Full Transcript

formellement disparu. En revanche, les instruments de contrôle qui s’y rattachaient sont maintenus mais sous une autre forme. Ainsi, pratiquement, même si la nouvelle présentation rompt avec l’ancienne, les solutions d’hier sont conservées aujourd’hui. Il faut donc à présent s’intéresser au...

formellement disparu. En revanche, les instruments de contrôle qui s’y rattachaient sont maintenus mais sous une autre forme. Ainsi, pratiquement, même si la nouvelle présentation rompt avec l’ancienne, les solutions d’hier sont conservées aujourd’hui. Il faut donc à présent s’intéresser aux règles relatives aux stipulations du contrat (sous-section 1) et à celles relatives au but du contrat (sous-section 2). Sous-section 1 : Les règles relatives aux stipulations du contrat Au regard des nouveaux textes, les règles relatives aux stipulations du contrat peuvent être réparties en deux ensembles : les règles relatives aux stipulations principales (§1) et celles relatives aux clauses accessoires (§2). Plus précisément, les stipulations du contrat sont ce dont les parties sont convenues, ce qu’elles ont choisi d’inclure dans cet instrument de prévision qu’est le contrat. Les stipulations principales sont celles qui concernent les obligations que les parties se sont engagées à exécuter. Il arrive toutefois que les stipulations du contrat incluent d’autres clauses, qui participent des relations entre les parties, sans pour autant être le cœur du contrat, ce sont les clauses accessoires. §1. Les stipulations principales Les règles relatives aux stipulations principales du contrat incluent certaines relatives à la prestation (I) et d’autres relatives à la contreprestation (II). Concrètement, dans un contrat, chacune des parties - ou l’une des parties seulement - s’engage à exécuter une obligation (c’est la prestation due). Mais, dans certains types de contrat, chaque partie ne s’engage qu’en considération de la contrepartie qu’elle va recevoir (c’est la contreprestation). I. La prestation La prestation s’entend de ce que chacune des parties s’engage à accomplir au profit de l’autre et constitue, selon l’article 1163 du Code civil, l’objet de l’obligation. Quel est cet objet dans les contrats unilatéraux ? Par définition, le contrat unilatéral ne met d’obligation qu’à la charge d’une des parties. Voyez l’article 1106, alinéa 2, (1103 anc.) du Code civil : le contrat « est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci ». Il n’y a alors qu’un seul objet. Ex. : la donation ne met d’obligation qu’à la charge d’une partie, l’auteur de la donation, qu’on appelle le donateur. Il n’y a donc qu’un objet : l’objet de l’obligation du donateur, qui consiste à délivrer le bien donné. Ex. : la promesse unilatérale de vente sans indemnité d’immobilisation ne met d’obligation qu’à la charge du promettant, qui s’engage à vendre ; le bénéficiaire, quant à lui, n’est pas tenu de lever l’option, et ainsi d’acheter le bien. Il n’y a qu’un seul objet : celui pour le promettant de vendre. Et dans les contrats synallagmatiques ? Aux termes de l'article 1106, alinéa 1, (1102 anc.) du Code civil : « le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres ». Ce sont donc des contrats qui font naître une obligation à la charge de chacune des parties : chaque contractant est à la fois créancier et débiteur. Aussi y a-t-il, dans ces contrats, deux objets (voir les exemples précités, dans les classifications du contrat, de la vente, du bail…). Cela étant, qu’il s’agisse de contrats unilatéraux ou synallagmatiques, l’objet doit présenter trois caractères : il doit être déterminé ou du moins déterminable (A), possible (B) et licite (C). 64 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau A. Un objet déterminé ou déterminable Exposons les règles générales (1) relatives à l’exigence de détermination de l’objet avant d’en venir à une hypothèse particulière, celle de la détermination du prix (2). 1. Règles générales L’article 1163, alinéa 2, du Code civil exige, pour la validité d’un contrat, que la prestation objet de l’obligation soit déterminée ou déterminable (art. 1129 anc.). Cette exigence se comprend : à défaut d’un objet déterminé ou déterminable, le débiteur ne saurait pas ce à quoi il s’engage et le créancier ne saurait pas davantage ce qu’il peut exiger. Encore faut-il préciser. L’objet doit être considéré comme déterminé lorsqu’il est précisément désigné dans le contrat au moment de sa conclusion. Quant à l’objet déterminable, l’article 1163, alinéa 3, explique que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat par référence aux usages et aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord soit nécessaire ». En d’autres termes, lorsque l’objet n’est pas désigné au moment de la conclusion du contrat, il doit pouvoir se déduire sur la base d’éléments objectifs (c-à-d d’éléments ne dépendant pas de la volonté de l’une ou l’autre des parties) au moment de l’exécution du contrat. Ces éléments doivent être suffisamment précis pour qu’ils ne nécessitent pas un nouvel accord des parties. Ex. : une vente dans laquelle les parties prévoient, avant une récolte, qu’elle portera sur un 1/3 de celle-ci. Concrètement, lorsque la prestation, objet de l’obligation, porte sur le transfert d’un bien, il faut distinguer. Si le bien est un corps certain, c'est-à-dire un bien unique, qui a une individualité propre : une œuvre d’art, un bijou de famille, un immeuble, un tonneau de vin étiqueté… il suffit que le corps certain soit désigné pour que l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable soit satisfaite. Si le bien est une chose de genre - et vous aurez compris que les choses de genre s’opposent aux corps certains car elles n’ont pas une individualité propre mais sont fongibles : un hectolitre de vin, une tonne de blé… (autant de choses qui sont l’objet de séries interchangeables) - l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable supposera que la chose puisse être identifiée quant à son espèce (du vin, du blé…) et à sa quantité (un hectolitre de vin, une tonne de blé…). Lorsque la prestation porte sur un fait du débiteur (ex. : l’employé qui s’engage à travailler, l’acteur qui s’engage à tenir un rôle dans un film…) ou une abstention du débiteur (ex. : le vendeur d’un fonds de commerce qui s’engage à ne pas ouvrir dans le même département et pendant quatre ans un commerce équivalent à celui qu’il cède : obligation dite de non-concurrence), l’objet de l’obligation sera déterminé ou déterminable lorsqu’il pourra être identifié dans sa nature et dans son étendue (ne pas ouvrir un commerce équivalent à celui cédé dans le même département). En revanche, la durée de l’obligation de faire ou de ne pas faire peut-être déterminée (ex. : pendant quatre ans) mais la détermination de la durée n’est, en principe, pas obligatoire (ex. : contrat de travail à durée indéterminée). Il reste à préciser, enfin, que quel que soit le type de prestation considérée, la qualité de la prestation n’a pas à être déterminée ou déterminable. Souvent, elle le sera. Mais si elle ne l’est pas, l’article 1166 du Code civil prévoit que le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. Ces critères induisent donc que la qualité attendue de la prestation ne saurait être la même pour tous les contrats : tout est une question de casuistique (on ne peut pas, par exemple, s’attendre à la même qualité de prestation selon le prix que l’on a payé). Sous l’empire des anciens textes, le critère retenu était sensiblement différent. L’article 1246 ancien prévoyait ainsi : « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise ». C’est dire que dans les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, le débiteur doit livrer une chose de qualité moyenne. 65 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau 2. Hypothèse particulière de la détermination du prix Bon nombre de contrats comportent une obligation qui porte sur une somme d’argent : une obligation pécuniaire, qui exprime le prix d’une chose ou d’un service (on parle du prix dans la vente, du loyer dans le bail, des honoraires dans le mandat, des primes dans l’assurance…). Or, ces obligations qui portent sur de la monnaie posent un problème particulier. Pourquoi ? En raison de l’instabilité monétaire (présente dans le monde occidental depuis la fin de la 1re guerre mondiale) : si l’on sait ce que vaut aujourd’hui 1 €, on ne sait pas ce qu’il vaudra dans quelques mois ni, plus encore, dans quelques années. D’où la difficulté, dans les contrats dont l’exécution s’échelonne dans le temps, de fixer un prix : il est alors tentant de renvoyer à plus tard la fixation du prix, soit au moyen de clauses d’indexation (a), soit en laissant à l’une des parties la possibilité de le fixer lors de l’exécution du contrat (b). a. Les clauses d’indexation Les clauses d’indexation sont des clauses que l’on insère dans un contrat en prévoyant que le prix sera déterminé par référence à un indice : le cours du blé, du sucre, du pétrole. Si leur validité est admise par principe dans les contrats internationaux, s’agissant des contrats internes, les articles L. 112-1 et s. du Code monétaire et financier posent le principe de leur interdiction, mais avec deux séries d’exceptions qui sont en pratique très importantes. En premier lieu, des exceptions propres à la nature de la dette. Parce qu’elles ont directement pour but de permettre au créancier de pourvoir aux besoins de la vie courante et doivent donc impérativement conserver leur pouvoir d’achat, certaines dettes comme l’obligation alimentaire peuvent être librement indexées, notamment sur l’indice général des prix à la consommation. En second lieu, pour les autres dettes, il est permis de prévoir une indexation sur un indice ayant une « relation directe avec l’objet de la convention ou avec l’activité d’une des parties ». Ex. : on ne saurait retenir l’indice du blé pour la location d’un immeuble. En principe, si la clause d’indexation est illicite, seule cette clause est nulle (et non le contrat). Cette nullité est absolue, c’est-à-dire que la clause n’est susceptible ni de confirmation ni de ratification (Com., 3 nov. 1988, n°87-10.043). Une autre solution a cependant pu être admise par la jurisprudence, par la substitution à l’indice illicite, d’un autre indice, licite, aussi proche que possible du premier. Après avoir un temps écarté cette solution (voir, par exemple, Civ. 3e, 14 octobre 1975, n°74-12.880), la Cour de cassation l’a progressivement admise (Civ. 1re, 9 novembre 1981, n°80-11.060 ; Civ. 3e, 22 juillet 1987, n°84-10.548)74. Si l’indice retenu n’existe plus, a cessé d’exister ou d’être accessible, l’article 1167 du Code civil dispose qu’il doit être remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus (v. déjà en ce sens : Civ. 3e, 12 janvier 2005, n°03- 17.260)75. Au-delà des clauses d’indexation, l’instabilité monétaire pose aussi et surtout la question de savoir si l’on doit, et comment l’on doit, déterminer le prix dans un contrat. C’est cette question qu’il convient d’approfondir car elle a connu en droit français une importante évolution : quand et comment, dans un contrat, fixer le prix ? 