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LIVRE I LE DROIT COMMUN DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES Le droit commun des sociétés commerciales est le droit qui, en principe, s'applique, sauf dispositions contraires, à toutes les sociétés. C'est le droit commun des sociétés, pas seulement commerciales, mais aussi civiles. Pour l'essentiel, ce droit...

LIVRE I LE DROIT COMMUN DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES Le droit commun des sociétés commerciales est le droit qui, en principe, s'applique, sauf dispositions contraires, à toutes les sociétés. C'est le droit commun des sociétés, pas seulement commerciales, mais aussi civiles. Pour l'essentiel, ce droit commun figure aux articles 1832 et suivants du Code civil. Les sociétés naissent, vivent, et meurent. PARTIE 1 – LA CONSTITUTION DES SOCIÉTÉS ﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏ À l'origine d'une société, il faut un acte juridique, qui est en général un contrat. La société ne se résume pas à l'existence de cet acte juridique. En général, cet acte juridique donne naissance à une personne morale. ﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏﹏ TITRE 1 – L'ACTE JURIDIQUE À L'ORIGINE DE LA SOCIÉTÉ L'acte juridique est une manifestation de volonté avec pour but d'obtenir certains effets de droit. S'agissant d'une société, l'acte juridique qui en est à l'origine va présenter certaines caractéristiques. CHAPITRE 1 – ÉLÉMENTS CARACTÉRISTIQUES DE L'ACTE JURIDIQUE L'article 1832 du Code civil prévoient ces caractéristiques pour l'essentiel. On va exiger qu'il y ait : deux ou plusieurs personnes à l'origine de cette société ; des apports ; une participation aux résultats ; et l'affectio societatis (jurisprudence) SECTION 1 – L'EXISTENCE D'UNE PLURALITE D'ASSOCIES Vision classique, principe : Il faut deux associés au moins pour qu'il y ait un contrat de société. Exception : Depuis 1985, néanmoins, on peut avoir une société unipersonnelle, l'EURL, et aujourd'hui la SASU, et des sociétés européennes qui peuvent être unipersonnelles à certaines conditions. À l'origine de ces sociétés, il y aura un acte juridique unilatéral, fait par un seul associé. Lorsque l'on est face à un contrat à qualifier qui n'est pas expressément qualifié de contrat société, il faudra nécessairement au moins avoir deux personnes pour le qualifier de contrat de société. SECTION 2 – L'APPORT L'apport peut prendre différentes formes. Aujourd'hui, cet apport présente un caractère essentiel. I. Typologie des apports Les apports sont listés à l'article 1843-3 du Code civil. On trouve trois catégories d'apports : Les apports en numéraire ; Les apports en nature ; Les apports en industrie A) Les apports en numéraire L'apport en numéraire est le plus fréquemment effectué. Il s'agit de l'apport d'une somme d'argent à la société. On parle de souscriptions à des actions et de libération des actions (ou parts sociales). Lorsque l'on souscrit à des actions ou des parts sociales, on s'engage à faire un apport, donc à verser une somme à la société. La libération, c'est pour parler du moment du versement effectif de la somme à la société. Dans certaines sociétés, il y a une obligation de libérer une fraction au moins de l'apport au moment où l'on décide de le réaliser (ex : SARL où au moins 20% de l'apport doit être réalisé dès la souscription ; dans les SA ou SAS, c'est 50%). La loi cantonne la durée maximum de libération des apports à 5 ans, quel que soit le type de société. Lorsque la libération de l'apport n'est pas encadrée (sociétés à risque illimité), il n'y a pas de délai. En pratique, dans l'immense majorité des cas, les apports sont libérés intégralement instantanément. Quelle que soit la société, l'associé qui ne verserait pas le montant de l'apport aux moments exigés sera tenu immédiatement des intérêts de retard, soit les intérêts légaux, soit ceux prévus par les statuts (article 1843-3 Cciv). Il est également prévu qu'ils engageraient leur responsabilité pour tout préjudice qui pourrait en résulter pour la société. Il faut distinguer l'apport de l'avance en compte courant. L'avance en compte courant est un prêt réalisé par l'associé au profit de la société. Ce sont des sommes remises par l'associé à la société ou laissées à la disposition de la société par l'associé, alors que celui-ci pourrait les percevoir immédiatement. Cela s'analyse juridiquement comme un prêt. La somme doit être restituée. On n'augmente pas sa part dans le capital social mais on devient créancier de la société. Prls modalités variables de cette avance : avance avec intérêts, avance sans intérêt, à titre gratuit... L'avance peut