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Université Paris-Panthéon-Assas
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CHAPITRE 2 – RÉGIME GÉNÉRAL DE LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE Ce régime général concerne aussi bien le domaine public que le domaine privé. Tous les biens des personnes publiques sont soumis à un même régime général en tant qu'ils relèvent de la propriété publique. Ce régime général comporte des règles tirée...
CHAPITRE 2 – RÉGIME GÉNÉRAL DE LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE Ce régime général concerne aussi bien le domaine public que le domaine privé. Tous les biens des personnes publiques sont soumis à un même régime général en tant qu'ils relèvent de la propriété publique. Ce régime général comporte des règles tirées du droit commun et du droit administratif. On a des grandes règles du droit privé qui s'appliquent au domaine public, et des grandes règles du droit administratif qui s'appliquent au domaine privé. Cela illustre l'échelle de domanialité. En tant que propriété, la propriété publique est une propriété à part entière, d'où la soumission au droit commun de la propriété (droit privé), mais en tant que propriété publique, elle est un peu à part, d'où la soumission au droit administratif. SECTION 1 – LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE, UNE PROPRIÉTÉ À PART ENTIÈRE : LES ÉLÉMENTS GÉNÉRAUX DU RÉGIME DE DROIT COMMUN En matière de propriété publique, le juge judiciaire, c'est-à-dire le juge de droit commun, dispose d'une compétence exclusive et très importante : la compétence pour déterminer qui est le propriétaire du bien. L'article 17 de la DDHC offre une protection constitutionnelle à la propriété en la qualifiant de droit inviolable et sacré. Le CC a complété les choses avec sa décision n°89-256 DC rendue le 25 juillet 1989 : il a consacré le principe selon lequel le juge judiciaire est constitutionnellement le gardien de la propriété. Le CC a estimé qu'il s'agissait d'un PFRLR, principes qui ont valeur constitutionnelle. Or, le CC avait jugé en 1986 que l'article 17 protégeait aussi bien la propriété privée et la propriété publique. Donc le juge judiciaire est non seulement le gardien de la propriété privée, mais aussi le gardien de la propriété publique. Bref, c'est au juge judiciaire de se prononcer sur le titre de propriété non seulement des personnes privées, mais aussi des personnes publiques. Cela dit, le champ de compétences du juge judiciaire n'est pas illimité, il ne porte que sur la détermination des propriétaires. Si l'administration souhaite récupérer un bien dont elle estime qu'elle est propriétaire, elle doit saisir le juge judiciaire. C'est ce qu'a rappelé le TDC dans un arrêt Ministre de la Défense c. Murat de Chasseloup-Laubat du 9 juillet 2012. À cet égard, le juge judiciaire peut intervenir par deux voies différentes : L'action en revendication : si l'administration souhaite récupérer un bien dont elle s'estime propriétaire, elle peut saisir directement le juge judiciaire ; La question préjudicielle : à l'occasion d'un litige administratif qui relève de la compétence du juge administratif, une question de propriété se pose, auquel cas le juge administratif ne peut pas déterminer qui est le propriétaire puisque c'est une compétence exclusive du juge judiciaire, il doit donc surseoir à statuer pour transmettre la question de propriété au juge judiciaire. Le juge judiciaire statue sur le titre de propriété, et alors le juge administratif pourra reprendre son procès en tant compte de la décision du juge judiciaire SECTION 2 – LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE, UNE PROPRIÉTÉ À PART : LES ÉLÉMENTS GÉNÉRAUX DU RÉGIME DE DROIT ADMINISTRATIF La propriété publique est une propriété à part, car la propriété publique appartient toujours à une personne publique, et est donc toujours plus ou moins tendue vers un but d'intérêt général, d'où la soumission au droit administratif. Ces règles administratives sont considérées comme générales car elles s'appliquent à toutes les propriétés publiques, du domaine public comme du domaine privé. On peut distinguer deux grands types de règles générales : Des règles générales de répartition de la propriété publique ; Des règles générales de protection