Explication Linéaire - Manon Lescaut (1731)

Summary

This document provides an analysis of a passage from Abbé Prévost's *Manon Lescaut*, focusing on the initial encounter between the protagonists, highlighting the themes of love, fate, and societal expectations.

Full Transcript

**Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge jusqu'au XXI^e^ siècle.** **Abbé Prévost, *Manon Lescaut*, Première partie, 1731. La rencontre.** **[Explication linéaire, extrait 1 : *« J\'avais marqué le temps de mon départ... ses malheurs et les miens. »*]** **[I- Introduction :]** **1) Le...

**Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge jusqu'au XXI^e^ siècle.** **Abbé Prévost, *Manon Lescaut*, Première partie, 1731. La rencontre.** **[Explication linéaire, extrait 1 : *« J\'avais marqué le temps de mon départ... ses malheurs et les miens. »*]** **[I- Introduction :]** **1) Lecture fluide et expressive de l'extrait : 2mn, 2pts. (Avant ou pendant l'introduction)** **2) Situation du passage, formulation du projet de lecture et présentation de la composition du texte : mise à jour de sa structure, de son plan qui sera aussi le plan de l'étude linéaire.** L'abbé Prévost a mené une existence mouvementée : aventurier, voyageur, soldat et finalement homme d'Église. Il s'inspire de sa vie pour écrire une œuvre gigantesque, intitulée *Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde*. Mais c'est le tome 7 de cette œuvre, *Manon Lescaut*, (dont le titre original est *Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut*), publié en 1731, qui va permettre à Prévost de passer à la postérité. Il s'agit d'un récit enchâssé, raconté rétrospectivement par le chevalier Des Grieux. Ce jeune homme de bonne famille était destiné à une carrière religieuse, mais il laisse tout tomber pour suivre Manon Lescaut, une belle jeune femme, dont il tombe follement amoureux et qui l'entraînera irrésistiblement vers sa déchéance. Le passage objet de notre étude relate un topos de la littérature : la rencontre amoureuse entre les deux protagonistes, un « coup de foudre » que le chevalier raconte ainsi que ses conséquences tragiques sur sa vie. [Problématique] : Il serait intéressant de se demander : Comment cette scène superpose-t-elle deux regards, celui d'un jeune homme émerveillé et celui, plus lucide, d'un homme expérimenté ? [Plan] : On perçoit dans ce texte trois mouvements : tout d'abord, I - L'annonce d'une passion fatale : l. 1 à 8. II - Le coup de foudre : l. 8 à 12. III - Le dialogue entre les personnages qui laisse présager la fin tragique : l. 13 à 20. **[Explication linéaire :]** **[I - L'annonce d'une passion fatale : l. 1 à 8.]** Ce passage met en scène la rencontre de Manon et de Des Grieux, rencontre qui va bouleverser la vie du chevalier. - Les deux premières phrases placent d'emblée la rencontre sous le signe de la tragédie : le jour *« marqué »* devait ramener Des Grieux à son père et à la vie bien casée à laquelle il était destiné. Mais, au moyen de l'interjection *« hélas »* et le conditionnel passé « aurait porté », exprimant l'irréel du passé, Des Grieux montre le coup du sort fatal qui va causer sa perte. La reprise du verbe *« marquer »* dans la 2^e^ phrase ainsi que les phrases exclamatives montrent le regret du chevalier âgé devant sa faute et son aveuglement passés. - *« J'aurais porté chez mon père toute mon innocence »* : Dès le début et tout le long du texte, Des Grieux va insister sur son inexpérience et sur la pureté de sa vie antérieure et de ses intentions, pour se trouver des excuses et faire sa propre apologie[^1^](#fn1){#fnref1.footnote-ref} (éloge et justification). - *« La veille même »* : À nouveau, et au moyen d'un indicateur temporel, Des Grieux insiste sur cette date fatidique qui va bousculer sa vie. Pour montrer l'effet de choc que va produire cette rencontre, il commence par mettre en évidence son caractère fortuit : *« étant à me promener avec mon ami », « nous le suivîmes », « Nous n\'avions pas d\'autre motif que la curiosité ».* Il montre ainsi sa propre vulnérabilité. - Le passage au passé simple dans les verbes qui décrivent l'arrivée du coche montre un événement déterminant, de 1^er^ plan : l'entrée en scène de Manon. - Au moyen du connecteur d'opposition *« Mais »,* Manon se détache, dès le départ, de toutes les autres femmes : elles *« se retirèrent aussitôt »*, alors qu'il *« en resta une », « seule ».* Manon est désignée comme unique, d'où le poids de la fatalité. Déjà, on la trouve en compagnie d'un homme qui *« s'empressait »* autour d'elle. Cela annonce son attitude avec les hommes, son ascendant sur eux et sa tendance à se « servir » d'eux. **[II - Le coup de foudre : l. 8 à 12.]