Notions de Critique Historique PDF
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This document provides an overview of historical critique. The document covers various aspects of historical analysis, including sources, methods of critique, and theories in historical study.
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lOMoARcPSD|18187235 Notions de critique historique Critique historique (Université de Liège) Scan to open on Studocu Studocu is not sponsored or endorsed by any college or university Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Notions de critique historique Informations...
lOMoARcPSD|18187235 Notions de critique historique Critique historique (Université de Liège) Scan to open on Studocu Studocu is not sponsored or endorsed by any college or university Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Notions de critique historique Informations pratiques________________________________________________________3 Introduction_________________________________________________________________3 Chapitre 1 : L’histoire-connaissance______________________________________________6 Le soucis du passé_________________________________________________________________6 Supports d’écriture______________________________________________________________________6 Les annales__________________________________________________________________________6 Les généalogies______________________________________________________________________6 Les codes juridiques___________________________________________________________________7 Le discours religieux___________________________________________________________________7 Les récits littéraires___________________________________________________________________7 Les mythes__________________________________________________________________________7 L’histoire-connaissance_____________________________________________________________8 Le 5e siècle BCN_________________________________________________________________________8 Le père fondateur de l’histoire-connaissance_________________________________________________9 Le successeur_________________________________________________________________________10 Chapitre 2 : Les visions du temps_______________________________________________12 Vision linéaire du temps___________________________________________________________12 La vision d’aujourd’hui____________________________________________________________12 Chapitre 3 : La procédure de la critique historique_________________________________14 La Renaissance__________________________________________________________________14 Les sources_____________________________________________________________________15 L’heuristique__________________________________________________________________________15 Les catégories de sources__________________________________________________________15 Les sources écrites_____________________________________________________________________15 Les sources diplomatiques_____________________________________________________________15 Les sources narratives________________________________________________________________16 Les sources figurées____________________________________________________________________16 Les sources matérielles__________________________________________________________________17 Les sources orales et audiovisuelles________________________________________________________17 La conservation des sources________________________________________________________18 Historique de la conservation des archives__________________________________________________19 L’état des sources______________________________________________________________________20 Troisième étape : la critique___________________________________________________22 La critique externe_______________________________________________________________22 La critique interne________________________________________________________________23 La critique d’interprétation______________________________________________________________24 La critique de compétence_______________________________________________________________25 La critique de sincérité__________________________________________________________________26 La critique d’exactitude_________________________________________________________________26 La comparaison des témoignages_________________________________________________________27 La tentation de l’hypercritique____________________________________________________________27 1 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 L’argument du silence___________________________________________________________________28 Les degrés de certitude___________________________________________________________29 En sciences exactes_____________________________________________________________________29 En sciences humaines___________________________________________________________________29 L’herméneutique____________________________________________________________31 La signification en histoire_________________________________________________________31 La causalité en histoire____________________________________________________________31 Les théories du soupçon___________________________________________________________32 Le marxisme__________________________________________________________________________32 Le freudisme__________________________________________________________________________33 Le structuralisme______________________________________________________________________33 Les dangers des théories du soupçon______________________________________________________34 L’effet de mode_____________________________________________________________________34 Le principe d’une grille de lecture_______________________________________________________34 La violence des documents____________________________________________________________34 Le positivisme___________________________________________________________________34 Les appendices de la critique historique______________________________________________35 Les questions de l’historien______________________________________________________________35 Les concepts de l’historien_______________________________________________________________36 L’historien à l’âge d’Internet___________________________________________________37 2 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Informations pratiques - - Examen écrit qui a lieu au début de la session, aux alentours du 19/20 mai Lecture obligatoire : Historien à l’âge numérique, Philippe Rygiel, Presses de l’ENSSIB : attention à l’introduction générale, on laisse tomber chapitre 1 et 2, on retient le chapitre 3 « les sources de l’historien à l’heure d’Internet », pas le chapitre 4, pas le chapitre 5, par contre le chapitre 6 oui, chapitre 7 oui, chapitre 8 oui, chapitre 9 oui, pas le chapitre 10, chapitre 11 oui, chapitre 12 oui, et le chapitre 13 oui. Lectures recommandées : 1) Critique historique, L-E Alkin. 2) Histoire et historien Introduction Comment une procédure de réflexion s’est mise en place et qu’est-ce que cette procédure ? Cette procédure a une histoire, cette manière de penser a une histoire. D’autant plus qu’elle est liée à la raison humaine, qui a aussi une histoire. Nous allons parcourir le temps, de l’antiquité à nos jours : quand la critique historique est apparue ? quand l’a-t-on perfectionnée ? Nous irons dans des directions très variées, y compris dans des réflexions sur le temps, vu que la critique historique table sur des choses qui ont disparu. Peu de disciplines scientifiques portent sur des choses disparues. Nous verrons dans l’introduction les conséquences. On ne nait pas avec l’esprit critique. Il ne fait pas partie, chez l’homme, de quelque chose préalable à l’éducation, ce n’est pas donné à la naissance. Spontanément, l’homme croit ce qu’on lui dit, d’autant plus vivement que ce qui lui est dit est dit par une autorité, qu’il reconnait, que ce soit au sein d’une cellule familiale ou d’un état. La tendance est de croire les affirmations d’une autorité et de les croire, digérer, assimiler. Cette assimilation des affirmations est extrêmement profonde et devient profondément intime, mais si elle contredit les informations, elle n’en reste pas moins adoptée. Les propres observations faite par nos sens ont/peuvent avoir moins de pertinence à nos yeux que les observations d’une autorité. C’est là que se situe la normalité de l’essence humaine. On peut construire des éléments historiques sur autre chose que des observations rationnelles. L’esprit critique est un petit moment historique de l’histoire de l’humanité. Nous en sommes les héritiers. « L’instinct naturel de l’homme face à l’eau est de se noyer ». Pour nager, il faut un apprentissage, une nouvelle coordination des moments quand on est plongé dans ce nouvel univers. L’image est parlante parce que l’esprit critique, l’esprit rationnel est le fruit d’un apprentissage et n’est pas donné à la naissance. L’habitude de la critique n’est pas naturelle, elle doit être appliquée. Dans ces deux citations, penser avec son esprit critique, c’est remonter un courant. Notre culture est rationaliste. L’arbre ne doit pas cacher la forêt, on peut bâtir le monde sur l’irrationnel. C’est pourquoi ce cours a essayé de pister la manière dont les hommes, avec la critique historique, ont appris à raisonner et en quoi c’est une procédure à apprendre. Une procédure, c’est un cheminement avec des étapes, qui ne sont pas interchangeables. Elles doivent être franchies pour arriver à l’affranchissement de l’étape suivante. 