Quarante Ans Après, Où En Est La Santé Communautaire? PDF 2012
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University Canada West
2012
Didier Jourdan, Michel O'Neill, Sophie Dupéré, Jorge Stirling
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Summary
Cet article explore l'évolution de la santé communautaire au cours des 40 dernières années, en se concentrant sur les approches socio-historiques en France et au Québec. L'article examine les changements dans les pratiques, les interventions, les institutions, et les acteurs impliqués dans la santé communautaire, et propose un modèle conceptuel pour analyser la dynamique de la santé communautaire dans ces deux contextes nationaux, en se centrant sur les dimensions socio-historiques et les actions des acteurs impliqués.
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QUARANTE ANS APRÈS, OÙ EN EST LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE ? Didier Jourdan, Michel O’Neill, Sophie Dupéré, Jorge...
QUARANTE ANS APRÈS, OÙ EN EST LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE ? Didier Jourdan, Michel O’Neill, Sophie Dupéré, Jorge Stirling S.F.S.P. | « Santé Publique » 2012/2 Vol. 24 | pages 165 à 178 ISSN 0995-3914 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-sante-publique-2012-2-page-165.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Didier Jourdan et al., « Quarante ans après, où en est la santé communautaire ? », Santé Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Publique 2012/2 (Vol. 24), p. 165-178. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour S.F.S.P.. © S.F.S.P.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Quarante ans après, où en est la santé communautaire ? Community health: where do we stand after forty years? Didier Jourdan (1), Michel O’Neill (2), Sophie Dupéré (2), Jorge Stirling (1) Résumé : Au tournant des années 1970, un peu partout dans le monde, l’expression « santé communautaire » était très répandue dans l’univers sociosanitaire. Inspirée de sources principalement latino-américaines et étasuniennes, elle était centrée sur une approche multidisciplinaire et participative de la dispensation des services de santé, tant préventifs que curatifs. Qu’en est-il aujourd’hui ? Cet article se propose d’étudier l’évolution sociohistorique de la santé communautaire depuis 40 ans. Pour cela, un modèle qui positionne la santé communautaire et la santé publique comme deux domaines dans le champ sociosanitaire est d’abord présenté. Selon les lieux, les époques et la capacité des différents acteurs concernés à faire valoir leurs intérêts, l’espace couvert par ces deux domaines et leur articulation prennent des morphologies différentes. Ces dynamiques sont illustrées ici par l’analyse de l’espace occupé par la santé communautaire et la santé publique en France et au Québec entre 1970 et 2010. On peut conclure que la santé communautaire est toujours un « faire » au sens de Fassin, une pratique qui se distingue par sa référence à la participation et son insertion dans une démarche de développement social. Aujourd’hui, davantage que comme un espace différencié (« la » santé communautaire avec ses structures propres), c’est « l’approche communautaire » de la santé qui émerge comme l’une des modalités d’intervention des divers acteurs publics. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Mots-clés : Approche sociohistorique - France - Québec - Santé communautaire. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Summary: At the end of the 1970s, the term “community health” was hugely popular in the field of health and welfare in many countries throughout the world. Mainly inspired by American and Latin American sources, the concept was based on a participatory and multidisciplinary approach to preventive and curative health services. What is the current state of community health? The objective of this study was to examine the socio-historical development of community health over the last 40 years. The paper begins by presenting a conceptual framework defining community health and public health as two distinct domains in the field of health and welfare. The study found that depending on the setting, the historical period and the ability of actors to promote their views, the space occupied by the two domains and the relationships between them tend to vary, as shown by a comparative analysis between France and Québec from the 1970s to the 2010s. Based