A Quoi Reconnaître Une Oeuvre D'art ? Dissertation PDF

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This document is a sample dissertation on recognizing an artwork. It explores what constitutes an artwork by exploring various notions.

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A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG Notions abordées : art, inconscient, travail, technique, nature. Un commentaire préliminaire avant de commencer l’exercice : le risque majeu...

A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG Notions abordées : art, inconscient, travail, technique, nature. Un commentaire préliminaire avant de commencer l’exercice : le risque majeur avec un tel sujet est de faire une liste de critères que doit remplir une œuvre d’art (elle doit être belle, elle doit durer longtemps, elle doit nous émouvoir, elle doit représenter quelque chose, etc.). Or, la dissertation ne doit pas énumérer un catalogue, mais doit articuler des idées entre elles à partir d’un problème initial. Ici, on essaiera de montrer que le problème est précisément que le sujet nous invite à dresser une liste de critères prédéfinis, alors que l’art est par définition une création nouvelle, donc susceptible d’échapper à ces mêmes critères prédéfinis. PS : sont indiqués en gras les concepts importants à retenir. PPS : pour les personnes qui souhaiteraient approfondir, vous trouverez en fin de document trois textes parmi ceux cités dans le cours. 1 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG [Introduction] [Accroche : 1° évidence naïve + déf des termes du sujet] Reconnaître une œuvre d’art, au sens d’identifier un objet comme appartenant au domaine des œuvres d’art, n’est pas si facile, comme le montre la décision des douaniers de New- York en 1926 à l’arrivée de la sculpture de Brâncuși : Oiseau dans l’espace. A cette époque, les œuvres d'art n’y sont pas soumises aux droits de douane, mais les douaniers refusent de croire que l'objet importé en est une. Une décision de justice de 1916 appuie leur décision, en énonçant qu’une sculpture doit être une représentation gravé ou ciselé d'objets naturels « dans leurs vraies proportions » pour être considérée comme une œuvre d’art. Or, Oiseau dans l’espace ne remplit pas ces conditions, qui imposent à toute sculpture d’être figurative1. Les douaniers imposent donc le tarif pour les objets en métal manufacturés, et ce n’est qu’après un procès que l’œuvre de Brâncuși est reconnue comme œuvre d’art. Pour éviter de commettre l’erreur des douaniers new-yorkais, il semble nécessaire de ne pas adopter des critères trop restreints pour définir ce qu’est une œuvre d’art, sous peine de manquer le caractère artistique de nouvelles créations. [Enjeux] L’enjeu ici est de savoir ce qu’est une œuvre d’art, mais aussi de savoir qui décide et qui doit décider de ce qu’est une œuvre d’art. Faut-il que ce soient les pouvoirs publics, ou bien les artistes eux-mêmes ou les Oiseau dans l'espace critiques ? Puisque l’art est une expérience sensible, il s’agit ici pour l’esprit de savoir reconnaître que ce qui se présente à la sensibilité est bien un certain type d’objet, en l’occurrence une œuvre d’art. [2° évidence, moins naïve] Pour autant, le débat pour savoir si un objet est une œuvre d’art n’a pas lieu pour toutes les œuvres. En effet, beaucoup d’entre elles sont passées dans la culture populaire et il est connu de notoriété publique qu’elles sont des œuvres d’art : il n’y a pas besoin de les reconnaître, car on sait qu’elles appartiennent au domaine de l’art. C’est le cas par exemple pour La Vénus de Milo ou Le radeau de la méduse. Une piste nous conforte souvent dans notre diagnostic : leur lieu. On a tendance à supposer que si un objet est dans un musée, c’est que c’est une œuvre d’art. [Nuance de cette 2° évidence] Mais on peut quand même dénigrer ce qui se trouve dans un musée, et dire que ce n’est pas vraiment de l’art. Dans ce cas, on a bien identifié qu’une chose est dite être une œuvre d’art, mais on ne lui reconnaît pas ce statut. [Approfondissement de la définition des termes du sujet : nouveau sens de la reconnaissance] Dans ce cas, reconnaître ne signifie plus identifier, mais admettre la légitimité de quelque chose, comme lorsqu’on reconnaît que quelqu’un a raison. Ne pas reconnaître qu’un objet est une œuvre d’art ne signifie Vénus de Milo donc pas seulement l’identifier comme une œuvre d’art, mais aussi l’accepter comme un objet dont la valeur est supérieure à tous les autres objets, car il est une œuvre d’art. [Nouvel enjeu] Reconnaître une œuvre d’art, cela relève-t-il alors un jugement de réalité, qui consisterait à identifier une œuvre à partir de critères bien précis, ou bien est-ce un jugement de valeur, qui consiste à admettre un objet bien particulier parmi tout un genre d’objets dotés d’une valeur plus haute que tous les autres ? Quelle relation faut-il entretenir avec les œuvres d’art pour ne pas manquer leur spécificité ? 1 Art figuratif : art qui représente des objets de façon à ce qu’on puisse les identifier (p. ex : portraits, natures mortes, paysages, etc.) Art abstrait : art qui déforme les objets représentés, ou qui prend le parti de ne représenter que des formes ou des couleurs, sans qu’elles soient agencées de façon à constituer quelque chose de ressemblant à la réalité. 2 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG [Problème] Il y a en tous cas toujours un débat quant à ce qu’il faut reconnaître comme étant de l’art ou non, d’où la nécessité apparente d’élaborer une liste de critères. Mais le problème est que l’art est une activité de création, et peut donc toujours produire un objet qui n’entre pas dans les critères préétablis, de sorte que cet objet produit ne serait pas reconnu comme étant une œuvre d’art. Des critères pour reconnaître une œuvre d’art semblent donc à la fois nécessaires et en même temps inadéquats. Le problème est par conséquent de savoir si pour reconnaître une œuvre d’art on ne risquerait pas, en mettant en place des critères, de se priver précisément des moyens de reconnaître une œuvre d’art. [Annonce du plan] [I] Nous verrons d’abord que l’œuvre d’art a ceci de singulier qu’elle est un objet durable et beau, et qu’elle procure par conséquent du plaisir. [II] Mais une telle définition nous fait manquer ce qu’a de singulier ce plaisir : il faudra donc voir en second lieu que le plaisir esthétique est provoqué par une œuvre originale et que c’est dans ce caractère d’originalité que se trouve le principal critère de reconnaissance d’une œuvre d’art. [I] [Thèse] On reconnaît une œuvre d’art d’abord au fait qu’elle soit un objet produit par l’être humain, qui est durable et le plus souvent inutile, et qui suscite du plaisir parce qu’elle est belle. [1° argument] [Elaboration conceptuelle] L’art s’oppose d’abord à la nature comme ce que l’être humain créé par rapport à ce qui lui est donné. La nature, ainsi entendue, c’est l’ensemble des choses non créées par l’être humain, et qui résulte de lois indépendantes de lui. L’art, au contraire, est toujours une production humaine : il résulte d’un processus de création, de poïésis2. L’œuvre d’art n’est donc pas un produit naturel, qui n’est en réalité rien d’autre qu’un effet répondant à une cause antécédente, mais un produit de l’activité créatrice, et s’appelle œuvre. [Réf. philos.] C’est pourquoi Aristote, en Métaphysique Z 7, identifie l’origine de l’œuvre d’art non pas dans une cause naturelle, mais dans l’esprit du créateur : l’artiste produit une œuvre d’art conformément à l’idée qu’il en a, idée qui en constitue le modèle. [Nuance et approfondissement + réf. philos.] Cependant, toute production humaine n’est pas une œuvre d’art, et tout producteur n’est pas artiste : il faut distinguer entre l’artisan, qui produit un bien destiné à trouver une utilité, et l’artiste, qui produit une œuvre dont le but n’est pas l’utilisation. La différence principale réside dans la durabilité des œuvres d’art, qui est beaucoup plus grande que celle des objets d’usage : on conserve avec soin des tableaux et des statues qui ont plusieurs siècles alors que les objets d’usage durent difficilement plusieurs générations. S’il en est ainsi, c’est parce que l’essence même des objets