Les destins de l’agressivité dans les activités de service client en centre d’appel PDF
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Université Paris 8
Cyrille Bouvet, Florence Schneider
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This document analyzes the impact of aggressiveness in call center environments on individuals. It examines the relationship between the organization of work, client behavior, and the psychological responses of employees. The analysis uses a psychodynamic perspective and includes a discussion of the clinical case studies presented in the document.
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Les destins de l’agressivité dans les activités de service client en centre d’appel Cyrille BOUVET, Florence SCHNEIDER Résumé : L’organisation du travail en centres d’appel soumet l’indi- vidu à une tension psychique dans laquelle l’agressivité (des clients, du...
Les destins de l’agressivité dans les activités de service client en centre d’appel Cyrille BOUVET, Florence SCHNEIDER Résumé : L’organisation du travail en centres d’appel soumet l’indi- vidu à une tension psychique dans laquelle l’agressivité (des clients, du sujet, de l’organisation) et son maniement occupent une place dont l’importance et les issues sont étudiées dans une perspective psychody- namique s’appuyant sur les conceptions de D. Lagache et illustrées par un cas clinique. Cette étude révèle la désubjectivation subtile à l’œuvre en arrière-plan d’un aménagement sain, socialement adapté et appa- remment efficace. La défense contre l’agressivité engendrée par le tra- vail conduit à intérioriser l’agression, méconnaître le désir et à rester pris dans une situation peu satisfaisante d’un point de vue narcissique, sans issues évidentes. Ainsi, la violence reçue dans le travail est reprise par le moi pour s’en défendre, ce qui le détourne progressivement d’une partie de lui-même. Summary, p. 218. Resumen, p. 218. L a pénibilité du travail de téléopérateur a fait l’objet de nom- breuses études : extrême rationalisation (Buscatto M., 2002 : 99-107), hyper taylorisation (Di Ruzza R. et Franciosi C., 2003), soumission à des impératifs de productivité élevée, surveillance per- manente (double écoute aléatoire des superviseurs et enregistrement systématique des données de l’activité), extrême prescription du travail (Di Ruzza et Franciosi, op. cit.), autonomie réduite et manque de pers- pectives d’évolution (Di Ruzza et Franciosi, ibid.). Ces éléments ren- voient à une « organisation autoritaire du travail » (Dejours C., 1980) qui favorise la désubjectivation de l’individu, sa « machinisation », au 203 Cyrille Bouvet, Florence Schneider service d’une productivité qui nuit souvent à la qualité de l’interaction avec le client, donc à la qualité du travail effectué et, finalement, au sens du travail individuel. En outre, ces salariés subissent, au nom de l’entreprise, l’agressivité de clients revendicatifs, et en ressentent d’autant plus forte- ment les effets que ces organisations ne facilitent pas le re-travail par le col- lectif des chocs émotionnels professionnels (voir les « mécanismes collec- tifs de défense », Dejours, op. cit.) ou la question du « genre professionnel » (Clot Y., 2002 : 31-53). Par ailleurs, la dévalorisation socioculturelle de cet emploi, à peine reconnu comme un métier en France (pas de formation pro- fessionnelle spécifique, multiplicité des statuts et ressentis subjectifs : « ils sont dans l’antichambre du travail », Cousin O., 2002 : 499-520), contribue à renforcer l’image d’indignité qui se dégage de cette situation profession- nelle qui concerne plus de 220 000 personnes en France aujourd’hui (minis- tère du Travail, 2004), chaque année davantage. Que le ministère du Travail se soit saisi de la question, proposant un « label social » pour les centres d’appel, est à cet égard révélateur : alors que ce secteur présente un fort potentiel de création d’emploi, il se heurte à des difficultés de recrutement et de maintien des salariés en poste. La charge mentale de ce travail n’est pas sans conséquences sur la vie psychique et somatique de la plupart des téléopérateurs : fatigue, ner- vosité, « stress mental » (ministère du Travail, Arrêté), usure (Cousin, op. cit.), souffrance, mais aussi « sentiment de dévalorisation, d’humiliation et de colère […] de doute douloureux quant à leur valeur professionnelle et leur estime de soi » (Lesieur P., 1999). De manière générale, l’organi- sation du travail est susceptible de porter atteinte à la santé mentale par sollicitation excessive ou inadaptée de l’individu, d’une part, et par l’at- teinte de sa dignité, d’autre part (Davezies, P., 1999 : 87-114). La souf- france qui en résulte se manifeste aux médecins du travail sous forme de réactions émotionnelles (pleurs, colère, plaintes, dégoût), d’une propen- sion à la consommation de psychotropes ou de conduites agressives, dont Davezies souligne qu’elles sont « beaucoup plus souvent violence contre soi-même » (Davezies, op. cit.) allant parfois jusqu’au suicide. Pourtant, la plupart des téléopérateurs ne sombrent pas dans la pathologie mentale bien qu’ils interagissent dans ce contexte potentiellement mortifère. Ce qui nous intéresse de saisir dans cette étude, ce sont les effets psychiques pro- fonds et subtils de cette situation professionnelle sur ces salariés qui sem- blent préserver leur santé mentale. Comme nous le verrons, le silence des symptômes n’implique pas une absence d’effets psychiques, en particulier concernant les destins de l’agressivité et de leurs effets sur la subjectivité de ces salariés. 