Cours 1: Cohésion du texte - Véronique Lenepveu PDF
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Véronique Lenepveu
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This document presents a course on the cohesion and structure of argumentative text, using connectives like 'par conséquent' and 'pourtant'. It includes examples from students' essays and discussions of linguistic tools to build connected/cohesive arguments.
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Cohésion du texte Véronique Lenepveu Tous droits réservés Cours 1 1. Connecteurs argumentatifs et cohésion du texte 1. 1. Introduction Dans ce cours 1, on cherche à montrer comment les connecteurs argumentatifs (étudiés au premier semestre en « Pragmatique linguistique») permett...
Cohésion du texte Véronique Lenepveu Tous droits réservés Cours 1 1. Connecteurs argumentatifs et cohésion du texte 1. 1. Introduction Dans ce cours 1, on cherche à montrer comment les connecteurs argumentatifs (étudiés au premier semestre en « Pragmatique linguistique») permettent de structurer et d’articuler des segments textuels. Pour exemple, un connecteur consécutif (donc, par conséquent, …) ou bien oppositif (en revanche, pourtant, cependant, …) n’articule que très rarement deux propositions, mais en général des ensembles de propositions exprimés par des segments textuels. Dans le texte ci-dessous, c’est l’adverbe pourtant combiné à la conjonction de coordination et qui permet d’établir un lien entre les trois propositions précédentes, propositions qui a priori n’ont rien à voir et ne constituent pas en soi un segment de texte: (1) Victor habite à Neuilly. Il lit le Figaro. Il est pro-nucléaire. Et pourtant, il vote à gauche. En tant que connecteur argumentatif, et pourtant constitue ce qui précède comme un segment textuel, et constitue également ce qui suit comme un segment de texte. C’est de la même façon que le connecteur argumentatif alors participe à la structuration du texte ci- dessous : (2) Victor habite Neuilly. Il lit le Figaro. Il est pro-nucléaire. Alors, il doit voter à droite. En « Pragmatique linguistique » (cours du premier semestre), nous nous étions situés dans le cadre de la Théorie de l'Argumentation dans la Langue d'Oswald Ducrot (1980), la thèse principale étant que les stratégies argumentatives mises en œuvre dans le discours doivent être étudiées à partir non pas seulement du contenu informatif mais des structures linguistiques mises en jeu. Précisément, certains mots, en particulier des adverbes (même, à peine, presque, justement, d’ailleurs, pourtant, …) et des conjonctions (mais, or, bien que, …) UNICAEN | UFR HSS | VÉRONIQUE LENEPVEU | 1 COURS 1 donnent une instruction quant à l’orientation argumentative de l'énoncé qui les contient, et par là servent à influer sur le comportement de l'interlocuteur (Cf. O. Ducrot, 1980, Les échelles argumentatives, Editions de Minuit). Une partie du cours concernait plus précisément les connecteurs argumentatifs dits «connecteurs consécutifs» (donc, alors, par conséquent, en effet, aussi, …) susceptibles d’instaurer une relation de cause à conséquence (ou de conséquence à cause) entre le segment de texte qui précède et celui qui suit. Nous avions à cette occasion rappeler les règles qui permettent de rendre compte du processus de l’inférence et qui régissent la construction du syllogisme. Il s’agit maintenant de mobiliser les connaissances acquises, et de comprendre les difficultés rencontrées par des élèves de classe de Seconde lorsqu’ils construisent un texte. Dans les productions écrites d’élèves que nous vous proposons d’étudier dans le fichier d’exercices correspondant à ce cours 1 (TD 1), vous verrez que, parfois, les phrases sont bien construites, c’est-à-dire grammaticales, mais le texte est « mal fait » car il n’est pas pertinent sur le plan argumentatif, l’élève a perdu de vue la visée argumentative globale du discours. A l’examen terminal, il peut vous être demandé de proposer un commentaire de la réalisation écrite d’un élève, et surtout de ses erreurs. Pour ce faire, vous utiliserez la classification que M. Nøjgaard (1992) 1 propose de l’ensemble des adverbiaux (adverbes, locutions adverbiales, SPrép) susceptibles de jouer un rôle de connecteurs argumentatifs, et que nous exposons dans ce cours 1. L’intérêt de cette classification est qu’au lieu d’être étudiée de façon isolée, chaque sous-classe de connecteurs est prise dans un véritable système au sein du domaine adverbial. Ainsi, les connecteurs consécutifs fonctionnent de façon symétrique par rapport aux connecteurs oppositifs (par exemple : George est politicien. Par conséquent, il est malhonnête / George est politicien. Toutefois, il est honnête). Cf. M. Nøjgaard, 1992, Les adverbes français. Essai de description fonctionnelle, tome 1, Copenhague, Munksgaard. 