Microéconomie - 1ère année - Sciences Po Rennes - 2024 - (PDF)
Document Details
Uploaded by Deleted User
Sciences Po Rennes
2024
Sciences Po Rennes
Patrick LE FLOCH
Tags
Summary
These lecture notes cover the topic of perfect competition in microeconomics, focusing on the theoretical model and its evolution within the context of the 1st-year program at Sciences Po Rennes, 2024. They discuss the assumptions and their implications, exploring concepts like perfect competition's conditions, market failures, and the role of incentives in economic thought.
Full Transcript
ECONOMIE POLITIQUE DE LA MICROECONOMIE 1ère année – Sciences Po Rennes Septembre-Novembre 2024 Patrick LE FLOCH 1 Partie I – Une approche critique de la microéconomie Chap.1 -...
ECONOMIE POLITIQUE DE LA MICROECONOMIE 1ère année – Sciences Po Rennes Septembre-Novembre 2024 Patrick LE FLOCH 1 Partie I – Une approche critique de la microéconomie Chap.1 - Les origines de la microéconomie Chap.2 - La loi de l’offre et de la demande Chap.3 - Le modèle de concurrence pure et parfaite et ses évolutions 2 Chapitre 3 – Le modèle de concurrence pure et parfaite et ses évolutions 3.1. Les hypothèses du modèle de concurrence pure et parfaite (CPP) 3.2. Les externalités et défaillances de marché 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 3 3.1. Le modèle de CPP 3.1.1. Présentation synthétique des hypothèses 3.1.2. Retour sur les hypothèses 4 3.1.1. Présentation synthétique du modèle Le modèle de CPP est un modèle normatif, et non pas positif. Pour reprendre le vocabulaire de Max Weber, c’est un idéal-type. Le modèle reprend les conditions qui doivent être respectées pour atteindre la meilleure des situations possibles, ce qui est appelé dans la théorie économique un optimum. Il est possible de décomposer le modèle de CPP en deux parties : - d’une part, la concurrence pure, - et de l’autre, la concurrence parfaite. La concurrence pure repose sur trois hypothèses : l’atomicité de l’offre et de la demande (H1), l’homogénéité des produits (H2) et les libres entrées et sorties sur les marchés (H3). La concurrence parfaite introduit deux autres hypothèses : la transparence des marchés (H4) et la mobilité des facteurs de production (H5). 5 3.1. Le modèle de CPP 3.1.1. Présentation synthétique des hypothèses 3.1.2. Retour sur les hypothèses 3.1.3. De la CPP à l’optimum de Pareto 6 3.1.2. Retour sur les hypothèses (1) Les trois hypothèses de la concurrence pure ne sont évidemment que très rarement présentes dans la réalité, tout particulièrement en ce qui concerne les hypothèses H1 et H2. - H1 (atomicité) correspond à des marchés où existent un très grand nombre d’offreurs et de demandeurs, de telle sorte qu’aucun acteur ne puisse influencer l’équilibre. Si la condition d’atomicité n’est pas respectée, il est alors possible que les structures de marché soient concentrées du côté de l’offre (logique de monopole) ou du côté de la demande (logique de monopsone). - H2 (homogénéité) suppose que tous les produits sont substituables et qu’il n’y a donc pas de différenciation entre les biens. Dans les faits, cette condition n’est jamais respectée dans la mesure où les offreurs chercheront à se différencier en qualité, en caractéristiques ou en localisation. Cette différenciation redonne un pouvoir de marché (i.e. la possibilité d’avoir une certaine maîtrise sur ses prix) aux entreprises. (…) 7 3.1.2. Retour sur les hypothèses (2) Les trois hypothèses de la concurrence pure ne sont évidemment que très rarement présentes dans la réalité, tout particulièrement en ce qui concerne les hypothèses H1 et H2. - (…) - H3 (libre entrée) fait référence au dynamisme concurrentiel qui caractérise des entreprises qui peuvent entrer et sortir sans coût pour proposer un produit donné. Si H1 et H2 ne sont pas respectées, H3 ne peut l’être non plus. En effet, des marchés non-concurrentiels et des produits différenciés impliquent des barrières à l’entrée, voire à la sortie, pour les entrants potentiels. (…) 8 3.1.2. Retour sur les hypothèses (3) Remarque : les autorités concurrentielles sont en charge du contrôle du bon fonctionnement des marchés et ont comme objectif de s’assurer que les consommateurs ne sont pas pénalisés par des entreprises en situation de position dominante. Le modèle de CPP reste un modèle normatif. Néanmoins, les autorités peuvent s’y référer, non pas pour s’assurer que la réalité se rapproche de la norme (H1 et H2 sont irréalistes et irréalisables), mais pour favoriser le processus concurrentiel en luttant contre les monopoles et en essayant d’atténuer les barrières à l’entrée. La concurrence parfaite repose, comme nous l’avons vu supra, sur la transparence et la flexibilité. - H4 (transparence) suppose que les agents ont accès gratuitement à l’ensemble des informations. Il est certain que l’accès à l’information n’est pas simple et qu’il est important de faire en sorte de la favoriser. Aux Etats-Unis, la SEC (Securities and Exchange Commission), dont le but est de contrôler les marchés financiers, applique des sanctions lourdes pour les cadres et chefs d’entreprises qui profiteraient d’une information privée pour s’enrichir indûment (délit d’initié). 