204 Travailler, 2007, 18 : 203-218 Problématique Pour étudier les mouvements agressifs sous-jacents à la souffrance psychologique des sujets dans ce contexte de travail, la conception psy- chanalytique des pulsions nous paraît offrir un cadre théorique pertinent. Elle présente un triple intérêt : un abord global et compréhensif du fonc- tionnement psychique individuel, une centration sur les tendances profon- des sous-jacentes aux manifestations cliniques, un modèle dynamique des pulsions mettant l’accent sur l’exigence de travail qu’elles imposent au psychisme et sur les destins de ces pulsions. Ses limites sont inhérentes à son objet – les phénomènes intrapsychiques : elle tend à laisser dans l’om- bre l’activité, l’institutionnel et l’intersubjectif impliqués dans la situation de travail. Or, ces derniers étant indissociables de la compréhension du sujet au travail, la psychanalyse peut sembler inadaptée pour saisir le sujet du travail (Dejours, op. cit.) et son usage risque de se réduire à une théo- risation plaquée et finalement stérile. Cependant, notre objet n’est pas de cerner un sujet clinique au travail, mais de proposer une théorisation de l’agressivité au travail, illustrée par le discours d’un sujet sur son travail et, par ce biais, de questionner l’impact du travail sur son organisation psychique générale. Nous nous situons dans une approche psychologique clinique centrée sur l’individu et son discours. Il s’agira donc moins de ren- dre compte du travail comme réalité « totale » pour le sujet que d’étudier théoriquement la place de l’agressivité et de ses destins dans son rapport subjectif au travail. La psychanalyse a proposé plusieurs conceptions de l’agressivité, de la pulsion d’agression, source de combativité vitale d’Adler (Adler A., 1974 : 417-426) aux aléas de la pulsion de mort, pour Freud et d’autres auteurs après lui. L’agressivité a pris une importance grandissante dans la théorie psychanalytique, jusqu’à sa reconnaissance comme « force radi- calement désorganisatrice et morcelante » (Laplanche J. et Pontalis J.-B., 2002). Nous retenons le modèle proposé par D. Lagache (Lagache D., 1960) qui présente l’originalité de situer l’agressivité dans la perspective intersubjective des relations de domination-soumission, donc comme sado- masochisme, en lien étroit avec le narcissisme. Dans ce cadre théorique, ce n’est pas la frustration externe qui suscite l’agressivité, mais la menace interne d’un désir dont la satisfaction dépendra de « l’intersubjectivité du pouvoir » (Lagache, op. cit.), l’angoisse ressentie devant un désir auquel on ne pressent pas d’issue adéquate. L’agressivité est donc sous-jacente à toute demande, voire à tout désir, et se trouve potentialisée par la posi- tion du sujet dans l’environnement institutionnel. L’échec de la demande 205 Cyrille Bouvet, Florence Schneider produit le refoulement du désir et la répression de l’agressivité revendica- tive qui l’accompagne, laquelle connaîtrait un double destin : « une partie reste investie sur les objets, sous la forme de fantasmes agressifs ; une partie est infléchie sur le sujet, à la faveur d’un dédoublement sadomaso- chique » (Lagache, op. cit., p. 160). Ce destin de l’agressivité réprimée s’accorde avec les conceptions de Freud : « On observe souvent la trans- formation d’une agressivité entravée en autodestruction chez un sujet qui retourne son agression contre lui-même. » (Freud S., 1938, p. 10.) Pour Lagache (Lagache, op. cit.), c’est la défense, en particulier le refoulement, qui, utilisant l’énergie agressive, conduit à une autodestruction partielle du sujet par intériorisation de l’agression. Notre propos est d’étudier les résonances agressives, intrasubjecti- ves, suscitées par l’interaction sujet / organisation du travail. Par organisa- tion du travail, nous entendons avec C. Dejours « la division du travail, le contenu de la tâche (en tant qu’il en dérive), le système hiérarchique, les modalités du commandement, les relations de pouvoir, la responsabilité » (Dejours, op. cit., p. 27) ; elle concrétise l’affrontement entre le désir des travailleurs et l’injonction managériale ; la souffrance mentale en résulte. En centre d’appel, la sollicitation par l’organisation du travail associe une charge mentale élevée (quantité d’appels à prendre, exigence mentale de la tâche, contraintes temporelles strictes) et un faible niveau d’autonomie, ces deux éléments caractérisant la tension au travail (Karasek R., Theorell T., 1990) dont l’enquête épidémiologique Estev (Derriennick F., Touranchet A., Volkoff S., 1990) a établi le caractère pathogène au plan psychique. Cette tension est de nature à produire une