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Qu’est-ce que la résilience ? Il n’y a pas de définition commune pour expliquer la résilience, car elle est propre à chaque histoire. Sa perception est donc différente en fonction des individus et des drames ou des aléas qu’ils vivent. La seule définition commune est que même s’ils en garde...
Qu’est-ce que la résilience ? Il n’y a pas de définition commune pour expliquer la résilience, car elle est propre à chaque histoire. Sa perception est donc différente en fonction des individus et des drames ou des aléas qu’ils vivent. La seule définition commune est que même s’ils en gardent des cicatrices, les humains peuvent dépasser les traumatismes, même les plus graves. Au début des années 1940, le concept de la résilience a été adapté à la psychologie. Il explique la plus ou moins grande capacité qu’ont les êtres humains à faire face aux épisodes douloureux de la vie, dans la maladie, le deuil, la précarité, la violence, etc. De mon point de vue, je pense qu’une personne est résiliente lorsque, plutôt que de nier les évènements ou de s’enfoncer dans la tristesse ou la dépression, elle parvient à faire face, à ressortir plus forte de ses expériences. Pendant de longues années, l’opinion avait tendance à penser qu’un drame personnel conduisait très souvent à une maladie mentale, voire à une conduite délinquante. Ainsi, un enfant abandonné devenait presque nécessairement un délinquant, ou un enfant maltraité devenait un parent maltraitant. Les témoignages que j’ai pu recueillir et même mon expérience viennent contredire ce regard pessimiste. Une personne peut mener une existence relativement normale malgré des traumatismes importants. Le terme de résilience, qui était encore peu connu, désigne une aptitude à survivre à des événements particulièrement douloureux. Mais cela est plus qu’une simple capacité de résistance, c’est aussi une dynamique qui permet à la personne de réagir positivement, de construire une existence relativement satisfaisante. Comme l’écrit Boris Cyrulnik, qui a consacré un ouvrage sur ce concept à une époque (en 1999) où l’on n’en parlait pas encore, c’est caractéristique d’une « personnalité blessée mais résistante, souffrante mais heureuse d’espérer quand même 1 ». Comment survivre à un drame ? Qu’est-ce qu’une résilience pour vous ? Ce sont les questions auxquelles m’ont répondu très concrètement des personnes qui ont vécu une situation particulièrement traumatisante, qu’il s’agisse d’un psychiatre, de victimes, d’une ancienne prostituée qui se qualifie de survivante, d’un ancien malade qui était atteint d’une maladie grave, ou encore d’un ancien détenu. Est-ce qu’une résilience est possible pour tout le monde ? Pour le 2 docteur Roland Coutenceau , psychiatre et criminologue, la résilience est un travail intellectuel et psychique pour clarifier, dédramatiser et relativiser les représentations qu’on se fait d’un événement potentiellement traumatique. Oui, elle est accessible pour tous, mais cela va dépendre pour chacun des représentations qu’il se fait de l’événement. Et l’aspect thérapeutique portera sur ces conditions faussement dramatisées ou irrationnelles chez les plus anxieux. Dans les récits de résilience que vous allez découvrir ci-après, les personnes m’ont raconté comment elles ont dû puiser au fond d’elles- mêmes des ressources latentes, parfois insoupçonnées, pour surmonter une épreuve qui leur ont permis de transformer l’obstacle en tremplin, la fragilité en une force. 3 Rosen Hicher est une ancienne prostituée . La résilience lui a permis d’apprendre à vivre, sans haine, avec les personnes qui l’ont violentée, violée et consommée comme elle le dit avec ses mots. Elle n’a jamais ruminé sur son passé. Après de grands moments passés à réfléchir, l’ancienne victime de la prostitution a fait ce constat : il faut laisser son passé derrière soi et s’en servir pour créer un nouveau monde, combattre toute forme de violences, vivre chaque jour et aimer son futur. Pour elle, la haine nous empêche d’avancer. Aujourd’hui, elle se sert de son passé pour mener des actions afin de sensibiliser le public à la question de l’exploitation sexuelle. En 2014, Rosen a fait une marche pour l’abolition de la prostitution, elle est partie de Saintes (Charente-Maritime), un sac sur le dos en direction de Paris où elle a terminé son parcours dans un quartier chic de la capitale. Elle a parcouru 800 km de bitume, d’un pas de marathonienne, la cigarette au bec et le téléphone collé à l’oreille. Son tracé ne doit rien au hasard. « Je me suis prostituée, pour la première fois, rue du Colisée à Paris, en mars 1988, dans un bar à hôtesses, avec un inspecteur des impôts qui m’a donné 700 francs », raconte-t-elle. « Saintes, c’est la dernière ville où je me suis prostituée, avant d’arrêter. » Elle a vécu vingt- deux ans de violences sexuelles, me dit-elle. De ceux et celles qui disent avoir choisi la prostitution, elle pense que ce sont avant tout des victimes, soit de réseaux, soit de leur passé. Elle a trouvé sa résilience dans cette action de lutte contre la prostitution. « Je pense aux petites filles qui sont en train de naître et qui ne doivent pas être vendues ou avoir recours à la prostitution pour l’argent facile », conclut-elle. Ce témoignage montre bien qu’une personne qui est passée par une situation extrême en éprouve certes les stigmates, mais en est, ou peut en être, en même temps transformée. Des situations extrêmes entraînent chez la plupart des personnes un véritable changement de personnalité, une métamorphose intérieure. Il peut y avoir un blindage émotionnel et un repli sur soi ou, à l’inverse, certains s’inscrivent dans une démarche optimiste, en particulier chez les personnes atteintes de maladie