d’usage consiste à être utilisés, et donc usés à force de s’en servir. Au contraire, les œuvres d’art, « puisqu’elles ne sont pas soumises à l’utilisation qu’en feraient les créatures vivantes », ont une durée de vie qui confine à l’éternité, comme l’écrit Hannah Arendt, dans La condition de l’homme moderne (ch. 4). Les œuvres d’art se caractérisent donc par leur grande permanence. Là encore, l’art s’oppose à la nature. En effet, l’œuvre d’art matérialise une continuité de la vie humaine qui est différente du cycle toujours recommencé et sans fin des processus naturels. Ainsi par exemple les mouvements des astres, les saisons, les marées, les besoins vitaux des êtres vivants : tous ces éléments naturels se caractérisent par leur disparition et leur retour toujours continués. L’œuvre d’art au contraire traverse ces cycles toujours recommencés et instaure une permanence qui s’oppose à la nature. Face à la nature toujours recommencée et étrangère à l’Homme, ce dernier se créé un monde en produisant des objets qui traversent le temps, et dont les plus durables sont les œuvres d’art. A la nature étrangère s’oppose donc le monde fait de mains humaines, c’est-à-dire l’ensemble des productions humaines qui rendent la nature habitable. Grâce à sa permanence, l’œuvre d’art participe au plus haut point à l’élaboration d’un monde commun aux êtres humains, c’est-à-dire commun à tous ceux qui vivent en même temps et, par les objets qui traversent les générations, communs aux vivants et aux 2 Poïésis : terme grec ancien qui désigne l’activité de création. Il donnera son nom à ce qu’on appelle aujourd’hui la poésie. 3 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG morts. Ainsi les œuvres d’art, ces objets vieux parfois de plusieurs millénaires, créent et conservent un monde commun aux êtres humains. D’où la nécessité de les protéger et de les préserver des atteintes du temps et de la destruction qu’occasionne l’utilisation. Les conserver dans les musées permet ainsi de remplir cette fonction tout en les rendant accessibles. Par conséquent, on comprend mieux le caractère inutile des œuvres d’art : elles doivent l’être si elles veulent durer. On comprend mieux aussi la valeur qu’on leur accorde : les reconnaître ne consiste pas seulement à les identifier, mais aussi à leur accorder une valeur que les objets d’usage ne peuvent avoir, puisque ces derniers sont peu à peu détruits. [Exemple] Les ready-made de Duchamp extraient ainsi des objets de leur usage de leur contexte d’utilisation. Il leur permet de ce fait d’acquérir une permanence qu’ils n’auraient pas s’ils étaient utilisés comme leur nature le prévoyait. C’est ainsi que l’urinoir, qui aurait certainement été remplacé au bout de quelques années à cause de l’utilisation qui en est faite pour satisfaire des besoins naturels toujours renouvelés, peut devenir une Fontaine lorsqu’elle est exposée dans un musée en 1917, et Fontaine peut continuer d’être exposée au musée d’art moderne de Philadelphie. L’acte de donner un titre transforme en outre l’objet d’usage anonyme et générique en individu singulier, dont l’exemplaire est unique. On voit pourquoi les œuvres d’art sont des objets singuliers, mais on ne voit pas encore l’effet immédiat qu’elles ont sur nous : les œuvres d’art sont des objets qui nous émeuvent et nous procurent du plaisir. [2° argument] Les œuvres d’art sont donc des objets durables, qui de surcroît nous procurent du plaisir. Mais pourquoi de tels objets sont-ils agréables ? Pourquoi prenons-nous du plaisir à contempler un tableau, une statue, des photographies ou du cinéma, à écouter de la musique, à voir un opéra ? [Réf. philos. + exemple] Aristote propose une interprétation de ce plaisir esthétique, c’est-à-dire pris à l’occasion du contact avec une œuvre d’art, dans la Poétique (ch. 4). Pour lui, les œuvres d’art suscitent du plaisir car elles nous font comprendre des choses que nous ne parviendrions pas à comprendre si nous étions face à elles dans la réalité. L’œuvre d’art, puisqu’elle représente la réalité, permet de prendre une distance par rapport à elle, et ainsi de nous permettre de comprendre