être bloquée : l'associé s'engage à ne pas demander la restitution du prêt avant une certaine durée, l'expiration d'une période de blocage. S'il n'y a pas de période de blocage, l'associé peut demander le remboursement à tout instant, sans respecter de délai. (Ccass 10 mai 2011). B) Les apports en nature Apport d'un bien autre qu'une somme d'argent, qui peut être un bien meuble, immeuble, corporel, ou incorporel. On peut apporter tout type de bien matériel ou immatériel, comme des brevets. Trois différents types d'apports en nature existent : ✱ Les apports en nature en pleine propriété : on transfère à la société la propriété du bien contre des droits sociaux dans la société, pas un prix (ressemble à une vente mais pas une vente) L'article 1843-3 du Code civil dit que l'apporteur en nature en pleine propriété est tenu garant, comme un vendeur envers son acheteur. L'apporteur, comme un vendeur, va être tenu au regard du bien qui est apporté, de la garantie des vices cachés, de la garantie d'éviction. Il va donc aussi être obligé d'assurer une jouissance paisible pour la société, relativement à ce bien qu'il lui apporte. Il y a un risque de surévaluation avec ces apports. L'apport est ce qui participe à la constitution du capital social de la société, qui est la somme globale des apports, qui va figurer sur tous les documents de la société, ce qui va donner une indication aux tiers sur la santé de la société. Il y a un risque que les apports en nature soient surévalués, et donc que l'image de la société vis-à-vis des tiers le soit aussi. Pour cette raison, dans certaines sociétés, particulièrement celles où le risque des associés est limité, les apports en nature font l'objet d'une procédure particulière pour obliger les associés à avoir recours à un tiers (commissaire aux apports). ✱ Les apports en nature en jouissance : on ne transfère pas la propriété du bien à la société, mais seulement la possibilité de l’utiliser. Cela ressemble à une opé. de bail. Le propriétaire du bien a donc vocation à le récupérer. La valeur sera celle d'une location sur une durée déterminée du bien en question. De plus, si la société a suffisamment d'argent pour répartir un boni de liquidation à ses associés et restituer aux associés leurs apports, on va pouvoir en plus restituer à l'associé la valorisation que représente la mise à disposition du bien pendant toutes les années où la société aura pu l'utiliser. C'est un apport qui est très peu utilisé en pratique, notamment car c'est difficile à évaluer. ✱ Les apports en nature en usufruit ou en nue-propriété : ce sont les démembrements de propriété. On a recours à cela notamment dans des montages de transmission à des héritiers de droits sociaux, en vue notamment de faire des économies d'impôts. C) Les apports en industrie L'industrie, c'est la force de travail, le talent, le savoir-faire (know-how). Ce sont les prestations de service qui vont être apportées à la société. Cela ressemble à un contrat d'entreprise, même à un contrat de travail, sauf qu'il n'y a ni prix, ni salaire, ni lien de subordination. C'est toujours en échange de droits sociaux. C'est un apport que l'on rencontre fréquemment dans les sociétés civiles professionnelles, ou d'exercice libéral professionnel. Souvent, tous les associés travaillent dans la société et réalisent un apport en industrie. Dans les autres sociétés, c'est plus rare. Le conseil juridique qui est souvent donné est d’éviter ce type d’apport, car trop compliqué et peu encadré par la loi. En plus, l'apporteur en industrie va être dans une situation généralement peu favorable par rapport aux autres associés, (« le mal aimé des apports ») pour plusieurs raisons : ✱ Apport à exécution successive, en principe. On va régulièrement travailler pour la société dans le cadre de cet apport en industrie. Le jour où on ne peut plus travailler, il y a un risque de perdre le droit aux bénéfices, et, au bout d'un moment, que l'on annule les parts ou actions dont on est titulaire. Il n'y a pas de précisions légales là-dessus : tout est dans les statuts, ce qui représente un risque. ✱ participation aux résultats des associés (art. 1844-1 Cciv). Normalement, tous les associés participent aux résultats, notamment aux bénéfices, y compris l'apporteur en industrie. Mais cet article prévoit que si les statuts n'ont rien prévu, l'apporteur en industrie participe aux résultats, et notamment aux bénéfices, donc reçoit les dividendes, dans la même proportion que celui des associés qui a le moins apporté. ✱ La contribution aux pertes des apporteurs en industrie (doctrine indécise). Pour certains auteurs, l'apporteur en industrie contribue aux pertes