3 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Qui dit procédure, qui dit étapes à franchir, peut très bien faire référence à une sorte de processus rituel, plutôt des rituels à un processus initiatique. Il y a quand même quelque chose d’indispensable dans tout cours, c’est la définition de son essence principale : la critique historique. La critique historique, c’est l’art de discerner le vrai du faux en histoire. Evidemment, plus une définition est courte, plus chaque mot pèse lourd. Concernant le mot « histoire », il désigne en français des choses différentes. La discipline historique qui étudie ce qui s’est passé dans le passé s’appelle aussi « histoire ». L’objet d’étude porte le même nom que la discipline qui étudie cet objet. L’histoire concerne donc le passé, mais ce mot se décline aussi au présent, voir à l’avenir. Il y a une homophonie sur le mot « histoire ». Il désigne le savoir humain, certes, mais on l’utilise aussi pour « raconter des histoires aux enfants ». On est face à des connotations, des définitions extrêmement variées. Il s’agit de préciser les choses. Ce qui est certain, c’est que, dans sa formulation, l’histoire est un récit narratif. Bien entendu, nous allons évoluer par rapport à une discipline « histoire », sur l’histoire du passé, sur ce que nous pouvons en savoir. Quand on parle d’histoire, de ce que les hommes ont fait, on est obligé d’inventer des mots pour distinguer les choses, car il y a ce que les hommes ont vraiment fait, l’histoire-réalité, inaccessible puisque le passé est mort, et la connaissance, que nous pouvons avoir via des parcelles du passé, l’histoire-connaissance, parcellaire. Le terrain de jeu de l’histoire, c’est l’histoire-connaissance. Que vaut une discipline, quelle est sa raison d’être ? Pourquoi la vie ? Le passé est mort et inaccessible, pourquoi ce fossé ? On ne peut offrir qu’une reconstruction de ce passé parcellaire par les sources. Le récit, par définition, a des règles qui conditionnent les limites de ce récit. Qu’est-ce que l’histoire des hommes ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Nous avons une culture historique qui contribue à nourrir un imaginaire qui nous permet de voyager dans le temps avec la culture que ça nous a donné. Certains moments de l’histoire sont plus importants que d’autres. Concernant le mot « art », c’est un mot intéressant parce qu’on n’a pas parlé de discipline, mais d’art. On parle d’art de la médecine, en dépit des formidables avancées, et les médecins revendiquent la médecine comme un art. Il a donc plusieurs définitions pour le mot art. Tout est homophonie ! Le mot art est partisan du mot « artisan », d’un savoir-faire, d’outils, de ressources. L’art de discerner le vrai du faux est donc fait de finesse, d’habilité, et d’outillage. L’outil, c’est la raison ; qui n’est pas donnée à la naissance et que l’on doit pratiquer sans cesse, comme la danse. On perd la substance si la pratique n’est pas maintenue. Le raisonnement critique doit être maintenu tout le temps, sinon il s’effiloche. Surgit alors la pensée magique, la pensée irrationnelle. Concernant le mot « discerner », c’est un mot complexe. Cela veut dire « regarder de façon à séparer les choses ». On discerne une biche dans la forêt, sans se soucier donc des arbres, des plantes ; on sépare la biche de son contexte. On sépare pour mieux regarder ce qu’on regarde. On peut séparer des choses quand elles ne se ressemblent pas, quand on ne peut pas les confondre. On peut séparer des billes blanches de billes noires, seulement le paradoxe c’est que si je sépare des choses qui ne se confondent pas, pour que ma comparaison ait du sens, et que la séparation aussi, il faut en réalité une ressemblance entre les choses. Si je sépare des billes blanches de billes noires, cela fait sens car les deux sont des billes. On ne sépare pas les choses qui n’ont pas de ressemblance parce que cela n’a pas de sens. On ne sépare pas des 4 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 poules et des escalators, parce que cela n’a pas de sens. Le discernement implique de séparer uniquement des choses qui se ressemblent. L’acte de séparation est inséparable d’un acte de rassemblement. Dans ce sens de discerner, c’est porter un jugement, sur ce qui est vrai et faux. Il y a un nœud de complexité sur la question du vrai et du faux. L’opération de discernement est donc une opération de jugement. Le mot « jugement » a aussi plusieurs implications. Tout est homophonie ! C’est un concept ; ce mot représente une idée générale abstraite, qui ne renvoie pas à une image particulière. Le concept n’est pas la simple représentation de ce qu’il désigne. Pour désigner un réveil, on pense au concept de réveil, qui vient rappeler toutes les sortes de réveils. On identifie tous les réveils, ce qui fait que cette opération de discernement, c’est une opération qui pose à savoir ce qu’est la connaissance, quelles sont les limites à cette expression. Nous aurons des questionnements de rapports épistémologiques, sur le rapport entre la connaissance et la réalité, chose d’autant plus compliquée que le passé est mort. Qu’est-ce que connaitre ? C’est une question sous-jacente à ce cours. Le discours rationnel n’est pas humble. La critique historique amène à une interrogation sur la nature de la connaissance et sur l’établissement de notre lien avec la connaissance. Et cela vaut pour n’importe quelle discipline. Nous sommes tous des animaux temporels. Saint-Augustin, au 5e siècle, disait : « le temps, je le sens, mais je ne peux pas le définir ». Il y a des définitions du temps, et des équations, il n’empêche que nous sommes dans quelque chose d’insaisissable. On peut rester ignorant de l’histoire-connaissance, mais quoi qu’on fasse, on est dépendant du passé. L’ensemble de nos actes posés nous échappe, même si on a toujours le libre-arbitre. En attendant, dans nos actes on sollicite des actions du passé dont nous n’avons pas eu de rôle. Il y a un empire invisible du passé qui détermine notre existence. Notre mémoire est pleinement constitutive de notre état présent. Nous sommes des animaux temporels, mais nous pouvons anticiper : organiser une chasse pour se nourrir. C’est avec tâtonnement que nous sommes devenus homo sapiens. 5 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Chapitre 1 : L’histoire-connaissance Les mathématiques ont-elles été inventées aux découvertes ? Ce question est vertigineuse et la réponse n’a pas encore été trouvée. La matrice des mathématiques est une question non résolue. Quand est apparue l’histoire-connaissance ? L’histoire connaissance c’est le discours de l’historien qui est l’aboutissement de l’analyse des sources, interprétées, dans le cadre de la procédure de la critique historique. Quand est-ce que cette forme d’histoire est apparue ? Pour une fois, on peut situer cette apparition. Elle est apparue en Grèce au 5e siècle BCN. Avant d’aborder le contexte dans lequel l’histoire-connaissance apparait, il est bon de se demander s’il n’y avait pas de discours historique avant. Il faut donc faire la distinction entre l’histoire connaissance et le soucis du passé. Le soucis du passé, c’est se soucier de ce qui s’est passé. Avant le 5e siècle, on trouve trace de ce soucis en fonction des sources disponibles. Dans ces sociétés d’écriture, elles ont laissé des traces, et dans ces traces, on peut percevoir déjà un soucis du passé. Le soucis du passé Il y a une forme de tragédie dans le soucis du passé, c’est que les sociétés qui n’ont pas construit une écriture sont dissimulées dans le passé, à nos yeux. Cette dissimulation, quand elle n’est pas prise en considération, conduit à une forme d’erreur de perspective. Les sociétés sans écriture, puisqu’on n’en a pas accès, n’auraient pas d’histoire ; ce qui est faux. Il y a donc le miroir déformant des sources, qui est omniprésent dans l’examen du passé. Les sociétés d’écriture restent dans l’ombre et plus on remonte dans le temps moins on a de traces. Cela donne un effet d’hyperactivité des hommes dans les places temporelles proches des nôtres. C’est une illusion dont on doit avoir conscience et qu’il est difficile à combattre. La peinture préhistorique, les scènes de chasse, témoigne d’un soucis du passé, de la temporalité. A ce moment-là, la relation au temps fait partie des caractéristiques proprement humaines. Supports d’écriture Les annales On parlera des annales, rédigées par les logographes. Les annales ce sont des mentions d’évènements ; des listes d’évènements : la naissance d’un futur roi, un cataclysme, une mauvaise récolte, une guerre, etc. Donc une liste d’événements de faits divers, présentés dans les annales sans liens entre eux. On les trouve dans toutes les sociétés d’écriture et cela fait partie du soucis du passé. Il n’y a pas plus que la mention de ces faits divers. Les généalogies On trouve des généalogies dans les sociétés d’écriture, et majoritairement concernant les familles régnantes, par soucis de filiation, constitutif du pouvoir aristocratique. Il y avait déjà un soucis de base : pouvoir remonter assez loin dans le temps pour remonter à des liens ancestraux, comme si le temps légitimait l’exercice du pouvoir. Dans ce cas, les généalogistes opéraient des arrangements bien pensés entre leurs intérêts et ceux du souverain. 6 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 C’est pourquoi l’idéal était de remonter à une ascendance divine ou semi-divine. Il n’y a pas autre chose dans les présentations généalogiques que des mentions de nom avec des supports datés. Les codes juridiques Toutes sociétés organisées se munissent de codes, de lois. Ces principes codifiés sont mélangés à des rites, mélangés au passé, pour légitimer les lois en cours. Au sein de ces codes, il y a une référence à quelque chose de plus lointain dans le passé. Les rédacteurs de ces codes sont animés de ces soucis du passé. Le discours religieux On en trouve des traces écrites parfois très lointaines. Dans ces récits, il y a la manifestation d’un soucis du passé. Dans l’Ancien Testament, on a un récit narratif qui raconte des évènements. C’est tellement un récit narratif qu’on en a tiré des scénarios de films. On a des personnages de chaires et d’os dans des situations du passé. Ce n’est cependant pas de l’histoire-connaissance parce que le discours religieux dans cette perspective a pour objectif premier la diffusion d’une foi. On essaie d’exposer les points de vue religieux, à travers des récits. On essaie de montrer les rapports entre l’homme et Dieu. Ces déclinaisons-là, on les retrouve aussi d’ailleurs dans la volonté de transmettre un message religieux qui détermine la rédaction de ces supports. Les récits littéraires La poésie, qui est l’une des premières formes d’expression dont on a la trace écrite, le théâtre, les genres en vogue à l’Antiquité et dans tous les peuples : l’éloge ; pour saluer un roi, un héros, un empereur. Il y a aussi l’exécration : noircir un ennemi. On est dans l’ordre de la rhétorique. Que l’on fasse l’éloge ou l’exécration, le récit n’est pas prioritaire, ce qui est prioritaire, c’est la mise en valeur ou non de la personne. Les mythes Les mythes témoignent du passé parce que généralement le mythe remonte dans un passé intemporel. Le mythe est hors du temps en étant dans un passé lointain ; une sorte de passé originaire. Sisyphe qui monte sa pierre au sommet, se situe dans un passé indéterminé et est intemporel également, tellement qu’il nous parle encore. Il nous parle tellement que dans la deuxième moitié du deuxième siècle, Albert Camus peut appeler son livre Le mythe de Sisyphe. L’éditeur