ce qui ne pourrait pas l’être s’il était vécu. Ainsi nous comprenons la détresse et l’agonie que vivent les survivants d’un naufrage lorsque nous contemplons Le radeau de la méduse de Géricault, alors que nous ne pourrions pas le faire si nous étions vraiment pris dans le naufrage : nous serions nous-mêmes en train d’agoniser, sans vraiment comprendre l’événement et toute sa dimension tragique. La distance qu’instaure la représentation permet donc la compréhension, qui est impossible lorsque l’événement est vécu. S’il en est ainsi, si la Le radeau de la méduse représentation d’un événement ou d’une chose nous permet de mieux comprendre que le contact avec la chose elle-même, c’est pour Aristote parce que la représentation, c’est la forme sans la matière. Représenter une chose, c’est la rendre présente à nouveau, mais simplement par sa forme, restituée par le dessin et la couleur, et en abstraire la matière. Or, la matière est ce qui fait bien souvent obstacle dans la réalité pour que nous comprenions les choses, alors que la forme est ce par quoi on les comprend le mieux. [Exemple] Par 4 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG exemple, le cadavre réel d’une charogne nous répugne car il sent mauvais, qu’il est décomposé, gonflé, que des vers le mangent, en bref, parce que la matière de la charogne nous incite à nous en détourner. Mais, dit Aristote, « nous prenons plaisir à contempler les figurations, réalisées avec la plus grande exactitude, de choses qui, pour elles-mêmes, sont pénibles à voir, comme c'est le cas de l'apparence extérieure d'animaux particulièrement ignobles ou de cadavres » (Poétique, ch. 4). C’est-à-dire que la représentation d’une charogne nous fait plaisir, car elle nous en donne la forme, c’est-à-dire l’aspect extérieur, sans nous en donner la matière, c’est-à-dire la chair en putréfaction. [Définition] Ainsi le plaisir esthétique est un plaisir de compréhension : ce n’est pas vraiment un plaisir sensible, mais plutôt un plaisir intellectuel, celui de comprendre les choses, pris à l’occasion de la rencontre d’un objet sensible, à savoir l’œuvre d’art. [Objection] Mais qu’en est-il pour les peintures qui ne sont pas figuratives, c’est-à-dire qui ne représentent pas la réalité ? Aristote explique le plaisir que nous y prenons non plus par la compréhension des choses, mais tout simplement par l’agencement des formes et des couleurs, comme ce peut être le cas dans des œuvres non figuratives telles que la Composition n° 8 de Kandinsky, ou par la finesse de sa composition. On prend donc du plaisir face à ces objets durables que sont les œuvres d’art car ils nous font comprendre les choses, mais aussi parce Composition n° 8 que nous prenons naturellement du plaisir à contempler de belles choses ; c’est pourquoi Aristote écrit, toujours au chapitre 4 de la Poétique, que nous prenons « naturellement plaisir aux imitations ou représentations, comme les œuvres d'art en témoignent ». Il y a donc chez l’être humain une forme de plaisir inné pris à contempler et à imiter les choses, c’est-à-dire à regarder celles qui sont belles, et à essayer de les représenter. La tendance à produire des œuvres d’art ainsi que le plaisir qu’on éprouve à leur contact sont donc des tendances fondamentales de l’être humain. On peut donc dire en ce sens que l’art fait partie intégrante de la nature humaine. [Transition] [Conclusion] On reconnaît une œuvre d’art au fait qu’elle est un objet bien différent des autres : d’abord parce que c’est un objet durable issu d’un créateur à partir de l’idée qu’il en avait, mais aussi parce que cet objet suscite du plaisir lorsqu’on le contemple. L’œuvre d’art est donc une création humaine agréable, et c’est ce qui nous permet de la reconnaître, au sens d’identifier, comme telle ; elle est aussi une création humaine durable, et c’est ce qui nous permet de la reconnaître, au sens de l’admettre au rang des objets dotés d’une grande valeur. [Remise en question] Mais une telle caractérisation est-elle suffisante ? Il semble que non, si on envisage le fait que nous faisons des choses qui sont agréables mais qui, pourtant, ne