Psychologie Sociale - Université Toulouse - Jean Jaurès - PDF

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Summary

This document is a course outline for a social psychology course at the Université Toulouse - Jean Jaurès. It covers topics such as communication, social influence, and attitude/behavior change. The course material outlines theoretical approaches and practical applications. It includes chapter summaries, learning objectives, and suggestions for further readings. This is an educational document and not an exam paper.

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SED 20 20 23 PY00404T Psychologie Sociale U...

SED 20 20 23 PY00404T Psychologie Sociale Université Toulouse - Jean Jaurès - Service d’Enseignement à Distance 5 allées Antonio Machado 31058 Toulouse cedex 9 Tel : +33 (0)5 61 50 37 99 - Mail : [email protected] – Site : sed.univ-tlse2.fr Reproduction et diffusion interdites sans l’autorisation de l’auteur-e Sommaire Communication, influence sociale, Changement d’attitude et de comportement. Approches psychosociales – 106 pages Responsable : Stéphane PERRISSOL Intervenants CM : Alexis le BLANC (partie 1 SED) Nadine CASCINO Marie Pierre CAZALS FERRE Stéphane PERRISSOL (partie 2 SED) Les modalités de contrôle des connaissances, éventuellement indiquées dans le document sont données à titre indicatif, sous réserve de validation par les départements de l’Université. Elles sont donc susceptibles d’être soumises à modifications. Pour vérification, connectez-vous sur le site de l’Université https://www.univ-tlse2.fr/accueil/formation-insertion/inscriptions-scolarite/le-controle-des- connaissances Université Toulouse Jean Jaurès (le-Mirail) U.F.R. de Psychologie Module UE404 Partie Psychologie Sociale Responsable : S. Perrissol COMMUNICATION, INFLUENCE SOCIALE, CHANGEMENT D’ATTITUDE ET DE COMPORTEMENT. APPROCHES PSYCHOSOCIALES DOCUMENT DU SED Intervenants CM : Alexis le BLANC (partie 1 sed) Nadine CASCINO Marie Pierre CAZALS FERRE Stéphane PERRISSOL (partie 2 sed) 1 Avertissement : ce document de cours rassemble des contenus relatifs à différents champs théoriques de la psychologie sociale et à certains débats qui animent la discipline. La conception d’ensemble du cours a été réalisée par une équipe d’enseignants-chercheurs du département de psychologie sociale, du travail et des organisations de l’Université de Toulouse le Mirail. Ils en ont défini les objectifs pédagogiques, sélectionné les contenus jugés indispensables à ce stade du cursus et réfléchi à leur articulation autour de deux grands thèmes : la communication et l’influence sociale, les dynamiques de changement des attitudes et des comportements. Certains points du cours peuvent être complétés par les contenus de l’UE 404 partie psychologie sociale Préambule important à l’adresse des étudiants du SED Objectif général du cours L’objectif de ce cours est d’aider l’étudiant dans l'acquisition de quelques théories et concepts fondamentaux de la psychologie sociale : les concepts sont des représentations abstraites d'une réalité permettant de définir des "classes" de faits ; les théories constituent des explications (toujours provisoires) du constat que des phénomènes se produisent lorsque certaines conditions, internes et/ou externes à l'individu, sont réunies; elles servent à relier des classes de faits. Partant du constat que tout individu est inséré dans des espaces de communication et d’influence, ce cours de 2ème année s’attachera d’abord à définir ces deux concepts clés de la psychologie sociale et à introduire ensuite des modèles théoriques de la discipline pour traiter de la question relative au changement : dans ces espaces de communication et d’influence, pourquoi et comment les individus changent-ils d’attitudes ou/et de comportements ? Au-delà, ce cours invite le lecteur à une réflexion sur les modes d’articulation entre le “ psychologique ” et le “ social ” au cœur des dynamiques de communication et d’influence. Plan du cours Le cours est organisé en deux grandes parties. La première partie vise à dégager l’importance des phénomènes de communication pour le psychologue social au plan théorique comme au plan des pratiques et de « l’intervention psychosociale » ; à définir les variables et les processus pris en compte dans l’analyse psychosociale de ces phénomènes ; à cerner les enjeux fondamentaux propres aux situations de communication : à savoir l’influence et le changement. Si la communication s’inscrit toujours dans une situation sociale donnée (cf. notions de statuts et de rôles à définir) qui en oriente les modalités et les objectifs, elle fait aussi l’objet d’une co- construction active de la part des interlocuteurs, fondée sur la négociation plus ou moins explicite d’un « contrat de communication ». L’objectif de ce premier chapitre du cours est de caractériser ce qui fait la spécificité de l’approche psychosociale des phénomènes de communication par rapport à d’autres points de vue théoriques et disciplinaires qui ont pris, eux aussi, la communication comme objet d’étude. Après avoir dégagé cette spécificité, l’intérêt de définir les processus de la perception d’autrui comme les notions de « contrat de communication » et de « représentation sociale » sera justifié au regard de l’enjeu inhérent à toute communication humaine : la construction de sens commun. 2 Comme vecteur d’influence et de négociation, la communication est une condition essentielle du changement personnel et social. Trois formes d’influence sociale sont à distinguer : la normalisation, la conformité (ou influence majoritaire) et l’innovation (ou influence minoritaire). Cette présentation permettra de montrer quel renversement épistémologique opère la théorie de l’influence minoritaire et d’introduire à la fin de ce deuxième chapitre le rôle du conflit dans les dynamiques de changement. La seconde partie du cours aborde la question du changement d’attitudes et/ou de comportements. Les perspectives théoriques de la rationalité et de la rationalisation seront successivement développées et, au final, mises en discussion. Le chapitre 3 cherchera à décrire et expliquer les phénomènes d’obéissance. A cet effet, les expériences de Milgram et de Zimbardo seront tour à tour présentées. Dans le chapitre 4 consacré aux phénomènes de persuasion, c’est le changement d’attitude qui sera ici ciblé. Après avoir au préalable défini la notion d’attitude, deux questions seront traitées : les attitudes peuvent-elles prédire le comportement ? dans quelles conditions observe- t-on un changement d’attitude ? Les rapports problématiques entre attitude et comportement seront alors examinés, puis les différents facteurs en jeu dans le changement d’attitude seront identifiés à partir de quelques expériences princeps (dont celles de l’Ecole de Yale) sur la persuasion. Enfin, le dernier chapitre introduira une autre perspective théorique, celle de la dissonance cognitive et de la soumission librement consentie. A partir d’une présentation de la théorie de la dissonance cognitive de Festinger, le modèle plus récent de Beauvois et Joulé sera développé. En conclusion de cette seconde partie, ces différentes « voies » du changement (obéissance, persuasion et soumission librement consentie) seront doublement discutées : d’une part du point de vue de la conception du sujet qui s’y trouve privilégié ; d’autre part, du point de vue de la posture éthique et déontologique du psychologue social qui se trouve mobilisée dans ces recherches expérimentales. Aide à la compréhension du cours  Afin de faciliter la lecture et la compréhension du cours, des exemples très concrets et des résultats d’expériences sont proposés, à titre d’illustrations, tout au long du document. Ils figurent dans le corps du texte en caractère de taille réduite ou en encadré.  Afin de permettre à l’étudiant de tester son niveau de compréhension du cours, des questions-tests sont rassemblées, dans un encadré, à la fin de chaque chapitre. Il est important d’y répondre pour tester non seulement son niveau de connaissances, mais surtout sa capacité à les activer et à les utiliser. Bibliographie Tout au long du cours, dans chaque chapitre, des références bibliographiques volontairement ciblées sont proposées pour approfondir certains contenus. Il est fortement conseillé à l’étudiant de s’y reporter, dans la mesure de ses possibilités. Ce document est donc aussi à concevoir comme une invitation et une aide à la lecture. Regroupement : pour rappel, voici le calendrier des regroupements et leur format : 3 Sur la partie 1 : Lundi 7 février : 14h-17h : salle RU 101 Samedi 12 février : 14h-17h Amphi A Sur la partie 2 : Lundi 7 mars : 14h-17h distanciel Samedi 12 mars : 14h-17h distanciel Chaque partie du cours est l’équivalent de 12h de CM en présentiel. Il n’est donc pas possible de reprendre l’intégralité des contenus lors des regroupements. Il est donc préférable avant les regroupements de lire les contenus de la partie concernée afin que vous posiez vos questions qui constitueront la base des interventions. Examen : L’examen lié à ce cours prend la forme d’une ou plusieurs questions nécessitant de rédiger vos réponses. Il s’agit le plus souvent de présenter, un (ou plusieurs) modèle(s), théorie(s), expérience(s) permettant d’illustrer un point théorique, ou d’expliquer un/ des résultats, un fait divers en mobilisant une théorie etc. Ce document de cours est réservé aux étudiants inscrits au Service d’Enseignement à Distance. Toute reproduction et autre utilisation de ce document sont strictement interdites. 4 PREMIERE PARTIE : COMMUNICATION, REPRESENTATIONS SOCIALES ET PROCESSUS D’INFLUENCE La communication (objet de nouveaux métiers, de nouvelles technologies, de nouvelles idées, de nouvelles normes...), est un levier essentiel dans les dynamiques de changement social et dans les modes de participation individuelle à ce changement. La communication est un vecteur d’influence (pour Moscovici, communiquer c’est transmettre et influencer). On peut du reste constater qu’un de ses sens tend depuis plus d’une vingtaine d’années à supplanter tous les autres (au point de consacrer une nouvelle spécialité à part entière) : c’est l’ensemble des techniques médiatiques utilisées (dans la publicité, les médias, la politique) pour informer, influencer l’opinion d’un public (d’une "cible") en vue de promouvoir ou d’entretenir une image (stratégie communicationnelle). « Cette personne, cette entreprise communiquent bien », entend-on souvent. On voit apparaître clairement l’objectif de persuasion (cf. "la communication persuasive" développée dans la seconde partie) inhérent à la communication : "On émet une communication dans un but précis qui est très généralement la recherche d’une certaine modification des comportements, des attitudes, des représentations ou des connaissances du groupe" (Flament, 1965, tome IX intitulé "Psychologie Sociale" du Traité de Psychologie Expérimentale dirigé par Fraisse et Piaget). Mais avant d’évoquer la question de savoir comment la communication influence-t-elle les personnes et les groupes (chapitre 2 consacré à l’influence sociale), voyons d’abord comment la psychologie sociale traite de la communication. CHAPITRE I : COMMUNICATION ET REPRESENTATIONS SOCIALES En introduction, nous indiquerons pourquoi les problèmes de communication occupent une place centrale en psychologie sociale, tant d’un point de vue théorique que du point de vue de la pratique du psychologue social, de ce qu’il est convenu d’appeler « l’intervention psychosociale ». 