grave. Les personnes qui ont été touchées par des maladies graves prêtent moins d’attention aux petits tracas de la vie, relativisent les choses et adoptent aussi une autre philosophie de l’existence. Comme le témoigne Aurélien Greff qui, à 28 ans, a connu une rechute 4 cancéreuse et un traitement lourd de 12 chimiothérapies . Il est convaincu que la résilience n’est pas de résister à l’épreuve, mais de s’adapter et l’accepter. C’est d’apprendre que même dans l’obscurité, il faut rester focalisé sur la lumière. Pour Aurélien, cette vision lui offre la perspective de ne pas être dans le déni de l’épreuve traversée, mais elle a été utile pour sa construction et sa reconstruction. Pour lui, la résilience, c’est finalement apprendre à faire d’une faiblesse une force. Les personnes qui ont traversé une longue maladie comme Aurélien soulignent généralement que se sentir aimé par ses proches constitue un soutien essentiel. Une dame qui a été soudainement touchée par un cancer m’explique que son mari et ses enfants sont très près d’elle. L’amour qu’ils lui donnent est un don inestimable et lui permet de tenir alors que les médecins pensaient qu’elle aurait dû mourir deux ans plus tôt. La résilience prend forme de façon différente en fonction des individus. Pour Ana Piévic, comédienne, c’est un refuge, c’est ce qu’il lui a permis 5 comédienne un travail de tous les jours sur elle, afin d’essayer de trouver du positif dans son quotidien. Le refuge que décrit Ana a été celui de Séverine 6 d’agir de toutes ses forces dans l’épreuve . La résilience est pour la Servat de Rugy , épouse de l’ancien ministre François de Rugy, lorsque l’affaire dite « des homards7 » a éclaté. La journaliste s’est sentie dépossédée à la fois de son histoire et de son image. « Je sais que l’absence d’informations réelles est la source de fantasmes. On ne sait pas donc on invente, on imagine. À cet instant, n’étant pas la première visée, je ne pouvais que me taire pour laisser parler le premier rôle de cette séquence, c’est-à-dire François de Rugy. Mais du coup, condamnée au mutisme, j’ai coupé tous les réseaux sociaux, j’ai complètement décroché de l’actualité afin de me protéger mentalement. De ne pas soumettre ma valeur à des appréciations extérieures aléatoires. C’est ce paravent, cette faculté de recul et la sorte de froideur résignée avec laquelle j’ai abordé l’épisode qui m’a évité de me sentir ensevelie et de sombrer », me confie-t-elle. C’est ce qui lui a permis de survivre à un lynchage sur les réseaux sociaux, où elle s’est placée au-dessus de l’évènement médiatique, comme si elle en était spectatrice pour voir la portée de cette affaire dans le temps, son caractère anecdotique et cacophonique en l’occurrence. Ensuite Séverine a écrit un livre, La marche du crabe, qui lui a permis de balayer ce qui aurait pu se transformer en chagrin, rancœur, ou aigreur. « J’ai fait ce travail de long terme, je me suis nettoyée de la boue qui avait coulé. Je crois qu’une part de la résilience consiste à faire sortir un récit vrai comme on le voit régulièrement à travers certains ouvrages. Mais aussi à faire la différence entre ce qui peut devenir son personnage, actionné par d’autres comme une marionnette, et soi », conclut Séverine qui décrit cette période de sa vie comme lourde et difficile, mais dont elle est sortie plus forte. 8 Pour Caroline Langlade , qui a été victime de l’attentat du 13 novembre 2015, alors qu’elle était venue assister au concert du groupe Eagles of Death Metal au Bataclan avec son compagnon, la soirée a basculé dans l’horreur. Pris en étaux entre deux terroristes armés au balcon de la salle de spectacle où ils se tenaient, et un terroriste armé devant l’issue de secours qu’ils voulaient emprunter, ils n’ont pas eu d’autre choix que de se réfugier dans une loge où ils resteront séquestrés trois heures trente avec une quarantaine d’autres personnes. De cette soirée, au-delà de l’horreur des sons et des images, de la peur viscérale, il reste aujourd’hui un lien fort avec la quarantaine d’otages de cette loge de sept mètres carrés. Chacun était mort de peur, devant affronter l’angoisse de sa propre mort certaine ; ils sont aujourd’hui devenus un groupe, une équipe car face à la haine, ils ne formaient plus qu’un. « Après avoir rassuré ma voisine, j’ai demandé aux gens autour de moi de s’occuper des personnes à côté d’eux. Puis chacun d’entre nous, comme une vague, a pris en charge son voisin, oubliant sa propre peur et sa propre souffrance pour accueillir celle de l’autre. Je reste intimement persuadée que c’est cette force qui nous a sauvés ce soir-là. Je me souviens également avoir ressenti une profonde tristesse pour les terroristes. Ces jeunes de notre âge, de notre pays, de notre culture, qui avaient basculé dans une haine profonde dont ils n’avaient pu revenir et que je n’arrivais pas à expliquer. Pourquoi nous ? Pourquoi eux ? Ces deux questions continuent aujourd’hui de me hanter », me confie-t-elle. Caroline a cofondé l’association Life for Paris avec Maureen Roussel, également rescapée du Bataclan, à partir d’une force collective qu’ils ont trouvé entre survivants, qui les a portés dès les premiers instants et qui n’a jamais failli tout au long de leur engagement. « Nous avons accueilli les personnes victimes de l’attentat, chaque jour, pendant deux ans, soulageant leur souffrance collectivement. En devenant nombre, nous devenions plus forts pour dépasser cette terrible horreur qui s’était abattue sur nous », m’explique Caroline, de l’action de Life for Paris. Pour chacune des victimes, le travail était le même : leur faire accepter leur statut de victime, les guider sur le chemin de leurs droits dont celui d’être protégées dans l’après, leur permettre d’obtenir réparation.