RI - Chapitre III - Systèmes internationaux - PDF
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UPJV - UFR de Droit et de Science Politique
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This document, titled "Chapitre III", examines international systems and their regulatory mechanisms through history, from the medieval period to the present day. It analyses various forms of international order, including empires, balance of power, and collective security. The text provides examples from various historical empires, illustrating the different approaches to international relations.
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CHAPITRE III LES SYSTEMES INTERNATIONAUX ET LEURS MODES DE REGULATION L'Europe à peine sortie du Moyen Âge voyait s'affronter deux conceptions de l'ordre international. La première visait au nom d'une volonté « messianique » à regrouper tous les pays européens sous une autorité uniq...
CHAPITRE III LES SYSTEMES INTERNATIONAUX ET LEURS MODES DE REGULATION L'Europe à peine sortie du Moyen Âge voyait s'affronter deux conceptions de l'ordre international. La première visait au nom d'une volonté « messianique » à regrouper tous les pays européens sous une autorité unique, « l’Empire universel ». La seconde fondée sur la doctrine de « l'équilibre européen » postulait au contraire qu'aucun État ne devrait détenir une puissance telle qu'il imposerait sa domination aux autres. Système hégémonique de type impérial ou équilibre des puissances, tels sont les modes antinomiques d’organisation des relations internationales ? L’idéal médiéval d’Empire universel, un modèle d’essence hégémonique a connut son déclin depuis la Guerre de Trente Ans et la mise en place d’un modèle alternatif d’équilibre des puissances (l’Ordre westphalien) et plus tard sa var iante, le système de sécurité collective. Selon les périodes, ces systèmes interétatiques connaissent des configurations différentes, de l’Empire à la sécurité collective en passant par les différentes formules d’équilibre des puissances (Section 1). L’établissement de ces systèmes internationaux s’est accompagné de la mise en place de modes de codification des rapports interétatiques destinées à « endiguer » le phénomène de la violence (la guerre) dans les relations internationales (Section 2). Plan du Chapitre I : Section 1 : Les systèmes internationaux : de l’« Empire » à la « Sécurité collective » Section 2 : La codification des rapports internationaux Section 1 : Les systèmes internationaux : de l’« Empire » à la « Sécurité collective » Les « systèmes » ou « ordres » internationaux reposaient sur l’intérêt commun des acteurs étatiques à la pacification de leurs rapports. Leurs caractéristiques principales résident dans la volonté des grandes puissances, à les faire durer dans le temps, au moins jusqu’à ce qu’un nouveau rapport de forces, de nouveaux défis politiques ou économiques remettant en cause le statu quo ante. 1 Il s’agit ici de s’interroger sur l’évolution des systèmes internationaux depuis la mise en place de « l’Ordre westphalien » jusqu’à nos jours. De ce point de vue, le système impérial est le premier mode d’organisation des relations internationales et il est fondé sur une logique de domination (§ 1). Présenté souvent comme un contre modèle de l’empire, le système d’équilibre des puissances s’est imposé ensuite (§ 2). Il a même cohabité sous le régime de la sécurité collective, une innovation du XXème siècle (§ 3). Plan de la Section 1 : § 1 – Le système impérial, premier mode d’organisation des relations internationales § 2 – Le système d’équilibre des puissances et sa critique § 3 – Le système de sécurité collective et ses limites § 1 – Le système impérial, premier mode d’organisation des relations internationales Le système impérial a constitué la première forme d’organisation des relations internationales depuis plus de 4000 ans (A) car les États nations qui sont aujourd’hui la norme ne sont en réalité qu’une création récente. Le système impérial exprime avant tout une logique de domination (B). A. Une brève histoire d’empires Au Moyen-Orient, entre 1400 à 1200 av. J.-C., cinq puissants empires se livraient une rivalité pour la domination du monde civilisé de l'époque, l’Égypte, le Hatti, la Babylonie, le Mitanni et l’Assyrie. Les guerres qui opposaient ces cinq puissances étaient entrecoupées de traités de paix et d'alliance instituant des zones d'influence et des protectorats. Le traité entre le Pharaon Ramsès II et le roi Hittite Hattousil III (signé en 1269 av. J.-C.,) qui instaurait une alliance défensive, un pacte de non-agression et une assistance mutuelle contre les rebelles organisait un partage de la Syrie entre les deux royaumes 1. Pour le penseur grec Xénophon (Cyropédia, biographie de l’empereur Cyrus II rédigée en - 370), la constitution d’un empire intégrant plusieurs cités est conforme à l’ordre naturel des choses, et par conséquent légitime. Il en veut pour preuve l’empire perse de Cyrus II qui dominait le 1 La version en égyptien du texte est inscrite sur le Temple d’Amon à Karnak tandis que la version akkadienne se trouve sur des tablettes d’argile au musée archéologique d’Istanbul. 2 Moyen-Orient vers – 370 av. J.-C. et dont le souverain incarnait le model de bonne gouvernance (bienfaisant à l’égard des alliés et malfaisant à l’égard des ennemis). L’Empire c’est d’abord une organisation centralisée pluriethnique dont la clé de voute est le centre impérial incarné par l’empereur, un personnage sacralisé détenteur d’un mandat céleste, un demi dieu (Pharaon), un César (Rome), le « fils du ciel » (Chine impériale), le « roi des rois » (Perse) régnant sur une multitude de cités et de royaumes. Détenteur d’une souveraineté d’essence divine il incarne l’harmonie du monde et la fin de la dynastie impériale annonce « l’ère du chaos ». Tyrannie, despotisme, dictature sont souvent associés à l’Empire, car l’Empire ne connait pas de citoyens, mais des sujets, ne reconnait pas de peuples libres, mais des nations soumises ou vassales. L’Empire comme forme de domination est antinomique des principes qui régissent le droit international et les relations internationales : le droit des peuples à l’autodétermination, la souveraineté, l’égalité entre États et la non intervention. Domination et égalité souveraine ne font pas bon ménage dans les relations internationales. B. Une logique de domination Parmi les systèmes impériaux il est possible de dégager quatre types de construction impériale qui ont dominé les RI à des périodes différentes. - L’empire territorial : domination par la conquête ; - L’empire colonial : domination militaire et exploitation économique ; - L’empire idéologique : tutelle politico-idéologique sur des Etats satellites. - L’empire hégémonique : domination politique militaire et économique L’empire territorial : domination par la conquête L’Empire romain qui depuis sa victoire sur Carthage (guerres puniques) imposa son hégémonie en Méditerranée. (à partir de - 240), de la Gaule à la Syrie et du Danube à l’Afrique du Nord. C’est l’imposition de la « Pax Romana » fondée sur des traités de soumission et des traités d'assistance mutuelle (foedus) et appuyée sur un réseau de routes et de fortifications (limes) permettant de réprimer toute sédition à l’intérieur de l’Empire (révolte des esclaves de Spartakus, mouvements de résistance en Numidie, en Gaule, en Macédoine...) et d’endiguer les envahisseurs à l’extérieur (Germanie). C’est précisément à l’est du Rhin (dont le contrôle est aléatoire depuis le 3 désastre de la Teutobourg en l’an 9) que surgirent les envahisseurs qui détruisirent finalement l'Empire romain (les Goths). NB : En l’an 9, trois légions commandées par le gouverneur Varius sont anéanties par les Germains dans la forêt de Teutobourg, marquant ainsi un coup d’arrêt à l’expansion romaine à l’est du Rhin. La frontière de l’Empire est ramenée de l’Elbe au Rhin et les campagnes de Germanicus, de Marcus Aurélius et de Trajan en Germanie n’y changeront rien. En Extrême-Orient, un autre empire hégémonique s’est constitué avec la réunification de la Chine sous la dynastie Qin par l’Empereur Ts’in Che Huang Di (vers - 220) ouvrait une période de dynasties impériales presque ininterrompues jusqu’au XVIIème siècle. À son apogée la Chine des Ming (1368-1644) dominait l'Asie orientale du Tibet à la Corée. « L’amiral des mers de l’Ouest » Zheng He (1405-1433) organisa sept expéditions maritimes pour le compte de l’empereur Ming Zhu Di) vers l'Inde, l'Arabie et l'Afrique orientale. Les Chinois établirent des rapports diplomatiques et un réseau d'échanges commerciaux avec le Japon, l'Asie du Sud-est, l'Inde et la péninsule arabique, tout en imposant un régime de vassalité aux peuples limitrophes (Vietnamiens, Khmers, Thaïs, Birmans et Coréens). Avec la chute des Mings (1644) sous les coups des envahisseurs mandchous, la Chine impériale entama un long processus de déclin qui dura cinq siècles et elle ne put ainsi résister aux ambitions coloniales européennes et japonaises à partir du milieu du XIXème siècle. Il est possible aussi de ranger dans cette catégorie, l’empire napoléonien (bien qu’éphémère) et l’empire ottoman comme construction fondée sur l’expansion territoriale par la guerre. L’empire colonial : domination militaire et exploitation économique L’empire britannique est l’archétype du système impérial colonial qui a prospéré du XVIIème au XXème, le plus vaste car s’étendant sur les conq continents. L’historien anglais Niall Ferguson (Empire, How Britain Made the Modern World ?Allen Lane, 2003) explique comment l’Empire britannique a développé à partir de la fin du XIXe siècle le mythe de « l’empire bienveillant » fondé sur la promotion du libre-échange, de la paix et des institutions parlementaires. L’Empire britannique qui domina les mers du XVIIIème au XXème siècle s’est pavé de bonne conscience : apporter l’unité, la paix et la prospérité (à l’exemple de la « Pax Romana » on parlait de la « Pax Britanica »). En imposant son model au reste du monde (capitalisme, consumérisme, parlementarisme, diffusion de la langue anglaise et migration massive 4 vers l’Amérique du Nord et l’Océanie), le Royaume a façonné le monde moderne. N. Ferguson appelle les États-Unis à s’assumer comme puissance impériale en s’inspirant du modèle de l’Empire britannique. Un autre historien anglais Bernard Porter (Empire and Superempire : Britain, America and the World, 2006) conteste cette vision en estimant que l’Empire britannique n’était ni puissant, ni bienveillant. Il n’y’avait pas de projet impérial cohérent et encore moins de volonté explicite d’apporter le progrès aux peuples colonisés. Mais, à l’instar des autres empires coloniaux, l’Empire britannique fut caractérisé par l’exploitation économique, les assignations identitaires et le racisme (le mythe de la supériorité raciale des Anglo-Saxons), sans compter la répression féroce des soulèvements (Inde, Soudan et Kenya). Le problème c’est que le colonisé était toujours privé des principes démocratiques, de liberté et d’égalité proclamées par la puissance coloniale (ex : la France en Algérie, le Royaume-Uni aux Indes). Cette analyse peut aussi s’appliquer avec toutefois des nuances aux autres empire coloniaux, en particulier à l’empire colonial français qui par son étendue (cinq continents), sa puissance et sa