L3 Licence Accès Santé Sciences pour la santé PDF 2023-2024

Summary

These lecture notes discuss the concept of alternative medicine and the diverse perspectives and practices surrounding it. It defines alternative medicine and contrasts it with conventional biomedicine, highlighting both the varied approaches and potential ethical concerns related to different types of therapies.

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2023-2024 L3 Licence Accès Santé Sciences pour la santé UE Technique, vie, société : enjeux contemporains en santé ECUE La technicisation médicale, une déshumanisation ?...

2023-2024 L3 Licence Accès Santé Sciences pour la santé UE Technique, vie, société : enjeux contemporains en santé ECUE La technicisation médicale, une déshumanisation ? Cours commun IUK4 - UI 29 Enseignant : David Simard © David SIMARD 1 Séance 3 : Les médecines alternatives : de la critique humaniste à l’anti-science ? Nous avons vu dans le cours précédent que différentes éthiques ont pour objectif de réhumaniser la médecine, et que celles-ci partent du principe ou du constat que la médecine scientifique technicisée, en particulier la biomédecine, ne permet pas cette humanisation, voire, entraîne une déshumanisation de la médecine. Ces éthiques n’en concluent cependant pas nécessairement au rejet de la biomédecine, et nous avons vu, en particulier avec la médecine narrative, qu’elles se présentent au contraire comme un complément à la biomédecine. Dans ce cas, l’exigence d’éthique et d’humanisation de la médecine ne procède pas du rejet de la dimension scientifique de la médecine. Il en va généralement différemment des médecines dites alternatives, qui peuvent aller jusqu’à se présenter comme des voies de substitution à la médecine scientifique, tout en jouant du ressort de la qualité humaine de la relation clinique. Le champ des médecines alternatives, dénommées également médecines complémentaires, médecines parallèles, médecines douces, médecines naturelles, médecines traditionnelles, médecines holistiques ou, plus globalement, médecines non conventionnelles, est cependant très vaste, et regroupe des pratiques mais aussi des théories très différentes. A. Qu’est-ce qu’une médecine alternative ? Le terme “alternatif” vient du latin alternatum, dérivé du verbe alternare, lui-même construit sur la racine alter qui signifie “autre”. Une médecine alternative est bien une médecine qui se veut autre, relativement à la médecine conventionnelle et institutionnalisée. Mais, face à l’extrême diversité des médecines alternatives, la question suivante se pose : en quel sens faut-il entendre précisément cette altérité ? a. La diversité et l’hétérogénéité des médecines alternatives La médecine conventionnelle actuelle s’apparente globalement à la biomédecine. C’est par rapport à celle-ci que les médecines non conventionnelles se présentent aujourd’hui comme alternatives. Mais cette autre voie proposée par les médecines non conventionnelles peut varier dans son rapport à la voie conventionnelle biomédicale, depuis le positionnement comme complémentaire à la biomédecine, jusqu’au rejet pur et simple de celle-ci, en se positionnant alors © David SIMARD 2 comme substitut. Dans ce dernier cas, la mise en danger de la vie d’autrui et les dérives sectaires représentent des risques importants. Pour illustrer la complexité qu’il peut y avoir à déterminer ce qui permet de regrouper des pratiques reposant sur des théories très différentes sous un même terme, celui d’alternative, il suffit de chercher à faire la liste des médecines ainsi qualifiées. Dans un ouvrage publié en 2000 intitulé Encyclopédie des médecines douces1, sont listés près d’une centaine de thérapies. Sont mises particulièrement en avant l’acupuncture, l’aromathérapie, la bioénergie, la chiropractie, le feng shui, l’homéopathie, l’hypnothérapie, la méditation, l'ostéopathie, la phytothérapie, la réflexothérapie, le shiatsu, le taï chi chuan, ou encore le yoga. Mais s’ajoutent également des chapitres sur l’art-thérapie, le biofeedback, la choréthérapie, l’écologie clinique, les guérisseurs, les sels de Schüssler, la kinésiologie, le massage, la médecine anthroposophique, la naturopathie, l’hydrothérapie, le reiki, les thérapies par la lumière, etc. La page Wikipédia consacrée à la liste des médecines non conventionnelles en recense à ce jour près de 140 pour le traitement des seules maladies ou dysfonctions physiques2. Toutes n’entretiennent pas le même rapport à la biomédecine, et un certain nombre semblent plus susceptibles de donner lieu à des dérives sectaires. En France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) inclut les dérives sectaires dans le champ de la santé en ces termes : “Les promesses et recettes de guérison, de bien-être et de développement personnel sont au cœur des pratiques à risque de dérives sectaires, qu’elles émanent de groupes structurés à dimension transnationale ou de la multitude de mouvements isolés, constitués le plus souvent autour d’un gourou thérapeutique et d'une poignée d’adeptes.” La Miviludes ajoute : “Les dangers et les dérives du marché alternatif de la guérison et du bien-être tiennent notamment à l’absence d’évaluation indépendante et rigoureuse des méthodes et des formations qui excluent explicitement ou de fait les traitements médicaux conventionnels”. Sans même aller jusqu’aux risques de dérives sectaires, le paysage des médecines alternatives est complexifié par le fait que certaines d’entre elles bénéficient d’une forme de reconnaissance institutionnelle. C’est le cas en France, où l’acupuncture donne lieu à un diplôme national d’Etat délivré par les facultés de médecine et de santé, et qui est réservé aux médecins. Plusieurs pratiques non conventionnelles font par ailleurs l’objet de diplômes universitaires non nationaux placés sous la seule responsabilité des universités les dispensant et non sous celle de l’Etat. Ceux-ci, à eux seuls, ne donnent pas droit à l’exercice d’une profession de santé. On trouve ainsi à la Faculté de santé de l’UPEC un diplôme universitaire de Taï Chi thérapeutique. Les universités Sorbonne Paris Nord, de Brest, de Lyon, de Marseille, de Reims et de Strasbourg 1 David Peters, Anne Woodham, Encyclopédies des médecines douces, Minerva, 2000. 2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_m%C3%A9decines_non_conventionnelles © David SIMARD 3 proposent un diplôme conjoint de Thérapeutique homéopathique. Par ailleurs, l’ostéopathie et la chiropraxie sont réservées à des professionnels ayant validé un diplôme spécifique qui, sans être un diplôme d’Etat, permet à ceux-ci de recourir à des actes dans des conditions d’exercice encadrées par décret (Décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 pour l'ostéopathie, Décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 pour la chiropraxie), ce qui constitue une forme de reconnaissance institutionnelle. b. L’altérité épistémologique des médecines alternatives Alors qu’aujourd’hui le succès des médecines alternatives serait à rapporter aux modalités de la biomédecine par ailleurs très efficace à soigner, il est intéressant de noter qu’à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, l’émergence des médecines alors dites hétérodoxes, comme le magnétisme animal (avec le médecin Franz-Anton Mesmer), la phrénologie (avec le médecin Franz Joseph Gall), l’hydrothérapie (avec le paysan fermier Vincenz Priessnitz) ou l’homéopathie (avec le médecin Samuel Hahnemann), toutes nées dans le monde germanique et qui se sont répandues très rapidement dans le reste de l’Europe, aux Etats-Unis, au Brésil et en Inde (sous influence européenne), a été favorisée par les échecs à soigner de la médecine hortodoxe de l’époque, c’est-à-dire conforme à la doctrine dominante. Les traitements prescrits par celle-ci oscillaient en effet, dans leurs effets, entre l’inutilité et la dangerosité : mercure, vitriol, térébenthine, rhubarbe, blanc de baleine, sang de bouquetin, mélisse, cigüe, etc.3, sans parler du recours aux sangsues. Or, dans tous les cas, que ce soit face à une médecine en échec ou auréolée de nombreux succès sur le plan thérapeutique, les médecines alternatives ont opposé d’autres méthodes que celles de la médecine conventionnelle. En effet, aujourd’hui comme à la fin du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe siècle, les médecines hétérodoxes ou alternatives ont fait reposer leur altérité sur le plan épistémologique. Rappelons d’abord le contexte de l’histoire de la médecine au moment de l’émergence des médecines hétérodoxes. On peut dessiner une chronologie à grands traits de l’histoire des sciences modernes concernant le vivant, dans ses aspects normaux et pathologiques, depuis le XVIIe siècle. Au XVIIe siècle, les sciences qui se développent sont physico-mathématiques et abordent les mouvements de la matière de façon mécaniste. Le vivant est appréhendé selon le même mécanicisme, comme l’illustre la conception cartésienne de l’animal-machine, poursuivie par la iatrophysique. En réaction à cette conception physicienne du vivant, se sont développés au XVIIIe siècle des courants animistes et vitalistes qui ont affirmé une différence de nature entre les corps inertes et les corps vivants, en faisant appel à un principe vital venant soit de l’extérieur, soit de l’intérieur du corps. Le vitalisme a traversé le XIXe siècle et s’est