9 3.1.2. Retour sur les hypothèses (4) - Exemples de l’affaire Enron (https://www.next-finance.net/Enron-ou-l-histoire-d-une- faillite) et de l’affaire Madoff (https://www.easybourse.com/pedagogie/fiche/laffaire- madoff-137). Dans les deux cas, les responsables ont fait de la prison ferme. - H5 (flexibilité) fait référence à la mobilité des facteurs de production d’un territoire à un autre. Cette mobilité est bien évidemment fonction des réglementations nationales ou supranationales. 10 3.1. Le modèle de CPP 3.1.1. Présentation synthétique des hypothèses 3.1.2. Retour sur les hypothèses 3.1.3. De la CPP à l’optimum de Pareto 11 3.1.3. Du modèle de CPP à l’optimum de Pareto (1) Lorsque l’on s’intéresse à un marché quelconque, on tient un raisonnement en équilibre partiel, i.e. que le marché est analysé sans tenir compte des interactions avec le reste de l’économie. La simplicité du modèle de CPP va encourager certains travaux à démontrer que, si les conditions initiales sont respectées, il existe un équilibre d’ensemble supérieur à l’ensemble des autres situations. Dit autrement, la concurrence parfaite est censée atteindre un optimum caractéristique de la maximisation du bien-être général. Vilfredo Pareto (1896, 1909) va énoncer les critères permettant d’atteindre l’optimum éponyme. Ce résultat est atteint lorsque la situation sociale est supérieure à une autre situation si elle est préférée par chacun des membres de la société. Toute situation concurrentielle aboutit donc à un optimum (critère d’efficacité). Eric Monnet (EHESS-Paris School of Economics) (2007) écrit avec raison que « le critère de l’optimalité de Pareto peut justifier des situations totalement inégalitaires : diminuer l’utilité des riches pour augmenter celle des plus pauvres ne satisfait en effet pas ce critère ». 12 3.1.3. Du modèle de CPP à l’optimum de Pareto (2) Mais rien ne garantit que l’on atteigne la meilleure des situations possibles (optimum optimorum). Cet équilibre respecte le critère d’équité. Il n’est atteignable que si une redistribution est mise en place par l’Etat. Cette politique doit se fonder sur la répartition initiale des ressources. Kenneth Arrow et Gérard Debreu (1953) vont démontrer formellement la théorie de l’équilibre général. Il convient de noter que ce travail intellectuellement extraordinaire a d’une certaine façon permis de formaliser la fameuse « main invisible » de Adam Smith. Mais compte tenu des hypothèses nécessaires à la détermination de l’équilibre, sa portée pratique interroge. 13 Chapitre 3 – Le modèle de concurrence et parfaite et ses évolutions 3.1. Les hypothèses du modèle de concurrence pure et parfaite (CPP) 3.2. Les externalités et défaillances de marché 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 14 3.2. Les externalités et défaillances du marché Toute activité individuelle peut avoir des effets sur les autres. Le marché est une procédure d’affectation des ressources qui ne tient pas compte des externalités qui ne sont pas directement supportées par les producteurs par exemple dans le cas d’une pollution (externalités négatives) ou appropriables par le producteur par exemple dans le cas de la production du savoir (externalités positives). En présence d’externalités, la production privée ne sera pas optimale : dans le cas de la pollution, le producteur surproduira le bien polluant car il n’a pas à en supporter le coût ; dans le cas du savoir, la production sera plus faible que celle qui serait socialement souhaitable car le producteur ne tient pas compte des effets positifs de cette activité dont il ne peut directement s’approprier les effets positifs. Cette remarque est à relier à la production de biens collectifs (notion qui sera étudiée infra) qui ne peuvent être fournies optimalement par le marché. Face à ces externalités, des règlementations et des productions non-marchandes sont possibles. Si l’on fait référence à la pollution (et par exemple aux émissions de C02), une combinaison réglementation/marché pourra être mise en place (marché du carbone). 