durée (XVIIème - XXème siècle) permet la comparaison avec le rival britannique. L’empire idéologique : tutelle politico-idéologique sur des Etats satellites L’empire de type idéologique est une innovation du XXème siècle et le système d’influence de l’URSS qui s’est étendu de 1945 à 1991 au tiers de l’humanité. Dès 1945 et la victoire de l’armée soviétique sur le nazisme, Staline favorisa l’arrivée au pouvoir de dirigeants communistes en Europe centrale et orientale (ex : le coup d’État de Prague en 1948). La Guerre froide (1947-1989) permet surtout la mise en place d’un système impérial de type idéologique sous la houlette de l’Union soviétique fondé sur trois piliers : L’International Communiste sous la houlette du Parti communiste soviétique (PCUS) Un Marché économique socialiste : Le COMECON Une Alliance militaire : Le Pacte de Varsovie Ce système impérial soviétique qui perdura jusqu’à son effondrement à partir de 1989 (la chute du mur de Berlin suivie de la dislocation de l’URSS en 1991) s’appuyait sur la « doctrine de 5 la souveraineté limitée » des alliés de l’Union soviétique : RDA, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie. Mais, l’influence politique et idéologique soviétique s’étendait au-delà de l’Europe, dans le Tiers Monde où l’URSS a su tisser un système d’alliances appuyé sur des traités bilatéraux d’amitié et de coopération avec plusieurs pays asiatiques (Chine, Corée, du Nord, Vietnam) arabes (Égypte, Irak, Syrie, Algérie, Libye), africains (Éthiopie, Angola, Mozambique) et d’Amérique du Sud (Cuba, Venezuela). Toutefois ces alliances pouvaient connaître des retournements lorsque par exemple l’Égypte se rapprocha des États-Unis à l’occasion des accords de paix de Camp David (1978). L’empire hégémonique : domination militaire, économique, technologique et culturelle L’archétype de cet entités hégémoniques est l’Empire romain du 1er au Vè siècle qui exerçait une domination incontestée de l’Angleterre à la Syrie à travers l’Europe et la Méditerranée. Mais depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis se présentent comme une puissance hégémonique exerçant une influence dominante au plan militaire, diplomatique, économique technologique et culturel. Les piliers de l’Empire américain sont : - Un réseau d’alliances militaires et diplomatique couvrant la planète (bases, forces armées et flottes déployée sur tous les continents et océans), - Une influence déterminante sur l’économie mondiale, le commerce et les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, multinationales, le dollar). - Une prépondérance technologique (innovations et brevets, GAFAM) - Une influence culturelle (médias, production culturelle,) Cette puissance impériale hégémonique (« l’hyperpuissance » selon Hubert Védrine2) tentée par l’unilatéralisme (interventionnisme militaire) s’efforce de maintenir sa suprématie mais s’inquiète de la montée en puissance de la Chine. C. Apogée et déclin des empires « Tout empire périra » professait Jean-Baptiste Duroselle (Tout empire périra, une vision théorique des relations internationales, 1981). Tout empire est obsédé par sa survie, qu’elle soit 2 Hubert Vedrine, Face à l’hyperpuissance, Textes et discours 1995-2003, Fayard, 2003, 384 p. 6 fondée sur une investiture divine ou dynastique plus ou moins stable (ex. : Rome). Selon lui le déclin et la chute de Rome est le résultat d’un processus « immigration-invasion » due en partie au recrutement de plus en plus important de « barbares » dans les légions romaines du Rhin. Une pression démographique, une ruée des pauvres vers un empire riche. La survie de l’empire réside dans la permanence du message messianique qui est d’assurer la paix, répandre une religion ou « civiliser les barbares ». Ainsi les puissances coloniales considéraient qu’elles avaient une « mission sacrée », répandre la civilisation parmi les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique, le « fardeau de l’homme blanc » selon Rudyard Kipling (The White Man's Burden, 1899). Les empires sont tout à la fois éphémères et multiséculaires. Lorsqu’ils sont le fruit d’une entreprise personnelle de conquête, les empires ne survivent pas à leur créateur (Alexandre le Grand, Charlemagne, Napoléon 1er). L’Empire romain a vécu sept siècles (-200 av. J.-C. à 450) et l’Empire ottoman cinq (XVème au XXème siècle). Quant à la Chine des dynasties impériales, elle a connu un pouvoir central presque ininterrompu pendant près de 2000 ans (-221 av. J.-C. à 1911) entrecoupé de périodes d’anarchie et de fragmentation. Souffrant d’une crise de légitimité structurelle, les empires finissent par mourir. Mais, rares sont les empires qui s’effondrent brutalement, notamment à la suite d’une défaite militaire ou de la disparition de leur fondateur. Le plus souvent, il s’agit d’une longue période de décadence qui peut durer quelques siècles (Rome, l’Empire ottoman, la Chine de la dynastie des Ming). Les empires s’écrouleraient sous le double effet d’une pression extérieure et d’une décomposition intérieure. Les causes de la naissance et du déclin des grandes puissances depuis le XVIe siècle ont été analysées par Paul Kennedy (The Rise and Fall of the Great Powers, 1988 - Naissance et déclin des grandes puissances Éd. Payot, 1991). Il attribue un lien de causalité entre le déclin de la puissance militaire impériale et celui des capacités productives et de la richesse nationale. Il constate que lorsqu'un empire est à l'apogée de sa puissance militaire, il se désagrège progressivement, car ne pouvant plus produire les ressources économiques suffisantes au maintien de sa domination. L’évolution des relations internationales a engendré de nouvelles tendances antinomiques de la domination impériale : la création d’organisations intergouvernementales à vocation universelle 7 comme acteurs du multilatéralisme, l’expansion des valeurs des droits des peuples et des droits de l’homme, la limitation par le droit international du droit de recours à la force, et surtout la mise en place des systèmes d’équilibre des puissances. § 2 – Le système d’équilibre des puissances et sa critique Le terme « équilibre des puissances » désigne à la fois une politique et un système de relations interétatiques. Il est utile de comprendre cette notion (A) avant d’en examiner les modèles (B) puis les principales critiques à son encontre (C). A. La notion « d’équilibre des puissances » Le penseur Grec Polybe (Histoire, Livre 1, chapitre LXXXIII) a bien formulé la notion d’équilibre : « …Il y’a un principe dont il ne faut jamais se départir : ne laissons en aucun cas une puissance se développer à ce point que nous ne puissions même plus lui disputer ce qui nous appartient de droit ». Les systèmes d’équilibre des puissances étaient connus depuis l’antiquité, notamment chez les Grecs. On citera à titre d’exemple les Ligues des Cités grecques décrites par l’historien Thucydide dans Histoire de la guerre du Péloponnèse (de -431 à -404 av. J.-C.), guerre qui opposa les deux grandes cités alors à leur apogée : Sparte, qui dirigeait la Confédération péloponnésienne, et Athènes, la Ligue de Délos crée initialement pour repousser l’ennemi perse (guerres médiques). Ces ligues grecques étaient fondées sur des pactes régissant les relations entre cités et constituaient des systèmes d’équilibre entre puissances. L’équilibre des puissances est une situation dans laquelle les puissances se neutralisent (« balance of power »), cet équilibre des forces imposant un statu quo plus ou moins stable dans la durée. Toutefois, La notion d’équilibre des puissances n’est reconnue en tant que telle comme forme d’organisation des rapports politiques qu’à la Renaissance. Ainsi, au XVe siècle, le système des « Cités États » en vigueur en Italie reposait sur un modèle diplomatique d’équilibre des puissances (entre Gênes Pise et Venise) décrit par l’historien et diplomate italien Francesco Guicciardini ou François Guichardin (Storia d’Italia ou Histoire de l’Italie, 1537). 8 La première référence dans un traité international à la notion d’équilibre des puissances peut être trouvée dans le Traité d’Utrecht de 1713 dans lequel les États signataires considéraient que le maintien de l’équilibre des puissances était essentiel à la paix en Europe. Du XVIIème au XIXème siècle, les rivalités incessantes entre les États européens dominent les relations internationales, non seulement en Europe, mais également à l'échelle mondiale. Les alliances laborieusement nouées sont éphémères comme le furent du reste les tentations hégémoniques de quelques puissances européennes brisées à la suite de guerre permettant d’établir un nouvel ordre : - « L’empire universel » des Habsbourg projet brisé avec la guerre de Trente ans (traités de Westphalie) ; - La prépondérance française sous Louis XIV (1661-1713) se termine avec la guerre de Succession d’Espagne (Traité d’Utrecht) ; - L’hégémonie française (1792-1815) depuis les guerres de la Révolution et de l’Empire se clôture avec le Congrès de Vienne ; - Prépondérance britannique de la Guerre de Sept ans (1756-1763) à la 1ère Guerre mondiale ; - Prépondérance allemande (1891-1918 et 1939-1945) se termine avec le Traité de Versailles, (1919) puis les accords Yalta/Potsdam (1945) ; - Prépondérance américaine depuis la 2ème Guerre mondiale. La fin des ambitions d'unification impériale consacrée par le système westphalien et le Concert européen ouvrit une période dominée par l'édification de systèmes d’équilibre des puissances. L’Australien Hedley Bull (The Anarchical Society: A Study of Order in World Politics, 1977) a conceptualisé la notion d’équilibre des puissances. Selon lui, l’équilibre des puissances remplit trois fonctions positives dans le système d’États modernes : 1. Il a empêché que le système ne soit transformé en Empire universel par la conquête ; 2. L’équilibre des puissances au niveau local a souvent servi à protéger des États indépendants d’une annexion par une puissance prépondérante ; 3. Il a créé les conditions dans lesquelles d’autres instruments dont dépend l’ordre international pouvaient être développés (la diplomatie et le droit international). La notion d’équilibre des puissances est au cœur de l’approche réaliste des relations internationales. Ainsi, pour Hans Morgenthau « l'aspiration à la puissance de la part des diverses nations, chacune cherchant soit à maintenir, soit à changer le statu quo, conduit nécessairement à 9 une configuration qu'on appelle « l'équilibre » - « Balance of Power » - et à des politiques qui visent à conserver cet équilibre » (Politics Among Nations, 1959). B. De quelques modèles d’équilibre des puissances Il s’agit d’examiner ici les trois modèles principaux d’équilibre des puissance mis en place en Europe puis au niveau mondial entre le XVIIème et le XXème siècles : L’Ordre westphalien, le Concert européen et le système bipolaire de la Guerre froide. 