doit produire un titre qui parle. Un réalisateur qui appelle son film I comme Icare doit faire un sorte que le titre parle à son destinataire. Icare et Sisyphe se situe dans un passé hors du temps, mais leurs récits servent toujours à délivrer un message ; ils continuent à être des modèles. C’est dommage que le mot mythe fasse parti des mots cabossés par l’histoire. Le mot mythe est négatif en général, il désigne quelque chose auquel il ne faut pas accorder d’intérêt car il est faux. Dans l’antiquité, il occupe tout l’univers culturel. Ils sont indispensables à la gouvernance de la société. Les mythes consolidaient les modèle sociaux, politiques des sociétés, et donc les stratifications sociales de ces modèles. Leurs rôles étaient donc indispensable dans ces 7 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 sociétés dominantes. Ce rôle avait une fonction intemporelle, en parlant de chose hors du temps, qui ne sont pas datées. On est loin dans le temps, mais leurs morales sont toujours applicables. Ce sont les mythes qui vont conditionner les modèles de penser des sociétés. Ce qui distingue le mythe de la légende, c’est que la légende a une petite vérité historique. Roland à Roncevaux est une légende. L’arrière-fond de l’histoire est réalité : Charlemagne s’est bien fait attaqué dans les Pyrénées. Ce n’est pas la réalité qui est mis en exergue, mais plutôt ce qui n’est pas vrai. Les légendes peuvent être divertissantes, elles peuvent tisser comme récit une relation où il y a un peu d’humour. Aucun mythe n’est rigolo, il y a parfois de l’humour dans les légendes. L’histoire-connaissance Le fait que l’histoire-connaissance soit située dans le temps renforce l’idée que notre manière de faire l’histoire est une production culturelle spécifique dans l’histoire, qui est historisée. Ce n’est pas quelque chose qui est universel en soi, ou donné à la naissance. Il y a une manière de donner l’histoire dont nous sommes les héritiers. La naissance de l’histoireconnaissance est une question de contexte : celui du 5e siècle BCN en Grèce. Le 5e siècle BCN Ce siècle, des historiens ont été tellement surpris de ce qu’il ont découvert, qu’il l’ont appelé le miracle grec. Le mot miracle renvoie à un vocable religieux, mais ils l’utilisent parce qu’ils n’ont pas d’autre mot. Il se passe des choses surprenantes dans ce 5e siècle, car elles se passent en même temps et constituent un tournant dans la pensée humaine. On constate l’émergence sous toutes ses formes de la rationalité. La raison est une caractéristique des hommes, au demeurant de tous les hommes. Alexandre le Grand, par ses conquêtes et la mise en commun de sociétés très diverses, va néanmoins constater qu’il y a plus de choses qui rapprochent les hommes plutôt qui les séparent. Le 5e siècle, c’est l’émergence de la rationalité, et donc l’émergence des sciences exactes. En médecine, en physique, en mathématique, etc. il y a des avancées incroyables. C’est aussi l’essor de la rationalité dans la philosophie, avec Socrate, qui a eu pour disciple Platon, qui a eu pour disciple Aristote. Socrate ramène la philosophie sur Terre en ramenant une morale, une conduite. Pour construire cette morale individuelle, Socrate se fie à ce qui est observable ; c’est quelqu’un qui est complétement intégré à la racine de ce rationalisme. C’est aussi à cette époque que se constitue l’émergence de la police, de la politique, le sentiment de l’état, et de la participation à l’exercice de l’état. C’est hallucinant à l’époque pour ces hommes qui n’ont connu que deux choses depuis des millénaires : la tribut ou l’autocratie. Les grecs se disent que le dessein de la cité est collectif, et ils construisent des institutions où la notion de représentation apparait, avec une idée qui est que la somme des citoyens est supérieure aux citoyens pris individuellement. Leur ensemble constitue plus que leur individualité. Ils sont emmenés dans un rouage où ils ont prise et non prise, avec l’idée que l’exercice de la politique est perfectible. Le citoyen sait qu’il est imparfait, l’autocrate pense qu’il est parfait. Entre les deux, il y a un univers politique. Il y a donc des prédispositions naturelles pour comprendre l’apparition de l’histoire-connaissance. 8 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Le père fondateur de l’histoire-connaissance C’est Cicéron qui l’a appelé « le père de l’histoire », c’est Hérodote. Il est né en 484 BCN et mort en 425. Il est né en Asie mineure et est contemporain des guerres médiques, entre la Perse et la Grèce, et qui se sont achevé en 479. Il est contemporain mais pas acteur, car il n’avait que 5 ans. C’est un contemporain de Socrate et pendant qu’il donnait ses leçons à Athènes, on édifiait le Parthénon. Ce personnage s’intéresse aux guerres médiques parce qu’il veut, dit-il, « empêcher que tombe dans l’oubli les grands exploits accomplis par les grecs et les barbares ». Il a l’idée que si on ne raconte pas ces guerres médiques, elles vont tomber dans l’oubli, fosse qui aspire le passé. Il va entreprendre le récit de ce qu’il s’est passé en Perse et en Grèce entre 490 et 479. Ce qu’il fait, c’est que son récit commence au début du règne du souverain Cyrus, et le début de ce règne date de 549. Le récit ne commence pas en 490, mais avant. Il a conscience de la nécessité de mettre un contexte, de prendre de la distance et d’incérer le conflit dans quelque chose de plus vaste. Il va concevoir la rédaction de ce récit comme étant la conclusion d’une enquête. Il va mener une enquête, et va essayer de trouver un mot pour définir celui qui mène l’enquête, et c’est là qu’il va inventer un mot qui n’existait pas avant : *histor : celui qui mène l’enquête. Inventer ce mot, c’est inventer une fonction sociale, qui signifie qu’elle n’existait pas, mais qui se position en face de fonctions sociales qui existaient. L’histor se positionne, pas contre, mais en face de l’aède ; le poète qui dispense à ses contemporains le kleos ; le conteur. L’aède est un conteur qui dispense le kleos, qui chante les héros. En inventant histor, Hérodote veut autre chose que ce qui se passait là. Mener l’enquête, c’est-à-dire aller voir, parcourir les lieux du conflit et accorder une confiance à deux choses : l’opsis et à l’acoé. L’opsis fait penser irrésistiblement à l’optique ; c’est le fait d’aller voir. L’acoé fait penser à l’acoustique ; c’est le fait d’écouter. Hérodote dit qu’il faut faire confiance à ses sens pour collecter des témoignages. C’est par fascination pour ces guerres qu’Hérodote les choisi, mais il choisit un objet accessible dans le temps ; il y a encore des sources, des témoins. Il sait qu’il ne peut faire autre chose que de l’histoire contemporaine. Avant Hérodote, il n’y a pas de connaissance de la culture historique, hormis les mythes et les légendes. C’est un pionnier. Hérodote prenait un chapitre de son récit des guerres médiques et les lisait. Hérodote produit un récit explicatif du passé. Hérodote se distingue des autres et dans cette distinction, une nouvelle narration apparait. Hérodote veut comprendre les guerres ludiques par les causes des événements. Il introduit cette notion de causalité. Il réfléchit aux causes des événements en n’essayant pas de dégager une cause première aux événements. En parlant de cause première, on parle de cause divine. C’est révolutionnaire. Hérodote ne fait pas intervenir les dieux dans les affaires des hommes. On est à l’autre bout de Homère. Homère c’est les champs de la poésie, Hérodote le territoire de l’historien. Quelque chose s’est passé. Il y a un saut qualitatif dans la manière dont cela s’est produit. Selon Hérodote, les choses auraient pu se passer autrement. Les perses auraient pu gagner la guerre. C’est inouï car Hérodote se met contre le destin, et le renie en quelque sorte. 9 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Les événements se produisent mais auraient pu être différents. Ce sont les hommes qui font l’histoire. Hérodote n’est pas un athée, mais il est dans sa discipline. Evidemment Hérodote reste un homme de son temps. Il présente les choses comme un événement absolument fondamental de l’histoire des grecs. C’est vrai, mais il n’est pas dans la capacité intellectuelle de prendre le recul de se demander que valent les guerres médiques aux yeux des perses. La Perse est immense, et il y a moins d’investissement en termes de référence chez les perses. Hérodote n’est pas encore en mesure d’ajouter de la relativité dans les événements qu’il raconte. Cet événement est fondamental pour lui et les grecs, mais peutêtre pas pour les perses. Au départ de toute activité historienne, il y a un choix subjectif. C’est un paradoxe, car même motivé d’une volonté objective, le premier choix de l’historien est subjectif. Que fait Hérodote quand il choisit de parler des guerres médiques ? Il extrait du temps une série de faits et d’acteurs. Il arrache le tissu du temps, ou le déforme. L’histoireconnaissance est une déformation du tissu du temps, mais s’il n’y avait pas ces extraction, l’histoire serait un tissu plat, une soupe avec un bouillon d’événements. Pour donner de l’intelligibilité au passé, on est obligé de le violenter en déformant le tissu du temps par les extraits que sont les sujets étudiés par les historiens. C’est aussi une des leçons d’Hérodote. L’histoire-connaissance procède une démarche objective qui est une enquête qui a pour origine un choix subjectif de l’historien, même si ce choix est argumenté. Un choix dans le tissu du temps dont on en déforme la forme, mais si on ne le faisait pas, le tissu du passé serait inintelligible. Bien entendu, à partir du moment où on fait un choix et on en extrait quelque chose, on lui donne du sens. Pour revenir à Hérodote lui-même, l’apparition de l’histor est absolument contemporaine de l’identité citoyenne naissante. Cette conscience politique rend possible un basculement. Le basculement de l’homérique vers le pragmatique, le territoire de l’historien. On passe par rapport au passé, d’un discours d’essence épique à un discours d’essence politique, car l’histoire-connaissance est en réalité d’essence politique. Le passage d’Homère à Hérodote entraine une sécularisation de la vision du passé. C’est pour cela que les dieux quittent les événements que les hommes assument. Hérodote s’interroge sur les causes des guerres médiques et va mettre en exergue une opposition binaire entre deux modèles politiques : le modèle de la diké, qui est la mesure. C’est le modèle adopté par les cités grecques où règne la loi commune comme fondement de l’état démocratique. Le