15 Chapitre 3 – Le modèle de concurrence et parfaite et ses évolutions 3.1. Les hypothèses du modèle de concurrence pure et parfaite (CPP) 3.2. Les externalités et défaillances de marché 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 16 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.3.1. Les situations de concurrence imparfaite 3.3.2. La formation des oligopoles/monopoles 3.3.3. La différenciation des produits 3.3.4. Le retour de la « concurrence pure » ? 17 3.3.1. Les situations de concurrence imparfaite (1) Nous avons vu précédemment que les trois hypothèses de la concurrence pure étaient extrêmes et fondamentalement irréalistes. Les travaux en microéconomie se sont alors focalisés sur l’explication des situations de concurrence imparfaite et de leurs conséquences en termes de bien-être. L’atomicité de l’offre n’est évidemment pas d’une très grande utilité lorsque l’on cherche à étudier des structures de marché caractérisées par des situations de monopoles, d’oligopoles, voire de cartels ou de toute autre forme d’ententes entre les entreprises. Il découle de ces situations de concurrence imparfaite un pouvoir de marché de la part des entreprises qui, en fixant un prix de vente leur permettant de maximiser le profit, vont offrir une quantité sous-optimale du bien produit. Il existe une différence entre la demande privée qui sera servie et la demande (privée) sociale qui correspond aux attentes de la population. Voir graphique (…) 18 Monopole et production sous-optimale Le monopole va fixer un tarif supérieur à l’équilibre de concurrence. Il va chercher à maximiser son profit en prélevant le surplus des consommateurs. Graphiquement, il y a un triangle qualifié de perte sèche. Ce triangle correspond à une mesure de la perte de bien-être liée à la hausse du prix, et donc de l’écart entre la production socialement optimale et la production monopolistique. La littérature économique appelle cette perte sèche : triangle de Harberger. 19 3.3.1. Les situations de concurrence imparfaite (2) On pourra aussi avoir des situations de monopole bilatéral : monopole vs. monopsone. Dans ce cas de figure, le pouvoir de marché du monopoleur est réduit. Exemple 1 : une centrale d’achat vs. un groupe de producteurs Exemple 2 : négociations salariales entre une entreprise en situation de monopole et un syndicat monopolistique (une étude empirique récente a montré que le pouvoir des salariés contrebalançait le pouvoir de l’entreprise quand plus des 2/3 des salariés étaient syndiqués) – Dodini, Salvanes & Willén (2021), « The dynamics of power in labor markets : monopolistic unions versus monopsonistic employers », Norwegian School of Economics, Bergen). 20 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.3.1. Les situations de concurrence imparfaite 3.3.2. La formation des oligopoles/monopoles 3.3.3. La différenciation des produits 3.3.4. Le retour de la « concurrence pure » ? 21 3.3.2. La formation des oligopoles et monopoles Les oligopoles et les monopoles s’expliquent par différentes raisons. Nous avons vu supra que la présence de coûts fixes élevés avait pour conséquence qu’il était nécessaire d’atteindre une taille critique qui poussait à la recherche de la grande taille en raison de coûts moyens décroissants avec la quantité produite. Plusieurs activités économiques sont aussi caractérisées par la création d’infrastructures qui conduisent à l’émergence de monopoles (chemins de fer, distribution du gaz et de l’électricité, distribution du courrier… et aujourd’hui, de façon dématérialisée, la distribution des contenus numériques). Dans le registre de la destruction créatrice de Schumpeter, les innovations sont protégées par des brevets qui garantissent de façon temporaire un pouvoir de monopole aux entreprises innovantes. Les monopoles n’ont pas attendu les Révolutions Industrielles pour être observés. Les Etats ont contribué à leur émergence en accordant des concessions, des licences à des entreprises pour gérer une matière première ou le commerce (par exemple sous l’influence de Colbert au XVIIème siècle) 22 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.3.1. Les situations de concurrence imparfaite 3.3.2. La formation des oligopoles/monopoles 3.3.3. La différenciation des produits 3.3.4. Le retour de la « concurrence pure » ? 