74 Dans chacun de ces cas, la Cour de cassation admet la substitution, dès lors qu’elle repose sur une interprétation de la commune intention des parties. En particulier, elle admet la substitution lorsqu’il peut être établi que la volonté des parties portait essentiellement sur le principe d’une indexation, le choix de l’indice n’étant plus, dès lors, qu’une modalité d’application de cette volonté (Civ. 3e,22 juillet 1987, n°84-10.548) ou encore lorsque, dans leurs négociations précontractuelles, les parties avaient déjà envisagé l’indice retenu par les juges comme un indice de substitution (Civ. 1re, 9 novembre 1981, n°80-11.060). En revanche, la Cour de cassation a pu refuser une telle substitution dans l’hypothèse où les parties étaient convenues que si l’indice retenu ne pouvait être appliqué, elles se réfèreraient « à tout critère ayant fait l’objet d’un accord entre elles ». La Cour de cassation décide alors qu’il n’appartient pas aux juges du fond de se substituer à la volonté des parties en leur imposant un indice qu’elles n’ont pas agréé (Com. 16 novembre 2004, n°02-15.202) 75 En principe, cette seconde hypothèse, de l’indice inexistant, disparu ou inaccessible, se distingue de celle de l’indice illicite. Néanmoins, on peut sans doute considérer, à l’instar des sénateurs lors de l’examen de la loi de ratification (voir rapport au Sénat), que le nouvel article 1167 du Code civil doit être interprété comme incluant l’hypothèse d’un indice illicite. Si cette interprétation devait être retenue, l’article 1167 permettrait alors de donner un fondement textuel à la jurisprudence admettant la substitution de l’indice illicite par l’indice licite le plus proche. 66 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau b. La fixation unilatérale du prix Pour répondre à la question de savoir quand, dans un contrat, le prix doit être fixé, schématiquement, deux modèles de solution sont envisageables : Soit on admet que le prix doit être déterminé ou déterminable dès la formation du contrat. Si cette exigence n’est pas respectée, il manque au contrat une condition de validité et la sanction est la nullité. Soit on considère qu’un contrat peut être conclu sans que les parties se soient accordées sur le prix. La détermination du prix n’est plus une condition de validité du contrat. Un contrat est valable alors même que le prix n’est pas fixé (ni déterminé ni déterminable) au moment de sa conclusion. Le prix devient une question relative, non plus à la formation, mais à l’exécution du contrat : le juge vérifiera notamment que celui qui a fixé le prix au cours de l’exécution du contrat n’a pas abusé de sa position : il contrôlera l’abus dans la fixation du prix, au stade de l’exécution. Et la sanction ne peut plus être une sanction de formation : elle n’est plus l’annulation du contrat ; elle est une sanction relative à l’exécution : la résiliation ou/et des dommages et intérêts. Le Code civil, dans sa version antérieure à la réforme, ne posait aucune directive de principe claire sur la question. Certes, il fait parfois mention d’un prix (par ex : art. 1709 sur le bail, art. 1710 sur le contrat d’entreprise) mais sans davantage de précisions. Seul l’article 1591 énonce, à propos de la vente, que « le prix doit être déterminé et désigné par les parties ». C’est dire que, dans la vente, la déterminabilité du prix est une condition de validité du contrat ; à défaut, le contrat est entaché d’une cause de nullité. En l’absence de théorie générale, il était donc revenu à la jurisprudence de se prononcer. Dans un premier temps, la Cour de cassation avait établi – en s’appuyant sur l’article 1129 ancien du Code civil – un système selon lequel le prix était, par principe, une condition de validité du contrat. Il reste que cette solution avait fait naître un contentieux abondant en matière de contrats-cadre stipulant une clause d'exclusivité76. En exigeant que le contrat-cadre comporte un prix déterminé ou déterminable, par des éléments indépendants de la volonté des parties, la jurisprudence (v. par ex. : Com., 11 octobre 1978, n°77-10.155) gênait la conclusion de ces contrats à long terme et perturbait les réseaux de distribution. Aussi, après quelques atermoiements, la Cour de cassation a-t-elle opéré un revirement de jurisprudence. Par 4 arrêts en date du 1er décembre 1995 (nos 93-13.688, 91-19.653, 91-15.999, 91-15.578), l’Assemblée Plénière a décidé que, sauf dispositions particulières (par ex. : art. 1591 C. civ.), l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable, que posait l’article 1129 ancien du Code civil, ne s’appliquait pas à la détermination du prix et n’était donc pas une condition de validité du contrat-cadre. S’appuyant sur les anciens articles 1134 et 1135 du Code civil, la jurisprudence considérait, depuis ces arrêts, qu’il suffisait que le prix soit fixé, ne serait-ce qu’unilatéralement par l’une des parties, pour que le contrat soit valable. La question se posait toutefois de savoir si la Cour de cassation avait simplement soustrait les contrats- cadre du domaine de l’article 1129 ou si le prix n’était plus exigé à titre de condition de validité (sauf exceptions légales) dans tous les contrats. La Cour de cassation a répondu à cette question dans un des quatre arrêts du 1er décembre 1995 : l’arrêt de rejet (Société Le Montparnasse, 3e espèce) qui précisait dans un chapeau intérieur que l’article 1129 n’était pas applicable à la détermination du prix. Le prix - et par extension toutes les clauses financières du contrat – n’était donc pas une « chose » au sens de 1129, qui devait être déterminée à peine de nullité du contrat (la chose, au sens de cet article, c’était l’objet susceptible de transfert de propriété). Avant la réforme, c’était donc dans tout contrat que la détermination du prix n’était pas une condition de validité77, sauf dispositions particulières (v. par ex. : l’article 1591 déjà rencontré à propos de la vente). Les auteurs de la réforme n’ont que partiellement consacré cette jurisprudence. En effet, dans sa nouvelle version, le Code civil n’admet la possibilité d’une fixation unilatérale que de manière limitée, dans deux cas 76 Il s'agit de contrats conclus entre un fournisseur (compagnie pétrolière, brasseur) et un distributeur (pompiste, débitant de boissons) et dans lesquels le distributeur s'engage à s'approvisionner exclusivement auprès du fournisseur pendant une longue durée. En contrepartie, le fournisseur lui consent divers avantages : prêts, garanties financières, aides publicitaires... En exécution de ce contrat-cadre seront donc conclus d'autres contrats, dit contrats d'application, par lesquels le distributeur se fournit effectivement auprès du fournisseur en achetant régulièrement ses produits, généralement au tarif en vigueur au jour de la livraison. 77 Illustrations jurisprudentielles : dans le contrat de prêt à propos des intérêts (Com., 9 juillet 1996, n°94-17.612) ; dans le contrat de prêt à propos de l'indemnité de remboursement anticipé (Civ. 1re, 14 juin 2000, n°98-17.057) ; dans les contrats d'entreprise (Civ. 1re, 20 février 1996, n°94-14.074). 67 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau particuliers : les contrats-cadre et les contrats de prestation de service. Pour tous les autres contrats, le prix doit donc être, en principe, déterminé ou déterminable dès la conclusion du contrat. L’article 1164, alinéa 1, du Code civil, dispose, tout d’abord, que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix de la prestation sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation ». L’alinéa 2 précise qu’ « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat ». Le contrat cadre est défini à l’article 1111 du Code civil comme l’ « accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures », des contrats d’application en précisant les modalités d’exécution. Ainsi, selon l’article 1164, le prix n’a pas à être déterminé au stade de la conclusion du contrat-cadre, les parties pouvant convenir qu’il sera fixé par l’une d’entre elles au fur et à mesure de la conclusion des contrats d’application. L’article 1164 prévoit toutefois que la partie qui fixe unilatéralement le prix doit pouvoir en motiver le montant en cas de contestation. Surtout, l’article 1164 instaure, conformément à la jurisprudence antérieure, un contrôle judiciaire du prix par la sanction de l’abus. L’alinéa 2 prévoit ainsi qu’« en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat » et confirme donc les sanctions déjà envisagées par la jurisprudence antérieure. Ainsi, l’obligation de motivation du prix qui pèse sur celui qui l’a fixé unilatéralement emporte, de fait, renversement de la charge de la preuve. Ce n’est pas à celui qui se plaint du prix fixé de démontrer qu’il est abusif mais à l’autre de démontrer qu’il ne l’est pas. A ce stade, il faut encore se demander en quoi consistera l’abus. En l’absence de précisions dans le nouveau texte, il faut se référer au droit antérieur pour le déterminer. A ce sujet, les auteurs s’accordent en général à considérer que l’abus ne saurait se réduire à la fixation d’un prix objectivement différent de celui du marché ; ce serait sinon imposer au juge la recherche du prix du contrat. C’est bien l’abus dans la fixation du prix et non le prix excessif qui est condamné. Ainsi, il semble que l’abus soit constitué lorsque celui qui a fixé le prix a eu une attitude égoïste, c’est-à-dire lorsque celui-ci a imposé un prix uniquement en fonction de ses propres intérêts et au détriment de ceux de son partenaire (appréciation subjective de l’abus qui peut être déduit du seul comportement ; en ce sens, voir par ex. Com., 15 janvier 2002, n°99-21.172 ; Civ. 1re, 30 juin 2004, n°01-00.475 ; Com., 4 novembre 2014, n°11-14.026). Par exemple, il devrait y avoir abus à pratiquer un prix qui aurait pour conséquence l’exclusion de son cocontractant du marché ou sa ruine. Le prix fixé doit pouvoir être assumé par le cocontractant sans mise en péril de son activité. S’agissant maintenant des contrats de prestation de service, l’article 1165, alinéa 1, prévoit qu’à défaut d’accord entre les parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour celui-ci d’en motiver le montant. Cette disposition repose sur l’idée qu’il est souvent difficile, dans les contrats de prestation de service et, en particulier, dans les contrats d’entreprise, de déterminer à l’avance l’étendue des diligences à accomplir. Aussi faut-il laisser au prestataire la possibilité de déterminer le prix à l’issue de sa prestation. L’alinéa 2 sanctionne également l’abus dans la fixation du prix. Dans sa version initiale, issue de l’ordonnance de réforme, cette disposition n’admettait qu’une sanction : l’allocation de dommages et intérêts. Le législateur a toutefois entendu aligner le régime de l’article 1165 sur celui de l’article 1164, en ajoutant, dans la loi de ratification, la possibilité pour le juge, le cas échéant de prononcer la résolution du contrat. S’agissant d’une modification interprétative, elle est immédiatement applicable à tous les contrats conclus depuis le 1 er octobre 2016. Cette dernière sanction ne pourra naturellement concerner que des contrats à exécution successive et dont la prestation n’aura pas encore été exécutée en totalité. En effet, dès lors que la prestation aura été totalement exécutée, il n’y aura aucun intérêt pour le débiteur à demander la résolution du contrat, soit son anéantissement rétroactif, qui lui imposerait de restituer le service reçu par équivalent78. 