1. « L’Ordre westphalien ». Du XVIème au XVIIème siècle, la nostalgie d'une unité perdue sous Rome a animé les ambitions des souverains du Saint-Empire romain germanique qui fut la cause de conflits incessants à l'Est avec l'Empire Ottoman et à l'ouest avec le Royaume de France. La prétention des Habsbourg de réunifier l'Europe sous la bannière du catholicisme s’est heurtée à la Réforme et fut un des facteurs déclenchant de la Guerre de Trente Ans (1618-1648). Ce conflit déclenché en Bohème par une querelle entre catholiques et protestants du Saint-Empire3 évolua vers une guerre intereuropéenne avec le soutien apporté par des puissances (France, Suède et Danemark) aux protestants allemands contre les impériaux (Maison d’Autriche, Espagne, Bavière). La Paix de Westphalie marqua la fin de la Guerre de Trente ans et fut l'occasion de la première conférence diplomatique intereuropéenne qui instaura un nouveau système de relations internationales. Le nouvel Ordre westphalien fondé sur les Traités d’Osnabrück et de Munster (1648) a modifié la carte géopolitique du continent et introduisit des principes et des règles dans les relations internationales dont certains sont encore valables aujourd'hui. - En matière confessionnelle, la religion du Prince est consacrée religion du pays (« cujus regio, ejus religio » ou « à chaque région sa religion »), la division de l'Europe en trois zones confessionnelles est reconnue (Europe du Nord luthérienne, Europe du Sud catholique et Europe centrale mosaïque de confessions rivales). - En matière politique, la prétention de l'Empire des Habsbourg d'imposer une « Monarchie universelle » est définitivement brisée au profit d'un « système laïque d'États souverains » (indépendance des Pays-Bas et de la Suisse, souveraineté accrue des États allemands). Les délégations des signataires de la Paix de Westphalie (14 pays et plus de 100 Etats impériaux) réunis dans les villes allemandes d’Osnabrück et Munster (de 1645 à 1648) s'engagent à résoudre pacifiquement leurs différends. 3 Elle débuta en 1618 avec l’incident de la « défenestration de Prague » des envoyés de l’Empereur. 10 Ce nouvel ordre ou système international fondé sur la théorie de « l'équilibre européen » subsista pendant plus de 150 ans jusqu’aux bouleversements découlant de la Révolution française et des guerres napoléoniennes. La Paix de Westphalie servit de modèle aux conférences de paix ultérieures dont notamment la Paix d’Utrecht (1713) et surtout le Concert européen de Vienne (1815). 2. Le « Concert européen ». Au XIXème siècle, le Chancelier Metternich fut l'artisan du nouvel équilibre européen qui a dominé les relations internationales en Europe pendant un siècle (de 1815 à 1914). C’est à l’occasion du Congrès de Vienne (octobre 1814 - juin 1815) qui entérina la défaite de l’Empire napoléonien que fut mis en place l'entente entre puissances, le « Concert européen ». C’est à l’occasion du Congrès de Vienne que fut lancée à l’initiative du Tzar Alexandre 1er la « Sainte Alliance » des trois monarchies (Autriche-Hongrie, Russie et Prusse) à laquelle le Royaume-Uni refusa de se joindre4. Officiellement formée le 28 septembre 1815, elle est destinée à défendre la légitimité dynastique en Europe et à lutter contre les mouvements révolutionnaires. Les congrès de Troppau (1820), de Laybach (1821) et de Vérone (1822) entérinèrent la politique d’intervention de la Sainte Alliance contre les insurrections révolutionnaires et nationalistes en Italie, Espagne, Pologne et Hongrie. 3. Le système d’ « équilibre de la terreur » de la Guerre froide qui caractérisa les relations internationales pendant la deuxième moitié du XXème siècle (1947-1990) constitua un troisième modèle d’équilibre des puissances qualifié aussi « d’équilibre de la terreur ». Cette notion désigne une situation où deux acteurs (États ou alliances d’États) peuvent se menacer réciproquement de destruction totale par le recours à l’arme nucléaire. « L’équilibre de la terreur » est l’émanation directe de la rivalité stratégique et idéologique (maillage complexe d’alliances bilatérales et multilatérales à l’échelle de la planète) qui opposa les États-Unis et l’Union soviétique sous fonds de course aux armements et de dissuasion nucléaire. La chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS symbolisèrent la fin de la Guerre froide. Francis Fukuyama a pu parler de « fin de l’histoire » (La fin de l’histoire et le dernier homme, 1992), en saluant le triomphe de la démocratie libérale, forme achevée de gouvernement des hommes. La démocratie libérale et la loi du marché marquent le stade final de l’évolution 4 Louis XVIII au nom de la France rejoignit la Sainte Alliance. 11 humaine, le sens de l’histoire. Indépendamment de son caractère conservateur, la thèse de « la fin de l’histoire » est contestée, l’expérience des sociétés humaines ayant révélé que le triomphe d’un modèle socio-économique aussi universel soit-il ne signifie pas la fin de toute évolution pour l’homme. La fin du système bipolaire d’équilibre de la terreur marque un tournant historique dans les relations internationales dont l’importance pourrait être comparable aux périodes qui ont vu la mise en place de l’ « Ordre westphalien » et du « Concert européen ». L’opportunité s’offre de nouveau de mettre en œuvre le système de sécurité collective prévu en 1945, mais que la rivalité Est-Ouest avait empêché de fonctionner. Les relations internationales post-Guerre froide entrent dans une phase de transition marquée par le déclin de la superpuissance américaine (échecs au Moyen- Orient), la montée en puissance de la Chine et le caractère hybride des menaces, risques et défis qui affectent la paix et la sécurité internationale (terrorisme, criminalité transnationale, conflits régionaux et Etats défaillants). Les conditions sont réunies pour l’émergence d’un monde multipolaire. C. La critique de l’équilibre des puissances L’équilibre des puissances comme politique des États dans les relations internationales a fait l’objet de nombreuses critiques émanant de courants très divers qui contestent que ce type de politique puisse être une garantie pour la paix. L’écrivain et diplomate français Charles Irénée Castel de Saint Pierre ou Abbé de Saint- Pierre (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1713) estimait que toute paix est précaire si elle repose sur un équilibre des forces, car tout équilibre justifie ou dissimule une hégémonie au détriment des autres nations. Il tire son origine du droit du plus fort et ne saurait par conséquent durer que ce que dure la force. Avec sa « théorie des trois mondes » Mao Tse Toung estimait que le « duopole soviéto- américain » fondé sur « l’équilibre de la terreur » est l’expression même de la collusion de deux impérialismes pour maintenir un statu quo qui leur assure le partage du monde. Les discours de De Gaulle et de nombreux dirigeants des pays en voie de développement évoquent le même refus du statu quo généré par le duopole soviéto-américain. 12 Ainsi, la politique de la « 3ème voie » prônée par De Gaulle et Mao rejoignait en partie celle défendue à l’époque par les dirigeants du Mouvement des pays non-alignés tels Nehru, Soekarno, Nasser, N’Nkrumah, et Tito, un rassemblement politique d’États du Tiers monde soudés dans un discours anticolonialiste et anti-impérialiste depuis la Conférence afro-asiatique de Bandoeng (avril 1955) et se présentant comme l’adversaire de la politique des alliances et des sphères d’influence. Pour le Mouvement des non-alignés, « l’équilibre de la terreur » Est-Ouest contribue à alimenter la course aux armements, les tensions internationales et accroit ainsi le risque de conflagration mondiale. Pour l’Américain Graham Allison, Professeur à l’Université d’Harvard (Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide, trad. de l’anglais, 2019), la recherche de l’équilibre des puissances conduit souvent à la guerre lorsqu’une puissance émergente vient défier la puissance dominante. C’est le « piège de Thucydide » qui se met en place et que l’historien Grec a ainsi décrit dans la Guerre du Péloponnèse : « C’est la peur inspirée à Sparte par l’ascension d’Athènes qui a rendu la guerre inévitable ». Pour G. Allison, ce type de configuration des RI s’est présenté seize fois au cours des cinq derniers siècles, à douze reprises il s’est soldé par une guerre. Cette configuration se présente de nouveau aujourd’hui entre la Chine et les États-Unis, la première souhaitant restaurer sa grandeur passée et les second préserver leur suprématie. À moins que Pékin ne modère ses ambitions et que Washington ne renonce à sa suprématie dans le Pacifique, une cyberattaque ou un incident maritime pourrait conduire à une escalade vers la guerre. Il conclu que la guerre n’est pas inévitable comme l’a démontré l’équilibre Est-Ouest pendant un demi-siècle. La rivalité sino-américaine se traduit déjà au niveau de l’influence sur les organisations internationales comme l’ONU. La Chine a su exploiter la politique des États-Unis visant à marginaliser les organisations multilatérales au profit d’une défense tous azimuts de ses intérêts (« America First » de Donald Trump) : réduction de sa contribution au budget des Nations Unies, retrait du Conseil des droits de l’homme, nomination d’ambassadeurs incompétents sur les questions internationales (Nikki Haley, Kelly Craft ou encore Marc Rubio). Cette perte de crédibilité ajoutée à l’affaiblissement du lien transatlantique a été exploités par la Chine pour développer sa présence et son influence au sein des organisations multilatérales : nomination de diplomates chinois à la tête de l’ONUDI, de la FAO en plus d’une influence croissante au sein du Secrétariat général de l’ONU. Dans les enceintes internationales, la Chine développe un contre-discours face aux critiques américaine sur la répression des Ouighour ou l’absence de respect des droits de l’homme, en relevant les inégalités sociales, la violence par armes à feu et le racisme qui caractérise les dérives 13 du modèle social américain. Les organisations multilatérales deviennent ainsi les nouveaux terrains du « piège de Thucydide ». § 3 – Le système de sécurité collective et ses limites Emmanuel Kant estimait que : « la raison du haut de son trône qui est la source suprême de toute législation morale, condamne absolument la guerre comme voie de droit, et elle fait de l’état de paix un devoir immédiat. Or, comme cet état ne peut être fondé et garanti sans un pacte des peuples entre eux, de là résulte la nécessité d’une alliance d’une espèce particulière, qu’on pourrait appeler alliance de paix (foedus pacificum), et qui différerait du traité de paix (pactum pacis), en ce qu’elle terminerait à jamais toutes les guerres, tandis que celui-ci n’en finit qu’une seule. Cette alliance n’aurait pas pour but l’acquisition de quelques puissances de la part d’un État, mais simplement la conservation et la garantie de sa liberté, et de celle des autres États alliés (…). La possibilité de réaliser cette idée d’une fédération, qui doit s’étendre insensiblement, à tous les États et les conduire ainsi à une paix perpétuelle (la réalité objective de cette idée) peut-être démontrée » (Essai sur la paix perpétuelle, 1795). Quel est le contenu de ce concept de sécurité collective (A) ? Comment a-t-il été mis en œuvre dans le cadre des Nations unies (B) ? Quelles sont les limites actuelles de la sécurité collective (C) ? A. Le concept de sécurité collective En tant que concept abstrait, la sécurité collective a des origines très anciennes. Elle a fait l’objet d’innombrables projets avancés par des hommes d’État, des penseurs et des philosophes (Sully, Jeremy Bentham, Emmanuel Kant, l’Abbé de Saint-Pierre) jusqu’à sa concrétisation après la Première Guerre mondiale. Ainsi, l’Abbé de Saint Pierre prônait l’organisation