on the results of this study, the expression ‘doing community health’ appears to refer to a precise set of practices based on certain approaches and methods implemented by actors in specific areas of intervention. Depending on the time and place, the actions and practices of Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 the concerned actors will determine the extent to which they are incorporated into the institutional context of public interventions. OPINIONS & DÉBATS Keywords: Socio-historical approach - France - Québec - community health. (1) Équipe de recherche « Éducation et santé publique » – IUFM d’Auvergne, Université Blaise Pascal, 63400 Clermont-Ferrand, France. (2) Faculté des Sciences Infirmières – 1050, rue de la Médecine – Pavillon Ferdinand-Vandry – CIFSS, bureau 3435 – Université Laval – Québec – Québec G1V 0A6. Correspondance : M. O’Neill Réception : 17/12/2010 – Acceptation : 20/02/2012 166 D. JOURDAN, M. O’NEILL, S. DUPÉRÉ, J. STIRLING Introduction Au tournant des années 1970, un peu partout dans le monde, l’expression « santé communautaire » était très présente dans l’univers de la santé publique et plus largement dans celui du sociosanitaire [1, 3]. Inspirée de sources principalement latino-américaines et étasuniennes, la santé communautaire était alors centrée sur une approche multidisciplinaire et participative de la dispensation des services fondée sur une vision englobant le sanitaire et le social [2, 3]. Quarante ans plus tard, force est de constater que la référence à la santé communautaire s’est fait plus modeste, différents indices pouvant même porter à croire qu’elle a disparu. À titre d’exemple, on peut mentionner l’article de Trico et al. dans lequel les auteurs n’ont pas jugé bon de l’inclure dans leur analyse comparée de divers concepts-clés en santé publique à travers la littérature scientifique internationale. Elle semble aussi avoir perdu de son actualité pour les médecins de santé publique canadiens qui, en 2010, ont proposé de l’éliminer du nom de leur spécialité. Le glossaire multilingue de la banque de données française en santé publique n’inclut quant à lui pas d’entrée « santé communautaire ». On y trouve par contre une entrée « action communautaire pour la santé » et une entrée « orientation communautaire ». Que signifie cette évolution ? S’agit-il Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. simplement d’un changement sémantique qui conduirait à attribuer d’autres dénominations à ce que recouvrait, il y a quelques décennies, la santé communautaire ? Est-on face à la disparition pure et simple d’un domaine du champ sociosanitaire ? De telles questions ne sont pas anodines pour qui veut comprendre les dynamiques à l’œuvre en ce qui concerne la prise en Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. charge des problématiques sociales et sanitaires. Il est en tout cas nécessaire de s’interroger sur le sens de ces changements et c’est pourquoi nous avons tenté, d’une part, de comprendre à quoi correspond la santé communautaire aujourd’hui et, d’autre part, de donner sens aux mutations observées. Cet article rend compte de la première étape d’un travail conduit dans le cadre d’une collaboration entre des équipes de l’université Laval de Québec et de l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, en France. À partir d’une approche de type sociologique, il visait deux objectifs : – proposer une caractérisation de la santé communautaire telle qu’elle se donne à voir aujourd’hui ; Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 – formuler un modèle conceptuel permettant de suivre l’évolution de la santé communautaire au cours du temps. Dans cet article, le modèle ainsi que sa puissance explicative et ses limites, seront discutés et les cas de la France et du Québec seront observés à l’aide de ce prisme d’analyse afin d’en apprécier la pertinence. Méthodes Dans le but d’atteindre le premier objectif, nous avons conduit une analyse documentaire systématique (ouvrages, articles et littérature grise). Pour les ouvrages, nous avons utilisé les mots-clés Santé communautaire et Community health, pour la période 1960-2010, afin d’interroger des bases de données de référence en sciences sociales (Érudit, Repères et Les classiques QUARANTE ANS APRÈS, OÙ EN EST LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE ? 