78 Sur la jurisprudence antérieure à la réforme qui admettait la révision des honoraires fixés dans les contrats de prestation de services, voir infra sur la lésion. 68 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau L’objet de l’obligation doit donc être déterminé ou déterminable. Il doit aussi être possible. Venons-en à cette deuxième condition. B. Un objet possible En droit comme ailleurs, « à l’impossible nul n’est tenu ». L’objet doit être possible, selon l’article 1163 du Code civil. Ainsi, d’abord, il ne faut pas qu’il existe une impossibilité de faire ou de ne pas faire ce qu’on s’est engagé à faire ou à ne pas faire. Encore faut-il pour qu’elle constitue une cause de nullité que l’impossibilité soit absolue. En effet, l’impossibilité est prise ici dans son sens objectif : c’est celle à laquelle se heurterait n’importe quel débiteur. C’est l’impossibilité pour tout le monde par opposition à l’impossibilité relative qui est celle que n’a pu surmonter tel débiteur en particulier. Ex. : conclure un contrat qui aurait pour objet de toucher le ciel du doigt est objectivement impossible. En revanche, s’engager à donner un récital de piano alors qu’on ne sait pas jouer du piano n’est pas objectivement impossible ; c’est subjectivement impossible. C’est une impossibilité personnelle à son débiteur ; le contrat sera valable et le débiteur engagera sa responsabilité en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution. Qu’en est-il, ensuite, des obligations de donner ? Lorsque l’obligation porte sur un corps certain et que la chose n’existe pas au moment de la conclusion du contrat, il existe une impossibilité absolue de l’objet qui est cause de nullité de la convention79. C’est le cas lorsque le bien a péri avant la conclusion du contrat. Le principe selon lequel le contrat est nul lorsque la chose n’existe pas est néanmoins assorti d’importants tempéraments : D’une part, les parties peuvent conclure un contrat aléatoire. Les parties concluent ainsi un contrat relatif à une chose dont elles ne savent pas si elle existera (ex. achat dans l’espoir d’une chasse ou d’une pêche fructueuse) ou sur une chose dont elles ne savent pas si elle existe encore (ex. marchandise qui doit transiter par un pays en guerre). D’autre part, l’obligation née du contrat peut porter sur une chose future. L’article 1163, alinéa 1, (art. 1130 anc.) du Code civil prévoit ainsi que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future ». L’hypothèse est en pratique loin d’être exceptionnelle : il suffit de penser à l’achat d’une maison à construire ou d’une récolte en cours de culture. Qu’en est-il si la chose ne vient pas à existence ? Le contrat n’est pas nul, car il a été valablement conclu ; il est caduc80. La caducité est, selon l’article 1186 du Code civil, la sanction qui frappe les contrats valablement formés mais qui, postérieurement à leur conclusion, perdent un élément essentiel à leur perfection. C. Un objet licite Traditionnellement, on considérait que seules les choses qui sont dans le commerce pouvaient être l’objet de convention (art. 1128 anc. Du Code civil). Le terme « commerce » n’était pas pris ici dans son sens courant : la chose hors du commerce, au sens de cet article, était celle qui ne pouvait pas faire l’objet de conventions pour des raisons de moralité ou d’ordre public81. 79 Il convient de bien distinguer cette hypothèse de celle du contrat portant sur la chose d’autrui. Dans ce dernier cas il y a bien impossibilité, mais impossibilité relative dans la mesure où, à la différence du cocontractant, le véritable propriétaire de la chose pourrait exécuter le contrat. De ce caractère relatif, la jurisprudence semble déduire (Civ. 3e, 26 avril 1972, n°71-10.750) qu’en soi le contrat sur la chose d’autrui est valable et qu’il appartient au cocontractant de se rendre propriétaire afin de pouvoir exécuter l’obligation. Le Code civil y apporte néanmoins deux exceptions, en frappant de nullité la vente (art. 1599) et l’hypothèque (art. 2410) de la chose d’autrui. 80 Sauf pour les parties à décider contractuellement de faire peser le risque de l’existence de la chose future sur l’une ou l’autre d’entre elles. 81 L'ordre public est défini comme la norme impérative dont les individus ne peuvent s'écarter ni par leurs comportements, ni par leurs conventions. La notion d'ordre public marque la suprématie des intérêts généraux sur les intérêts particuliers. Une disposition d'ordre public est le plus souvent imposée par la loi mais il est depuis longtemps admis que le juge dispose aussi d'un pouvoir de définition de l'ordre public, ce dernier étant qualifié de virtuel (Civ., 4 décembre 1929). Le contenu de l'ordre public est par définition évolutif puisqu'il est lié aux valeurs d'une société, variables selon les époques. On oppose traditionnellement deux sortes d'ordre public. L'ordre public classique, dit aussi politique, vise à protéger les valeurs essentielles de la société relatives à l'Etat et à la famille (par ex; : l'interdiction de céder son droit de vote ; ou encore la nullité des contrats portant sur le corps 69 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau Désormais, l’article 1128 du Code civil impose que le contenu du contrat soit licite. L’article 1162 précise en outre que les stipulations du contrat ne peuvent déroger à l’ordre public82 (rappr. art. 6 C. civ)83. Ainsi, on considère que le corps humain est hors du commerce. Ce qui a notamment conduit la Cour de cassation à condamner les conventions dites de mère-porteuse, celles par lesquelles une femme porte un enfant pour une autre. La solution est aujourd’hui consacrée à l’article 16-7 du Code civil en ces termes : « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Le législateur a toutefois apporté des tempéraments à ce principe d’indisponibilité du corps humain : il autorise par exemple le don du sang, le prélèvement d’organes, le don de sperme… Mais cela toujours à titre de don : toute contrepartie est exclue (cf. art. 16-5 : « les conventions ayant pour objet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles »). Autre matière dans laquelle s’est posée la question de la licéité de l’objet : les clientèles civiles. La cession d’une clientèle est-elle licite ou faut-il considérer que, touchant à la liberté des clients, elle est illicite ? Il faut pour commencer préciser les termes du débat : la validité de la cession des clientèles commerciales ne fait pas de doute : elle est un élément essentiel du fonds de commerce, qui est cédée avec lui. Mais qu’en est-il des clientèles civiles : quid de la clientèle d’un médecin, d’un avocat, d’un expert-comptable… ? Longtemps, la jurisprudence a considéré que la cession des clientèles civiles était illicite : ces clientèles étaient considérées comme étant hors du commerce. Pour parvenir à cette conclusion, la jurisprudence prenait appui sur le lien de confiance personnel qui existe entre le professionnel et sa clientèle. Mais en réalité, la portée de cette solution de principe était très largement atténuée : la jurisprudence admettait en effet la validité des « droits de présentation », autrement dit des engagements de présenter le successeur à la clientèle, de ne pas lui faire concurrence, etc. (par ex. Civ. 1re, 7 juin 1995, n°93-17.099). C’est dire que, non sans hypocrisie, la jurisprudence admettait les formes indirectes de cession mais interdisait les cessions directes. Dans un arrêt du 7 novembre 2000 (n°98-17.731), la première Chambre civile de la Cour de cassation a fini par renverser sa jurisprudence : « si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix des patients »  Désormais, la cession de clientèle n’est « pas illicite ». La solution est retenue dans cet arrêt pour une clientèle médicale, mais doit être étendue à l’ensemble des clientèles civiles (sur ce point, v. Civ. 1re, 16 janvier 2007, n°04-20.711 et Civ. 1re, 14 novembre 2012, n°11-16.439). La Cour de cassation reconnaît le caractère a priori licite de tous les contrats qui ont pour objet la cession d’une clientèle civile. Elle rompt avec l’idée qu’elle défendait jusqu’alors d’un principe d’extra-commercialité de ces clientèles.  Mais, si elle admet la licéité de ces cessions, la Cour de cassation précise aussitôt que c’est « à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ». On retrouve là une condition que la jurisprudence posait déjà pour la licéité des conventions de présentation. On est alors tenté de conclure que si, en théorie, l’arrêt du 7 novembre 2000 est important (= abandon d’un principe d’illicéité pour un principe de licéité de la cession des clientèles civiles), il demeure probablement sans grandes incidences pratiques. humain). L'ordre public économique procède d'autres valeurs, essentiellement liées à l'économie. En son sein, on différencie l'ordre public de direction - par lequel l'Etat tente d'imposer à la société des règles nécessaires à la régulation économique (contrôle des changes, de la concurrence, des prix) - qui est aujourd'hui en fort retrait et l'ordre public de protection qui a pour objet de protéger la partie faible au contrat (par ex. le salarié ou le consommateur). Les bonnes mœurs, quant à elles, renvoient à la morale du plus grand nombre. Sa substance a trait principalement à la sexualité. Avec la libéralisation actuelle des mœurs, la notion est en net recul et ne concerne aujourd'hui qu'une sphère d'interdits restreints, comme, par exemple, l'inceste ou la bigamie. 