d’une ligue de souverains dotée d’un tribunal et d’un congrès permanent à qui l’on confierait le soin de régler les différends nés entre les nations (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1713). Le concept de sécurité collective en tant que tel est une innovation du XXème siècle qui répond à l’impératif de pacifier et stabiliser les rapports internationaux après les deux conflits mondiaux. Il repose sur l’idée que les préoccupations de sécurité des États peuvent être satisfaites non à travers l’autodéfense nationale ou l’équilibre des forces, mais par des institutions 14 internationales impliquant une obligation commune d’agir contre un État qui menacerait l’ordre international. La sécurité collective est donc un système interétatique reposant sur le principe selon lequel, en cas d’emploi ou de menace d’emploi de la force par un État qui menacerait l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’un autre État, tous les États participants entreprendront une action commune afin de prévenir l’agression ou de lui faire échec. La sécurité collective est l’expression de la fameuse formule des trois mousquetaires d’Alexandre Dumas : « Tous pour un et un pour tous ». Toutefois, elle ne doit pas être confondue avec les alliances qui sont dirigées contre un État ou des États déterminés, parce que théoriquement elle pourrait jouer contre n’importe quel agresseur. La sécurité collective n’a trouvé expression juridique qu’en 1919. En effet, après la Première Guerre mondiale on assiste à la mise en place par les grandes puissances d’un système universel de maintien de la paix et de la sécurité internationale visant à empêcher la guerre et à régler pacifiquement les différends. C'est à l'initiative du Président Woodrow Wilson, dans le cadre de ses « quatorze points » rendus publics le 8 janvier 1918 que les participants à la Conférence de Versailles ont adopté le Pacte créant la Société des Nations (SDN). Le concept de sécurité collective est depuis assimilé à la SDN. La vision idéaliste et moraliste des relations internationales de Woodrow Wilson concevait cette nouvelle organisation internationale comme un instrument au service des États pour promouvoir la paix et la coopération internationale. Il s’agit de prévenir la guerre par une diplomatie ouverte excluant les accords secrets et les rivalités entre alliances et postulant la fin des empires et le droit des peuples à l’autodétermination. Toutefois dans son esprit, ce droit réservé à l’Europe ne semble pas s’appliquer aux peuples colonisés du Sud. L’idée d’un engagement universel, permanent et collectif de s’opposer à l’agression et de garantir la sécurité est inscrite dans l’article 10 du Pacte de la SDN, mais également dans le Chapitre VII de la Charte des Nations unies. La dissuasion, la punition et la restauration de l’ordre sont dans la logique de la sécurité collective. Ce triptyque est au cœur du « système onusien de sécurité collective » et découle des buts de l’Organisation, le maintien de la paix et de la sécurité internationale « afin de préserver les générations futures du fléau de la guerre » (préambule et article 1er de la Charte des Nations unies). 15 B. Le système onusien de sécurité collective La paix et la sécurité internationale constituent une préoccupation centrale dans la Charte des Nations unies. Ainsi on peut lire en préambule de la Charte : « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances (...) ». Instruits par l’échec de la SDN, les rédacteurs de la Charte des Nations unies ont conçu un système de « sécurité collective » plus musclé (chapitre VII). Le système onusien de sécurité collective fut conçu à partir de l’idée selon laquelle le fardeau du maintien de la paix devait obligatoirement incomber aux cinq grandes puissances victorieuses (États-Unis, Royaume-Uni, France, URSS, Chine), unies au sein d’un Conseil de sécurité dont elles formeraient le noyau permanent. La nouvelle organisation mondiale put ainsi disposer de pouvoirs plus importants que ceux de la SDN, pour la simple raison que ces pouvoirs revenaient en réalité aux membres permanents dotés d’un droit de veto conférant d’avance à chacun d’eux une totale immunité politique. Il est ainsi prévu au Chapitre VII de la Charte (articles 39 à 51) des mesures à prendre en cas de « menace contre la paix, rupture de la paix et acte d’agression ». Après avoir qualifié la situation comme telle, le Conseil de sécurité est habilité à prendre les mesures nécessaires pour rétablir la paix et la sécurité internationale. Le Conseil peut prendre deux catégories de mesures, non militaires ou militaires.. Les mesures coercitives non militaires. Elles sont prévues dans l’article 41 de la Charte et consistent en l’interruption des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes et postales et gel des relations diplomatiques avec l’État agresseur, autrement dit des sanctions internationales.. Les mesures coercitives militaires. Elles sont définies dans les articles 42 à 47 de la Charte dans le cas ou les mesures non militaires n’ont pu faire plier l’agresseur. Le Conseil de sécurité peut alors décider de recourir à des moyens militaires (forces terrestres, aériennes et maritimes) que les États 16 membres des Nations unies sont invités à mettre à sa disposition (article 43). Les forces internationales ainsi constituées sont dirigées par un Comité d’État-major international (article 47) placé sous l’autorité politique du Conseil de sécurité. Le système onusien de sécurité collective fonctionna effectivement à deux occasions seulement, pendant le conflit coréen (1950) et la Guerre du Golfe (1990). Au cours du conflit coréen, la mise en œuvre de la sécurité collective ne fut possible que par une manœuvre américaine pour contourner le véto soviétique (résolution Acheson de l’Assemblée générale). La « Coalition internationale » pour libérer le Koweït de l’occupation irakienne en 1991 s’inscrivait dans le cadre de la sécurité collective, bien que le Conseil de sécurité n’exerçât aucun contrôle direct sur les opérations militaires des coalisées menées sous commandement américain. Toutefois, il s’agit ici d’une crypto-sécurité collective », les objectifs de cette guerre planifiée visait à défendre les intérêts stratégiques américains au Moyen-Orient aux dépens de la souveraineté des États. En fait, la Guerre froide et la rivalité entre les grandes puissances membres permanents du Conseil de sécurité a empêché le fonctionnement efficace du système onusien de sécurité collective prévu par la Charte qui lorsqu’il fut invoqué, se traduisit souvent par son instrumentalisation par les grandes puissances. C. L’érosion de la sécurité collective Le système onusien de sécurité collective a subi une érosion continue. Cette érosion peut être attribuée à plusieurs causes : le jeu des alliances rivales durant la Guerre froide et la tentation unilatéraliste des États-Unis (invasion de l’Irak sans mandat des Nations unies en 2003, occupation de l’Afghanistan en 2001 avec un pseudo mandat des Nations Unies). L’efficacité de la sécurité collective est d’abord tributaire de la volonté politique de chaque État, indépendamment de ses intérêts particuliers et conjoncturels, d’agir pour faire échec à l’agression. À ce propos, l’expérience de la SDN a été considérée comme celle de « la faillite de la sécurité collective ». La SDN se trouva en effet dans l’incapacité d’imposer une solution pacifique aux grands conflits internationaux des années trente : invasions de la Mandchourie par le Japon (1931) et de la Finlande par l’URSS (1940), l’annexion de l’Éthiopie par l’Italie (1935) et les violations successives du Traité de Versailles par Hitler. Elle fut ainsi incapable de faire appliquer 17 les sanctions économiques prévues à l’article 16 du Pacte 5 qu’elle a décrétées contre l’Italie fasciste en 1936. D’autre part, le refus du Congrès américain de ratifier le Pacte de la SDN, l'exclusion ou le retrait de certaines puissances (Allemagne, Italie, Japon et URSS), affecta le caractère universel de cette organisation, qui apparut dès lors comme un club élitiste et paneuropéen dominé par le couple franco-britannique. En somme, et comme l’exprima Winston Churchill lui-même, la faillite de la sécurité collective fut moins le fait de la « Société des Nations que des nations de la Société », c’est- à-dire les Etats. Avec la paralysie de la SDN et l’échec de la « diplomatie de la paix » engagée par les puissances européennes (Traité de Locarno de 1925 et Pacte Briand-Kellogg de 1928), c’est le retour de la diplomatie traditionnelle des alliances qui conduisit à la Seconde guerre mondiale. Avec l’ONU qui succéda à la SDN, la promesse d’un système de sécurité collective plus efficace a pendant un temps suscité des espoirs. Mais, pour fonctionner, le système onusien de sécurité collective nécessite la collaboration de tous les membres permanents de Conseil de sécurité. Celle-ci fut impossible en raison de la rivalité Est-Ouest. En effet, pendant la Guerre froide l’usage immodéré du droit de veto par les États-Unis et par l’URSS paralysa le Conseil de sécurité. En outre, la rivalité soviéto-américaine fit obstacle à la mise en œuvre du mécanisme de sécurité collective, et notamment les « accords spéciaux » par lesquels les États membres auraient placé, au titre de l’article 43 de la Charte, des forces armées à la disposition du Conseil. La mise en place de l’Alliance atlantique (1949) et de l’Organisation du Pacte de Varsovie (1955) confirmèrent que la sécurité collective n’était, comme à l’époque de la SDN, qu’un mirage dans les relations internationales, la politique des alliances prenant rapidement le dessus. Avec la fin de la Guerre froide qui a caractérisé les relations internationales pendant près d’un demi-siècle, on aurait pu espérer un meilleur fonctionnement de la sécurité collective. Mais, la situation fut pire encore, car au rôle régulateur du « duopole soviéto- américain » a succédé la tentation unilatéraliste de l’unique superpuissance de plus en plus contestée par d’autres grandes puissances (Chine et Russie). 5 L’article 16 du Pacte prévoit des sanctions contre les États coupables d'agression. Mais ces sanctions (de caractère militaire, économique et financier) sont facultatives. 18 Surfant sur les attentats du 11 septembre 2001, l’administration Bush (2001-2008) opta pour une politique étrangère unilatéraliste (invasion de l’Irak sans mandat des Nations unies) qui a contribué aussi à l’érosion de la sécurité collective. NB : Cet unilatéralisme fut prôné sous l’influence des idéologues « néo-conservateurs » tels Robert Kagan, William Kristol et Lawrence Kaplan6. La Présidence Obama (2009-2016) marqua une atténuation de cette politique même si l’engagement dans les conflits extérieurs (Afghanistan, Irak, Syrie) restait constant. Les présidences de Donald Trump (2017-2021) et de Joe Biden (à partir de 2021) furent surtout marquées par un engagement croissant vers le « pivot Pacifique » (annoncé par Obama) en vue de « contenir » la montée en puissance de la Chine. Face à la paralysie de la sécurité collective, un palliatif a été mis en place par l’ONU, les « opérations de maintien de la paix ». D. Un palliatif à la sécurité collective : les opérations de maintien de la paix Les opérations de maintien de la paix se sont substituées au système de sécurité collective qui ne pouvait fonctionner efficacement du fait de la rivalité américano-soviétique. Elles ne sont pas prévues par la Charte7. Ces opérations consistent en l’envoi dans les zones de conflit d’une force armée multinationale composée de contingents nationaux et placée sous commandement des Nations unies (les « casques bleus »). Cette force constituée à la suite d’une résolution du Conseil de sécurité remplit généralement les missions suivantes : - Observation et surveillance du cessez-le-feu ; - Désengagement des forces ; - Interposition entre les forces adverses ; - Désarmement et cantonnement des forces combattantes (ex-Yougoslavie) ; - Supervision des élections (ex : Namibie, Haïti, Cambodge, Timor). 