lorsque l'on ne lui distribue pas de bénéfices, parce qu'il a travaillé, mais ne reçoit pas de dividendes. C'est confondre contribution aux pertes et participation aux bénéfices. Tous les associés, lorsque la société ne peut pas distribuer les bénéfices ne reçoivent pas de bénéfices, mais ce n'est pas contribuer aux pertes. Contribuer aux pertes, c'est perdre une partie de son apport. Or, l'apporteur en industrie, lui, quand il ne reçoit pas d'argent parce qu'il n'y a pas de participation aux bénéfices, ne perd pas pour autant son apport. L'apporteur en industrie est mal loti pour la contribution aux pertes : à la fin de la société, il ne reçoit pas l'équivalent de ce qu'il a apporté, contrairement aux autres associés. On ne fera pas la somme de la valorisation de tout ce qu'il a fait durant toute la vie de la société pour lui restituer l'équivalent en valeur. On peut donc se dire que l'apporteur en industrie, lui, de toute façon, contribue de façon absolue aux pertes, puisque l'on ne va pas lui restituer son apport. ✱ Dans les So à risque illimité : comment l'apporteur en industrie va être tenu des dettes. Les créanciers vont-ils pouvoir lui réclamer autant qu'aux autres associés ? On va se reposer sur l'article 1844-1 du Code civil, qui sera cette fois plus favorable à l'apporteur en industrie, puisqu'il sera tenu des dettes dans la même proportion que celui qui a le moins apporté, sauf clause contraire des statuts. ✱ Obligation de non-concurrence : obligation d'exclusivité et une obligation de non-concurrence. L'apporteur doit consacrer son activité uniquement à la société, et pas la concurrencer (art. 1843-3 Cciv). Les autres associés ne sont pas dans cette situation. (Dans une SARL, comm. 19 mars 2013) ✱ les parts ou les actions d'industrie ne sont pas cessibles. ✱ À la dissolution de la société, l'apporteur en industrie ne récupère pas le montant de son apport :² la valorisation des prestations effectuées au profit de la société. Ces raisons expliquent pourquoi l'apport en industrie est peu utilisé en dehors des sociétés dont l'objet est de réaliser en commun une activité, généralement libérale. II. Le caractère essentiel de l'apport A) Le principe Ce caractère essentiel de l'apport, en principe, tient à plusieurs raisons. 1) L'apport comme principale obligation de l'associé Tout associé, quelle que soit la forme de société, doit effectuer un apport. Art. 1832 Cciv. S'il n'y avait pas d'apport, ou s'il y avait un apport fictif (ex : brevet périmé), en principe, la société est nulle, en application de l'article 1844-10 du Code civil, ou, pour les sociétés commerciales, de l'article L235-1 du Code de commerce. C'est à distinguer de l'hypothèse où une somme d'argent a voulu être apportée, mais avec une libération de l'apport au mauvais moment, auquel cas ce sont des dommages-intérêts qui seront exigés. C'est ce qui a été énoncé à propos d'un apport à une SCI dans un arrêt de la chambre commerciale du 10 février 2015. L'apport est donc une obligation essentielle de l'associé, parce que c'est ce qui le rend partie au contrat de société. D'ailleurs, l'apport est vu comme l'obligation de l'associé dans le contrat de société. Il faut voir que l'associé, en réalité, s'engage envers les autres associés à apporter un bien à la société, qui est devenue une personne morale. Donc le bénéficiaire ultime de l'apport, c'est la société. La contrepartie de l'apport va être versée directement par la société à l'associé. Cette obligation d'apport s'inscrit donc aussi dans la relation entre la société et associé, et donc fait partie d'un « contrat d'apport » entre la société et l'associé. Il y a donc un contrat de société entre les associés, et un contrat d'apport, qui lie les associés à la société. 2) L'apport comme élément de formation du capital de la société a) Notion de capital social Le capital social est la somme des apports effectués par les associés, à l'exception de l'apport en industrie, qui ne contribue pas à la formation du capital social, car pas suffisamment fiable et valorisable pour figurer dans le capital social. Le capital social est donc la somme des apports en numéraire et en nature. Cela peut sembler étranger de considérer que le capital social fait partie du passif dans un bilan mais les apports représentent une dette de la société, car au moment de sa dissolution, la société devra restituer, si elle le peut, les apports des associés. C'est donc une dette de la société envers les associés. Dans le passif interne, on trouve aussi les réserves, ou encore la prime d'émission ou le résultat d'exercice. On les appelle les capitaux propres, définis à l'article L123-13 du Code de