23 3.3.3. La différenciation des produits (1) Les dangers d’une concurrence par les prix - Harold Hotelling (1929) a montré que, dans le cas d’un duopole, un principe de différenciation minimale des produits allait être observé. Plusieurs cas de duopoles avaient été étudiés par les économistes : Cournot (1838) a montré que, si les entreprises se font concurrence par les quantités, elles peuvent obtenir un résultat supérieur au résultat concurrentiel. Dans le cas d’une concurrence par les prix, Bertrand (1883) explique que le duopole produira un résultat concurrentiel. Dans les faits, la concurrence par les prix est le plus souvent destructrice. Dans les années 60, la concurrence entre les magazines Life et Look les a conduits à réduire leurs prix de vente afin d’augmenter leurs diffusions. Les ventes de ces magazines se faisaient donc à perte. Tant que les recettes publicitaires étaient présentes, on pouvait avoir l’impression que la stratégie était sensée. Mais le développement de la télévision a fini par fragiliser définitivement ces titres qui ont fait faillite au début des années 70. Les guerres de prix ne conduisent pas nécessairement à la faillite, mais réduisent toujours les profits des entreprises (exemple de la guerre des prix sur l’huile d’olive en Italie, 2021) (Les Echos, 15/11/21) 24 (…) 3.3.3. La différenciation des produits (2) Les dangers d’une concurrence par les prix – La différenciation des produits permet d’abaisser la pression concurrentielle – Dans le cas de biens homogènes, le prix tend vers le coût marginal et les taux de marge sont faibles ou nuls. La différenciation redonne un pouvoir de marché aux entreprises. Elle peut s’opérer de deux manières différentes : - la différenciation horizontale est le cas où les produits présentent des caractéristiques différentes. A prix égal, les différents biens trouvent leurs publics. La localisation, les caractéristiques objectives et les caractéristiques subjectives (image de marque) sont des marqueurs de la différenciation horizontale ; - la différenciation verticale correspond au cas où des biens de différentes qualités sont proposés à des prix différents. Si les prix étaient identiques, seuls survivraient les biens de qualité supérieure (Audi vs. Dacia). Mais, en raison des écarts de disponibilités à payer (i.e. les écarts de revenus), ces biens peuvent coexister. 25 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.3.1. Les situations de concurrence imparfaite 3.3.2. La formation des oligopoles/monopoles 3.3.3. La différenciation des produits 3.3.4. Le retour de la « concurrence pure » ? 26 3.3.4. Le retour de la « concurrence pure » ? (1) Nous avons évoqué le fait que Bertrand (1883) avait montré qu’une situation de duopole pouvait produire, sous certaines conditions, un résultat concurrentiel. Comme le modèle de la CPP le montrera aussi plus tard. Cependant, tout le monde reconnaît que la réalité est très éloignée des marchés atomistiques. Et que le résultat de Bertrand apparaissait comme une forme d’incongruité (résultat concurrentiel avec deux firmes). En cherchant à défendre le monopole d’ATT, William Baumol (1982) va, avec ses coauteurs Panzar et Willig, élaborer la théorie des marchés contestables qui vise à généraliser le modèle de CPP en rejetant l’hypothèse d’atomicité des marchés. Leur idée était qu’un monopoleur pouvait être concurrencé par des entrants potentiels qui le disciplineraient. Sans rentrer dans les détails de cette théorie, notons que le résultat concurrentiel impliquait l’absence de coûts irrécupérables (sunk costs). Or, il suffit que des coûts d’entrée et de sortie existent pour empêcher des comportements de « hit-and-run » (entrée et sortie rapides). La concurrence potentielle ne peut dès lors plus « discipliner » le monopoleur. 27 3.3.4. Le retour de la « concurrence pure » ? (2) Notons aussi que cette théorie n’a pas permis de convaincre le régulateur US de ne pas démanteler ATT (1984). J’attire votre attention sur les procédures en cours actuelle- ment en Europe et aux Etats-Unis sur des entreprises telles que Google et Meta (ex- Facebook). Conclusion : pour les néoclassiques, le monopole ne constitue pas per se un problème. Il est acceptable s’il est plus efficace que toute autre structure de marché alternative. Les autorités concurrentielles ont en revanche une vision plus négative des monopoles qu’elles estiment avoir une influence négative sur le pouvoir d’achat de la population. 