167 des sciences sociales), les catalogues des bibliothèques universitaires québécoises et, plus largement, Google Scholar et Google. Quant aux articles, nous avons choisi d’utiliser la base de données Pubmed via une recherche sur les mots du titre et du résumé des publications. Du fait de la place importante de littérature grise (textes publiés dans des revues non indexées, outils d’intervention, rapports…), la Banque de Données en Santé Publique (BDSP), qui regroupe une large variété de travaux, de même que les sites des structures de référence tels que le Secrétariat Européen des Pratiques en Santé Communautaire (SEPSAC) ou l’Institut Théophraste Renaudot (ITR) ont aussi été consultés. Bien que ne pouvant prétendre à l’exhaustivité, la démarche conduite a permis d’atteindre la saturation (absence de nouvelle information malgré l’intégration d’autres publications dans l’analyse). Le second objectif était centré sur l’élaboration d’un modèle permettant de rendre compte de l’évolution de la santé communautaire, en particulier au cours des 40 dernières années. En faisant appel principalement à la sociologie, nous avons développé un cadre conceptuel qui positionne la santé communautaire et la santé publique comme deux domaines du champ sociosanitaire. L’idée de conceptualiser la santé communautaire comme un domaine en interaction avec celui de la santé publique, à l’intérieur d’un champ plus large, nous a été inspirée par les travaux de Conill et O’Neill , de Gagnon et Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Bergeron repris par Lapaige , et de Fassin [8, 9]. Au-delà de son sens courant inspiré de l’anglais field, la faisant équivaloir approximativement à celle d’un secteur particulier de savoir ou d’intervention comme dans l’expression field of physics par exemple, la notion de champ a été largement popularisée dans l’univers des sciences sociales par le sociologue français Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Pierre Bourdieu. Pour lui , un champ est, à l’intérieur d’une société précise à une époque donnée, un espace structuré de relations où des acteurs, autant individuels qu’institutionnels, luttent en vue d’obtenir des parts significatives de capitaux de divers types (économiques, culturels, symboliques) à partir desquels ils peuvent se positionner favorablement à l’intérieur de cet espace. Sans nécessairement référer directement à Bourdieu, les auteurs évoqués en début de paragraphe nous ont fourni des pistes conceptuelles importantes pour comprendre ce qu’est la santé communautaire en 2012 en rappelant que dans une société à un moment donné, savoirs et pouvoirs sont inégalement répartis et objets de luttes constantes entre des acteurs qui interagissent afin d’établir leur contrôle sur un champ particulier de cette société. Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 Résultats La santé communautaire aujourd’hui On considère souvent [2, 3, 11, 12] que le domaine de la santé communautaire renvoie à la définition classique de la santé publique de Winslow, à laquelle on ajoute diverses dimensions telles la participation communautaire ou une organisation intégrée des services de santé. L’expression est aussi utilisée pour désigner des institutions, des zones de pratique professionnelle (en particulier chez les infirmières, les médecins et les travailleurs sociaux), des programmes de formation ou des champs de recherche. 168 D. JOURDAN, M. O’NEILL, S. DUPÉRÉ, J. STIRLING Une analyse conceptuelle approfondie de la santé communautaire basée sur l’étude de 537 articles scientifiques, d’outils d’intervention et d’évaluation des pratiques ainsi que sur des interviews d’acteurs du domaine, a été publiée récemment. Elle montre, tel qu’aussi constaté ailleurs , que le concept ne renvoie pas à une définition univoque mais à une large diversité de réalités. Le fait que des professionnels de différentes disciplines et des membres de la communauté collaborent à une variété d’interventions ou de recherches en santé communautaire conduit à ce que le langage que ceux-ci emploient pour décrire leur travail, le sens qu’ils donnent aux termes utilisés et les approches dont ils se servent sont très divers. La santé communautaire telle que nous la connaissons en 2012 à travers le monde s’enracine dans une histoire aux multiples facettes. De nombreux courants ayant des ancrages culturels et historiques variés ont contribué à son développement. Ce fut par exemple le cas dans les années 1960, 1970 et 1980, des mouvements de théologie de la libération et d’éducation populaire