1 – Introduction : les phénomènes de communication et d’idéologie, un domaine d’étude et d’intervention central en psychologie sociale 1.1 – D'un point de vue théorique :  La définition de l'objet de la psychologie sociale Si l'on se réfère aux définitions classiques qui sont proposées de la "psychologie sociale" comme discipline scientifique à part entière, on s'aperçoit dans les ouvrages fondamentaux que l'objet qui paraît le mieux la caractériser est l'étude des relations interindividuelles. Ainsi, pour Deutsch et Krauss (1968, Les théories en psychologie sociale), l'objet de la psychologie sociale est "l'étude des relations d'individu à individu, réelles, imaginaires ou potentielles dans un contexte social donné, en ce qu'elles affectent les individus concernés...". 5 De même pour Maisonneuve (1973, Introduction à la psychosociologie), "l'objet propre de la psychologie sociale est l'étude des relations des individus entre eux et des groupes entre eux : c'est-à-dire l'étude des relations interindividuelles en tant que ces relations s'inscrivent toujours dans un environnement social organisé, constitué des techniques, des règles et des valeurs qui s'appliquent aux relations humaines". En tant que support premier de ces relations interindividuelles, la communication apparaît donc, au moins de manière implicite, comme centrale dans ces deux définitions. Elle est même mentionnée de façon très explicite dans la définition proposée par Moscovici (1984, Psychologie sociale) : "la psychologie sociale est la science des phénomènes de l'idéologie (cognition et représentation sociales) et des phénomènes de communication". Ceci étant dit, il peut s'avérer délicat de définir une discipline par le repérage d’un ou de plusieurs objets d’étude qui lui seraient spécifiques. C'est délicat pour au moins deux raisons : - d'abord parce que cela peut susciter de fausses représentations de ce que recouvre la discipline et opérer des délimitations disciplinaires contestables : par exemple, quand on considère que la psychologie renvoie à l'étude de l'individu singulier, la psychologie sociale, à l'étude des groupes restreints, la sociologie à l'étude des grands groupes et des masses ; - ensuite parce que plusieurs disciplines peuvent s'intéresser à un même objet. Il suffit pour s'en convaincre de consulter les sommaires de manuels de différentes disciplines. Ainsi en va-t-il des relations interindividuelles : elles pourront intéresser aussi bien les psychologues sociaux (cf. les définitions précédentes) que les psychologues du développement (cf. le rôle des relations entre pairs dans le développement de l'enfant) ou encore les sociologues (cf. le rôle des relations entre individus et entre groupes dans la construction de nouvelles identités collectives, par exemple de métier). Aussi, paraît-il plus judicieux de définir une discipline, non pas tant par son objet d'étude que par le type de regard qu'elle porte sur cet objet, sa façon de l'aborder, de le définir, de l'expliquer. C'est l’idée que défend Moscovici dans l'introduction de l’ouvrage publié sous sa direction en 1984 (« Psychologie sociale ») quand il s'attache à préciser la spécificité du "regard psychosocial". Avant de présenter le critère distinctif retenu par Moscovici - la psychologie sociale opère une lecture ternaire des phénomènes qu’elle étudie - nous évoquerons rapidement deux autres critères qui nous semblent importants.  La spécificité du "regard psychosocial" a - 1er critère : une conception de l'homme en tant qu'être social. La psychologie sociale appréhende l'homme comme un être "social". Social, parce qu'il se définit, dès son plus jeune âge, dans et par sa relation à autrui ; le petit de l’Homme ne peut pas survivre sans la présence d’autrui à ses côtés. Le psychologue du développement, Henri Wallon, montre combien, dans cet état de « pré-maturation » le rôle des émotions est essentiel au début de la vie ; ce sont les émotions qui font lien avec autrui, qui font lien social ; elles constituent une forme d’infra communication indispensable au repérage et à la satisfaction des besoins du jeune enfant par son entourage. b - 2ème critère : le souci d'éviter les réductionnismes. Par "réductionnisme", on entend un mode d'explication des conduites des sujets qui repose sur une vision partielle de la réalité et qui tend à privilégier certains aspects de celle-ci au détriment d'autres. On distinguera ici plus particulièrement deux formes de réductionnisme, selon la classe de facteurs explicatifs qu'on privilégie : 6 - le sociologisme met en avant le rôle des facteurs sociaux (par exemple, l'appartenance à une catégorie socioprofessionnelle, le niveau d'études, le niveau de revenu...) pour expliquer les comportements des individus ; - le psychologisme met en avant des explications qui renvoient aux caractéristiques personnelles des sujets (en termes d'aptitudes, de traits de personnalité...). Par exemple : pour rendre compte de l'échec scolaire :  une explication "sociologiste" reviendrait à poser que l'échec à l'école est lié à l'appartenance à une classe sociale dite "défavorisée" ;  une explication "psychologiste" reviendrait à expliquer cet échec scolaire uniquement par un manque d'intelligence (un QI faible) ou par un manque de motivation des élèves concernés. La psychologie sociale, quant à elle, recherche l'explication des conduites humaines dans l'articulation de ces deux types de facteurs. Plus précisément, elle suppose qu'un stimulus, quel qu'il soit, n'agit jamais mécaniquement sur une personne : c'est moins la situation en tant que telle qui s'avère déterminante que le sens que le sujet lui accorde. C'est ce que Lewin traduit dans sa formule : Comportement = f (S x P). Autrement dit, le comportement est fonction de la situation (S) et de la personne (P), et, plus précisément, de la situation signifiée par la personne. Les déterminismes externes agissent, mais ils n'agissent jamais directement et encore moins mécaniquement sans un travail de signification (de construction du sens) de la part du sujet. D'où la question également cruciale en psychologie sociale : comment le sujet donne-t-il sens aux situations auxquelles il est confronté ? c - 3ème critère : "une lecture ternaire de la réalité" (Moscovici, 1984). C’est dans et par la référence à autrui que se construisent de telles significations. Le propre du regard psychosocial, comme le montre Moscovici, est d'envisager la relation du Sujet à l'Objet (Situation) comme médiée par autrui. Les modèles "classiques" d'explication étudient les conduites des sujets dans les relations directes que les sujets entretiennent avec l'objet (modèle "binaire" du type : Sujet Objet). Le modèle psychosocial pose que la relation du Sujet à l'Objet est médiatisée par un 3ème terme l'Alter : Alter Sujet Objet Si l’on reprend l’exemple précédent, poser la question de l’échec scolaire conduira, sous ce regard, à étudier comment l’enfant (Sujet) donne sens à l’école (Objet), à sa scolarité, en se référant à autrui (Alter), à des "autrui significatifs", tels que : - les parents : dans le sens où la relation de l'enfant à l'école sera influencée par la représentation que les parents ont eux-mêmes de l'école (représentation valorisée/dévalorisée, rapport de confiance/de méfiance...) ; - les enseignants : dans la mesure où la relation de l'enfant à l'école est influencée par le regard que porte l'enseignant sur l'enfant (perçu comme devant réussir ou échouer), par le processus d'identification de l'enfant à l'enseignant (en résonance avec les dynamiques familiales) ; - les pairs (enfants du même âge) : dans le sens où la relation de l'enfant à l'école passe aussi par la construction d'affinités, de liens de sympathie, d'antipathie ou d'indifférence envers "les autres", de rapports de copinage, d'appartenance à certains groupes ou "clans" qui peuvent faciliter ou au contraire entraver l’implication de l'enfant dans la situation scolaire. Dès lors que l’on intègre ce rôle médiateur d’autrui, on peut mieux comprendre que tous les enfants issus d'une même classe sociale et culturelle n’auront pas forcément le même « destin » scolaire. 7 Entre donc en jeu, dans l'élaboration par le sujet de ses conduites, la présence, effective ou symbolique, d'un tiers, d'un autrui dont les réponses - observées ou imaginées - interfèrent toujours avec les siennes propres. De même, les conduites actuelles du sujet se construisent en référence aux réponses que le sujet a données antérieurement au même stimulus, à la même situation, en fonction des différents rôles qu'il y a occupés et des rapports singuliers à autrui qu’il y a développés : le lien social agit donc ici sous une forme plus intériorisée (assimilable à un « alter ego ») à travers l’histoire de vie du sujet. Cf. l’exemple de l'enfant qui a changé d'école et qui "transporte" avec lui un passé scolaire fait d'expériences positives et négatives avec les enseignants, les enfants du même âge... cette histoire est réactualisée à travers d'autres rencontres et agit souvent à l'insu de l'enfant lui-même... C'est donc cette place centrale accordée à la relation à autrui dans l'explication des conduites humaines qui justifie, en psychologie sociale, l'intérêt porté, d'un point de vue théorique, aux processus de communication. 1.2 – Du point de vue de la pratique et de « l'intervention psychosociale » :  Psychologie sociale et intervention sociale Les premiers penseurs sociaux étaient des philosophes qui ne se préoccupaient pas des problèmes concrets, de terrain. L’avènement de la psychologie sociale en tant que discipline à part entière (qu'on peut situer au début de ce siècle), tout comme son développement (rappelons que la psychologie sociale est une discipline jeune dont 90% des travaux de recherche ont été réalisés depuis les années 60) ont toujours été liés à des préoccupations de terrain, référées à des contextes historiques précis. Pour exemples : - l'immigration aux USA a donné lieu à des études sur les préjugés et les stéréotypes (rapports entre groupes d'origine différente) ; - le développement industriel a suscité des études sur la productivité des groupes et a fait émerger différentes théories de l'organisation (cf. le taylorisme et le fordisme pour la rationalisation du travail...) ; - la seconde guerre mondiale a vu se multiplier aux USA les études sur les différentes manières de diriger un groupe ("leadership"), sur les processus d'influence et la communication persuasive (notamment avec les phénomènes de "propagande", cf. 2ème partie du cours), sur la mesure des opinions et attitudes à l'égard de la démocratie. Bref, la recherche théorique est souvent liée, dans cette discipline, à un souci d'application pratique qui relève de ce qu'on appelle l'intervention psychosociale. Comment définir ce type d’intervention ? On peut entendre par là "une démarche plus ou moins systématique effectuée, à titre onéreux, au moins professionnel, par un ou plusieurs praticiens (des psychologues sociaux) à la demande d'un client, généralement collectif (groupe, organisation, institution) pour contribuer à libérer ou à susciter des forces jusque là inexistantes ou potentielles, parfois bloquées, en vue d'un changement" (Ardoino). Les psychologues sociaux sont souvent sollicités pour traiter des problèmes de communication et ils sont nombreux sur le terrain : distorsion des messages, rumeurs, inefficacité de certaines communications de masse, encadrement de groupes défaillant, résistances aux changements et communications bloquées avec la hiérarchie ou avec les responsables politiques, les exemples ne manquent pas autour de nous... 8  Les problèmes de communication : "la communication est un mur" Il est souvent paradoxal de constater que ce qui est le support privilégié de la relation à autrui - la communication - est aussi ce qui peut