28 Chapitre 3 – Le modèle de concurrence et parfaite et ses évolutions 3.1. Les hypothèses du modèle de concurrence pure et parfaite (CPP) 3.2. Les externalités et défaillances de marché 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 29 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 3.4.1. L’asymétrie d’information 3.4.2. La théorie des jeux 3.4.3. La théorie des coûts de transaction 30 3.4.1. L’asymétrie d’information (1) Contrairement à H4, l’information n’est pas gratuite et librement disponible à l’ensemble des agents. La concurrence ne peut donc pas être stricto sensu parfaite. L’asymétrie d’information est la situation normale et est au cœur de toutes les relations. Sous un angle économique, plusieurs notions ont été introduites pour analyser cette notion d’asymétrie informationnelle. - La théorie de l’agence (ou relation mandant/mandataire ou relation principal/agent). Elle a été élaborée par George Akerlof (1970), Stephen Ross (1973) et Michael C. Jensen & William H. Meekling (1976). Son fondement repose sur l’idée qu’une personne engageant une autre pour réaliser une tâche en son nom est en asymétrie d’information. Dit autrement, dans le cas où il lui est possible d’observer objectivement la réalisation de l’objectif fixé, il lui est en revanche impossible de savoir si les efforts ont été effectivement faits pour l’atteindre. - Dans le cas où les actionnaires confient le pouvoir à un manager, il n’est pas certain que celui-ci aille nécessairement dans le sens de leurs intérêts. Des schémas incitatifs peuvent alors être mis en place (primes, distribution d’actions…). (…) 31 3.4.1. L’asymétrie de l’information (2) - L’asymétrie d’information est liée au fait qu’un des agents dispose d’une information que l’autre n’a pas. Elle existe aussi car il n’est pas possible d’observer le comportement de l’autre. - On parle de sélection adverse en cas d’asymétrie d’information stricto sensu entre les agents. C’est Akerlof (1970) qui va préciser la notion dans le cas du marché des véhicules d’occasion (« market for lemons »). Succinctement résumée, son idée est que les acheteurs de véhicule d’occasion sont incapables de vérifier la qualité du véhicule proposé. Ils vont donc proposer un prix plutôt faible. Du côté de l’offre, deux types de véhicules sont proposés (qualité ou non). En raison de la faiblesse de la disponibilité à payer, seuls les lemons vont être proposés, car les propriétaires de véhicule de qualité vont se retirer du marché. Conclusion : l’asymétrie d’information implique un résultat sous-optimal. (…) 32 3.4.1. L’asymétrie de l’information (3) Il existe des moyens simples de régler le problème (soit d’avoir des connaissances en mécanique, soit – et c’est sans doute une solution plus structurelle – que le vendeur propose des garanties concernant la qualité du véhicule). - Une autre asymétrie provient de l’incapacité d’une des deux parties à observer le comportement de l’autre. Cette situation est appelée dans la littérature aléa moral. Dans le cas d’une assurance, il n’est pas impossible que le comportement d’un assuré soit modifié par le simple fait d’être assuré. Les contrats d’assurance intègrent l’aléa moral en mettant en place un système de bonus-malus et de franchises. 33 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 3.4.1. L’asymétrie de l’information 3.4.2. La théorie des jeux 3.4.3. La théorie des coûts de transaction 34 3.4.2. La théorie des jeux (1) En 1944, des mathématiciens (Oskar Morgenstern et John von Neumann) vont formaliser les interactions qui existent entre les agents en partant du principe que les individus prennent en compte les comportement des autres. Ce n’est finalement rien d’autre que la formalisation de la logique en œuvre dans la métaphore du « concours de beauté » que Keynes avait mise en avant pour comprendre les interactions sur les marchés financiers. Ce sera le début de la théorie des jeux. Thomas Schelling (1960) appliquera cette théorie dans un cadre polémologique afin d’expliquer les stratégies de conflit appliquées à la dissuasion nucléaire. La théorie des jeux est connue pour son dilemme du prisonnier. C’est Albert Tucker (1950) qui l’énoncera. Son idée est que, dans le cadre d’un jeu en une étape, le résultat ne sera pas optimal. Son argumentaire repose sur le cas de deux individus suspectés de vol. En l’absence de preuves, et s’il était possible que les deux accusés échangent leurs informations, la stratégie optimale serait que chacun des deux accusés ne dise rien. Mais, dans l’incapacité de savoir ce que l’autre peut dire, chacun va finalement dénoncer l’autre, de peur que l’autre le dénonce. Et les deux seront condamnés (Spoil pour ceux qui n’ont pas lu le livre : c’est l’histoire racontée dans le roman de Truman Capote (1966), De sang froid). (Voir le principe expliqué dans le document distribué en conférence n°4) (…) 35 3.4.2. La théorie des jeux (2) Le dilemme du prisonnier est l’expression d’un équilibre non-coopératif. C’est John Nash qui va développer la