sont pas considérés comme des œuvres d’art. Comment, par exemple, faire la différence entre l’agréable satisfaction d’avoir fait une bonne action, et l’agréable contemplation esthétique ? Il faut encore voir en quoi le plaisir esthétique est de différent de toutes les autres sortes de plaisir pour bien comprendre ce qui, chez le spectateur, incite à reconnaître qu’un objet est une œuvre d’art. [II] [Thèse] Le caractère agréable d’une œuvre d’art n’est pas un simple plaisir physique, et c’est à cette satisfaction bien particulière qu’elle nous donne qu’on la reconnaît. Cette satisfaction provient d’un objet qui est une création originale, et dont l’essence par conséquent nous incite à toujours adapter nos critères d’identification. 5 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG [1° argument] [Distinctions conceptuelles + réf. philos.] Pour bien le comprendre, il faut faire la différence entre le plaisir esthétique et tous les autres types de satisfaction. Kant distingue en ce sens au §5 de la Critique de la faculté de juger trois types de satisfaction : le plaisir esthétique, le plaisir physique, et la satisfaction morale. La satisfaction que nous procure une œuvre d’art, c’est-à-dire le plaisir esthétique, est plus intellectuelle que le plaisir physique, mais elle est en même temps plus physique que la satisfaction morale. Elle est donc un plaisir en partie physique, et en partie intellectuel. Le plaisir physique procure ce que Kant appelle de l’agrément : son objet est agréable, il nous fait du bien, comme on dit couramment. Ce sont les plaisirs du corps en général, provoqués par une stimulation des organes. Au contraire, l’objet du plaisir esthétique n’est pas agréable, mais est beau ; on ne dit pas qu’il nous fait du bien, mais plutôt qu’il nous plaît, « tout simplement », écrit Kant. Avant de voir ce que cela signifie, il faut encore voir la différence avec la satisfaction morale. Celle-ci n’est pas un plaisir, car tout plaisir renvoie à la sensation, c’est-à-dire au fait de recevoir des stimulations par nos organes sensoriels. La satisfaction morale est éprouvée lorsque l’on fait son devoir : elle est le sentiment satisfaisant d’avoir fait ce qu’il fallait faire. Son objet n’est donc pas l’agréable ni le beau, mais ce qui est moralement bon3. On a dit que l’œuvre d’art nous procure une satisfaction bien particulière en cela qu’elle plaît « tout simplement ». Mais qu’est-ce que cela signifie ? [Approfondissement de l’argument] Cela veut dire que ce qui compte, c’est notre plaisir tout court, et non pas l’objet et son existence. Dans la satisfaction esthétique, il n’importe pas que l’objet représenté existe ou non : la simple représentation de cet objet suffit pour nous plaire. On n’a donc aucun intérêt à ce que l’objet représenté existe réellement pour éprouver la satisfaction esthétique. Au contraire, pour ce qui est de l’agréable, l’existence de l’objet est indispensable pour que nous éprouvions du plaisir : si le verre de vin n’existe pas, il nous est impossible de ressentir l’agrément qu’il nous procure à le boire. On a donc nécessairement intérêt à ce que l’objet agréable existe pour que nous puissions ressentir de l’agrément. Pour ce qui est de la satisfaction morale, il en va comme de l’agrément : pour la ressentir, nous avons nécessairement intérêt à agir, c’est-à-dire à réaliser ce qui est moralement bon. La satisfaction morale et l’agrément sont donc deux types de satisfaction qui sont intéressées, c’est-à-dire pour lesquelles nous avons intérêt à ce que l’objet existe réellement pour pouvoir être satisfait. Au contraire, le caractère spécifique de la satisfaction esthétique, c’est qu’elle est désintéressée. Dire alors qu’une œuvre d’art nous plaît « tout simplement », cela signifie qu’elle nous procure une satisfaction désintéressée, c’est- à-dire sans que nous ayons un intérêt à ce que l’objet représenté existe réellement ou non. [Exemple] Il ne faut donc pas confondre l’agrément éprouvé à manger des fraises des bois, qui implique nécessairement que les fraises existent réellement pour que l’agrément soit ressenti, et le plaisir