élévation d’excitation psychique interne, activant des motions pulsionnelles agressives, ce qui a été relevé notamment par Dejours dans le monde des téléphonistes (Dejours, op. cit.). Or, l’agressivité peut participer positivement au travail : elle contribue à l’affirmation de soi (pulsions d’autoconservation par Freud, 1915), elle est sous-jacente à la compétitivité entre collègues (émulation collective), elle participe enfin de la culture d’entreprise dans sa lutte concurrentielle. L’énergie pulsionnelle peut également être déplacée sur la réalisation de la tâche par sublimation, ce qui, selon Freud, confère au travail professionnel « une valeur qui ne le cède en rien à son indispensabilité pour chacun aux fins d’affirmer son existence dans la société » (Freud, 1930, p. 23). Ainsi le travail, au moins en théorie, devrait permettre à une certaine quantité d’agressivité de s’exprimer, et ce, de manière socialement contrôlée, donc recevable. Or, loin d’offrir un lieu d’expression pour l’agressivité qu’ils engendrent, les centres d’appel la répriment fortement : interdiction de réa- gir agressivement aux demandes (même agressives) des clients, collectifs 206 Travailler, 2007, 18 : 203-218 professionnels fragilisés et contrôle permanent de toute déviance langa- gière ou comportementale. Ces organisations du travail conduisent plutôt à une répression psychique (« pour se prémunir du risque d’être pris en défaut » [Dejours, op. cit.] ») repérée par Dejours chez les téléphonistes et à des conduites passives-agressives de détournement (retrait, triche, absentéisme), traduisant l’impossibilité pour le téléopérateur d’élaborer des compromis (Cousin, 2002). De plus, la demande subjective vis-à-vis du travail est elle-même mise en échec par l’organisation du travail. La demande du sujet fait réfé- rence chez Lagache aux besoins fondamentaux de l’individu, desquels on peut considérer qu’ils s’actualisent en partie dans le travail, ne serait-ce que dans la mesure où le travail nourrit, matériellement et symbolique- ment. La demande subjective vis-à-vis du travail est complexe et ambiva- lente : demande de satisfaction pulsionnelle et de reconnaissance, demande d’accomplissement de soi (Dejours, op. cit.) et de sécurité ; la construc- tion de l’identité sociale (Sainsaulieu R., 1996) en dépend, ainsi que le sentiment de la valeur personnelle. Dejours l’a bien souligné en mettant l’accent sur le double contenu significatif du travail, narcissique et objec- tal (Dejours, op. cit.). Dans un environnement où les relations de pouvoir sont prégnantes, plaçant le sujet dans une position de soumission étendue à une autorité qui laisse peu de place à l’expression de sa subjectivité, la demande représente une menace interne qui, suivant Lagache, favori- sera un surcroît d’agressivité. Non seulement cette organisation du travail « exclut le désir du sujet » (Dejours, ibid.), mais elle lui interdit de retirer une quelconque satisfaction symbolique de son travail : « bien » travailler, au sens prescrit par l’organisation, c’est satisfaire aux critères quantitatifs sur lesquels repose le contrôle (nombre d’appels, temps de conversation), ce qui est souvent contradictoire avec les critères sur lesquels les téléopé- rateurs pourraient fonder un vécu qualitatif de la tâche (pertinence de la réponse, qualité de l’échange). Le sentiment de faire du mauvais travail renforce encore la propension à l’agressivité (Derriennick F., Touranchet A., Volkoff S., 1990) et dégrade le sentiment de la valeur personnelle tout en entravant les possibilités de sublimation. Dès lors, quels destins pour l’agressivité du sujet dans ce domaine professionnel ? D. Linhart (2006) suggère une décharge déviée contre les collègues et les clients. Dejours repère et étudie une autre issue : un défou- lement dans la production (travailler plus vite) qui sert le conditionnement productif (Dejours, op. cit.). Lagache nous invite à penser à une inflexion vers le sujet lui-même, retournement contre soi des tendances sadomaso- chiques, potentialisées par l’organisation du travail : « Refuser l’obstacle 207 Cyrille Bouvet, Florence Schneider et le risque, retenir sa demande, écarter son désir, c’est rétrécir son monde personnel et se retirer des objets. C’est faire place au non-vivre dans la vie. » (Lagache D., 1960, p. 171.) Ce processus renvoie à la « désublima- tion névrotique » (Lagache, 1962), le retrait des objets s’apparentant à un repli dépressif vers une position narcissique, symétrique du retrait de l’in- vestissement du travail, visant à sauvegarder la valeur personnelle sans y parvenir. Cette idée nous semble également rejoindre celle du narcissisme négatif de Green (Green A., 1993), marqué par la désobjectalisation, la pri- vation et, finalement, la réduction du moi au zéro. Mais, on peut également concevoir avec Kernberg (Kernberg O., 1997) des mises en danger, soma- tisations, passages à l’acte auto-agressifs, traduisant la haine activement retournée contre soi. Si ces issues clairement pathologiques sont envisa- gées par Green, comme Kernberg, pour des structures de personnalité nar- cissique, ce qui ne saurait