6 Voir Robert Kagan, Le revers de la puissance. Les États-Unis en quête de légitimité, Plon, 2004 ; William Kristol & Lawrence F. Kaplan, Notre route commence à Bagdad. Saint-Simon, 2003. 7 L’ex-Secrétaire général des Nations unies, Dag Hammarskjöld, a pu parler du maintien de la paix comme s’inscrivant sous le Chapitre « six et demi » de la Charte, entre les méthodes classiques de règlement pacifique des différends du Chapitre VI et les mesures coercitives du Chapitre VII. 19 Trois principes guident le mandat des opérations de maintien de la paix (OMP) : - Consentement des parties impliquées dans le conflit - Impartialité dans les rapports avec les parties au conflit ne signifiant pas neutralité - Non-recours à la force sauf en cas de légitime défense ou de défense du mandat de la mission (autorisation du Conseil de sécurité). Il existerait deux types d’opérations de maintien de la paix, les opérations de « première génération » ou traditionnelles sont qualifiées ainsi parce que leur fonction fondamentale est de surveiller le respect d'arrangements de cessez-le-feu ou de servir de zone tampon entre des unités combattantes adverses. Elles se caractérisent également par des troupes, légèrement armées, en petit nombre et des contingents essentiellement formés de militaires – les « casques bleus » - qui ne sont autorisés à utiliser la force qu’en légitime défense. Les opérations de « deuxième génération » relèvent d'un mandat plus large. Leur rôle inclut non seulement le maintien, mais le rétablissement (opération au Cambodge, à Timor Est et dans l’ex-Yougoslavie). Elles débordent donc sur le terrain des conflits internes, de la promotion des pratiques démocratiques et de l'assistance humanitaire d'où leur développement quantitatif et leur expansion géographique. Les missions de deuxième génération apparaissent dans le contexte post- Guerre froide. En 2023, il y’avait 12 opérations de maintien de la paix déployées sur les cinq continents dont six en Afrique : Rép. démocratique du Congo (MONUSCO), Sahara occidental (MINURSO), Rép. Centrafricaine (MINUSCA), Mali (MINUSMA), Soudan (FISNUA à Abye), Soudan du Sud (MINUSS) ; trois au Moyen-Orient : Liban (FINUL), Golan (FNUOD), Jérusalem (ONUST) ; deux en Europe : Chypre (UNFICYP), Kosovo (MINUK) ; une en Asie : Inde-Pakistan (UNMOGIP). NB: Les membres permanents du Conseil de sécurité ont une participation modeste mais les principaux contributeurs de contingents sont des pays africains et asiatiques (Pakistan, Bangladesh, Inde, Nigéria, Ghana et Népal. Les OMP rencontrent de plus en plus de difficulté de financement compte-tenu de l’accroissement considérables des coût et d’un nombre limité de contributeurs financiers. En 2022, le budget de fonctionnement de l’ONU était d’environ 3 milliards de dollars alors que celui des OMP atteignait 7 milliards de dollars. Suite à la réduction de la contribution des États-Unis le plus gros contributeur et au retard dans le versement de leur contribution par plusieurs Etats membres, l’ONU connais une crise budgétaire sans précédent qui affecte son action. En janvier 2020 dix pays 20 dont six pays africains8 ont vu leur droit de vote suspendu en raison d’impayés de leurs contributions annuelles, et ce en vertu de l’article 19 de la Charte. Comment construire un ordre international au XXIème siècle, dans un monde marqué par des perspectives historiques divergentes, des conflits violents, la prolifération des technologies et l’extrémisme idéologique s’interroge Henry Kissinger ? Son constat de départ est qu’il n’a jamais existé de véritable « ordre mondial » (in : L’Ordre du Monde, Fayard, 2014). Tout au long de l’histoire, chaque civilisation, se considérant comme le centre du monde et regardant ses principes comme universellement pertinents, a défini sa propre conception de l’ordre. Aujourd’hui, ces diverses conceptions entrent en confrontation, et il n’existe pas de consensus entre les principaux acteurs sur les règles d’action et leurs limites, ni sur le but ultime poursuivi. La conséquence en est une forte montée des tensions. Conseils de lecture :. Graham Allison, Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide, Odile Jacob, 2019, 416 p.. Arnaud BLIN, 1648 : La Paix de Westphalie ou la naissance de l’Europe politique moderne, Éd. Complexe, 2006. 213 p.. Pierre Grosser, « les empires et l’histoire : entre condamnation et réhabilitation », Questions internationales, n°26, juillet-août 2007, p. 15-23.. Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, 2004, 992 p.. Henry Kiessinger, L’Ordre du Monde, Fayard, 2016, 400 p.. Jacques-Alain de Sedouy, Le Concert européen. Aux origines de l’Europe 1814-1914, Fayard, 2009, 483 p. Section 2 : La codification des rapports internationaux Dans la conduite de leurs RI, les États s’engagent à respecter les règles et principes du droit international ou « droit des nations » qui émanent de sources d’origine diverses : - Le traité : accord international ayant force contraignante ; - La coutume : pratique acceptée comme étant le droit, règle juridique non écrite ; - Les principes généraux de droit reconnus par les nations. 8 Centrafrique, Comores, Gambie, Liban, Lesotho, Sao Tomé et Principe, Somalie, Tonga, Venezuela et Yémen. 21 Au titre des sources subsidiaires, il y’a la doctrine (œuvre critique des juristes) et la jurisprudence (décisions de justice internationale) sont citées comme des sources auxiliaires du droit international. Le droit international qui concerne les rapports entre États (y compris les organisations inter- gouvernementales) s’oppose au droit interne qui régit les rapports à l’intérieure d’un même pays. Les principes et règles du droit international codifiés dans des traités sont en principe supérieurs et s’imposent au droit interne des États au nom du principe de la hiérarchie des normes. La prédominance du droit en relations internationales s’exprime à travers la codification par le droit international des rapports entre États. Plan de la Section 2 : § 1 - Les relations diplomatiques et consulaires § 2 - Le règlement pacifique des différends § 3 - L’encadrement de l’emploi de la force armée § 1 - Les relations diplomatiques et consulaires Des preuves faisant état de l’existence de relations diplomatiques depuis l’Antiquité nous sont parvenues (Proche et Moyen-Orient, Inde et Chine), mais ces relations n’avaient pas le caractère permanent et systématique que nous leur connaissons aujourd’hui. C’est au XVème siècle que la notion de représentation diplomatique permanente, la « légation » a été instituée pour la première fois entre cités italiennes (Gênes, Pise, Florence, Venise). Il faut attendre l815 pour que le Congrès de Vienne adopte un règlement visant à déterminer le rang des agents diplomatiques, leurs prérogatives, la procédure de désignation et les règles complexes des préséances, faisant ainsi du service diplomatique un corps professionnel. Le statut et les règles organisant la nomination, la présence et la protection des diplomates proviennent de pratiques coutumières multiséculaires même si on a souvent associé la pratique des relations diplomatiques à l’émergence du système d’États modernes en Europe. Le droit international a progressivement organisé les relations diplomatiques et consulaires sur la base de ces règles coutumières. 22 Dans l’exercice de sa souveraineté et pour assurer la défense de ses intérêts à l’étranger, l’État tisse des relations diplomatiques (A) et des relations consulaires (B) avec d’autres États. A. Les relations diplomatiques Les relations diplomatiques ont été codifiées par la Convention de Vienne de 1961 qui a entériné des règles coutumières. L’établissement de relations diplomatiques est un acte souverain de l’État qui intervient à la suite de la reconnaissance. Il permet d’entretenir des rapports bilatéraux officiels par le canal des missions diplomatiques. Les missions diplomatiques en poste dans les capitales étrangères sont dirigées par le chef de la mission, l’« Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire » qui reçoit directement ses instructions de l’État qui l’a nommé 9. Il est assisté par des conseillers, secrétaires et attachés d’ambassade (attaché de défense, attaché commercial, attaché culturel). La « lettre d’accréditation » ou « lettre de créance » est le document officiel et solennel signé des mains du chef de l’État qui finalise la nomination d’un ambassadeur en poste dans une capitale étrangère. Cette lettre atteste des qualités humaines et professionnelles du diplomate et donne l’assurance qu’il s’acquittera de sa mission de représentant mandaté. Parmi les fonctions de l’ambassadeur on citera : la représentation de l’État accréditant et la défense de ses intérêts, le pouvoir de négociation avec l’État accréditaire, l’information de l’État accréditant sur la situation dans l’État accréditaire (dépêches diplomatiques). Le statut diplomatique est attesté par la possession d’un « passeport diplomatique » implique des privilèges et immunités : - la liberté de communication avec l’État accréditant ; - « L’inviolabilité personnelle » qui interdit l’arrestation, la détention ou toute atteinte à la liberté et à la dignité de l’agent diplomatique et de sa famille ; - « L’inviolabilité de l’enceinte de l’ambassade » qui interdit toute intrusion sans autorisation; - « L’inviolabilité de la correspondance » (courrier et « valise diplomatique ») s’étend aux archives de la mission diplomatique ; 9 La France dispose d’un réseau de plus de 150 ambassades à l’étranger. 23 - « L’immunité de juridiction » qui interdit les poursuites des diplomates devant les tribunaux de l’État accréditaire tant que son immunité n’est pas levée ; - « Les privilèges fiscaux » qui dispensent le diplomate du paiement des impôts ainsi que des droits et taxes sur les produits (TVA). La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 stipule que : « Le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager les individus, mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des États » (préambule). Des missions diplomatiques peuvent également être accréditées auprès des organisations internationales. Les missions permanentes auprès des organisations comme les Nations unies sont organisées sur le modèle des ambassades et jouissent du statut diplomatique avec tous les privilèges et immunités qui y sont attachés. L’agent diplomatique peut-être déclaré « persona non grata » par l’État de résidence qui demande alors son rappel ou procède à son expulsion lorsque ledit agent a commis des « actes incompatibles avec son statut diplomatique ». Cette formule désigne le plus souvent des activités d’espionnage. En cas de crise, l’agent diplomatique peut-être rappelé temporairement par son gouvernement ou à la demande de l’État accréditaire. Les affaires peuvent être gérées par un chargé d’affaires ou être provisoirement confiées à la représentation diplomatique d’un État tiers si les relations diplomatiques sont suspendues. La rupture des relations diplomatiques peut d’une décision unilatérale ou découler de l’application de sanctions internationales décidées par le Conseil de sécurité contre un État (article 41 de la Charte des Nations unies). - L’ex-Rhodésie, l’Afrique du Sud, l’Irak, la Libye et la Yougoslavie notamment ont fait l’objet de telles mesures. - Suite à la guerre impitoyable livrée contre Gaza (2023-2024) plusieurs États ont rompu leurs relations diplomatiques avec Israël (Bolivie, Colombie, Nicaragua) tandis que d’autres ont rappelé leurs ambassadeurs (Afrique du Sud, Brésil, Chili, Turquie). 