82 Si la référence aux « bonnes mœurs » est désormais supprimée, cette disparition est cependant à relativiser. Certes, les bonnes mœurs n’existent plus comme notion autonome, mais leur violation est toujours sanctionnée ; simplement elle l’est par le biais de la notion d’ordre public. 83 La Cour de cassation admet que la licéité du contrat puisse être contestée en ce que l’acte serait contraire à des règles déontologiques. Plus précisément, elle a considéré que, même si la violation de règles déontologiques ne pouvait en principe donner lieu qu’à des sanctions disciplinaires, était illicite un contrat dont les stipulations entraient en contradiction avec ces règles déontologiques (Civ. 1 re, 6 février 2019, n°17-20.463 – pour le Code de déontologie des ostéopathes ; Civ. 1re, 6 avril 2022, n°21-12.045 – au sujet du Code de déontologie des experts-comptables). 70 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau II. La contreprestation La contreprestation désigne la contrepartie attendue par celui qui s’est engagé, celle en considération de laquelle il s’est engagé à exécuter sa propre prestation. Il ne s’agit donc plus d’étudier séparément la prestation que chacune des parties doit exécuter mais d’envisager les prestations des deux parties l’une par rapport à l’autre. Cette appréciation globale du contrat, qui revient à confronter les obligations principales de chacune des parties, permet de lutter contre les déséquilibres les plus significatifs. Deux hypothèses doivent alors être étudiées : celle de la contrepartie insuffisante, d’une part (A) et celle de la contrepartie illusoire ou dérisoire, d’autre part (B). A. La contrepartie insuffisante (lésion) La contrepartie insuffisante renvoie à l’idée de lésion. Après avoir précisé cette notion (1), il faudra s’interroger sur la question de sa prise en compte (2) avant de s’intéresser à son régime (3). 1. La notion de lésion Il s’agit du préjudice subi par une des parties, au moment de la conclusion du contrat, du fait du déséquilibre existant entre les prestations. La lésion est donc un vice originel, un vice qui existe au moment de la formation du contrat. Ainsi d’un vendeur qui vend trop peu cher : le prix convenu est insuffisant ; ou inversement, d’un acheteur qui paie trop cher : le prix est excessif. La lésion est encore un vice objectif : elle procède d’un déséquilibre exclusivement économique : peu importe l’état d’esprit des contractants. La seule preuve d’un déséquilibre entre les prestations suffit ; il n’y a pas à prouver un vice de la volonté. La notion précisée, recherchons à présent le principe : la lésion est-elle ou non en principe sanctionnée ? 2. La prise en compte de la lésion Il résulte de l’article 1168 du Code civil que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ». Cette règle était déjà édictée, avant la réforme, à l’article 1118 ancien du Code civil (« la lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes, ainsi qu’il sera expliqué en la même section »). C’est dire que, en principe, la lésion n’affecte pas la validité des contrats. Le Code civil ne consacre donc pas une équivalence objective des prestations ; il se contente d’une équivalence subjective : il suffit que les parties aient regardé comme équivalentes leurs prestations. Il n’y a finalement pas d’autre prix que celui sur lequel les parties se sont accordées. Et cela, car sanctionner la lésion de façon générale serait porter atteinte à la sécurité des relations juridiques : on risquerait une remise en cause bien trop fréquente des contrats. Mais si tel est le principe, des tempéraments aussi bien législatifs que jurisprudentiels existent. D’abord, l’article 1168 affirme ce principe sous réserve de dispositions légales contraires, ce que prévoyait déjà l’article 1118 ancien qui n’admettait la lésion « que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes… » Le Code civil prend ainsi en compte la lésion dans la vente d’immeuble. Il sanctionne, en effet, la lésion de plus des 7/12e subie par le vendeur (art. 1674). C'est-à-dire que le vendeur qui reçoit moins des 5/12e de la valeur de l’immeuble peut obtenir la nullité de la vente pour lésion. Seulement pour les immeubles et seulement au profit du vendeur (pour les rédacteurs du Code civil, cela correspondait à l’idée - aujourd’hui dépassée - qu’on peut être contraint de vendre, mais pas d’acheter). En dehors du Code civil, d’autres textes sanctionnent la lésion. C’est en particulier le cas dans le domaine de la PLA (lésion de plus des 7/12e au détriment de l’auteur). Mais les exemples 71 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau sont nombreux (vente d’engrais et de semences, prêt à intérêt, baux ruraux, règlement de copropriété, etc.) Enfin, il s’agit parfois de protéger certaines personnes qui sont intrinsèquement faibles : la lésion est ainsi sanctionnée au profit des mineurs ou des majeurs incapables qui agissent dans la limite de leur capacité. Par exemple un mineur a la capacité de conclure seul les actes de la vie courante. S’il est victime d’une lésion lors de la conclusion d’un tel acte, il peut demander en justice, en vertu de l’article 1149 (1305 anc.) du Code civil, la rescision de la convention litigieuse. Ensuite, la jurisprudence, sous couvert d’autres fondements, n’a pas hésité à sanctionner parfois des situations lésionnaires. Elle l’a fait notamment en se reconnaissant le droit de sanctionner les honoraires des mandataires (ex. agents immobiliers, agents d’affaires) lorsque ces honoraires lui paraissent excessifs. La Cour de cassation a ainsi affirmé de longue date « qu’il appartient aux tribunaux de réduire le salaire convenu lorsqu’il est hors de proportion avec le service rendu » (jurisprudence constante depuis Civ., 29 janvier 1867). Cette solution a été étendue aux membres des professions libérales : architectes (Civ. 1re, 4 mars 1958), avocats (Civ. 1re, 3 mars 1998, n°95-15.799), conseils juridiques (Civ. 1re, 19 juin 1990, n°88-20.266), experts-comptables (Civ. 1re, 3 juin 1986, n°85-10.486), généalogiste (Civ. 1re, 5 mai 1998, n°96-14.328)84. On observera que les contrats de ces professions libérales relèvent de la catégorie, non du mandat, mais du louage d’ouvrage qui est un tout autre contrat. Cette solution n’étant pas consacrée par la réforme, on ignore donc si elle sera maintenue. En particulier, on pourrait considérer que l’article 1165 du Code civil, qui n’admet, pour les contrats de prestation de services, que l’allocation de dommages et intérêts à l’exclusion de toute révision judiciaire du prix du contrat, contredit cette jurisprudence. En réalité, l’hypothèse dont il est question ici est distincte de celle prévue à l’article 1165. Il ne s’agit pas de sanctionner le créancier qui, libre de fixer le prix unilatéralement après l’exécution du contrat, à défaut d’accord entre les parties a priori, abuserait de sa prérogative, mais d’admettre une révision du prix lorsque le prix fixé par les parties, avant l’exécution du contrat, s’avère excessif au regard du travail effectivement réalisé. Compte tenu de cette distinction, rien ne permet d’exclure que cette jurisprudence se maintienne à l’avenir. Il convient encore d’ajouter que, même dans les hypothèses où la lésion est, par exception, sanctionnée, elle cesse de l’être, par exception à l’exception, lorsque le contrat est aléatoire : on dit que « l’aléa chasse la lésion ». Ex. : pas de sanction de la lésion dans une vente d’immeuble moyennant rente viagère, c'est-à-dire une vente dans laquelle le prix payé consiste en une rente due tout au long de la vie du vendeur. 3. Preuve et sanctions de la lésion Conformément au droit commun de la preuve, c’est au contractant qui se prévaut de la lésion qu’il appartient d’établir celle-ci. Il peut le faire par tous moyens, la lésion étant un fait juridique85. Les sanctions de la lésion sont variables et il est impossible de poser une règle générale car chaque cas de lésion fait l’objet d’une sanction spécifique. On peut seulement dégager des idées générales. Le plus souvent, la lésion est sanctionnée par la nullité du contrat, à laquelle le Code civil donne ici le nom de « rescision ». Cette nullité est une nullité relative qui parfois présente des traits originaux (par exemple, le délai d’action en matière de vente est ramené à deux ans à compter de la vente). Mais dans certains cas, le contrat est maintenu et le juge le rééquilibre. Ainsi en était-il de la réduction des honoraires à laquelle on vient de faire allusion, du moins dans l’ancien droit. Dans la vente d’immeubles, l’acheteur (cocontractant de celui qui subit la lésion) peut choisir de maintenir le contrat en payant le complément de prix nécessaire, moins un dixième (art. 1681 C. civ.). 84 La jurisprudence l’avait également étendue aux cessions d’offices ministériels (Req., 13 juin 1910), mais elle est récemment revenue sur cette exception (Civ. 1re, 7 décembre 2004, n°01-10.271). 85 La preuve de la lésion dans les ventes d’immeuble est toutefois soumise à des règles propres (v. art. 1677 et s. C. civ.). 72 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau B. La contrepartie illusoire ou dérisoire Si la lésion, la contrepartie insuffisante, n’est en principe pas sanctionnée, le Code civil, à l’article 1169, permet, toutefois, un contrôle a minima de l’équilibre entre prestation et contreprestation. Selon ce texte, Il faut que, dans les contrats à titre onéreux, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage ne soit ni illusoire ni dérisoire. Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut revenir à la notion de cause, telle qu’elle était entendue en application des anciens textes. En effet, en réalité, l’article 1169 ne fait que consacrer un certain nombre de solutions déjà dégagées antérieurement sur le fondement de la cause. En d’autres termes, sauf à ce que la jurisprudence en décide autrement à l’avenir, le contrat qui, aujourd’hui, pourrait être sanctionné pour contrepartie illusoire ou dérisoire, l’aurait été, auparavant, pour absence de cause. Il faut donc commencer par expliquer cette « cause » que le Code civil, dans son ancienne version, visait sans en donner de définition. Comme il a déjà été dit, l’article 1108 ancien du Code civil, subordonnait la validité du contrat à « une cause licite dans l’obligation » et l’article 1131 ancien précisait que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucune effet ». De ces articles, il résultait que le contrat ne pouvait être valablement formé que s’il comportait une cause et que celle-ci était conforme aux exigences légales : ainsi, non seulement la cause devait exister, mais de plus elle devait être licite. Le terme de cause, au sens de ces articles, visait le but que les parties poursuivaient en contractant, la raison pour laquelle elles s’engageaient. Ainsi, le vendeur vend pour obtenir le paiement d’une somme d’argent et l’acheteur paie pour obtenir la délivrance de la chose objet de la vente. Ce « pour » (paiement du prix pour l’un, délivrance pour l’autre) constituait la cause de l’obligation du vendeur d’une part, et de l’acheteur d’autre part. Ceci étant dit, force est de constater que la conclusion d’un contrat n’est pas toujours commandée par la poursuite d’un seul but. Loin de là ! Un exemple permettra de mieux comprendre. ✓ Prenons un contrat de vente portant sur une maison. Pourquoi le vendeur et l’acheteur ont-ils conclu cette opération ? Pour le vendeur, la raison immédiate, le but immédiat est le paiement du prix. Mais au-delà, si l’on pousse plus loin l’analyse, les raisons lointaines de son engagement peuvent être des plus diverses : il peut avoir vendu pour éponger ses dettes, pour participer à un trafic de drogue, pour faire face aux dépenses du mariage de son fils, parce qu’il pensait être muté loin de là, etc. Quant à l’acheteur, si la raison immédiate pour laquelle il s’est engagé est la délivrance de la chose, il peut, au-delà, avoir entendu s’y installer avec femme et enfants, en faire une maison d’hôtes, y loger sa maîtresse, etc. Ainsi, la conclusion d’un contrat (comme toutes les actions humaines) ne saurait être déterminée par une seule raison, commandée par la poursuite d’un seul but. En schématisant, on peut dire qu’il existe non seulement une raison proche, mais aussi des raisons plus lointaines. Selon l’approche choisie, la physionomie de la cause change. Si l’on s’en tient à la cause la plus proche, la cause immédiate, on constate qu’elle est la même pour chaque type de contrat : dans toute vente, le vendeur s’engage pour obtenir le paiement du prix et l’acheteur pour que la chose lui soit livrée ; dans tout bail, le bailleur s’engage pour obtenir le paiement du loyer et le preneur pour avoir la jouissance de la chose louée… Cette cause, on la qualifiait de cause objective ou de cause de l’obligation. Si l’on s’attache ensuite aux motifs plus lointains qui ont poussé une personne à contracter, on constate que la cause varie pour un même type de contrat. Les motivations qui vous poussent à vendre votre maison ne sont pas forcément celles qui poussent votre voisin à vendre la sienne. De même, celles qui vous conduisent à acheter ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qui conduisent votre voisin à acheter. On parlait alors de cause subjective ou de cause du contrat. D’où la question suivante : fallait-il tenir compte de l’une et l’autre de ces conceptions de la cause ou fallait-il n’en retenir qu’une seule ? Après des hésitations, l’accord s’était finalement fait sur l’idée que le droit positif devait donner sa place à chacune des deux conceptions de la cause : il convenait de faire entrer dans ce concept juridique non seulement la raison la plus proche (cause de l’obligation), mais aussi les raisons, même éloignées, qui avaient déterminé le consentement (cause du contrat). C’est ainsi qu’avait été progressivement consacrée, en droit français, une conception dualiste de la cause. 73 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau C’est que ces deux conceptions de la cause, loin de s’exclure, se complétaient : elles avaient en effet des fonctions différentes. Ainsi, retenir la cause de l’obligation permettait d’apprécier l’existence de la cause : y avait-il bien une somme d’argent, cause de l’obligation du vendeur, et une chose qui était l’objet de la délivrance, cause de l’obligation de l’acheteur ? La cause de l’obligation avait alors une fonction de protection individuelle : on protégeait l’une et l’autre des parties en vérifiant qu’elles ne se s’étaient pas engagées sans contrepartie (qu’il y avait bien quelque chose à la clé). Retenir la cause du contrat c’était, différemment, apprécier la licéité de la cause : les mobiles qui avaient déterminé l’une ou l’autre des parties à contracter étaient-ils licites ? A défaut, le contrat était annulable pour illicéité de la cause. La cause du contrat avait donc pour sa part une fonction de protection sociale : c’était la société qu’on entendait protéger en contrôlant la licéité de la cause. Vous comprenez donc que la notion de « contrepartie convenue » désormais utilisée à l’article 1169 du Code civil correspond à la cause de l’obligation. Quant à la cause du contrat, elle devient, dans les nouveaux textes, le « but » du contrat qui sera étudié plus tard (voir infra). Cela expliqué, il reste à déterminer comment ce contrôle de la contrepartie illusoire et dérisoire s’opère, ce qui revient à s’interroger, en premier lieu, sur le champ d’application de ce contrôle (1) et, en second lieu, sur son régime (2). 1. Le champ d’application du contrôle Alors que la cause pouvait permettre de contrôler tout contrat, quel qu’il soit, l’article 1169 du Code civil ne vise désormais que les contrats à titre onéreux (a), excluant ainsi les contrats à titre gratuit (b). a. La prise en compte des contrats à titre onéreux L’article 1169 impose que, pour être contrôlé, le contrat soit à titre onéreux. Ce contrôle de la contrepartie illusoire ou dérisoire n’est toutefois pas le même selon que le contrat considéré est un contrat synallagmatique ou unilatéral. De fait, la plupart des contrats à titre onéreux créent des obligations réciproques et interdépendantes (par ex. : le contrat de vente, de bail, de travail). Ces contrats, on l’a vu, sont dits synallagmatiques. Mais il est également d’autres contrats à titre onéreux qui obligent quant à eux une personne envers une autre, sans qu’il y ait pour autant d’obligation réciproque de la part de cette dernière. Ces contrats, parce qu’ils ne créent d’obligations qu’à la charge d’une partie, sont dits unilatéraux. Distinguons donc les contrats synallagmatiques (a-1) des contrats unilatéraux (a-2), car la contrepartie convenue, diffère dans les uns et les autres. a-1. Dans les contrats synallagmatiques Il convient encore ici de distinguer entre les contrats commutatifs (i) - c'est-à-dire des contrats qui mettent à la charge des parties des prestations dont le montant est fixé dès la conclusion de celui-ci - et les contrats aléatoires (ii) dans lesquels les prestations des parties, ou de l’une d’elles, ne sont pas certaines en ce qu'elles dépendent d’un événement futur et incertain. i. Dans les contrats commutatifs Dans les contrats commutatifs, la contrepartie convenue réside en principe et logiquement dans la contre- prestation, c'est-à-dire dans l’obligation de l’autre partie au contrat : la prestation due par chacune des parties est la contrepartie de l’autre. Ex. : Dans la vente, le vendeur promet de livrer la chose en contrepartie du fait que l’acheteur s’engage à lui payer le prix : le paiement du prix est la contrepartie de l’obligation du vendeur, qui correspond à l’objet de l’obligation de l’acheteur. Réciproquement, l’acheteur s’engage à payer le prix en contrepartie du fait que le vendeur promet de lui livrer la chose : la livraison de la chose est l’objet de l’obligation du vendeur et la contrepartie de l’obligation de l’acheteur. 74 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau Finalement, dans les contrats synallagmatiques la contrepartie attendue d’une des parties correspond à l’objet de l’obligation de l’autre. Antérieurement à la réforme, on considérait de même que la cause de l’obligation d’une des parties correspondait à l’objet de l’obligation de l’autre. Il reste donc à déterminer dans quelles hypothèses cette contrepartie pourra être considérée comme illusoire ou dérisoire. S’agissant, tout d’abord, de la contrepartie illusoire, elle correspond à l’hypothèse dans laquelle la contrepartie en apparence convenue ne procure en fait aucun avantage réel au contractant. Le caractère illusoire de la contrepartie doit toutefois s’apprécier de manière objective, sans tenir compte de l’utilité que peut effectivement avoir, pour un contractant particulier, l’avantage qu’il reçoit (v. par ex. : Civ. 1re, 28 février 2018, n°17-14.048). Si l’on se réfère à la jurisprudence antérieure rendue sur le fondement de la cause et qui devrait être maintenue, il apparaît qu’elle peut être caractérisée dans plusieurs hypothèses. Elle l'est d'abord lorsque la contrepartie fait défaut. Pour la jurisprudence antérieure, sont ainsi nuls pour absence de cause : l’obligation d’un locataire commercial de payer un certain prix en contrepartie de l’engagement du bailleur de lui assurer l’exclusivité de ce type de commerce dans l’immeuble alors que la loi interdit pareille exclusivité, de sorte que la contrepartie est inefficace, donc défaillante (Com., 5 octobre 1981, n°80-11.076) ; ou encore le rachat d’un salarié de points de retraite à une Caisse alors que ses droits auprès de cette Caisse atteignent déjà le plafond (Soc., 15 octobre 1980, n°79-13.138). De même, est nul pour absence de cause, le contrat par lequel une personne s’engage à céder un droit qu’elle ne détient en réalité pas ou qu’il ne peut légalement céder (Civ. 1re, 20 février 1973, n°71-13.855 : où le successeur d’un gardien d’immeuble s’était engagé à payer à son prédécesseur une certaine somme en contrepartie du droit à occuper son poste, alors même que le gardien démissionnaire ne disposait pas de ce droit). Elle l'est ensuite lorsque la contrepartie existe bel et bien mais qu'elle fait double emploi avec l'obligation résultant d'un autre contrat. A titre d'illustration, on peut citer un arrêt de la Chambre commerciale du 23 octobre 2012 (n°11-23.376). Dans cette affaire, une société, en 2005, avait conclu avec une EURL une convention de prestation de services. Le directeur général de la première société était aussi gérant et associé unique de l’EURL. En 2007, il est démis de ses fonctions de directeur général et la convention est résiliée. Ce dernier et l’EURL dont il est gérant assignent alors le cocontractant en paiement de l’indemnité contractuelle de résiliation du contrat. La Cour d’appel rejette la demande estimant que les prestations assumées par la société au regard de la convention étaient celles incombant au directeur général et faisaient donc double emploi avec lesdites fonctions de sorte que la convention était nulle pour absence de cause. La Cour de cassation valide cette solution considérant que lorsque la contrepartie n’est pas réelle parce que devant déjà être assumée par la même personne au titre d’autres fonctions, l’acte est frappé de nullité. Elle l’est encore lorsque la contrepartie existe formellement mais ne peut bénéficier au cocontractant pour des raisons légales. On peut ici mentionner un arrêt de la Chambre commerciale du 6 décembre 2017 (n°16-22.809). En l’espèce, une société avait acquis du matériel de surveillance qui ne pouvait toutefois être utilisé sans une autorisation de la CNIL. L’acquéreur sollicite cette autorisation et découvre alors que ce matériel ne pouvait en aucune façon bénéficier d’un tel agrément. Autrement dit, dès la conclusion du contrat, il était d’ores et déjà certain qu’il ne pourrait pas être légalement utilisé. La contrepartie convenue au profit de l’acquéreur était donc, pour la Cour de cassation, illusoire 86. Quant à la contrepartie dérisoire, elle correspond à l’hypothèse où la contre-prestation convenue est dénuée de tout caractère sérieux. A titre d’exemple, la nullité est ainsi encourue en cas de vileté du prix dans le cadre d’une vente (par ex. : Civ. 1re, 4 juillet 1995, n°93-16.198 ; comp. : Com., 11 mars 2014, n°12-29.820). Il convient à cet égard de souligner que le prix dérisoire doit être soigneusement distingué du prix insuffisant qui relève de la réglementation de la lésion. 