commerce. b) Le rôle du capital social On dit que le capital social est le gage des créanciers (protection pour les créanciers) ; à nuancer. Quand on dit que c'est le gage des créanciers, on a l'impression que ce capital social est un bien que les créanciers pourraient saisir s'ils n'étaient pas payés par la société : ce n'est absolument pas le cas. Le capital social montre combien les associés ont investis dans la société, cela lui donne une crédibilité. Mais ce n'est pas une somme que les créanciers pourraient saisir (ex : apport en nature détruit) 3) L'apport comme clé de répartition des parts sociales et des actions En contrepartie de son apport, l'associé va recevoir des droits sociaux (parts sociales ou actions) que la société va émettre ‘émission d'actions ou de parts sociales). Cette émission matérialise la part du capital social détenue par l'associé qui a fait son apport. On va donc lui attribuer un nombre de parts sociales ou d'actions qui va être proportionnel au montant de l'apport réalisé. Le nombre de parts sociales ou d'actions reçues dépend d'un choix fait dans les statuts : le choix de la valeur d'une part sociale ou d'une action. On l'appelle la valeur nominale d'une part ou d'une action. La valeur nominale = capital social / nombre d'actions, mais elle est choisie dans les statuts. Par exemple, si la part sociale a été déterminée comme valant 1€ et que l'on apporte 1000€ au capital social, alors on aura 1000 parts sociales de 1€. Cela a une incidence sur le nombre d'associés potentiels de la société. Chaque part sociale peut être vendue séparément. Donc si peu de parts sociales ont été émises car la valeur nominale d'une part sociale est importante, alors il y aura peu d'associés. Plus la valeur nominale est élevée, moins la part sociale est liquide. (Intéressant si on veut un fort Intuitu personae dans la société) 4) L'apport comme clé de répartition des bénéfices, des pertes et des droits de vote Dans toute société, on participe aux résultats à proportion de la part détenue dans le capital social, déterminé par l’apport dans la société. Dans les sociétés à risque illimité, ce rôle de l'apport est moins important, car généralement le vote se fait à l'unanimité avec 1 associé = 1 voix, peu importe le nombre de parts détenues. Mais souvent, dans les sociétés à risque limitée, plus un associé a fait d'apports à la société, plus il a de poids dans la société, et donc plus le vote compte. Donc l'apport est une clé de répartition des votes, et donc du pouvoir au sein de la société, dans les sociétés à risque limité. B) Les limites au principe On constate depuis un qlqs années une remise en cause de l'exigence d'un capital social minimum. Auparavant, dans toutes les SoRL, on considérait que l'apport était très important, car cela permettait de mettre des fonds à disposition de la société, ce qui protégeait les créanciers. Mais aujourd'hui, pour favoriser la création d'entreprises, le législateur a de plus en plus allégé les exigences de capital minimum. Avant, il fallait apporter au minimum 7500€ dans une SARL, cela a disparu depuis 2001. Pour les SAS, l'exigence de capital minimum a disparu en 2008. Aujourd'hui, il reste les SA qui ont un capital social minimum de 37000€. Il faut bien voir que dans toute société il y a un capital minimum (parfois 1€), mais il a une telle faible valeur qu’il y a quand même une remise en cause du caractère essentiel de l'apport Mais il faut relativiser cette relativisation. À consulter les journaux d'annonces légales, c'est très rare qu'il y ait des sociétés constituées avec un capital social de 1€, car ce n'est pas crédible. Quand un créancier voit que la société a un capital social très faible, il trouve cela suspect. Donc même si on a le droit de créer une société avec très peu d'apports, on constate dans la pratique que c'est très rare (les associés n’osent pas) SECTION 3 – LA PARTICIPATION AUX RESULTATS DE L'EXPLOITATION Art. 1832 Cciv et précisé à l'art. 1844-1 Cciv I. Le droit aux bénéfices et aux économies Quand les résultats sont bons, on participe aux bénéfices, et éventuellement aux économies (évolution loi 4 jnv 1978, et reste une exception notamment dans les sociétés civiles de moyens). Dans la majorité des sociétés, c'est véritablement une participation aux bénéfices pour les associés. Cela fait partie de l'élément caractéristique de la société : on fait partie de la société car on veut participer aux bénéfices. On devrait considérer qu'on ne sait si la société a fait des bénéfices ou non qu'à sa dissolution. Mais les associés ont besoin plus périodiquement d'argent, on a donc recours à la fiction du bénéfice de l'exercice. La vie d'une