24 En cas de rupture des relations diplomatiques, les enceintes diplomatiques sont alors fermées, les diplomates rappelés. En cas de guerre, les intérêts des belligérants sont assurés par un État neutre choisi par chaque partie. On notera que le Droit international humanitaire a institué des « Puissances protectrices » pour remplir cette fonction. B. Les relations consulaires Nommé par décret du Président de la République, le Consul est placé sous l’autorité directe de l’ambassadeur et du Ministre des Affaires étrangères. Il reçoit à cet effet une « lettre de provision ». Leur statut est régi par la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. Contrairement aux agents diplomatiques, les agents consulaires n’ont pas une mission de représentation de l’État qui les a nommés auprès de l’État de résidence. Les consuls sont chargés d’une fonction à caractère purement administrative, ceci peut expliquer qu’un État puisse entretenir plusieurs consulats dans un même pays (en général dans les villes où se concentrent ses ressortissants et les activités de ses entreprises). La mission essentielle des agents consulaires consiste à protéger et assister les nationaux à l’étranger. Le Consulat est en particulier chargé de gérer l’état civil des ressortissants à l’étranger. En qualité d’officier d’état civil, le Consul peut délivrer des documents administratifs, procéder à des mariages ou organise des scrutins électoraux. En outre, les consulats peuvent fournir aux ressortissants expatriés une assistance judiciaire en cas d’arrestation ou de pertes de documents de voyage. Les consuls assurent également une fonction de contacts de nature économique et commerciale avec l’État de résidence et assurent la délivrance de visas aux étrangers désirant se rendre dans l’État d’envoi. Les agents consulaires jouissent pratiquement des mêmes privilèges et immunités que ceux dont bénéficient les agents diplomatiques. Cependant, le champ des immunités conférées aux agents consulaires est moins vaste que celui accordé aux agents diplomatiques. 25 En cas de guerre, la rupture des relations diplomatiques n’entraîne pas celle des relations consulaires. NB : La France possède le 3ème réseau diplomatique du monde après les États-Unis et la Chine. Le réseau diplomatique français comprenait en 2023 160 ambassades dans autant de pays, 16 représentations diplomatiques dans des organisations internationales (UE, ONU, OTAN, etc…) et 89 consulats généraux. Quelques affaires impliquant des ambassades Les enceintes diplomatiques ont parfois fait l’objet d’attaque ou d’intrusion illégales été des refuges pour des opposants politiques au régime du pays d’accueil (notion d’asile qui n’est pas prévue par les Conventions de Vienne de 1961 et 1963). On mentionnera deux exemples de violation grave des enceintes diplomatiques : - L’aviation israélienne bombarde le consulat iranien à Damas tuant une vingtaine de personnes (mars 2024) ; - Suite à l’intrusion de policiers équatoriens dans l’ambassade du Mexique pour arrêter un ancien dirigent qui s’y était réfugié, Mexico rompe ses relations diplomatiques et saisit la CIJ (avril 2024) ; - Prise d’otages du personnel de l’ambassade d’Iran à Londres entrainent l’intervention des SAS pour les libérer : 5 auteurs sont abattus et un otage (1980) ; - Des étudiants iraniens pénètrent dans l’ambassade américaine à Téhéran et prennent en otage tout le personnel, les États-Unis saisissent la CIJ, la crise entre les deux pays va durer plus d’une année (nov. 1979 – janv. 1981) ; - Prise d’otage à l’ambassade de France à La Haye par des terroristes de l’Armée rouge japonaise (1974) ; - Attentat contre le consulat d'Algérie à Marseille revendiqué par un groupe terroriste d’extrême droite français, le Groupe Charles Martel (une émanation d’activistes de l’OAS) faisant quatre morts (1973). Les enceintes diplomatiques ont parfois servi de refuges pour des opposants politiques au régime du pays d’accueil (notion d’asile qui n’est pas prévue par les Conventions de Vienne de 1961 et 1963) : - Le Président hondurien Manuel Zelaya s’est réfugié à l’Ambassade du Brésil au Honduras à la suite du coup d’État dont il a été victime en septembre 2009 ; - Menacé d’extradition aux États-Unis, le fondateur de Wikileaks Julian Assange se réfugie en 2012 à l’ambassade d’Équateur à Londres demandant l’asile. Il est arrêté en avril 2019 par la police britannique à la demande du Président de l’Équateur ; - Le dissident chinois Chen Guangcheng demande l’asile à l’ambassade américaine à Pékin (2012). Il est finalement autorisé à partir aux États-Unis suite à un accord. NB : La police du pays hôte est autorisé à procéder à des arrestations à l’intérieur de l’enceinte diplomatique à la demande du chef de la mission diplomatique. 26 Les règles d’immunités qui protègent les enceintes diplomatiques ont parfois été violées, ce qui est source de tension internationale. On mentionnera en particulier, l’occupation par des étudiants iraniens de l’ambassade des États-Unis à Téhéran et la prise en otage du personnel diplomatique pendant plusieurs mois en 1979. L’affaire fut portée devant la Cour internationale de justice qui a estimé que : « Dans la conduite des relations entre États, il n’est pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades et, au long de l’histoire, des nations de toute croyance et de toutes cultures ont observé des obligations réciproques à cet effet » (Affaire du personnel diplomatique et consulaire américain à Téhéran, CIJ, arrêt du 24 mai 1980). Conseils de lecture : Des témoignages d’anciens diplomates et fonctionnaires internationaux. Gérard Araud, Passeport diplomatique, Le Livre de Poche, 2021, 384 p.. Franck Renaud, Les diplomates. Derrière la façade des ambassades de France, Nouveau Monde Édition, poche, 2011, 520 p.. Pierre Strohl, La paix rêvée, Essai, Editions Persée, 2013, 396 p. (témoignage d’un fonctionnaire international sur la diplomatie moderne). § 2 - Le règlement pacifique des différends Les membres de l’ONU « règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telles manière que la paix et la sécurité internationale, ainsi que la justice ne soient pas mises en danger » peut-on lire à l’article 2 § 3 de la Charte des Nations unies. La Charte énumère au Chapitre VI les différentes techniques de règlement pacifique des différends. L’article 33 identifie ainsi une liste de moyens de règlement des différends : négociation, enquête, médiation, conciliation, arbitrage, règlement judiciaire, recours aux organismes ou accords régionaux. On peut classer ces moyens en deux catégories : modes diplomatiques (A) et modes juridictionnels (B). A. Les modes diplomatiques Les modes diplomatiques ou non juridictionnels de règlement des différends sont la négociation (1), les bons offices et la médiation (2), la conciliation (3) ainsi que l’enquête (4). 27 1. La négociation La négociation est le moyen traditionnel et classique de la diplomatie depuis des siècles. C’est le moyen le plus direct pour résoudre un différend. La négociation se déroule dans un cadre bilatéral (entre deux États) ou multilatéral (au sein d’une organisation intergouvernementale). C’est aux responsables politiques (chefs d’États et de gouvernements, ministres des Affaires étrangères) et aux diplomates professionnels d’animer cette négociation dont le résultat est consacré dans un document final officiel (accord, déclaration commune, échange de lettres). 2. Les bons offices et la médiation Les bons offices comme la médiation permettent de confier à un tiers (une personnalité neutre) le soin de rapprocher les points de vue des protagonistes. La solution au différend émane de la synthèse des positions des parties par la personnalité en charge du règlement du différend. La technique des bons offices constitue un moyen très souple basée sur des contacts formels ou informels. Ainsi le Secrétaire général des Nations unies a exercé ses bons offices dans des conflits opposant des membres de l’ONU (ex : conflit Irak-Iran en 1986). La médiation suppose un cadre plus formel dans lequel un intermédiaire se voit confier par les deux parties le soin de mener une médiation en animant une négociation parallèle. Il s’agit de restaurer le dialogue et trouver un accord entre les parties avec l’aide d’un tiers compétent, neutre, indépendant et impartial. Ce fut le cas de la médiation du Pape dans le différend opposant l’Argentine et le Chili au sujet de la souveraineté sur le Canal de Beagle (1979). 3. La conciliation Dans la conciliation les parties recherchent un accord avec le conciliateur saisi de leur différend. La solution peut être proposée par le conciliateur lui-même à l’issue d’une procédure contradictoire. La conciliation est peu fréquente en RI car elle suppose souvent un cadre préconstitué tel qu’une « Commission de conciliation » constituée d’experts. Cette procédure pour résoudre les litiges nés de l’application d’obligations internationales des États est par exemple 28 prévue dans le cadre de certaines organisations internationales (Cour de conciliation et d’arbitrage au sein de l’OSCE). 4. L’enquête L’enquête est une procédure d’établissement des faits (« fact-findings ») en cas de différend entre États. Elle se déroule dans le cadre formel d’une commission d’enquête. Les parties au différend sont libres de la suite à donner aux conclusions de la commission d’enquête. C’est ainsi que des mécanismes d’enquête et d’établissement des faits ont été créés pour vérifier le respect d’accords internationaux. On peut mentionner à ce titre la Commission internationale d’établissement des faits instituée dans le cadre du Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949 en matière de droit international humanitaire ou les missions de l’OSCE. B. Les modes juridictionnels Il s’agit de procédures de règlement des différends par le recours au juge. Dans les modes juridictionnels de règlement des différends, on distingue l’arbitrage (1) et l’action devant une juridiction internationale permanente (2). 