notion d’équilibre éponyme (un film de Ron Howard (2001), A beautiful mind retrace son histoire). Les équilibres de Nash sont construits dans le cadre de jeux itératifs. L’idée fondamentale est que la main invisible ne permet pas d’atteindre le meilleur des résultats possibles et qu’il est sans doute nécessaire de coopérer ou de s’entendre pour atteindre un résultat qui, s’il n’était pas un optimum parétien, serait à tout le moins un optimum de second best. 36 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 3.4.1. L’asymétrie de l’information 3.4.2. La théorie des jeux 3.4.3. La théorie des coûts de transaction 37 3.4.3. La théorie des coûts de transaction (1) Ronald Coase (1937) a développé la notion de coût de transaction pour expliquer la forme des organisations et l’internalisation/externalisation de certaines activités. Sa question fondamentale tourne autour de l’idée de comprendre pourquoi les contours organisationnels des entreprises sont différents. Il explique que la firme est plus efficace que le marché (i.e. les contrats) lorsque les coûts d’organisation sont inférieurs aux coûts de transaction. Ceux-ci ne sont pas pris en compte dans le cadre du modèle de CPP. L’incertitude et l’asymétrie d’information impliquent des aléas et des problèmes informationnels. Oliver Williamson (1981) s’intéresse à l’organisation hiérarchique d’une entreprise. Sa thèse est qu’il existe toujours des coûts de transaction au moment de la création ou du renouvellement des contrats. La hiérarchie peut alors être supérieure au marché. L’intégration verticale a donc des fondements (exemple de Benetton). La croissance externe est aussi une possibilité (fusions/acquisitions). (…) 38 3.4.3. La théorie des coûts de transaction (2) Cette théorie est une alternative à l’optimalité des marchés. La nouvelle économie institutionnelle (NEI) insiste sur la performance possiblement supérieure des entreprises vis-à-vis du marché. Douglass North est, avec Coase et Williamson, un des fondateur de cette NEI. Selon lui, les coûts de transaction représentaient en 1990 45% du PIB des Etats-Unis. Ces coûts correspondent aux activités suivantes : juristes, banquiers, comptables, chefs d’équipe, managers, politiciens, fonctionnaires. Les travaux de North ont permis de montrer que, si certes la technologie joue un rôle important dans la croissance, cette influence n’est pas exclusive et que les institutions y contribuent aussi fortement. 39 Chapitre 3 – Le modèle de concurrence et parfaite et ses évolutions 3.1. Les hypothèses du modèle de concurrence pure et parfaite (CPP) 3.2. Les externalités et défaillances de marché 3.3. Remise en cause de la concurrence pure 3.4. Remise en cause de la concurrence parfaite 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 40 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 3.5.1. Adam Smith et les contrats incitatifs dans l’agriculture 3.5.2. Chester Barnard et les incitations dans le management 3.5.3. Hume et Wicksell : le problème du passager clandestin 3.5.4. Léon Walras et la réglementation des monopoles naturels 3.5.5. Les incitations dans l’assurance 3.5.6. La discrimination des prix 41 3.5.1. Adam Smith et les contrats incitatifs dans l’agriculture Adam Smith (1776) reconnaît la nature contractuelle des relations entre employeurs et salariés dans la détermination des salaires. Il souligne cependant que le pouvoir de négociation n’est pas distribué de façon homogène entre les différentes parties (« Quels sont les salaires communs du travail, dépend partout du contrat habituellement conclu entre ces deux parties, dont les intérêts ne sont pas les mêmes. Les ouvriers désirent en obtenir le plus, les maîtres en donner le moins possible ». Après l’étude de la période esclavagiste, Smith analyse le développement du métayage. Il constate l’inefficacité du système, mais ne pense pas que celui-ci puisse provenir du manque d’incitation des métayers (« ces métayers, étant des hommes libres, sont capables d'acquérir des biens, et ayant une certaine proportion de la production de la terre, ils ont un intérêt évident que l'ensemble des produits soit aussi grand que possible, afin que leur propre proportion puisse être ainsi »). Il attribue l’inefficacité principalement à un sous-investissement des métayers et à une mauvaise utilisation des moyens de production mis à disposition par les propriétaires. Tout juste note-t-il que les métayers ont la possibilité d’utiliser à d’autres fins les moyens mis à disposition, ce que les théoriciens des incitations comme Laffont & Martimort (2001) appelle des actions cachées (comportement