système démocratique postule la mesure, par opposition à la démesure, qui est l’hubris. C’est la démesure du régime autocratique, dans lequel domine le bon vouloir du despote. Le despote vit dans la démesure, le citoyen dans la mesure. La source de la victoire, c’est aussi la victoire d’un modèle sur un autre. Hérodote ne fait pas intervenir les dieux, mais il ne fait qu’opposer deux régimes politiques. Il ne va pas chercher des dimensions extrapolitiques (raciales, psychiques, etc.), il se contente d’expliquer à travers l’analyse des modèles politiques en confrontation. Hérodote est donc aussi un politologue, il est précoce. Le successeur Le successeur direct d’Hérodote est Thucydide. Il est aussi historien, et intéressé par une autre guerre, celle du Péloponnèse, qui marque le déclin d’Athènes. Il a eu un rôle dans la guerre, il 10 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 était général. Comme il était vaincu, il est contraint à l’exil. Dans cet exil, il va se poser la question de pourquoi est-ce qu’il a été battu. On a un acteur témoin qui prend du recul dans tous les sens du terme : l’exil, la défaite et la réflexion. Pour arriver à comprendre, il veut refaire la trame des événements auxquels il a participé. On se pose la question de savoir si un témoin-acteur peut réfléchir à cela. Il aurait pu écrire ses mémoires, ce qui est assez banal, mais ce n’est pas cette démarche là qu’il adopte. Il s’efforce de s’effacer le plus possible pour avoir une vue d’ensemble. Il adopte une analyse, comme s’il était extérieur à l’épisode. La démarche est vaine et impossible, mais cela reste significatif. C’est une dimension chez Thucydide qu’on ne trouve pas chez Hérodote car il n’était pas témoin des guerres médiques. Thucydide écrit cette guerre pour tirer leçon du passé. On a le bigbang d’une des fonctions principales de l’histoire et de l’historien dans les sociétés : tirer des leçons du passé. Cette culture de la pédagogie de l’histoire est dans notre environnement culturel, et Thucydide n’y est pas pour rien. Avec plus ou moins de bonheur, parce qu’on peut tirer des réflexions du passé. Aucun événement n’est le même, tous les événements sont singuliers : ils ne se répètent pas. L’histoire ne repasse jamais les plats, c’est une illusion, parce que les causes qui les font émerger sont innombrables et ce ne sont jamais les mêmes. On peut faire une approche comparative des événements du passé, mais l’histoire n’aide pas à prévoir, elle aide à mieux voir. Entre prévoir et mieux voir, il y a une proximité, mais une différence également. Il y a chez Thucydide cette volonté de donner des leçons. Il est aussi habité par cette envie de tout dire et par l’illusion que l’histoire peut être toute dite, qu’elle peut être totale. 11 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Chapitre 2 : Les visions du temps Vision linéaire du temps Un début, une fin, un dieu qui oriente l’histoire. Ce qui compte au Moyen âge c’est de trouver le sens des actions des hommes. Bossuet est très important. Providentialisme. Saint-Augustin, grand penseur, vit et assiste à un événement considérable en 410, qui est le sac de Rome, par le Barbare des Wisigoths, Alaric. En 410, c’est un traumatisme pour l’Empire romain, car les barbares ont réussi à entrer dans le cœur du cœur de l’empire. Rome saccagée par les barbares c’est traumatique pour les romains qui ont conquis le monde connu. Ce traumatisme amène la décadence de cet empire romain. Saint-Augustin est témoin de cet épisode et voudrait le restituer. Les valeurs chrétiennes sont antithétiques aux valeurs romaines. Malgré les efforts des empereurs pour éteindre le christianisme, il s’est diffusé, et surtout dans toutes les classes sociales romaines, jusque dans l’entourage de l’empereur. Arrivé à Constantin, il avait deux choix possibles : continuer à combattre le christianisme au risque de perdre le contrôle de son autorité dans ce combat, ou devenir chrétien lui-même pour contrôler le christianisme. Il choisira cette deuxième alternative. C’est une démarche très politique, car il va conduire à la reconnaissance du christianisme comme religion officielle de l’empire romain. C’est le début de la diffusion officielle du christianisme dans l’empire, avec ce que Saint-Augustin avait constater : la réussite de l’alliage entre l’idée chrétienne et l’idée impériale. Mais voilà qu’il y a 410, le sac des barbares dans Rome. Saint-Augustin comprend l’enjeux, car il y a toujours des païens à Rome, et s’exprime en disant que depuis que les romains sont devenus chrétiens, ils se sont affaibli. Ils sont davantage susceptible d’être des victimes, et c’est pourquoi Saint-Augustin réagit, en confiant à Orose un travail de documentation, et de rédaction qui veut montrer que les difficultés traversées par les empires, voir les chutes d’empires, sont bien antérieures au christianisme, et que bien des régions où le christianisme est bien implanté (comme Alexandrie) sont des villes florissantes. SaintAugustin répond aux accusations par une instrumentalisation du passé à son profit. Dans son argumentation générale, Saint-Augustin va développer le Providentialisme ; le théoriser. Il est celui qui va donner un corps théorique assez dense pour marquer son époque et celles qui vont suivre. Pour qu’un empire survive, il doit s’inscrire dans un schéma de l’histoire dessinée par Dieu ; on retombe dans une vision linéaire de l’histoire. On assiste à une laïcisation de l’histoire dans le siècle des lumières. Très rapidement, il faut comprendre que l’histoire n’a pas de sens, ce qui est une acceptation très rare, très moderne et très fragile. Au nom du progrès politique, des révolutions se mettront en marche, avec des exécutions d’opposants, au nom du progrès, il y aura des entreprises coloniales, pour apporter les progrès de la région ; pour faire avancer l’histoire. La vision d’aujourd’hui Nous avons toujours une vision du temps héritée des lumières. Au cours de ces 250 ans, des événements ont ébranlé le moteur de l’histoire. L’optimisme des Lumières c’est un confiance absolue dans les progrès de la raison, c’est un optimisme opératif ; ce n’est pas qu’un vague sentiment, c’est un optimisme opérationnel qui mobilise. 12 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 La raison n’entre pas à Auschwitz. Ceux qui ont construit Auschwitz ont revendiqué cette destruction de la raison. Il y aura toujours quelque chose d’inhérent à la raison lors de l’observation d’Auschwitz. Autre épisode qui ébranle la notion de progrès, c’est la bombe atomique. La bombe atomique, qui est réalisée dans le cadre qui projet Manhattan, qui est le plus grand rassemblement de scientifiques de l’histoire mis ensemble. C’est d’ailleurs le début de la Big science, exactement notre modèle scientifique actuel, avec des équipes gigantesques qui font avancer les connaissances. La fabrication de la bombe atomique a impressionné ses créateurs eux-mêmes. Et lorsqu’elle a été utilisée, Oppenheimer a dit qu’il était le « destructeur du monde ». Pour la première fois, une espèce vivante s’était donné les moyens de s’auto-détruire eux-mêmes et de tout détruire sur terre. La guerre froide va amplifier ce phénomène, puisque la destruction de toutes vies sur terre était possible. On ne désinvente jamais quelque chose ; l’humanité est condamnée à vivre avec l’épée de Damoclès, qui est la possibilité de destruction totale. C’est les scientifiques les plus pointus qui ont réussi ce tour de force. Enfin, on pourrait ajouter les grandes inquiétudes du jour concernant la manière dont nous consumons la planète, à la manière dont nous la rentabilisons au point de menacer ses ressources, et de menacer la vie. 13 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Chapitre 3 : La procédure de la critique historique La Renaissance La Renaissance est une époque entre le 15e et le 16e siècle, c’est aussi le début des Temps Modernes, et c’est aussi l’époque de la révolution marchande, la deuxième grande révolution de l’histoire européenne. La croissance démographique est liée au fait que les bébés meurent moins. Il y a moins de mortalités infantiles parce que les conditions sociales sont meilleures. Autour de l’an 1000, on assiste à ce double phénomène. Autour de l’an 1000 le commerce est réactivé, grâce au surplus agricoles. L’Europe qui était fermé sur elle-même depuis la fin de l’empire romain, s’ouvre et redevient offensif (d’où les croisades). La peste noire arrive aussi vers les années 1350 (un humain sur trois meurt ; la moitié des romains ; la peste touche toutes les classes sociales, c’est une punition). L’impact culturel a été considérable. Il y aurait tout une thématique à creuser sur la mort et sur l’humour à la mort. L’Europe est toute petite, mais c’est un continent où la mer est accessible partout, d’autant plus qu’il n’y a pas de frontières infranchissables. Le 15e, 16e siècle, c’est un moment de reprise après le dur 14e siècle, c’est un moment où les villes se développent et deviennent autonome politiquement (en Italie principalement), et où les états se développent avec des dynasties solides (Charles Quint en Espagne, Elizabeth en Angleterre, les Bourbon en France). Qui dit état, dit fonctionnement particulier, avec une domestication de l’aristocratie par les souverains. L’ennemi d’un roi ce n’est pas un peuple, mais les aristocrates ; le plus grand génie, c’est Louis XIV, parce que Versailles, c’est une prison dorée, il a fait venir les aristocrates chez lui et a développé l’étiquette pour qu’il y ait des conflits entre eux. Il y a aussi un développement des besoins, des épices, du luxe. De nouvelles routes commerciales pour aller chercher les épices et l’or amènent les européens à ouvrir de nouvelles voient maritimes, à explorer (les portugais qui font le tour du continent africain). Les européens s’exportent partout. Dans ce contexte en extension, il y a aussi des événements traumatiques en Europe, et en particulier la première grande rupture du christianisme, provoquée par le protestantisme en 1517, lorsque Luther initie la rupture avec Rome. Le christianisme se divise entre catholicisme et protestantisme. Il y aura d’énormes guerres de religion. C’est une période sanglante, qui contraste avec ce que l’on sait de la Renaissance : un essor artistique, qui démarre en Italie. Une des caractéristiques de la Renaissance, c’est la redécouverte de la pensée antique. Il va y avoir une fascination pour l’antiquité gréco-romaine. Ils parleront d’une renaissance après des temps sombres. La Renaissance ne rend pas justice au Moyen âge, parce