en Amérique du Sud , des Neighborhood Health Clinics aux États-Unis ou de l’interaction entre les mouvements populaires et l’État au cours de la période de la révolution tranquille au Québec. D’autres courants tels le personnalisme communautaire en France ou la perspective du développement durable ont aussi eu leur influence. Il n’est alors pas étonnant que l’expression de la Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. santé communautaire prenne des formes différentes dans l’espace et le temps et que les activités qui s’en réclament varient de façon considérable. Cela nous a conduit à considérer la santé communautaire non pas comme une discipline constituée, fondée sur une définition univoque et un corpus de savoirs scientifiques particuliers, mais plutôt comme un ensemble diversifié Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. de pratiques d’intervention et de recherche. Par exemple, plutôt qu’une définition univoque, le Secrétariat européen des pratiques de santé communautaire (SEPSAC) propose des repères en trois volets pour ce qui constitue une approche communautaire des enjeux de santé (tableau I). Si l’approche participative et le développement communautaire sont au cœur de ce qui définit ce domaine multidisciplinaire et multisectoriel , d’autres éléments peuvent être identifiés dont des valeurs, des finalités ou des espaces privilégiés d’intervention. Nous proposons ainsi, tel que représenté à la figure 1, de caractériser le domaine de la santé communautaire via six dimensions, qui ne lui sont pas nécessairement exclusives, mais dont la Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 configuration d’ensemble le spécifie de manière précise. Tableau I : Les repères du Secrétariat européen des pratiques de santé communautaire (SEPSAC ) quant à l’action communautaire en santé Des repères relatifs à une approche 1. Avoir une approche globale et positive de la santé en promotion de la santé 2. Agir sur les déterminants de la santé 3. Travailler en intersectorialité pour la promotion de la santé Des repères spécifiques à la stratégie 4. Concerner une communauté communautaire 5. Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co-construction 6. Favoriser un contexte de partage de pouvoir et de savoir 7. Valoriser et mutualiser les ressources de la communauté Un repère méthodologique 8. Avoir une démarche de planification par une évaluation partagée, évolutive et permanente QUARANTE ANS APRÈS, OÙ EN EST LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE ? 169 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Figure 1 : Représentation des différentes dimensions constitutives du domaine de la santé communautaire. Cette manière de poser le domaine, de même que la référence fréquente à la définition classique de la santé publique par Winslow pour le définir, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. pousse nécessairement à interroger les liens entre santé communautaire et santé publique. En effet, notre analyse a révélé que promotion de la santé, prévention ou accès aux soins de santé pour le plus grand nombre, par exemple, peuvent aussi être des finalités constitutives de la santé publique. La santé communautaire ne serait-elle finalement qu’une manière particulière de pratiquer la santé publique ? Ou l’inverse ? Les deux seraient- ils des domaines équivalents ? De fait, la santé publique n’est pas non plus une discipline fondée sur un corpus défini, avec des savoirs de référence ainsi que des méthodes et des frontières clairement établis une fois pour toute [6, 8, 9]. Elle n’a pas de corps Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 de savoir ou de méthodes propres puisqu’elle les emprunte à différentes disciplines mères. Par exemple, pour accomplir son travail, l’Institut national de santé publique du Québec a recours à des experts d’ensembles de disciplines « (…) aussi distincts que les sciences appliquées, les sciences de la santé et les sciences sociales ou humaines [qui] travaillent de concert avec le réseau de la santé et les milieux de l’enseignement et de la recherche, afin de développer et mettre en commun les connaissances et les compétences en santé publique ». Comme la santé communautaire, la santé publique apparaît ainsi plus comme un carrefour disciplinaire que comme une discipline en soi. Qui plus est, dès son origine, la santé publique se positionne au sein d’un champ qui dépasse largement celui des services