1. L’arbitrage L’arbitrage international est avec la médiation l’un des plus anciens modes de règlement des différends (pratiqué depuis le Moyen Age). Il a pour objet le règlement des litiges entre les États par des juges choisis par eux et sur la base du respect du droit. Le recours à l’arbitrage implique l’engagement de se soumettre de bonne foi à la sentence arbitrale. Ce moyen de règlement est prévu, soit dans une disposition d’un traité international prévoyant que tout litige relatif à ce traité serait soumis à l’arbitrage (« clause compromissoire »), soit dans un accord spécifique d’arbitrage. Le tribunal arbitral est constitué d’un ou plusieurs arbitres. Une Cour permanente d’arbitrage (CPA) fut créée par la Convention de La Haye pour le règlement pacifique des conflits internationaux de 1899 lors de la première Conférence de la Paix 29 de La Haye. L’article 16 de la Convention de 1899 stipule que « [d]ans les questions d’ordre juridique, et en premier lieu dans les questions d’interprétation ou d’application des conventions internationales », l’arbitrage est le moyen le plus efficace et en même temps le plus équitable de régler les litiges qui n’ont pas été résolus par les voies diplomatiques. 2. Le recours à une juridiction permanente Le recours à une juridiction permanente est une technique qui date de 1920 avec l’établissement de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) par la SDN Elle sera remplacée en 1945 par la Cour internationale de justice (CIJ) dont le Statut est annexé à la Charte de l’ONU10. La CIJ est habilitée à trancher les différends d’ordre juridique entre les États qui acceptent sa compétence (clause juridictionnelle d’un traité, accord spécial soumettant un litige à la Cour, clause facultative de juridiction obligatoire). Le Statut de la Cour (article 85) pose deux conditions préalables à l’exercice des compétences de la Cour : le recours par les parties à la négociation directe et l’épuisement des voies de recours interne. La Cour a une compétence, contentieuse et consultative. Elle a une compétence contentieuse lorsqu’elle s’efforce à la demande des parties de régler un litige en conformité avec le droit international. Elle peut aussi donner un avis consultatif à la demande des organes de l’ONU (Assemblée générale) et des institutions internationales spécialisées. Une fois sollicitée par les parties à un différend, les arrêts rendus par la CIJ ont l’autorité de la chose jugée. En revanche, les avis consultatifs rendus par la Cour à la demande des organisations intergouvernementales n’ont pas un caractère contraignant. § 3 – L’encadrement de l’emploi de la force armée À partir du XVIIème siècle, les théoriciens du droit des gens (droit international) engagent une réflexion sur la licéité de la guerre. C’est le début de la remise en cause de la dimension religieuse, la « guerre juste » faite au nom de Dieu. La guerre est une affaire d’États, elle pouvait 10 La CIJ est composée de quinze juges compétents élus par l’Assemblée générale des Nations unies après avis du Conseil de sécurité pour un mandat renouvelable de neuf ans et élisent en leur sein, un Président de la Cour. 30 être juste des deux côtés et seuls les États sont habilités à la déclencher dans le libre exercice de leur souveraineté. Pour Grotius (De Jure Belli ac-pacis, 1625), le recours à la guerre n’a pas besoin de justification divine, il constitue un pouvoir important parmi les pouvoirs du souverain. La guerre est un moyen politique de conservation de l’État et du Monarque. La nécessité du maintien de la paix et de la sécurité internationale est une préoccupation récente dans la société internationale (depuis le XXème siècle). Cette préoccupation s’est traduite par la règlementation du recours à la guerre (A). Lorsque cette dernière est engagée, un corpus de règles visant à restreindre le choix des méthodes et moyens de guerre est applicable par les belligérants (B). A. La limitation du droit de recours à la force Carl von Clausewitz définissait la guerre comme « la continuation de la politique par d’autres moyens » (De la guerre, 1831). Après la Première Guerre mondiale, le Pacte de la SDN constitua le premier accord international majeur limitant le recours général à la force armée et recommandant aux États des procédures de règlement pacifique des différends (articles 12 et 14). Dans le Pacte, la guerre est perçue comme « ultima ratio » (ultime recours), après épuisement des voies de règlement diplomatique et juridictionnel. Une catégorie de guerres, la « guerre d’agression » est déclarée illicite (article 10), seule la guerre en légitime défense étant licite. Le Pacte Briand-Kellogg (1928) va plus loin en ce qu’il est le premier accord international visant à mettre « hors la loi » la guerre. Les signataires du Pacte déclarent solennellement « condamner le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncer en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ». Mais le Pacte auquel adhérèrent jusqu’en 1939, soixante-trois États est rapidement violé par les Parties mêmes, déclenchant ainsi l’engrenage qui conduisit à la Seconde Guerre mondiale. La Charte des Nations unies reprend la règle posée par le Pacte Briand-Kellogg relative à l’interdiction de l’emploi de la force armée. L’article 2 § 4 stipule que « les membres de 31 l’Organisation s’abstiennent dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de tout autre manière incompatible avec les buts des Nations unies ». Ainsi, la Charte se situe en deçà du Pacte de 1928 parce que le recours à la force exercé conformément aux buts des Nations unies n’est pas illicite. Deux exceptions au non recours à la force y sont admises : le droit à la légitime défense (article 51) et la mise en œuvre du système de sécurité collective (Chapitre VII). S’il y’a un relatif consensus international pour condamner la guerre d’agression, celle-ci n’est pas la seule forme de guerre. Dans la typologie des conflits qui dominent les relations internationales, la guerre interétatique est de plus en plus rare, laissant la place à d’autres formes de guerre : - La guerre civile : conflit intra-étatique (interne) opposant le gouvernement en place et une opposition armée, ou un affrontement entre groupes armés irréguliers constitués sur une base idéologique, religieuses ou ethnique en cas d’effondrement de l’État ; - La guerre de libération nationale dont la guerre coloniale est l’archétype oppose généralement un mouvement de libération nationale et une armée d’occupation ; - La guerre révolutionnaire dont Mao Tsé Toung et Che Guevara furent les idéologues dans laquelle s’affrontent des groupes de combattants (appelés aussi maquisards, partisans, résistants ou rebelles) contre une armée régulière (ex : les Forces armées révolutionnaires colombiennes) ; NB : Le terrorisme n’est pas la guerre, c’est un recours illicite à la violence comme forme d’action politique contre les personnes et les institutions par des groupes structurés et clandestins utilisant des techniques de terreur (attentats suicides du 11 septembre 2001 aux États-Unis par Al Qaïda ou par Daech à Paris le 13 novembre 2015 et à Nice le 14 juillet 2016). Certains Etats ont opté pour un statut de non-belligérance qui se traduit par la neutralité permanente (ex : Suisse, Suède) qui n’exclut pas l’existence d’une armée. D’autre Etats ont opté dans leur constitution pour le pacifisme en renonçant à se doter d’une armée : Costa-Rica qui a aboli son armée après la guerre civile de 1948, ou le Panama mais tous deux possèdent une garde nationale, quelques micro-Etats archipels du Pacifique Sud n’ont pas d’armée. B. La règlementation des méthodes et moyens de guerre La règlementation des méthodes et moyens de guerre se traduit par des accords de limitation des armements et de désarmement (1), mais aussi par des règles visant à « humaniser » la guerre (2). 32 1) La limitation des armements et le désarmement Les deux guerres mondiales inaugurent une révolution dans la stratégie et les armements : - Première guerre mondiale : apparition des blindés (« tank »), des sous-marins, des armes chimiques (« gaz de combat » et utilisation des aéronefs (observation, bombardement et chasse) ; - Seconde guerre mondiale : utilisation massive des avions (bombardement des villes) et des chars pour rompre le front (« Blitzkrieg »), des portes avions pour la projection de forces, des premiers missiles (V1 et V2) et surtout de la bombe atomique. Mais, l’utilisation de l’arme nucléaire par les États-Unis à Hiroshima et Nagasaki en août 1945 pour forcer le Japon à capituler a révélé au monde l’existence d’une « arme de destruction massive » menaçant l’humanité d’un « holocauste nucléaire ». Depuis 1945, une course à l’arme nucléaire s’engagea marquant la fin du monopole nucléaire américain avec l’accès à la bombe de neuf États : successivement l’URSS (1949), le Royaume-Uni (1952), la France (1960), la Chine (1964). Israël (1967), l’Inde (1974), l’Afrique du sud (1979), le Pakistan (1998) et la Corée du nord (2006). Quant à l’Iran qui fut soupçonné de vouloir s’en doter en contournant le système de garanties de l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA), il a accepté après une période de crise avec les Occidentaux sous fonds de sanction de signer un accord sur le nucléaire en 2015 par lequel il donne des garanties quant à la finalité exclusivement pacifique de son programme nucléaire. L’apparition et le développement de l’arme nucléaire a changé radicalement la stratégie militaire et la guerre. Cette arme a rapidement été conçue comme un instrument militaire du dernier recours pour assurer la défense du territoire et des intérêts vitaux. De fait elle n’a jamais encore été utilisée dans un conflit armé depuis 1945. Dans la conception des puissances nucléaire, c’est une « arme de dissuasion » dont la possession vise à dissuader toute menace ou attaque (qu’elle soit du « fort au fort » doctrine américaine des représailles massifs (« Mutual Assured Destruction ») ou du « faible au fort » : doctrine française de « sanctuarisation du territoire »),. Pour le général Lucien Poirier, « la dissuasion est une stratégie de non-guerre » car l’utilisation de l’arme nucléaire signifierait en pratique l’échec de la dissuasion (Des Stratégies nucléaires, 1977). Pendant la Guerre froide plusieurs accords de limitation des armements furent signés entre les deux superpuissances et visant à « cogérer » la course aux armements nucléaires (« Arms 33 control » ou de « maîtrise des armements »), le but étant de prévenir une guerre nucléaire par accident ou la prolifération nucléaire (vers de nouveaux États) : - Les essais nucléaires : Traité de Moscou (1963) interdisant les explosions nucléaires dans l’atmosphère, l’espace extra-atmosphérique et sous l’eau suivi du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (signé en 1996 mais non encore en vigueur) ; - La prolifération nucléaire : Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (1968) qui limite la possession de l’arme aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité ; - Le désarmement nucléaire : Accords SALT 1 (1972) et SALT 2 (1979) suivis des Accords START 1 (1991) START 2 (1993) et SORT I (2010) entre les États-Unis et la Russie qui limitent le déploiement d’armes nucléaires stratégiques par les deux superpuissances et conduisent à une réduction d’environ 50 % des arsenaux stratégiques américains et russes ; - La dénucléarisation régionale : création de « zones exemptes d’armes nucléaires » en Amérique latine (1967), dans le Pacifique Sud (1985), l’Asie du Sud Est (1995), l’Afrique (1996) et l’Asie centrale (2006) ; les projets de dénucléarisation du Moyen-Orient, de l’Asie du Sud-Est et de la Péninsule coréenne sont dans l’impasse. Le Traité sur la prohibition des armes nucléaires adopté le 7 juillet 2017 (entré en vigueur le 22 janvier 2021) qui interdit totalement cette catégorie d’arme de destruction massive et demande leur élimination. Sa mise en œuvre est compromise par l’opposition de toutes les puissances nucléaires 11. Si la plupart des accords de limitation des armements et de désarmement ont été adoptés à l’issue de négociations bilatérales (russo-américaines), d’autres ont été élaborés et discutés dans le cadre des Nations-unies (Convention sur les armes chimiques de 1993) ou au niveau régional (Traité sur la réduction des forces conventionnelles en Europe de 1990 par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe). Mais l’objectif du « désarmement général et complet » énoncé en 1959 dans la résolution 1378 (XIV) de l’Assemblée générale parait utopique. La réduction des armements est un processus difficile en raison de l’enjeu qu’il représente pour la sécurité des États et des difficultés à mettre en place des mécanismes efficaces de vérification pour s’assurer de la bonne foi des parties. On mentionnera parmi les principaux accords de limitation des armements et de désarmement : 11 Au 1er novembre 2023, 69 États étaient Parties à cet accord sur les 93 qui l’avaient signé, mais aucune puissance dotée de l’arme nucléaire ne l’a signé ni y a adhéré d’aucune manière. 