que les manuscrits redécouverts viennent du Moyen âge, à travers les copieurs. L’accès vers l’Antiquité a été permis par le Moyen âge. Dans cette perspective de la Renaissance, dans ce rapport à l’Antiquité, il y a la dimension de la source qui prend beaucoup de place. Pour développer une passion pour une époque passée, il faut des sources. Pour redécouvrir les philosophes, les auteurs grecs et romains, il faut des sources. Il y a une catégorie professionnelle qui va s’intéresser à ces sources, ce sont les humanistes ; lettrés, parlant 14 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 hébreux, grec et latin, ils vont créer un réseau intellectuel international. C’est peut-être le premier réseau intellectuel international de l’histoire. Les humanistes, ce sont aussi des philologues, qui seront les bâtisseurs de la critique historique, plus que les historiens. Ils ont restauré des sources, des manuscrits, des copies, provenant de l’Antiquité. Ils ne travaillaient pas avec des matériaux nickels. Le tri était d’autant plus urgent qu’on venait d’inventer l’imprimerie. En matière de communication, il y a la révolution de l’imprimerie et la révolution de l’internet. Dans le chef des humanistes, on ne peut pas imprimer quelque chose qui n’est pas parfait. Ces humanistes qui sont fascinés par l’imprimerie ont une terreur naïve due à l’instrument nouveau, c’est que la faute faite se reproduira à l’infini. Avec les colonisations, il s’agira de savoir si les indiens ont une âme. S’ils en ont une, ils peuvent être chrétiens. Il y a la volonté de l’église d’être une religion universelle. Les papes décideront qu’ils ont une âme et qu’ils peuvent être baptisés, donc qu’ils ne peuvent être esclaves. Les conquistadores forcent pour qu’ils n’aient pas d’âmes. Charles Quint décidera que les indiens ont une âme, parce que des intellectuels catholiques dominicains faisaient du forcing sur lui. Les dominicains ont commencé à développer juridiquement l’idée d’un droit international ; l’idée que tout homme a des droits. Les humanistes ont développé l’idée que l’homme est libre et à droit au bonheur ; l’idée qu’on peut être heureux sur Terre et libre. Il y a forcément un renouveau optimiste à l’égard de ce qui fait l’homme, c’est-à-dire sa raison. Les sources Les sources, dès qu’elles apportent des informations sur le passé, doivent être analysées et critiquées. On peut analyser des excréments d’homme préhistorique séchés. Il y a une variété et une gamme de source très large. Comment les classer ? Il y a les documents écrits. On peut aussi classer les sources en deux groupes. Ce n’est pas le classement le plus fin. Les sources conscientes et les sources inconscientes. Les sources conscientes ce sont les traces du passé, fruit du comportement humain avec la volonté de laisser quelque chose de son action. Les sources inconscientes ce sont des traces laissées par les hommes dans un contexte où les hommes ne savent pas qu’ils allaient laisser des traces. L’heuristique C’est la recherche des sources, des matériaux. Comme il n’y a pas de critique historique sans sources, il faut les trouver, les rassembler, les catégoriser, pour ne pas partir dans tous les sens. Quand on entame une recherche historique, il faudra défini un corpus de source ; c’est la première étape, le temps de l’heuristique. Les catégories de sources Quelles sont les catégories de sources ? Les sources écrites, les sources figurées, les sources matérielles, et les sources orales et audiovisuelles. 15 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Les sources écrites Elles se divisent en deux catégories : les sources narratives et les sources diplomatiques. Les sources diplomatiques Bien entendu, aujourd’hui, diplomatique renvoie à la diplomatie. Les sources diplomatiques, le mot renvoie au mot diplôme. Le mot diplôme, c’est pas non plus le mot du papier reçu après les études. Le mot diplôme renvoie à un document officiel, terme du Moyen âge, qui émane d’une autorité (un souverain), c’est pourquoi source diplomatique peut aussi s’appeler source officielle, qui émane d’une autorité. Ces sources ont une fonction particulière, juridique ou administrative. Comment les reconnaitre ? C’est quand il n’y a pas le nom de l’auteur derrière. Par exemple, notre carte d’identité est une source diplomatique. Celui qui a fait la carte d’identité n’a pas signé en disant que c’est lui qui l’a faite. Ce sont des documents rassurants car ils obéissent au principe d’une circulaire sans état d’âme, et sont donc utilisé comme matière historique, avec un nécessaire avis critique. Les sources narratives L’auteur de la source s’implique, il le fait pour des raisons qui lui sont propres. Ce sont des œuvres au sens large du terme, réalisées par des auteurs. On parle donc des romans, les mémoires, les récits, les livres de cuisines, les lettres, les écrits scientifiques, la presse ; toute forme de témoignage humain est une source narrative. La gamme est extrêmement ouverte. Cette production nécessite une production critique. Les sources figurées On peut parler des sources graphiques, les images dans un sens très large : les peintures, les gravures, les dessins, les plans, les cartes, etc. Les représentations figurées étaient pendant longtemps délaissées. Elles servaient à illustrer quelque chose. Il y avait des titres de livre comme Histoire illustrée de … Le texte était ce qui était important, et il y avait des images pour aérer, rendre plus vivant, décorer. La source figurée était le parent pauvre de la source écrite. On a beaucoup changé, puisque maintenant l’image est traitée avec la même intelligence que la source écrite. Ce qui est en haut domine le bas. La représentation géographique de la Terre fait sens. Si l’on retourne la carte de la Terre, l’Europe, centralisée, prend moins de place. Elle n’est qu’un petit bout de l’Eurasie. Parlons d’un portrait fameux de Napoléon, vêtu de rouge dans son habit de consul, Bonaparte est représenté à Liège ou dans un environnement Liégeois. C’est une peinture de Ingres, qui se trouve dans les musées liégeois. La particularité de cette peinture, c’est qu’on y voit Bonaparte signant un décret pour permettre la reconstruction du quartier d’Amercœur. On voit surtout la cathédrale Saint-Lambert au fond. Elle avait été détruite durant la Révolution. On la verrait toujours si elle avait été toujours debout. Quand on examine ce tableau, et qu’on regarde la chronologie, à l’époque où Ingres représente Bonaparte, il n’y a plus de cathédrale. On peut se dire qu’Ingres n’était pas bien renseigné. Cette première lecture ne tient pas compte des significations que Ingres a voulu donner à son tableau. Parmi celles-ci, il y a un élément qui n’apparait pas sur le tableau, c’est le concordat entre Napoléon et le Pape ; c’est 16 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 un texte de réconciliation entre l’Eglise catholique, ébranlée par la Révolution, et le premier consul. S’il y a la cathédrale Saint-Lambert dans le tableau, c’est parce qu’il y a le message que Bonaparte a relevé l’Eglise, à travers le concordat. C’est d’ailleurs la première représentation de la cathédrale intacte après la Révolution, et porte un message politique. Les images ont donc plusieurs sens, et cela est encore plus vrai avec la photographie et les documents audiovisuels. Il y a une foule d’informations dans les documents iconographiques, précieuses pour les indices. Les sources matérielles Elles sont très nombreuses, ce sont des sources en trois dimensions. La tête d’épingle de la tour Eiffel est une source matérielle, un paysage est une source matérielle ; à partir du moment où elle revêt des informations historiques. La plaine de Waterloo n’en est pas vraiment une, c’est un endroit vallonné, où les Anglais ont su se cacher, et les Français n’ont pas su exploiter le terrain. Ces éléments ne sont visualisables que si on est dans le périmètre même des faits. Les traces humaines sont extrêmement nombreuses et les traces qu’ont laissé les hommes aussi. On peut retrouver aussi des traces aujourd’hui avec la technologie, en regardant la pollution de la Méditerranée à la Rome antique, on constate que la mer était déjà polluée. Les sources orales et audiovisuelles Les sources orales peuvent bien ne pas passer dans le cadre de sources audiovisuelles. Les sources orales peuvent être conservée à partir du moment où on décide de les enregistrer. Cela va d’une interview à un entretien, et cela s’inscrit dans la tradition orale. Il y avait des fonctions sociales remplies dans le but de transmettre des informations de générations en générations. A ce moment là le transmetteur aiguise une mémoire qui tient compte de sa nécessité dans la collectivité. Sachant que le passage à l’écriture, les sociétés d’écriture ont diminué notre capacité mémorielle en matière de mémorisation des messages. La mémoire n’est plus prioritaire pour la conservation d’une information ; cette question est débattue et non tranchée. Les traditions orales sont devenues objet de recherche en science humaine assez tard (19e, 20e). Il y a eu des précurseurs, et parmi eux, il y a Liège et le Musée de la vie wallonne, fondée en 1913, avec une ambition anthropologique. Il y avait une expérience de cette nature au Québec, mais c’était tout dans le monde entier. Liège est donc un précurseur de cette entreprise anthropologique, qui passait aussi par l’enregistrement des parlers locaux (les différents wallons), des expressions de métiers qui disparaissaient, constituant ainsi un Thesaurus, émouvant et accessible du passé, traduisant les traditions orales qui auraient disparu. Les enregistrements datent de l’époque où des machines à enregistrer ont existé. Le premier enregistrement de voix humaine, reconstitué, c’est une voix humaine de 1860, et qui chante Au clair de la lune. C’est très troublant. Nous avons des enregistrements de Guillaume Apollinaire interprétant Sous le pont Mirabeau. On peut l’entendre sur YouTube. On peut écouter Apollinaire, et on tombe des nues. On n’interprète plus de la même façon. 