d’aléa moral). La critique smithienne du métayage va donner lieu à de nombreux travaux allant dans le sens d’une prise en compte claire du phénomène des incitations (Stiglitz, 1974) 42 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 3.5.1. Adam Smith et les contrats incitatifs dans l’agriculture 3.5.2. Chester Barnard et les incitations dans le management 3.5.3. Hume et Wicksell : le problème du passager clandestin 3.5.4. Léon Walras et la réglementation des monopoles naturels 3.5.5. Les incitations dans l’assurance 3.5.6. La discrimination des prix 43 3.5.2. Chester Barnard et les incitations dans le management Chester Barnard (1938) a eu une grande expérience à la direction de plusieurs entreprises. Il énonce qu’« un élément essentiel des organisations est la volonté des personnes que leurs efforts individuels contribuent au sein d’un système de coopération... Des incitations inadéquates signifient la dissolution, ou des changements dans l'objectif de l'organisation, ou l'absence de coopération. Par conséquent, dans toutes sortes d'organisations, l'octroi d'incitations adéquates devient la tâche la plus clairement soulignée dans leur existence. C'est probablement dans cet aspect du travail exécutif que l'échec est le plus prononcé ». Il distingue alors entre les incitations monétaires et les incitations non-monétaires en distinguant ce qu’il appela la méthode des incitations de la méthode de la persuasion. Il rappelle aussi la nécessité de l’autorité pour atteindre et promouvoir la coopération, les incitations n’étant en effet pas parfaites. Dit autrement, la rationalité limitée des membres et l’incomplétude des contrats obligent les décideurs à agir dans les cas non-prévus dans les contrats. Barnard rappelle cependant que l’ordre sera accepté si l’agent considère qu’il est compatible avec ses intérêts. Williamson (1975) s’est inspiré de ses travaux dans le développement de sa théorie des coûts de transaction. 44 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 3.5.1. Adam Smith et les contrats incitatifs dans l’agriculture 3.5.2. Chester Barnard et les incitations dans le management 3.5.3. Hume et Wicksell : le problème du passager clandestin 3.5.4. Léon Walras et la réglementation des monopoles naturels 3.5.5. Les incitations dans l’assurance 3.5.6. La discrimination des prix 45 3.5.3. Le problème du passager clandestin Le problème du passager clandestin (« free-riding problem ») est un problème d’incitation évoqué par Mancur Olson (1966) dans son ouvrage La logique de l’action collective. Cette notion avait déjà été abordée par David Hume (1740) : « Two neighbours may agree to drain a meadow, which they possess in common ; because it is easy for them to know each others mind ; and each must perceive, that the immediate consequence of his failing in his part, is the abandoning the whole project. But is s very difficult, and indeed impossible, that a thousand persons shou’d agree in any such action ; it being difficult for them to concert so complicated a design, and still more difficult for them to execute it ; while each seeks a pretext to free himself of the trouble and expence, and wou’d lay the whole burden on others ». Son intuition a été reprise plus tard par Knut Wicksell (1896) dans le débat concernant le financement des biens collectifs via des donations volontaires : « If the individual is to spend his money for private and public uses so that his satisfaction is maximized he will obviously pay nothing whatsoever for public purposes… Whether he pays much or little will affect the scope of public service so slightly, that for all practical purposes, he himself will not notice it all. Of course, if everyone were do the same, the State will soon cease to function ». Il proposa alors le principe de l’unanimité (approximative) et du consentement volontaire en demandant à chacun de s’exprimer simultanément dans le vote du budget. Ce qui n’est pas d’une très grande praticité… La prise en compte de l’asymétrie d’information dans le cadre de schémas incitatifs permet de régler le problème. 