de santé pour inclure des dimensions proprement sociales ; il s’agit ainsi de mettre en œuvre tout type de mesures propres à assurer à chaque membre de la collectivité un niveau de vie compatible avec le maintien de sa santé. Comme la santé 170 D. JOURDAN, M. O’NEILL, S. DUPÉRÉ, J. STIRLING communautaire, la santé publique prend donc place dans le vaste champ du sociosanitaire, où elle se positionne de manière très englobante. Il nous a donc semblé qu’il n’était pas possible d’analyser la dynamique de la santé communautaire au cours des 40 dernières années sans examiner aussi son évolution au regard de la santé publique. Un modèle conceptuel pour positionner les domaines de la santé communautaire et de la santé publique dans le champ du sociosanitaire Il s’agissait donc pour nous d’élaborer une modélisation permettant de suivre l’évolution de la santé communautaire au cours du temps, en lien avec celle de la santé publique. Les données issues de notre démarche permettent de réaffirmer que le champ au sein duquel s’inscrivent la santé communautaire et la santé publique, tendues entre leurs finalités de promotion de la santé et de développement social, est bien celui du sociosanitaire. Comme tous les autres, ce champ est un espace où les participants ont globalement les mêmes intérêts mais où chacun a en plus des intérêts propres qu’il défend. Ce qui est commun aux acteurs qui y sont impliqués, c’est leur préoccupation du bien-être physique, mental et social des individus et des collectivités d’une société donnée à une époque donnée. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Il existe cependant des divergences significatives sur la manière par laquelle cette préoccupation se manifeste ; se définissent ainsi des sous-ensembles où la proximité entre les acteurs est plus grande, appelés ici suivant Olivesi des domaines, dont le contenu, l’ampleur et les relations varient dans l’espace et le temps. En lien avec ces concepts, nous proposons ainsi de Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. représenter la santé communautaire et la santé publique comme deux domaines du champ sociosanitaire, tel qu’illustré à la figure 2. Positionner le champ sociosanitaire, tel que le propose la figure 2, semble tout à fait en phase avec les définitions très larges de la santé couramment utilisées à l’échelle internationale depuis celle de l’OMS en 1947 et qui englobent à la fois le sanitaire et le social. S’y retrouve aussi la perspective des déterminants de la santé qui, depuis l’ouvrage phare d’Evans et al. , s’est peu à peu imposée comme la manière dominante de concevoir le champ sociosanitaire, dans un ensemble planétaire de plus en plus mondialisé et de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux. La santé communautaire, comme la santé publique, les soins curatifs ou l’action Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 sociale par exemple, sont ainsi des domaines du champ sociosanitaire. L’espace correspondant au champ sociosanitaire est défini par deux axes de déterminants de la santé, qui renvoient à un pôle social et à un pôle sanitaire. Les frontières de cet espace sont mouvantes et en son sein, celles des domaines le sont également selon les sociétés et les époques, en fonction de la capacité de certains acteurs à faire valoir leurs savoirs et leurs pouvoirs par rapport à d’autres (secteur social vs secteur de la santé, médecine curative vs médecine préventive, militants vs technocrates, etc.). Ce modèle, tel qu’illustré à la figure 2, se veut ici une représentation générale du champ et des domaines, et non pas une application à une société particulière. Il repose sur un certain nombre de postulats. D’abord, les domaines de la santé communautaire et de la santé publique ne recouvrent jamais à eux seuls l’ensemble du champ, ce qui est illustré par QUARANTE ANS APRÈS, OÙ EN EST LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE ? 