société est séquencée en exercices, expression que l'on utilise pour viser une période de temps qui va servir de référence pour établir le bilan de la société, en général 1 an du 1er janvier au 31 décembre. À la fin de chaque exerce, on fait un bilan, et on regarde s'il y a des bénéfices ou des pertes. Et s'il y a des bénéfices, on peut, à certaines conditions, les distribuer, et les associés vont percevoir des dividendes. Cette participation aux résultats et aux bénéfices peut aussi prendre la forme d'une distribution de réserves, ou encore d'un boni de liquidation, ultime bénéfice que l'on reçoit à la dissolution de la société s'il reste de l'argent dans les caisses. Donc, si tout se passe bien, la participation aux résultats des sociétés passe par un partage des bénéfices. Mais si cela se passe mal, la participation aux résultats est le partage des pertes. II. L'obligation de contribuer aux pertes A) La contribution aux pertes (Article Revue des sociétés 2003 p. 617, Mr Kendérian) Art 1832 al. 3 Cciv, les associés doivent contribuer aux pertes. Plusieurs précisions : ✱ La contribution aux pertes concerne les rapports internes : rapports entre associés, et entre la société et les associés. Cela ne concerne pas les relations avec les tiers, notamment avec les créanciers de la société. Les pertes dont il est question ne sont pas les pertes comptables constatées chaque année : la contribution aux pertes n'a pas lieu chaque année, contrairement à la participation aux bénéfices. Traditionnellement, la contribution aux pertes a lieu à la dissolution de la société. Cette contribution aux pertes intervient quand la dissolution de la société se traduit par une perte des apports (non-restitution de l’apport). Cette créance de l'associé contre la société (créance de restitution de l'apport) n'est donc qu'une créance subordonnée. La restitution des apports n’ayant lieu qu’après avoir payé les créanciers, s’il n’y a pas assez d’argent, la non-restitution des apports matérialise la contribution aux pertes. ✱ Peut-on demander aux associés de contribuer, en cours de vie sociale, aux pertes, notamment par le biais d'appels de fonds ? Dans les sociétés à risque illimité : OUI ; on peut demander aux associés de contribuer aux pertes au-delà de leur apport. Leur contribution aux pertes va au-delà du simple non-remboursement de leur apport, si les statuts le prévoient. Dans les sociétés à risque limité, il existe des hypothèses où cette contribution aux pertes en cours de vie sociale est possible. ✱ La réduction du capital social motivée par des pertes : hypothèse où on impute le capital social du montant de la dette de la société. On diminue le capital social du montant des pertes ce qui diminue la créance de restitution des apports des associés. Finalement, les apports qui seront restitués aux associés seront diminués de cette imputation des pertes sur le capital social. Cela ne remet pas en cause le principe de limitation de responsabilité ; Pourrait-on aller au-delà ? Ccass 13 juin 1978 (c’est possible) : « il peut être dérogé par la convention des parties à la règle seulement supplétive de leur volonté selon laquelle les actionnaires d'une société anonyme ne supportent les pertes qu'à concurrence de leur apport ». Ccass 26 juin 1984 (sur une obligation aux dettes) : on ne peut pas obliger les associés au passif de la société, car cela remettait en cause la limitation de responsabilité. Donc en principe, dans une société à risque limité, on ne peut pas, par une clause des statuts, prévoir que ce n'est plus une société à risque limité. Donc, on ne peut, a priori, pas demander aux associés d'une SARL de contribuer aux pertes en cours de vie sociale plus que leur apport. En revanche, il semble possible de répondre à des appels de fonds qui sont rendus nécessaires pour rémunérer les services que la société rend aux associés et pour permettre à la société d'avoir les financements nécessaires pour réaliser les prestations de service dont les associés bénéficient. Par exemple, soc. 3 déc. 1991, des associés d'une société qui avait pour objet la gestion d'un port de plaisance qui avaient un bateau de plaisance qu'ils voulaient amarrer dans le port devaient verser une somme à la société en contrepartie de cette prestation de service. Ce n'était pas une atteinte à la limitation de la responsabilité. Ce n'est pas vraiment une contribution aux pertes. Encore faut-il que cette obligation de redevance ou de cotisation à la charge des associés soit prévue dans les statuts, sinon on ne pourrait pas demander aux associés de répondre à ces appels de fonds. Un arrêt de la chambre commerciale du 18 décembre 2012 l'a