86 Sous l’ancien droit, la jurisprudence semblait aussi admettre l’absence de cause dans l’hypothèse où la contrepartie existe - elle est réelle - mais n’est finalement pas utile pour le contractant qui ne tire pas du contrat l’avantage qu’il espérait, le contrat étant non rentable dès l’origine (Civ. 1re, 3 juillet 1996, n°94-14.800, arrêt dit « vidéo-club). Néanmoins, il n’est pas certain que la jurisprudence admette encore cette solution très critiquée (voir, par exemple : Com. 9 juin 2009, n°08-11.420 ; et la réforme du droit des obligations ne l’a pas consacrée, de sorte qu’il faut sans doute penser qu’elle n’a plus lieu d’être. 75 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau ii. Dans les contrats aléatoires A quoi correspond la contrepartie convenue dans les contrats aléatoires ? Elle ne peut pas être (ce qu’elle est dans les contrats commutatifs) la contreprestation. En effet, si le contrat est aléatoire, c’est comme son nom l’indique qu’il comporte un aléa : on n’est donc pas certain qu’il y aura lieu à contreprestation. Prenons l’hypothèse d’un contrat d’assurance. Le risque assuré (ex. le cambriolage) ne se réalise pas. Les primes qui auront été versées par l’assuré pendant X années ne seront pas utilisées et n’auront donc pas donné lieu à une contreprestation de la part de l’assureur. Ainsi, pour comprendre ce qu’est la contrepartie convenue dans les contrats aléatoire, il faut là encore se référer à ce que décidait la jurisprudence sur le fondement de la cause, ces solutions devant certainement demeurer. Antérieurement à la réforme, on considérait que dans les contrats aléatoires, la cause de l’obligation est l’existence d’un aléa. Lorsque l’aléa existait, le contrat avait une cause. Dès lors, si le contrat n’était pas véritablement aléatoire, si le risque n’existait pas réellement, on considérait que le contrat n’avait pas de cause. Il pouvait être annulé pour absence de cause. Ainsi, lorsque le bien assuré avait péri dans un incendie avant même la conclusion du contrat d’assurance, il n’existait plus d’aléa : l’absence de risque traduisait une absence de cause, qui permettait d’obtenir le prononcé de la nullité du contrat. De même, en matière de contrat comportant une rente viagère, l’article 1974 du Code civil dispose : « tout contrat de rente viagère créé sur la tête d’une personne qui était morte au jour du contrat ne produit aucun effet ». Le contrat est nul car il n’y a pas de chance de gains ni de risques de pertes. L’article 1975 ajoute qu’« il en est de même du contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat ». Si l’on transpose ce raisonnement au regard de l’article 1169 du Code civil, il apparaît que, dans les contrats aléatoires, la contrepartie convenue par les parties est une contrepartie incertaine qui pourra donc être considérée comme illusoire dès lors que cette incertitude n’existe pas au moment de la formation du contrat, autrement dit, dès lors qu’au moment de la formation du contrat, l’absence de contrepartie était déjà certaine. C’est dire qu’un contrat aléatoire pourra être annulé si l’aléa n’existe pas au moment de la formation du contrat. a-2. Dans les contrats unilatéraux Le plus souvent, le contrat unilatéral sera un contrat à titre gratuit (par ex. : la donation). Il arrive, cependant, qu’un contrat unilatéral soit à titre onéreux. L’article 1106 du Code civil distingue les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux selon l’existence ou non d’une obligation réciproque. Autrement dit, lorsque le contrat prévoit des obligations réciproques, le contrat est synallagmatique. A défaut, il est unilatéral. Faut-il considérer que l’absence d’obligation réciproque, entraîne nécessairement l’absence de contrepartie, au sens de l’article 1169 ? En réalité, dans certains contrats, il y a bien contrepartie mais cette contrepartie convenue ne prend pas la forme d’une obligation réciproque. On est alors en présence d’un contrat unilatéral à titre onéreux. Illustrons par un exemple. Dans le contrat de cautionnement, une personne, la caution, s’engage à garantir auprès de son cocontractant, le créancier bénéficiaire, la dette d’un tiers, le débiteur cautionné. Si le débiteur est défaillant, la caution devra exécuter l’obligation à sa place. Pour autant, la caution ne pourra pas prétendre à l’exécution d’une obligation réciproque de la part de son cocontractant, le créancier bénéficiaire. Dans cette hypothèse, à défaut d’obligation réciproque qui serait due par le créancier bénéficiaire, quelle contrepartie reçoit la caution ? Il faut, là encore, se référer à la jurisprudence rendue antérieurement sur le fondement de la cause. La jurisprudence jugeait, en effet, de manière constante sur ce fondement, que la cause du contrat de cautionnement résidait dans l’avantage ou le crédit accordé au débiteur cautionné par le créancier bénéficiaire du cautionnement (Com. 8 novembre 1972, n°71-11.879 ; 10 juillet 2001, n°98-11.536 ; 17 mai 2017, n°15-15.746). 76 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau Autrement dit, s’il n’existe pas d’obligation réciproque, il y a bien une « contrepartie convenue » au bénéfice de la caution qui correspond, en fait, à l’avantage ou au crédit accordé par le créancier bénéficiaire au débiteur cautionné. La caution reçoit bien une contrepartie (elle ne s’engage que dans la mesure où le débiteur cautionné reçoit l’avantage ou le prêt qu’elle garantit) sans que cette contrepartie constitue une obligation réciproque (le créancier bénéficiaire n’est tenu réciproquement d’aucune obligation à l’égard de la caution). Ainsi, dans le contrat de cautionnement, il faut admettre que la contrepartie sera considérée comme illusoire dès lors qu’aucun avantage ou crédit n’est accordé au débiteur cautionné. Et plus généralement, dans les contrats unilatéraux à titre onéreux, il faut sans doute penser que la contrepartie est le fait qui sert de base au contrat, à l’engagement de celui qui s’engage unilatéralement. Si ce fait qui justifie l’engagement n’existe pas, alors la contrepartie est illusoire. b. L’exclusion des actes à titre gratuit Dans les actes à titre gratuit, il n’y a pas, par définition, de contrepartie87. L’article 1169 est donc par principe inapplicable à ce type de contrats. Telle n’était pourtant pas la solution retenue sous l’empire des anciens textes où un acte à titre gratuit pouvait bel et bien être sanctionné pour absence de cause. Quelle était alors, dans ces contrats, la cause de l’obligation ? Pour ces contrats, on considérait que la cause consistait dans un élément plus subjectif que dans les actes à titre onéreux : elle était constituée des mobiles qui étaient à l’origine de l’intention libérale de celui qui s’engageait, c’est-à-dire de son désir de gratifier le bénéficiaire de l’acte. Ainsi, chaque fois que ces motifs étaient faux, l’acte gratuit pouvait être annulé pour absence de cause. Ex. : un père fait une donation à celui qu’il croit être son fils. Mais il s’avère que celui qu’il croyait être son fils n’est pas en réalité son fils, par exemple parce qu’il est né d’une relation adultère de son épouse. La donation est dépourvue de cause. A ce titre, elle peut être annulée. Si l’article 1169 n’est pas applicable aux contrats à titre gratuit, faut-il alors considérer que ces actes ne peuvent plus être sanctionnés lorsque les mobiles à l’origine de l’intention libérale se révèlent faux ? La réponse est négative, seulement la sanction n’intervient pas sur le fondement de la contrepartie illusoire ou dérisoire mais sur le fondement de l’erreur. C’est ainsi que l’article 1135 alinéa 2 nouveau prévoit que l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. 2. Preuve et sanctions de la contrepartie illusoire ou dérisoire Selon l’article 1169 du Code civil, et conformément à l’ancien droit, l’existence d’une contrepartie qui ne soit ni illusoire ni dérisoire doit s’apprécier à la date de la formation du contrat (pour le droit antérieur, par ex. : Civ. 3e, 8 mai 1974, n°73-10.820). Ce principe connaît un tempérament. En effet, selon l’article 1186 du Code civil, un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparait. L’article 1186 ne définit pas ce qu’il entend par « élément essentiel ». Sous l’empire des anciens textes, la jurisprudence acceptait toutefois de sanctionner la disparition de la cause, en cours d’exécution du contrat, en décidant que celui-ci était caduc (Civ. 1re, 30 octobre 2008, n°07-17.646 ; Com. 29 juin 2010, n°09-67.369), il faut donc sans doute considérer que le terme d’élément essentiel inclut la contrepartie, de sorte que le contrat dont la contrepartie deviendrait illusoire ou dérisoire au cours de son exécution sera caduc. S’agissant de la preuve de l’absence de contrepartie, les nouveaux textes n’apportent aucune précision, de sorte que les règles de preuve de droit commun doivent en principe s’appliquer : c’est à celui qui prétend que la contrepartie est illusoire ou dérisoire d’en apporter la preuve88. 87 cf. la définition donnée à l’article 1107 qui pose comme critère de distinction entre les contrats à titre gratuit et les contrats à titre onéreux celui de l’existence ou non d’une contrepartie. 