171 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Figure 2 : Les domaines de la santé communautaire et de la santé publique au sein du champ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. sociosanitaire au début du XXIe siècle. le fait que toute sa surface n’est pas occupée et que d’autres domaines, potentiellement même plus importants, pourraient aussi être inclus sur cette figure (l’action sociale par exemple). Ensuite, si l’on retient les catégories de déterminants de la santé et du bien-être proposées par Evans et al. , la génétique, les réactions biologiques et le système de soins ont ici été principalement associés à l’axe du sanitaire alors que les réactions comportementales ainsi que l’environnement social (qui pour les auteurs du présent article inclut les déterminants économiques, politiques, éducationnels, culturels, etc., Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 souvent identifiés dans d’autres classifications comme constituant les déterminants « sociaux » de la santé) l’ont été principalement à l’axe du social. Quant à l’environnement physique, il a été considéré comme déterminant également l’un et l’autre des axes. Finalement, à partir de certaines caractéristiques classiques de la santé publique, comme les fonctions essentielles qui lui sont généralement attribuées [22, 26], et de certaines caractéristiques de la santé communautaire telles que proposées dans la figure 1, des éléments-clés du champ ont été insérés à titre d’exemples dans la figure 2 (que d’autres pourraient éventuellement énoncer ou positionner différemment). L’espace respectif occupé par chacun des deux domaines, qui sont souvent eux- mêmes en intersection aux frontières du sanitaire et du social, a par la suite été tracé. Le fait que les lignes les délimitant soient pointillées plutôt que 172 D. JOURDAN, M. O’NEILL, S. DUPÉRÉ, J. STIRLING pleines vise à rappeler le caractère heuristique de la figure 2 où le positionnement des domaines, illustré par l’angle des bulles, diffère parce que celui de la santé publique (positionné de manière quasi verticale) a ici été relié principalement au pôle sanitaire alors que le domaine de la santé communautaire (angle à 45°) a été situé davantage à l’interaction du sanitaire et du social. Discussion Nous discuterons d’abord de la caractérisation de la santé communautaire aujourd’hui telle qu’elle émerge de notre analyse avant de nous centrer sur le modèle proposé et d’en analyser la pertinence et les limites en prenant pour exemple les situations française et québécoise au cours des 40 dernières années. La santé communautaire aujourd’hui Comment peut-on caractériser la santé communautaire aujourd’hui, 40 ans après qu’elle ait eu une si forte présence internationale ? En regard de ce premier objectif, nos résultats permettent d’abord de constater qu’il n’est Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. point de réponse simple et univoque à cette question. Au-delà des variations imposées par le jeu des acteurs dans différents milieux à différentes époques, nous posons finalement comme hypothèse, suite à cette recherche, que partout et toujours on retrouvera à des degrés divers la présence de la constellation particulière d’éléments qui caractérise la santé communautaire, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. tel que proposé dans la figure 1. Elle serait ainsi une pratique multidisciplinaire et multisectorielle d’intervention et de recherche située à la frontière du sanitaire et du social, imprégnée de valeurs phares précises portées par des acteurs provenant de divers milieux qui mettent l’accent sur des théories, approches et méthodes particulières appliquées à certains espaces privilégiés pour l’action. En paraphrasant Fassin , on peut donc dire qu’il s’agit toujours de « faire » de la santé communautaire à partir de cette constellation d’éléments. Ce « faire », cette pratique, prendra place au cœur ou à la marge des cadres institutionnels et sera conditionnée par le jeu des acteurs dans un lieu et un temps précis, à l’intérieur du champ sociosanitaire qui sera toujours sous l’influence de mouvements globaux Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 (v.g. mondialisation des modes de vie, montée de l’individualisme), nationaux (v.g. réorganisation des systèmes sociaux et de santé dans la perspective d’une réduction drastique des dépenses publiques) ou locaux (v.g. diversité des acteurs et de leurs interventions, évolution dans le positionnement du secteur associatif). La santé communautaire, avec ses spécificités décrites précédemment à la figure 1, se situe à l’intersection d’approches qui, selon les moments sociohistoriques, vont converger ou diverger d’avec celles de la santé publique, de l’action sociale ou des deux. Il importe de souligner que la distinction des domaines de la santé publique et de la santé communautaire ne repose pas sur le fait que la seconde aurait une dimension sociale que la première n’aurait pas. Par exemple, en ce qui concerne la santé publique, on assiste aujourd’hui, en Europe comme en Amérique du nord, à une QUARANTE ANS APRÈS, OÙ EN EST LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE ? 