désintéressé que suscite la beauté du Panier de fraises des bois de Chardin, qui n’implique pas que des fraises existent réellement pour que l’œuvre nous plaise. [Petite transition (facultative)] On voit Panier de fraises des bois donc que, du côté du spectateur, ce qui fait qu’on reconnaît une œuvre d’art est le type de satisfaction qu’elle fait éprouver. Il faut encore voir, du côté de 3 Type de satisfaction Son objet Satisfaction physique, ce qu’on appelle plaisir au sens courant, l’agrément. L’agréable. Satisfaction esthétique, ce qui plaît « tout simplement ». Le beau. Satisfaction morale. Ce qui est moralement bon. 6 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG l’artiste qui produit l’œuvre, ce qui fait que l’objet n’est pas n’importe quel objet, mais bel et bien une œuvre d’art. [2° argument] [Concepts + réf. philos.] Une œuvre d’art n’est pas n’importe quel type de production : elle est une création originale, c’est-à-dire qu’elle est un bel objet qui n’a encore jamais été produit. Ainsi, l’activité principale de l’artiste consiste à inventer : il ne se contente pas reproduire ce qui a déjà été fait, mais il créé quelque chose d’absolument nouveau. C’est ainsi que Kant définit le génie, au §57 de l’Anthropologie du point de vue pragmatique : le génie est doté du « talent d’inventeur », qui n’invente pas des théories ou des idées, mais qui créé, c’est-à-dire qui produit des choses nouvelles. On peut donc reconnaître une œuvre d’art à son originalité, c’est-à-dire au fait qu’elle n’ait jamais été produite auparavant et qu’elle est donc absolument nouvelle. A l’originalité, il faut encore ajouter l’exemplarité. En effet, l’œuvre originale créée par le génie sert de modèle à ses contemporains et à ceux qui le suivent : on dit en ce sens que le génie fait école, c’est-à-dire qu’il inspire les artistes qui lui succèdent. Il faut donc définir le génie par ces deux caractéristiques centrales : l’originalité et l’exemplarité, c’est-à-dire que le génie est le talent dont un artiste est doté qui consiste à produire une œuvre absolument nouvelle qui servira de modèle pour les générations d’artistes suivantes. [Distinction conceptuelle] Ainsi, le génie n’est pas un imitateur : il ne faut pas confondre la compétence technique d’un faussaire qui sait parfaitement imiter les plus grands maîtres, et le génie de l’artiste qui fait ce qui n’a encore jamais été fait. Le génie n’est par conséquent pas une somme de connaissances techniques apprises. [Approfondissement de la définition] Mais alors, d’où vient ce talent ? Pour Kant, il s’agit d’un don naturel : le talent d’inventeur est donné naturellement à un individu dès sa naissance. C’est pourquoi « l’aptitude propre au génie ne peut être communiquée » (Kant, Critique de la faculté de juger, §47) : le génie ne peut pas transmettre son talent et est incapable de l’enseigner. Il ne peut pas non plus rendre compte de ses inspirations et de ses décisions artistiques : il y a dans l’individu génial un talent qui le dépasse et qui ne dépend pas de lui. A travers le génie et malgré lui, c’est donc la nature qui agit. Puisque le génie est un don naturel, il faut comprendre l’art comme une production dont la cause première est la nature, et dont le génie est l’exécutant. Le génie est ainsi l’intermédiaire par lequel la nature réalise l’art. Mais si le génie ne peut pas s’apprendre, il faut noter que ce don est par lui- même insuffisant, car il ne mène à rien s’il n’est pas associé à une compétence technique donnée, telle que savoir peindre ou savoir sculpter. Si le génie ne peut pas s’acquérir par le travail, il ne peut cependant pas se développer sans le travail. Le génie est donc aussi un technicien, mais ce n’est pas l’ensemble des connaissances techniques qu’il possède qui font de lui un génie : elles lui permettent seulement de concrétiser le talent naturel dont il est doté. Cela signifie que l’art ne consiste pas à appliquer un ensemble de règles techniques qui forment une recette : s’il y a des recettes de cuisine pour réussir un plat, il n’y a pas de recettes pour réussir une œuvre d’art. [3° argument] Mais alors, si