BIENS - P2 - CHAP 2 (PDF)

CHAPITRE 2 : LA RELATION DES PERSONNES AUX BIENS SECTION 1 La propriété § 1 - Les éléments historiques de la propriété La propriété est une institution capitale du droit privé, particulièrement en droit des biens. Elle est...

CHAPITRE 2 : LA RELATION DES PERSONNES AUX BIENS SECTION 1 La propriété § 1 - Les éléments historiques de la propriété La propriété est une institution capitale du droit privé, particulièrement en droit des biens. Elle est intimement liée à la notion de liberté. Origines historiques : La propriété remonte à l’Antiquité et au droit romain. Bien que la propriété ancienne et moderne se ressemblent, les paradigmes qui les structurent sont totalement distincts. Caractéristiques de la propriété : C’est une institution juridique ancienne disposant des mêmes attributs, qui peuvent être démembrés : - Usus : droit d’usage. - Fructus : droit de jouissance (exploitation des fruits). - Abusus : droit de disposition (aliénation). Renversement de paradigme : Dans la propriété romaine, le droit est "jus in re" (le droit est dans la chose). Dans la propriété moderne, le droit est "jus ad rem" (le droit porte sur ou vers la chose). Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime : Domaine utile : les individus possédaient les usages. Domaine éminent : appartenait au roi. Propriété moderne : Reconnaissance en tant que droit politique par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), avant même le Code civil. Assure la liberté individuelle et devient un droit fondamental. 1 sur 8 § 2 - La structure de la propriété moderne La structure de la propriété moderne reprend les facultés anciennes (usus, fructus, abusus) mais avec une perspective différente. ⚖ Article 544 du Code civil : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue. » 1. Usus : Droit d’usage, considéré comme un droit minimal. 2. Fructus : Droit de jouissance, qui peut être : Industriel : provient du travail de l’homme. Civil : généré par des loyers ou des revenus similaires. 3. Abusus : Droit de disposition, qui peut être : Physique : décider de ne rien faire ou de se priver de la propriété. Juridique : céder la chose, la vendre ou l’échanger. Caractères modernes de la propriété 📌 Absolutisme ⚖ Article 544 du Code civil La lettre de cet article contient une affirmation de l’absolutisme : le droit de propriété est absolu, ce qui en fait un caractère principal de la propriété dans la modernité. Évolution doctrinale de l’absolutisme 1. 19e siècle : Résolution par la doctrine. Apparition de la théorie de la fonction sociale de la propriété. 2. Théorie de Frédéric Zenaty : 2 sur 8  Propose une vision moderne de la propriété uniquement caractérisée par l’exclusivisme. La théorie de l’abus de droit : Introduite aux 19e et 20e siècles. Toujours en vigueur, cette théorie repose sur l’idée que le droit de propriété est absolu, mais que cet absolutisme ne peut pas justifier un glissement entre : le droit de disposition et le fait d’abuser de son droit. Exemples jurisprudentiels 📕 Affaire Coquerel : Un propriétaire construit un mur qui prive son voisin de lumière. Le mur ne soutenait rien, il était construit uniquement pour nuire. 📕 Affaire Colmar (1955) : Connue sous le nom de l’affaire de la fausse cheminée. Application actuelle : Intention de nuire et troubles anormaux de voisinage Aujourd’hui, pour évaluer un abus de droit, le juge examine : 1. L’intention de nuire : Le propriétaire utilise-t-il son droit pour nuire à autrui ? 2. Théorie des troubles anormaux de voisinage : Il ne s’agit pas uniquement de volonté de nuire. Les juges et la Cour de cassation apprécient le contexte : Usage ou faits répétés. Circonstances de lieu. Réceptivité personnelle de la victime. Caractère anormal ou non de l’événement. Exemples récents : 1. 2019 : Île d’Oléron Débat autour de la cloche de Saint-Pierre d’Oléron, classée comme patrimoine traditionnel immatériel. 2. 2016 : Le coq Maurice. Grand débat sur les nuisances sonores des animaux traditionnels en milieu rural. 3. Grenouilles du Périgord (2016) : 3 sur 8  Un propriétaire a été contraint de combler son étang en raison des nuisances liées au croassement des grenouilles. 4. 2003 : Paris, affaire Daphné. Cas médiatisé, bien que les détails restent anecdotiques. 📌 Exclusivisme La propriété est individuelle et dure aussi longtemps que la chose existe. Caractéristique principale : Le propriétaire peut exclure toute atteinte extérieure à son droit. Théorie de Plagnol : La propriété est analysée comme un droit exclusif et individualiste. Propriété collective : Certains auteurs étudient des formes de propriété collective ou commune, organisées autour d’un même objet. On distingue deux types : 1. Propriété collective proprement dite : Organisation juridique où un bien est détenu par plusieurs personnes avec des règles spécifiques. Caractéristiques : Mise à disposition pour un usage commun, gestion collective (assemblées, coopératives agricoles, syndicats d’immeubles), différente de l’indivision. 2. Indivision : Régime juridique où plusieurs personnes sont propriétaires d’un bien indivisible. Chaque indivisaire possède une part abstraite du bien. Caractéristique principale : « Nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision. » Fragilité : Si un indivisaire souhaite sortir, l’indivision est dissoute ou recréée. Exemple : Héritiers dans le cadre d’une succession gèrent en commun un bien qu’ils n’ont pas choisi de posséder ensemble. 