Énergie atomique (C.E.E.A. ou Euratom). L’originalité de ce « pilier » résidait en ce que l’on appelait – et appelle encore – la 20 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 20 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif « méthode communautaire », c’est-à-dire le fait que ces deux communautés ne fonctionnent pas, comme les organisations internationales classiques (ex. : Conseil de l’Europe, ONU, UNESCO, OTAN, etc.), sur une base intergouvernementale4, mais selon un modèle davantage intégré (rôle de la Commission européenne dans l’initiative des instruments de droit dérivé, « codécision » du Parlement européen élu au suffrage universel pour la procédure législative ordinaire, délibérations du Conseil des Ministres à une majorité qualifiée et non à l’unanimité, etc.). 2°) Le deuxième pilier était celui la politique étrangère et de sécurité commune (P.E.S.C.), dont les lignes directrices étaient fixées par le Conseil européen et dont la mise en œuvre était assurée principalement par le Conseil des ministres agissant à l’unanimité, selon une méthode intergouvernementale classique, les pouvoirs de la Cour de justice étant en outre réduits. 3°) Le troisième pilier, portant sur la coopération policière et judiciaire en matière pénale, relevait de la responsabilité du Conseil des ministres sur une base en principe intergouvernementale, c’est-à-dire sous la forme de décisions prises à l’unanimité. Toutefois, certaines décisions pouvaient être prises à la majorité qualifiée et des procédures simplifiées avaient été mises sur pied pour transférer des aspects de ces matières vers le premier pilier, ce qui avait pour effet de les soumettre aux règles proprement communautaires. 3. Les dispositions des Traités de Paris, de Rome et de Maastricht ont été complétées lors de la signature, le 2 octobre 1997, du Traité d’Amsterdam. Celui-ci, entré en vigueur le 1er mai 1999, a considérablement accru les compétences de la Communauté européenne (en matière d’asile, notamment) et a conféré au Parlement européen des pouvoirs élargis par rapport aux traités précédents. Il a également renforcé le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale en améliorant les procédures de coopération entre États membres dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (P.E.S.C.). 4. Le 1er décembre 2009 entrait en vigueur le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, qui, dans une certaine mesure, a simplifié ce paysage institutionnel. La dénomination « Communauté européenne » a disparu, pour ne laisser la place qu’à l’« Union européenne », désormais revêtue, comme l’ancienne Communauté, de la personnalité juridique pour tous les aspects de ses politiques. La C.E.E.A. (Euratom) a été maintenue Il faut admettre toutefois que même les organisations internationales qui viennent d’être citées ne sont pas exclusivement fondées sur un fonctionnement intergouvernemental (par exemple, le Conseil de l’Europe comprend une Assemblée parlementaire et une Cour européenne des droits de l’homme mais les conventions que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopte ne lient les États qu’après leur ratification en conformité avec leurs exigences constitutionnelles), mais que tel est leur modèle principal. 4 21 D -C-4019 P B Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 21 L T Emmanuel Principes généraux de droit constitutionnel et administratif mais ses organes sont communs à ceux de l’Union européenne et son fonctionnement calqué sur celui de cette dernière organisation. Le Traité de Lisbonne est en réalité un traité modificatif : il laisse subsister, tout en le modifiant de manière importante, le « Traité sur l’Union européenne » de 1992, q

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