être présumé dans la situation qui nous intéresse, elles nous semblent néanmoins utiles, dans la mesure où la dimension nar- cissique du sujet, fragilisée par le travail, est susceptible d’être soumise à ces mouvements autodestructeurs. Ainsi, sans peut-être aller jusqu’à la désobjectalisation, le retrait pourrait se limiter à un « désengagement défensif » qui fait partie du tableau des dépressions réactionnelles profes- sionnelles, repérées par les médecins du travail (Huez D., 2003) et l’auto- mutilation se fixer sur l’attaque des ongles, par exemple. Le retournement contre soi pourra se manifester également sous forme d’autodévalorisa- tion : autocritiques, sentiment d’infériorité… L’autodestruction pourrait enfin ne viser qu’une série limitée d’objets (ceux qui servent à l’incantation de la valeur travail) : tout se passerait, alors, comme si le sujet cherchait à détruire le travailleur (le salarié, le téléopérateur) en lui pour préserver d’autres investissements (social, familial, sportif…). Pour Green (op. cit.), il s’agirait d’investissement narcissique d’objet, solution qui réconcilie l’insistance de la pulsion à trouver un objet et le retrait narcissique. Pour Lagache, cela pourrait être un processus de désublimation non pathogène, à condition que le sujet déplace l’investissement vers d’autres objets : « Le passage d’un ordre de valeurs à un autre est un remède contre la décep- tion, le découragement, voire la dépression : les études peuvent consoler d’un échec de la vie amoureuse ou de la carrière, mais aussi le sport, le jardinage, la chasse, la pêche, d’une déception au niveau de valeurs plus élevées. » (Lagache, 1962, p. 64.) L’étude clinique qui suit a pour dessein de mieux saisir et d’illustrer, sur le vif, les formes que peut prendre la lutte entre l’agressivité engendrée par le travail et la défense contre elle, pour un sujet « ordinaire », en suivant les repères théoriques de D. Lagache que nous venons de développer. 208 Travailler, 2007, 18 : 203-218 Illustration clinique : Catherine L’un des auteurs a rencontré Catherine, dans le cadre de cette étude, par le biais d’un syndicat professionnel auquel elle adhère depuis peu. Ce syndicat venait de publier une enquête sur les conditions de travail dans le centre d’appel dans lequel elle travaille, en tant que téléopératrice. L’en- quête 1 révèle une situation de travail qui, conformément à nos descriptions préalables, s’avère pesante pour les travailleurs : 68 % des 90 téléopéra- teurs répondants y déclarent que le travail affecte leur santé (stress, maux de tête, douleurs musculaires ou articulaires, irritabilité, problèmes ocu- laires, anxiété, fatigue...), 97 % que le rythme de travail est « intense » et aucun n’envisage d’être au même poste à l’âge de soixante ans. Nous avons demandé à être mis en relation avec un salarié en poste. C’est, dans ce contexte, que l’un d’entre nous rencontre Catherine. Le matériel clinique recueilli est constitué d’un entretien semi-direc- tif et d’un protocole de tat. L’entretien semi-directif permet de favoriser la libre expression de la subjectivité tout en la centrant sur le thème de la recherche, c’est-à-dire l’investissement professionnel et la part qu’y pren- nent l’agressivité et le narcissisme. Il s’agit de mettre en lumière les articu- lations, propres au sujet, entre sa vie psychique et la réalité de son travail. Ainsi, l’entretien, constitué d’une vingtaine de questions ouvertes, avait trois objectifs : obtenir des informations sur l’histoire du sujet et de ses rapports au travail, l’amener à exprimer ses ressentis affectifs quant à ces rapports et, enfin, susciter des associations imaginaires permettant d’appré- hender les fantasmatiques sous-jacentes à son investissement du travail. La passation d’un test projectif vient en complément de ce dernier objectif. Le choix du tat résulte de la problématique abordée : s’agissant de l’agressivité, de défense contre la pulsion, et de rapports intersubjectifs de domination-soumission, le tat paraît l’épreuve projective la mieux indi- quée, dans la mesure où elle sollicite la dynamique pulsionnelle et sa cana- lisation au travers de scenarii relationnels (Brelet-Foulard F. et Chabert C., 2003). Cette recherche s’inscrivant dans un cadre théorique psychanalyti- que, nous avons retenu la méthode d’analyse des procédés de Shentoub et la feuille de dépouillement associée. Celle-ci permet un décryptage précis des formes du discours, laissant apparaître le jeu singulier et complexe entre pulsions et défenses. Nous avons cherché à repérer les mouvements agressifs et les aléas de leur maniement, les manifestations dépressiogè- nes et les problématiques narcissiques qui s’y expriment – ainsi que les 1. Enquête non publiée à usage interne. 