4 sur 8 📌 Perpétuité ⚖ Article 2227 du Code civil dispose que la propriété est imprescriptible, c’est-à-dire qu’elle ne se perd pas par le non-usage. Le propriétaire reste propriétaire, même s’il n’en fait pas usage. Si le propriétaire décède, la propriété revient à ses héritiers. Seule cause de disparition de la propriété : La disparition de la chose elle-même. § 3 - L’acquisition de la propriété 👉 La transmission La propriété s’acquiert principalement par transmission. Historiquement, elle pouvait aussi être acquise par occupation ou par possession. Aujourd’hui, l’acquisition par transmission soulève des problématiques spécifiques. Modes de transmission : Entre vifs : Par contrat ou donation. Pour cause de mort : Par succession ou testament. Deux modalités de transmission : 1. Transmission réelle : Tradition symbolique quand il n’y a pas remise matérielle de la chose. Exemple : En matière immobilière, la remise des clés est une tradition symbolique. Cependant, le plus important reste le titre de propriété, qui constitue la preuve de la propriété. Avec la dématérialisation, la tradition symbolique s’efface progressivement au profit du titre. 2. Transmission symbolique : Représentation de la chose par un symbole. 👉 La question de l’occupation L’occupation consiste en un acte physique d’appréhension d’une chose. Une fois accomplie, celui qui s’en est emparé est considéré comme propriétaire. John Locke : Le premier qui enclôt un terrain exerce un droit d’occupation et devient propriétaire. 5 sur 8  Débats actuels : Notamment en matière de colonisation (ex. Cisjordanie) ou d’occupation contestée (ex. ZAD). 👉 La possession La possession est une institution juridique plus complexe que l’occupation. Elle repose sur une occupation prolongée, régie par des règles établies, et peut donner lieu à une prescription acquisitive reconnue par le droit. Prescription acquisitive : Après une longue période d’occupation (ex. 30 ans), le possesseur peut devenir propriétaire. Conditions : Agir comme un bon possesseur + respecter le corpus et l’animus. Éléments de la possession : 1. Corpus : Fait matériel et constaté par le juge : il existe une relation physique entre le possesseur et la chose. 2. Animus : Intention du possesseur de se comporter comme un véritable propriétaire. Vision moderne : Développée par Jhering : La possession repose sur une relation réelle à la chose, avec un accent sur l’intention. La possession fonde juridiquement et moralement la propriété. Toutefois, la propriété moderne tend à se dématérialiser, devenant abstraite et parfois détachée de la morale juridique liée à la possession. Colonisation Un individu peut voir sa possession validée parce qu’il est installé sur une terre et y travaille. Transfert de possession et propriété La possession constitue un fondement juridique et moral de la propriété. Le juge reconnaît qu’une personne qui se comporte comme un bon propriétaire, avec : Un corpus : Une relation physique et matérielle avec la chose. Une intention (animus) : Se comporter comme un véritable propriétaire. 6 sur 8 Cependant, la propriété moderne connaît une évolution notable : Avec sa dématérialisation, elle devient abstraite et se détache progressivement de la morale juridique de la possession. D’un côté, on considère qu’un bon possesseur peut devenir propriétaire. Mais selon Zabalza, il faudrait également élever au statut de propriétaire des "mauvais possesseurs". SECTION 2 Les démembrements de la propriété 1) Les servitudes Définition : Une servitude est un droit réel démembré. Elle permet au propriétaire d’un fonds d’exercer des prérogatives sur un fonds voisin, appartenant à un autre propriétaire. ⚖ Articles 644 et suivants du Code civil. Types de servitudes : ✧ Servitudes naturelles ou découlant de la situation des lieux. Exemple : Le ruissellement des eaux de pluie d’un fonds supérieur vers un fonds inférieur. ✧ Servitudes légales ou conventionnelles, imposées par la loi : Servitudes de voisinage (ex. distances à respecter pour les constructions). Servitudes de plantation (hauteur des haies : 2 à 2,2 mètres). Servitudes de passage (ex. terrain scindé en deux pour accéder à une propriété). Introduites par l’urbanisme ou la volonté des parties. On a introduit en 2016 des ORE (Obligations Réelles Environnementales) : ces obligations visent à protéger l’environnement. Le propriétaire d’un bien immobilier conclut un contrat avec une collectivité publique pour assurer des fonctions environnementales (ex. préservation de la biodiversité). Les obligations s’imposent également aux propriétaires successifs. 7 sur 8 2) L’usufruit Définition : L’usufruit est le droit de jouir d’une chose appartenant à autrui, tout en respectant sa substance. L’usufruitier dispose d’un droit réel sur la chose et peut en tirer les fruits. Le propriétaire conserve l’abusus (droit de disposition). Différence avec la location : Usufruit : Droit réel. Location : Contrat (bail) relevant du droit personnel. Exemples d’usufruit : Conjoint survivant : Usufruit d’un bien jusqu’à ce que les enfants atteignent 16 ans. Usufruit attribué dans le cadre d’une succession. 8 sur 8