1 Nøjgaard se situe dans le cadre de la sémantique instructionnelle de O. Ducrot (1980) UNICAEN | UFR HSS | VÉRONIQUE LENEPVEU | 2 COURS 1 1.2. Présentation de la classification de M. Nøjgaard (1992) Nøjgaard (1992) établit un inventaire des adverbiaux marqueurs argumentatifs (appelés ici connecteurs argumentatifs) qui vont se caractériser par leur grande polyvalence (ils présentent une grande diversité d’emplois), par des relations de synonymie partielle (à l’intérieur de chaque classe ou chaque sous-classe), mais également par des relations d’opposition symétrique (entre classes). Nous exposerons ces relations d’opposition pour faire apparaître la symétrie dégagée par l’auteur entre classes ou sous-classes de connecteurs, étant admis, dans la perspective de Ducrot (1980), que l’orientation argumentative fait partie intégrante de la sémantique de l’énoncé, et que la contribution des marques linguistiques à cette orientation argumentative est constitutive de leur signification. D’une façon générale, les adverbiaux argumentatifs dits «positifs» mettent en relation deux arguments en relation de congruence (Sa voiture était en rodage, alors il la ménageait) ; et les oppositifs ont pour trait commun d’inverser cette orientation argumentative (par exemple : Sa voiture était en rodage, pourtant il ne la ménageait guère). En d’autres termes, à l’intérieur de la classe des adverbiaux marqueurs argumentatifs, les oppositifs fonctionnent de façon antonymique par rapport aux positifs : les oppositifs n’expriment pas un nouveau type de relation dans l’ensemble adverbial mais une inversion des types positifs. Précisément, les oppositifs adversatifs en revanche, par contre, au contraire, … se définissent comme opérant la relation inverse de celle que marquent les positifs sériels de plus, en plus, en outre, … tandis que les oppositifs concessifs cependant, pourtant, néanmoins, toutefois, quand même, … opèrent une inversion de la relation positive consécutive marquée par des adverbiaux comme par conséquent, aussi, ainsi, alors, c’est pourquoi, …. L’analyse des différentes sous-classes de marqueurs argumentatifs permet ainsi d’établir des correspondances entre adverbiaux de comportement apparemment opposé. La sous- classification proposée par l’auteur, au sein des adverbiaux marqueurs argumentatifs, peut être résumée sous forme de tableau (cf. fig. 1) : UNICAEN | UFR HSS | VÉRONIQUE LENEPVEU | 3 COURS 1 Une correspondance entre les sériels et les oppositifs adversatifs : Au sein de cette classification, les sériels marquent les étapes d’une argumentation et sont classés en fonction de la position qu’ils occupent dans ce que l’auteur appelle un ensemble argumentatif, défini comme un fragment de discours constituant une unité rhétorique et sémantique. Les sériels successifs peuvent être illustrés par la série ternaire du type tout d’abord…ensuite…enfin, où tout d’abord introduit un premier argument qui en appelle un second, ce sériel est dit progressif ; ensuite introduit un argument intermédiaire qui suppose un premier argument et en appelle un troisième (l’étape pouvant être redoublée), ce sériel est dit phorique ; enfin introduit le dernier argument de l’ensemble argumentatif et ferme la série, ce sériel est dit régressif. Trois positions sont donc définies pour ces adverbes par rapport à la successivité argumentative. Quand la série est ouverte, le deuxième argument est introduit par un sériel qui laisse la possibilité d’un troisième argument, ce qui est le cas de la série binaire : D’abord elle n’est pas bête, ensuite elle est travailleuse. Il n’existe pas chez Nøjgaard de type oppositif correspondant à la relation sérielle de base d’abord…, ensuite…, enfin…, c’est-à-dire à une véritable série successive, mais l’auteur établit une correspondance entre les sériels qui indiquent une coorientation entre arguments (de plus, en plus, en outre, …) et les oppositifs adversatifs. Par exemple, une locution adverbiale adversative comme en revanche dans l’exemple (2) peut inverser le mouvement argumentatif progressif qu’on aurait dans une série successive du type (1) : (1) Elle n’est pas bête. De plus, elle est travailleuse (sériel) (2) Elle n’est pas bête. En revanche, elle est paresseuse (oppositif adversatif). Le premier terme de la série argumentative Elle n’est pas bête pose un fait qui appelle une certaine continuité positive, mais en revanche nie l’existence d’une relation sérielle successive en opposant un argument négatif à un argument positif, et signale une rupture de la progression argumentative. La locution adverbiale se compare ainsi aux sériels qui supposent une coorientation des deux arguments (de plus, en plus, en outre, …). En revanche fait partie des oppositifs adversatifs. Une correspondance entre les consécutifs et les oppositifs concessifs : Une correspondance peut s’établir entre consécutifs et oppositifs concessifs, le système concessif étant vu comme opérant l’opération inverse de la relation consécutive. Le système consécutif réalise deux opérations différentes : une opération conclusive ou une opération explicative, selon