séparer l'individu des autres : on s’accordera souvent à dire que "la communication est un mur", ou de façon moins polémique qu'elle est source de malentendus. Et cela, nous le verrons bientôt, parce qu'elle ne se résume pas à un simple travail de codage et de décodage d'un message plus ou moins riche en informations mais qu'elle sous-tend aussi des processus plus complexes d'interprétation de ce message, de ces informations et, au-delà, de la relation à l’autre. A titre d'exemple, notons que le seul "je vous aime" peut revêtir bien des significations différentes quand il est adressé à quelqu'un, si bien qu'il peut vouloir tout dire et ne rien dire à la fois, ce qui en fait tout son mystère au-delà de sa banalité... Afin d'illustrer plus précisément en quoi la communication peut devenir elle-même paradoxale, on pourra se référer à l'actualité cinématographique. Certains films n'ont pas manqué de susciter des polémiques quand ils sont sortis sur les écrans, des polémiques au sens où l'intention du réalisateur n'a pas forcément été comprise. Le message véhiculé dans le film n'était pas celui retenu par la majorité des spectateurs, d'où la polémique. On peut ici citer des films aussi différents que "Orange mécanique" de Stanley Kubrick, "Tueur né" d'Oliver Stones ou encore "Assassin" de Mathieu Kassowitz... la liste est longue de ces films qui ont en commun d'avoir soulevé une polémique à leur sortie, un malentendu parmi les spectateurs sur l'intention de leur auteur. Arrêtons-nous un instant sur le premier de ces films : - l'intention du réalisateur est claire : montrer la fascination d'une certaine jeunesse pour la violence, sous toutes ses formes ; - le message : Kubrick a choisi de construire son film en deux parties à l'esthétique très différente : première partie où la violence commise par une bande de jeunes est filmée comme un ballet, un opéra : sur fond sonore de 9ème symphonie de Beethoven (le célèbre "Hymne à la joie"), ces jeunes, habillés tout de blanc, commettent les pires exactions mais cela reste toujours très "propre" à l'image (ils ne se salissent jamais les mains ni les costumes)... Seconde partie à l’esthétique très différente, changement de décors, les bourreaux deviennent victimes et doivent expier leurs fautes, se "déconditionner" de toute cette violence. A cet endroit, le film montre volontairement la "saleté" de la machine carcérale, son caractère sordide, son acharnement... Ce procédé est utilisé pour démontrer a contrario, au second degré, que c'est la société dans son ensemble qui crée cette violence ; - l'impact du message : certains peuvent avoir compris cette intention mais celle-ci n'est perceptible qu'au second degré ; les plus jeunes spectateurs peuvent se laisser eux-mêmes "fasciner" par l'élégance du ballet de violences au point de faire de ces jeunes des sortes de "héros post-modernes" où la violence est mise au service du culte de l'ego. La vulnérabilité du public d'adolescents et le choix du code (la puissance de l'image sur l'émotion, l'irrationnel) sont ici des sources certaines de distorsions possibles, de "détournement" du message à d'autres fins qu'il n'était prévu au départ. Certains reprocheront à ces films de faire, comme malgré eux, l'apologie de la violence. Peut-on, en images, donner le poison sans l'antidote ? La question reste ici posée. On retiendra seulement pour l’instant qu'entre l'intention de l’émetteur (réalisateur) et l’interprétation des récepteurs (spectateurs), il y a un monde, c'est l'existence même de ce fossé qui pose les véritables enjeux de toute communication... Mais les problèmes de communication ne s'observent pas seulement autour d'une salle de cinéma ; ils s'observent partout : - dans la vie familiale : au sein d'un couple, entre parents et enfants (cf. les psychothérapeutes de l'Ecole de Palo Alto et leurs études célèbres sur la "communication pathologique" dont nous reparlerons plus loin) ; - dans la vie professionnelle : à travers les communications de travail nécessaires à l'accomplissement de la tâche, entre niveaux hiérarchiques (cf. la question du "harcèlement" au travail...) ; - dans les rapports intergroupes : par ex., les problèmes de communication en situations interculturelles où se confrontent des groupes de cultures et de systèmes de valeurs différents (ex. de la collaboration parfois tendue entre Français/Allemands dans la construction d'Airbus, 9 ou encore exemple de la difficile communication interdisciplinaire entre scientifiques de disciplines différentes... et même entre sous-disciplines relevant pourtant de la même discipline! Exemple enfin des communications souvent conflictuelles entre les hommes et les femmes autour de leur perceptions réciproques de l'engagement de l'homme et de la femme dans la vie professionnelle et dans la vie familiale)... - dans les communications de masse : problème de l'efficacité de certaines campagnes publicitaires, politiques ou de prévention (ex. modification des pratiques sexuelles face au SIDA, port de la ceinture de sécurité, perception des risques causés par l'alcoolémie ou le cannabis au volant et changement des comportements des automobilistes...). Autant de problèmes que rencontre la "communication dite persuasive" (introduite plus loin). Autant de champs d'interventions possibles pour le psychologue social qui pourra analyser ces difficultés, évaluer l'impact de ces communications « malades », proposer des stratégies pour restaurer d'autres types de communication plus positives pour les partenaires concernés. 2 – La spécificité des approches psychosociales des phénomènes de communication Au préalable, nous présenterons de manière synthétique les fondements théoriques de quatre modèles non psychosociaux (technique, linguistique, systémique) de la communication pour mieux dégager, dans les paragraphes suivants, ce qui fonde la spécificité de l’approche psychosociale de la communication. L’étudiant pourra se reporter au chapitre de Almudever & le Blanc (2000), indiqué en bibliographie, pour une illustration des trois premiers modèles lorsqu’ils sont appliqués à une situation d’écoute professionnelle dans un service « Info Sida ». 2.1 – Les modèles (non psychosociaux) de la communication : intérêts et limites 2.1.1 – Le modèle technique de la communication et la théorie mathématique de l'information (Shannon & Weaver, 1949)  La communication comme transfert d’information Le modèle technique de la communication, élaboré en 1949 par deux ingénieurs des télécommunications (Shannon & Weaver, 1949, trad. 1975), a constitué le modèle "canonique" sur lequel s'est appuyé l'ensemble des sciences humaines pour aborder les questions de communication. En proposant un repérage des éléments en jeu dans la communication, ce modèle fournit une grille d'analyse utile pour le découpage opératoire d’une réalité complexe que nous avons d'autant plus de mal à objectiver qu'elle constitue notre expérience quotidienne. Il distingue ainsi six éléments – l'émetteur, le récepteur, le message, le canal, le code, le référent – articulés de la manière suivante : Référent Message Emetteur Récepteur Canal Code  L’émetteur est la personne ou le groupe qui émet le message.  Le récepteur désigne la personne ou le groupe qui reçoit le message.  Le code renvoie à un ensemble de signes et de règles de combinaison de ces signes.  Le canal est la voie de circulation des messages.  Le message représente l’objet de la communication. 10  Le référent désigne le contexte, la situation, les objets réels auxquels renvoie le message. En référence à la théorie de l’information, la communication est conçue ici comme un transfert d’information de l’Emetteur vers le Récepteur. Par information, on entend tout ce qui supprime ou réduit l’incertitude du récepteur. Ainsi, un message qui ne nous apprend rien d’autre que ce que nous savons déjà n’est porteur d’aucune information. Cette théorie pose que l’information est mesurable, quantifiable. A l’aide d’une unité d’information, le "bit" défini comme ce qui réduit l’incertitude de moitié, on peut mesurer la quantité d’information dont un message est porteur. Par exemple, si je dois deviner quelle carte à jouer, la personne en face de moi a extraite d’un jeu de 32 cartes, mon incertitude porte sur 32 "événements" possibles. Si maintenant, la personne en question me dit : "La carte que j’ai retirée du jeu est de couleur rouge", ce message réduit mon incertitude de moitié (elle ne porte plus que sur 16 "événements" possibles). Le message contient donc dans ce cas une unité d’information. Dans une telle perspective, on considère que la communication véhicule un contenu logique, "transparent", non ambigu, que l’on peut mettre en équation : QI (Qté d’information) = Log N (nombre d’événements possibles) n (nombre d’événements désignés par le message)  Les obstacles à la communication Envisagés dans ce type d’approche, les obstacles à la transmission d’information appelés "bruits", sont essentiellement d’ordre physique, matériel. Dans un tel cadre, l’analyse du bon fonctionnement ou, à l’inverse, des difficultés de la communication sera centrée : a - Sur les qualités physiques des éléments du dispositif. Prenons l’exemple d’une conversation téléphonique :  Le canal : le réseau téléphonique doit bien sûr être "performant" (pas de "friture" sur la ligne qui rendrait difficile l’écoute).  L’émetteur : doit posséder les qualités physiques d’un bon "émetteur", une élocution claire, une voix suffisamment forte, etc...  Tout comme le récepteur, de son côté, doit être doté de capacités d’audition suffisantes. b - Sur les qualités du message. Celui-ci doit combiner, dans de bonnes proportions, ce qui relève de l’information (ce qui est "nouveau" pour l’appelant) et ce qui relève de la "redondance", c’est-à-dire de la reformulation, sous des formes différentes, d’un même contenu. Un message qui ne comporterait que de l’information ne pourrait pas être intégré par l’écoutant (il serait "submergé" par la nouveauté) ; de même un message qui ne serait que stricte redondance ne répondrait pas à ses attentes car il ne réduirait pas son incertitude sur des points capitaux pour lui. Dans les deux cas, la communication avorterait. Adaptée à la résolution des problèmes techniques de télécommunications (qui concernaient au départ la transmission télégraphique), cette approche n’est cependant pas à même de rendre compte de la complexité des processus et des phénomènes de la communication humaine. Il ne suffit pas que le canal fonctionne bien pour que le contact s’établisse. Comment expliquer qu’un message parfaitement "décodable" et matériellement "audible" par l’interlocuteur puisse ne pas être "entendu" (ce que l’on a l’habitude d’appeler des "dialogues de sourds") ? Le message n’est donc pas cette "transparence" codée qui reflèterait la réversibilité parfaite des opérations d’encodage et de décodage : il est lourd d’implications pour les sujets. D’implications et de résonances affectives tellement fortes parfois qu’il ne peut être intégré tant le "récepteur" est submergé par ses émotions. Le modèle technique prend en considération 11 l’opération de décodage mais il n’envisage pas les processus d’appropriation du message, ni les utilités ou les fonctions psychologiques et sociales de ce dernier. 