17 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Tout cet univers fugace des sons, des voix du passé, peut être sauvé en partie depuis la deuxième moitié du 19e siècle, et on ne parle pas ici de sortes d’enregistrements qui n’ont fait que croitre, sachant que la prise de conscience qu’un enregistrement était une source à prix du temps. Une énorme quantité d’enregistrement datant d’avant la seconde guerre mondiale a été détruit volontairement, parce que cela prenait trop de place. Après la seconde guerre mondiale, on a commencé à enregistrer les sources. La vie est facilitée aujourd’hui par la numérisation qui est en cours ; processus long mais qui assure la sauvegarde des sources. Dans ce cadre, un mot sur les archives filmées, auxquelles on pourrait associer les archives photographiques. Les archives photographiques, et puis filmées, n’enregistrent pas que le réel, mais une représentation du réel. L’exercice critique à l’égard de ces sources doit s’exercer avec le fait que la manipulation de ces sources est apparue dès que le procédé est apparu. Le premier conflit photographié, c’est la guerre de Crimée au début des année 1850. Ce n’est pas le conflit qui est photographié, parce que les caméras ne bougent pas ; on n’a que des photos statiques. Les premières images de cadavres datent de la guerre de Sécession. Pour la guerre de Crimée, l’audace absolue, ce sont des photos de blessés. Dans cette première expérience de photographié la guerre, aller plus loin que photographier des blessés, c’était insoutenable. Beaucoup de ces photos sont des mises en scènes de blessés, ce sont des faux blessés. C’est le début, et au fond les photographes se disent qu’ils représentent la réalité, mais qu’il y a des limites à cette représentation et qu’il la mette déjà en scène ; c’est aussi vrai dans le cinéma. Tout de suite, il y a des mises en scène. On n’a pas beaucoup de représentation réelles des scènes. La première date de la bataille de la Somme, où on voit des hommes sortir des tranchées avec des baïonnettes à la main. Tout le problème de relation entre le spectateur et l’acteur apparait lors de la première guerre mondiale. Les armées, les dirigeants ont compris qu’il fallait montrer des images des soldats. Au départ il ne fallait pas montrer des images terrorisantes, alors on montrait des images de soldats qui mangent, fument ; des soldats dans la vie quotidienne. Dans les cinémas on projetait ces images du front, et on s’est rendu compte qu’on faisait fausse route, parce que les soldats paraissaient avoir une meilleure vie que les civils. Alors, il fallait montrer la réalité de la guerre, mais on ne savait pas jusqu’où, parce qu’il ne faut pas terroriser les civils. Il y a alors un travail de réflexions sur la réalité, comment elle est perçue et comment elle est réellement. Les images qu’on a reçue ne montrent pas la vraie horreur de la première guerre mondiale. Ce n’est que plus tard en fouillant les archives qu’on voit les vrais images (les cadavres explosés, mutilés, entassés sur des chariots, etc.). Ces images étaient à l’usage interne de l’armée ou juste censurée. L’histoire des archives filmiques est un domaine où la critique historique fait le plus de sens. La conservation des sources Quand on parle de recherche de source, il y a la question de savoir si ces sources sont conservées et où. La première chose à faire dans le cadre d’une rechercher historique est de savoir où sont les sources. La question de la recherche se trouve dans la question de la conservation des documents. Plus on recule dans le temps, moins on a conservé de documents. Certains documents, œuvres célèbres, ne sont parvenus jusqu’à nous que par miracle ; c’est-à-dire, au départ sous la forme d’un seul et unique exemplaire. C’est pour ça que pour l’Antiquité on postule qu’on a perdu énormément d’œuvre. On peut retracer l’état 18 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 des pertes par le nombre de citation d’œuvre qu’on a perdu. On ne connait certaines œuvres que par les citations de certains auteurs contemporains. Les conquêtes d’Alexandre le Grand, l’Anabase d’Arrien. Cette anabase est venue jusqu’à nous grâce à un manuscrit du 13e siècle. Sans celui-ci, le document n’existerait pas et tout ce que nous savons d’Alexandre le Grand aurait été éteint. Quelles sont les œuvres qu’on a reçu en un exemplaire : La vie des douze Césars de Suétone, des ouvrages d’Aristote et de Polype. Il y a un phénomène d’énorme perte en soi. Tout ce qui a été écrit sur des parchemins a pratiquement disparu. Les archives sont destinées à disparaitre plutôt qu’à rester. On estime que les documents familiaux tiennent le coup deux générations. Cela commence tôt et c’est un phénomène inévitable. Les archives ont une histoire et nous devons nous en faire un historique. Historique de la conservation des archives A l’Egypte antique, il y avait beaucoup de papyrus, d’où le fait qu’on a en toujours maintenant. Au Haut Moyen âge, il y a peu de document écrit, à cause de la société féodale, qui est orale et gestuelle, symbolique. Après l’an 1000, avec Charlemagne et son attachement à la mythologie impériale romaine, l’écrit revient un peu. Charlemagne s’imaginait comme le successeur des empereurs romains, et avec la Renaissance carolingienne, il y a plus de documents écrits. Après l’an mil et la centralisation des pouvoirs, il y a les chartriers (celui qui contient des chartes, documents officiels diplomatiques), à côté d’eux, on trouve des cartulaires (recueils de documents précieux pour les institutions organisées, comme les monastères, les chancelleries des rois). Un coup d’accélérateur est donné au 16e siècle, en pleine révolution marchande, en pleine Renaissance, au moment où les Etats modernes se constituent ; le chef de l’état (un aristocrate qui a réussi) gouverne sans se déplacer, mais par l’intermédiaire de fonctionnaires, d’agents, qui répercutent ses décisions dans l’ensemble du royaume ou de l’empire. Cela demande une sacrée organisation, et privilégie le document écrit comme manière de diffusion. Gouverner sans se montrer, c’est une révolution anthropologique. Au cours du Moyen âge, le roi devait se déplacer tout le temps, pour se montrer, et montrer qu’il existait en ces temps où l’image est importante. La mémoire collective a transformé cette représentation par l’idée des rois fainéants (qui se promènent dans leurs charrettes). Ce qu’on appelle une court au 6e siècle, c’est 100 personnes qui bougent tout le temps pour se montrer. Nous avons gardé un vieux fond de cette époque, ce sont les joyeuses entrées des souverains. Nous avons gardé une trace de ça qui est millénaire, qui s’inscrit dans une tradition de courtoisie, plus qu’autre chose. Ne plus se montrer pour gouverner c’est un des premiers traits des états modernes, avec Louis XIV, le meilleur, qui fait venir les aristocrates à lui, avec cette prison dorée qui s’appelle Versailles. Le premier dépôt d’archive d’état se fait en Espagne en 1567, avec Philippe II d’Espagne. Cela fait sens que ce soit en Espagne parce qu’ils ont une énorme influence et un énorme territoire. Cela veut dire que les archivistes apparaissent et qu’ils contribuent à l’efficacité du gouvernement. D’autres archives d’état vont surgir dans d’autres capitales, et apparaissent les premiers traités d’archivistique. L’étape fondamentale suivant, c’est 1789 et 19 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 la Révolution, avec deux décisions qui continue à fonder notre relation aux archives aujourd’hui. La première, c’est la centralisation en un lieu des archives. Il y a trois niveaux : archives municipales, archives départementales, et les archives générales du royaume. Il faut organiser sa recherche en fonction des niveaux. C’est parfois compliqué, parce qu’il y a des archives qui recouvrent plusieurs niveaux. La deuxième chose que fait la Révolution, c’est l’accès publique aux archives. Avant 1789, il fallait l’accord du souverain. On a l’expression « Publicité, sauvegarde du peuple ». C’est explicitement mentionné dans la déclaration des droits de l’homme pour les taxes. La liberté d’accès aux archives est comprise dans ce processus de gouvernance publique. Il y a un préalable qui est posé, les archives sont publiques, mais certains documents sont posés au dépôt légal ; c’est une durée pendant laquelle les archives ne sont pas accessibles, car elles peuvent être sensible à la bonne gouvernance. Le record est au Vatican, avec un dépôt légal de 100 ans. Les derniers documents concernant l’assassinat de Kennedy seront accessibles en 2023. Quand on fait l’histoire contemporaine, cette notion de dépôt légal qui est universel, est un indice de ce que peut être l’histoire contemporaine, qui ne peut s’accomplir que lorsque toutes les sources sont accessibles. Nous vivons sous le système initié par la Révolution, on ne l’a pas changé. Ce qui a changé, c’est la croissance considérable des archives, ce qui fait que le métier d’archiviste a changé, ce n’est plus quelqu’un qui trie les archives, mais qui les sélectionne et les détruits. Les classements sont faits par rayonnage. Aux archives générales du royaume, il y a plus de 150 kilomètres d’archives. Si on cumulait les kilomètres d’archives départementales et générales en France, on aurait plus de 2000 kilomètres d’archives. C’est un processus naissant dans laquelle notre génération vit. Avec la digitalisation, les choses ont évolué ; parlons de Gallica, qui propose des milliers de titres issus de la Bibliothèques nationale de France, ce qui facilite la recherche. Un autre site délaissé, mais précieux, c’est archive.org, initiative analogue faite par le congrès de Washington. La collection complète des bulletins archéologiques liégeois se trouve sur ce site. La digitalisation des archives commencent avec des expériences pilotes à l’université de Liège. Les inventaires d’archives sont précieux et nécessaires pour la recherche documentaire ; c’est ce qu’il faut regarder en premier. Les bibliothèques se sont enrichies avec le temps également, et il a fallu faire des inventaires de bibliothèque, qui se trouvent pour beaucoup sur internet, et si on doit faire des recherches en bibliothèque, on gagne un temps énorme à faire une première recherche en ligne. Le catalogue de la bibliothèque du British Museum fait pratiquement 300 volumes, qui contiennent des pages de titre de livre. Le fleuron c’est la Bibliothèque du Congrès qui contient près de 20 millions de livres. Les journaux du 19e siècle se conservent mieux que les journaux du 20 e siècle. La presse du 19e est une presse de circulation, un journal était lu à plusieurs. Consulter des archives n’est pas sans risque. Quand on a ouvert les archives de la RDA, beaucoup de gens se sont rué dans les archives pour voir ce que la police de la RDA disait d’eux. C’étaient des archives que personne n’aurait jamais, et beaucoup de gens tombaient malades. Une théorie veut que le pouvoir communiste a pollué les documents des archives, pour tuer les curieux ; en fait c’était juste un champignon. 