88Antérieurement à la réforme, la jurisprudence distinguait selon que l’acte comportait la mention de la cause. Le plus souvent l’acte comportait effectivement la mention de la cause : tel était le cas de tous les contrats synallagmatiques puisqu’ils font apparaître les obligations réciproques des parties. En pareil cas, c’était à celui qui contestait l’existence de la cause de rapporter la preuve de cette inexistence et il devait le faire par écrit s’agissant de prouver contre un écrit (2e proposition de l'ancien 1341 du Code civil ; par ex : Civ. 1re, 23 février 2012, n°11-11.230). 77 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau Quant à la sanction, l’article 1169 prévoit que les contrats à titre onéreux dont la contrepartie est illusoire ou dérisoire, au moment de leur formation, sont nuls. Il ne précise toutefois pas si cette nullité est absolue ou relative. Antérieurement à la réforme, la jurisprudence retenait, pour l’absence de cause, la nullité relative89. La solution devrait sans doute être maintenue si l’on tient compte des définitions que l’article 1179 du Code civil donne de la nullité absolue et de la nullité relative (la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général, elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé). Or, cette nullité a pour but de sanctionner la transgression d’une règle qui se propose de protéger les intérêts du contractant qui n’a pas reçu ce qui avait justifié son engagement et non pas de protéger l’intérêt général90. §2. Les clauses accessoires Au-delà de déterminer la substance des engagements des parties, un contrat peut comporter toute sorte de clauses qui tendent à organiser les relations entre les parties pendant l’exécution du contrat ou après son anéantissement (par ex. : clause limitative de responsabilité, clause pénale, clause résolutoire, clause de non- concurrence, clause portant sur la preuve…). Ces clauses accessoires peuvent également, à certaines conditions, être contrôlées et sanctionnées, notamment, lorsqu’elles sont illicites (I), ou lorsqu’elles perturbent l’équilibre du contrat (II). I. Les clauses accessoires illicites L’article 1162 du Code civil dispose que le contrat ne peut déroger à l’ordre public par ses stipulations. S’il en résulte que l’objet du contrat doit être licite, plus généralement, c’est l’ensemble des clauses du contrat qui doivent répondre à ce critère. Toute stipulation, même accessoire, peut être sanctionnée sur ce fondement. Ainsi, par exemple, une clause aménageant le régime de la preuve pourra être annulée si elle ne répond pas aux exigences de l’article 1356 du Code civil (v. cours sur la preuve). De même, si la stipulation d’une clause de non-concurrence est en principe licite (Soc., 6 décembre 1967), une telle clause doit respecter certaines conditions : elle doit être limitée dans le temps et dans l’espace ; déterminer avec précision les activités concernées ; être justifiée par un intérêt légitime. Si ces conditions ne sont pas réunies, alors la clause devra être considérée comme illicite (elle pourra notamment être jugée contraire à l’ordre public en ce qu’elle porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre). Lorsqu’une clause accessoire est illicite, elle peut être annulée (v. infra sur les conséquences de cette nullité). Cela étant, même licites, certaines clauses accessoires peuvent être remises en cause dès lors qu’elles contredisent l’équilibre contractuel. II. Les clauses accessoires déséquilibrantes Comme on l’a vu, le contenu du contrat suppose l’existence d’une prestation répondant à certaines exigences. Dans certains contrats, doit y correspondre une contreprestation dont le contrôle permet, de manière limitée, de sanctionner le déséquilibre contractuel. Mais cette prise en compte des prestations principales des Relativement aux titres qui constataient l’obligation sans en indiquer la cause (« billets non causés »), l’existence de la cause était présumée (v. anc. art. 1132 C. civ. ; pour une application à la reconnaissance de dette, v. par ex. : Civ. 1re, 3 juillet 2013, n°12-16.853 et Civ. 1re, 19 février 2014, n°12-35.275). Il s’ensuivait que, là aussi, la charge de la preuve incombait à celui qui contestait l’existence de la cause, mais il pouvait le faire par tous moyens car, n’ayant pas à prouver contre un écrit, la 2 e proposition de l'ancien article 1341 (art. 1359 nouv.) ne s’appliquait pas (par ex : Civ. 1re, 9 février 2012, n°11-13.778). 89 C’est la position traditionnelle des chambres civiles (par ex. : Civ., 1re, 9 novembre 1999, n°97-16.306 ; Civ. 3e, 29 mars 2006, n°05-16.032 ; Civ. 3e, 21 septembre 2011, n°10-21.900). Quant à la Chambre commerciale, si elle a longtemps opté pour la nullité absolue (Com., 23 octobre 2007, n°06- 13.979), elle vient d'opérer un revirement de jurisprudence et retient aujourd'hui également la nullité relative (Com., 22 mars 2016, n°14-14.218). 90 En matière de prescription, on notera que l’article 2224 du Code civil (issue de la loi du 17 juin 2008) pose aujourd’hui comme point de départ le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer et que le délai est de cinq ans même si l’on considère (comme la Chambre commerciale) que la nullité est absolue. Cette unification des délais de prescription des actions en nullité relative et absolue limite les risques liés à la divergence opposant les chambres civiles et la Chambre commerciale. 78 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau parties et de la contreprestation en considération de laquelle elles se sont engagées est insuffisante. En effet, il arrive qu’une clause, pourtant accessoire, perturbe l’équilibre du contrat. L’ancien droit sanctionnait ces clauses déséquilibrantes - autrement dit, les clauses qui viennent bouleverser l’économie apparente du contrat - par le contrôle de la cause du contrat. En dépit de la disparition de cette notion, le Code civil maintient et même, étend, les circonstances dans lesquelles une clause déséquilibrante peut être sanctionnée. Pratiquement, deux types de clauses peuvent être contrôlées : les clauses portant atteinte à une obligation essentielle (A) et les clauses abusives (B). A. Les clauses portant atteinte à une obligation essentielle Selon l’article 1170 du Code civil, « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Il faut donc s’interroger sur les conditions de ce contrôle des clauses du contrat (1) pour ensuite s’intéresser à la sanction retenue (2). 1. Les conditions du contrôle L’article 1170, qui autorise un certain contrôle des clauses du contrat, impose la réunion de deux conditions : la clause litigieuse doit porter sur une obligation essentielle (1) et la vider de sa substance (2). Si la possibilité d’un tel contrôle est apparue dans le Code civil à l’occasion de la réforme du droit des obligations, elle n’est, en réalité, qu’une consécration de la jurisprudence antérieure, rendue sur le fondement de la cause et dont l’arrêt fondateur est celui rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996, dans l’affaire dite Chronopost (n°93-18.632). La société Chronopost est une société de transport de biens qui s’engage à transporter les colis confiés par des clients dans un délai rapide et déterminé (toute sa publicité est fondée là-dessus) ; c’est d’ailleurs pourquoi le prix acquitté pour ce service est nettement supérieur à ce qu’il est pour un envoi classique. Il y a, dans ce respect du délai, une « obligation essentielle », une obligation qui est de l’essence du contrat conclu. Et pourtant, la même société Chronopost inscrit dans ses conditions générales une clause aux termes de laquelle elle limite la réparation due dans l’hypothèse où elle ne satisferait pas à son obligation de livrer dans les délais : elle prévoit qu’elle sera alors seulement tenue de verser le montant que le client a acquitté pour le transport. D’où la question suivante, en ancien droit : une telle clause était-elle conciliable avec l’obligation que le transporteur avait souscrit de livrer dans un délai déterminé ? Chronopost pouvait-il, en même temps, s’engager à acheminer les plis dans un certain délai et limiter la réparation qu’il devrait en cas de non-respect de ce délai à une modique somme (à l’époque de 122 francs) ? La Cour de cassation ne l’a pas pensé. Au visa de l’article 1131 ancien du C. civ., c’est-à-dire sur le fondement de la cause, elle a jugé que cette clause « contredit » la portée de l’engagement que Chronopost prend de livrer dans les délais : en réduisant à « presque rien » la réparation due en cas de manquement à une obligation pourtant essentielle, la clause litigieuse est contraire à ladite obligation. A ce titre, la clause a été réputée non écrite. L’arrêt a suscité des réactions diverses et a été largement critiqué91. Il reste que cette solution a été consacrée par l’ordonnance de réforme. En effet, en décidant que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite », l’article 1170 inscrit dans la loi cette solution jurisprudentielle. Si cette règle est issue de l’ancien droit, il faut toutefois revenir sur les deux conditions qu’elle impose. Tout d’abord, il faut que la clause porte sur une obligation essentielle du débiteur. Il peut s’agir de toute clause, par exemple une clause limitative de responsabilité92, une clause de répartition des risques, une clause 91 Certains auteurs faisaient valoir que cet arrêt déformerait la notion de cause, dès lors qu’il existait bien une contreprestation à l’obligation de chacun des contractants et par là même une cause à chacune de leurs obligations. Certains ont également soutenu que la sanction retenue ne respectait pas la théorie classique de la cause, dès lors que le contrat n’était pas annulé, alors même que la cause était, en principe, une condition de validité du contrat, mais que seule la clause litigieuse était réputée non écrite. 92 S’agissant des autres moyens de critiquer une clause limitative de responsabilité, voir les clauses abusives et la faute lourde ou dolosive sur le fondement de la responsabilité contractuelle. 79 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau financière, une clause fixant un délai pour agir… Encore faut-il qu’elle porte sur une obligation essentielle du débiteur. Autrement dit, il faut que la clause limite, organise ou réglemente la prestation principale du débiteur (et de lui seulement). Ensuite, il faut qu’elle prive de sa substance l’obligation essentielle. Cette clause doit contredire l’obligation essentielle. Il ne suffit pas qu’elle lui porte atteinte ou qu’elle la limite mais elle doit véritablement la réduire à néant ou à presque rien (par exemple, pour une clause limitative, tout dépendra du plafond de remboursement). 