prolongé jusqu’au début du XXe 3 Cédric Gourjault, “Les médicaments dans les hôpitaux de la Marche au XVIIIe siècle”, Histoire, médecine et santé, n°2, 2012, p. 45-59. © David SIMARD 4 siècle. Une physiologie vitaliste associée à une conception des lois de la vie qui faisait de celles-ci les lois de la santé s’est développée dans la première moitié du XIXe siècle. Elle s’opposait à une médecine spéculative impuissante à soigner, en promouvant l’observation, c’est-à-dire une approche empiriste plutôt que raisonnant à partir de grands principes. C’est dans ce cadre-là qu’ont émergé les médecines alternatives. Mais au XIXe siècle ont également émergé la physiologie et la médecine expérimentales (voir Claude Bernard), qui considéraient l’observation empirique comme insuffisante à faire aussi bien de la physiologie que de la médecine des sciences, et qui promouvaient l’expérimentation en laboratoire en s’inspirant des méthodes de la physique et de la chimie (cette dernière s’étant constituée comme science moderne à la fin du XVIIIe siècle), et réfutant ainsi le vitalisme. Les médecines alternatives se sont donc développées dans le sillage du vitalisme, en proposant, sur le plan épistémologique, une méthode observationnelle, par ailleurs opposée à la réduction de la connaissance du vivant à des aspects physico-chimiques et à un fonctionnement mécanique. C’est aussi contre la réduction physico-chimique et mécaniste que les médecines alternatives à l’époque contemporaine se positionnent, cette réduction étant opérée par la biomédecine. C’est un point commun fondamental de ces médecines, qui traverse la diversité et l’hétérogénéité de celles-ci. La critique du réductionnisme physico-chimique et mécaniste en biologie et en médecine ne suffit cependant pas à parler de médecine alternative. L’éthique du care et la médecine narrative contestent également ce réductionnisme incarné par la biomédecine, mais elles n’en constituent pas pour autant des médecines alternatives. On ne saurait non plus considérer que le médecin et philosophe Georges Canguilhem, qui promeut un vitalisme philosophique au sens d’un refus de la réduction de la connaissance du vivant à une connaissance physico-chimique, se situerait du côté des médecines alternatives. De même, la critique de la déshumanisation qu’entraînerait le réductionnisme biomédical, dont les médecines alternatives se font également l’écho, ne situe pas l’ensemble de ces discours du côté des médecines alternatives. Ainsi, comme nous l’avons déjà vu, la médecine narrative ne conteste pas le bien-fondé de la biomédecine. Il faut donc autre chose encore pour qualifier une médecine d’alternative, qui reste d’ordre épistémologique : une méfiance, voire un rejet, envers les connaissances établies par la biomédecine, et la proposition d’une “connaissance” alternative, éventuellement revendiquée elle-même comme scientifique. Les médecines alternatives sont d’ailleurs, pour partie, promues par certains médecins. © David SIMARD 5 Ce fut le cas à la fin du XVIIIe siècle du magnétisme, de la phrénologie, de l’homéopathie, ainsi que de l’acupuncture (qui n’a pas connu le même succès à l’époque que les autres médecines hétérodoxes)4. Ces médecines alternatives présentent en effet la particularité d’avoir été créées ou portées par des médecins et de reposer sur un corpus théorique se revendiquant de la science, tout en ayant été rejetées par les autorités médicales, autrement dit par la médecine conventionnelle, du fait de leur incapacité à expliquer en termes scientifiques l’action de leurs thérapeutiques. Au moment de l’émergence des ces différentes médecines hétérodoxes, la médecine officielle s’est intéressée à elles compte tenu du fait précisément qu’elles étaient portées par des médecins généralement reconnus. Mais c’est leur incapacité à rendre compte des mécanismes à l'œuvre qui permettraient d’expliquer le lien entre la pratique mobilisée et l’effet thérapeutique attendu, qui a conduit à leur rejet. Cet écart entre les supposés liens de causalité entre une pratique et un effet thérapeutique d’une part, et les connaissances acquises en biologie et en médecine d’autre part, n’a fait que se creuser avec l’accumulation des connaissances biologiques et médicales tout au long du XIXe siècle. Ces dernières ont en effet de mieux en mieux mis en évidence les mécanismes physico-chimiques à l’oeuvre sur le plan physiologique, et partant les mécanismes physiopathologiques, grâce à la démarche expérimentale, à quoi s’ajoutent les développements de la microbiologie pathologique avec la découverte d’agents infectieux microscopiques dans la deuxième moitié du XIXe siècle, permettant d’établir des liens de