2.1.2 – Un modèle linguistique de la communication : le modèle de Roman Jakobson  Les fonctions du langage Si nombre de linguistes (après Saussure, 1916) ont centré leur approche de la communication sur l’analyse des problèmes de code (dans l’objectif de définir la nature des signes et d’établir les lois qui régissent leurs rapports de combinaison au sein de ce système qu’est la langue), d’autres linguistes se sont intéressés au langage en fonctionnement, au sujet qui parle (Austin, 1962, trad. 1970) et à ses actes de langage (Searle, 1969, trad. 1972). Tout en s’appuyant sur le modèle technique de la communication, R. Jakobson (1963, 1973) va définir différentes fonctions du langage qui laissent entrevoir un « sujet parlant », notamment à travers les objectifs que celui-ci poursuit dans la communication, là où le modèle technique n’envisageait l’émetteur et le récepteur qu’en tant que "machines" à encoder et à décoder, ordonnés à une seule mission : l’égalisation de l’information entre ces deux "pôles". A chacun des éléments du modèle technique, Jakobson rattache une fonction spécifique du langage pour définir un « acte de communication ».  La fonction expressive (ou émotive) du langage est centrée sur l’émetteur. Par cette fonction, celui qui parle veut s’extérioriser, faire connaître ses idées, ses émotions, ses désirs.  La fonction conative est centrée sur le récepteur. Elle exprime plus exactement l’intention de l’émetteur vis-à-vis du récepteur, l’intention d’un sujet qui utilise le langage pour agir, du moins pour tenter d’agir sur autrui, en provoquant chez lui une réaction particulière et un effet d’influence, de séduction ou encore de soutien. Ainsi, pour exemple, la demande verbalisée qu’une personne adresse à une autre personne au téléphone "vous pouvez parler, je vous écoute".  La fonction phatique est centrée sur la canal et au-delà sur le contact psychologique qui s’établit entre l’émetteur et le récepteur. Par le truchement de cette fonction, ceux qui parlent cherchent à établir, prolonger ou interrompre la communication, à vérifier si le circuit fonctionne bien ("Allo, vous m‘entendez?"), à attirer l’attention du récepteur ou à s’assurer qu’elle ne se relâche pas.  La fonction poétique est centrée sur le message pour lui-même. Elle consiste à assurer au message un supplément de sens par une mise en forme particulière (avec des effets de rime, de rythme, de jeux de mots...). Cette fonction, bien sûr prédominante dans l’art littéraire, n’est pas confinée seulement à la poésie comme son nom pourrait le laisser penser. On la retrouve particulièrement présente dans les communications persuasives (publicitaires, politiques...).  La fonction métalinguistique est centrée sur le code. Elle intervient chaque fois que le code utilisé (la langue) fait lui-même l’objet du message échangé : "Quel drôle de mot !... J’entends par ce mot..., c’est-à-dire... ".  La fonction référentielle, centrée sur le « référent », vise à décrire ou à évoquer le contexte, la situation réelle ou imaginée dans laquelle se trouvent les sujets parlants (référents situationnels) et l’objet de leur communicationce (référents textuels). Il est important de noter que, dans le modèle de Jakobson, ces fonctions ne sont pas exclusives les unes des autres puiqu’elles co-habitent souvent dans un même message. Elles font seulement l’objet, de la part du sujet parlant, d’une hiérarchisation singulière (classées en fonctions dominantes et fonctions secondaires), ce qui permet de donner le sens de ce qui est dit. En référence à ce modèle, on peut donc analyser une situation de communication et les 12 obstacles auxquels elle se heurte en repérant quelles fonctions sont ou non assurées par les messages émis.  Une centration sur l’émetteur du message Par la définition de ces fonctions, R. Jakobson caractérise les différentes modalités d’investissement du message par l’émetteur à travers les objectifs "dominants" qu’il poursuit et, de fait, laisse dans l’ombre la participation effective du récepteur au processus de communication. Ainsi, une limite importante de ce modèle linguistique (qui n’est qu’un exemple parmi les nombreux modèles que ce champ disciplinaire a fournis) est de ne pas prendre en compte l’interaction effective entre l’émetteur et le récepteur. S’il met bien en scène l’émetteur et les différents niveaux auxquels celui-ci élabore son message, le récepteur par contre est bien passif, réduit à n’être qu’une « cible » de la communication (notamment de la fonction conative) ; le modèle de Jakobson n’est pas à même de rendre compte de l’influence qu’il exerce sur l’émetteur, au sein d’une véritable interaction qui se développe aussi au niveau du non verbal (mimiques, postures...) ou du paraverbal (son de la voix, intonations, silences...). Le modèle systémique de la communication, développé par l’Ecole de Palo Alto, va, quant à lui, mettre l’accent sur cette notion d’interaction. 2.1.3 – Le modèle systémique et pragmatique de l’Ecole de Palo Alto En préambule, il est important de signaler que les théoriciens de l’Ecole de Palo Alto* se sont largement appuyés sur les acquis de la cybernétique (cf. Wiener, 1950) et sur la notion de « feed-back » pour repenser la communication non comme un schéma linéaire (cf. le modèle technique de Shannon et Weaver) mais comme un système circulaire défini par un jeu de rétroactions positives et négatives (feed-back) où les positions d’émetteur et de récepteur alternent en permanence. Si bien que cette distinction entre ces positions est jugée inopérante dans l’observation de séquences interactionnelles où les processus d’influence jouent dans les deux sens : l’action d’un émetteur est indissociable des réactions du récepteur. * L’école de Palo Alto (en Californie) regroupe en fait, de façon informelle, des chercheurs de différents horizons disciplinaires : Bateson, Birdwhistell, Hall et Goffman (anthropologie, sociologie), Don Jackson, Watzlawick (psychiatrie, psychanalyse, psychothérapie). Pour cette raison, on parle encore à son endroit de « Collège invisible » car plus qu’un lieu c’est une approche pluridisciplinaire de la communication qui lie ces différents chercheurs.  Interaction et approche "systémique" Partant du postulat selon lequel "il est impossible de ne pas communiquer" car tout comportement - y compris le silence ou le retrait - a valeur de communication, les théoriciens de Palo Alto vont développer une approche de l’interaction qui privilégie l’observation et l’étude systématique des comportements de communication. Cette notion est définie comme "une séquence de messages échangés par des individus en relations réciproques" (Marc & Picard, 1984, p. 23). La notion d’interaction est centrale dans une démarche systémique qui, pour expliquer le fonctionnement ou les dysfonctionnements d’un système (par ex. le système familial) :  centre son analyse non pas sur les caractéristiques des éléments qui composent le système (par ex. les traits de caractère des différents membres de la famille) mais sur leurs interrelations (par ex. les modes de communication qu’ils développent entre eux) ; 13  prend en compte les relations du système à son environnement (ainsi l’insertion de la famille dans un milieu socio-économique particulier peut avoir une influence sur les modes de communication développés en son sein). Défini comme « l’ensemble des éléments du milieu dont les attributs affectent le système ou qui sont affectés par lui » (Marc & Picard, 1984, p. 23), la notion de contexte revêt ici une importance capitale. Ce type d’approche a été à l’origine d’un renversement de perspective dans le champ de la thérapie : avec les « thérapies familiales », on ne "soigne" plus le sujet porteur du symptôme, mais on intervient auprès de l’ensemble de la famille car on fait l’hypothèse que ce symptôme est lié à des problèmes de communication au sein du système familial.  Une logique de la communication Pour les théoriciens de l’Ecole de Palo Alto, il s’agit, sur la base d’observations répétées et systématiques de séquences d’interaction, de dégager les règles qui fondent ce qu’ils ont nommé une « logique de la communication » (Watzlawick & al., 1967, trad. 1972). De la même façon que l’observation de plusieurs parties d’échecs peut permettre à un néophyte d’inférer certaines règles de ce jeu, l’observation attentive d’interactions entre deux ou plusieurs personnes permet de repérer que certains enchaînements se répètent et que certains comportements en appellent d’autres. G. Bateson distingue, à ce propos, dès 1936, deux grandes catégories d’interactions :  les interactions symétriques où les interactants se répondent sur le même mode : au don par le don, à la violence par la violence. Ainsi, par exemple, l’agressivité appelle l’agressivité et conduit à une surenchère pour "avoir le dernier mot"...  les interactions complémentaires où les partenaires s’enferment de plus en plus dans des rôles et contre-rôles de type domination/soumission, exhibitionisme/voyeurisme. Ainsi, par exemple, la réitération d’affirmations autoritaires de la part d’un des interlocuteurs pourra s’accompagner d’un retrait progressif de l’autre et de son acceptation passive ; comme le monologue d’une personne qui réduit l’autre à une écoute silencieuse... A travers ces exemples, on voit comment la communication entre deux personnes ne dépend pas, comme pourraient le laisser entendre les modèles précédents, de l’initiative unilatérale de l’émetteur mais relève d’une participation effective -volontaire ou non, verbale et non verbale- des deux interactants au développement d’une logique particulière de communication. Alors que les premières interactions (symétriques) instaurent l’égalité ou la réciprocité dans l’échange, les secondes (complémentaires) tendent à souligner les différences de places et de pouvoir. Il est important d’insister encore une fois sur le fait que ces positions s’appellent réciproquement sans que l’un des deux partenaires n’impose nécessairement à l’autre, et de façon consciente, son comportement. Les dynamiques de "ponctuation" de l’échange (gestion des tours de parole, aménagement des silences) jouent un rôle essentiel dans l’instauration d’une « logique de communication » plutôt qu’une autre.  Une pathologie de la communication Lorqu’ils se rigidifient, les types d’interaction que nous venons d’évoquer peuvent déboucher sur une « pathologie de la communication ». Ni "bonnes", ni "mauvaises" en elles- mêmes, les interactions symétriques ou complémentaires deviennent un obstacle à la communication lorsqu’elles enferment les partenaires dans une forme stéréotypée de rapport à l’autre ; par exemple, dans un couple, l’enfermement dans la spirale de l’agressivité ("tu n’as pas voulu aller au restaurant hier soir", "je n’irai pas dîner avec toi chez nos amis ce soir", exemple typique d’interaction symétrique) ou l’enfermement dans des relations de domination/soumission qui fait de l’interaction complémentaire un instrument d’oppression (cf. 14 relations sado-masochistes). Au-delà de ces cas de figure, nous pouvons évoquer ici deux formes "classiques" de communication pathologique bien décrites par P. Watzlawick et al. (1972).  La première est relative à la confusion, par les partenaires, des niveaux de la communication. Tout message comporte deux niveaux ; celui du contenu où le message apporte des informations sur des faits, des opinions, des expériences..., celui de la relation où il dit, de manière plus ou moins explicite, quelque chose sur le type de relation entre les partenaires. D’où l’importance de disposer des éléments para-verbaux qui accompagnent le message (ton de la voix, par exemple) et des éléments de contexte (les interventions qui précèdent et celles qui suivent le message dans la séquence d’interaction) pour trancher dans l’interprétation à donner à une phrase. En effet, le sens d’un message relève à la fois : - d’éléments du code digital, constitué de signes arbitraires, de pure convention (par exemple les mots de la langue, les chiffres d’une montre à quartz) ; - et d’éléments du code analogique, constitué de signaux qui ont un rapport immédiat et imagé avec ce qu’ils signifient (par exemple les expressions du visage et le langage gestuel, la position des aiguilles d’une montre sur le cadran). Très souvent, la seule observation de situations de communication montre que parce que les deux interactants restent focalisés sur le seul contenu du message, ils passent à côté du véritable problème de communication qui se situe au niveau de leur relation. Ce n’est que lorsqu’ils pourront s’exprimer à ce niveau (par exemple "Je reconnais votre compétence, mais vous n’avez pas à me parler sur ce ton") que la situation pourra être dépassée. Il s’agit de ce que les théoriciens de Palo Alto appellent la capacité à "métacommuniquer", c’est-à-dire à communiquer sur la communication.  