l’œuvre d’art est une création toujours nouvelle, quelle place accorder aux critères ? Il semble qu’il soit nécessaire de ne pas les penser comme des catégories rigides, mais de façon souple et plastique, afin de toujours garder à l’esprit qu’ils peuvent, par définition même de l’objet qu’ils sont censés identifier, être toujours dépassés. [Réf. philos.] Puisque « l’art par essence est nouveauté », comme l’écrit Dubuffet (L’homme du commun à l’ouvrage), il faut aussi que les critères d’identification de ce qu’est une œuvre d’art soient toujours renouvelés. Si toute œuvre d’art est donc une invention, alors les critères de reconnaissance d’une œuvre d’art ne doivent pas être antérieurs aux productions nouvelles, mais doivent venir après elle : il faut que les critères de reconnaissance soient établis a posteriori et soient toujours réinventés. En effet, « le caractère propre d’un art inventé est de ne pas ressembler à l’art en usage et par conséquent – et cela d’autant plus qu’il est plus inventé – de ne pas sembler être de l’art ». Attendre d’une œuvre d’art qu’elle se conforme à des normes préétablies, c’est en fait renoncer au Emballage du Pont-Neuf 7 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG caractère d’invention qui définit précisément l’œuvre d’art : c’est donc se condamner à ne plus savoir reconnaître une œuvre d’art. [Distinctions conceptuelles + exemple] Si on a dit que la permanence était une dimension essentielle pour reconnaître une œuvre d’art, il faut aussi voir que cette définition ne vaut pas pour l’art éphémère, comme lorsque Christo emballe le Pont-Neuf en 1985 ou pour les performances, comme lorsque Piotr Pavlenski lors de Suture se coud la bouche et apparaît en public à Saint-Pétersbourg. En adoptant des critères a posteriori, c’est-à-dire à partir de l’invention originale en quoi consiste l’activité créatrice, il devient alors possible d’intégrer des formes toujours nouvelles de productions artistiques, y compris les productions digitales et les NFT, ces fichiers numériques uniques. En matière d’art, il ne faut donc pas tant se demander par quels critères on peut reconnaître qu’un objet est bien une œuvre d’art, mais plutôt se tenir prêt à toujours réviser son jugement sur ce qu’est l’art. Le régime normal dans le domaine de l’art ne consiste en effet pas à suivre des règles, mais se caractérise par une « révolution permanente ». Cela signifie que si l’artiste fait école, son exemplarité, c’est-à-dire le fait qu’il inspire ses successeurs, ne doit pas devenir une tutelle, c’est-à-dire que ses successeurs ne doivent pas s’enfermer dans une imitation des œuvres du maître sans inventer leurs propres règles : il faut qu’ils inventent par eux-mêmes. [Conséquence + définition] De ce fait, ce n’est pas seulement l’artiste qui décide de ce qu’est une œuvre d’art en la produisant, mais c’est bien aussi celui qui fait l’acte de reconnaissance : inventer une œuvre d’art, ce n’est donc pas seulement produire un objet nouveau, c’est aussi savoir reconnaître qu’un objet est une œuvre d’art. D’où l’encouragement de Dubuffet aux spectateurs : « devenez inventeurs des inventions ! » Ce n’est en effet pas seulement l’acte de création qui invente l’œuvre d’art : c’est aussi le regard du spectateur qui sait voir en un objet une dimension artistique. Ainsi, reconnaître signifie ici à la fois identifier une chose et admettre un objet au rang d’œuvre. Reconnaître une œuvre d’art ne peut donc se faire qu’au moyen d’un acte de reconnaissance, c’est-à-dire d’identification d’une valeur esthétique d’un objet, acte qui doit toujours être renouvelé à l’occasion des nouvelles inventions. [Conclusion] On se demandait s’il était possible d’établir des critères pour pouvoir reconnaître une œuvre d’art. Le risque était de ne plus pouvoir percevoir le caractère de production originale d’une œuvre d’art, et c’est donc pourquoi les critères d’identification doivent être souples et établis a posteriori. On sait maintenant que reconnaître une œuvre d’art, c’est bien à la fois identifier un objet comme appartenant à un domaine bien défini, et admettre qu’il est doté d’une valeur supérieure aux autres. En définitive, puisque l’art par définition est une création permanente, il échappe nécessairement à tous les critères préétablis de définition. Mais toute œuvre d’art possède cependant toujours le caractère d’invention, et c’est certainement à cela qu’on la reconnaît. Ce critère a le mérite de ne jamais enfermer l’œuvre d’art dans une théorie normative fermée et laisse libre cours à la diversité des créations. 