Synthèse - Chabot (ITC) 2020-2021 PDF

Summary

This document provides a summary of the development of rhetoric, particularly its relationship with ancient Greek democracy. It analyzes how rhetoric evolved from a natural form of communication to a structured art, focusing on the political context in which it emerged. The document underlines the interrelation of rhetoric, politics, and the evolution of democratic societies from a holistic to an autonomous perspective.

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SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Première partie : l’empire rhétorique 1. D’une rhétorique naturelle à une véritable connaissance métacommunicationnelle La connaissance métacommunicationnelle va apparaître pour la première fois en Grèce Antique. On pass...

SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Première partie : l’empire rhétorique 1. D’une rhétorique naturelle à une véritable connaissance métacommunicationnelle La connaissance métacommunicationnelle va apparaître pour la première fois en Grèce Antique. On passe d’un savoir épicommunicationnel à un savoir élaboré, représenté, sur la communication. Savoir épicommunicationnel : savoir qui n’est pas encore rhétorique ; un savoir proche de la pratique. En effet, en Grèce, il existe une certaine conscience des effets de la parole. Ainsi, dans l’Iliade, on nous rapporte de Ménélas qu’il parlait aisément, que la parole de Nestor coulait comme le miel, qu’Ulysse était la persuasion par excellence. On décrit cette conscience du discours avec un série de métaphores ( miel, flocons de neige, etc. ). Cependant, ce pouvoir du discours n’est généralement pas attribué aux mérites de l’orateur mais aux muses, il est vu comme un don des dieux. à signe qu’il n’y a pas une réelle conscience du discours, mais sans doute une « proto-technique » par imitation des techniques oratoires. Cette proto-technique s’apparente au fait que l’on peut apprendre une langue par immersion. Le passage d’un savoir épicommunicationnel à un savoir métacommunicationnel se produit en Grèce lorsque l’on verra apparaître la rhétorique. Dans les faits, la naissance de cette rhétorique au sens fort est liée au développement conjugué de l’écriture alphabétique et de la démocratie. 1. Contexte démocratique : - une voix vaut une voix. - Passage d’une société, où l’ordre du monde et de la société est vu comme «hétéronome», à une société où l’ordre de la société est vu comme «autonome». - Naissance de nouveaux espaces de parole aux règles spécifiques : politique, juridique, épidictique et avec des enjeux importants 2. Écriture alphabétique : - Rend visible la parole - Permet aux écrivains ( dont les logographes ) de montrer que l’on peut organiser le discours - Apparition de manuels Ces circonstances vont favoriser la constitution d’un savoir en réseau sur la façon de construire le discours de façon efficace c.à.d. pour convaincre. Représentation de ces rapports : Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Le contexte politique : la parole publique Rhétorique : organisation consciente du discours par un orateur, ayant comme but d’assurer à son message la réception la plus favorable possible auprès du public auquel on s’adresse. Cette rhétorique s’est développé dans le cadre des institutions judiciaires et politiques de certaines cités grecques. L’organisation traditionnelle : hétéronomie et holisme Louis Dumont : La plupart des sociétés humaines que le monde a connues valorisent en premier lieu dans leurs idéologies un modèle «holiste» de la société où l’on attend que chaque individu se soumette au tout social, au «nous» collectif. Les sociétés sont construites comme des ensembles organiques relativement ou très hiérarchisés où chacun, individu ou groupe d’individus, semble accepter un rôle fixe et rigide établi en fonction de son sexe, de son statut, de son âge, de ses liens de parenté, de sa caste, de sa tribu, de son clan. Ce type d’organisation holiste et hiérarchique correspond très bien aux grandes sociétés anciennes comme celles connues durant l’antiquité en Égypte ou en Perse. Ce qui caractérise ces sociétés, sur le plan de l’idéologie, c’est également que l’ordre de la société, au même titre que l’ordre du monde, n’est pas déterminé par les hommes ; ce sont les dieux, les divinités qui l’ont conçu. Les hommes ne se voient pas eux-mêmes comme à la source de l’organisation de la société, mais ce sont les dieux qui sont vus comme à l’origine de l’organisation du monde, de la société et de tout ce qui arrive. à La loi que les hommes doivent suivre est vue comme «hétéronome», donnée de l’extérieur. L’ordre du monde et les normes qui en dépendent apparaissent de ce fait comme données de l’extérieur, de façon «hétéronome» et non pas créées par les hommes. Cela explique que, dans le cadre des sociétés «holistes», il n’y a évidemment pas d’espace pour le développement d’une argumentation «politique» au sens où nous l’entendons -recherche d’un accord entre des hommes qui tentent de se donner à eux-mêmes leur lois et leurs normes- c’est-à- dire de façon «autonome». Au contraire, le roi, représentant sur terre des dieux ou des puissances, une fois sa sentence prononcée, rien ne peut vraiment lui être rétorqué : seul parle celui qui sait, et celui qui sait est celui qui a reçu des dieux les symboles du pouvoir. « l’enfer c’est les autres » : chaque individu est toujours la source d’un désordre potentiel, s’il prétend s’occuper d’abord de lui-même, de sa propre personne en oubliant du fait même, que, dans Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 ces idéologies, l’ordre social est toujours second par rapport à l'ordre général de l'univers, et que l’ordre individuel pour sa part est lui-même subordonné à l'ordre social. Lorsqu’il faut prendre une décision importante sur la communauté, on appellera également le devin ou le chaman. Ce sont eux les «spécialistes de la communication», mais cette communication est d’abord vue comme une «communication avec les dieux». Exemple : - en Afrique, les Peuls observent la diversité des robes de leurs vaches et leur mélange au sein du troupeau - les Mossi tracent des traits dans le sable en examinant la disposition que prennent en tombant des fragments de noix de cola. Il en va de même au niveau du droit dans une société traditionnelle où les ordalies sont une façon traditionnelle de résoudre une dispute en se référant à un pouvoir surnaturel. Ex : la brûlure chez les Tamala de Madagascar Les hommes se considérant comme les jouets des forces supérieures et mystérieuses. Ils ne peuvent avoir la certitude de leur innocence : auraient-ils agi à leur insu, pendant leur sommeil ? Ce sentiment explique leur soumission à l'ordalie et leur acceptation d’une réponse qui leur est fatale. Naissance de l’espace démocratique : autonomie et rhétorique La naissance de cet espace démocratique remonte à la Grèce ancienne, et en particulier à la Grèce de Périclès. Progressivement sont apparues des formes de communautés où l’on publiera des décrets, des lois, qui reprennent cette formule «il a plu à la cité» ou «il a plu au peuple», «il a plu au conseil et au peuple». On voit apparaître des communautés où ce sont les hommes qui, se considérant comme semblables, comme un groupe d’égaux, décident eux-mêmes des lois, de façon « autonome ». S’il fallait schématiser le processus de démocratisation en Grèce ancienne, on pourrait dire que celui- ci commence dans des assemblées de « citoyens- soldats » qui se considèrent comme égaux et qui vont exiger d’avoir, non plus seulement un partage de la terre, de la gloire, mais aussi une participation effective aux décisions de la communauté. Cette assemblée deviendra à la suite d’une série de transformations économiques et sociales l’«agora» des cités grecques, où les citoyens vont débattre des affaires qui concernent leur cité. Agora : espace public où l’on débat des problèmes d’intérêt général. L’«isonomie» consiste à placer l’archè es to meson, c’est-à-dire à placer le pouvoir au centre de la collectivité. L’expression spatiale « es to meson » dont se sert le Grec pour dire que le pouvoir a été porté au centre, que les anciens privilèges du roi y sont déposés, n’est pas seulement une façon de parler. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Ce corps de citoyens intégrait, à l’exclusion des esclaves et des femmes, une partie importante des gens du peuple, paysans, boutiquiers, artisans, et non seulement des classes instruites. L’assemblée du peuple, l’ecclésia, était la source de tous les pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Elle décidait de toute la gamme des activités gouvernementales. Elle se réunissait quarante fois par an au minimum et aboutissait à une décision sur les points à l’ordre du jour en une journée de débats, dans lesquels tout citoyen avait le droit d’intervenir en prenant la parole en vertu de l’iségoria. Pnyx : lieu où se déployait une communication de type «one to many» lors des assemblées du peuple. à 6000 représentants à deviendra lieu de rassemblement après l’agora Ecclésia : terme qui désigne l’Assemblée du peuple, à laquelle tous les citoyens pouvaient prendre part et qui se réunissait quarante fois par an sur la colline du Pnyx. L’Assemblée était souveraine et avait à connaître toutes les questions concernant la vie de la cité. De la pratique à la technique C’est sur la place juridique que naîtra la rhétorique. En effet, les premiers textes qui parlent de l’origine de la rhétorique la situent plutôt dans le cadre judiciaire, et plutôt qu’à Athènes, à Syracuse, dans des conditions politiques particulières. Roland Barthes : La rhétorique est née de procès de propriété. Ces procès étaient d’un type nouveau : ils mobilisaient de grands jurys populaires, devant lesquels, pour convaincre, il fallait être «éloquent». Cette éloquence, participant à la fois de la démocratie et de la démagogie, du judiciaire et du politique (ce qu’on appela ensuite le délibératif), se constitua rapidement en objet d’enseignement. Les premiers professeurs de cette nouvelle discipline furent Empédocle d’Agrigente, Corax, son élève de Syracuse ( le premier à se faire payer ses leçons ) et Tisias. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Desbordes : Cette évocation historique de la chute des tyrans symbolise le lien originel de la rhétorique et de la démocratie. La rhétorique cherche à persuader soit les juges du tribunal, soit l’assemblée du peuple et à l’amener, par le discours, à approuver une certaine thèse pour acquitter un accusé, voter une loi. Le discours rhétorique s’adresse donc collectivement à un «grand nombre de personnes» entre lesquelles il n’y a pas une homogénéité et une unanimité gagnée d’avance. La rhétorique sera d’abord la théorie de ce type particulier de communication : l’adresse à la foule, le «discours au peuple», aux juges, même si plus tard, on cherchera à adapter la rhétorique à toutes les productions de parole et à l’ensemble de la littérature, y compris à la poésie. Cet aspect de la rhétorique, qui traite du «monologue face à une foule» plutôt que du «dialogue» sera l’un des points sur lesquels portera l’attaque des philosophes à l’encontre de cette technique. Platon / Socrate : Le développement de la technè rhètorikè serait précisément lié au simple constat que «les moyens de la communication de masse ne peuvent pas être ceux du tête à tête. Le nombre appelle le grossissement, la longueur même du discours qui donne à tout le monde le temps de saisir les enjeux; il appelle aussi les simplifications, l’emphase et la redondance venant de qui doit se faire entendre et comprendre en dépit des parasitages de la communication. Une partie de la rhétorique, l’étude de l’expression prend ainsi son départ dans la nécessité d’être compris de tous, puis dans la nécessité de retenir l’attention, de surprendre et de fasciner.» à naissance de l’importance de la psychologie des foules. La rhétorique avait par-là mis le doigt sur l’importance de l’irrationnel, du psychique, du pathos dans la persuasion. Mais cette persuasion «irrationnelle» doit pouvoir être menée «techniquement», «rationnellement» par le rhéteur. Il doit pouvoir en connaître les ressorts des passions humaines. C’est pourquoi la rhétorique a donné une impulsion décisive à la psychologie, la science de l’âme. à Utilisation de preuves, d’indices, d’enchaînement logique des arguments. Pour convaincre, Il faut pratiquer une sorte de « pédagogie différenciée » pour que tout le monde puisse suivre. Il faut simplifier, adopter l’exemple plutôt que l’induction qui a aussi l’avantage de ne pas avoir l’air d’imposer une conclusion et qui suscite la complicité intellectuelle de l’auditeur, content d’avoir trouvé tout seul. Le discours épidictique Lorsque l'on loue un héros de la cité, on renforce par là le sentiment civique et patriotique. C'est en partie grâce à ses discours épidictiques que la Grèce ancienne a pu maintenir sa relative unité au-delà des particularismes. Il arrive aussi que l'épidictique mêle le blâme à l'éloge en vue de polémiquer contre une opinion commune. à l'épidictique était une sorte de persuasion à long terme, sur des problèmes qui ne demandent pas de décision immédiate. – Perelman et Tyetca Le discours épidictique, même s'il ne persuade pas dans l'immédiat, crée ou renforce une disposition permanente à agir, un consensus, une communion de pensée face à certaines valeurs. Les grecs développeront une réflexion sur les trois types de discours adaptés aux trois situations de parole particulières. C’est la discussion des trois genres du discours rhétorique : le judiciaire, le délibératif, l’épidictique Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Cette distinction des trois genres de discours ne recouvre évidemment pas toutes les situations de communication, même au niveau de la seule parole publique. Ainsi, la rhétorique n’a jamais vraiment étudié le discours d’une personne en position d’autorité, que ce soit le général qui s’adresse à ses soldats ou le professeur qui s’adresse à ses élèves. Le contexte médiologique : l’écriture alphabétique A ses débuts, la rhétorique est fondamentalement une discipline de l’oral. Elle apparaît cependant à un moment ou l’écriture alphabétique s’installe définitivement en Grèce comme le moyen de communication ordinaire, susceptible de concurrencer efficacement la parole. Cette coïncidence n’est probablement pas fortuite, et l’on constate en tous cas que l’art de la persuasion par la parole entretient, paradoxalement, les liens les plus étroits avec l’écriture. Apparition de l’alphabet, en Grèce, au VIIIème S, mais diffusion à partir du Vème S. à cette diffusion ne touche qu’une minorité : l’élite. Elle nous amène à une utilisation régulière de l’écriture. Or l’un des usages de l’écriture sera précisément la composition anticipée de discours. L’écriture peut évidemment aider à mettre au point cette composition anticipée. à Périclès = premier à prononcer un discours écrit d’avance. à création du métier de logographe : écrit des discours que d’autres prononcent, moyennant un prix convenu. L’écriture ouvre d’autres possibilités cognitives. Ici en l’occurrence, l’écriture rend visible, manipulable le discours. Elle offre une plus grande conscience de ce qu’est le discours oral ; elle offre des moyens de le préparer, de le contrôler. L’écriture permet d’étudier une sorte de « parole » ( le « logos » ) indépendamment des conditions d’énonciation, sans le «corps parlant», sans la voix, ce qui aura de multiples conséquences. L’écriture a l’avantage du temps : l’écrivain est libéré des contraintes temporelles qui pèsent sur l’orateur ou le simple locuteur, forcé de dérouler son discours d’un seul tenant; ce qui est dit est dit, et les repentirs ne font que souligner les erreurs; mais à l’écrit on peut revenir en arrière, effacer un mot, choisir, arranger. L’écriture a donc partie liée avec la rhétorique en ce que toutes les deux impliquent conscience et contrôle. L’écriture autorise ce qu’on pourrait appeler un « clivage » de la parole. Elle permet de détacher un énoncé de son émetteur et participe ainsi à fonder l’idée d'une persuasion qui n’appartient qu'aux énoncés et non aux personnes, une persuasion que l’on peut enseigner. Elle met en évidence la persistance du discours séparé de la voix qui l’énonce et, en général, du « corps parlant », et inaugure ainsi l’analyse stratifiée du langage qui sera le credo de la rhétorique. Elle incarne, enfin, la multiplicité des formes qu’on peut donner à une pensée pour produire un certain effet. Multiplicité qui opposera la rhétorique au sermo rectus de l’expression spontanée et du discours philosophico-scientifique, pour lesquels il n’y a qu’une façon de parler, celle qui «colle» exactement à l’idée et aux choses. Il faut savoir que les rhètores sont en fait des hommes politiques, dont le mode d’action a su prendre en compte le caractère propre des institutions démocratiques. Ils se sont spécialisés dans la création de discours efficaces. Cette spécialisation suppose déjà une certaine réflexion sur les moyens de la persuasion, au minimum l’observation et la reproduction de «ce qui marche»; ainsi on a dû très tôt rassembler Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 des collections de préambules ou de lieux communs, si l’on en juge par leur retour verbatim dans les discours de divers orateurs. Ensuite, vint l’abstraction qui coïncide avec le développement de l’usage de l’écriture. On voit apparaître le terme technè (ars en latin), la technique, désormais distincte de la pratique. On ne se contente plus d’improviser le discours, même après y avoir réfléchi, on l’écrit d’avance ou on le fait écrire par un spécialiste. Desbordes : « L’affirmation que la rhétorique est une technè implique en outre qu’on est désormais en mesure d’exposer ce qu’il faut faire (et ne pas faire) pour persuader, qu’on peut énoncer des règles, qu’on dispose d’une méthode qui produira un «bon» discours. » Un écrit de la rhétorique, fut communément appelé technè, terme qui finira par être à peu près synonyme de «manuel» ou de «traité» et permettra la transmission des savoirs. Critique : - les discours sentent l’huile : ont été écrits la nuit à mensonge à La spontanéité et l’improvisation étaient considérés comme les garants de la sincérité de l’orateur. Défense : - l’entraînement par l’écrit, au lieu de paralyser l’orateur, lui permettra de rester maître de son discours jusque dans l’improvisation. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 2. Niveau métacommunicationnel : le réseau rhétorique Le réseau Nous parlons ici de «réseau», car la rhétorique va progressivement se constituer en un réseau de savoirs que l’on peut prendre comme un tout, même si : - elle n’est pas née entièrement constituée - elle n’est pas le fait d’un seul homme La rhétorique est une prodigieuse construction intellectuelle, dont les subdivisions se poursuivent presque à l’infini, et qui vise à rendre compte de l’art de la parole dans sa totalité. Ce système est très vite devenu le centre de la formation des élites et en est venu, par ce fait, à constituer le bien commun de tous ceux qui y avaient été formés. à enseignement de la communication au cœur de la culture et de l’enseignement antique. Dans ce réseau, certains noms peuvent avoir changé d’une époque à l’autre, certains pôles peuvent s’être développés plus que d’autres, mais ils dévoilent, précisent, balisent un large champ de la communication humaine. Cette relative constance de la rhétorique au fil des époques est due à une série de circonstances " internes et externes au système. Notons entre autres : - la grande cohérence de l’édifice théorique qui a permis la transposition à des situations de discours différentes de celles qui prévalaient à l’origine. - Le conformisme au niveau de son enseignement, la rhétorique étant devenue la matière servant d’identité à l’ensemble des élites des classes dominantes de l’antiquité à la renaissance et au-delà. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Ethos, pathos et logos La découverte fondamentale de la rhétorique : la persuasion est toujours persuasion de quelqu’un, par quelqu’un d’autres, sur base d’un discours particulier. La dimension de l’orateur = l’ethos, car rien n’est plus convaincant ni séduisant que la force morale, le caractère et les vertus d’autorité dont doit faire preuve en une certaine matière celui qui cherche à persuader ou à plaire. La dimension de l’auditoire = pathos, car celui qui écoute passivement un discours de l’orateur est traversé par des passions que les propos tenus mettent en mouvement (d’où le concept d’émotion). La dimension du langage = le logos, qui est défini à la fois par le style et la raison, les figures et les arguments, ou comme l’on dit aujourd’hui, le figuré et le littéral. Aristote : « Ceux qui jugent sont toujours persuadés ou parce qu’ils ont éprouvé eux-mêmes quelque passion, ou parce qu’ils croient que les orateurs ont telles qualités, ou parce qu’une démonstration a été faite » Desbordes : « l’idée brillante d’Aristote est qu’il doit y avoir dans le discours, outre la «démonstration», de quoi rendre le locuteur crédible et de quoi disposer l’auditeur à le croire. » Ethos = caractère que doit faire transparaître dans son discours l'orateur pour inspirer confiance à son auditoire. Ce qui compte ici, c’est la « convenance de l’ethos » de l’orateur au public auquel il s’adresse. Ex : Dans une publicité pour vendre une brosse à dent à un public tout venant, on la fait présenter par un monsieur habillé en blouse blanche pour façonner un ethos du «docteur en dentisterie», ou du «chercheur en laboratoire». En ce qui concerne la vie politique, on observera que les caricatures mettent souvent en évidence ces caractères de l’ethos des personnages publics. C’est entre autres dans des cadres politiques comme ceux-là, que l’on voit utilisé abondamment l’argument d’autorité et l'argument ad personam. Ces arguments ont un rapport étroit avec l’ethos. Ainsi, l’argument d’autorité consiste à justifier une affirmation en se fondant sur le prestige, la valeur, le respect moral et/ou intellectuel de son auteur. On donne du poids à une assertion en la rattachant à l’ethos, au « caractère » de son auteur. L’argument ad personam pour sa part est un argument d’autorité inversé par lequel on cherche à réfuter une assertion en essayant de disqualifier l’énonciateur de celle- ci à On lie la valeur (négative) de l’assertion à l’ethos du locuteur. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Le poids des arguments dépend beaucoup de la confiance qu'un orateur inspire d'emblée. L'orateur qui a cet ethos, doit naturellement tout faire pour ne pas le mettre à mal, sans quoi malgré tout il perdrait sa crédibilité : il doit se montrer : - Sensé : capable de donner des conseils raisonnables et pertinents - Sincère : ne pas dissimuler ce qu’il pense ni ce qu’il sait - Sympathique : disposé à aider son auditoire Pathos = l'ensemble des émotions, passions et sentiments que l'orateur doit susciter dans son auditoire. Pour persuader, il faut émouvoir le public, jouer sur les cordes des passions afin de créer un état d’esprit qui le rendra favorable à la thèse qu’on défend. Déjà les premiers rhéteurs avaient mis l’accent sur la dimension passionnelle de la persuasion. Gorgias : - La puissance de l’orateur est une sorte de pouvoir magique - La technique pour s’emparer des âmes par le discours (psychagogie) consistait essentiellement à mettre en œuvre dans la prose des procédés généralement propres à la poésie tel que : Les répétitions Le rythme Les images - La beauté esthétique > le contenu Cette idée que le « beau » discours peut avoir un effet magique sur le public auquel on s’adresse trouve sans doute aujourd’hui encore des adeptes qui insisteront -par exemple dans le domaine de la publicité- sur « l’esthétique », la « beauté formelle » du message. On considérera qu’il s’agit d’une condition de base pour emporter l’adhésion. Pour convaincre, une connaissance des passions et des mœurs de ceux auxquels s'adresse la rhétorique est primordiale. C’est pourquoi, à côté du caractère de l’orateur, la rhétorique développera ce que l’on pourrait appeler une « psychologie des passions » et une « sociologie des caractères » des différents publics. Une partie importante de la rhétorique d’Aristote est consacrée à ce que nous pourrions appeler aujourd’hui une «psychologie» et «sociologie» des publics. C’est si vrai qu’on pourrait dire en ce sens que la rhétorique est à la base de ces deux sciences de l’homme. Ainsi, dans la Rhétorique d’Aristote, on voit mentionnées 14 passions distinctes : colère, calme, honte, impudence, amour, haine, indignation, envie, émulation, crainte, audace, compassion, bienveillance, mépris. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 En ce qui concerne les différents publics cibles, la rhétorique d’Aristote établit les distinctions suivantes quant à leurs caractères : de la jeunesse ; de la vieillesse ; de l’homme fait ; des nobles ; des riches ; des puissants. Ex : La jeunesse animé par leurs désirs. Ils sont enclins à la colère et à l’emportement, toujours prêts à suivre leurs entraînements et incapables de dominer leur fureur. Par amour-propre, ils ne supportent pas qu'on tienne peu de compte de leur personne, et se fâchent quand ils croient qu’on leur fait tort. Cet appel et cet intérêt pour les passions sont une des préoccupations centrales de la rhétorique, tout au long de son histoire. Le rhéteur sait qu’une argumentation purement intellectuelle n’emportera que rarement à elle seule une adhésion décisive. Si l’on veut inciter ses auditeurs à l’action il faut créer une motivation forte. Cet appel aux passions, est aussi nécessaire aujourd’hui que du temps d’Aristote ou de Saint Augustin si l’on veut mobiliser un public. On remarquera ici combien bon nombre de publicités semblent suivre à la lettre le conseil des anciens, en mettant en avant de façon parfois flagrante, de façon parfois plus discrète ces ressorts psychologiques qui poussent à l’action. Parmi les appels à la passion les plus flagrants, on pensera à ceux qui jouent sur la pitié ou sur la peur. Ex : campagne de sensibilisation pour les accidents de la route, les campagnes anti-tabac, etc. Le logos L’orateur est tenu d’argumenter, montrant par là qu’il attache du prix à l’adhésion intellectuelle de son public. C’est dans le cadre de cette étude du logos en tant que tel que l’on verra se développer une réflexion sur la logique propre au domaine du discours public. C’est aussi ici que l’on étudiera la façon de trouver les arguments convaincants. C’est en relation étroite avec ces études sur le logos de la rhétorique que l’on verra naître deux traditions : celle de la logique-dialectique et celle de la grammaire. Les cinq tâches de l’orateur Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 L’invention des arguments est une opération de la pensée, les arguments eux-mêmes sont encore des noyaux synthétiques, qui reçoivent une première expansion dans le schéma qui les relie de la façon la plus efficace. Vient ensuite la mise en mots, c’est-à-dire le choix dans l’éventail infini de dire «la même chose». Puis la mise en mémoire de ces mots qu’on obtient soit en se fiant à sa mémoire naturelle, soit en utilisant une méthode artificielle, une mnémotechnique. A ce stade, les mots sont des formes encore dépourvues de voix, mots qu’on transfère d’un support à un autre : du discours intérieur qui les crée au papyrus ou à la cire où on les note, et de là à la mémoire où on les garde jusqu’au moment de leur utilisation. Mais l’action finale n’est pas une simple répétition : elle ajoute, en se tenant au plus près des réactions du public, les effets de voix, de physionomie et de geste propres à seconder le message; et c’est elle, au jugement de plus d’un, qui joue le plus grand rôle dans la persuasion. Les cinq tâches que doit réaliser l'orateur : 1. comprendre le sujet et rassembler tous les arguments pouvant les servir (inventio); 2. les mettre en ordre, faire un plan (dispositio); 3. rédiger le discours aussi bien que possible au niveau du style (elocutio); 4. mémoriser son discours (memoria); 5. enfin le prononcer effectivement (actio). 1. L’inventio = rassembler son dossier, de trouver les arguments efficaces. D’anticiper ce que pourraient être les arguments de la partie adverse pour les réfuter, etc. Les chapitres concernant l’invention proposent une série de conseils et de « trucs » pour trouver ses arguments. Ex : - connaître à fond le dossier que l’on doit traiter. - Fournir une série d’arguments clefs qui peuvent être adaptés à tous les discours - préparer son discours en passant en revue une série de questions types - etc. 2. La dispositio = le plan du discours, la façon dont on va agencer les différentes preuves et les différents arguments repris et inventés. La technique enseigne que, pour persuader, un discours doit suivre un certain ordre logique, c’est-à- dire avoir, au minimum, un début, un milieu et une fin. En décomposant, on a donc, au début, un exorde, une entrée en matière qui assure l’attention et si possible la bienveillance des auditeurs; à la fin, une péroraison où l’on récapitule les points que l’auditoire doit bien avoir à l’esprit au moment de voter, et qui est aussi le lieu privilégié des appels à l’émotion, pour «emporter le morceau» au dernier moment; et au centre, l’exposé des faits, la « narration » apparemment objective et l’argumentation, qui se veut démonstration rationnelle de la thèse soutenue. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 L'exorde a pour but de rendre l'auditoire « attentif, bienveillant et docile », au sens de « apte à se laisser instruire ». Si l'exorde est ce par quoi le discours commence et a donc aussi pour fonction d'annoncer le sujet du discours, sa fonction principale est bien de rendre le public réceptif. L’exorde fait l’objet d’une attention pointilleuse par les rhéteurs car c’est le moment crucial de la prise de contact où l'orateur qui prétend s’adresser à tous rencontre souvent la résistance de chacun. La narration est l'exposé des faits. Elle doit être claire, concise, c'est-à-dire sans rien d'inutile, et plausible, même et surtout quand elle est tendancieuse. Sa fonction première est d'instruire. Ses trois qualités : - Clarté - Brièveté - Crédibilité La confirmation correspond au moment de la preuve et de la réfutation : - la confirmation au sens strict est l'ensemble des preuves que l'on apporte ; - la réfutation est l'ensemble des objections que l'on porte aux arguments adverses. La péroraison, est, en fait, le symétrique, à la fin du discours de l’exorde. Elle doit pouvoir affecter le public de façon suffisamment forte pour persister en chacun jusqu’au moment du vote. Elle est considérée comme le moment privilégié du pathos, de la manipulation des passions. La péroraison est donc ce qui met fin au discours : après le « plaire » de l'exorde, l' « instruire » de la narration et de la confirmation, c'est le moment de l’ « émouvoir ». Dans cette dernière partie du discours, on aura tendance à employer l'amplification. Elocutio = la mise en style du discours. Elle correspond à la rédaction à proprement dite du discours. Il ne s'agit donc pas, en pensant à l'exercice scolaire que sont les « élocutions » sur différents thèmes, de confondre l'élocution rhétorique avec la présentation publique du discours (= actio ); elle concerne d'abord la « mise en Style » que prépare l'orateur, le plus souvent d'ailleurs par le recours à l'écrit. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 C’est dans cette partie que les anciens parlent du style. Ce qui a frappé les anciens, c’est que l’on peut dire la même chose, mais de façons différentes. La rhétorique pose d’emblée que l’on peut « dire la même chose de plusieurs façons » et considère séparément le fond et la forme, les res et les verba. Ce constat recoupe en partie ce que la sémiologie contemporaine appelle parfois « l’autonomie de la sémiosphère » : entre les signes et les référents, il y a du jeu, de la marge. Si on peut dire les choses de diverses façons, laquelle doit-on choisir ? La rhétorique étant un discours énoncé par quelqu’un, conçu pour convaincre quelqu’un de quelque chose, la réponse est simple : la forme, le style qui convient le mieux pour convaincre le public cible. L’élocution rhétorique introduit ainsi la règle de la « convenance » dont Aristote avait noté toute l’importance. Le style choisi doit être adapté conjointement au sujet, à l’orateur, et au public visé. Il faut une convenance : - au sujet ; il existe trois styles : noble : émouvoir à péroraison simple : expliquer, informer à narration / confirmation agréable : plaire à exorde - à l’orateur ; Un style qui convient dans le discours d’un jeune pourrait sonner faux dans la bouche d’un vieux - au public ; le principe du « persuasif pour quelqu’un » La règle de la clarté : règle de la convenance au public auquel on s’adresse. - Emploi d’un langage clair - Bannir les jargons, les termes spécifiques - Emploi d’une obscurité contrôlée à Le rhéteur doit essayer d’obtenir la collaboration du public. L’idée générale de l’élocution selon Aristote est bien que la parole efficace doit tenir compte de la situation d’énonciation (dans une sorte de feed-back). Le moindre détail du