209 Cyrille Bouvet, Florence Schneider relations entre ces thèmes – à trois niveaux : dans le contenu manifeste des récits, dans la fantasmatique sous-jacente et dans la structure du discours (procédés d’élaboration des récits). L’analyse du matériel projectif prend sens dans une confrontation avec les éléments recueillis dans l’entretien, confrontation qui vise à faire le lien entre le discours du sujet sur le travail et sa vie psychique. Cer- taines pistes ouvertes par l’entretien pourront, ainsi, être confirmées ou approfondies par le tat qui apporte un éclairage complémentaire à notre objet d’étude, sans prétendre effectuer un bilan psychologique complet de la personnalité du sujet. La méthodologie suivie vise à explorer l’impact du vécu subjectif du travail sur la vie psychique du sujet. En tant que telle, elle ne permet ni de dresser un portrait de l’organisation psychique complète du sujet ni de cerner toute la réalité complexe du travail pour le sujet. C’est pourquoi l’étude clinique prend valeur d’illustration théorique plutôt que de matériel fondant une conceptualisation. L’entretien et la passation du tat sont effectués, le même jour, par l’un des auteurs. Après avoir présenté rapidement le sujet, notre analyse clinique abordera la question de l’agressivité et de ses devenirs en étudiant successivement trois thèmes apparaissant dans le matériel clinique : les violences du travail exercées sur le sujet, ses réactions face à ces attaques et les effets psychiques de ces réactions. Catherine est une femme de trente-cinq ans, diplômée de l’université, travaillant depuis neuf ans en tant que téléopératrice dans ce centre d’ap- pel, où elle est déléguée du personnel. Elle vit avec son conjoint, chef d’en- treprise, et leurs trois jeunes enfants. Après ses études, elle a été contactée pour rejoindre ce centre d’appel, secteur dans lequel elle avait déjà effectué quelques cdd. Elle accepte le poste de téléopératrice qui lui est proposé par « sagesse vis-à-vis de l’ambition professionnelle » et parce que le bassin d’emploi de sa région ne lui laissait que peu de choix. Le travail a pour elle une fonction essentiellement alimentaire et d’insertion sociale, qu’elle revendique tout en mettant en valeur ses activités extraprofessionnelles, en particulier artistiques. Catherine apparaît comme une personne calme, équilibrée, qui met en avant les aspects positifs de son travail et parvient à en gérer les contraintes en préservant sa santé physique et mentale. Les attaques du travail : pression productiviste et atteinte narcissique Si Catherine s’emploie à mettre en valeur son travail (« j’aime beau- coup parler avec les gens au téléphone »), cette valorisation se heurte à la violence subjective de la logique productiviste de l’organisation. Celle-ci se 210 Travailler, 2007, 18 : 203-218 manifeste au travers de la machinisation – elle dit qu’elle se « branche » à minute fixe tous les matins, sent qu’on veut faire d’elle « le clone d’autres clones », est « formatée », « bordée » –, de la répétition, des relations ampu- tées avec les collègues, du manque d’autonomie et de la soumission du corps immobilisé en position assise. Cette agression est plus directe quand elle vient de la contrainte et de la pression exercées par les managers, parfois « harce- lants », « brutaux », « détestables », mais aussi de clients qui « hurlent » ou « déconsidèrent » les téléopérateurs, « mannequins à qui casser la figure ». Le client est associé à un chat « agressif et piquant, griffant ». L’agressivité n’est en revanche jamais associée aux collègues et fort peu à elle-même qui « ne crie jamais ». L’attaque agressive touche le corps qui fatigue et risque de se détério- rer (elle insiste sur les dangers qui menaceraient l’ouïe et la voix), mais aussi l’estime de soi – « le travail n’étant pas valorisant, on ne peut pas se sentir valorisé », dit-elle – au travers du manque de reconnaissance et de prise en compte des salariés par la hiérarchie. L’atteinte narcissique est perceptible : « On est des petites fourmis », « interchangeables », « c’est dégradant », au retour de congé « on n’a pas manqué à la société ». Catherine en pressent le danger : les téléopérateurs sont vulnérables (« au bord des larmes », « un simple grain de sable… ça peut arriver à n’importe qui ») face à l’impact destructeur des attaques du travail – certains sont « laminés », « détruits », atteints « dans leur vie ». La culpabilité et l’autodestruction menacent les téléopérateurs quand ils révèlent leur fragilité à certains managers sadiques qui en profitent pour « entrer dans leurs failles ». Pour Catherine, quand on a la haine au travail, c’est l’équilibre entier de la personne qui est menacé : « Ça fait mal dans le cerveau… dans ses relations avec les autres. » Ainsi, conformément à nos attentes, Catherine exprime clairement la tension qui résulte de l’organisation du travail et l’importance qu’y occupe l’agressivité, pressentie comme menace pour l’intégrité du sujet. Les réactions à ces attaques : résistance et défense Face à ce danger, psychique et corporel, Catherine déploie une résis- tance active. Les mesures de protection prises contre l’atteinte physique – ménager sa voix, éloigner le casque de ses oreilles pour tenir « l’agression auditive » à distance – ont leur pendant dans une « carapace » destinée à écarter le danger psychique. Avec l’expérience, elle a appris à désamorcer nombre de situations conflictuelles avec les clients, avant qu’elles ne s’en- veniment en « impliquant