de la propriété publique I. Les règles générales de répartition de la propriété publique La propriété publique est une véritable propriété, et donc relève de la compétence du juge judiciaire. Mais en matière de propriété publique, la détermination du propriétaire est insuffisante, car elle se répartie en deux grands types de biens : biens du domaine public, et biens du domaine privé. Il faut donc déterminer l'appartenance d'un bien à l'un ou l'autre domaine, ce qui relève de la compétence du juge administratif (TDC, SCI-Les Perriers, 28 avril 1980). Cette compétence de répartition appartient exclusivement au juge administratif. Le juge judiciaire va donc parfois devoir poser une question préjudicielle au juge administratif. Il y a donc deux compétences juridictionnelles à distinguer : la question de l'appartenance d'un bien à l'administration ou à une personne privée (juge judiciaire), l'appartenance d'un bien au domaine public ou au domaine privé de l'administration (juge administratif). Il existe plusieurs types de domaines publics : le juge administratif est compétent pour déterminer à quel type de domaine public ce bien appartient. II. Les règles générales de protection de la propriété publique Les biens qui relèvent de la propriété publique font l'objet de protections particulières exorbitantes de droit commun, c'est-à-dire qui n'existent pas en droit privé. Elles s'appliquent aux biens du domaine public comme aux biens du domaine privé. A) L'insaisissabilité de la propriété publique Le premier grand principe protecteur de la propriété publique est l'insaisissabilité des biens qui appartiennent aux personnes publiques. Ce principe est aujourd'hui consacré par l'article L2311-1 du CG3P : « Les biens des personnes publiques sont insaisissables ». Les biens qui appartiennent aux personnes publiques échappent donc aux voies d'exécution du droit commun, c'est-à-dire aux règles qui permettent la bonne exécution des décisions de justice, comme la saisie des biens mobiliers et immobiliers (ex : articles L211-1 et L311-1 du Code des procédures civiles d'exécution). Le principe d'insaisissabilité interdit aux personnes publiques de constituer des sûretés réelles sur leurs biens, c'est-à-dire des garanties qu'un débiteur va pouvoir établir sur son propre bien afin d'offrir à leurs créanciers un droit sur les biens concernés (ex : hypothèque, nantissement). En vertu du principe d'insaisissabilité, les personnes publiques ne peuvent ni hypothéquer, ni nantir leurs biens. Ils sont donc insaisissables par leurs créanciers. Ce n'est toutefois pas un principe absolu : il n'a qu'une valeur législative, le législateur peut donc adopter d'autres lois qui peuvent atténuer ou réduire cette protection. Le CC a tout de même jugé que les atténuations portées par le législateur au principe d'insaisissabilité ne pouvaient pas porter atteinte à la continuité des services publics (décision n°2005-513 DC, 14 avril 2005). Un certain nombre de dispositifs et techniques ont été créés pour tempérer ce principe d'insaisissabilité. On l'a tempéré car on a pu considérer qu'il n'était pas juste que l'administration bénéficie d'une protection aussi forte à l'égard des créanciers. De plus, ce principe peut être sclérosant pour l'administration, car sans garantie, les personnes publiques auront plus de difficultés pour emprunter de l'argent, soit car les créanciers vont refuser de leur prêter de l'argent, soit car ils vont augmenter les taux d'intérêts. Ces tempéraments ont été apportés de diverses manières : constitution de droits réels (ex : autorisations d'occupation du domaine des personnes publiques), autorisations par la loi à constituer des sûretés réelles sur certains de leurs biens... En ce qui concerne les décisions de justice, le législateur a adopté le 16 juillet 1980 une loi relative à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public qui oblige les personnes publiques à inscrire dans leur budget et à payer dans un délai de 2 mois les sommes nécessaires à l'exécution d'une décision de justice qui les aurait condamnées à payer une somme d'argent. Si les CT et les EP ne procèdent pas à ce paiement, le préfet ou l'autorité de tutelle peuvent se substituer à la CT ou à l'EP et mandater d'office cette dépense. Du point de vue de