style, de la forme, doit être le résultat d’un calcul conscient de l’orateur, qui s’adapte à cette situation. Cependant, ce point de vue fonctionnel sur l’elocutio a été dès l’origine de la rhétorique concurrencé par un point de vue esthétique ( Gorgias ). L’esthétique prendra de plus en plus d’importance au fil de l’histoire de la rhétorique en particulier lorsque les conditions originelles de l’invention de la rhétorique disparaîtront. Lorsque notamment l’espace juridique et l’espace politique perdront de leur importance et que l’épidictique se développera dans les discours de circonstance et d’école, on verra enfler cette partie. Selon Cicéron l’orateur doit maîtriser les trois styles : le style simple servant à démontrer (probare), le style intermédiaire à plaire (delectare) et le style élevé à émouvoir (movere). Il s’agit donc ici de ne pas confondre «style» au sens rhétorique avec « style poétique » au sens où nous l'entendons couramment. En effet d’une part, la rhétorique concerne avant tout des discours en prose, et non des discours versifiés. Et d’autre part, la poésie, à la différence d'un discours rhétorique, ne se donne pas pour but premier de convaincre; elle est plus souvent jeu sur le langage admettant archaïsmes et allégories Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 ésotériques ce qui ne convient pas pour un discours rhétorique puisqu’il ne serait pas compris de façon immédiate. Il existe également les figures de style. La théorie des figures de style n’est qu’une sous-province de l’empire rhétorique. Fonction : trouver le moyen de s'exprimer de façon frappante devant un public donné. Elles sont classés de manière cicéronienne binaire : - Les figures de mots Souvent employés dans de slogans publicitaires, mais peut également se trouver dans le discours politique ou humanitaire. Exemples : Le calembour : rapprocher deux mots semblables en apparence, mais de sens différents. à désarme l’adversaire Certaines figures de mots ont tendance a persuader, en s'appuyant sur cette homophonie entre mots, comme s'il y avait une nécessité donnée par la forme (le signifiant), qui imposerait un signifié. D'autres figures de mots sont basées non sur l'homophonie mais sur le signifié, le sens des mots. Métaphore : désigne une chose par le nom d’une chose qui lui ressemble à publicité ( analogie suggérée par l’image ) à métaphore clichés à métaphore « morte » et installée comme tel dans la langue : catachrèses La métonymie : figure qui consiste à désigner par le nom d’un autre ayant avec lui un lien habituel, ceci permettant d’évoquer l’autre et, par-là, de donner un sens au message. Ex : boire un verre à publicité - Les figures de pensée Elles ne dépendent pas des mots amis des idées. Allégorie : description ou récit dont on peut tirer, par analogie, un enseignement abstrait, souvent religieux ou moral. à possède un sens littéral et dérivé à doit être directement comprise pour être efficace Ex : parabole du semeur Ironie : consiste à dire le contraire de ce que l’on veut dire, dans le but de railler, de faire rire par le contraste entre les deux sens. La façon habituelle d'envisager la figure de style est d'y voir un « écart » par rapport à une norme d'usage courant du langage. Cette notion d'écart a encore été largement reprise par des théoriciens contemporains de la rhétorique, qui ont même défini le champ de la rhétorique comme l'étude de ce champ de l'écart par rapport à un « degré zéro » de style. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 La figure qui fonctionne est au celle qui en dit plus que ce que dirait le sens propre. Il y a dans le slogan un gain sémantique, ne fût-ce que quant à la force d'une telle expression. Memoria L'orateur ne lisait pas son discours à haute voix : il l'apprenait de mémoire. Cette mémoire au départ est une faculté qui sert en tout domaine, pas seulement en rhétorique. En effet, cette pratique de la mémoire est indispensable pour les anciens. Aussi, en dehors même de la seule rhétorique, elle se cultivait « naturellement », et des allusions à des techniques de mémorisation apparaissent bien avant leur inclusion dans la rhétorique. C’est dans le cadre de la rhétorique, pour accroître cette faculté naturelle de mémoire, que s’est développée une véritable technique, une « mnémotechnie ». Cette technique consiste à se représenter mentalement une succession de lieux dans lesquels on dispose des images destinées à rappeler des éléments ou des mots du discours. Cette méthode a, connu des développements surprenants au Moyen Age et à la Renaissance, comme l’ont mis en évidence les travaux fameux de Frances A. Yates sur L’art de la mémoire. Actio = la prononciation du discours. C'est le passage du discours en puissance à l'acte de le communiquer à un public réel. L'écrivain se fait acteur. Il est intéressant de rappeler que « actio » ou « pronunciatio » en latin se disait en grec « hypocrisis », terme qui a donné hypocrisie en français, mais qui, à l'origine, était employé entre autres pour désigner le jeu de l'acteur au théâtre, sans qu'il y ait là un sens péjoratif. L'acteur comme le rhéteur doivent impérativement exprimer des sentiments, s'ils veulent « communiquer » leur discours. à volonté de contrôle du non-verbal. Il faut parvenir à savoir comment dire ce qui a été préparé, comment l’exprimer physiquement, de façon crédible pour les publics auxquels s’adressent les discours rhétoriques. Quintilien : « Quant à l’action, elle a dans les discours une efficacité et un pouvoir extraordinaire, car ce qui compte n’est pas tant la qualité de ce qu’on a composé dans son for intérieur que la manière dont on le traduit extérieurement, l’impression de chacun n’étant fonction que de ce qu’il entend. » L’actio est le moment où les anciens conseillaient de développer tous les moyens que nous appellerions « audio-visuels » qu’ils pouvaient avoir à leur disposition. Pour décrire les technè rhètorikè quant à l’actio, il est difficile de se baser uniquement sur l’écrit pour donner des instructions théoriques qui se prêtent mieux à la démonstration pratique. On a plus vite fait de montrer par l’exemple la position de la main recommandée pour l’exhortation ou pour l’accusation que d’en faire une description écrite. Il y a deux éléments essentiels qui sont travaillés par les rhéteurs au niveau de l’actio : la voix et le geste qui sont constitutifs de la communication par le corps. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 La voix Grille rhétorique élaborée pour les qualités su style : - Correction - Clarté - Élégance - Convenance Les mêmes mots, suivant l’intonation, servent à indiquer, à affirmer, à critiquer, à nier, à s’étonner, à s’indigner, à interroger, à railler, à déprécier. Que sur ce mot ou un autre au choix, l’on fasse l’essai de le prononcer avec l’accent de toutes les émotions, et l’on reconnaîtra la vérité de ce que nous disons. Le geste La méthode de l’ecphrasis, par enchaînements et enchâssements successifs, de la tête, aux épaules, aux bras, aux mains, au reste du corps, jusqu’aux pieds. Le corps anatomisé est ainsi parcouru du haut en bas, chaque partie s’éveillant tour à tour dans la manifestation de son expressivité propre, une expressivité qui s’étend, pour finir, au vêtement, destiné lui aussi à participer en quelque sorte au spectacle La tête ( visage et yeux ) C’est à la physionomie qu’appartient le pouvoir suprême. C’est elle qui nous fait suppliants, menaçants, flatteurs, tristes, souriants, fiers ou modestes; c’est à quoi les gens sont suspendus, ce qu’ils fixent, ce qu’ils scrutent, avant même qu’on n’ouvre la bouche; c’est ce qui rend tel ou tel sympathique ou antipathique, ce qui fait comprendre bien des choses, ce qui vaut souvent tout un discours. Le reste du corps L’étude du geste corporel va jusqu’à étudier les mouvements des jambes et des pieds qui eux aussi trahissent les émotions. Cependant, au niveau des gestes, la main reçoit une attention toute particulière. Elles permettent de demander, de promettre, d’appeler, de congédier, de menacer, de supplier; de marquer l’horreur, la crainte, le question, la négation, la joie, la tristesse, l’hésitation, l'aveu, le regret, la mesure, la quantité, le nombre, le temps, etc. à démontré dans l’Apologie de Raymond de Sebonde par Montaigne Cette science de la main, cette « chirologie » sera étudiée elle aussi au fil de l’histoire, dans la tradition de la rhétorique ancienne. Elle donnera lieu à des travaux comme ceux de Bulwer. L’anglais Bulwer a ainsi distingué, sous deux titres distincts, la Chirologie (Chirologia, or the Natural Language of the Hand, 1644) et la Chironomie (Chironomia, or the Art of Manual Rhetoric). Le premier essaye de décrire la connaissance pure que l’on peut avoir du langage des mains, le second donne des conseils de rhétorique appliquée à la façon de communiquer efficacement avec les mains. Actualité de l’actio 1. L’apparition du micro a bouleversé l’actio rhétorique. Elle a imposé d’autres règles à la façon de s’adresser à un grand public. Or, la théorie de l’action oratoire, est liée, comme les autres parties de la rhétorique, au fait que l’orateur s’adresse à un public nombreux. Elle développe donc une éloquence du corps proche de l’art théâtral. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 à L’orateur peut s’adresser à la foule comme s’il parlait à un proche. Il est clair que le microphone impose une transformation profonde de l’action rhétorique classique. 2. L’apparition de la télévision va également révolutionner l’actio rhétorique. L’orateur à l’ancienne qui devait multiplier les gestes pour porter le sens de son propos jusqu’au dernier rang de la foule, passerait pour ridicule à la télévision aujourd’hui. Il a fallu un apprentissage de ces nouvelles façons de parler en public, au fur et à mesure que la radio, puis la télévision sont devenues les lieux incontournables de la parole publique. Certains l’ont appris à leurs dépens. Ex : course à la Maison Blanche qui opposait, en 1960, John Fitzgerald Kennedy à Richard Nixon au cours d’un débat télévisé vu par 65 millions d’Américains. L’effet de cet affrontement fut immédiat et retentissant : c’est à ce moment-là que quatre millions de l’ensemble des votants prirent leur décision. Ils choisirent Kennedy pour 75 % d’entre eux. Il est donc clair que les nouveaux moyens de communication forcent à réinventer autrement les règles de l'actio. Certains conseils antiques demeurent bien sûr, comme la pose de la voix, la maîtrise du souffle, la variété du ton et du débit... Mais l'actio est par ailleurs l'une des parties où les conseils des anciens sont les plus éloignés de ce qu'il nous faut savoir pour « parler en public » aujourd'hui. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 3. Une métarhétorique philosophique La rhétorique : une pratique mensongère antidémocratique ? On verra se développer un champ de réflexion, non seulement sur son utilité et sa légitimité, mais aussi sur ses méthodes et ses fins, sur ses origines et son évolution. Il s’agit bien ici d’un savoir de type «méta-méta-communicationnel»». En effet, depuis son origine, et tout au long de l’Antiquité, la pratique de la rhétorique, mais aussi son enseignement donnera lieu à un commentaire ininterrompu. Nous avons donc bien ici un type de discours « méta-méta-communicationnel ». Ces discours «autour» de la rhétorique, et en définitive de la communication, ne sont pas marginaux dans l’histoire de la pensée occidentale. Au contraire, on pourrait dire que ces questions de « méta- rhétorique » sont un des axes, sinon l’axe central du développement de la philosophie en Occident. Il faut prendre la mesure de cette révolution de la pensée qu’a pu représenter l’invention d’une technique de communication dans le cadre démocratique. L’expérience du débat contradictoire est certainement une expérience déstabilisante qui a pu paraître à beaucoup inacceptable : ne plus avoir affaire à une vérité assertorique, toute puissante, mais à une multitude d‘« opinions » auxquelles s’opposaient d’autres « opinions ». Cette conscience de la contradiction des discours fut essentiellement expérimentée dans les institutions par la pratique du débat contradictoire des tribunaux où, lorsqu’on présente une thèse, on oblige, en justice, d’entendre, avant de juger, la thèse contradictoire de la partie adverse. Cette expérience de la contradiction institutionnalisée est renforcée par le sentiment qu’on ne trouve, dans de très nombreux cas, aucun moyen de trancher de façon claire entre les deux thèses. En effet, ni la thèse vraie, ni la thèse fausse concernant un fait passé ne permet généralement, dans le cadre d’un tribunal, une vérification absolue. Et c’est précisément ici qu’intervient la rhétorique. Elle se propose de donner des armes pour persuader la foule, sans se soucier de résoudre le problème de la vérité des énoncés. Mettre ainsi l’accent sur une technique de persuasion, comme le fait la rhétorique, et non sur la découverte de la vérité de l’information, c’est donner droit de cité au mensonge. à critique essentielle de la rhétorique : c’est un art qui repose sur le mensonge. à au centre d’une accusation morale La rhétorique devient immédiatement un problème politique pour l’organisation démocratique de la cité. En effet, deux cas peuvent se présenter : - Soit les adversaires luttent à armes inégales, l’orateur le plus doué fait passer la mauvaise cause, et la justice est bafouée. C’est inacceptable. On condamne l’innocent. On libère l’assassin. La démocratie n’en n’est pas vraiment une. - Soit les adversaires luttent à armes égales, ils sont tous les deux au même niveau, mais alors, on arrive à une situation où les institutions juridiques n’arrivent plus à trancher : un avis vaut l’autre avis. On ne sait pas si l’innocent est ou n’est pas coupable. Ce qui remet aussi en question l’utilité de l’institution judiciaire de type démocratique. La critique de la communication rhétorique devient une critique politique de la démocratie. Utilisation du même argument dans : Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 - Le système juridique : possibilité de se payer un bon avocat - Les débats politiques : meilleure campagne pcq + de moyen - Le milieu commercial : seules les grandes entreprises peuvent se payer de la bonne publicité La rhétorique annihile l’espace démocratique idéal où une prétention à la vérité s’oppose à une autre prétention à la Vérité. Deuxième critique : - La rhétorique est inutile - Iiée à une critique d’ordre esthétique : art des fioritures et des fleurs de rhétorique à >< au style naturelle du degré zéro Les sophistes : priorité à la communication Ils ont joué un rôle dans la diffusion d’une conception générale du langage. Constatant les nombreuses et profondes ambiguïtés du langage, ils vont insister sur le pouvoir d’influence et de persuasion du discours. à impossibilité de connaître la Vérité Le plus connu des textes qui montrent cette impossibilité radicale de savoir est un texte de Gorgias intitulé, Le non-être ou de la nature, qui défend trois thèses successives - et peu importe ici qu’il s’agisse ou non d’une parodie : 1. Rien n’existe; 2. Même si quelque chose existe, ce n’est pas appréhensible par l’homme; 3. Si même c’est appréhensible, on ne peut l’exprimer et le communiquer à autrui. Se basant sur l’expérience d’une différence entre le langage et le réel, les Sophistes prétendront qu’il est vain de s’intéresser à la vérité du « dit », nous dirions de l’information, dans son rapport au référent. Ils ne voudront s’occuper que de l’efficacité du «dire» sur la foule ou sur tout interlocuteur, nous dirions aujourd’hui de la communication. Les Sophistes porteront une attention à la communication persuasive au détriment de l’information, ce qui deviendra l’objet de la critique majeure des philosophes. Mais cette attaque sera renforcée par le fait que, les Sophistes étant généralement des professeurs itinérants allant de ville en ville, ils prétendaient enseigner l’« excellence » (aretè) à qui voulait les payer et il semble que les tarifs étaient plutôt élevés. Les philosophes : priorité à l’information Les philosophes = les penseurs qui vont s’opposer aux Sophistes et prendre la tête de la critique de la rhétorique, quitte à proposer une «rhétorique philosophique». La condamnation de la rhétorique par les philosophes, depuis Platon est fréquente et répétée. Aucune école de philosophie n’admettra jamais qu’il soit légitime de persuader quelqu’un de quelque chose qui n’est pas la vérité. à Ils sont à la recherche de la vérité ( celle qui ne dépend pas de l’agôn verbal que l’on tient sur la place publique ) L’idée que l’on peut avoir raison contre tous, que la cité, la foule peut se tromper est sans doute le ressort essentiel de L’apologie de Socrate. Apologie des trois amis : - Est-ce que l’on dit la vérité ? Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 - Est-ce que ce que l’on va dire fait intervenir la bonté ? - Est-ce que c’est une nécessité ? Platon affirmera toujours la nécessité de penser en dehors de la situation d’agôn verbal. Cette nécessité d’apprendre à penser en dehors de l’agôn, de traiter de l’objet en soi d’une discussion, est également affirmée par Aristote dans une sentence qui mérite d’être méditée : «Nous avons tous cette habitude de mener nos enquêtes en visant non pas l’objet lui-même, mais notre contradicteur.». Les philosophes ont essayé de constituer aux marges de la cité « un espace intersubjectif d’échanges », où l’accent portait moins sur le «combat» que sur une « dialectique coopérative » en vue de construire un discours vrai. De plus, contrairement à la situation de débat public, où il faut voter en fin de séance et où de plus, la clepsydre limite le temps de parole des parties adverses, le temps des philosophes leur permet de reporter presque indéfiniment le moment de la « décision ». à Ils cherchent une vérité a-temporelle Cette croyance qu’il peut exister un «logos» vrai, indépendant des circonstances de l’énonciation, ils le tirent également de leur expérience de l’écriture. En effet, ce qui va servir de modèle au philosophe dans sa quête de vérités indépendantes de l’agôn, c’est l’expérience de la géométrie et des mathématiques, un autre héritage de l’écrit. à Les philosophes essayeront de supprimer les contradictions et les mensonges du tribunal ou de la place publique. à volonté de rétablir un consensus autour de ce qui est vrai. Aristote : La rhétorique est inévitable dans l’espace de la cité. Il y a toujours l’idée de contenir la rhétorique, d’en borner les limites et de réserver une place à des formes d’échanges qui sont extérieures à l’empire rhétorique. La réflexion sur la communication en Occident ne se borne évidemment pas à la rhétorique. Mais la rhétorique est la pièce fondatrice de la réflexion sur la communication, à partir de laquelle on pensera à d’autres formes de communication, même si l’on veut échapper à la rhétorique, faire de l’antirhétorique comme les philosophes. Conclusion : actualité du débat sophistes-philosophes. Les philosophes condamnent le mensonge rhétorique, et les rhéteurs se moquent des philosophes qui perdent leur temps à couper les cheveux en quatre. L’antagonisme a certainement des raisons profondes et désintéressées, scientifiques ou épistémologiques. Il tient aussi à une rivalité des professeurs se disputant l’éducation de la jeunesse, parfois à des questions de personnes, parfois aussi à des luttes d’influence auprès des pouvoirs. Ce débat n’a pas que des retombées contemplatives. Il se cristallise dans des mots qui orientent l’organisation de nos institutions en matière de communication. Nous ne prendrons ici, en guise de conclusion de ce chapitre, qu’un exemple : la séparation que certains veulent introduire aujourd’hui entre «communication» et «information». Dans le monde du journalisme, on a vu se préciser de plus en plus, au fil des dernières années, une tendance qui veut opposer «communication» et «information». On dira par exemple que le métier de journalisme est un métier de l’information, tandis que la publicité, les relations publiques, sont des métiers de la communication. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 La tyrannie de la communication de Ignacio Ramonet met en avant cette opposition. à L’information sans effort est une illusion qui relève du mythe publicitaire car s’informer fatigue, demande un effort. Edwy Plennel : Le nouvel Observateur ; « l’information dérange, la communication arrange » Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 4. Une rhétorique de masse Le monde est incroyablement plein d’ancienne rhétorique ( R. Barthes ) « Lorsque nous pensons la communication, nous le faisons presque naturellement en termes rhétoriques ». Toute cette tradition rhétorique, c’est-à-dire en définitive cette tradition de la « communication recherchant un effet persuasif », va dominer toute l'éducation en Occident, tout au long de 2500 ans d'histoire. Elle sera d’abord reprise par les Romains, notamment par Cicéron qui en fera le cœur de l'idéal d'éducation romain, à savoir l’humanitas ; elle sera reprise ensuite et adaptée dans le cadre du christianisme, pour former les élites chargées d'interpréter les textes sacrés et d'administrer les biens temporels de l'église; on la redécouvrira et on l'adaptera à la Renaissance. La rhétorique a à ce point dominé notre histoire culturelle, que l'on a difficile à penser aujourd'hui la communication en Occident, même quand on n’en est pas directement conscient, indépendamment de cette tradition. Gorgias : La rhétorique donne accès à ce qu’il faut bien appeler une surcivilisation. Barthes : Il y a une sorte d’accord obstiné entre Aristote (d’où est sortie la rhétorique) et la culture dite de masse. Le contexte politique, culturel et médiologique de la naissance des sciences de la communication et le modèle hypodermique de la communication. Dans Propaganda Techniques in the World War, publié en 1927, Lasswell revient sur le conflit de 1914-1918. A l'approche du second conflit mondial, on peut également citer l'ouvrage publié en 1939 par Tchakhotine, émigré Russe en France dont le titre reflète bien la prise de conscience de l'influence des médias : Le viol des foules par la