causalité entre une bactérie et une maladie infectieuse (staphylocoque doré et streptocoque pneumonique ou pneumocoque en 1880, bacille de la tuberculose en 1882, bactérie du choléra en 1883, etc.). Ces découvertes qui signent l’émergence de l’infectiologie d’abord restreinte à la bactériologie, ont également conduit au développement des connaissances sur l’immunité, dans la mesure où, après le recours à l'inoculation contre les formes graves de la variole au XVIIIe siècle (technique déjà utilisée au XVIe siècle en Chine) et l’utilisation à la fin du XVIIIe siècle de la “variole de la vache” ou vaccine pour protéger contre la variole humaine, elles se sont accompagnées du développement de la vaccination, d’abord en 1881 chez le mouton contre la maladie du charbon causée par le bacille du charbon ou anthrax, puis chez l’être humain contre la rage en 1885 (sans avoir identifié à l’époque l’agent pathogène impliqué, qui est un virus, car trop petit pour être observable par les microscopes d’alors). C’est donc dans la mesure où des médecines à prétention scientifique convoquent des théories causales qui ne répondent pas aux méthodes et aux connaissances scientifiques en vigueur, qu’elles sont dites alternatives, et qu’elles sont considérées comme fantaisistes et pseudo-scientifiques par les sciences et la médecine conventionnelles. De nos jours, la référence 4 Olivier Faure, “Le surgissement de médecines « révolutionnaires » en France (fin XVIIIe - début XIXe siècle) : magnétisme, phrénologie, acupuncture et homéopathie”, Histoire, médecine et santé, n°14, 2018, p. 29-45. © David SIMARD 6 scientifique en médecine est, nous l'avons vu, la biomédecine. Les médecines alternatives sont donc des médecines qui proposent une autre voie que celle de la biomédecine, certaines en s’affirmant comme scientifiquement fondées mais selon un modèle de scientificité qui serait différent, d’autres en rejetant purement et simplement toute référence à une quelconque scientificité, et en invoquant une forme occulte de savoir. L'appellation d’alternative revêt dans tous les cas deux significations différentes selon qui l’emploie : une signification revendicative par les tenants des médecines alternatives, et une signification dévaluative par la science et la médecine en vigueur, pour lesquelles ces médecines relèvent du charlatanisme. Dans le Code de déontologie médicale en France, ce terme s’adresse plus spécifiquement aux médecins qui “proposent aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé” (art. 39). Vous aurez compris qu’il n’est pas si simple de déterminer ce qui permet de qualifier une médecine d’alternative, dans la mesure où, sur le plan épistémologique, on peut y observer une variation du rapport à la médecine conventionnelle reconnue comme répondant à des critères de scientificité faisant consensus au sein de la communauté scientifique. C’est cependant bien l’idée que la médecine scientifique établie ne saurait constituer la seule voie d’établissement des connaissances médicales, avec une forme de défiance sinon de rejet des méthodes d’établissement de ces connaissances, qui permet de les regrouper sous une même appellation. C’est ce que l’on retrouve par exemple avec l’homéopathie, pour laquelle l’impossibilité d’établir de manière expérimentale les mécanismes supposément à l’oeuvre dans la prise de médicaments résultant de dilutions répétées conduisant à l’absence de principe actif détectable y compris au niveau atomique, ne signifie malgré tout pas qu’elle ne fonctionne pas (cf. vidéo sur Cristolink). Il s’agit là d’une différence épistémologique fondamentale par rapport aux courants éthiques soulignant le manque d’humanisme voire la déshumanisation de la biomédecine, que nous avons étudiés lors de la séance précédente, bien que par ailleurs, les médecines alternatives contemporaines ont en commun avec ces éthiques de défendre une (ré)humanisation de la médecine face à la biomédecine. B. La question du holisme, entre épistémologie et éthique Venons-en maintenant à une autre caractéristique des médecines alternatives, qui constitue une réponse au réductionnisme de la biomédecine : le holisme. Les médecines alternatives se revendiquent en effet comme des médecines holistiques, c’est-à-dire qui prennent en compte l’être humain dans sa globalité, y compris dans son environnement, et pas seulement dans ses déterminants biologiques. Le holisme n’est pas spécifique des médecines alternatives, mais il leur est commun. C’est précisément une approche que l’on trouve dans le vitalisme, dans le sillage duquel les médecines © David SIMARD 7 alternatives ont émergé. Sur le plan épistémologique, le vitalisme du XVIIIe siècle