8 A quoi reconnaît-on une œuvre d’art ? Exemple de dissertation rédigée. TG Annexes « En raison de leur éminente permanence, les œuvres d’art sont de tous les objets tangibles les plus intensément du-monde ; leur durabilité est presque invulnérable aux effets corrosifs des processus naturels, puisqu’elles ne sont pas soumises à l’utilisation qu’en feraient les créatures vivantes, utilisation qui, en effet, loin d’actualiser leur finalité – comme la finalité d’une chaise lorsqu’on s’assied dessus –, ne peut que les détruire. Ainsi leur durabilité est-elle d’un ordre plus élevé que celle dont tous les objets ont besoin afin d’exister ; elle peut atteindre à la permanence à travers les siècles. Dans cette permanence, la stabilité même de l’artifice humain qui, habité et utilisé par des mortels, ne saurait être absolu, acquiert une représentation propre. Nulle part la durabilité pure du monde des objets n’apparaît avec autant de clarté, nulle part, par conséquent, ce monde d’objets ne se révèle de façon aussi spectaculaire comme la patrie non mortelle d’êtres mortels. Tout se passe comme si la stabilité du monde se faisait transparente dans la permanence de l’art, de sorte qu’un pressentiment d’immortalité, non pas celle de l’âme ni de la vie, mais d’une chose immortelle accomplie par des mains mortelles, devient tangible et présent pour resplendir et qu’on le voie, pour chanter et qu’on l’entende, pour parler à qui voudra lire. » Arendt, La condition de l’homme moderne, ch. 4 « [L]es êtres humains sont dès leur enfance naturellement enclins à imiter, et cela précisément les distingue des autres animaux : l'homme est l'être le plus enclin à imiter, et il fait ses premiers apprentissages au moyen de l'imitation. Et, tous, ils prennent naturellement plaisir aux imitations ou représentations, comme les œuvres d'art en témoignent : nous prenons plaisir à contempler les figurations, réalisées avec la plus grande exactitude, de choses qui, pour elles-mêmes, sont pénibles à voir, comme c'est le cas de l'apparence extérieure d'animaux particulièrement ignobles ou de cadavres. Ici aussi, la raison en est que comprendre procure un très vif plaisir non seulement aux philosophes, mais aussi, de la même façon, aux autres hommes, même s'ils n'y ont qu'un accès limité. En effet, voir des figurations donne du plaisir pour la raison que, en les contemplant, on comprend par inférence ce qu'en est chaque élément, par exemple que ce personnage-ci, c'est Untel. S'il se trouve qu'on ne l'a pas vu auparavant, ce n'est pas en tant que représentation que cet élément donnera du plaisir, mais c'est en raison du fini de son exécution, de ses couleurs ou d'autres choses du même genre. » Aristote, Poétique, ch. 4 « Inventer est tout autre chose que découvrir. Car ce qu’on découvre est considéré comme déjà existant sans être révélé, par exemple l’Amérique avant Colomb ; mais ce que l’on invente, la poudre à canon par exemple, n’était pas connu avant l’artisan qui l’a fabriqué. […] – Le talent d’inventeur s’appelle le génie, mais on n’applique jamais ce nom qu’à un créateur, c’est-à-dire à celui qui s’entend à faire quelque chose et non pas à celui qui se contente de connaître et de savoir beaucoup de choses ; on ne l’applique pas à qui se contente d’imiter, mais à qui est capable de faire dans ses ouvrages une production originale ; en somme à un créateur, à cette condition seulement que son œuvre soit un modèle (exemplar). Donc le génie d’un homme est « l’originalité exemplaire de son talent » (pour tel ou tel genre d’œuvre d’art). » Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, §57 9

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