La seconde forme de communication pathologique que nous pourrons évoquer ici est celle que G. Bateson (1972) nomme la "double contrainte" (double bind). Il s’agit du cas où un même message contient deux significations contradictoires qui placent le destinataire dans une situation indécidable ; par exemple, les injonctions paradoxales qui le mettent en position de ne pas pouvoir obéir sans désobéir. Exemple célèbre, l’injonction « soyez spontané ! » (ou « soyez autonome ! ») dans laquelle l’impératif annule le contenu du message car obéir c’est, justement, ne plus être spontané (ou autonome). Pour pouvoir se libérer de la double contrainte et faire face à l’injonction paradoxale, G. Bateson (1972) préconise d’instaurer la « communication paradoxale », c’est-à-dire une communication à visée thérapeutique par laquelle les sujets vont tour à tour jouer, à la façon d’un comédien, la contradiction et la déjouer de manière plus humoristique. Cette "nouvelle communication" (Weakland., 1967, cité par Winkin, 1981) met donc l’accent sur les dynamiques interactionnelles et la nécessaire prise en compte de l’environnement pour saisir leur "logique". Mais parler de "logique" est référé ici à une approche "pragmatique" qui, si elle permet effectivement de dégager un ensemble de règles et de rituels (Hall, 1966, Goffman, 1967) autour desquels s’organisent les séquences d’interaction, ne donne pas accès aux significations construites dans et par cette interaction. Centrée sur l’observation, « ici et maintenant » des comportements de communication, cette approche occulte les processus psychologiques et psychosociaux qui orientent l’interaction entre les partenaires et par lesquels ceux-ci co-construisent la signification de leur échange. Note complémentaire sur l’Analyse Transactionnelle : Contrairement aux modèles précédents, le modèle de l’Analyse Transactionnelle ne sera pas ici développé afin de pouvoir mieux dégager dans le paragraphe suivant les spécificités des approches psychosociales de la communication. Nous renvoyons toutefois le lecteur intéressé par cette approche transactionnelle de la 15 communication à la présentation résumée qu’en font E. Marc et D. Picard dans leur ouvrage « Relations et communications interpersonnelles » (2000, Dunod, pp.42-45). Le lecteur pourra également consulter l’ouvrage d’E. Berne intitulé « Des jeux et des hommes » (trad. 1975 chez Stock). L’analyse transactionnelle (A.T.), fondée par le psychiatre et psychanalyste américain Eric Berne dans les années 60, propose une théorie de la personnalité (« l’analyse structurale des états du Moi ») et des relations interpersonnelles. Elle s’appuie sur l’étude du moi à travers l’identification d’un répertoire limité d’états du moi (états de « Parent », d’Adulte » et d’Enfant ») en lien avec des aspects archaïques (fixés dans la prime enfance) et pulsionnels de la personnalité. L’A.T., dans sa forme simple, « consiste à diagnostiquer quel état du Moi a exécuté le stimulus transactionnel, et quel état du Moi a exécuté la réaction transactionnelle » (Berne, 1975, p.31). Elle met l’accent sur la responsabilité de la personne dans la construction de son histoire de vie et dans sa capacité à changer et à retrouver une certaine autonomie. A cette fin, l’objectif de l’A.T. est de permettre à l’individu de comprendre son fonctionnement interne, son mode de communication et de relation aux autres, ce qui rattache cette approche de l’A.T. au courant humaniste et positiviste de la psychologie. Elle emprunte un certain nombre de ses concepts et outils à d’autres approches telles que la psychanalyse, l’analyse systémique (cf. paragraphe précédent), la Gestalt-thérapie, notamment. Mais si l’A.T. apporte un éclairage important sur les dimensions psychologiques et inconscientes de la communication en soulignant combien l’histoire personnelle (qui est d’abord une histoire familiale) oriente les relations interpersonnelles à l’âge adulte, il tend, de notre point de vue, à privilégier une approche « psychologiste » de la communication, une communication qui se trouve réduite à l’interaction entre deux « personnalités ». Ce modèle se caractérise donc par une centration sur les seules dynamiques intra et interpersonnelles en jeu dans la communication et laisse dans l’ombre d’autres questionnements pourtant tout aussi essentiels : comment les individus qui communiquent se perçoivent-ils mutuellement ? dans quelle mesure la « situation sociale » dans laquelle ils se trouvent oriente-t-elle cette perception ? comment donnent-ils sens à leur interaction ? comment peuvent-ils alors s’entendre sur une signification commune sans laquelle la communication serait réduite à un dialogue de sourds ? comment cette communication interpersonnelle (« dyadique ») s’inscrit- elle aussi dans la vie des groupes (et pas seulement dans la vie des deux interlocuteurs) ? Quelle fonction remplit la communication dans les groupes ? Ces questions, parmi d’autres, justifient à nos yeux le développement d’une approche résolument psychosociale de la communication. 2.2 – La définition psychosociale de la communication La définition de la communication proposée par D. Anzieu et J.Y. Martin (1968) est souvent utilisée pour repérer les différents facteurs psychologiques et psychosociaux qui interviennent dans les processus de communication. Selon ces auteurs, dans la communication « entrent en contact, non pas une « boîte noire » émettrice et une « boîte noire » réceptrice, mais un « locuteur » et un « allocuté », plus généralement, deux ou plusieurs personnalités, engagées dans une situation commune, et qui se débattent avec des significations » (Anzieu & Martin, 1990, 9ème éd., p. 191). Derrière les trois termes clés contenus dans cette définition, c’est tout un ensemble de variables de niveaux différents qui est pris en compte. 2.2.1 – Les facteurs de personne La première catégorie de facteurs, que nous qualifierons de facteurs « de personne » (plus que de « personnalités »), renvoie à des éléments tels que : les motivations et caractéristiques personnelles des locuteurs, leur état émotionnel et affectif, leur niveau intellectuel et culturel, leur système de valeurs, leur histoire personnelle et, plus largement, leurs cadres de référence. Exemple 1 : dans la communication pédagogique, ces facteurs peuvent jouer un rôle de facilitation ou au contraire d’obstacle à la compréhension du cours :  Les compétences personnelles : un l’étudiant a un esprit peu logique, peu rigoureux, il éprouvera des difficultés à saisir les articulations d’un cours de maths dans une classe prépa.  Le système de valeurs : si l’étudiant valorise fortement une discipline, la communication avec l’enseignant sera plus facile que s’il la dévalorise. 16  L’histoire personnelle : s’il associe à telle ou telle discipline, à tel ou tel enseignant qui lui a enseigné cette discipline, de bons ou mauvais souvenirs, des expériences d’échec ou de réussite, cette même communication sera plus ou moins facilitée. Exemple 2 : un jeune spectateur sera plus ou moins choqué par la projection d’un film comme « Orange mécanique » (« Tueur né » ou « Assassin »…), plus ou moins touché par ce qu’il voit à l’écran, selon :  ses caractéristiques personnelles, par exemple son esprit critique ;  son système de valeurs : c’est-à-dire ses références politiques (extrémiste ou démocrate) et son attitude par rapport à la violence  son histoire et ses expériences personnelles : il ne réagira pas de la même façon au film selon sa culture cinématographique plus ou moins riche qui peut lui permettre ou non de relativiser l’impact du premier message (et d’accéder à une « lecture au second degré » du film), selon qu’il connaît ou non, dans son entourage, des personnes victimes ou auteurs de violences (y compris lui-même), selon qu’il s’appuie, dans sa famille, à l’école ou encore dans des clubs de sport (d’arts martiaux ou de combat par exemple), sur des modèles d’identification qui prônent la violence ou au contraire la combattent… 2.2.2 – La situation sociale Toute communication peut d’abord être décrite par le lieu et le moment où elle se déroule. Le "contexte" recouvre ainsi l’ensemble des caractéristiques physiques qui situent "hic et nunc" (ici et maintenant) une communication. Mais ces paramètres concrets, "objectifs", sont aussi porteurs de dimensions sociales qui jouent de tout leur poids dans la situation de communication. Soit un entretien de recherche qui place un interviewer face à un interviewé. Il n’est pas indifférent que l’entretien se déroule dans un laboratoire à l’université ou, par exemple, sur le lieu de travail de l’interviewé. Dans le 1er cas, la dimension de l’institution « Recherche » sera prégnante et l’interviewer, représentant de cette institution, apparaît comme le « sujet supposé savoir ». Dans le second cas, sur le terrain de l’interviewé, les positions sont sensiblement différentes. Nombre d’études montrent que les principaux obstacles rencontrés au cours d’un entretien sont essentiellement liés aux positions de pouvoir qu’implique l’action de recherche elle-même, lorsque interviewer et interviewé représentent l’un pour l’autre des couches sociales d’intérêts trop divergents (Blanchet, 1987, Les techniques d’enquête en sciences sociales, Bordas, p. 92). C’est dire combien des variables telles que les caractéristiques économiques, sociales, culturelles, professionnelles, d’âge, de sexe, etc. des interlocuteurs sont à même d’influencer la communication. Il est donc important pour un psychologue social (à la différence d’un linguiste par exemple) de prendre en compte l’ensemble des conditions sociales qui donnent sens à une situation de communication non réductible à un simple échange interpersonnel. Cette situation sociale qui motive, rend possible et sanctionne la communication (c’est-à-dire en signe la réussite ou l’échec) se définit par :  les positions (les statuts et les rôles) de ceux qui communiquent ;  les enjeux de la communication (c’est-à-dire les risques et les bénéfices attendus de cette communication). Soit la communication pédagogique entre un enseignant et un étudiant : les positions : Cette communication se déroule à l'université, dans la salle de TD ou en amphi (ce qui implique soit des relations complémentaires, soit des relations dissymétriques), à une certaine heure, tôt le matin (8h30) ou tard le soir (c'est une contrainte, un effort supplémentaire pour les deux parties, d'où la nécessité de poser de façon plus ou moins tacite un "contrat de communication", par exemple la règle d'assiduité si ce sont des TD...). S’ils entrent maintenant en relation, non plus dans une salle de cours à la fac, mais par exemple entre 12h et 14h, dans le centre de Toulouse, dans un “ fast-food ”, ce sont bien les mêmes personnes qui sont en présence, mais la situation objective va mobiliser des statuts et des rôles bien différents chez les interlocuteurs : ils seront alors liés par des relations symétriques, de consommateur à consommateur, de toulousain à toulousain... Par conséquent, les attentes réciproques auront changé de nature. 