l'insaisissabilité, le CE, par un arrêt Société de gestion du port de Campoloro rendu le 18 novembre 2005 a complété cette loi de 1980. Le texte de la loi dispose que si la CT ou l'EP n'ont pas assez d'argent pour payer la condamnation, ils doivent « créer les ressources nécessaires », sinon le préfet ou l'autorité de tutelle peut se substituer après les avoir mis en demeure. Le CE a estimé que dans leur pouvoir de substitution, le préfet ou l'autorité de tutelle devait adopter les mesures nécessaires pour créer les ressources nécessaires propres à payer la condamnation. Or, parmi ces mesures, le préfet ou l'autorité de tutelle peut décider de vendre les biens de la CT ou de l'EP à la condition que ces biens ne soient pas indispensables au bon fonctionnement du service public. Ils peuvent donc disposer des biens d'une autre personne publique, ce qui est un tempérament au principe d'insaisissabilité. S'ils ne le font pas, leur responsabilité pourra être engagée. B) L'incessibilité à vil prix de la propriété publique La deuxième règle générale qui protège la propriété publique réside dans l'interdiction qui pèse sur les personnes publiques de vendre leurs biens à vil prix. Cela signifie qu'il est interdit aux personnes publiques de vendre leurs biens à un prix inférieur à leur valeur marchande. Ce principe a valeur constitutionnelle (décision n°86-207 DC relative aux Lois de privatisation) : « La Constitution s'oppose à ce que des biens faisant partie du patrimoine public soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur ». Cela concerne les biens du domaines public et les biens du domaine privé, les biens mobiliers et immobiliers, et aussi bien les ventes que les locations (CC, 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat). Le CC interdit les ventes à vil prix lorsque l'acheteur poursuit des fins d'intérêt privé. Ce principe d'incessibilité à vil prix ne s'applique donc que lorsqu'il s'agit de vendre des biens publics à des personnes privées. La conséquence, c'est que le législateur peut adopter des dispositifs légaux qui permettent aux personnes publiques de vendre leurs biens à vil prix à des personnes publiques qui poursuivent des fins d'intérêt général. Le CE, lui, considère que ce principe d'incessibilité à vil prix s'applique aussi lorsque l'acheteur est une personne publique (CE, 15 mai 2012, Hayart). Le législateur peut donc en principe adopter des lois qui permettent de vendre des biens à vil prix lorsque l'acheteur est une personne publique. En revanche, l'administration ne peut pas le faire, si ce n'est pas permis par la loi. La vente à vil prix par l'administration peut avoir plusieurs conséquences : La vente sera nulle ; La responsabilité de la personne publique sera engagée envers l'acheteur lésé ; La méconnaissance intentionnelle de ce principe caractérise un délit de concussion (article 432-10 CP) : cela consiste notamment pour une personne dépositaire de l'autorité publique à accorder une exonération illégale, il est passible de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000€ d'amende Néanmoins, il y a des tempéraments Lorsqu'un bien public est quasi invendable, ou ne peut intéresser que quelques personnes particulières, les personnes publiques peuvent le vendre à un prix inférieur au prix du marché (CE, Commune de Bourisp, 28 février 2007). Le 3 novembre 1997, le CE a rendu un arrêt Commune de Fougerolles par lequel il a établi les conditions générales qui permettent de déroger au principe d'incessibilité à vil prix : « La cession par une personne publique d'un bien pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêts privés lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes ». Il est donc possible pour une personne publique de vendre l'un de ses biens à un vil prix voire à un prix symbolique à deux conditions : Cette vente est justifiée par un motif d'intérêt général : en l'espèce, création d'emplois ; Cette vente comporte des contreparties suffisantes : en l'espèce, le remboursement du prix du terrain si les emplois n'étaient pas créés Dans un arrêt Commune de Châtillon-sur-Seine rendu le 14 octobre 2015, le CE a précisé la manière dont devait procéder le juge pour réaliser son contrôle : Vérifier qu'il existe un motif d'intérêt général ; Identifier l'existence et l'effectivité