46 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 3.5.1. Adam Smith et les contrats incitatifs dans l’agriculture 3.5.2. Chester Barnard et les incitations dans le management 3.5.3. Hume et Wicksell : le problème du passager clandestin 3.5.4. Léon Walras et la réglementation des monopoles naturels 3.5.5. Les incitations dans l’assurance 3.5.6. La discrimination des prix 47 3.5.4. Léon Walras et la réglementation des monopoles naturels Léon Walras (1897) a défini le monopole naturel comme une industrie dans laquelle le monopole est la structure de marché la plus efficiente et de la réglementer en lui imposant un prix permettant d’équilibrer ses comptes. La tarification proposée par Ramsey (1927) et Boiteux (1956) s’inscrit dans cette logique. Après une période de réglementation de type « price-cap », les régulateurs ont opté pour une réglementation de type « rate-of-return ». Averch et Johnson (1962) ont montré que ce type de réglementation était à la source d’un gaspillage des ressources car en découlait un surinvestissement. C’est dans les années 80 que la prise en compte de l’asymétrie d’information entre le régulateur et le régulé a permis d’envisager des mécanismes par lesquels le régulé était amené à révéler son information (Baron & Myerson, 1982; Laffont & Tirole, 1993). 48 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 3.5.1. Adam Smith et les contrats incitatifs dans l’agriculture 3.5.2. Chester Barnard et les incitations dans le management 3.5.3. Hume et Wicksell : le problème du passager clandestin 3.5.4. Léon Walras et la réglementation des monopoles naturels 3.5.5. Les incitations dans l’assurance (Knight et Arrow) 3.5.6. La discrimination des prix 49 3.5.5. Les incitations dans le secteur de l’assurance Kenneth Arrow (1963) a introduit le concept d’aléa moral dans la littérature économique en montrant qu’il était à la source de défaillances du marché en empêchant certains marchés de l’assurance de se développer. Il est en effet possible que des prises de risque excessives se produisent de la part de l’assuré. De même, en l’absence d’assurance obligatoire, l’assureur risque d’attirer uniquement les profils les plus risqués (problème de sélection adverse). Franck Knight (1921), qui a longuement travaillé sur la notion d’incertitude, ne pensait pas que des contrats sophistiqués (contrats non-linéaires avec franchise, bonus-malus) permettraient de résoudre les problèmes d’aléa moral et de sélection adverse. Ce qu’il est pourtant possible de faire. 50 3.5. L’importance des incitations dans la pensée économique 3.5.1. Adam Smith et les contrats incitatifs dans l’agriculture 3.5.2. Chester Barnard et les incitations dans le management 3.5.3. Hume et Wicksell : le problème du passager clandestin 3.5.4. Léon Walras et la réglementation des monopoles naturels 3.5.5. Les incitations dans l’assurance (Knight, Arrow et Pauly) 3.5.6. La discrimination des prix 51 3.5.6. La discrimination des prix L’extraction du surplus des consommateurs est complexe en raison de l’hétérogénéité de leurs préférences. Jules Dupuit (1844) avait identifié cette difficulté et s’était interrogé sur la discrimination des prix : « the best of all tariffs would be the one which would make pay those which use a way of communication a price proportional to the utility they derive from using this service… I do not have to say that I do not believe in the possible application of this voluntary tariff ; it would meet an insurmountable obstacle in the universal dishonesty of passants, but it is the kind of tariff one must try to approach by a compulsory tariff ». Francis Edgeworth (1913) a formalisé le principe de la discrimination des prix pour le train. Arthur Pigou (1920) de son côté a caractérisé les types de discrimination des prix. Ce n’est qu’à partir des années 70 que les tarifs en deux parties (une partie fixe et une partie variable) ont été généralisés. 52 Conclusion chapitre Le modèle de CPP est un modèle normatif reposant sur des hypothèses restrictives. Il présente l’avantage d’une grande simplicité. Il introduit l’idée que la valeur d’un bien dépendra de l’utilité. La compréhension du monde réel passe par le relâchement de ces hypothèses. L’analyse microéconomique passe alors par la prise en compte de tous les coûts qui sont exogènes au modèle de CPP (coûts de transaction, incomplétude des contrats) et de l’asymétrie d’information qui est une hypothèse fondamentale à l’élaboration des contrats et à la formation des organisations et des institutions, sans lesquelles il n’est pas possible d’appréhender le réel. L’atomicité des marchés est aussi une hypothèse qui doit être abandonnée afin de mieux saisir les situations de concurrence imparfaite. Les structures de marchés, qu’elles soient de nature exogène (explication par les technologies utilisées) ou de nature endogène (construction de barrières à l’entrée), seront surveillées par les autorités concurrentielles qui cherchent à faire en sorte de réduire le pouvoir de marché des entreprises dominantes en privilégiant le bien- être de la population, appréhendé sous l’angle du surplus du consommateur. 53