20 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Les archives et les bibliothèques ont une histoire. L’heuristique est donc une étape qui demande une ouverture d’esprit sur la définition de source et un savoir-faire, donc une connaissance, dans le questionnement de savoir où se trouve ces sources ; c’est le préalable de toutes recherche, et c’est la première étape de la procédure critique. L’état des sources La réputation de l’ordre des bénédictins se fonde sur le travail, et la conservation des textes. Un autre érudit religieux, Papebrok, un jésuite, va contester l’authenticité d’un certain nombre de documents conservés par les bénédictins. Il le fait dans une introduction, au tome 11, d’une grande collection dont avait charge son ordre dans la réalisation, les Acta Sanctorum, une aventure intellectuelle menée par les bollandistes (jésuites), qui ont publié les sources liées à tous les saints chrétiens. Une gigantesque entreprise éditoriale qui n’est pas achevée, et qui s’étend sur plusieurs siècles. Papebrok est donc un érudit de haut niveau, sachant qu’il est a rangé avec les hypercritiques, il considérait tous les documents comme faux avant de pouvoir dire qu’ils sont vrais. Sa contestation des manuscrits des bénédictins est en partie fondé par cette méfiance absolue des sources anciennes. On va assister à une joute intellectuelle entre Papebrok et Mabillon. Il va analyser les sources contestées, et va mettre plusieurs années à le faire, à la fois une analyse textuelle et une analyse en détail de la matérialité des sources, et cela donnera un classique, le De Re Diplomatica, publié en 1675. Ce qui est fascinant, c’est que Papebrok se rangera aux arguments de Mabillon et reconnaitra les documents conservés par les bénédictins comme authentique. Nous sommes dans une époque de division idéologique, de rudesse intellectuelle, dans une époque où les guerres de religion ont fait régresser la pensée intellectuelle, et où on a une joute intellectuelle qui se termine au nom de principes d’analyses suffisamment convaincants pour qu’aucun des protagonistes ne s’enferment dans une rhétorique. En 1675 paraît la dernière grande œuvre de Bossuet, L’histoire universelle de Bossuet, où il présente une grande fresque d’Adam et Eve, dernière grande œuvre providentialiste. Les copies les plus récentes ne sont pas les plus mauvaises. Ce n’est pas parce qu’une copie est ancienne qu’elle est meilleure qu’une copie récente. Cela renvoie à un travail, le stemma codicum. Imaginons un original perdu en 1000, et dont on a une copie datant de 1500 et on a une autre copie de 1400, qui est la copie d’une copie de 1200, elle aussi perdue. Instinctivement, on se dit que la copie la plus proche dans le temps de l’original doit être la plus fidèle. Ce n’est pas l’âge d’une copie qui fait sa valeur, mais le nombre de copie intermédiaire qui la relie à l’original. Dans notre exemple, c’est la copie de 1500 qui est la meilleure. Voilà une des questions que Mabillon développe. On a très peu de sources concernant Luther. Il y a des lettres et dans l’une de ces lettres, ce passage « furori patris mei » : « tout ce que je suis, je le dois à la fureur de mon père », or dans l’originale, il dit « sudori patris mei » : « tout ce que je suis, je le dois à la sueur de mon père ». On est dans un autre registre de représentation. Quand on est soucieux des copies, et des textes, c’est pour le sens, la signification. Mabillon pose aussi la question de savoir si l’on peut corriger une source lorsqu’elle est flagrante. Nous en avons conservé une trace, et on ne change pas une source, même si la faute est flagrante. Ceci dit, on peut et on doit signaler au lecteur l’erreur. Aujourd’hui, c’est facile, avec le système d’appel de note. On 21 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 peut ajouter la note sic, qui dit que l’éditeur est conscient de la faute mais ne la change pas. Toutes ces interrogations nous relient directement à la Renaissance avec les premiers pas des humanistes, et c’est pourquoi la critique historique doit beaucoup à la philologie. 22 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Troisième étape : la critique Elle se divise en deux : la critique externe et la critique interne. Pour des raisons pédagogiques, nous allons les identifier séparément, mais il est clair que dans la maitrise de la critique historique, ces deux pratiques se fondent en simultanée. Ici, tous les termes sont importants. La critique externe La critique externe a deux autres noms : la critique d’authenticité ou critique de provenance. La critique externe pose la question de savoir si un document est authentique, s’il provient bien d’où il prétend provenir. Quand on dit source ou document, ce sont des synonymes ici. Qu’est-ce que c’est qu’un document qui provient bien d’où il prétend provenir ? C’est un document qui sort bien des mains de son auteur, sinon, ce n’est pas un document authentique et c’est donc un faux. La question de l’authenticité est déterminée par la provenance de la source, c’est-à-dire, qui en est l’auteur. L’origine de l’information, c’est un enjeu considérable pour rendre intelligible notre environnement, et qui fait face à des défis considérables. Au début des années 1870, la France de Napoléon III est prête à engager le conflit avec la Prusse où évolue le chancelier Bismarck, dont l’objectif est l’unification allemande. Quand une guerre va éclater, il y a des signes, et dans ce contexte, le Times publie une information exclusive, qui est le contenu d’une réunion, un tête à tête entre Bismarck et l’ambassadeur de France, une réunion qui a eu lieu bien avant. C’est un vent favorable qui a amené cette information au journal. La réunion fait mention d’une offre de Napoléon III à Bismarck : si vous nous laissez nous emparer de la Belgique, on vous laissera unifier l’Allemagne. Inutile de dire que le texte fait sensation dans le Times, bien que la Belgique connaissait les ambitions françaises. Nous avons un texte authentique, c’est un compte-rendu des paroles de l’ambassadeur, mais sa trajectoire est intéressante, elle sort du coffre-fort de Bismarck vers le Times, alors que la réunion a eu lieu des mois avant. Bismarck divulgue une information secrète pour nuire aux français. On comprend dans quel mécanisme de diffusion et les enjeux que peuvent avoir une source ; l’auteur, la date de réalisation, la trajectoire de la source, ce sont les trois notions fondamentales que pose la critique externe. L’auteur, c’est un élément récurent, même si ce n’est pas toujours là. Même quand un document est signé, on n’est pas sûr que l’auteur l’ait vraiment fait. Premier exemple, qui traduit le problème des siècles antérieurs et qui traduit le problème de l’assignation d’un auteur à une œuvre. Le problème de la propriété intellectuelle date des Lumières, avec Beaumarchais. On constate donc que certains ouvrages d’un auteur sont écrits par l’auteur alors qu’il est mort : un texte signé ne veut pas dire que l’auteur soit l’auteur. Il y a aussi la question des contrefaçons, et cet art est une aventure extraordinaire, avec des érudits extraordinaires. Il y avait donc des fausses lettres de noblesse pour que les gens s’élèvent socialement. Ces produits ont la couleur du vrai mais ce sont des faux, des généalogistes ont été de fantastiques faussaires. Il y a des cas hors normes, mais tellement étranges qu’on ne peut pas résister à les évoquer. Michel Chasles s’était acoquiné dans les années 1860 avec un généalogiste, Vrin-Lucas, qui avec un art de la persuasion, avait séduit le mathématicien, collectionneur de document, et lui a fourgué plus de 2000 documents faux (contre de l’argent) surréalistes (des lettres d’Alexandre le Grand, de Socrate, de 23 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Charlemagne, de Molière). Ce scientifique, qui était un rationaliste, a gobé, par gout de la collection, tous les faux que lui fourgaient ce généalogistes. Tout le monde peut se laisser séduire par des faux, ici des faux tellement faux que ce sont des caricatures des faux. Finalement Vrin-Lucas a été condamné et envoyé deux ans en prison. Il y a les documents signés, les anonymes (très fréquents), il y a des cas de figure, les homonymes et les textes où plusieurs membres d’une même famille sont auteurs mais n’utilisent pas leurs prénoms. C’est le cas des frères Perrault. Il y a des changements de nom, mais on changeait de nom, dans l’Ancien Régime, avec une grande facilité. Certains auteurs derrière un document sont mystérieux, comme Dali qui signait différemment ses œuvres. Son ancien secrétaire a témoigné que Dali avait utilisé plus de 600 signatures différentes de ses œuvres, pour créer de la confusion dans l’idée qu’une œuvre est associée à un peintre. Déterminer qui est l’auteur est complexe, il y a des pièges. La question de la datation d’une œuvre est importante aussi. On n’a pas toujours daté selon le calendrier grégorien, qui date du 1582. On n’a pas toujours fait débuter l’année au premier janvier. Il y a des styles. Le style de Noël, l’année commence le 25 décembre, le style de l’énonciation débute le 25 mars, et il y a le style de Paque qui change d’année en année. Dans nos régions, l’adoption du premier janvier ne date que de 1576. C’est dire si la confusion régnait. La notion du temps n’était pas le même que la nôtre. La conception qu’on a du temps influence la volonté d’avoir des repères fiables en matière de datation. La question de la datation concerne aussi des méthodes scientifiques (carbon 14), qui peuvent être appliquées. Parfois des documents contiennent des informations qui ne sont pas datées, on en retire des fourchettes de date, que l’on appelle les termini. Le terminus post quem, qui est la date après laquelle le document a été fabriqué. Il y a aussi le terminus ante quem, qui est la date avant laquelle le document a été fabriqué. Par exemple, imaginons le carnet retrouvé d’un ancien soldat de Napoléon qui raconte ses campagnes. Il fait mention de l’empereur Napoléon. On peut se dire que s’il fait mention de l’empereur, on est au moins en 1804, puisqu’il devient empereur en 1804. Cette date est donc le terminus post quem, date après laquelle le document a été rédigé. Ce soldat ne parle pas de la campagne de Russie de 1812, or elle a concerné tous les soldats de l’empire ou presque, cela veut dire que le document a été rédigé avant 1812. Cette date est donc le terminus ante quem. La rédaction se trouve donc entre 1804 et 1812. L’auteur, la datation, et la trajectoire, fait aussi penser au lieu de rédaction de la source ; à la fois géographique et institutionnel. Un même auteur peut s’exprimer de manière différente selon le lieu où il se trouve, au sens symbolique du terme. Un ambassadeur n’est pas dans le même lieu de narration quand il écrit une lettre à sa femme ou quand il écrit un rapport à son ministre. La critique interne La critique interne a deux autre noms : la critique de véracité ou critique de crédibilité. La critique interne pose la question de la crédibilité du contenu d’une source, c’est-à-dire de l’information qui est contenue dans la source. Il y a une sérieuse différence entre les deux critiques. Le pouvoir, c’est l’information. Ce sont des informations qui conduisent certains à mourir ou pas, or les informations ont une histoire chaotique. 