2. La sanction L’article 1170 du Code civil prévoit qu’une clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle est réputée non écrite – autrement dit, elle est appelée à disparaître du contrat comme si elle n’avait jamais existé. Pendant longtemps, s’est posée la question de savoir si le « réputé non écrit » devait s’analyser comme une nullité partielle, suivant en cela le régime de la nullité, ou s’il constituait une sanction autonome. Si la question se posait c’est que le Code civil, dans son ancienne version, ignorait cette sanction. La réforme du droit des obligations a été l’occasion d’apporter une première précision. En effet, l’article 1184, alinéa 2, prévoit que « le contrat est maintenu lorsque la loi répute la clause non écrite ». A l’inverse, l’alinéa 1er dispose que lorsqu’une clause est nulle, elle peut entraîner la nullité de l’acte dans son entier si elle a constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elle. Où l’on comprend qu’une clause réputée non écrite ne pourra jamais conduire à la disparition de l’acte dans son ensemble, contrairement à une clause annulée. En dépit de cette précision, la question de la nature et du régime de cette sanction demeurait en suspens, jusqu’à ce que des décisions récentes viennent en clarifier les contours. En effet, par un arrêt de la première Chambre civile, du 13 mars 2019 (n°17-23.169), la Cour de cassation est venue affirmer de manière claire que la demande visant à faire réputer non écrite la clause d’un contrat ne s’analyse pas en une demande en nullité. En d’autres termes, le réputé non écrit et la nullité sont deux sanctions distinctes. Tirant les conséquences de sa décision, la Cour de cassation va plus loin en concluant que l’action en « réputé non écrit » n’est pas soumise au délai de prescription quinquennal de l’action en nullité. Puis, par un arrêt du 19 novembre 2020 (n°19-20.405), la troisième Chambre civile a complété cette solution en précisant que l’action visant à faire réputer non-écrite une clause d’un contrat est imprescriptible (solution confirmée par Civ. 3e, 30 juin 2021, n°19-23.038). Par ailleurs, la Cour de cassation a récemment précisé que, lorsqu’une clause comporte plusieurs stipulations et que l’une d’entre elle seulement est prohibée, alors seule cette stipulation doit être réputée non- écrite, sauf pour les juges à caractériser l’indivisibilité de ces stipulations (Civ. 3e, 12 janvier 2022, n°21-11.169 ; 23 novembre 2022, n°21-18.921 : pour une clause d’indexation prévoyant, d’une part, le principe d’une indexation du prix et, d’autre part, les modalités d’application de l’indice). Autrement dit, soit la clause peut survivre expurgée de la stipulation litigieuse et, dans ce cas, seule celle-ci sera réputée non-écrite ; soit les différentes stipulations forment un tout indivisible et, dans cette hypothèse, la remise en cause d’une stipulation entraînera la remise en cause de la clause dans son ensemble. B. Les clauses abusives Certaines clauses peuvent avoir pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, ce sont les clauses abusives. Si elles ont d’abord existé en droit spécial (1), l’ordonnance de réforme les a étendues, sous certaines conditions, au droit commun (2). 1. Les clauses abusives en droit spécial Il convient de distinguer la législation adoptée en droit de la consommation, d’une part (a) et en droit commercial, d’autre part (b). 80 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau a. Le droit de la consommation En droit français cette protection du consommateur quant au contenu du contrat a pour origine la loi du 10 janvier 1978. Le système a plus ou moins bien fonctionné pendant quinze ans et a été intégré au Code de la consommation en 1993 lors de la codification à droit constant. Une directive de l’Union européenne est intervenue le 5 avril 1993, imposant une modification de notre système. La transposition a eu lieu relativement rapidement par une loi du 1er février 1995 instaurant un nouvel art. L 132-1 du Code de la consommation. Enfin, la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 a remanié partiellement cette disposition afin d’améliorer la protection du consommateur et les lois du 1er juillet 2010 et 17 mars 2014 y ont apporté des retouches légères. Quant à l'Ordonnance du 14 mars 2016, elle a changé la numérotation du texte et l'a redistribué en trois articles (art. 212-1, 212-2 et 212-3 du Code de la consommation). Il convient d’étudier, successivement, les critères de lutte contre les clauses abusives (i) et les sanctions des clauses abusives (ii). i. Les critères des clauses abusives L’alinéa 1 de l’article L. 212-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, dispose que « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ». L’article L. 212-2, quant à lui, étend cette règle aux contrats conclus entre professionnels et non-professionnels93. Deux conditions sont donc exigées pour qu’une stipulation soit déclarée abusive : l’une tient aux personnes, l’autre à la clause même. Quant aux personnes, le Code de la consommation vise les contrats conclus entre, d'une part, les professionnels et, d'autre part, les consommateurs ou non professionnels. Cette formule, inchangée depuis 1978, a suscité de nombreuses interrogations, ce qui a conduit le législateur à intervenir pour définir les notions de consommateur, professionnel et non-professionnel94. C’est tout d’abord la loi Hamon du 17 mars 201495 qui a introduit dans le Code de la consommation un article liminaire définissant le consommateur comme «... toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Où l’on comprend qu’une personne morale ne peut, en aucun cas, être qualifiée de consommateur. Ensuite, l’ordonnance du 14 mars 2016, a enrichi cet article liminaire en ajoutant une définition du professionnel entendu comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ». L'ordonnance ajoute également une définition du non-professionnel comme « toute personne morale qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole »96. Cependant la loi de ratification du 21 février 2017 a substitué à cette définition un nouveau texte, selon lequel le non-professionnel est « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ». Cette nouvelle conception, qui reprend une proposition de la Commission des clauses abusives, est plus large et vise 93 Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 14 mars 2016, l’article L. 132-1 du Code de la consommation prévoyait de même que « dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». 94Avant l’intervention de ces lois, la jurisprudence s’attachait, pour définir le non professionnel au critère du rapport direct entre l’objet du contrat et l’activité professionnelle du contractant. Ce critère signifiait que le professionnel ne pouvait bénéficier de la législation de lutte contre les clauses abusives dès lors que le contrat avait été conclu à des fins professionnelles (Civ. 1 re, 3 janvier 1996, n°93-19.322 ; 10 juillet 2001, n°99-12.512 ; 5 mars 2002, n°00-18.202). Ainsi, il a été jugé qu’un contrat d’alimentation en électricité a un rapport direct avec l’activité professionnelle d’un imprimeur (Civ. 1 re, 24 janvier 1995, n°92-18.227). De même, les tribunaux ont pu considérer qu’il existe un rapport direct entre le contrat d’alimentation en eau et le fabricant de bouteilles de verre (Civ. 1re, 3 janvier 1996, n°93-19.322), ou encore entre un contrat de location de matériel téléphonique et la fabrication de bracelet de cuir (Civ. 1re, 5 novembre 1996, n°94-18.667 ; v. égal., Civ. 1re, 18 mars 2004, n°03-10.327). 95 Cette disposition est applicable aux contrats conclus à partir 13 juin 2014. Cependant, la Cour de cassation a déjà pu appliquer ces définitions, par anticipation, à des contrats antérieurs à leur entrée en vigueur (Civ. 1re, 15 juin 2016, n°15-17.369 ; 29 mars 2017, n°16-10.007). 96 L’ordonnance de réforme est applicable aux contrats conclus à compter du 1er juillet 2016. 81 ________________ Copyright © 2024 Pré-Barreau principalement à protéger les syndicats de copropriété, les comités d'entreprise et les associations en leur permettant de bénéficier du dispositif consumériste de lutte contre les clauses abusives97. Quant aux clauses, les articles 212-1 et 212-2 considèrent comme abusives, les clauses ayant pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Il faut donc une rupture de l’équilibre contractuel : un déséquilibre manifeste des droits et obligations des parties. Cette situation peut schématiquement résulter de deux hypothèses : soit le professionnel a imposé des obligations draconiennes à son cocontractant, soit il a allégé ses propres obligations ou limité - voire exclu - sa responsabilité. Le Code de la consommation comporte deux listes de clauses présumées abusives : la première, codifiée à l’article R. 212-1 du Code de la consommation, énumère douze clauses irréfragablement présumées abusives ; la seconde, prévue à l’article R. 212-2 du Code de la consommation, liste dix clauses simplement présumées abusives (qui laissent ainsi au professionnel l’opportunité d’apporter la preuve du caractère non-abusif de la stipulation considérée). Au-delà de ces listes, la Cour de cassation a reconnu au juge, dès 1989, le pouvoir de déclarer abusive une clause sur le fondement des critères édictés par la loi (Civ. 1re, 6 décembre 1989, n°88-16.727 ; 14 mai 1991, n°89- 20.999) et le juge est d’ailleurs tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause (CJCE, 4 juin 2009 ; v. égal. : Civ. 1re, 29 mars 2017, n°15-27.231). L’appréciation du déséquilibre significatif se fait in concreto c’est-à-dire au moment de la conclusion du contrat et en fonction de toutes les circonstances qui l’entourent ainsi qu’en prenant en compte les autres clauses du contrat (al. 2, art. L. 212-1, rédac. Ord. 14 mars 2016). Néanmoins, ce contrôle ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible (pour une application récente : Civ. 1re, 20 février 2019, n°17-31.065). Pour assurer une unité d’interprétation, la Cour de cassation s’est réservée de contrôler la qualification de clause abusive (Civ. 1re, 26 mai 1993, n°92-16.327 ; 10 avril 1996, n°94-14.918 ; 7 juillet 1998, n°96-17.279 ; 14 novembre 2006, n°04-15.646). ii. Sanctions des clauses abusives Il en existe deux : une individuelle, l’autre collective. La sanction individuelle est prévue par l’article L. 241-1 du Code de la consommation (art. L. 132-1 ancien) qui décide que les clauses abusives sont réputées non écrites. Il faut relever que le Code de la consommation prévoyait, dès l’origine, que « le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses ». Or, cette disposition déroge aujourd’hui au droit commun des contrats qui semble, au regard de l’article 1184, alinéa 2, ne jamais admettre l’anéantissement du contrat dans son ensemble, lorsque la sanction retenue est celle du « rép

Use Quizgecko on...
Browser
Browser