34 - Le Protocole de Genève de 1925 qui interdit « l’emploi de gaz asphyxiants ou toxiques et de moyens de guerre bactériologiques » ; - La Convention de 1972 interdisant les armes bactériologiques (production, possession, stockage) ; - La Convention de Paris de 1993 prohibant les armes chimiques (production, emploi et stockage) ; - La Convention de 1981 interdisant certaines armes classiques qui ont des effets traumatiques excessifs et frappent sans discrimination ainsi que les protocoles sur les armes incendiaires (napalm), les pièges et les armes à laser aveuglant ; - La Convention d’Ottawa de 1997 d’interdiction totale des mines anti-personnel ; - La Convention d’Oslo de 2008 sur les armes à sous-munitions (le terme désigne une munition classique conçue pour disperser ou libérer plusieurs sous-munitions explosives) ; - Le Traité sur le commerce des armes de 2014 (vise à réglementer le commerce international et prévenir le commerce illicite d’armes ou leur détournement par des acteurs criminelles). Aujourd’hui, le développement des programmes d’armes intelligentes s’accompagne de la mise au point de nouvelles technologies militaires : « armes furtives », drones de combat, robotique militaire) ou encore de méthodes et moyens de guerre dans le cyberespace, la cyberguerre et qui ne font pas encore l’objet d’une réglementation internationale. 2) « L’humanisation de la guerre » La guerre ne pouvant être prohibée, il s’agit d’en limiter les effets en réglementant les méthodes et moyens de guerre à la disposition des belligérants. Ce n’est qu’à partir du XIXème siècle qu’on assista à la codification des règles coutumières de la guerre, le « droit de la guerre » ou « droit des conflits armés ». Le Comité international de secours aux blessés fondé en 1863 à Genève à l’initiative d’un mécène suisse Henry Dunant, devenu Comité international de la Croix-Rouge (CICR) fut à l’origine des premières règles du « droit international humanitaire ». Pour Henry Dunant, un acteur humanitaire neutre, indépendant et impartial est nécessaire pour secourir et protéger toutes les victimes de la guerre sans discrimination (Souvenirs de Solferino, 1860). Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge se développa comme acteur des secours aux blessés et malades. Un des principes fondamentaux du droit des conflits armés pose que « les belligérants n’ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l’ennemi »12. De ce principe 12 Ce principe fut codifié pour dans le Règlement de La Haye sur les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 (article 22). 35 découlent deux règles essentielles. La première stipule l’obligation de faire en tout temps la distinction entre la population civile et les combattants, ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, de ne diriger les opérations que contre les combattants et les cibles militaires. La seconde interdit d’employer des armes ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des souffrances inutiles. La codification connut une avancée majeure au plan international avec les Convention de La Haye de 1899 et 1907. C’est à l’initiative du Tsar Nicolas II que la première Conférences de la Paix réunie à La Haye en mai 1899 entrepris de codifier « les lois et coutumes de la guerre » sur terre et sur mer. Les Conventions de La Haye de 1899 furent complétées et amendés par la Conférence de la Paix de La Haye de 1907. Une des règles fondamentales du droit humanitaire dispose que le but de la guerre n’est pas l’anéantissement physique de l’adversaire. Ainsi les combattants mis hors de combat (militaires blessés, malades ou faits prisonniers de guerre) ne peuvent faire l’objet d’attaques. Ces prescriptions seront peu ou pas respectées par les belligérants pendant les deux guerres mondiales 13, mais furent surtout dépassé par l’apparition de nouvelles armes de destruction massive (chimiques, bactériologiques et nucléaires). Le Règlement de La Haye du 18 octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (annexé à la Convention de La Haye IV) stipulait la nécessité de respecter « l’honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée, ainsi que les convictions religieuses et l’exercice des cultes » en matière d’occupation de territoires. C’est pour renforcer la codification du droit des conflits armés que la Conférence diplomatique sur la protection des victimes de la guerre adopta les quatre conventions de Genève (1949) : - Convention pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les armées en campagne (1ère Convention de Genève) ; - Convention pour l’amélioration du sort des blessés et des malades et des naufragés des forces armées sur mer (2ème Convention de Genève) ; - Convention relative au traitement des prisonniers de guerre (3ème Convention de Genève) ; 13 Certains pays belligérants invoquèrent la « clause de solidarité » ou « clause si omnes » qui conditionne l’applicabilité du droit de la guerre par une partie à la condition que l’autre partie l’applique. 36 - Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (4ème Convention de Genève). Ces Conventions de Genève de 1949 furent complétées par deux Protocoles additionnels en 1977 relatifs aux conflits armés internationaux (Protocole I) et aux conflits armés non- internationaux (Protocole II) en y intégrant notamment la question des guerres de libération 14. Ces textes qui forment le tissu du droit international humanitaire stipulent notamment : 1- Que les belligérants ne disposent pas d’un droit illimité d’utiliser les méthodes et les moyens de guerre à leur disposition ; 2- Qu’ils doivent faire toujours la distinction entre combattants et non-combattants, ces derniers devant être protégés contre les effets des hostilités ; 3- Que les blessés, les malades et les prisonniers de guerre doivent être protégés et soignés sans distinction de nationalité ; 4- Que les services sanitaires des armés et l’emblème de la Croix-Rouge, du Croissant-Rouge et du Cristal-Rouge sont inviolables. Si des infractions graves contre des personnes ou des biens protégés par le droit international humanitaire sont constatées ou « crimes de guerre », les responsables devront être poursuivis devant les tribunaux nationaux ou à défaut devant la Cour pénale internationale. Les États ont la faculté de juger les auteurs de ces violations par leurs propres juridictions, de les extrader vers un pays pour jugement ou dans certains cas les remettre à une juridiction internationale compétente telle que la CPI ou une juridiction ad hoc prévu pour certains contextes 15. Ainsi la CPI est compétente pour juger le « crime d’agression » mais le « crime de génocide », le « crimes contre l’humanité » ainsi que les « crimes de guerre » : - Le crime d’agression concerne le déclanchement d’une guerre en violation du droit international et de la Charte des Nations Unies : notamment invasion ou occupation de territoires d’un autre État ; - Le crime de génocide désigne des attaques et des persécutions destinées à détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ; - Les crimes de guerre désignent une série de crimes qui constituent des violations des lois et coutumes de la guerre : assassinat, tortures et traitements inhumains, déportation et déplacements forcés de populations, attaques contre des populations 14 En 2005, un troisième Protocole concernant l’emblème protecteur fut adopté. 15 Le Conseil de sécurité de l’ONU avait créé deux tribunaux pénaux internationaux ad-hoc - résolution 827 du 23 mai 1993 sur l’ex-Yougoslavie et résolution 957 du 8 novembre 1994 sur le Rwanda - chargés de juger les responsables des violations du droit international humanitaire : Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie et Tribunal pénal international pour le Rwanda. 37 civiles, contre des soldats hors de combat, destruction de biens et pillage, prises d’otages, viols, utilisation d’armes prohibées. - Les crimes contre l’humanité entrent dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population : meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation ou transfert forcé de populations, torture, viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée, disparition forcée, apartheid. La Cour pénale internationale (CPI) instituée par le Statut de Rome en 1998 poursuit non des États mais des personnes (quel que soit le niveau hiérarchique de responsabilité). Elle peut être saisie sur plainte d’un État partie, du Conseil de sécurité ou à initiative du Procureur. Le droit international humanitaire dispose ainsi d’un instrument de répression dont l’efficacité est toutefois tributaire de la volonté des États de coopérer avec la Cour à l’arrestation et au jugement des auteurs des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. - La CPI a jugé et condamné plusieurs personnalités dont des chefs de guerres et d’anciens dirigeants politiques (Charles Taylor ancien Président du Libéria). - Elle a lancé des mandats d’arrêt contre le Président russe Vladimir Poutine (guerre d’Ukraine) et contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou (guerre contre Gaza). Toutefois, cette juridiction se trouve sous le feu des critiques parce que les procès organisés ne concernent que des crimes commis sur le continent africain par des Africains (certains pays africains ont même décidé depuis 2015 de se retirer du Statut de la Cour pénale internationale). D’autre part, elle est accusée d’être instrumentalisée par les pays occidentaux (mandat d’arrêt contre Poutine) et comparativement de se révéler impuissante pour poursuivre des crimes commis par des militaires ressortissants d’États non Parties au Statut de la Cour (notamment États-Unis et Israël s’agissant d’enquêtes concernant l’Afghanistan et le territoire palestinien occupé). NB : Au 1er novembre 2024 : 124 États avaient ratifié le Statut de Rome de la CPI. Les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde et de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Asie ne sont pas Parties au Statut. 38