17  les enjeux : - réussir l'examen (fonction instrumentale), au risque d'être "dé-formé", de rentrer dans un "moule universitaire" ; l’échec à l’examen peut remettre en question la poursuite des études et l’orientation à venir de l’étudiant. - devenir plus autonome par les études, prendre confiance en soi, se réaliser dans un domaine de compétences (fonction psychologique) ; ici l'échec à un examen peut venir fragiliser l’étudiant dans sa situation personnelle, le rendre vulnérable d’un point psychologique. 2.2.2.1- Les positions des interlocuteurs Avant de revenir plus loin sur les enjeux de toute communication (cf. paragraphe B ci- après), il convient ici de définir de façon succincte mais précise ce que recouvrent les notions de statut, de rôle et d’attentes de rôle, trop souvent confondues dans les discours ordinaires. Ce détour notionnel est nécessaire pour comprendre ensuite qu’à ces positions (statuts et rôles) spécifiques sont attachées des attentes réciproques, des modèles et normes de comportements particuliers, des enjeux de communication porteurs de certains bénéfices attendus mais aussi de risques encourus par les interlocuteurs. 2.2.2.2. La notion de statut social Le statut se définit comme « toute position ou caractéristique sociale permettant de préciser la condition ou le rang d'un individu parmi d'autres possibles dans une société donnée » (Maisonneuve, 1973, p. 94). Le statut est alors la position sociale que l'individu occupe dans un système particulier, social, politique et économique, à un moment donné. Les statuts définissent donc des catégories sociales par rapport auxquelles il est possible de décrire et de classifier les individus. A ce titre, ils recouvrent deux dimensions complémentaires :  un aspect évaluatif ou hiérarchique puisqu’il apparaît essentiellement comme un certain rang dans une échelle sociale de prestige et de pouvoir (on parlera en ce sens de statut bas ou élevé, supérieur ou inférieur) ;  un aspect institutionnel et prescriptif. Dans un groupe donné, le statut désigne « l'ensemble des attributs liés à la position d'un individu dans ce système et certains comportements auxquels son détenteur peut légitimement s'attendre de la part des autres ». L'aspect institutionnel se définit par le cadre légal du statut et attribue à chaque position (ou statut) des droits, des devoirs et des obligations. Cette dimension prescriptive correspond à des normes de comportements définissant ce que doit faire le détenteur de ce statut mais aussi ce que doivent faire ou non les autres à son égard. Dans cette dernière acception, le terme de statut recouvre fortement celui de rôle qui correspond à ce qui est attendu de celui qui est détenteur du statut et de ceux qui sont en interaction avec lui. 2.2.2.3- La notion de rôle La notion de rôle est d'usage courant sans en être pour autant facile à définir. Ce terme vient du latin rotulus qui désignait le rouleau de papier sur lequel était inscrit le texte des acteurs de pièces de théâtre. La référence est ici utile pour saisir ce que recouvre cette notion : les acteurs devaient se référer à ce texte pour savoir ce qu'ils devaient dire et faire, ce qu'ils devaient présenter au public. Ici, c'est en quelque sorte la même chose : le rôle permet aux individus de savoir ce que la société attend d'eux en fonction de la position qu'elle leur a attribuée. Pour Linton le rôle constitue « l'aspect dynamique du statut ». Le rôle peut être défini comme « l’ensemble des conduites normales requises d’un sujet lorsqu’il possède tel statut social » (Maisonneuve, 1973, p.78). Ainsi au sein de chaque société, chaque position est associée à un certain nombre de normes de comportements : au statut d'homme ou de femme 18 mariés correspondent les comportements d'époux, à celui de père ou de mère correspondent ceux d'éducation des enfants... Ces normes qui font même parfois l’objet de lois officielles (cf. droit du travail, droit de la famille …) caractérisent les conduites que l'on peut attendre de celui qui occupe telle position vis-à-vis de celui qui se trouve dans une autre position et inversement. En résumé, on retiendra la définition que A.M. Rocheblave-Spenlé donne du rôle: « modèle organisé de conduites relatif à une certaine position dans un ensemble interactionnel » : modèle organisé : schème mental qui téléguide les comportements de l'individu qui assume le rôle, les attentes émanant de nous-mêmes et s’organisant en système ; conduite : ensemble de comportements orientés et finalisés ; position = ici statut ; ensemble interactionnel : le rôle se définit par rapport aux autres rôles. La notion de rôle recouvre deux acceptions majeures :  Un aspect fonctionnel et pragmatique en rapport avec une certaine situation, avec une certaine position sociale (rôle de père, de médecin...). On dit alors de quelqu'un qu'il assume ou non son rôle en référence à certaines règles et coutumes.  Un aspect imaginaire et théâtral au sens de "jouer" un rôle. En ce sens, le rôle peut être un masque, une manière de dissimuler sa personnalité ou au contraire de s'identifier à un personnage idéal ("faire comme si"). Pour mieux dégager l’intérêt que présente ici cette notion de rôle quand il s’agit de caractériser des situations sociales de communication, on distinguera trois catégories de rôles. a) Rôle prescrit, rôle subjectif et rôle en acte  Le rôle prescrit renvoie au niveau institutionnel et à la première acception du rôle comme système d'attentes existant dans le milieu social : le rôle d'étudiant dépend de ce que la population pense qu'il doit faire. Ici, on étudie le consensus qui se dessine autour d'un rôle et qui détermine ce rôle. Ce consensus se manifeste par des attentes dirigées vers celui qui occupe ces rôles (expectations). Ainsi dans une population, on peut caractériser ce qui est attendu de ceux qui occupent un rôle donné (juge, avocat, médecin, enseignant, père, mère, etc...). Il s'agit alors d'une description idéale de ce que doit faire la personne, description faite non seulement par cette personne elle-même mais par les autres membres du groupe. Ce niveau tient de la dimension prescriptive du statut.  Mais le rôle prescrit ne dit rien de la personne qui l’assume. Le rôle se caractérise, au niveau individuel, par sa fonction d'expression et ses rapports avec la personnalité. L'individu assume les rôles afférents aux différentes positions sociales qu'il occupe de façon plus ou moins fidèle aux modèles en vigueur dans la société ou dans le groupe local concerné. Il peut ainsi y avoir des innovations dues au détenteur du rôle et à sa personnalité, c'est-à-dire un certain nombre de conduites retranchées et/ou rajoutées par rapport au modèle de conduite préalable et consensuel. On pourra alors noter une différence entre le rôle prescrit (cf. ci-dessus) et le rôle subjectif qui dépend des attitudes, croyances et valeurs du sujet, des attentes spécifiques que le tenant d'une position perçoit comme applicables à sa propre conduite.  Enfin, si le rôle subjectif correspond à la manière dont le sujet conçoit les conduites qu'il doit avoir en référence au statut qu'il occupe, le rôle en acte correspond aux conduites manifestes qu’il met effectivement en œuvre dans la situation où il se trouve avec la position qui est la sienne. Il s'agit ici de prendre en considération, au niveau comportemental, la part d'autonomie du sujet par rapport aux rôles qu'il doit assumer. 19 b) Attentes de rôles et fonctions psychosociales des statuts et des rôles dans la communication Afin de dégager ces fonctions, nous prendrons appui sur la situation d’écoute professionnelle analysée dans le chapitre coécrit par Almudever et le Blanc (dans Roussiau, 2000). Soit la situation suivante de communication : nous sommes dans un service Info-Sida à Paris où travaillent des personnes qui interviennent par téléphone pour aider d’autres personnes malades du sida. L’interaction se fait donc à distance et met aux prises dans une relation d’aide deux statuts bien distincts : celui d’ « Appelant » et celui d’ « Ecoutant ». Dégageons maintenant les différentes fonctions associées à la mise en jeu de ces statuts et rôles, en nous centrant notamment sur celui d’Ecoutant. Ce statut permet à celui qui appelle le dit service d’identifier un autre individu, à distance sans le connaître. Ce statut constitue donc bien un cadre de référence d’une part pour les appelants (qui savent ce qu'ils peuvent attendre de lui) et d’autre part pour les écoutants eux-mêmes (qui savent ainsi ce que le service dans lequel ils travaillent et la société en général attendent d’eux dans une telle situation : c'est-à-dire "écouter", informer et proposer un soutien psychologique à leur interlocuteur). En effet, tout statut est par nature relationnel (c’est particulièrement vrai de celui d’Ecoutant) : il "attache" à la personne qui l’exerce un ensemble de droits (à une formation, à une rémunération, à certaines conditions de travail...) et d'obligations (respect de l’anonymat de l’interlocuteur et de la confidentialité de l’échange, devoir d’information et de soutien...) qui règlent son interaction avec les personnes qui occupent d'autres statuts, comme ici celui d’Appelant. Ainsi on peut comprendre que les statuts et rôles assurent des fonctions à deux niveaux, au niveau de l’individu et au niveau de l’interaction sociale.  Au niveau de l'individu En jouant les rôles qui leur sont conférés, les individus s'imprègnent plus ou moins fortement des systèmes de valeurs, de normes et de croyances inhérents à ces rôles et statuts. Mais au-delà d’une simple "imprégnation", les statuts occupés définissent les milieux dans lesquels le sujet va évoluer et donc les registres d’interactions dans lesquels il sera impliqué, les sources d'influences auxquelles il sera exposé. Ainsi, au cours de sa socialisation (durant l'enfance, l'adolescence et encore à l'âge adulte), la personnalité de l'individu se forgera en référence aux normes, croyances et valeurs véhiculées dans et par ces milieux. On observe qu’il existe des corrélations significatives entre le statut et certaines attitudes, notamment entre les statuts économiques et les opinions politiques et religieuses. Plus encore, on parle de « conscience du statut » : au sens où certains possesseurs de certains statuts ont conscience d'appartenir à un groupe latent dont ils se sentent solidaires face à d'autres groupes : partage d'intérêts, de croyances... (cf. étude de Lieberman, 1956, présentée dans l'ouvrage de Newcomb et al., 1970). Chaque rôle constitue pour le sujet un apprentissage social nécessaire à son développement ultérieur (sur le versant de l’« acculturation »). Sur un autre versant de la socialisation (distingué par Malrieu, 1973), force est d'admettre que les individus ne se comportent pas comme des "éponges", des êtres passifs absorbant tout ce que leur propose ou tente de leur imposer leur environnement social. Et cela parce que ces incitations sociales, ces prescriptions de rôles sont non seulement hétérogènes dans leur environnement mais souvent contradictoires quand ils passent d’un milieu (par exemple familial) à un autre (par exemple professionnel, formatif…). Ils intègrent donc ces influences extérieures en réinterprétant les prescriptions de rôles, en redéfinissant les systèmes de conduites associées aux rôles qu'ils assument, en valorisant certains rôles au détriment d’autres. En cela, les individus participent aux changements sociaux, à la redéfinition de ces statuts et des rôles afférents. 