173 dynamique de sanitarisation du social. Les violences, l’échec scolaire deviennent des pathologies qu’il conviendrait de prendre en charge médicalement ce qui a tendance à ouvrir largement la santé publique sur le social. Ce qui importe c’est ce qui structure ce champ au sens sociologique défini plus haut. C’est en l’occurrence la nature du rapport au social. La santé communautaire se distingue par un rapport au social marqué par la participation et l’insertion dans une démarche de développement. Selon les moments sociohistoriques, attendue la capacité des acteurs à faire valoir leurs intérêts, le contenu et l’espace couverts par chacun des domaines, ainsi que leur articulation, prendront ainsi des morphologies différentes. À cet égard, sur la scène internationale, Goudet montre bien comment à travers le temps les orientations du développement social, du développement durable et de la promotion de la santé ont convergé : partant de problématiques différentes, les orientations en matière de politique sociale (notamment en France dans le cadre du développement social des quartiers à partir de 1983), les orientations de l’ONU de 1992 sur le développement durable, de même que la charte des Villes-santé de 2000 (elle-même issue de la charte d’Ottawa de 1986), ont convergé au début du XXIe siècle vers une réelle similarité des approches et des méthodes proposées. D’un autre côté, tel qu’on le montre plus bas, l’évolution Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. respective de la santé communautaire et de la santé publique au Québec et France, entre 1970 et 2010 est un bel exemple de divergence progressive. Un modèle d’analyse de l’évolution de la santé communautaire : Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. la situation depuis les années 1970 en France et au Québec Un modèle ne vaut que par son pouvoir explicatif, sa capacité à rendre compte du réel, en l’occurrence de l’évolution de la santé communautaire dans divers contextes. Pour discuter de notre second objectif, nous avons ainsi choisi d’étudier les situations québécoise et française à l’aune de l’évolution de la santé communautaire comme domaine au sein du champ sociosanitaire. En France En France, on peut distinguer trois périodes. Avant 1983 et les lois de Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 décentralisation, la politique de santé est considérée comme un domaine régalien, i.e. relevant de la compétence de l’État central. En l’absence de cadre général organisant les rapports du sanitaire et du social à l’échelon local et dans ce contexte très centralisé, ce sont des municipalités et des associations qui mettent en œuvre des approches de type communautaire, essentiellement en direction des publics vulnérables. À partir de 1983 et du transfert de l’action sociale aux collectivités territoriales (loi du 22 juillet 1983), des initiatives locales émergent dans le cadre de « contrats de ville » et du « développement social des quartiers » ; elles restent toutefois relativement marginales et fortement dépendantes de l’engagement des acteurs régionaux [28, 29]. La Loi de lutte contre les exclusions publiée en 1998 ouvre de nouvelles pistes ; c’est à partir de cette époque que vont progressivement se développer l’intégration des problématiques de santé dans les « contrats de ville » et la mise en place d’« ateliers santé ville » , 174 D. JOURDAN, M. O’NEILL, S. DUPÉRÉ, J. STIRLING ainsi que d’initiatives provenant de l’État, en lien avec le VIH-sida notamment. Dans la loi de santé publique de 2004, les caractéristiques de la santé communautaire telles que définies ici à la figure 1 n’apparaissent toujours pas. Il faut attendre la loi de 2009 (loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires) et la création des contrats locaux de santé (CLS) pour voir émerger un cadre institutionnel en vue du développement d’actions de santé au plus près des populations. Au moment de la publication de ce texte, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions quant aux conséquences de ces évolutions récentes. Toutefois, il n’est pas anodin de constater que le terme « santé communautaire » ne fait toujours pas partie du vocabulaire utilisé par la santé publique française. La vision