** Ce mouvement montre l'effet immédiat que cette rencontre a sur Des Grieux. - *« Elle me parut si charmante » :* l'adjectif peut se lire de deux façons : jolie, bien sûr, mais surtout, ensorceleuse, en retenant le sens premier du verbe charmer. Manon semble jeter un sort au narrateur. D'ailleurs, les mots *« charmant »* et *« charme »* sont utilisés trois fois dans le passage. - Le portrait de Manon est allusif. Le narrateur déjoue les attentes et ne donne pas de détails précis. Cependant, l'emploi de l'intensif *« si »* donne un caractère hyperbolique à son apparition. En fait, c'est une particularité frappante de cette scène de rencontre amoureuse, qu'à aucun moment, Des Grieux ne s'attache à décrire physiquement Manon. On ne peut la voir qu'à travers notre imagination de lecteur. C'est sans doute l'une des clés qui explique le succès intemporel de cette œuvre. - L'apparition de Manon crée une fracture dans l'existence de Des Grieux : la répétition du pronom *« moi »* le souligne : on dirait qu'il n'arrive pas à le croire, qu'il ne se serait jamais vu sous ce jour-là. C'est une rencontre bouleversante qui constitue la première étape d'un apprentissage amoureux où la femme séductrice mène le jeu alors que le jeune héros, passif, subit le charme. - L'adverbe *« tout d'un coup »* confirme que la rencontre appartient au domaine de l'instant, c'est un coup de foudre, qui passe d'abord par le regard. - On peut noter la longueur et le rythme ascendant de la phrase qui permet de décrire la métamorphose du jeune homme candide en amant passionné. L'éloge de ses qualités (*« sagesse », « retenue »*), appuyé par l'imparfait *« admirait »* est brusquement balayé par le passé simple *« je me trouvai »* : Des Grieux perd toutes les qualités qu'admiraient en lui les honnêtes gens dès le moment où son regard tombe sur Manon. On passe du vocabulaire de la timidité (*« excessivement timide », « facile à déconcerter »*), au vocabulaire de la passion : *« enflammé », « transport », « maîtresse de mon cœur »,* et plus loin, *« amour »* et *« désir »*. Sa timidité considérée comme *« défaut »* et *« faiblesse »* disparaît et il devient entreprenant : *« je m'avançai ».* - L'inexpérience sentimentale de Des Grieux est vaincue par la fatalité de la passion. Le jeune homme ne se pose aucune question, ne cherche pas à déterminer qui est Manon, ni à en savoir plus sur sa personnalité, il affirme l'aimer et la nomme *« maîtresse de son cœur »*. L'allitération douce en \[m\] dans la phrase « je m\'avançai vers la maîtresse de mon cœur » montre déjà l\'amour de des Grieux. - Le chevalier âgé, narrateur, avec son vocabulaire précieux (la périphrase : *« maîtresse de mon cœur »,* la métaphore : *« enflammé »*), jette un regard émerveillé et ironique sur le noble héros qu'il était et qui, dans un élan chevaleresque, tombe naïvement dans le piège. **[III - Le dialogue entre les personnages : l. 13 à 20.]** La communication entre les personnages passe par le regard mais aussi par la parole. - Tout ce passage est un discours narrativisé ou indirect et nous notons les verbes de paroles : *« demandai »,* *« répondit ».* - Une nouvelle indication sur Manon : *« encore moins âgée que moi ».* Mais malgré sa jeunesse, elle apparaît tout de suite plus expérimentée que le naïf chevalier : *« elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée »,* et plus loin, il affirme : *« car elle était bien plus expérimentée que moi ».* Elle est présentée comme une femme habile : *« Elle me répondit ingénument ».* Elle mesure déjà tout ce qu'elle pourra obtenir de ce jeune homme. Cet adverbe reflète le regard ironique du narrateur adulte. - Des Grieux est métamorphosé : *« L'amour me rendait déjà si éclairé ».* Cet amour le fait basculer subitement (« *déjà* ») de jeune adolescent en adulte passionné et sensuel (« *désirs* »). Cet élan incontrôlable le rend de plus en plus assuré et loquace : *« Je lui parlai d\'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments ».* L'hyperbole *« coup mortel »* montre sa capacité nouvelle à voir cette entrave dangereuse à son amour et à s'engager dans sa passion avec détermination. - *« C\'était malgré elle qu\'on l\'envoyait au couvent »* : La personnalité sulfureuse de Manon, qui se précisera dans les scènes ultérieures du roman, est ici suggérée. En effet, elle est envoyée par ses parents dans un couvent *« pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré »*. Autrement dit, le narrateur brosse d'elle un portrait de libertine qui fait la honte de sa famille, mais aussi celui d'une femme incapable de résister à ses penchants pour la sensualité et le désir. - La dernière phrase, à travers le regard du narrateur adulte, constitue une prolepse : le *« penchant au plaisir »* de Manon est annoncé comme la cause des *« malheurs »* qui suivront. Cette anticipation permet d'attiser la curiosité du lecteur. Elle annonce de prime abord l'issue terrible de cette histoire d'amour, donnant ainsi une dimension tragique au texte et rendant les événements à venir plus poignants. **[Conclusion] :** En conclusion, il s'agit d'une scène de rencontre amoureuse, véritable topos littéraire. Elle nous présente Manon, une femme au charme exceptionnel, mais aussi une libertine au passé trouble, ainsi que le coup de