affirmé. Ce serait en plus contraire à une autre obligation, l'interdiction d'augmenter les engagements d'un associé sans son consentement, qui figure à l'article 1836 du Code civil. B) Distinction entre contributions aux pertes et obligation aux dettes Il ne faut pas confondre obligation de contribuer aux pertes et obligation aux dettes (article de Monsieur Carcreff à la Gazette du Palais, 1976, I, partie doctrine, p.145). La contribution aux pertes est en principe à la dissolution de la société. C'est dans les rapports internes, et cela concerne toutes les sociétés. L'obligation aux dettes, c'est le contraire. C'est une obligation qui ne vaut que dans les sociétés à risque illimité (sociétés civiles, SNC). En plus, c'est une obligation qui intervient dans les rapports avec les tiers, et non pas internes. C'est une obligation qui engage les associés envers les tiers. Cela signifie que si la société ne paie pas un créancier de la société, le créancier va, à certaines conditions, pouvoir agir contre les associés de la société : c'est l'obligation aux dettes. Il y a des variantes : si c'est une société civile, le créancier va devoir diviser ses recours entre les associés ; si c'est une SNC, l'obligation aux dettes sera solidaire, le créancier va pouvoir agir contre un des associés pour demander le remboursement de la totalité de la dette, à charge pour l'associé ensuite de se retourner contre les autres associés. Comment savoir la part de chacun des associés dans la dette ? On va avoir recours à l'obligation de contribution à la dette. Cette contribution à la dette est calculée de la même façon que l'on calcule la contribution aux pertes. III. La répartition des résultats entre les associés ✱ Comment sont répartis ces résultats auxquels tous les associés doivent participer ? A) Le principe C'est l'article 1844-1 du Code civil qui énonce la règle que la part de chaque associé dans les bénéfices et dans la contribution aux pertes se détermine à proportion de la part dans le capital social. Donc, plus on a fait d'apports, plus on a de parts dans le capital social, plus on va participer aux bénéfices, et plus on va contribuer aux pertes. L'apporteur en industrie est soumis à une règles particulière, parce que comme il ne participe pas au capital social, l'apporteur en industrie participe au résultat dans les proportions identiques à celui des associés qui a le moins apporté, sauf clause statutaire contraire. B) Les exceptions C'est l'article 1844-1 du Code civil qui précise que la répartition en fonction de la part dans le capital social n'est pas d'ordre public. Les statuts peuvent déroger à cette règle. Mais il y a une limite à cette exception : la limite des clauses léonines. On parle de clause léonine à cause de la fable d'Esope reprise par La Fontaine, la fable de la chèvre, de la génisse, de la brebis et du lion. Un cerf est trouvé dans le lac de la chèvre, et ces quatre animaux se demandent comment répartir le corps du cerf entre eux. Dans la fable, le lion procède au partage, et dit que la première part est pour lui car il est Sire, la deuxième car il est le plus fort, la troisième parce qu'il s'appelle lion, et la quatrième parce que si l'un de ces coassociés essaie de la prendre, il va l'étrangler. C'est la part du lion, d'où l'expression clause léonine. En fait, le législateur prohibe que les associés prévoient qu'un associé bénéficie de tous les bénéfices, ou alors qu'un associé soit exonéré de toutes les pertes ; ou encore le fait qu'un associé soit écarté de tous les bénéfices, ou au contraire doive contribuer à l'intégralité des pertes. Ce sont des clauses léonines. En pratique, on ne rencontre pas de telles hypothèses caricaturales. La question s'est posée souvent pour des actes extérieurs à la société, aux statuts, et en particulier des promesses d'achat ou de cessions d'actions. Il faut distinguer plusieurs cas dans lesquels ces situations sont posées. La règle générale, c'est de constater que la Cour de cassation s'est engagée dans des raisonnements extrêmement complexes pour au final considérer en toute hypothèse que les différentes opérations étaient valables et ne contrevenaient pas à l'article 1844-1 du Code civil. ✱ Hypothèse d'une cession de contrôle échelonnée dans le temps. Une cession de contrôle, c'est quand on cède suffisamment de parts ou d'actions pour que la personne qui les achète détienne le contrôle de la société, c'est-à-dire ait au moins 50% des parts ou actions de la société. La cession de contrôle échelonnée dans le temps, c'est quand on ne vend pas toutes les parts sociales ou actions en une seule fois. Il accepte de rester un peu plus longtemps dans la