moins d’émotion ». Vis-à-vis des managers, elle va au contact, s’affirme et met des limites quand c’est nécessaire. Enfin, elle 211 Cyrille Bouvet, Florence Schneider aménage des espaces de protection personnelle, négocie avec les objectifs, « essaie de ne pas se mettre la pression qu’on veut (lui) donner » et envisage de « raccrocher » si un client l’insulte. La pression productive et les nom- breux motifs d’énervement nécessitent néanmoins le recours à la décharge, au « défoulement » à l’extérieur du travail, dans le sport en particulier. Les idéaux qu’il ne lui est pas possible de réaliser dans son travail sont reportés sur les activités artistiques extraprofessionnelles. La sphère hors tra- vail est ainsi très investie narcissiquement, à la mesure du désinvestissement du travail « mis en sourdine ». Dans le travail, Catherine ne renonce pas pour autant à ses valeurs et tente de sublimer son travail, « coûte que coûte », en y « mettant de l’humain », dans un combat « risqué » contre la logique de l’organisation. Elle préfère ainsi renoncer à l’atteinte des objectifs assignés plutôt que de risquer d’être agressive vis-à-vis des clients. Si Catherine déploie des défenses multiples contre les attaques du tra- vail, lesquelles semblent être des issues efficaces et socialement adaptées, on peut être surpris de son manque d’agressivité propre. Catherine met à distance tout conflit et tend à réprimer ses mouvements agressifs. À plusieurs reprises, dans l’entretien et dans le tat, elle commence par évoquer des représentations agressives qu’elle annule ensuite très vite. Dans l’entretien, la mise à distance est perceptible, par exemple, dans le glissement de l’associa- tion « je serais un chat aussi » (sous-entendu comme le client agressif) vers sa correction « non, je serais peut-être un poisson » qui évite l’affrontement (« observe », « louvoie »). La dénégation participe de la même visée : « c’est pas une torture », « pas le bagne ». La répression de l’agressivité est égale- ment perceptible au tat, au travers de récits a-conflictuels où l’inhibition et la banalisation dominent. L’évocation d’une scène de cruauté est immé- diatement déniée au travers d’un éprouvé subjectif « paisible », attribué au personnage qui se la remémore. S’endurcir, inhiber ses émotions négatives, retenir sa colère, permettent d’éviter les agressions. Une partie de l’agressivité est néanmoins mobilisée pour soutenir les démarches d’affirmation de soi. Catherine repère bien la dimension tactique de sa contenance qui « désarçonne » l’éventuel agresseur : contenir sa propre agressivité concourt à dominer l’autre, avant d’être dominé par lui (ou par sa propre pulsion). Lorsqu’elle expose à sa hiérarchie les raisons pour lesquelles elle renonce à atteindre les objectifs, l’agressivité est à peine masquée (« j’en ai marre aussi de ne pas atteindre les objectifs, comme on me le rappelle sou- vent »). Mais ces moments sont rares dans l’entretien, comme l’est l’opposi- tion franche à la hiérarchie (deux fois en neuf ans), et, au tat, l’agressivité, pourtant mobilisée explicitement par le matériel, est étonnamment absente. 212 Travailler, 2007, 18 : 203-218 Ainsi, l’adaptation de Catherine à l’organisation du travail repose en partie sur un contrôle attentif, voire précautionneux de l’agressivité, la sienne et celle des autres, contrôle qui, s’il lui permet de maintenir son adap- tation à la situation de travail, pourrait masquer des issues internes, éven- tuellement problématiques. La mise en retrait émotionnelle nécessitée par le travail, acquise par l’expérience, pourrait avoir une incidence profonde sur son fonctionnement psychique, renforçant une tendance à la répression pulsionnelle. Les effets psychiques de ces réactions Catherine parvient apparemment à préserver sa subjectivité, malgré la pression de ce travail, et semble ne pas trop en souffrir. Pourtant, à y regarder de plus près, des effets subtils de désubjectivation semblent apparaître et cela essentiellement en négatif. Des éléments dépressifs discrets apparaissent dans l’entretien : la démotivation (téléopérateurs en fin de carrière « vieux, démotivés et mous »), le désinvestissement face à la dévalorisation du travail, le repli dépressif (« on est au fond »), l’assombrissement de l’humeur (des jours plus « sombres », l’implication « rendrait la vie plus drôle »). Comme l’agressivité, ces mou- vements dépressifs sont étouffés par le recours au positif et à la minimisation qui les tiennent à distance. Au tat, quatre des seize planches proposées réac- tivent la problématique dépressive. Le cheminement des récits de Catherine à ces diverses sollicitations traduit les modalités de la lutte antidépressive et en éprouve la solidité, de la première sollicitation, neutralisée par le recours à un ailleurs, un extérieur où « la vie est belle et le printemps revient », à la dernière où la dépression ne trouve pas d’issue : le personnage a les « mains enchaînées », il est « emprisonné dans sa tristesse ». De plus, la question de l’avenir reste suspendue aux lèvres de Cathe- rine, dont le discours à ce sujet, ponctué de nombreux silences, piétine