des contreparties, c'est-à-dire l'existence des avantages dont peut bénéficier la personne publique ; Déterminer si ces contreparties sont suffisantes, c'est-à-dire proportionnées par rapport au rabais du prix de vente Dans sa décision n°2008-567 DC, le CC estime que le législateur peut adopter des dispositifs légaux qui permettent aux personnes publiques de vendre des biens à vil prix pour réaliser des projets d'intérêt général (ex : article L3211-7 CG3P). Dans une perspective de protection du droit de la concurrence, toutefois, les personnes publiques ne sont pas censées aider les entreprises privées lorsqu'elles réalisent des opérations économiques. Or, les aides économiques, qui sont en principe interdites, peuvent provenir de la vente ou de la location d'un bien public à un prix inférieur à sa valeur. Le droit permet alors aux personnes publiques, dans certaines conditions précises, d'accorder des aides en vue d'opérations économiques. Puisqu'il s'agit d'une exception, l'octroi des aides économiques est conditionné. ✱ Par exemple, en ce qui concerne les aides qui sont octroyées par les CT (articles L1511-1 et suivants du CGCT), « les aides accordées sur le fondement de ces articles ont pour objet la création ou l'extension d'une activité économique » (article L1511-2), or, ces aides peuvent prendre la forme de rabais sur le prix de vente ou sur le prix de location (article L1511-3 CGCT). Donc pour qu'une telle aide économique soit légale, il faut non seulement qu'elle présente un intérêt public, mais elle doit aussi donner lieu à l'établissement d'une convention (article L1511-3 CGCT). ✱ Par ailleurs, la vente ou la location d'un bien à vil prix peut méconnaître le principe qui interdit de subventionner les cultes. En effet, les articles 2 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des églises et de l'État interdisent toute subvention aux cultes. La lecture de certains arrêts laisse entendre qu'une vente d'un bien public à une association cultuelle à un prix inférieur à sa valeur constituerait une forme de subvention qui est interdite par la loi de 1905. C) La prescription quadriennale Une troisième grande règle protège les biens et l'argent des personnes publiques : la règle de la prescription quadriennale. Les dettes qui pèsent sur les personnes publiques se prescrivent au bout de 4 ans (loi n°68-1250 du 31 décembre 1968). Cette règle est une dérogation à la prescription de droit commun qui est aujourd'hui de 5 ans. Avant 2008, la prescription de droit commun était de 30 ans, donc la prescription quadriennale était une véritable dérogation. La prescription quadriennale s'applique lorsque rien d'autre n'est prévu en droit public. De ce point de vue, le législateur peut prévoir d'autres régimes de prescription dans des situations particulières. Par exemple, les dettes que les hôpitaux ont à l'égard des patients victimes de dommages lors de leurs soins se prescrivent au bout de 10 ans (article L1142-28 CSP). Cette prescription s'applique à toute forme de dettes : qui trouvent leur origine dans un dommage, dans un contrat, dans un règlement, dans une loi... Elle ne s'applique pas aux dettes qui procéderaient d'une condamnation de justice (article 7 de la loi du 31 décembre 1968). Le délai de la prescription quadriennale commence à courir le premier janvier de l'année qui suit la naissance de la dette. L'article 2 de la loi de 1968 prévoit trois hypothèses d'interruption du délai de prescription : Le créancier de l'administration transmet à l'administration une réclamation de paiement ; Le créancier de l'administration met en cause l'administration débitrice devant une juridiction ; L'administration paie une partie de sa dette Le délai de prescription est interrompu dans ces trois hypothèses, et reprend de 0 à partir du 1er janvier de l'année suivante. L'administration avait un autre privilège par rapport aux personnes privées : lorsqu'elle était non plus débitrice mais créancière, les créances de l'administration n'étaient prescrites qu'au bout de 10 ans voire 30 ans selon les cas. Les choses ont changé avec la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, puisque désormais les créances dont disposent l'administration se prescrivent dans un délai de 5 ans même s'il existe des exceptions légales.