opposait ainsi à l’iatrophysique et l’iatrochimie, qui découpaient spatialement le corps en différentes parties géométrisables et qui l’étudiaient selon les méthodes expérimentales de la physique et de la chimie, une approche holiste, c’est-à-dire qui considère le corps comme un tout dont le fonctionnement ne procède pas de la seule somme de ses parties, et qui est en outre en interaction avec son milieu. Mais c’est aussi le cas au XXe siècle de l’organicisme et de l’émergentisme du biologiste de l’évolution germano-américain Ernst Mayr, qui récuse à la fois le réductionnisme physico-chimique en biologie et le vitalisme. L’organicisme aborde l’organisme comme un tout structuré par une certaine organisation d’où résulte ou émerge la vie, plutôt que comme une entité composée de divers éléments qui s’ajouteraient les uns aux autres. Dans le domaine de la santé, on retrouve une conception holiste dans la définition qu’en donne l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : “La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. La santé ne se réduit pas à la dimension physique et donc biologique, et elle ne se définit dès lors pas seulement négativement par l’absence de pathologies pouvant être décrites de façon uniquement biologique, mais positivement comme état de bien-être qui intègre les dimensions mentale et sociale. Une telle définition de la santé est en opposition avec une définition strictement biomédicale de celle-ci, centrée sur les pathologies biologiques. Christopher Boorse, évoqué dans un cours précédent à propos de la conception biostatistique et biomédicale de la santé, a d’ailleurs adressé un ensemble de critiques à l’encontre des définitions positives de la santé. Ces considérations épistémologiques sur l’opposition entre le réductionnisme et le holisme trouvent en outre leur déclinaison sur le plan éthique. Les médecines alternatives insistent généralement sur le fait que l’être humain est un tout réunissant les dimensions physique et psychologique, et que cette dimension psychologique est négligée par la biomédecine, ce qui conduit à une forme de déshumanisation. Le holisme est donc également avancé comme un argument contre la biomédecine sur le plan de la qualité de la relation aux malades, qui sont à considérer comme des sujets, et plus spécifiquement comme des sujets singuliers, et pas seulement comme des corps biologiques atteints de pathologies ou dysfonctionnements. C’est ainsi que les médecines alternatives, suivant le modèle d'individualisation promu par le fondateur de l’homéopathie Samuel Hahnemann, répètent qu’elles soignent des malades et non des maladies - mot d’ordre également repris par les médecines humanistes non alternatives, dont on retrouve aussi l’écho chez Canguilhem pour qui la maladie doit être appréhendée du point de vue de la singularité du malade. Cependant, comme on l’a vu, les médecines non alternatives promouvant une forme d’humanisme considèrent qu’il faut aussi traiter la maladie sur des bases biomédicales établies de façon expérimentale. © David SIMARD 8 L’approche holiste, aussi bien dans sa dimension épistémologique que dans sa dimension éthique, est donc une composante majeure des médecines alternatives, mais elles n’en ont pas l’exclusivité. Les médecines humanistes non alternatives, la conception canguilhémienne du normal et du pathologique, la conception de la santé par l’OMS, la conception de la biologie par l’organicisme émergentiste, sont autant de propositions qui promeuvent une forme de holisme. Il s’agit, en particulier, contre le réductionnisme physico-chimique incarné par la biomédecine, de prendre en compte les dimensions psychologiques et sociales de chaque patiente ou patient, tandis que pour Mayr dans le domaine de la biologie, il s’agit de prendre en considération le fait que le vivant a une histoire. Ces différentes propositions tout comme les médecines alternatives prônent ainsi une approche globale, qui relève de l’esprit de synthèse qui considère le tout dans sa globalité, et pas seulement de l’esprit d’analyse qui procède par découpage des différentes parties du tout. Les médecines humanistes non alternatives tout comme les médecines alternatives réfèrent ainsi à un modèle bio-psycho-social de l’être humain. Cependant, les premières n’expriment pas la même défiance que les les secondes à l’égard de la biomédecine. Ceci nous amène au modèle bio-psycho-social proposé par le médecin et psychanalyste George Engel contre la domination du modèle biomédical qui, pour autant, ne rejetait pas la biomédecine en tant que telle. Ce sera l’objet du prochain et dernier cours. © David SIMARD 9

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