CULTURE GENERALE AFRICAINE Juin 2017 PDF

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Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest

2017

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African culture history sociology philosophy

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This past paper for an undergraduate course from the University Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) features questions on African culture, history, and related topics. The exam paper covers the period from the beginning of the movement to its modern manifestations and the fundamental aspects of understanding African culture.

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Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR...

Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 1 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 INTRODUCTION L’intitulé même du cours « CULTURE AFRICAINE » est déjà une source d’interrogations, du fait de la forme du singulier adoptée eu égard à l’extension du domaine d’investigation couvrant tout le continent africain, du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est, et qui plus est l’ensemble de la diaspora africaine. Devrait-on en déduire que tout ce vaste ensemble se reconnaît dans la même culture, homogène et identique à elle-même quel que soit l’espace géographique dans lequel se trouvent ceux qui s’en réclameraient ou qui la partageraient, et quel que soit l’époque? L’acception du mot « CULTURE » ne serait-elle pas en contradiction avec un tel présupposé? L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 2 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 Où et quand prend naissance une telle affirmation de l’unité culturelle du « monde africain » ou du « monde noir »? Quels en sont les principaux tenants et les courants les plus représentatifs de ces défenseurs de L3 « la » culture « noire »? Quels sont les fondements d’une telle compréhension et d’une telle extension de la notion de « culture africaine »? Comment ses défenseurs, bien que conscients des critiques susceptibles d’être opposées à une telle conception en rendent-ils raison? L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 3 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 Quels en sont les principaux enjeux théoriques? Quelles sont les limites voire les risques d’une telle prise de position idéologique? Autant de questions qui vont guider notre réflexion et notre tentative de cerner ce mouvement qui de sa naissance à ses manifestations les plus récentes et contemporaines, se donne comme objectif l’affirmation et le rétablissement de « l’être noir » comme « manière d’être-au-monde » dans son originalité et sa singularité. Toutefois, pour légitime que soit une telle entreprise, ses origines sont telles qu’ils ne le font qu’en l’opposant aux autres manières d’être, essentiellement à la manière d’être-au-monde typique de l’homme blanc. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 4 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 Les doctrines regroupées sous l’appellation « idéologies négro-africaines » dans le cadre de ce cours, appartiennent au mouvement de la « Renaissance africaine ». Mouvement auquel l’omniprésence du thème culturel, voire sa prédominance donne sa spécificité notamment face à ce qu’a été le mouvement de renaissance dans d’autres contextes. Pathé Diagne en donne les caractéristiques en soulignant: « La renaissance noire et africaine s’est exprimée à travers des idées, des théories, des mouvements. Elle a ses labels et ses manifestes. On les décèle dès le début du XIXe siècle en Afrique et hors de l’Afrique. Comme l’écrit Frantz Fanon, les résistances du pouvoir traditionnel et les guerres de libération sont des manifestations de ce processus. Les mouvements pan-nègre, L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 5 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 panarabe et panafricain en sont des moments. Les théories de l’African Personality ou de la Négritude, le Consciencisme, l’Authenticité, l’Ujama, la Rénovation représentent autant de tentatives pour en faire un corps d’idées, une doctrine politique à l’ époque des luttes pour l’accession à l’indépendance. » p. 221-222. Plus loin le même auteur poursuit: « La renaissance africaine ou nègre contemporaine va au-delà d’un simple aggiornamento. Elle vise la conquête de droits politiques, la suppression de l’apartheid et de la discrimination, le droit pour l’Africain d’édifier sa propre culture, de servir sa propre vision du monde. C’est en cela qu’elle est révolution. La renaissance L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 6 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 africaine moderne est née d’une hégémonie coloniale à coloration raciste, elle est, dès l’origine, une réaction antiraciste, l’acceptation non pas d’un simple destin ethnique et culturel mais de la race comme fardeau historique dans le conflit avec l’autre. » p. 222, Pathé Diagne « Renaissance et problèmes culturels en Afrique », In Introduction à la culture africaine, Prolégomènes par Alpha I. Sow, Ola Balogun, Honorat Aguessy, Pathé Diagne, Paris, Unesco, Coll. 10/18. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 7 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 Néanmoins, si cette prise de conscience et la lutte pour l’affirmation de l’identité culturelle peut sembler, à première vue, identique pour tout le monde noir, justifiant sa dimension pan- nègre défendue par certains auteurs, nous ne pouvons ignorer les différences dont il faut tenir compte en fonction des contextes. Le Négro-africain colonisé perçoit davantage sa situation en termes de domination, d’agression, d’exploitation, si bien que la renaissance africaine se pose essentiellement pour lui en termes politiques et de manière subsidiaire en termes culturels et raciaux. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 8 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 Il en va différemment de la diaspora noire, ces minorités exilées, ostracisées, asservies ou aliénées par une culture blanche hégémonique, vivent de manière profonde un traumatisme lié à la rationalisation de la supposée « infériorité de la race noire » dont elles sont continuellement confrontées aux diverses formes de manifestation dans la vie publique comme privée. Pourtant, nous le verrons, ces différences, comme celles observées sur le plan des cultures dites noires, produites dans cette vaste aire qu’est l’Afrique, ou ailleurs, et malgré les évolutions diverses qu’elles ont connues sont considérées comme permettant de retrouver une L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 9 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 même et unique « identité noire » originelle et authentique. André Julien Mbem, dans Mythes et réalités de l’identité culturelle africaine, Paris, L’Harmattan 2005, p. 41 nous prévient: « C’est en effet le propre et le ventre mou des idéologies de poser sans nuances sur la complexité d’un réel mouvant et divers une étiquette réductrice qui s’impose comme une grille de lecture et d’action unique. » Ne serait-ce pas desservir la cause « noire » que de vouloir réduire son génie culturel et sa créativité à une forme unique d’expression? L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 10 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 A notre interrogation Pathé Diagne apporte un élément de réponse: « Comme tout effort d’affirmation des libertés d’un peuple, d’une nation, d’une race ou d’une classe, le mouvement de renaissance africaine s’est cristallisée autour de quelques thèmes. Les thèmes permanents sont l’ethnie et la race, comme agents producteurs de cultures. Les valeurs de civilisation sont sollicitées pour élaborer un projet d’humanisme, une vision spécifique des rapports de l’homme avec la nature et de ses liens avec autrui. » Pathé Diagne, Ibid. p. 222. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 11 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 Quel sens et quelle finalité donner à notre réflexion aujourd’hui sur les idéologies négro-africaines? A ce propos nous allons emprunter la réponse qu’André J. Mbem donne à cette question: « Nous réalisons que le cheminement de l’Afrique subsaharienne tout au long du 20e siècle est aussi une confrontation permanente à son histoire, à… L’Histoire. Au cours de ce retour délicat sur son passé, dans cette longue et complexe exploration de soi, en lutte pour la conquête de son autonomie politique, elle se rend compte, chemin faisant, qu’elle n’y parviendra jamais sans une philosophie claire et assumée de son identité. La problématique du projet politique, le déblaiement du terrain de l’espérance collective, la refondation des valeurs se révèlent indissociables de la conception et de l’objectivation d’un nouvel espace africain de civilisation. Mais la L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 12 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 pratique de l’action efficace nécessitant un ordre de priorités et une vitesse d’exécution que paralyseraient des débats interminables sur les théories et les concepts, cette Afrique assumera simultanément, dans la pensée et l’action, son projet politique. Naîtront alors des lectures de son passé, des narrations historiennes, des formulations diverses du politique qui continuent de dominer le débat sur son identité et sa mémoire, notamment dans cette Afrique dite noire. » Ibid., p. 18. A la lecture de ce passage nous réalisons que la confrontation à son histoire, comme à la réalité de la colonisation et de la discrimination a provoqué chez tous les Africains une prise de conscience, que l’on pourrait qualifier de « conscience douloureuse » et les théories qui en sont nées et L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 13 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) Faculté des Sciences de Gestion Science – Foi – Action INSTITUT SUPERIEUR D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES – ISAE / THIES Tél. 33 951 14 81 / 33 979 81 10 qui plongent leur racines dans ce terreau en conservent – si l’on puit dire – les stigmates. Se pose dès lors la question du sens et de la finalité de l’examen de ces théories aujourd’hui. Le même auteur poursuit avec perspicacité: « Nous voulons nous arrêter sur le regard que nous portons sur nous et le monde qui nous entoure depuis bientôt un siècle de débats culturels et de luttes politiques. Nous pensons que désormais libres de mettre en récit notre passé, de produire une historiographie affranchie de toute tutelle savante, n’est-il pas venu le moment de nous interroger sur le discours que nous tenons sur notre présence au monde? Où en sommes-nous avec notre histoire, notre mémoire, notre identité? » Ibid., p. 18-19. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 14 I – Le concept opératoire d’«African personality» : enjeux théoriques et pratiques du discours sur le retour aux sources. Les précurseurs de la « renaissance africaine » sont de la diaspora, l’un des premiers et la figure de proue de ce mouvement qui s’amorce est sans conteste Edward Wilmot Blyden, né le 3 août 1832 à Saint Thomas (colonie danoise des Caraïbes) et mort le 7 février 1912. Comme l’écrit Pathé Diagne: « La renaissance nègre et africaine est pour lui une exigence de la différence. La différence comme exigence de la spécificité ne connote pas la conception d’une culture close. » Ibid. p. 243. Il expose sa conception de la culture dans Christianity, Islam and the Negro Race: L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 15 « Toute race est dotée de talents propres, et Dieu est on ne peut plus attentif à l’individualité, la liberté et l’indépendance de chacun. Dans la musique de l’univers, chacun apporte une note différente mais nécessaire à la symphonie. Il y a nombre de notes qui n’ont pas encore été jouées et la plus faible de toutes est celle qui ne peut être jouée ici que par le Nègre: mais lui seul est à même de la faire entendre. Quand il arrivera à la jouer, dans sa plénitude et sa perfection, elle sera accueillie avec joie par l’univers. » La conception de la « différence » qu’il développe est un rejet de toute forme d’inégalité qu’elle soit conçue comme d’origine biologique ou psychique, pour lui il y a une unité de l’homme. Aussi ne se focalise-t-il pas sur le discours produit pour justifier l’hégémonie de la race blanche. Pour lui les Européens se trompent. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 16 Voici ce qu’il en dit: « L’erreur que commet souvent l’Européen consiste, à propos du progrès et de l’avenir de l’Afrique, à supposer que le Nègre est une sorte d’embryon de l’homme européen, à un stade primaire de son développement et que lorsqu’il pourra jouir des avantages du progrès et de la culture, il deviendra semblable à l’Européen. En un mot, il s’imagine que le Nègre est situé sur la même ligne du progrès, qu’il suit le même chemin que l’Européen mais infiniment à l’arrière. » Nonobstant les limites de sa pensée, il lance l’idée que l’Afrique doit compter sur les forces dont recèle ses propres cultures pour se transformer L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 17 mais de manière tout à fait autonome et selon sa manière propre d’être-au-monde, d’après son génie culturel spécifique. Toutefois, il conçoit bien des échanges et une ouverture de l’Afrique au reste du monde mais assortie d’une condition : « Quand nous accueillons des impressions du dehors, nous devons forger à partir de notre propre conscience, des concepts qui leur donnent forme. Nous devons les modeler à partir de notre individualité propre. » Blyden formule et théorise ainsi les fondements du concept d’«African personality», lesquels consistent à retrouver dans la L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 18 spécificité culturelle des peuples africains les possibilités et les dons propres à développer, pour que l’Afrique puisse jouer son rôle et prendre la place qui est la sienne parmi les autres nations. C’est le Ghanaen Kwameh N’krumah qui va donner toute sa force au concept d’«African personality», à la suite de grands intellectuels comme O. Awalawo, N. Azikiwe ou Kenyatta. Alors que s’amorce l’accession des pays africains à la souveraineté internationale avec notamment l’indépendance du Ghana, la renaissance africaine va être traduite dans des projets et pratiques des gouvernements des jeunes Etats indépendants. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 19 Les concepts d’«African personality», de Personnalité africaine, d’Africanité vont progressivement faire l’unanimité chez les théoriciens. Il est conçu comme ensemble complexe d’idées et d’attitudes à la fois identiques et significatives dans toutes les cultures africaines par ailleurs différentes, et tel qu’il est appelé à se traduire dans le vécu des peuples. Le Négus Haïlé Sélassié (Discours solennel d’ouverture de l’OUA) le dit en ces termes : « Ce monde n’a pas été créé d’une pièce […], il y a des millions d’années, des civilisations ont fleuri en Afrique, qui ne souffraient d’aucune comparaison avec celles des autres continents… la conscience de notre passé est essentielle à l’établissement de notre L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 20 personnalité et de notre identité en tant qu’Africains. » L. S. Senghor va encore plus loin dans cette théorisation du concept d’«African personality». Il va chercher à en établir les fondements, en insistant sur l’aspect historique. Selon lui, toujours à cette même conférence : « Ce qui nous unit va au-delà de l’histoire: il est dans la préhistoire. Il tient à la géographie, à l’ethnologie et, au-delà à la culture. Il existe avant le Christianisme et l’Islam. Il est antérieur à toute colonisation. C’est une communauté de culture que j’appellerai Africanité. » L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 21 Nous voyons ainsi comment dans cette problématique de la renaissance africaine se fait jour l’articulation du culturel et du politique dont le fondement est sans doute à chercher dans ce concept d’«African personality». Voici ce qu’en dit André J. Mbem: « Pour la tendance essentialiste de la renaissance culturelle et politique négro-africaine, autrement dit ceux des Africains qui prônent un enracinement du politique dans un terreau culturel typiquement nègre, la connaissance et la diffusion du passé authentique de l’Afrique noire aura le mérite de révéler la culture négro-africaine authentique. Ce retour aux sources réconcilierait avec leur personnalité véritable les peuples aliénés du continent et L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 22 de la diaspora et serait même le tremplin et la pierre angulaire du progrès. Il s’agit de retrouver, dans le processus historique de ce retour aux sources, les référents philosophiques inaliénables de la présence au monde du Négro-africain. C’est pourquoi la thématique culturelle est l’âme des discours politiques fondateurs au moment des indépendances, c’est pourquoi de nombreux leaders politiques sont aussi d’éminents hommes de culture. » op. cit. p. 22. Pourtant la question se pose notamment de savoir une fois que le mode opératoire nous est donné, comment se fait-il que depuis le temps qu’a été lancé ce programme de renaissance africaine il n’y ait pas eu plus d’avancées, plus de réalisations concrètes, plus de réussite dans cette lutte? A ces interrogations fait écho le questionnement d’André J. Mbem. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 23 « Si les modalités concrètes et l’efficacité opératoire de ce retour vers l’Afrique authentique font toujours débat, il reste qu’une archéologie sans discernement du passé pourrait conduire à de graves dérapages intellectuels, à de périlleuses outrances identitaires. Au prétexte de rester fidèle à une tradition, ne s’expose-t-on pas au risque d’exhumer une culture archaïque et sans pertinence historique dans un monde où se bousculent des temporalités multiples, un monde dans lequel des avalanches d’idées viennent chaque jour réécrire la modernité? » Ibid. p. 23. Que retenir de ces traditions et pratiques culturelles? L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 24 Est-il pertinent de nos jours d’essayer de les exhumer pour les conserver tels quels dans un esprit de "fidélité" à des coutumes multiséculaires? Faudrait-il, au contraire, discerner pour dégager le sens profond et le message véhiculés par ces dernières pour en conserver l’esprit qui viendrait animer de l’intérieur et féconder nos modes de vie contemporains? Jean-Paul Sartre s’interrogeait déjà dans "Orphée Noire", et son questionnement nous interpelle encore de nos jours: « Est-on noir comme le fidèle d’une religion est croyant? » Si nous prenons l’exemple de l’initiation, nous pouvons légitimement nous poser la question de son sens véritable, au-delà de l’aspect rituel qui, en réalité traduit une conception du monde, un rapport de l’homme au L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 25 monde, à la nature, au groupe et à l’invisible caractéristique d’un lieu et d’une époque précises. L’initiation renvoie, de ce fait, dans le processus d’intégration sociale à la perception de la vie humaine comme un tout composé d’étapes essentielles à franchir. Le groupe s’assure dès lors que les différents passages se passent conformément à l’ordre communautaire établi, en l’encadrant par des rites, cérémonies, et gestes significatifs, pour une classe d’âge déterminée, sous le supervision d’aînés. Ces derniers étaient chargés de veiller à ce que le rite de passage garantisse – à celui qui le subit – le fait d’être suffisamment armé pour affronter les difficultés et responsabilités qui lui incomberont en fonction de son âge et/ou de son statut au sein du groupe. L’on voit de la sorte que l’importance de l’initiation va bien au-delà des L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 26 cérémonies rituelles qui en véhiculent d’une manière symbolique le sens. Il traduit, et ce, à la fois sur le plan de la connaissance (surtout basée sur l’observation de la nature), sur le plan des relations humaines, sur le plan physique et mental, la manière dont le groupe prend en charge la perpétuation dans le temps de l’ordre social, grâce au contrôle qu’il exerce sur les jeunes générations. Or, nous le savons, toute société évolue à la fois dans le temps et en fonction des contextes et de l’environnement global. Et cette société appelée à changer, à se transformer – sous peine de mourir – est le terreau, le substrat, ou pour utiliser un terme emprunter au vocabulaire marxiste, l’infrastructure qui va produire la superstructure idéologique dont l’initiation et tout son contenu ne L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 27 sont qu’un aspect. Autant dire que le contenu initiatique s’il n’évolue pas en même temps que la structure sociale qui lui sert de fondement et de justification, court le risque de se scléroser, de se fossiliser en des rites qui auront perdu leur sens et leur fonction sociale essentielle, parce qu’en déphasage avec la réalité sociale dont ils sont normalement issus et qui leur donne à la fois leur sens et leur raison d’être. Ce qui vaut pour l’initiation, ne vaut-il pas pour la totalité des éléments culturels que nous cherchons à exhumer du passé, au nom d’une "renaissance culturelle nègre" ? Pourtant on peut légitimement se poser la question de la pertinence d’une telle posture intellectuelle et de la démarche existentielle à travers laquelle elle se concrétise. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 28 C’est ce que n’a pas manqué de faire André J. MBEM, aussi pouvons nous lire dans son ouvrage déjà cité: « Statufiée, la culture n’est plus qu’un voile pernicieux qui nous prive de lucidité et de raison. Dans cette défense acharnée, à tort ou à raison, de ce que nous tenons pour nos patrimoines, nous en venons quelquefois, à être si systématiquement obnubilés que nous ne réalisons pas que ce passé que nous déifions fut lui-même un modèle de remplacement à un certain stade de l’histoire. En effet, si nous avons reçu en héritage des formes culturelles qui participent aujourd’hui de notre manière d’être-au-monde, rappelons-nous qu’il fut un temps où il devint nécessaire qu’elles L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 29 remplaçassent un ordre du monde que des hommes, en leur temps jugèrent à bout de souffle. […] Quand des voix exhortent les Noirs à tourner le dos aux religions révélées parce qu’elles seraient contraires à leur culture et renouer avec les cultes ancestraux, quand des Afro- américains à New-York ou Los Angeles, renouent avec le folklore de l’Egypte pharaonique en vue de retrouver leur identité originelle perdue, comment nous inscririons-nous dans un tel courant de pensée, au-delà du confort psychologique que nous en tirerions, sans réfléchir au préalable à sa pertinence historique et aux valeurs humanistes qu’une telle approche de la culture apporte à l’Afrique et au monde tels qu’ils sont en ce nouveau millénaire? Ces critères d’appréciation seulement, et ces critères seuls, autrement dit la capacité de ce patrimoine à répondre aux défis de la modernisation L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 30 de l’Etat, de la coexistence dans la diversité, de la libération des énergies créatrices, du dialogue avec les universaux qui militent pour une nouvelle société mondiale, doivent décider de toute exaltation de nos patrimoines. […] Un patrimoine pourrait en revanche nous rendre des services éminemment utiles dans ces moments où se font rares des modèles héroïques, lorsque sentant la persévérance et l’espérance décliner, nous retournons vers le passé interroger ces figures d’exception qui ont triomphé de l’adversité en dépit du scepticisme collectif. Dans cet exemple comme dans bien d’autres, il se crée entre histoire et culture une symbiose qui, loin d’arrimer indéfiniment les consciences dans les chaumières du passé, ouvre la voie vers des soleils nouveaux.» Op. cit., p. 161-162. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 31 Le moment est certainement venu pour ceux qui ont pleinement pris conscience du poids de l’héritage que représente « l’identité noire », de l’assumer d’une nouvelle manière, qui nous évite de vivre comme arrimés au passé, à un certain passé, que nous voudrions tenir comme, par impossible, en dehors du temps et du devenir. Or, le fait est que nous ne sommes en contact qu’avec les vestiges de ce qu’il fut, ce qui en a survécu, ce que l’on nous en a transmis, fruit d’une certaine lecture du passé. Ceci veut forcément dire que ce que nous en connaissons a subi certaines transformations, certaines relectures, fruit de reconstructions volontaires ou involontaires, respectant ou non ce qu’il fut en réalité. Il faudrait développer un rapport au passé plus fécond, consistant en L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 32 ce que François MANGA-AKOA qualifie « d’approche rétro- prospective » et qui selon lui : « prendra en compte simultanément, des paramètres internes et externes à l’Afrique dans une mise en perspective diachronique et synchronique. Elle articulera des mémoires qui se télescopent au cœur de l’actualité, avec le souci de prospecter et d’anticiper l’avenir de l’Afrique. » Préface à L’Afrique histoire d’une longue errance, Actes du Colloque du Lucernaire des 24 et 25 mars 2007, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 8. L’enjeu n’est plus seulement d’ordre culturel, mais fondamentalement vital. Il faut agir pour assurer la survie des Africains. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 33 Le même auteur nous donne même un mode opératoire : « Il s’agira de remonter le cours du temps, étudier les conflits qui ont jalonné l’histoire de l’Afrique, pour mieux anticiper aujourd’hui son avenir et maîtriser son destin; c’est une nécessité dont l’enjeu est la survie des peuples africains. Le contexte international, fait d’insécurité et de compétition acharnée, exige de se doter d’une intelligibilité propre pour mieux comprendre les règles du jeu international et cerner ses enjeux. » Ibidem. Autrement dit, il nous faut passer à l’offensive, avec des armes adaptées au combat que nous voulons mener, et surtout nous donner nous-mêmes les moyens de notre succès. Il est, en effet, paradoxal, de mener un combat L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 34 contre un oppresseur, et de vouloir en même temps attendre de lui, qu’il nous fournisse les moyens de notre victoire sur lui, et de mettre ainsi fin à l’oppression qui milite en faveur de ses intérêts. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 35 II – Le panafricanisme : interrogation du discours sur l’unité africaine. Le mouvement panafricain a, lui aussi vu le jour dans la diaspora noire américaine. Pathé Diagne en donne l’explication suivante : « Les Afro-américains, quant à eux sont plus motivés, dans leur solitude et vu l’absence d’un espace géopolitique, pour chercher ce « front racial » suggéré par W. Blyden et dont parlait déjà Du Bois, à la fin du siècle. » Op. cit. p. 259. Cette différence est de taille, et sera à l’origine de divergences non négligeables entre les différents théoriciens du panafricanisme, de la diaspora ou du continent, mais aussi des différents courants de cette doctrine, sans parler des obstacles à sa mise en œuvre. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 36 En effet, les perspectives ne sont pas les mêmes, les Afro-américains confrontés à la ségrégation raciale combattent davantage pour une communauté égalitaire et multiraciale dans lesquelles ils seraient intégrés et acceptés. Ils s’efforcent ainsi de mettre en place ce que Du Bois a appelé "un front d’émancipation de l’homme de couleur". Du Bois a lui-même d’ailleurs évolué dans sa conception du panafricanisme. Chez les Africains du continent, les conceptions varient, bien que tous restent, sous l’influence certaine de Blyden, et attachés au panafricanisme. D’autre part, les partenariats et alliances, les choix politiques (entre socialisme, marxisme, capitalisme), l’influence des métropoles sur leurs ressortissants colonisés, qui cherchent – sentant leurs intérêts menacés – à garder une mainmise sur leur ancien empire colonial en s’assurant que tous L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 37 ces mouvements restent conformes à leurs propres systèmes politiques, ou ne s’en éloignent que de manière tolérable, et surtout ne remettent pas en cause leurs intérêts, accentuent les divergences. Il faut aussi noter un fait important c’est qu’aussi bien parmi les Afro- américains, que dans les colonies et au Libéria, il existe une « bourgeoisie » constituée par une élite assimilée et coupée de la masse. Cette situation est souvent le fruit et encouragée par la politique coloniale. Enfin, si parmi les leaders des jeunes Etats qui viennent d’accéder à l’indépendance il s’en trouve qui, en panafricanistes convaincus, militent en faveur de l’instauration immédiate d’un grand Etat panafricain, la plupart ne tient pas à renoncer à leur souveraineté nouvellement acquise. Ces dissensions se feront jour dès la naissance de l’OUA. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 38 Ainsi, paradoxalement, dès la Conférence constitutive qui se tient à Addis-Abeba en mai 1963 sont affirmés les principes de l’égalité, de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, en même temps que l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. En 1964, au Caire les efforts de Kwameh N’krumah et de Ahmed Sékou Touré pour l’institution d’un gouvernement continental restent vains devant l’opposition de Julius Nyerere de la Tanzanie et Habib Bourguiba de la Tunisie. La première Conférence panafricaine organisée en 1900, à l’initiative de Henry Sylvester William (originaire de Trinidad) ne verra curieusement la participation d’aucun Africain. C’est pourtant au cours de celle-ci que fut adopté le terme panafricanisme. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 39 William Edward Burghardt Du Bois est à l’origine des Congrès panafricains au nombre de cinq organisés respectivement en 1919 (Paris), 1921 (Londres), 1927 (Lisbonne), 1929 (New York) et 1945 (Manchester). Ce dernier est considéré comme très important, le contexte socio-historique y est pour quelque chose. La fin de la seconde guerre mondiale qui a vu la participation des tirailleurs sénégalais et autres combattants des colonies, et leur contribution à l’effort de guerre, favorise les prises de conscience et l’exigence de l’égalité. N’krumah participe à ce congrès en tant que secrétaire général, ainsi que Padmore et Jomo Kenyatta. Les différents courants du panafricanisme: sans prétendre être exhaustif, nous allons évoquer plusieurs tendances chez les tenants du panafricanisme. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 40 l’on note un panafricanisme continentaliste, notamment Chez Blyden qui défend l’idée de la recréation, en Afrique, d’un point de vue géographique aussi bien que culturel et politique, d’un monde noir. La tendance du pan-négrisme tel que W. E. B. Du Bois s’en fait le défenseur est fondée sur la race, et a vocation universelle, il n’y a aucun ancrage géographique. D’après lui « le problème de la ligne de partage des couleurs » est « le problème du XXe siècle ». Ce n’est que sous l’influence de ses contemporains qu’il en vient, dès 1919 au panafricanisme dont il accepte l’aspect continentaliste plaidant même pour la création d’un « grand Etat central nègre du monde », qu’il voyait au Congo. Néanmoins, au Congrès de Londres en 1921, son influence est décisive pour l’acceptation du principe de la solidarité entre les peuples et les classes en lutte quelle que soit leur race, qui engage le mouvement dans une L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 41 dynamique de coopération inter-raciale. Magali Bessone commentant les options fondamentales de Du Bois écrit: « L’ancrage culturel et politique universaliste de Du Bois, revendiquant de pouvoir s’asseoir aux côtés de Shakespeare, Balzac et Dumas, refusant de renoncer à la lutte pour la réalisation effective des droits inaliénables pour tous les hommes, nous permet de saisir ce qu’a aussi de particulier les discours de la postcolonialité et du refus de l’universel au nom de l’impérialisme du monde blanc. » « Pourquoi lire Du Bois aujourd’hui en France », Introduction à Les Ames du peuple noir de W. E. B. Du Bois, Paris, 2007, Edition établie par Magali Bessone, p. X. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 42 Le courant représenté par Marcus Garvey, jamaïcain, qui prêche en même temps que l’union internationale de tous les Noirs, le retour des peuples de la diaspora en Afrique, illustre une autre tendance du panafricanisme. Celle-ci s’accorde davantage au slogan de « l’Afrique aux Africains », brandi lors de la première conférence panafricaine en 1919. A l’opposé de Du Bois il prône d’abord un « nationalisme noir ». Il a été combattu par les gouvernements coloniaux, accusé puis condamné aux Etats-Unis pour escroquerie et fraude postale, il est exilé dans son pays, qu’il quitte malgré la popularité dont il finit par y jouir pour Londres, où il meurt le 10 juin 1940. Georges Padmore, de son vrai nom, Malcom Ivan Meredith Nurse, se L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 43 familiarise très jeune avec les idées panafricanistes de H. W. Sylvester. Il mène une activité militante panafricaine intense. Ayant adhéré au communisme, il est exclu du Komintern en 1934, après avoir critiqué l’alliance de Staline avec les puissances coloniales impérialistes. Sa rencontre avec N’krumah est décisive, ils vont collaborer jusqu’à la mort de Padmore en 1959 à Londres où il a été évacué pour raison de santé. Il passe ses dernières années au Ghana, participe à l’organisation du All African People Congress dont il devient secrétaire général. La revendication portée à l’occasion de cette rencontre est l’indépendance de la totalité des peuples africains, leur union et la création des Etats Unis d’Afrique, à laquelle Nkrumah apporte aussi son soutien. Il s’emploiera, de même, à ouvrir les yeux des Africains au danger de l’impérialisme qui cherche à diviser les Noirs, par le moyen du tribalisme et de la religion. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 44 Jean Price-Mars (1876-1969), Haïtien, incarne le panafricanisme culturel, prenant en compte l’importance du contexte socio-historique il considère dans son ouvrage Ainsi parla l’oncle que les Haïtiens ne sont pas des « Français colorés », mais des hommes nés en des circonstances historique déterminées et ayant un double héritage à la fois africain et français. Il défend l’idée d’un apport des cultures nègres à la civilisation mondiale comme le fera L. S. Senghor qui reconnaît l’influence de Price-Mars sur la naissance du mouvement de la Négritude. Ses travaux sur la culture haïtienne font qu’il est parfois considéré comme le devancier des défenseurs de la culture créole. Alioune Diop est le fondateur du mouvement « Présence Africaine », de la revue et maison d’édition qui portent les mêmes noms. Il est aussi un représentant du panafricanisme culturel, lui qui estime que les cultures L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 45 africaine et européenne sont complémentaires. En isolant les étudiants africains de Paris dans l’immeuble de la Société de géographie au cœur du Quartier Latin, afin d’éviter qu’ils ne se mêlent trop aux Blancs, les Nazis Allemands et le régime de Vichy ne pensent pas favoriser l’effervescence d’une réflexion sur la richesse et l’originalité de la culture africaine, qui devrait apporter au monde moderne le supplément d’âme dont il a besoin. Alioune Diop jouera un rôle important dans ce cercle, lui qui est décrit en ces termes : « Il tient des propos rebelles dans une langue parfaite, il brûle d’une passion explosive sous les allures d’un jeune homme bien élevé et pondéré ». On a souvent ramené ce mouvement à la Négritude qui en est plutôt un courant. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 46 Kwameh Francis Kofie N’krumah a consacré toute sa vie au combat pour le panafricanisme dont on ne peut parler sans faire référence à lui. S’il n’en est pas le créateur, il en est selon les termes de Jean Ziegler auteur de Main basse sur l’Afrique, le prophète moderne. Sa conviction forte et inébranlable comme il le dit au moment de l’indépendance du Ghana en 1957 est que (comme l’écrit Ziegler qui le cite) : « Il n’y aura jamais de liberté pour mon peuple, ni pour aucun autre peuple du continent, avant que tous les peuples africains soient affranchis. » Paris, Seuil, 1978, p. 76. L’origine du panafricanisme se trouve déjà dans la déportation des Noirs Outre-atlantique. Le même auteur poursuit : « La gloire, la force de N’krumah ont été de ressusciter, par la lutte L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 47 politique et par des gestes symboliques, à la fois l’héritage culturel des prophètes panafricains et la parole muette, le sanglant souvenir de ces peuples de la nuit. » Ibid., p. 85. Si l’engagement sans faille de N’krumah ne peut faire de doute, son échec, faisant suite à celui des tentatives de Blyden au Libéria nous interpelle sur la question du panafricanisme. Voici l’analyse qu’en fait Ziegler : « Quels sont les principaux thèmes de l’œuvre de N’Krumah? Longtemps, N’Krumah agit juste… et pense faux. Le panafricanisme est pur idéalisme. La personnalité africaine transclassiste, ahistorique, non contingente et universelle, est d’une irréalité totale. L’idéalisme est une erreur partout et toujours. Il n’a jamais permis de saisir L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 48 concrètement une situation. Mais N’Krumah, nourri de panafricanisme, s’en tient constamment à une ligne juste, comme par inadvertance. Le capital financier bancaire et le capital minier dominent les économies des Etats post-coloniaux d’Afrique. Il faut dénoncer l’Etat post-colonial légué par l’occupant, non pas, comme le pense N’Krumah, en fonction de cette hypothétique et très abstraite personnalité qui serait propre à tous les Africains, mais parce que la domination impérialiste du continent par le capital hégémonique multinational exige une riposte continentale, transnationale unifiée. A partir des années cinquante, l’idéalisme panafricain de N’Krumah s’articule de plus en plus clairement sur une analyse du capitalisme hégémonique en Afrique. Progressivement, N’Krumah découvre que le capital minier et le capital financier L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 49 sont les deux principaux ennemis du futur gouvernement africain continental. » Ibid., p. 89. Son analyse du néo-colonialisme est éclairante : « Le néo-colonialisme aujourd’hui représente l’impérialisme dans sa phase finale, peut-être la plus dangereuse. […] Une fois que le territoire est devenu indépendant, il n’est plus possible, comme cela a été le cas au XIXe siècle, de revenir au stade précédent. […] A la place du colonialisme – instrument principal de l’impérialisme –, nous avons aujourd’hui le néo-colonialisme. […] Sa particularité est que l’Etat est indépendant en théorie et présente tous les signes extérieurs de la souveraineté internationale. En réalité, son système économique, donc sa politique, sont dirigés de l’extérieur. Les méthodes et les formes de cet assujettissement L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 50 peuvent revêtir des aspects différents. Par exemple – mais c’est un cas extrême – les troupes du pouvoir impérialiste peuvent s’installer sur le territoire de l’Etat néo-colonial et contrôler le gouvernement. Cependant, le plus souvent, le contrôle néo-colonialiste est exercé au travers de l’économie ou des moyens monétaires. L’Etat néo- colonial peut être forcé d’acheter des produits manufacturés au pouvoir impérialiste à l’exclusion de tout autre produit d’autre provenance. Le contrôle de la politique gouvernementale peut être assuré en versant à l’Etat colonial des fonds destinés à sa gestion, ceci par le truchement de fonctionnaires bien placés à qui l’on peut dicter une politique par le contrôle monétaire sur le commerce avec l’étranger et par imposition du système bancaire contrôlé par le pouvoir impérialiste. » Néocolonialism, the last stage of imperialism, L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 51 Londres, Nelson, 1965, traduction de Micheline Bonnet. N’Krumah a essayé de mettre en œuvre progressivement le panafricanisme, mais il ne se rend pas compte que le néo-colonialisme scelle l’échec du panafricanisme. La poursuite de son rêve l’empêche, et le peuple avec lui, de voir la réalité des faits, le seul refuge devient le culte de la personnalité. Il est « Osagyefo Dr Kwameh N’Krumah, the president », objet d’un vrai culte fabriqué par son ministère de la Propagande, il laisse faire bien que cela tranche avec sa sobriété et même une certaine forme de puritanisme. Il est isolé, trahisons et attentats manqués se succèdent le poussant au repli sur soi. Victime d’un coup d’Etat alors qu’il est en déplacement en Chine en 1966, il reste écarté du pouvoir malgré le soutien que lui apporte Sékou Touré, il mourra d’un cancer à Bucarest en 1972, sans rien renier de son rêve. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 52 Le panafricanisme est à l’évidence un mouvement complexe, il possède de multiples facettes que par une simplification réductrice seule on serait tenté de ramener à quelques éléments généraux. Voici ce que conclut toujours Jean Ziegler à ce propos : « L’histoire organisationnelle du mouvement panafricain est d’une extraordinaire complexité. Elle reflète la confusion idéologique du mouvement. Pour comprendre toute cette complexité, il ne suffit pas dépouiller les actes des six Congrès panafricains. Il faudrait aussi analyser les débats, les scissions intervenues dans nombre d’organisations parallèles, inspirées elles aussi de l’idéologie panafricaine. Une des plus importantes de ces organisations est celle fondée par Garvey. […] Mais aussi confuse que soit l’idéologie panafricaine, aussi compliquée et contradictoire qu’ait été l’évolution des organisations tentant de la L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 53 de la diffuser, un fait est certain : le panafricanisme refuse toute idée d’assimilation, d’intégration à l’univers du dominateur. » Op. cit., p. 78. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 54 III – Authenticité et Négritude: les ambiguïtés de la communication sur le concept « d’identé ». Pour examiner le problème ainsi posé écoutons ce que nous dit Pathé Diagne de ces doctrines sur l’identité culturelle : « On retrouve, à travers les concepts de Personnalité africaine et de Négritude l’ensemble du débat qui s’esquisse derrière les autres notions non moins expressives d’Authenticité, de Rénovation, d’Ujama. African personality et Négritude présentent simplement l’avantage d’exister depuis un peu plus longtemps. Ils représentent déjà des corps d’idées, des textes voire des pratiques théorisées de gouvernement qui cristallisent l’opinion. […] L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 55 Il était légitime que d’autres penseurs et hommes politiques conceptualisent leur approche du problème de la renaissance. L’Authenticité, est née dans ce contexte, mais aussi l’Ujamaa ou la Rénovation, qui visent à orchestrer l’évolution culturelle, à créer dans le monde moderne un homme africain ou nègre réconcilié avec lui-même. » Op. cit., p. 267. Le cadre est donc bien posé, nous sommes dans le contexte de la Renaissance africaine, qui est historiquement daté aussi, il s’agit, notamment pour la Négritude et l’Authenticité, du XXe siècle, l’objectif également est clairement posé, provoquer un changement d’ordre culturel chez les Noirs de cette époque en vue de les aider à retrouver leur être véritable. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 56 Beaucoup d’interrogations naissent une fois le problème ainsi posé. Cette problématique est-elle valable universellement, ou bien tous les Noirs sont-ils concernés par cette quête d’une identité perdue? Quelle identité a réellement été perdue? Laquelle cherche-t-on à retrouver précisément? Ce qui est considéré comme « perte d’identité » n’est-il pas la perception d’une identité historiquement et sociologiquement déterminée, non seulement, mais qui seule rend possible la lutte pour la reconnaissance? L’identité recherchée n’est-elle pas problématique en ce qu’elle est d’un autre temps, a été façonnée dans un environnement qui n’est plus le nôtre à notre époque? Serait-elle à adapter? L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 57 Nous le savons c’est dans le face à face avec l’autre, qui prend parfois les allures d’une confrontation, que jaillit la conscience de soi, par la différenciation. On ne se pose en tant que sujet qu’en se distinguant et en s’opposant aux autres que ce soit en tant qu’individu ou en tant que communauté. La prise de conscience de l’identité propre est par définition distinction par rapport à celui dont on se perçoit différent et ce n’est que de cette manière que l’on se forge une identité singulière. L’identité est donc par essence distinctive. C’est dire que la référence, dans ce débat sur l’identité culturelle noire, où l’on veut en revenir à la période d’avant l’arrivée des impérialistes Blancs pour retrouver notre identité que des siècles de falsification de l’histoire, de brimades et de négation de la dignité humaine des Noirs auraient terni si ce n’est simplement effacer, est problématique. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 58 En effet, cette identité que l’on déclare une et immuable, n’aurait pourtant pu se constituer que grâce aux mêmes mécanismes de différenciation par rapport à l’autre. Ce qui veut dire qu’il n’y aurait pas eu en cette période une seule et même perception de l’identité des peuples noirs, mais plusieurs, qui se reconnaissaient des caractéristiques distinctives, voire opposées. Les défenseurs de cette thèse pourraient rétorquer qu’il y avait des constantes malgré cette diversité culturelle. Ne pourrait-on pas déceler dans cette affirmation une tentation et une sorte « d’extension universalisante » de certains traits culturels propres à une aire culturelle donnée à l’ensemble du monde noir? Nous en avons eu des exemples. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 59 De plus, au fur et à mesure des migrations de ces peuples, des brassages qui s’en sont suivi, des catastrophes et divers bouleversements auxquels ils ont été confrontés, et des changements de leur milieu de vie, il y a eu indéniablement des évolutions sur le plan culturel et humain qui leur permirent de s’adapter et de survivre. De tels changements ont aussi forcément affecté et fait subir des changements à leur identité comme à la perception qu’ils avaient de cette dernière. Pour qui se pose en définitive le problème de « l’identité culturelle africaine »? Magali Bessone répond sans détour dans son Introduction aux Ames du peuple noir de Du Bois : « Le problème décrit par Du Bois est ainsi le problème de classes moyennes éduquées s’éveillant à la conscience qu’elles ont à hériter L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 60 d’un monde disloqué par une expérience de domination raciale radicale : c’est bien notre problème. » Op. cit., p. X. Ce sont bien chez les élites occidentalisées que se pose de manière plus crue le problème de la revendication de leur identité culturelle « perdue ». Le traumatisme qu’ils ont subi permet de le comprendre. Formés à l’école des Blancs qui pratiquaient une politique assimilationniste, coupé de leur milieu culturel naturel, acculturés, le choc n’en a été que plus rude lorsqu’ils ont découvert à travers le regard du Blanc que celui-ci les réduisait uniquement à leur identité noire. Ils redécouvraient ainsi la distance irréductible entre le soi et l’autre que rien ne peut supprimer, ni même réduire. Pourtant la connaissance moderne n’est ni blanche ni noire et, en réalité ce n’est pas l’acquisition du savoir qui fait de l’homme noir une copie de l’Européen. Blyden affirmait déjà en ce sens: L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 61 « Aucune initiation, aucun savoir ne feront d’un Nègre un Européen, de même aucun manque d’initiation, aucune lacune dans sa culture ne transformeront un Européen en Nègre. » Op. cit. L’empreinte culturelle est en réalité plus profonde, elle n’est pas d’ordre intellectuel d’abord, ni seulement, elle est antérieure et nous façonne de l’intérieur. Elle détermine de la sorte notre manière de sentir, de percevoir le monde, de penser, de vivre et d’agir, sans que nous en ayons conscience. En réalité l’activité intellectuelle vient s’y greffer et peut même être en déphasage par rapport à elle. C’est à ce niveau que se joue l’unité psychique d’un être, qui doit à chaque fois essayer de faire la symbiose entre ce qu’il est et ce qu’il sait. Par conséquent, chaque individu façonne sa propre identité culturelle et peut la réviser à tout moment pour arriver à faire l’unité en soi. Cela en fonction des défis qui se posent à lui et de la L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 62 conscience qu’il prend de sa responsabilité et de son rôle dans un contexte historique toujours déterminé et des conditions sociologiques uniques. Cela démontre assez la difficulté inhérente à la volonté de retrouver une identité culturelle africaine unique, atemporelle, anhistorique, et par conséquent vierge de toute influence culturelle nettement différenciée. De la même manière, si par impossible, celle-ci existait et pouvait être exhumée, de quelle pertinence serait-elle pour les Noirs de l’époque contemporaine, pour leur permettre de faire face aux problèmes qui surgissent dans des contextes non seulement incomparables, mais sans commune mesure avec celui dans lequel elle aurait vu le jour, et de manière consensuelle? L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 63 De quelle légitimité pourrait-elle se prévaloir sans un tel consensus? Nous en avons une illustration patente dans l’article de François Manchuelle, paru dans la revue « Cahiers d’Etudes Africaines » intitulée Le rôle des Antillais dans l’apparition du nationalisme culturel en Afrique noire francophone, p. 375-408. On y lit: « Pour G. W. Johnson, Blaise Diagne et ses partisans ne recherchaient nullement l’assimilation culturelle, mais son contraire: ce que voulait Blaise Diagne pour ses électeurs africains des « Quatre communes de plein exercice » (Saint-Louis, Gorée, Dakar et Rufisque), et qu’il obtint pendant la Première Guerre mondiale, c’était la reconnaissance de leur citoyenneté française sans qu’ils aient à abandonner leur juridiction musulmane dans un certain nombre de domaines – leur statut personnel. Ce que voulaient donc les Sénégalais, c’étaient les droits politiques et civils (droit de vote, L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 64 protection vis-à-vis de l’arbitraire colonial), mais cela sans avoir à renoncer à leurs coutumes et à leur mode de vie traditionnels. » Plus loin il poursuit : « Il ne s’agissait pas encore de nationalisme puisque ces hommes ne recherchaient pas l’indépendance, même la plus éloignée, mais la prise de conscience du fait que les Noirs et les Africains possédaient une identité culturelle propre qui facilita la transition vers des positions indépendantistes – en particulier après que ces derniers comprirent que la France n’était pas prête à devenir la « colonie de ses colonies » en donnant les pleins droits politiques aux millions d’hommes et de femmes dont elle avait fait ses sujets coloniaux. » Georgia Southern University, 1992. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 65 Nous voyons bien que les Sénégalais dont il est question dans ces passages se réclament d’une identité culturelle qui est la leur, dans la situation historique dans laquelle ils se trouvent présentement et de manière objective et concrète. La doctrine que Senghor élabore selon sa vision de la Négritude donne plus de place à une « identité culturelle noire », qui somme toute est, comme nous l’avons déjà vue assez problématique. Néanmoins, la théorie de la Négritude née de la rencontre entre Césaire, Senghor et Léon Gontran Damas dans les années 1930, connaît elle aussi des orientations différentes. Senghor en a une interprétation tendant à la racialiser, tandis que Césaire reste sur le terrain politique de la lutte contre le colonialisme et la conçoit comme un instrument de prise de conscience de la situation des Martiniquais. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 66 Voici ce qu’en dit par contre Senghor, qui en est le principal théoricien: « Nous étions plongés avec quelques autres étudiants noirs dans une sorte de désespoir panique. L’horizon était bouché. Nulle réforme en perspective et les colonisateurs légitimaient notre dépendance politique et économique par la théorie de la table rase. Nous n’avions, estimaient-ils, rien inventé, ni créé, ni sculpté, ni peint, ni chanté. Des danseurs! Et encore… Pour asseoir une révolution efficace, il nous fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt, ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre négritude. » Dans « Problématique de la négritude », Introduction au Colloque sur la Négritude organisé à Dakar en 1971, Senghor va faire preuve d’une évolution de sa doctrine. Il écrit : L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 67 « La Négritude est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs économiques et politiques, intellectuelles et morales, artistiques et sociales, non seulement des peuples d’Afrique noire, mais encore des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie. » Il se pose évidemment la question de savoir comment se réalise l’unité culturelle de ces communautés si disparates, si éloignées et dont les conditions existentielles d’un point de vue socio-historique et environnemental sont si différentes. La réponse ne peut être tirée d’une référence biologique telle que la race. L’homme, comme le dit Edgar Morin est un être bio-culturel, ni seulement biologique, ni uniquement culturel. Il est totalement biologique et totalement culturel. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 68 Le biologiste François Jacob nous enseigne, pour sa part, que les aptitudes biologiques innées sont universelles et identiques chez tous les êtres humains normaux, ce sont les interactions avec l’environnement culturel qui permettent de développer telle aptitude plutôt que telle autre. L’Authenticité est popularisé par Mobutu Sese Seko du Zaïre, actuel RDC. Il en fait un programme politique: abandon des noms et des habits européens, noms de villes d’anciens colons ou explorateurs changés. Il impose aussi sa langue, le lingala, comme langue d’enseignement dans la capitale, et met au pas l’Eglise au nom de la désaliénation et d’un retour à la spiritualité ancestrale. Le clergé catholique ayant eu l’audace de s’opposer à la réforme touchant les noms. Mais Mobutu en profite surtout pour renforcer son pouvoir dictatorial, arguant que chez les "Bantous" le chef est incontesté. Prenant pour modèle le culte que les Chinois rendent à Mao il développe une conception de son parti politique le MPR proche d’une institution ecclésiale dont il se considère le messie. Ce sont les années où le culte de la personnalité dont il fait l’objet atteint son paroxysme. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 69 IV – Les problèmes idéologiques du discours sur la Modernité dans l’espace négro-africain: entre identité et responsabilité. Que comprendre par « Modernité »? Elle est un projet, et se fonde sur la critique qui en est un caractère distinctif, mais une critique conçue en tant que fondement d’une méthode à la fois de recherche, de création et d’action. Ainsi se montre-t-elle critique à la fois envers la religion, la philosophie, la morale, le droit, l’histoire, l’économie, la politique dans le but de développer et de donner un nouvel élan à la créativité dans tous les domaines. Au XVIIIe siècle elle se donne comme mission de libérer les potentialités cognitives de l’ésotérisme, afin qu’elles soient utilisables par la pratique et servent à la transformation des conditions d’existence. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 70 Elle traduit aussi l’idée qu’une époque se fait d’elle-même par opposition à celle qui la précède, en ce sens elle est revendication de nouveauté, bien que modernité ne rime pas forcément avec nouveauté. Le discours sur la modernité dans l’espace négro-africain tel que l’étude menée nous en révèle certains aspects fondamentaux, est forcément interrogation sur l’avenir de l’Afrique et du monde noir. Quelle lecture aurons-nous de cet avenir? Comment allons-nous nous y prendre pour le faire advenir? Quelle est notre responsabilité dans la forme qu’il prendra? Elle est entière, du fait qu’il nous appartient de décider de notre avenir en définissant d’abord par nous-mêmes nos propres besoins, en fonction de la situation historique contemporaine et en tenant surtout compte de la totalité des composantes de nos nations. Il nous faut aussi trouver d’abord à notre propre niveau les moyens de réussir ce pari. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 71 André J. MBEM dans sa contribution à l’occasion du Colloque du Lucernaire intitulée: « La quête de soi dans le labyrinthe de l’Histoire. Le rôle historique des diasporas africaines. » dégage des perspectives pour l’Afrique. Il nous prévient disant : « Une vision nouvelle de l’Afrique ne peut plus longtemps demeurer la chasse gardée de gouvernements africains et étrangers ou des technocrates des institutions internationales. Dans les pays d’Afrique, notamment les anciennes colonies françaises où la démocratie se construit en même temps que les fondamentaux du bien-être économique et social véritable quadrature du cercle, les initiatives de développement entreprises dans le cadre de la coopération décentralisée ou par les associations locales, voire étrangères, attestent que les sociétés civiles L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 72 sont des acteurs clés du progrès que les politiques étatiques et internationales doivent davantage mettre à contribution. Si la constitution à l’intérieur des sociétés civiles africaines de réseaux solidement structurés, rassemblant un nombre significatif de citoyens et dotés de moyens à la hauteur des défis à relever n’en est qu’à ses débuts, les Africains de la diaspora disposent au contraire depuis des décennies d’associations et de regroupements divers qui sont pour certaines de véritables forces d’impulsion qui apportent des contributions intellectuelles et matérielles importantes au développement de leur continent. » Op. cit., p. 176. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 73 Ce ne sera, bien sûr qu’une contribution, les membres de la diaspora ne pouvant à eux seuls régler les problèmes de leurs pays d’origine à leur place, comme l’admet cet auteur, mais ils ont une latitude plus grande que leurs compatriotes dans ces pays. Les associations qui fleurissent dans la diaspora se réclament souvent d’un quartier, d’un village, d’une ethnie ou d’un pays. S’il est vrai qu’elles mènent des actions de développement elles sont de faibles envergure. Il est en même temps à remarquer que les pays africains sont presque tous confrontés aux mêmes problèmes. Ce constat pousse le même auteur à poursuivre: « A l’intérieur d’un pays étranger, peuvent ainsi coexister, sans aucun lien, des centaines de mouvements de diasporas qui n’ont en commun que la nationalité de leurs membres mais ne partagent aucune vision, aucune ambition pour l’Afrique. Or les raisons pour lesquelles ces Africains L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 74 émettent continuellement des mandats, non seulement sont liées à la misère et au sous-développement souvent similaires d’un pays à l’autre, les souffrances de ces Africains sont organiquement liées et transnationales. Mais disons-le clairement, ces questions ne seront pas résolues sans une agrégation de volontés et d’intelligences qui transcendent le village, la tribu, la nation. Il ne peut y avoir de réponses locales à des, problématiques globales. » Ibid., p. 179. Les secteurs porteurs ne manquent pas en Afrique tels que l’éducation, les énergies renouvelables, la transformation des matières premières, la recherche médicale dans le pharmacopée traditionnelle, les NTIC, les médias sur satellite, le tourisme, l’industrie culturelle, mais les marchés des capitaux sont inaccessibles à la plupart des potentiels investisseurs, le système des garanties bancaires étant trop lourd. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 75 C’est à ce niveau qu’une nouvelle forme d’organisation des diasporas africaines d’envergure plus importante pourraient être décisive pour offrir des partenariats durables avec les Etats ou les organisations gouvernementales sous régionales ou régionales, voire continentale comme dans le cadre du NEPAD. Mais la réussite d’une telle démarche est conditionnée par une prise de distance par rapport aux pouvoirs politiques ou aux groupes de pression qui ont fini de se décrédibiliser aux yeux de la conscience citoyenne. De la même manière que la dite société civile, par ses nombreux atermoiements ne fait plus figure de référence morale. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 76 André J. MBEM de préconiser: « Il y a plutôt lieu de créer une articulation dialectique entre ces associations qui agissent en Afrique sur des problématiques propres à de micro-territoires et des organisations engagées dans des actions en profondeur sur une échelle beaucoup plus vaste. C’est le franchissement de la réalité identitaire présente de ces diasporas africaines vers un nouveau et indispensable pallier dans l’émergence d’une conscience historique panafricaine qui est en jeu. […] Les transferts de fonds des diasporas africaines doivent s’inscrire dans une stratégie globale de développement dans laquelle les diasporas africaines organisées auront pris une part active. Il s’agira de concilier les transferts de fonds liés aux besoins de consommation courante et les transferts de fonds engagés dans une activité L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 77 productive à court, moyen ou long terme et créatrice d’emplois durables. Cet élan pour la solidarité et le progrès inscrit au cœur des cultures africaines, les diasporas ne pourraient-elles pas le porter dans un cadre plus large et plus ambitieux, un cadre performant qui répondrait aux standards internationaux, grâce aux instruments de l’industrie financière la mieux perfectionnée? Ce ne sont pourtant pas les talents qui manquent dans ces diasporas pour y parvenir. » Ibid., p. 180-181. L’occasion est ainsi offerte simultanément de montrer comment dans notre contemporanéité nous pouvons faire appel à des valeurs culturelles africaines de manière adaptée aux circonstances de l’époque. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 78 François Manga-Akoa au cours du même colloque nous invite à prendre nos responsabilités à travers un décryptage lucide de l’histoire qui devra nous permettre de maîtriser le destin de l’Afrique afin de nous engager dans une construction de son avenir. « Un événement souvent occulté, et qui aura pourtant marqué de façon dramatique le destin de l’Afrique et le détermine depuis des siècles, illustre de façon éloquente notre hypothèse à soumettre à l’épreuve de la vérification. En effet, la prise en compte des relations internationales telles qu’elles s’amorcent par les traités de Tordesillas de juin 1494, fait percevoir que l’idée d’un partage officiel du monde connu et à connaître d’alors, et qui va bouleverser le destin de l’Afrique et des Amériques, trouve son origine dans un conflit d’intérêts entre deux puissances maritimes rivales de cette époque-là, à savoir le Portugal L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 79 et l’Espagne, animés tout autant que les autres pays européens qui vont leur emboîter le pas, d’une volonté politique de conquête expansionniste. Comprendre à partir de cet événement, les ondes de choc qui, depuis lors, traversent l’Afrique, est un lieu-phare qui pourrait mieux éclairer la position géopolitique de l’Afrique et l’imbrication de plusieurs intérêts économiques, politiques et stratégiques dont elle est, plus que jamais l’enjeu aujourd’hui en ce vingt-et- unième siècle commençant. » Op. cit., p. 9. C’est d’une manière ramassée attester que nous devons partir des enseignements tirés de notre passé douloureux, certes, mais pour trouver les moyens de notre action efficace afin de construire, tous ensemble, chacun selon ses responsabilités notre avenir commun, en cherchant à lever les obstacles qui vont se dresser ou que l’on va semer sur notre route. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 80 CONCLUSION: Les idéologies négro-africaines ont eu le mérite – en leur temps – de théoriser, de favoriser la prise de conscience et de mettre en lumière les questions liées aux conditions singulières d’existence du monde noir, à une période où les communautés de l’Afrique et de sa diaspora n’était pas invitées au débat. L’intérêt d’une réflexion sur ces idéologies, ne peut être de nos jours, que le souci, de tenter d’évaluer – après de longues décennies de réflexion et de débats – comment dans la réalité pratique, ces doctrines qui ont été au fondement de l’action visant à révolutionner les conditions inacceptables réservées à cette partie de l’humanité ont pu permettre une réelle prise en charge des innombrables défis auxquels elle est confrontée. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 81 Au détour de l’analyse portant sur les divergences théoriques, les contradictions, les échecs dans l’effort de donner corps aux solutions préconisées, les obstacles rencontrés et de ceux qui subsistent encore, l’important est l’engagement pour l’action qui est ainsi rappelé et qui relève de notre responsabilité. Notre époque se sait forte de l’expérience des tentatives, des succès et des échecs, des errements, des complicités et des trahisons dont ont été porteurs et se sont parfois rendus coupables ceux qui se présentaient comme porteurs d’une ambition pour l’Afrique. Il en résulte qu’il n’est plus possible de laisser cette mission à quelques personnes, aussi charismatiques fussent-elles, encore moins aux seuls L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 82 hommes politiques et autres gouvernements et organisations étrangères. L’avenir de l’Afrique nous concerne chacun et nous devons agir chacun à notre niveau mais de manière coordonnée pour opérer les changements qui s’imposent. Car, le constat est amer : « Malgré les traitements-chocs qui ont été administrés à l’Afrique, la situation de ce continent ne s’est guère améliorée en termes du bien-être des populations, malgré les objectifs de développement affichés aussi bien par les gouvernants que par les organisations multilatérales. » Ibid., p. 223. il est de Albert M’PAKA toujours à l’occasion du Colloque du Lucernaire, dans sa communication: « Renforcement de la marginalité et de l’errance de l’Afrique dans le cadre de la dynamique de la mondialisation? » L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 83 Ce constat pourrait être fait par chacun d’entre nous et nous interpelle, seulement l’intitulé de sa communication, sous forme d’interrogation est peut-être aussi une manière de dire que rien de tout cela n’est une fatalité et qu’il nous appartient de changer la donne. L3 Sciences Politiques Mme Madeleine SARR / [email protected] 84

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