propagande politique (I939). Cette prise de conscience du fait qu’il y a moyen d’influencer les opinions n’échappera pas à certaines élites intellectuelles qui se proposeront de manipuler des médias, non plus seulement à la demande des états, des partis ou des pouvoirs publics, mais aussi sur commande d’industriels qui voudront orienter à leur profit les modes de consommation des masses. La gestion gouvernementale de l’opinion et la publicité commerciale seront les « noyaux durs » qui pousseront par leurs intérêts à un développement des sciences de la communication. On observera bientôt l’influence sur les opinions de l’industrie culturelle du divertissement au travers des médias : cette influence à plus long terme, n’est pas sans rappeler par certains traits le rôle Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 apparemment moins immédiat des discours que les anciens rhéteurs qualifiaient par le terme d’« épidictiques ». L’idée qui s’impose à l’époque est cependant celle d’une « toute-puissance » des médias. Cette toute-puissance semble en effet évidente et s’appuie d’ailleurs sur une expérience fameuse celle de la « guerre des mondes », diffusée à la radio en 1938. La plus connue est celle où Orson Welles crée la panique en mettant en onde, durant la nuit du 30 octobre 1938, sur CBS, le roman « la guerre des mondes » de H. G. Wells (1898), qui relate une, invasion des Martiens, en faisant croire que ceux-ci arrivaient réellement. En fait, l’image que l’on conçoit alors de l’influence des médias sur les populations est celle d’une relation directe, partant des « mass media » et atteignant ce que l’on nomme alors les « masses ». Pour être plus précis, on pourrait certes figurer cette conception de la façon suivante, car on se représente les « masses » comme un ensemble d'individus atomisés. Mais en fait, on décrit le plus souvent la « masse » comme un tout compact, une unité que les médias peuvent modeler à leur guise. Cette façon de penser l’influence «modelante» des «mass media» sur les «masses», correspond en fait, dans les représentation de l’entre-deux guerres, aux théories psychologiques en vogue, celle de la psychologie des foules de Le Bon mais surtout au béhaviorisme, qui à l'époque tente d'expliquer l'intégralité des comportements humains en termes de Stimulus à Réponse : S à R Watson : béhaviorisme ( conductivisme ) + expérience avec la fourrure ( sylla 1 page 89 ) C’est à ce modèle du "Stimulus - Réponse" «S -> R» que se réfère Lasswell, l’un des plus éminents théoriciens de la communication, lorsqu’il essaye de décrire les relations des médias sur les masses. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Lasswell introduira d’ailleurs une métaphore pour expliquer la façon dont le média est supposé agir sur le public amorphe : celle de l’ «aiguille hypoderrnique»; c'est l'expression que donne Lasswell lui- même pour caractériser l'impact direct que le média est supposé avoir sur les masses. Gorgias : Il compare le pouvoir du langage rhétorique sur la disposition de l'âme à la prescription de médicament sur la nature des corps. à « la rhétorique est un art de combat. » La critique philosophique considérera que « ce pouvoir est beaucoup trop dangereux pour être abandonné à n’importe qui ». En revanche, lorsque c’est le Sage, le philosophe, le détenteur d’une vérité autorisée qui s’adresse, sans contradiction, au peuple, il peut légitimement faire appel aux ressources d’une «bonne persuasion» destinée à établir ou maintenir un consensus entre tous les membres du corps social» D’où l’idée que l'orateur doit également être un homme de bien. Saint Augustin : « Qui oserait dire que la vérité doit faire face au mensonge avec des défenseurs désarmés. Comment ces orateurs qui s’efforcent de persuader le faux sauraient, dès leur exorde, se rendre l'auditoire bienveillant et docile, et les défenseurs du vrai, par contre, ne le sauraient pas ? » Cette analogie de la rhétorique, du discours, de la parole comme une «arme», mais une arme un peu spéciale, puisqu’elle paraît aussi puissante qu’une arme physique, mais qu’en plus elle obtient l’assentiment de ses victimes, sera reprise dans l’imagerie et les représentation de la rhétorique. à même idée de l’outil dans la propagande. Cette croyance en la toute-puissance de la rhétorique peut faire songer à ces méthodes de négociations que l’on trouve dans le commerce, ou que l’on trouve sur internet. Cette perception de la toute-puissance des médias, qui semblent pouvoir agir comme une drogue au sens de Gorgias, ou un remède que l'on injecterait directement sous la peau des individus atomisés de nos sociétés modernes, diverses expériences semblent la confirmer. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Edward Bernays : fondateur des relations publiques modernes, 1928 : La manipulation consciente et intelligente des habitudes et des opinions organisées des masses est un élément important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme invisible de la société constituent un gouvernement invisible qui est véritablement le pouvoir dirigeant de notre pays. L’idée de la souveraineté, de la toute-puissance de la propagande médiatique se retrouve aussi dans le texte de Lasswell, où il considère que si la propagande peut servir la démocratie et y susciter l’adhésion des masses, elle est tout à fait acceptable. Un peu comme saint Augustin qui considérait que si elle était mise au service du christianisme, du bien, elle pouvait être reprise. à contrairement à ce qui a pu se produire en Europe, en France en particulier, il n’y a jamais eu de coupure aux États-Unis avec la tradition rhétorique. L'âge d'or de cette rhétorique aux États-Unis va de la moitié du XVIIIème au milieu du XIXème siècle. La rhétorique est alors la discipline clé des programmes de l'enseignement supérieur, des fameux « Collèges » : ces programmes d'études supérieures étaient généralistes, dans le sens où ils ignoraient les spécialisations, et leur but était la formation du citoyen à l'expression publique de son opinion sur des questions d'intérêt général. à Cet enseignement prépare en fait à des carrières d'hommes politiques, d'agitateurs sociaux, de prêcheurs, de réformateurs ou de professeurs. Hovland : « une nouvelle rhétorique scientifique » Œuvre : volume 1 : Experiments in Mass Communication Ces travaux portent essentiellement sur la mesure des effets de films expliquant aux troupes les raisons de la guerre contre l’Allemagne et le Japon. On essayait de mesurer les différents effets en modifiant paramètre par paramètre, les effets que l’on voulait isoler. Par exemple, on essayait de contrôler les effets de deux façons différentes de présenter un point de vue : - Ainsi, on présentait d’abord l’avis opposé à celui que l’on voulait transmettre. Puis on réfutait cette position. - A un autre moment, on n’énonçait que le point de vue que l’on voulait soutenir, sans mentionner l’avis opposé. Volume 2 : Communication and Persuasion à Série de recherches qui s’organisent autour de ce qu’était le «triangle rhétorique» : ethos-pathos- logos. En effet, une série de recherches s’intéresse d’abord au rôle du prestige du communicateur, une seconde s’interroge sur les différences de contenus des messages et la troisième série s’intéresse aux différences de caractéristiques des récepteurs de l’information. Hovland s’intéresse également, comme c’était le cas dans la «dispositio» à la question de l’ordre des arguments. Volume 4 : The Order Of Presentation in Persuasion à développe uniquement la thématique de l’ethos et montre que cet ordre des arguments n’est pas une variable vraiment significative. Volume 5 et 6 : « Attitude Organisation and Change » et « Social Judgment » Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 à développent des problèmes liés aux aspects psychologiques du récepteur de l’information. Introduction des notions comme la « dissonance cognitive ». Conclusion : L’intérêt de ces études est d’essayer d’isoler les différents paramètres des situations de communication. L’intérêt de ces travaux est leur côté «systématique», pour isoler les éléments que l’on veut étudier. Cependant, le problème de ces travaux, c’est la difficulté qu’il y a à transposer ces différentes expériences à d’autres cas. Lasswell : Qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet ? Lasswell = celui qui a mis au point le schéma de la communication. La conception linéaire n'est pas nouvelle, mais qu’elle répond aux « lieux communs » de la conception de la communication, héritée de la rhétorique classique. Ce modèle est une transposition actualisée du modèle de communication plus ou moins explicite que l'on retrouve dans les traités classiques. C'est un modèle de communication pragmatique, un outil on ne peut plus nécessaire à tout qui veut faire métier dans la communication. Ce modèle a permis d'organiser les différents champs d'étude en communication sociale, en particulier la communication de masse, celle qu'on peut appeler la "one to many communication". En effet, le "modèle" de communication proposé en 1948 par Lasswell aura une importance décisive pour l'analyse de la communication de masse. Comme l'expliquent A. & D. Mattelart, par ce modèle, Lasswell dotera la sociologie des médias d'un cadre conceptuel général qui jusque-là faisait défaut. C'est surtout pour ce modèle que l'histoire des théories de la communication a retenu le nom de Lasswell. On peut noter cependant, comme différences par rapport au triangle rhétorique classique, que ce qui est mis en avant ici, ce sont deux points importants : l’insistance sur le rôle du «média» et sur les «effets». Concernant les «effets» on peut noter que les auteurs anciens cherchaient aussi les effets : comment toucher un public pour qu’il vote cette loi ou pour qu’il acquitte l’accusé, etc. Mais l’importance des effets qui lui fait mériter un item particulier dans le schéma de Lasswell est sans doute dû au fait que les élites intellectuelles de l’époque étaient particulièrement sensibles à ce point. Concernant les «médias», il est clair que la question se posait moins pour les anciens rhéteurs dont le moyen normal était leur propre corps, leur propre voix, leurs propres gestes en interaction directe. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Cependant, certaines questions sur les moyens apparaissent dans les réflexions sur l’actio rhétorique, sur sa théâtralité. On pourrait donc dire que le schéma de Lasswell est un schéma rhétorique adapté à l’esprit du temps. C’est sans doute cette adaptation qui en fit le succès. On va également trouver une parenté entre ce modèle linéaire et celui de Shannon qui, par son lien aux sciences de l'ingénieur et des mathématiques, possède une aura considérable à l'époque. En résumé on retiendra que ce qui a fait le succès de ce modèle c'est donc : - Sa grande utilité pratique ; - Le fait qu'il permette d'organiser les études en communication - Sa forme qui reprend, consciemment ou non, la façon de penser la communication propre à la tradition rhétorique - Ce modèle reste proche et permet de faire un parallèle avec celui du Stimulus - Réponse, dominant dans les théories psychologiques d'après-guerre, celui du béhaviorisme. - Les industriels désireux d'influencer les consommateurs, ainsi que les pouvoirs publics et les partis qui cherchent à influencer les opinions publiques, y verront un outil apparemment efficace pour analyser leurs problèmes de communication. - Enfin, sa parenté formelle avec le schéma du modèle mathématique de communication de Shannon et Weaver Tous ces éléments font que ce modèle semble être le modèle indépassable en ce qui concerne la communication de masse, voire de toute communication humaine. Les limites du modèle linéaire hypodermique : « the two-steps flow of communication » Deux recherches phares scandent l'émergence de cette nouvelle théorie sur les intermédiaires : - La première étude, The People's Choice, est publiée en 1944. Lazarfeld et ses collègues, Bernard Berelson et Hazel Gaudet, ont cherché à mesurer l'influence des médias sur 600 électeurs de Erie County dans l'Ohio lors de la campagne présidentielle de 1940. - La seconde, Personal Influence: The Part Played by people in the flow of Mass communication, cosignée par Lazarfeld et Elihu Katz, sort en 1955, mais exploite des enquêtes effectuées dix ans auparavant. Il s'agit du comportement des consommateurs de la mode et des loisirs, en particulier le choix des films. En étudiant les processus de décision individuels d'une population féminine de 800 personnes dans une ville de 60 000 habitants, Decatur, en Illinois, ils redécouvrent -comme dans la précédente étude - l'importance du "groupe primaire". Ce qui leur fait appréhender le flux de communication comme un processus en deux étapes ou le rôle des "leaders d'opinion" se révèle décisif. à C'est la théorie du two-step flow of communication. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 Au premier palier, il y a les personnes relativement bien informées parce qu‘exposées directement aux médias ; au second, il y a celles qui fréquentent moins les médias et qui dépendent des autres pour obtenir l'information. Schéma two-steps flow : Cette théorie a renversé deux préjugés : - La représentation d’une masse amorphe que n’articulent plus les groupes traditionnels - La représentation d’un individu solitaire, matraqué par la propagande Le schéma de Lasswell avait atomisé le public. Celui du "two-step flow" contribue à le refaçonner, en montrant que l'exposition aux médias est sélective, et passe par des relais. Les communications de masse, pour fonctionner, s'articulent (et font appel) aux communications préexistantes. Balle et Padioleau : Les recherches sur les "deux étages de la communication" ont permis de "mettre en évidence le rôle des relations en face-à-face dans la formation des opinions individuelles. En d'autres termes, la communauté des valeurs vécues et véhiculées à l'intérieur des groupes primaires tels que la famille ou les divers groupes d'appartenance professionnelle, syndicale, politique ou religieuse serait loin d'être battue en brèche par la société moderne et ne serait pas du tout exclue dans la formation des opinions par les messages diffusés conjointement par les divers mass media. Il est essentiel que l'observation nous révèle quels sont ces "leaders d'opinion" qui sont à la fois les plus exposés aux media et ceux qui bénéficient de la plus grande autorité dans leurs divers milieux sociaux." En fait, ce qu’évoquent ces travaux qui marquent une limite à la puissance des médias, c’est la prise de conscience que la rhétorique n’est pas toute puissante. Quand il faut convaincre quelqu'un de quelque chose, la condition la plus importante est encore de bien connaître ce dont on parle, les éléments du dossier que l'on traite, en connaître les tenants et les aboutissants, ainsi qu’avoir une bonne culture générale. On le voit, le modèle linéaire de la communication, par l'approfondissement même de ses intuitions de base en vient à se remettre en question, ou tout au moins à attirer l'attention sur l'importance du récepteur dans le processus de communication. Par-là, on voit réapparaître une étude plus centrée sur les petits groupes et les leaders d'opinion, sur la relation de face à face, plutôt que sur les "masses" amorphes et malléables. Pour l'étude de la réception des messages, le modèle hypodermique de masse s'avérera de moins en moins intéressant. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 De la politique à la systémique 1. Représentations du politique : les modèles du corps et de la machine Le niveau « macro- communicationnel » correspond à ce que l’on peut appeler aujourd’hui le niveau organisationnel, celui des systèmes, de « l’architecture des réseaux sociaux ». La comparaison de la société à un corps, le « corps social », est récurrente dans notre tradition : on la retrouve notamment dans le premier discours important de l’histoire romaine, prononcé dans les premières années de la République, en 494 av. et rapporté notamment par Tite-Live. Aussi, pour expliquer la complexité du corps, vous pouvez recourir à des métaphores ou des modèles plus simples, comme par exemple le décrire comme une machine... Mais alors, la question devient : qu’est-ce qu’une machine ? Il y a deux types de machines : - Type horlogerie - Type rétroactif De ces deux types de machines, on peut projeter sur l’idée d’organisme une conception très différente de la conception machine de type moderne, de même en ce qui concerne la société. Modèle de la machine comme horloge Le mot « machine » vient du grec ancien « mékané ». Selon Aristote, une machine est une ruse qui permet à celui qui en use de se tirer d'affaire lorsqu'il est victime de forces naturelles supérieures. Mais c'est chez les Latins, qu'on va progressivement voir utiliser le terme machine comme une métaphore, pour penser le monde. Au Moyen âge, suite à l'invention de l'horloge, celle-ci va être considérée comme le modèle archétypal de toute machine servant à décrire les lois qui régissent le monde physique. Mais dans l'esprit théologique du temps, la régularité des lois du monde, que l'on assimile à l'ordre machinique, est d'abord pensée comme le produit de la sagesse d'un auteur. Mais, malgré cette conception théologique, le modèle du monde comme machine, commence à servir de modèle heuristique pour tenter d'expliquer certains phénomènes naturels, comme le mouvement des astres. Kepler : Il a émis l'hypothèse qu'une force agissant selon trois lois régulières suffisait à rendre compte du mouvement cosmique comme celui d'une « horloge ». A partir du XXe S : Individualisme naissant, montée du capitalisme, série de découvertes (télescope, microscope, horlogerie...) accompagnent cette cassure épistémologique : le monde se réduit à des formules mathématiques et la nature devient un jouet mécanique dont l’homme se pose en maître. à ingénieur = référence Descartes : toute la nature n'est faite que d'une seule matière, la chose étendue ; la variété que l'on trouve dans l'étendue provient seulement de son mouvement, comprise seulement comme transport de l'une de ses parties d'un lieu à un autre. De ce fait, la nature est conçue comme Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 « Une machine en laquelle il n'y a rien du tout à considérer que les figures et les mouvements de ses parties ». La machine est donc le modèle unique de tous les phénomènes physiques. Cela signifie que l'image de la machine ne doit plus être réservée à l'explication du fonctionnement du monde en général, c'est à dire au Cosmos. La machine, et plus particulièrement l'horloge, est le terme le plus fréquemment employé par Descartes pour désigner le corps, aussi bien celui de l'animal que celui de l'homme. Cependant, il considère qu’il y a encore des limites à l'extension totale du modèle machine. Ainsi, il n’y aurait pas seulement du corps mais aussi de l’esprit, de la « matière pensante ». Il y aurait une division fondamentale entre l’esprit et le corps simplement reliés, chez l'homme, par la glande pinéale. Le corps est ainsi décentré du sujet et assimilé à un schéma mécaniste. Un automate mû par une âme en quelque sorte. à XVIIIe S : ce modèle deviendra le fer de lance du matérialisme La Mettrie, (1709-1751), conservera l'hypothèse d'un fonctionnement mécanique de la matière, mais rompra avec le dualisme cartésien qui considérait qu'il fallait séparer la pensée de la matière. Seule existe la matière, et la machine suffit à rendre compte de cette seule « substance ». à s’inspire directement des célèbres automates de l’époque, notamment ceux de Jacques de Vaucanson. Hobbes : Il décrit l'État comme un animal artificiel. Cet « automate » est défini comme un produit de l'art humain, capable de se mouvoir tout seul; il a été créé sur le modèle de l'homme naturel. Ainsi, la souveraineté est-elle conçue par Hobbes comme « une âme artificielle, puisqu'elle donne la vie et le mouvement à l'ensemble du corps » Sur la couverture de son livre Léviathan, on voit une représentation de l’idée de corps de l’état tout puissant. Celui-ci est composé de l’ensemble des citoyens qui regardent tous vers la tête du souverain qu’ils ont constitué par leur propre volonté. On verra très vite se développer de fortes critiques à ce type d'affirmation qui tentent de réduire l'homme ou la société humaine à une machine ( surtout part les romantiques ). Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 2. La systémique Le point de départ : la cybernétique Cybernétique : la science du pilotage (kubernetes signifiant en grec le "pilote" ou le "gouvernail" d'un bateau). Défini par Wiener pour décrire ce qu’il considère être une Trans-discipline. C'est à la mise au point de boucles de rétroaction que Wiener a travaillé. L'idée technique est de coupler le moteur qui déplace le canon à un capteur sensible, afin de réduire l'écart entre l'ordre donné et sa réalisation quelles que soient les variations de contexte. A une prédiction balistique purement probabiliste, Wiener ajoutait une « alimentation en retour », un « feed back » qui corrigeait le mécanisme en cours d'exécution. Par la suite, il intégrera un radar et un calculateur qui parvenait à prédire la position future de l'avion à partir de l'information sur ses positions antérieures, et d'ajuster le tir en conséquence. Les recherches en balistique généraliseront par la suite les systèmes de correction de tir, en les incorporant au projectile même. à Lorsque la cible est en mouvement, l'obus doit modifier sa trajectoire en fonction des déplacements de l'avion et doit donc percevoir sa position par rapport à la cible pour corriger à chaque instant son erreur. Le concept de « rétroaction » permet de désigner tout dispositif capable d'ajuster son comportement en fonction de l'analyse qu'il fait des effets de son action. Ex : thermostat - action: la chaudière se met en marche - effet: la température de la pièce monte - détection des effets: le thermomètre du thermostat monte - correction: le servomécanisme est déclenché à une hauteur programmée de mercure dans le thermomètre (par exemple 22°) - action: la chaudière s'arrête Wiener n'est pas l'inventeur des machines à rétro-action, mais il en deviendra le théoricien, en remarquant d'abord qu'elles sont fondamentalement différentes des machines plus anciennes et en particulier des automates anciens qui opéraient sur base d'un mécanisme d'horlogerie fermé, où le comportement était totalement prédéterminé, quelles que soient les circonstances extérieures ou l'environnement. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 A ce type de machine s'opposent les machines dotées de dispositifs sensoriels, qui leur permettent au contraire de régler leur comportement sur leur environnement, en fonction de l'information qu'elles reçoivent de celui-ci. Or, Wiener et son collaborateur (Bigelow) sont fascinés par le caractère apparemment intelligent de ces comportements qui évoquent certains comportements d'organismes vivants, où le futur est prévu sur base d'une expérience enregistrée de faits passés. Mais, de plus, l'observation d'une analogie entre certains comportements pathologiques humains à la suite de lésions au cervelet et le comportement en cas de dérèglement des machines rétroactives avivera la curiosité de Wiener et de son collaborateur. à Il semble donc y avoir une analogie entre ces fonctionnements de machines rétroactives et les mouvements téléologiques des sujets humains. Dans les années 40, on en vient ainsi à établir des liens entre machines téléologiques et organismes. On sait qu'il est possible de décrire ces deux phénomènes au moyen de l'idée de « rétroaction » et de celle de « finalité ». Les comparaisons machine-organisme seront d'ailleurs rapidement vues de façon réciproque. Ainsi, dès les années 50, on ne se limitera plus à expliquer l'organisme avec le concept de « rétroaction », inspiré des machines téléologiques, mais inversement, les organismes deviendront des modèles pour perfectionner les machines. à Il y a donc un rapprochement réciproque entre neurologie-physiologie et mathématique- ingénierie, une influence réciproque de l'organisme sur la machine et de la machine sur l'organisme. C'est au départ de la comparaison entre organisme et machine que l'on verra progressivement se développer le rejet par Wiener et les cybernéticiens de la distinction à première vue radicale entre ce qui est vivant et de ce qui est artificiel. On cherche au contraire à montrer que les façons de se comporter ou de penser ont en définitive moins à voir avec la matérialité des supports qu'avec la façon dont est organisé le traitement ou le « contrôle » de l'information. En quelque sorte, on s'intéresse moins ici à la « quincaillerie » ou à la partie physique d'un système de traitement de l'information : c'est le logiciel, le « software » qui préoccupe ces chercheurs, et non le « hardware ». Là où la science traditionnelle s'intéressait au « contenu intérieur » des entités qu'elle étudiait, à la substance, la cybernétique étudiera plutôt la relation entre ces entités, ce qui se passe « entre » ces entités. à ce qui importe sont les relations entre les choses. Le contenu est considéré en cybernétique comme une sorte de « boite noire » : ce qui nous intéresse Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 ce n'est pas tellement comment elle fonctionne, mais de voir ce qui se passe entre l'entrée et la sortie d'une telle « boîte noire ». C'est dans ce sens qu'on voit chez Wiener se développer une nouvelle conception de la communication. Celle-ci part de l'idée de rétroaction, c’est-à-dire en définitive de l'idée de régulation, de commande, de pilotage du comportement par échange d'informations avec l'environnement. Et cette conception aboutit à une proposition épistémologiquement voire « ontologiquement » très riche, qu'on pourrait résumer à la suite de Breton en ces termes : « le réel tout entier peut s'interpréter en termes d'information et de communication. ». Pour lui, La communication était le trait commun à toutes les sciences car elle permettait d'appréhender dans chaque phénomène ce qu'il avait de plus essentiel, ce qui en constituait la nature profonde. C'est dans ce sens « cybernétique » que le concept de « communication » aura un succès grandissant dans les milieux scientifiques et jouera un rôle de carrefour interdisciplinaire, permettant à certains de franchir les frontières de leurs disciplines particulières. On verra alors se rencontrer autour du concept « communication » des anthropologues, des neurophysiologues, des physiciens, des mathématiciens, des linguistes, des psychologues, des ingénieurs. Le concept de communication sera le concept carrefour des sciences de l'après seconde guerre mondiale. De la cybernétique à la systémique : projet de construction d’une nouvelle épistémologie Dans le parallélisme entre théorie des systèmes et cybernétique, ce qui frappe le plus est la volonté de construire une « discipline transdisciplinaire ». En effet, d'une façon un peu parallèle à ce que nous avons constaté chez Wiener, qui voulait penser « ce qui relie » plus que « ce qui est relié », c'est-à-dire les « relations » plus que les éléments constitutifs d'une machine, d'un organisme, voire d'une société ou d'une organisation, Von Bertalanffy observe que de nombreuses disciplines réfléchissent en termes de « systèmes d'éléments » plutôt qu'en termes « d’éléments isolés » Vu cette proximité de perspectives, il n'est pas étonnant que Théorie générale des systèmes et cybernétique s'interpénétreront progressivement, et finiront par donner lieu à ce que l'on appelle aujourd'hui la « Systémique ». à La « science des systèmes » veut cependant marquer de façon relativement nette une coupure avec les façons habituelles de procéder dans la science occidentale. Nouveau slogan : le tout est plus que la somme des parties à volonté de construire une science qui veut donner la priorité à l’observation de la totalité des éléments d’un système et des relations que ceux-ci entretiennent entre eux. à développement d’une théorie où le tout est privilégié aux parties. ; coupure épistémologique radicale avec les sciences modernes. Ex : la méthode cartésienne se fonde et accentue l'idée de "décomposition" (analyse) et d'en opposer les termes à ce que voudrait être, de façon programmatique, la "méthode" systémique. Descartes ; les préceptes fondamentaux : - évidence : éviter la précipitation et la prévention - division : diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre - du simple au complexe : conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu à la connaissance des plus composés. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 - concaténation exhaustive : faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre Or la systémique à bien des égards va à rebours de l'entreprise cartésienne. A ces quatre préceptes, les systémistes répondront de la façon suivante : A. globalité : perspective holistique versus division Von Bertalanffy avait bien montré qu'un système n'est jamais réductible à ses composants. Le tout est plus que la somme de ses parties, il implique l'apparition de qualités émergentes. à l'approche systémique se dira holiste et verra l'objet étudié comme un "tout" organisé, considérant que si un système est un composé d'éléments, cela ne signifie pas qu'il n'est qu'une somme d'éléments. B. Le simple et le complexe Là où le cartésien parlera de la nécessité, d'aller du simple au complexe, le systémicien doutera qu'il y ait jamais des éléments simples, saisissables en tant que tels : la seule chose que l'on puisse faire, c'est proposer des modèles qui simplifient cette complexité. C. Concaténation versus interaction et rétroaction Le modèle cartésien de concaténation renvoyait en définitive à une conception de la causalité en chaîne que l'on pourrait décrire de la façon suivante: L'idée est qu'il y a une antériorité de la cause sur l'effet. On remonte à la cause qui précède, mais on ignore ce que les anciens considéraient comme causes formelles, causes finales. Or, la systémique, au lieu d'insister sur l'idée de concaténation, même avec différentes bifurcations, insistera sur l'idée d'interactions multiples et réciproques. Déjà au niveau de la relation entre deux éléments, celle-ci ne peut pas se réduire à une simple action de A sur B. Il y a toujours une action réciproque de B sur A. La remise en question la plus radicale de la conception « cartésienne » de la « causalité concaténation » est un héritage direct, dans la systémique, de la conception cybernétique de rétroaction. En fait, les « causes » qu'envisage Descartes et les seules qu'envisagera la science moderne sont celles que l'on appelle « causes efficientes », que l'on peut décrire comme précédant dans le temps l'effet. Wiener autorisait une voie alternative à toute entreprise de modélisation scientifique; au lieu de rechercher d'abord les causes (mécaniques), le modélisateur était invité à s'interroger d'abord sur les finalités ou les projets du système étudié. Le modèle de l'interaction que la systémique oppose à l'idée de concaténation repose en fait fondamentalement sur le concept de rétroaction, dont nous avons pu voir qu'elle était le point de départ de la cybernétique. Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 D. Évidence versus pertinence Là où les cartésiens parlent d'évidence face à la réalité, la systémique parlera plutôt de pertinence, dans la façon de modéliser celle-ci en fonction des intentions de l'observateur. L'observateur est toujours partie prenante, et il observe avec une intention, il a un projet. L'opposition ci-dessus présentée en quatre points correspondants aux quatre préceptes de la méthode cartésienne peut être complétée par le tableau que propose Joël de Rosnay dans son livre Le macroscope : Qu’est-ce qu’un système ? L’importance de l’information Le terme "Système", d'origine grecque (sunistêmi) évoquait à l'origine un rassemblement d'objets ou d'éléments d'une réalité qu'il faut prendre dans leur articulation réciproque, et dont chacun tient sa signification de la place qu'il occupe dans ce tout. Au sens large, un système est un objet complexe, formé de composants distincts, reliés entre eux par un certain nombre de relations. L'idée essentielle est que le système possède un degré de complexité plus grand que ses parties, autrement dit qu'il possède des propriétés irréductibles à celles de ses composants. Cette irréductibilité doit être attribuée à l'existence des relations qui unissent les composants. On pourra donc parler à ce propos de relations définissantes. à Les propriétés globales les plus intéressantes d'un système sont celles qui ont trait à son comportement évolutif. Statique des systèmes Brenda Pétidis SYNTHÈSE – CHABOT ( ITC ) 2020 – 2021 A. D’un point de vue structurel : - Frontière : sépare le système de son environnement - Éléments : le compose et peuvent être dénombrés et mêmes classés en catégories - Réseau de communication : permet des échanges de matières, d’énergie, etc. entre les différents réservoirs. - Les réservoirs : dans lesquels les éléments peuvent être rassemblés et dans lesquels sont stockés des matières, de l'énergie, etc. B. D’un point de vue fonctionnel : - Les flux : parcourent les réseaux et transitent par

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