dans un remâchage sans issue autour de « y’a pas d’avenir ». Il ne s’agit pas là du simple constat d’un manque de perspective professionnelle, mais expli- citement dans l’entretien et implicitement dans le tat, d’un temps qui ne passe plus (« on ne se sent pas vieillir »), d’un temps du travail arrêté par la répétition et la répression pulsionnelle imposée. Ainsi, derrière le calme qui contient l’agressivité latente de Catherine, se profile l’hypothèse du destin singulier de la pulsion : un désengagement subjectif, une désubjectivation, dont l’arrêt du temps, l’immobilisation du sujet dans une position infiniment reproduite dont la conscience s’efface avec la perception temporelle, est le 213 Cyrille Bouvet, Florence Schneider signe clinique le plus évident. La répression du désir lisible au travers du renoncement ne pouvant être formulé à ses idéaux artistiques nous semble conforter cette hypothèse. Ainsi, face aux attaques du travail (tension, contraintes corporelles, relationnelles et mentales, agressivité des managers et des clients) ressenties comme une menace de destruction, Catherine s’arme de défenses parmi les- quelles la répression de sa propre agressivité occupe une place significative. Si cet aménagement s’inscrit dans les variations de la normalité psychique, l’issue interne profonde de l’inhibition agressive pose question. La vulnéra- bilité dépressive, la tendance au retrait face aux atteintes narcissiques et la déformation de la perception temporelle semblent indiquer un mouvement de désubjectivation. Discussion L’illustration clinique situe l’agressivité dans ce travail, pour ce sujet, conformément au modèle théorique proposé par Lagache (Lagache, 1960), dans le cadre des relations intersubjectives de domination (vis-à-vis de la hié- rarchie et des clients). La demande subjective de Catherine vis-à-vis de son travail apparaît minimisée pour permettre son adaptation à l’environnement : elle se soumet à la réalité du marché et de l’organisation du travail, réprimant un désir de réalisation personnelle qui semble sans issue dans sa position de téléopératrice. La restriction du désir vis-à-vis du travail, son désinvestisse- ment, contribuent à limiter l’impact de la frustration, permettant à Cathe- rine de préserver d’autres investissements qui revêtent un intérêt narcissique probablement important dans son économie psychique : les activités artisti- ques en dehors du travail viennent contrebalancer l’impossible valorisation par le travail, ce qui illustre le processus de désublimation normative, décrit par Lagache (Lagache, 1962). Mais cela lui évite aussi, et peut-être surtout, d’avoir à attaquer le travail, l’entreprise, les clients, le métier ou la part du travailleur en elle-même : elle renoncerait à la demande pour éviter l’expres- sion de l’agressivité qui la sous-tend, selon le modèle décrit par Lagache, ce qui, dans le travail, se solde par un rétrécissement personnel, un « non- vivre dans la vie » (Lagache, 1960) dont l’immobilisation temporelle est le meilleur indice – on pourrait parler alors d’une « désublimation névrotique professionnelle ». Dans le travail, en effet, le maintien de l’adaptation nécessite le recours à des défenses qui limitent les possibilités de dégagement et d’épanouissement personnel. L’impact du travail pour Catherine est bien de nature psychique. 214 Travailler, 2007, 18 : 203-218 Le double destin de l’agressivité réprimée, envisagé par Lagache, ne rencon- tre dans notre cas que des indices cliniques partiels : en effet, si Catherine montre des signes d’un retournement de l’agressivité contre elle-même au travers notamment de l’impossibilité à se dégager d’une situation narcis- siquement peu satisfaisante, le matériel clinique recueilli reste sans indice quant aux fantasmes agressifs, supposés constituer l’autre destin pulsionnel. Chez Catherine, la retenue domine. Cependant, Catherine ne renonce pas tout à fait à préserver une cer- taine dynamique vitale au travail : elle a besoin de « mettre de l’humain », de la « convivialité » dans ses relations au travail, avec les clients comme avec les collègues. Cette insistance à humaniser une situation de travail dans laquelle l’organisation du travail tend à la machiniser doit-elle être interprétée comme la restauration d’une certaine subjectivité dans l’acti- vité, le maintien d’une capacité de sublimation ? Ainsi qu’elle le souligne elle-même (c’est un « combat », c’est « risqué »), cette position néces- site en tout cas d’assumer le conflit, de combattre la logique organisa- tionnelle, donc de mobiliser de l’agressivité. La réaction hétéro-agressive active n’étant pas une issue envisageable pour Catherine (elle n’y consent que rarement, dans des cas extrêmes), on peut supposer que cette lutte contribuera plutôt à renforcer ses défenses la menant à une retenue de plus en plus forte qui, finalement, la retire à elle-même. Ainsi, ces tentatives mêmes de vitaliser le travail échouent à réaliser une subjectivation réelle et s’épuisent dans une conflictualité interne dont le maniement agressif appa- raît comme le principal ressort – ce qui n’est pas sans