société en détenant une part minoritaire, mais avec la garantie qu'on lui achèterait le reliquat des droits sociaux qui étaient les siens à un prix plancher. La question s'est posée en pratique lorsque celui qui s'était engagé à racheter les parts ou les actions restantes à un prix plancher (promesse d'achat) n'accepte plus de respecter cette promesse. Il refuse de payer le prix des actions ou parts sociales conservées par le vendeur du contrôle de la société, avec un argument tiré de l'article 1844-1 du Code civil pour remettre en cause la promesse d'achat qui avait été volontairement et en toute connaissance de cause consentie. L'argument a porté sur la conformité de ces clauses prévues dans des actes de promesse de cession à la prohibition des clauses léonines prévue à l'article 1844-1. C'était de dire « je me suis engagé à racheter des parts sociales ou des actions à 100€, or, si la valeur de ces parts sociales ou de ces actions a diminué, je vais quand même les acheter à 100€. Donc en fait, celui qui était resté associé pendant un certain temps va éviter cette plus-value, il va être garanti de pouvoir récupérer ces 100€ malgré la baisse. Donc il était exonéré de toute contribution aux pertes, donc c'est une contravention à l'article 1844-1 du Code civil. » Cette affaire a donné lieu à un arrêt Bowater du 20 mai 1986 dans lequel la Cour de cassation a rejeté cette argumentation. Elle a considéré que l'objet d'une telle convention (la promesse de rachat) était la transmission de droits sociaux, et pas d'exonérer l'associé qui était resté dans la société de la contribution aux pertes. Donc la Cour de cassation s'en tient au critère de l'objet, et pas des faits. ✱ Hypothèse des conventions de portage. La convention de portage est la convention par laquelle un porteur accepte, sur demande du donneur d'ordre, de se rendre actionnaire ou associé par acquisition ou souscription de droits sociaux, étant expressément convenu qu'après un certain délai, ces droits sociaux seront transférés à une personne désignée dans la Convention, cette personne étant la bénéficiaire, qui peut aussi être le donneur d'ordre. Cette transmission des actions se fait à un prix fixé dès l'origine. En fait, on a besoin d'un associé supplémentaire, donc on fait appel à un tiers qui accepte de devenir associé pendant un certain temps, étant convenu qu'après expiration de ce délai, cet associé sera certain de pouvoir sortir de la société, car on lui a promis de lui racheter ses droits sociaux. Il y a généralement des promesses croisées : lui-même s'est engagé à revendre ses actions. Le prix fixé dès l'origine est généralement le prix auquel il a acheté les actions + un intérêt pour le service rendu. Dans ce cas-là, est-ce contraire à la prohibition des clauses léonines ? On pourrait dire que oui, puisqu'il est certain de ne pas contribuer aux pertes, puisqu'une somme va lui être assurément payée, somme qui est au minimum ce qu'il a investi, donc pas de pertes. Mais la Cour de cassation a validé ce montage, deux arrêts : 24 mai 1994 et 22 février 2005, appelé arrêt L. La Cour de cassation considère que cette convention de partage montrait que les parties avaient organisé une rétrocession des actions, qui était sans incidence sur la contribution aux pertes et la participation aux bénéfices. C'est encore un recours au critère de l'objet. ✱ Hypothèse des promesses unilatérales de rachat à prix plancher. Il n'y a pas de promesses croisées : une personne seulement s'engage à racheter les actions qu'un tiers a accepté d'acheter ou de souscrire. Ces promesses de rachat à prix plancher interviennent souvent dans des opérations de capital-investissement. Le capital-investissement sont des investissements dans les sociétés, réalisés par des professionnels pour financer des sociétés. Les professionnels qui réalisent ces opérations de capital-investissements veulent généralement une garantie, qui prend la forme d'une promesse de rachat. Les associés acceptent de s'engager à racheter les droits sociaux auxquels la société de capital-investissement a accepté d'acheter ou de souscrire pour que l'investisseur soit sûr de ne rien perdre. Pour la Cour de cassation, c'est valable. Elle l'a affirmé dans un arrêt du 16 novembre 2004, parce que selon elle, l'objet de la convention est d'assurer l'équilibre des conventions conclues entre les parties qui assurait le remboursement de l'investissement au professionnel, investissement auquel il n'aurait pas consenti en l'absence de ces clauses particulières. La clause n'avait donc pour objet que d'organiser la transmission des droits sociaux, et non pas de garantir un associé contre toute contribution