le lien que l’adverbial consécutif établit entre deux arguments constitutifs d’un ensemble argumentatif consécutif : UNICAEN | UFR HSS | VÉRONIQUE LENEPVEU | 4 COURS 1 Le connecteur consécutif conclusif introduit une conséquence (au niveau factuel) : (3) Sa voiture était en rodage. Par conséquent il la ménageait. Un oppositif concessif comme cependant ou pourtant peut opérer une inversion de la relation marquée par le consécutif conclusif par conséquent dans l’exemple (3) en introduisant le résultat contraire à notre attente (en d’autres termes, la négation de la conséquence attendue) : (4) Sa voiture était en rodage. Cependant / pourtant il ne la ménageait guère. Le connecteur consécutif explicatif introduit une cause justifiant ce qui vient d’être dit : (5) Il ménageait sa voiture. En effet, elle était en rodage. Un oppositif concessif comme pourtant (l’adverbe cependant n’est pas exclu dans cet emploi mais il est moins fréquent) peut opérer une inversion de la relation marquée par le consécutif explicatif en effet en introduisant un fait qui aurait dû empêcher la réalisation du fait dénoté par le premier argument : (6) Il ne ménageait guère sa voiture. Pourtant, elle était en rodage Le fait qu’elle soit en rodage aurait dû entraîner le fait qu’il ménage sa voiture. Soit pour récapituler : Sa voiture était en rodage. Par conséquent il la ménageait (consécutif conclusif) Sa voiture était en rodage. Cependant / pourtant il ne la ménageait guère (oppositif concessif) Il ménageait sa voiture. En effet, elle était en rodage (consécutif explicatif) Il ne ménageait guère sa voiture. Pourtant, elle était en rodage (oppositif concessif). D’autres exemples : (7) La foule était dense. C’est pourquoi il ne se sentait pas seul (consécutif conclusif) (8) La foule était dense. Néanmoins il se sentait seul (oppositif concessif) (9) Marie a échoué à son examen. Elle n’a effectivement pas beaucoup travaillé cette année (consécutif explicatif) UNICAEN | UFR HSS | VÉRONIQUE LENEPVEU | 5 COURS 1 (10) Marie a échoué à son examen. Pourtant elle a beaucoup travaillé cette année (oppositif concessif). N-B : La plupart des connecteurs sont polyvalents. Par exemple, lorsque le connecteur donc est consécutif, il peut être consécutif conclusif ou consécutif explicatif. Un exemple 2: (11) Ils sont partis. Les volets seront donc fermés (donc est consécutif conclusif) (12) Les volets sont fermés. Ils sont donc partis (donc est consécutif explicatif). Une application pratique Ce cours 1 est conçu comme une application pratique des connaissances acquises dans le domaine des connecteurs argumentatifs, Deux exercices proposés par un professeur de français à des élèves de Seconde technologique serviront d’objet d’étude dans le TD 1. Ci-dessous un premier exercice : Exercice 1 Les étapes de ce raisonnement sont fournies dans le désordre. Reconstruisez un paragraphe cohérent. En effet, l'enquête historique a montré qu'il n'existe aucune conduite universelle et nécessaire de la mère. Dès lors, une conclusion cruelle s'impose : l'amour maternel n'est qu'un sentiment. L'instinct maternel est un mythe. C'est-à-dire que ce sentiment peut exister ou ne pas exister, être ou disparaître. Au contraire, on a pu constater que les attitudes de la mère varient selon sa culture, ses ambitions ou ses frustrations. Par conséquent, il est essentiellement contingent. D’après Elizabeth Badinter, L’amour en plus, Flammarion, 1980. Ci-dessous un deuxième exercice : 2 Nøjgaard (1992) ne précise pas si le mode d’inférence marqué par le connecteur consécutif est de type déductif ou abductif. UNICAEN | UFR HSS | VÉRONIQUE LENEPVEU | 6 COURS 1 Exercice 2 Dans le cadre d’une séquence consacrée à l’argumentation, le professeur de français demande à ses élèves de construire un texte en respectant les consignes suivantes : Vous êtes chargé de rédiger, en quelques phrases, un message publicitaire en faveur du « tourisme vert ». Voici les arguments. Organisez-les à l’aide des liens logiques choisis dans la liste ci-après, en n’omettant pas les transformations rendues éventuellement nécessaires sur les formes verbales. Arguments : 1. L’air pur et l’espace sont bénéfiques pour la santé du citadin surmené. 2. L’image de la campagne tend à se modifier. 3. Un village isolé offre apparemment peu d’intérêt. 4. Vous reviendrez sans aucun doute jouir de ces doux paysages. 5. Seuls les amoureux de la nature méritent de la découvrir. 6. De nombreuses activités vous seront proposées pour des vacances dynamiques. Marqueurs argumentatifs: bien que, pourtant, mais, ainsi que, néanmoins, c’est pourquoi, cependant, en conséquence, aussi, certes, car, d’ailleurs, de plus. C’est dans le cahier d’exercices (TD 1) correspondant à ce cours 1 que vous trouverez quelques réalisations écrites d’élèves (avec des commentaires). Mais essayez tout d’abord de faire ces deux exercices vous-même. Cela vous permettra d’apprécier la difficulté... UNICAEN | UFR HSS | VÉRONIQUE LENEPVEU | 7