foudre qui frappe Des Grieux, un preux chevalier inexpérimenté. Mais l'intérêt de cette scène est qu'elle mêle le regard du jeune homme amoureux, charmé par Manon et qui exprime son ravissement et celui d'un narrateur mûri par l'expérience douloureuse de la passion. Ce récit du premier souvenir est placé tout entier sous l'éclairage des suites fatales de l'aventure. ([Ouverture]) En effet, la suite du roman nous révélera les trahisons répétées de Manon et la descente aux enfers de Des Grieux. ([Autre ouverture possible] : Ce texte nous fait penser au *Carmen* de Mérimée, et dans lequel un officier tombe amoureux de la gitane frivole Carmen qui va l'entraîner vers sa perte.) **[Questions de grammaire]** a. *« Nous n\'avions pas d\'autre motif que la curiosité. »* - Étudiez la négation puis mettez la phrase à la forme affirmative. - **Analyse :** Il s'agit d'une négation restrictive (ou une restriction) qui contient les adverbes « ne » et « que ». C'est une négation d'un genre particulier, puisqu'elle affirme plus qu'elle ne nie. Elle affirme l'idée importante et nie le reste. Elle porte sur le verbe « avions ». Elle est aussi particulière parce qu'elle comporte l'adverbe « pas » qu'on ne trouve généralement pas avec le « que ». - **Manipulation :** A la forme affirmative, la phrase devient « Nous avions un seul motif, la curiosité ». - **Explication :** Les adverbes « ne », « pas » et « que » disparaissent et sont remplacés par l'adjectif « seul » qui exprime la restriction dans une phrase affirmative. b. *« un homme d\'un âge avancé \[...\] s\'empressait pour faire tirer son équipage ».* - Relevez dans cette phrase une expression du but. Transformez-la en une PSC de même sens. - L'expression de but est : « pour faire tirer son équipage ». - Si je transforme cette phrase en une PSC, elle devient : « pour qu'il fasse tirer son équipage ». - Cette PSC est complément circonstanciel de but et j'ai conjugué le verbe « faire » au subjonctif, après « pour que ». c. *« moi, qui n\'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d\'attention ».* - Étudiez la négation puis mettez la phrase à la forme affirmative. - **Analyse :** Cette phrase comporte deux négations coordonnées. Il s'agit de deux négations partielles, la première porte sur le verbe « avais pensé » et est exprimée par les adverbes « ne » et « jamais », la 2^e^ porte sur le participe passé « regardé » et est coordonnée à la 1^re^ par la conjonction « ni ». - **Manipulation :** À la forme affirmative elle devient : Moi, qui avais **[toujours]** pensé à la différence des sexes **[et]** **[toujours]** regardé une fille avec un peu d'attention. d. *« Quoiqu\'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. »* - Étudiez la subordination. - - - e. *« Je lui demandai ce qui l\'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. »* - Étudiez l'interrogation et proposez une manipulation que vous expliquerez. - **Analyse :** Il s'agit de deux interrogations indirectes introduite par le verbe de parole exprimant l'interrogation : « demandais », et on note l'absence de point d'interrogation. - La 1^re^ interrogation : *«* *ce qui l\'amenait à Amiens »* est une interrogation partielle à laquelle on ne peut répondre par oui ou non, mais par un élément de phrase, nouveau. -  La 2^e^ : *«* *si elle y avait quelques personnes de connaissance »* est une interrogation totale, qui requiert comme réponse : oui ou non, et qui est introduite par l'adverbe interrogatif « si ». - **Manipulation** **:** On peut transformer cette phrase en une interrogation directe : - Je lui ai demandé : « Qu'est-ce qui vous amène à Amiens ? Y avez-vous quelques personnes de connaissance ? » - **Explication** **:** J'ai détaché le verbe de parole « Je lui demandai » du discours direct et j'ai ajouté deux points et des guillemets. J'ai remplacé le pronom interrogatif « ce qui » par la locution interrogative « qu'est-ce qui » et l'adverbe « si » par l'inversion du sujet. J'ai ajouté des points d'interrogation. f. *« L\'amour me rendait déjà si éclairé \[...\] que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. »* - Étudiez la subordination. - **Analyse :** « si... que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs ». N : PSC introduite par la locution conjonctive « si... que ». F : Complément circonstanciel de conséquence du verbe « me rendait ». - **Manipulation :** Je propose d'exprimer la cause dans la PSC et l'idée de conséquence dans la principale : **-** Je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs parce que l'amour me rendait très éclairé. - **Explication :** J'ai supprimé la locution « si... que » et ajouté à la principale la locution de cause « parce que ». ::: {.section.footnotes} ------------------------------------------------------------------------ 1. ::: {#fn1} Discours, écrit visant à défendre, à justifier *et par extension* à louer une personne, une doctrine.[↩](#fnref1){.footnote-back} ::: :::

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