aux pertes. La Cour de cassation rajoute d'ailleurs qu'en l'espèce le bénéficiaire de la promesse était avant tout un bailleur de fonds, et donc un investisseur. On a vu naître dans la jurisprudence un autre critère dans un autre arrêt du 22 février 2005, dit arrêt Z : le critère de la fenêtre. Une promesse de rachat à prix plancher semble également valable lorsque l'option pour se faire racheter les actions est encadrée dans une fenêtre. C'est-à-dire qu'on ne peut pas demander le rachat tout de suite, puis on a un délai durant lequel demander le rachat après lequel on ne pourra plus le demander. Dans cet arrêt, la Cour de cassation semble considérer que lorsqu'il y a une fenêtre, on ne rentre pas dans le domaine de la prohibition des clauses léonines, et donc la convention est valable. On peut donc déduire que les promesses de rachat à prix plancher sont valables : si on est un investisseur professionnel ; si une fenêtre existe pendant laquelle on peut lever l'option Un auteur, Monsieur Pietrancosta, dans un article RJDA 2006 n°1 p. 67 trouve cela compliqué, et s'en tient au critère de l'objet : on organise des cessions, des rétrocessions, des promesses de cessions, etc.. On n'est donc pas dans un contrat de société, et donc pas dans le domaine d'application de l'article 1844-1 du Code civil. SECTION 4 – L'AFFECTIO SOCIETATIS Une définition traditionnelle de l'affectio societatis rappelle les termes de l'article 1832 du Code civil. Traditionnellement, l'affectio societatis est défini comme la volonté des associés de collaborer ensemble sur un pied d'égalité au succès d'une entreprise commune. C'est une définition un peu passée de mode. Aujourd'hui, on la remplace par une assimilation de cet affectio sociatatis à l'exigence d'un véritable consentement à devenir associé, et donc pas seulement être un associé fictif, mais à vouloir s'investir dans le fonctionnement de la société. L'affectio societatis joue un rôle dans un certain nombre d'hypothèses : ✱ L'affectio societatis sert à démontrer l'existence d'une société créée de fait, société où les associés n'ont pas eu conscience d'agir comme des associés dans une société. S'ils ont tout fait comme si c'était une société, et donc eu un affectio societatis, on démontre l'existence d'une société. ✱ L'affectio societatis sert aussi à distinguer le contrat de société d'autres contrats. Par exemple, on peut avoir des prêts avec intéressement aux résultats, donc avec un intérêt qui va varier en fonction des résultats de la société. On n'est pas loin de la situation d'un associé qui reçoit des bénéfices en fonction des résultats de la société. Pour distinguer un tel prêt d'un apport, et donc de la qualité d'associé, on a recours à l'affectio societatis. ✱ L'affectio societatis sert pour vérifier si un apport en industrie en est bien un, et pas un contrat de travail dissimulé. ✱ L'absence d'affectio societatis va servir à annuler des sociétés pour fictivité. Des sociétés peuvent être considérées comme fictives quand il n'y a pas d'affectio societatis, auquel cas elles seront nulles. Plus récemment, dans un arrêt du 9 juin 2009, la Cour de cassation a sous-entendu que le contrat de souscription, c'est-à-dire le contrat par lequel une personne montre qu'elle souhaite souscrire à des actions ou des parts sociales dans le cadre d'une augmentation du capital social, peut être annulé pour défaut d'affectio societatis. On va regarder s'il y a réellement une volonté de faire partie de la société ou pas, et s'il n'y a pas cette volonté-là, le contrat de souscription pourra être annulé. Cela semble logique, parce que la souscription à une augmentation de capital est un moyen de devenir partie au contrat de société. Donc cela semble logique qu'on exige également de l'associé le même affectio societatis que lorsque le contrat de société a été conclu. Donc on l'exige au moment de l'augmentation du capital social, tout comme on l'exige au moment où il y a constitution de la société. En revanche, la Cour de cassation a refusé de contrôler la validité d'une cession de droits sociaux au regard de l'affectio societatis dans un arrêt de la chambre commerciale du 11 juin 2013. De même, la Cour de cassation a refusé que la disparition de l'affectio societatis en cours de vie sociale soit une cause autonome de dissolution de la société. Donc l'affectio societatis, on le constate, est, à côté de l'existence d'associés, d'apport, et de participation aux résultats, l'une des caractéristiques de l'acte juridique à l'origine de la société. Mais pour être valable, cet acte juridique doit répondre à certaines conditions.

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