20 Cf. dans notre exemple, les différences de pratique de l’écoute que l’on peut observer dans un même service entre les divers "Ecoutants" : certains sont plus directifs que d’autres dans l’échange, certains sont plus sensibles au rôle d’information alors que d’autres sont plus attachés à leur rôle de soutien psychologique ou encore à leur rôle d’émancipation et d’aide à l’autonomisation. Ainsi, il y a une part active de l'individu dans le rôle, ce que pourrait traduire la formule suivante : “on joue nos rôles de manière à montrer que nous ne sommes pas réductibles aux rôles qu’on veut nous faire jouer”. Si le rôle définit partiellement l'individu, l'individu peut en retour enrichir le rôle en se l’appropriant. Bien sûr des conflits intrapsychiques peuvent se produire à différents niveaux qui ne sont pas sans effet sur ces dynamiques d’appropriation individuelle. Il peut y avoir bien sûr un décalage entre ce que les autres attendent de ce rôle et les attentes personnelles de celui ou de celle qui le tient : contradiction entre rôle prescrit et rôle subjectif. Il peut y avoir aussi décalage entre les attentes personnelles de celui ou de celle à qui on confie un rôle et les possibilités concrètes qu’il a ou qu’elle a de le jouer : contradiction entre le rôle subjectif et le rôle en acte (ce que vivent souvent les enseignants). Ces conflits de rôles sont d’autant plus importants qu’un individu est amené très tôt, au cours de son développement, à occuper une pluralité de statuts ou de positions sociales en même temps et à assumer plusieurs rôles simultanés. La personnalité de l'individu se construit et s'exprime alors à travers (parfois contre) cet ensemble de statuts et de rôles plus ou moins compatibles entre eux (car liés à des valeurs, des engagements, des idéologies antagonistes). Exemple de cet Ecoutant qui n’adhère pas à une partie de son rôle qui est non seulement de satisfaire le besoin d’informations de l’appelant sur tel ou tel sujet mais aussi de s’engager dans une relation psychologique à même de lui offrir une écoute personnalisée, un soutien émotionnel, voir parfois une aide à la décision. Exemple encore de ce psychologue fraîchement diplômé qui pour des rasions idéologiques manifeste beaucoup de résistance à exercer des fonctions de recrutement à côté de fonctions de formation et d’aide à l’orientation qui correspondent davantage à l’idée qu’il se faisait de son métier…  Au niveau de l'interaction sociale En informant réciproquement les interlocuteurs et en définissant, au plan institutionnel, la nature de leurs rapports sociaux, les statuts et les rôles participent à la régulation de leur interaction. Au niveau interactionnel, les rôles se définissent toujours de façon complémentaire et se justifient mutuellement. Les rôles et les systèmes de conduites sociales qu'ils décrivent n'ont de sens qu'en tant qu'ils s'actualisent dans des situations concrètes d’interactions avec d’autres rôles. On peut dire que l'exercice du rôle n'est quasiment jamais solitaire puisqu'il se réalise en fonction de rôles complémentaires ou de "contre-rôles" (père-fils, profs-élèves, vendeur-client, patron-employé, médecin-malade, écoutant-appelant...). Tous les rôles que nous assumons nous mettent en relation avec d'autres personnes avec lesquelles il est nécessaire que se fasse un ajustement mutuel pour éviter des malentendus et des conflits interpersonnels. C’est là toute la richesse de l’expérience de l’Ecoutant qui doit rapidement, par téléphone, se construire une image de son interlocuteur et une perception claire de sa demande, sous peine de voir l’appelant raccrocher, insatisfait. Ici, la notion d'attentes de rôles devient centrale dans ces dynamiques interactives. Les "attentes de rôles" sont des sortes d’anticipations des conduites que font les deux partenaires en fonction de ce qu'ils savent être leur position et celle de leur interlocuteur mais aussi en fonction des caractéristiques de la situation dans laquelle se produit l'interaction ; elles déterminent ce que les interlocuteurs attendent l'un de l'autre et ce qu'ils ont à faire ensemble ici et maintenant. Notons toutefois que ce processus d’anticipation peut parfois fausser l'ajustement des relations car il peut y avoir divergences quant aux normes de rôle chez les deux interlocuteurs. 21 Dans notre exemple, l’Appelant peut souhaiter parler intimement à un Ecoutant qui va personnaliser l’échange au niveau du vécu alors qu’il tombe cette fois sur un Ecoutant qui s’attache à se mettre affectivement le plus à distance de l’appel en répondant surtout à des demandes d’information. Ce "malentendu", s’il n’est pas rapidement traité (si certaines règles de l’écoute ne sont pas posées), peut faire échouer la communication. Par conséquent, à ce niveau interactionnel, il faut concevoir la notion de rôle non plus comme un modèle prescrit et rigide de conduites mais comme une structure dynamique. Comme il existe des conflits de rôle au niveau individuel, des conflits interpersonnels peuvent aussi se produire : interprétations divergentes que les partenaires font de leurs propres rôles et des contre-rôles. Au-delà d’une simple confrontation, c'est par l'ajustement des attentes que l'on comprend le rôle de chacun et que chaque individu adapte son rôle, le structure autour des attentes de ceux qui l'entourent et qui sont concernés par ce rôle. En effet, en fonction du déroulement des interactions entre les personnes, il peut se produire chez l'une ou l'autre des deux personnes en jeu dans cette interaction, une transformation de la façon d'être envers les autres, ou envers la situation. C'est cette flexibilité qui est nécessaire à la régulation sociale de l’interaction ; elle devient même une condition de communicabilité (nous reviendrons sur ce point un peu plus loin à propos des effets de facilitation de la communication dus aux attentes de rôle dans la perception d’autrui). Nous venons d’indiquer dans les pages qui précèdent combien la connaissance des positions des interlocuteurs orientait les enjeux de la communication. Identifions maintenant quels sont ces principaux enjeux pour les interlocuteurs, enjeux qui permettent, avec les positions (statuts et rôles) des individus communicants, de caractériser cette « situation sociale », non réductible au seul contexte physique de leur interaction. 2.2.3- Les enjeux de la communication : risques et bénéfices attendus Ces enjeux ont été déjà largement introduits avec la présentation de la situation sociale. Nous ne ferons ici que les spécifier. Nous avons indiqué (dans le paragraphe 2.2.1.2) que les statuts et les rôles introduisent des dimensions sociales importantes qui ne peuvent être sous- estimées, sauf à faire de la communication une arme idéologique et utopique (parce que désocialisée) de libre et égal échange entre deux individus (émetteur/récepteur) qui occuperaient des positions équivalentes, sinon interchangeables, et qui ne s’occuperaient que de transmettre une information aussi transparente que possible (cf. théorie de l’information). Pour peu que l’on s’intéresse, au-delà du seul contenu du message, à la "relation" (cf. l’approche systémique de la communication) entre de véritables "interlocuteurs", alors on conviendra après ce qui précède que la définition de cette relation résulte pour une large part d’un "rapport de places" qui structure la communication (Communiquer, c’est d’abord obtenir le droit à la parole). Ce que soulignait le sociologue Pierre Bourdieu (dans son ouvrage « Ce que parler veut dire », 1982) : « un comportement communicatif s’inscrit dans un jeu social nécessairement porteur d’enjeux ». Ce "jeu social" ne se fait pas en dehors de ceux qu’il réunit et confronte, parfois oppose. La dynamique d’une communication résulte pour beaucoup des enjeux de cette situation tels qu’ils sont perçus par les acteurs en présence. Analyser une situation de communication suppose ainsi que l’on s’attache à repérer pourquoi chacun d’eux s’engage dans cette situation, les risques qu’ils encourent et les bénéfices qu’ils peuvent en retirer pour eux-mêmes. Citons ici quelques uns de ces enjeux principaux, des enjeux qui peuvent être instrumentaux et viser un effet au niveau de la réalité, ou bien être de nature plus symbolique.  Risque de "perdre la face" / Quête de reconnaissance sociale 22 Comme l’a bien montré Erwing Goffman (notamment dans « Les rites d’interaction », 1974), les interactions sociales impliquent très souvent une "représentation" de soi où l’acteur cherche à produire, à imposer ou à défendre une image valorisée de lui-même face à autrui. On peut d’ailleurs constater que la plupart des rituels d’interaction qui régulent les relations quotidiennes (et qui constituent ce qu’on appelle la politesse ou le savoir-vivre) tendent à manifester la reconnaissance d’autrui, à valoriser les interlocuteurs, à ménager leur susceptibilité, à faire que la communication interpersonnelle stabilise et soutienne le rôle, l’image et l’identité de chacun, bref à ce qu’autrui le "valide" dans son besoin de considération, d’intégration, de valorisation, de contrôle et d’individuation. L’enjeu de reconnaissance est bien, dans nombre de situations de la vie quotidienne, de faire "bonne figure" ou de ne pas "perdre la face". On peut distinguer, à ce niveau, deux types de stratégies : l’une tend à maximiser les profits (pour exemple, le comportement de celui ou celle qui, dans une conversation, cherche absolument à briller) et l’autre à minimiser les risques (ex. le comportement de celui ou celle qui garde une certaine réserve prudente pour ne pas commettre d’impairs).  Risque d’être influencé par autrui / Exercice d’un certain pouvoir sur autrui Le rapport de pouvoir peut aussi initier la recherche d’une satisfaction ou d’un gain. Il définit un jeu complexe et compétitif où chacun essaye de l’emporter sur l’interlocuteur (avoir raison, avoir le dernier mot, donner une meilleure image, être le plus fort...). Les enjeux d’influence et les processus que recouvre cette influence seront largement détaillés dans le chapitre suivant.  Risque de ne pas être aimé / Construction d’affinités et valorisation mutuelle Le rapport de séduction instaure un jeu plutôt coopératif où s’expriment la reconnaissance réciproque, l’affinité, la valorisation mutuelle. Notons qu’en ce qui concerne ces deux derniers enjeux, ils peuvent très bien dans la réalité alterner ou se combiner (la recherche de pouvoir pouvant utiliser la séduction et la séduction comporter une visée de pouvoir).  Risque de monologues croisés et de camper sur ses positions respectives / Co- construction avec autrui d’une référence commune Communiquer suppose que les partenaires adoptent ou construisent ensemble une référence minimale sur laquelle ils vont pouvoir s’accorder. Ce dernier enjeu est repris et développé dans le paragraphe 2.4 avec l’introduction de l’approche interlocutoire de la communication et les notions de "contrat de communication" et de "co-construction de référence". L’existence de tels enjeux fait que la communication ne peut être effective que si les interlocuteurs disposent de certains "repères" par rapport à ce qu’ils vont "jouer" dans cette situation. Si l’incertitude est trop grande par rapport aux risques qu’ils prennent, elle constituera un frein, une inhibition à la communication. Comme nous le verrons un peu plus loin, c’est la fonction essentielle du contrat de communication que de poser de façon explicite ces repères. Abordons maintenant le troisième et dernier élément essentiel dans la définition que donnent Anzieu et Martin de la communication : à savoir les significations. 