centralisatrice encore fort présente il y a 40 ans n’a conduit que progressivement à la mise en œuvre des conditions de possibilité d’approches territoriales « avec les gens ». De plus, la notion de santé communautaire a été largement disqualifiée par les acteurs politiques qui n’ont pas hésité à l’assimiler à une éphémère mode « post-1968 » ou bien à l’expression d’un communautarisme potentiellement dangereux. Le fait que la politique sociale ait été dévolue aux départements en 1983 puis en 2004, alors que la santé demeure la responsabilité de l’État central, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. rend plus difficile qu’ailleurs d’articuler localement la santé et le social. Ce sont donc quasi exclusivement des initiatives locales, dans les cadres de la politique de la ville et essentiellement en milieu défavorisé, qui ont fait exister la santé communautaire en France au cours des derniers 40 ans. Aux côtés de certaines collectivités territoriales et du Comité Français d’Education Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. pour la Santé (CFES), puis de l’Institut National de Prévention et d’éducation pour la Santé (INPES) qui lui a succédé , la contribution du secteur associatif a été déterminante, avec notamment le rôle pivot, à l’échelon national, de l’Institut Théophraste Renaudot. Au Québec Au début des années 1970, dans le contexte de la première réforme en profondeur de l’ensemble des services sociaux et de santé québécois, la notion de santé communautaire vient remplacer celle de santé publique. En devenant la philosophie de base à partir de laquelle l’État, sous l’impulsion de quelques médecins et fonctionnaires visionnaires, souhaite Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 réorganiser ses services sociaux et de santé, elle occupe alors une très large partie du champ sociosanitaire [3, 33]. Ce phénomène doit beaucoup au contexte social de l’époque en Amérique du nord qui a conduit à mettre en avant la dimension communautaire dans tous les domaines du champ sociosanitaire. En 1993, comme après une vingtaine d’années la santé communautaire n’avait finalement pas su orienter l’ensemble des services à cause notamment de la force des acteurs du secteur curatif (médecins et hôpitaux), une réorganisation du système fait émerger à nouveau l’expression santé publique, au détriment de l’expression santé communautaire qui disparaît alors quasi totalement des documents étatiques et du nom des institutions. À ce moment une nouvelle approche, où l’intervention par populations cibles est promue par la vision de « santé des populations » , QUARANTE ANS APRÈS, OÙ EN EST LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE ? 175 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.203.245.9 - 14/06/2016 15h40. © S.F.S.P. Figure 3 : Représentation de l’évolution relative des domaines de la santé publique et de la santé communautaire au Québec et en France, 1970-2010. apparaît en même temps que le début de l’intégration des Centre locaux de services communautaires (CLSC) en unités de plus en plus vastes ; elle détrônera les communautés locales comme lieu important d’intervention de la santé publique tel que promu dans les années 1970. Toutefois, tel que constaté par plusieurs auteurs et bien résumé par Colin , l’évolution de la santé publique à ce moment « … s’est faite en maintenant la dimension communautaire (participation de la population, évolution vers la promotion de Santé publique 2012, volume 24, n° 2, pp. 165-178 la santé puis du bien-être) ». La santé communautaire devient alors un sous- ensemble d’interventions à l’intérieur du domaine de la santé publique, dont elle continue toutefois à orienter une partie des valeurs et des pratiques. Finalement, après plusieurs étapes marquantes au cours des années 1990 et durant la première décennie des années 2000 [35, 36], la santé communautaire au Québec demeure portée à l’intérieur des institutions de santé publique par quelques groupes professionnels (en particulier les infirmières, certains médecins et les organisateurs communautaires des Centres de santé et de services sociaux) et aussi, dans une relation tendue avec ces institutions, par des organismes communautaires de la mouvance associative qui, là comme ailleurs, ont pris le relais de l’État qui s’est désengagé progressivement du champ sociosanitaire en gardant surtout le sanitaire et en renvoyant le social vers les milieux communautaires.