rappeler la notion de « pulsionnalisation des défenses » (Green, 1993), introduite par Green : l’énergie agressive détournée de son objet est reprise par le moi pour s’en écarter et prévenir le danger. L’agressivité latente vient renforcer les défen- ses pour supporter la situation, jusqu’à ne plus sentir le temps s’écouler. L’agressivité mobilisée par le travail est donc ici désubjectivante, ce qui est plus proche des phénomènes décrits par Green (1983) comme narcissisme négatif, que de l’auto-agression mise en avant par Kernberg (1997). L’hy- pothèse de Linhart (2006) d’une décharge agressive contre les collègues ne se vérifie pas dans ce cas ; à l’inverse, Catherine met son énergie en partie à leur service, en tant que déléguée du personnel. Le défoulement dans la production, repéré par Dejours (op. cit.) chez les téléphonistes, et la décharge contre les clients (Linhart, op. cit.) sont activement refusés par Catherine, respectueuse de l’humanité des clients garante de la sienne propre. Ainsi, conformément au modèle de Lagache, l’agressivité apparaît sous-jacente au désir (de réalisation dans le travail, de subjectivation), dont 215 Cyrille Bouvet, Florence Schneider la satisfaction dépend de l’intersubjectivité du pouvoir. Celle-ci s’exerce clairement au détriment du sujet qui, du coup, minimise son désir vis-à-vis du travail et réprime son agressivité. Il semblerait, ici, que le sujet y perde plus que son ambition professionnelle, il y perd très progressivement une partie de lui-même. Conclusion La confrontation entre l’organisation du travail en centre d’appel et la subjectivité des personnes qui y travaillent trouve dans cette étude une illus- tration. Le cas clinique montre la tension qui en résulte pour la vie psychique, tension qui résulte de l’interaction entre une organisation psychique parti- culière et les contraintes non moins spécifiques de l’organisation du travail. Ainsi, le modèle théorique de D. Lagache qui associe l’agressivité non pas à la frustration qu’impose la réalité externe, mais au désir lui-même, s’avère particulièrement éclairant. Le projet de subjectivation de l’individu dans son travail étant en grande partie exclu par une organisation du travail machini- sante, la scène du combat est aussi intérieure et la part qu’y prend le manie- ment de l’agressivité (et du désir) est importante. Le sujet étudié contrôle fermement son agressivité grâce à un système défensif qui n’est efficace que dans la mesure où il lui permet de se maintenir en poste, sans souffrance subjective perceptible. Mais, en arrière-fond, la souffrance du négatif, la souffrance structurelle du non-accomplissement et de la répression, laissent une empreinte discrète mais profonde sur le fonctionnement psychique du sujet qui la subit, en grande partie sans en percevoir l’ampleur. La perte de la notion de la vie qui passe est l’expression la plus impressionnante, chez Catherine, de ce retrait à elle-même et de l’accroissement invisible de la mort dans la vie. Cyrille Bouvet Psychologue clinicien Maître de conférences en psychologie clinique à l’université Paris-10 Laboratoire de psychologie clinique des faits culturels, UFR SPSE 200, avenue de la République, Nanterre, 92001 Cedex [email protected] Florence Schneider Psychologue clinicienne Diplômée d’HEC Consultante en organisation et management dans le domaine de la relation client et des centres d’appel 216 Travailler, 2007, 18 : 203-218 Bibliographie Adler A., 1974, La Pulsion d’agression dans la vie et dans la névrose, traduction C. 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Defence against aggressiveness generated by work leads to an interiorization of aggression and to misjudge desire by being taken in a non satisfying narcissic situation. In order to defend itself, the ego recaptures violence experienced in work and progressively turns away from of part of itself. Keywords : Aggressiveness, work, psychoanalysis, call centre, teleo- perator, subjectivity. Los destinos de la agresividad en las actividades de servicio al cliente en un conmutador telefónico comercial Resumen : La organización del trabajo en los conmutadores tele- fónicos comerciales somete al individuo a una tensión psíquica en la cual la agresividad (de los clientes, del tema mismo y de la orga- nización) y su manejo, ocupan un lugar importante. Las posibles salidas son estudiadas en una perspectiva psicodinámica, apoyán- dose en las concepciones de D. Lagache e ilustradas por un caso clínico. Este estudio revela la desubjetivación sutil puesta en mar- cha en segundo plano, en una disposición laboral sana, socialmente adaptada y aparentemente eficaz. La defensa contra la agresividad generada por el trabajo, conduce a interiorizar la agresión, desco- nocer el deseo y a quedase atrapado en una situación poco satisfac- toria y,desde el punto de vista del narcismo, sin salidas aparentes. De este modo la violencia recibida en el trabajo es retomada por el yo para defenderse, lo que la aleja progresivamente de una parte del propio yo. Palabras claves : Agresividad, trabajo, psicoanálisis, conmutador telefónico, teleoperador, subjetividad. 218