2.2.4– Les significations Anzieu et Martin parlent de "débats de significations" entre les interlocuteurs pour souligner : - qu'il ne s'agit pas d'un transfert d'informations (au sens d'un contenu logique, transparent, quantifiable comme l'entendaient les théoriciens de l'information...) ; - que "le sens ne se transporte pas" ; - qu'il y a toujours, dans toute communication, un travail actif d'élaboration du sens : le 23 récepteur, au même titre que l'émetteur, donne du sens, signifie les signaux qu'il perçoit. Ce travail de signification se fonde sur l’action conjointe de deux processus :  un processus de sélection ou "un filtrage", c’est-à-dire une sélection et une transformation du message en fonction de son niveau d'informations, mais aussi de ses intérêts, de ses motivations, de ses valeurs plus ou moins partagées dans les groupes, de ses représentations de l'émetteur… Ce processus de filtrage est mis en évidence en TD à partir de la réalisation d’une expérience de transmission d’une information par relais successifs, expérience propice à une analyse psychosociale du phénomène de la rumeur (lire à ce sujet le texte d’Allport et Postman, Les bases psychologiques de la rumeur, 1945, traduit dans Psychologie sociale. Textes fondamentaux anglais et américains d’A. Levy (1978), Paris : Bordas, tome 1, pp.171-185). Cette analyse permet notamment d’identifier les trois processus (réduction, accentuation et assimilation) qui sont à l’œuvre dans la structuration de la rumeur, dans la construction d’un nouveau message qui n’a plus grand-chose à voir avec le message initial. Il apparaît ainsi que non seulement le message transmis de bouche à oreille se réduit sensiblement au fil des relais, mais aussi qu’il est accentué dans le sens d’une dramatisation ou théâtralisation de l’histoire et qu’il fait l’objet d’une appropriation collective en fonction des intérêts et des valeurs partagées dans le groupe, de son histoire antérieure, des craintes ou des peurs suscitées par l’évocation d’un événement plus ou moins traumatisant pouvant menacer la vie du groupe et qui appellent le développement de communications informelles visant à « soulager les tensions émotionnelles » (Allport et Postman, 1945) éprouvées par ses membres. Sur l’analyse de ce phénomène de communication (comment naissent les rumeurs, comment elles se propagent et pourquoi nous y croyons ?), on pourra utilement consulter l’ouvrage de J.N. Kapferer (1987), Rumeurs, le plus vieux média du monde, édité au Seuil, ou encore l’ouvrage plus ancien mais toujours d’actualité d’E. Morin La rumeur d’Orléans (1969, Editions du Seuil).  un processus d'association ou "un effet de halo", c’est-à-dire des associations souvent symboliques, imaginaires, qui consistent à relier ce qu'il perçoit à des éléments de son expérience personnelle qui ont des résonances affectives plus ou moins fortes (ce qui fait, par exemple, que deux spectateurs ne signifieront pas de la même manière le même film, ce qui fait que deux écoutants n’interpréterons pas toujours de la même manière les paroles de l’appelant…). Pour approfondir ce travail de construction de sens de la relation à autrui (individu ou groupe), de l’objet dont on parle avec autrui, de la situation sociale dans laquelle on se trouve réuni avec autrui, nous préciserons successivement (paragraphes 2.3, 2.4 & 3) le rôle de la perception d’autrui, l’approche interlocutoire de la communication à partir de la notion de « contrat de communication » et la fonction que remplissent les « représentations sociales » pour les communications dans les groupes. 2.3 – Le rôle de la perception d’autrui dans la communication La communication est aussi le lieu où se confrontent les expériences relationnelles que chacun a pu avoir, au cours de son histoire de vie, avec des "autrui significatifs" (c’est-à-dire des personnes de l’entourage perçues comme importantes, cf. G.H. Mead, 1962). Ces expériences, orientées par la recherche ou l’apport de soutien, des relations d'identification…, influencent les représentations des rôles et attentes de rôles engagés dans une situation particulière de communication. Les significations échangées sont ainsi élaborées sur la base de notre représentation d’autrui. Ces représentations que nous avons de l’autre, des autres (en 24 situation de groupe) comme de nous-mêmes, sont à considérer comme des formations imaginaires qui vont orienter le processus de communication. 2.3.1 – Le modèle de Pécheux sur le rôle des formations imaginaires (1969) Pécheux distingue trois types de représentations en jeu dans le processus de communication. a - Les représentations réciproques des interlocuteurs I E (R) : Image que l’émetteur se fait du récepteur (qui est-il pour que je lui parle ainsi ?) I E (E) : Image que l’émetteur se fait de lui-même (qui suis-je pour lui parler ainsi ?) I R (E) : Image que le récepteur se fait de l'émetteur (qui est-il pour me parler ainsi ? pour qui se prend-il !) I R (R) : Image que le récepteur se fait de lui-même (qui suis-je pour qu'il me parle ainsi ?) Prenons un exemple dans la communication pédagogique : - I E (R) : c'est l'image que l'enseignant se fait des élèves. S'il y a trop d'incertitude à ce niveau (par exemple, lors du 1er cours de l'année), alors l'enseignant a du mal à enseigner car il ne sait pas vraiment à qui il doit destiner son message, ni quel contenu donner à celui-ci. Il se forge alors souvent une représentation a priori : à partir de son expérience personnelle d'autres élèves comparables dans d'autres classes, à partir de ce qu'ont pu lui dire ses collègues, à partir de stéréotypes qu'il partage avec eux... Les premiers échanges vont fonctionner alors sur ces premières représentations "anticipées". - I E (E) : Image que l'enseignant se fait de lui-même. Autrement dit, est-ce qu’il se représente lui-même comme quelqu'un qui est à l'aise dans ce type de situation de communication ou comme quelqu'un de plus ou moins "stressé" ? Cela aura un impact sur son style de communication en laissant plus ou moins la parole aux étudiants, en étant plus ou moins directif... - I R (E) : Image que l'élève se fait de l'enseignant. Est-ce que c'est quelqu'un de sympathique ou d'antipathique, d'autoritaire ou plutôt "cool" ou laisser-faire, de compétent ou d'incompétent ? En fonction de tout cela, on peut supposer que la participation des élèves sera plus ou moins active, leur ton plus ou moins agressif ou défensif... - I R (R) : Image que l'élève se fait de lui-même dans cette situation. L'étudiant se vit-il encore comme un lycéen, qui a besoin d'être cadré, qui se place dans une certaine dépendance, ou se vit-il comme un étudiant à part entière qui aspire à jouir d'une plus grande autonomie et d'une plus grande indépendance qu'au lycée ? En fonction de cette représentation qu'il a de lui-même, l'étudiant se situera différemment dans sa communication avec les enseignants. b - Les représentations du référent, de l'objet de la communication I E (O) : Image que l'émetteur se fait du référent (de quoi est-ce que je lui parle ainsi ?) I R (O) : Image que le récepteur se fait du référent (de quoi est-ce qu'il me parle ainsi ?) Reprenons l'exemple précédent tiré d'une situation pédagogique : - I E (O) : soit l'image que l'enseignant se fait de sa discipline : "est-ce que ce dont je leur parle est" : difficile  il me faut être redondant ; abstrait  il me faut illustrer ; rébarbatif  il faut alors que j'adopte un ton enjoué, voir faire une mise en scène... - I R (O) : soit l'image que l'étudiant se fait de la discipline : "je trouve que ce dont il me parle est" : difficile  alors il faut que je me concentre, que je pose des questions pour m'assurer que j'ai bien compris ; ou rébarbatif  alors mon attention risque de "flotter", je poserai sans doute peu de questions (faible feed-back). C’est plus largement la représentation que l’élève a de l’objet et de son rapport à l’objet, ce qui peut se traduire parfois par “ je ne suis pas fait pour une matière ou une discipline, donc je ne peux pas communiquer avec un prof qui enseigne cette matière... ” c - Les représentations réciproques anticipées I E (I R (E)) : Image que l’émetteur se fait de l'image que le récepteur a de lui, émetteur (plus simplement, comment le récepteur me perçoit-il, moi émetteur ?) I E (I R (R)) : Image que l’émetteur se fait de l'image que le récepteur a de lui-même (comment, pour l’émetteur, le récepteur se perçoit-il dans cette communication ?) 25 I E (I R (O)) : Image que l’émetteur se fait de l'image que le récepteur a du référent (comment, pour l'émetteur, le récepteur se situe-t-il par rapport à l'objet de la communication?) Exemple dans la communication pédagogique : - I E (I R (E)) : C'est l'image que l'enseignant se fait de l'image que les élèves ont de lui. Me perçoivent-ils comme quelqu'un de sympathique ou plutôt d'antipathique ? Si j'estime que mon image est plutôt bonne, alors je pourrai établir une relation de confiance ; si au contraire je pense que mon image est plutôt mauvaise, je resterai sur la défensive puisque je m'attendrai à être agressé verbalement... - I E (I R (R)) : C'est l'image que l'enseignant se fait de l'image que les élèves ont d'eux-mêmes. Sont-ils confiants en eux-mêmes ou non ? Si non, il me faudra soutenir leur confiance, les rassurer, multiplier les feed-back positifs... - I E (I R (O)) : C'est l'image que l'enseignant se fait de l'image que les élèves ont de la discipline. "Moi, je trouve que la psychologie sociale c'est passionnant, mais eux ?". Si non, il faudra alors que je m'emploie à les convaincre... 2.3.2 – Comment se construit cette perception d’autrui ? La psychologie sociale s'est intéressée aux mécanismes socio-cognitifs par lesquels nous pensons et nous percevons le social (cf. le concept de « représentation sociale » introduit un peu plus loin). D'une manière générale, on peut dire que nous organisons notre perception d'autrui en simplifiant les informations qui sont à notre disposition ; bref, nous connaissons la réalité sociale par schématisation. Ainsi, nous cherchons à placer les autres dans des catégories sommaires (cf. les "stéréotypes") pour nous en faire une idée simple et cohérente, c'est-à-dire une idée qui nous permet d'anticiper, de prévoir leurs réactions, ce qui rend possible leur contrôle, d’autant plus que le contexte ne nous est pas familier. On peut repérer, de manière rapide, les différentes étapes du processus par lequel nous nous forgeons une certaine représentation d'autrui pour orienter notre action à l'égard de cette personne. a - Incertitude psychologique  mise en alerte Comment vais-je me comporter face à cette personne ou à cette situation inconnue ? Par exemple, la question se pose toujours à un candidat à l'embauche qui a rendez-vous avec le directeur du personnel de telle ou telle entreprise, qui attend dans le bureau de la secrétaire et qui ne connaît pas la personne qu'il va rencontrer. Pourtant lorsqu'on l'appellera, il lui faudra agir vite, "faire bonne impression" d'entrée. Mais quelle stratégie de présentation de soi peut-on adopter lorsqu'on ne sait rien de son interlocuteur ? b - Recherche d'une réduction de l'incertitude psychologique et processus de catégorisation Il s'agira alors de ramener l'inconnu à du connu, c’est-à-dire à des catégories de personnes, de situations que je connais déjà. Dès le premier moment de la communication, il y aura recherche d'indices qui me permettront de ranger la personne dans telle ou telle classe. Sur la base d'un indice, je vais ranger la personne dans une catégorie (selon un principe de "schématisation" et un processus de catégorisation). Pour reprendre notre exemple précédent, dès q

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