24 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 Donation de Saint Constantin. Le Vatican nait dans les années 1920. La Donation de Constantin est un document fondateur. Lorenzo Valla s’est penché sur ce document. Il a constaté que la Donation était un faux, il en a fait la constatation. Le document avait été élaboré au 8e siècle, par des juristes proches du Pape. C’est un fameux pavé dans la marre. On a un document faux dont la traçabilité est attestée. Autre exemple de faux, ce sont les Protocoles des sages de Sion. C’est un texte qui commence à circuler au début du 20e siècle, qui est dans le contexte d’une flambée de l’antisémitisme en Europe, époque des pogroms en Russie, de l’affaire Dreyfus, etc. Ce texte se présente comme étant une suite de comptes-rendus d’échanges entre des participants d’une réunion secrète des élites juives mondiales préparant la domination du monde. Ce document anonyme dévoile à ses contemporains comment les juifs préparent secrètement la domination mondiale. Le texte va connaitre des traductions diverses et une grande diffusion dans l’entre deux guerres, il sera cité dans Mein Kampf, et il transite en Russie, revient avec ceux qui ont fui la révolution bolchévique, le Times publie des extraits en le présentant comme un texte qui interpelle, le constructeur automobile Ford va le publier en intégralité dans le journal pour ses ouvriers. Dès son apparition, il y a des voix concernant son authenticité, car c’est un document faux. C’est plus facile d’écrire un faux qu’une riposte à un faux. La première grande élaboration puissante pour démontrer que c’est un faux est un livre de 500 pages de 1939, L’Apocalypse de notre temps, par Henry Rollin. Il était en partie lié aux services secrets français et avait des informations sur l’auteur. Cela vient de la police du tsar de Russie, qui fabriquait des faux et les diffusaient. Lorsque les nazis arrivent de 1940, tous les exemplaires du livre de Rollin sont brûlés, sauf un à la Bibliothèque nationale. On le redécouvre vers 1990, et c’est seulement en 2005 qu’il sera réédité. Depuis lors, on sait qui a écrit ce faux, c’est un agent secret russe, qui s’est inspiré de pamphlets qui existaient déjà. Après la révolution bolchévique, l’auteur a rejoint les rangs des bolchéviques, il a quitté le tsar pour les nouveaux maitres. On continue à publier les Protocoles, notamment dans les pays où l’islamisme est très présent. C’est-à-dire qu’un faux, même démontré faux, peut avoir une destinée plus puissante que la vérité. L’exercice de la critique externe et interne, concerne une dimension vitale, et qui n’est pas une garantie de réception décisive ; même si on démontre un faux, le faux peut être plus puissant que le vrai. Il y a une analyse de fond sur ce que dit le document, la critique interne se subdivise en plusieurs opérations, combinées par la vérité, qui sont détachées pour la pédagogie : il y a la critique d’interprétation, qui analyse ce que l’auteur a dit et a voulu dire ; la critique de compétence, est-ce que l’auteur avait les compétences pour rendre compte de ce qu’il dit, la critique de sincérité, l’auteur était-il sincère ; la critique d’exactitude, est-ce que l’auteur a fait des erreurs involontaires ; la comparaison des témoignages. La critique d’interprétation Il faut avoir une connaissance du contexte, et plein de choses dans la vie repose sur une erreur de compréhension. Quand Kennedy dit « Ich bin eine Berliner », il ne veut pas dire qu’il est vraiment berlinois. Quand il dit cela, c’est une métaphore, les allemands comprennent. Les termes évoluent et par conséquent, ils peuvent se charger négativement ou positivement : le mot dictature est au départ une fonction romaine où une personne prend le pouvoir pendant quelques mois, élu par les institutions romaines, alors qu’aujourd’hui le 25 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 dictateur a arraché le pouvoir pour imposer son pouvoir personnel, en dépit des institutions en question. Il y a les langues, les milieux de ces langues et parfois, l’incompréhension peut conduire à des situations en cascade. Il y a un beau cas de figure avec Freud : psychanalyste de la fin du 19e, début 20e siècle, il était passionné par le passé et ses méthodes ne portaient pas au-delà du présent, de ses patients ; un jour il met la main sur un document, qui est un rêve de Léonard de Vinci, publié en 1910, il s’agit d’un texte de Léonard de Vinci, qui est intéressant dans la mesure où il écrit son rêve directement après son éveil. Ce qui fait que Freud, en 1910, trouve un texte de Léonard qui raconte un rêve ; Freud ne résiste pas, c’est tellement intéressant qu’il produit un essai sur ce rêve (Rêve de jeunesse de Léonard de Vinci). Voici ce rêve : il raconte qu’un vautour lui a introduit sa queue dans la bouche. Freud va interpréter ce rêve en réfléchissant sur la figure du vautour ; dans un certain folklore traditionnel, le vautour apparait comme un rapace exclusivement de sexe féminin. Deuxièmement, les pairs de l’église évoquent le vautour en rapport avec la naissance de la Vierge Marie. Troisièmement, Freud voit dans un tableau de Leonard de Vinci, un vautour et dans un autre, il y a la Vierge, et il voit dans les plis du drapés de la Vierge un vautour. Pour Freud, c’est inouï, et il suppose qu’au fond Leonard a été obsédé par le fantasme du vautour en tant qu’enfant naturel qui n’a pas été reconnu. Il va développer une analyse de Leonard de Vinci sur cette base, mais malheureusement, Freud s’est reposé sur une publication en allemand, donc une traduction, et le traducteur avait commis une erreur de traduction par rapport au texte original en italien, et justement cette erreur contenait le mot « vautour ». Le terme désigne sans doute un autre oiseau, le milan, ce qui signifie que toute la construction de cet essai s’effondre, à cause d’une erreur de traduction, et qu’on a fait dire à Leonard quelque chose qu’il n’a pas dit. La critique d’interprétation, ça a l’air facile, mais il y a mille choses trappes derrière. La critique de compétence La critique de compétence, c’est la somme de compétence que je possède dans le cadre qui nous occupe pour pouvoir décrire et interpréter correctement un fait auquel j’assiste. La critique de compétence porte sur l’auteur d’un témoignage et « est-ce que l’auteur était compétent pour raconter ce qu’il raconte ? ». On n’est pas systématiquement compétent, même si on assiste à quelque chose. On a beaucoup utilisé cette incompétence du témoin dans les récits de bataille, dans la Chartreuse de Parme de Stendhal, le héros participe à la bataille de Waterloo et la description qu’il en fait est une description de confusion : de la fumée, des cavaliers qui passent, des camarades morts. Stendhal décrit la bataille de Waterloo avec un personnage qui est dedans et incapable de décrire ce qu’il voit. La présence d’un témoin au centre de l’action ne donne pas l’histoire d’un récit compétent. Le cas du personnage de Stendhal qui a été démultipliée concerne aussi ceux qui peuvent avoir une vision d’ensemble : vers 18h, le 18 juin 1815, quand une des fermes anglaises a été attaquée par les français, pour Napoléon, la bataille était gagnée, et il a rédigé un communiqué pour Paris disant qu’il avait gagné. Lui-même à travers ce document témoigne son incompétence. La notion d’incompétence peut être élargie, car elle se complexifie. Premièrement, Charlemagne a eu un biographe célèbre, qui l’accompagnait souvent, tellement proche de lui qu’il pouvait voir les restes de mies de pain dans sa barbe, Eginhard, représentation de l’intellectuel à la cours de Charlemagne au moment de la révolution intellectuelle, et il a écrit 26 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 la Vita Caroli. Quand on se penche sur ce texte, on est troublé parce qu’en réalité, des passages entiers sont des plagiats, provenant d’une œuvre antique, provenant de Suétone, qui a fait une biographie de l’empereur Auguste. La déception est immense, Eginhard aurait pu être original et il va puiser des passages entiers chez Suétone, dans une biographie d’un empereur plusieurs siècles auparavant. Cela témoigne d’un manque de compétence de l’intellectuel ; en fait, considérer qu’il est incompétent, c’est faire preuve d’une méconnaissance du contexte. C’est volontaire et avec un message qu’Eginhard fait cela, car Charlemagne se considérait comme le premier successeur des empereurs romains, depuis la chute de l’Empire. Eginhard utilise une stratégie de communication pour glorifier Charlemagne. La compétence est liée au contexte, et agrandissons le cercle, elle est liée aux représentations du monde, propre au témoin, ou à l’auteur. Que voyons-nous de la réalité ? La représentation du monde est aussi une question de contexte. Si l’on s’intéresse au 16e siècle, et que l’on dépouille les archives de police, nous allons trouver des témoignages de gens qui venaient témoigner qu’ils avaient vu le diable. Ils le décrivaient ; ce qui est fou c’est qu’on a des témoignages de cette nature dans différents lieux, différents pays, différentes villes. Ces témoignages sont formulés par des témoins qui ne se connaissent pas, et les descriptions se ressemblent. Si je suis un juge, ces témoignages, je les retiens pour un procès : les témoins ne se connaissent pas et disent la même chose, et il y a une accumulation de témoignage. Conclusion : le diable existe. Le problème c’est que les représentations du diable était faite pour qu’en des tas de situations ont ait l’impression de voir de diable, selon la façon dont on le représente, ce qui crée des sources recevables pour un juge ou un historien du temps, alors que nous sommes dans une illusion. Les policiers considéraient dès lors que les témoins étaient compétents. Lorsque Jeanne d’Arc voit une épée dans le ciel, elle la voit vraiment, comme nous quand on voit des nuages dans le ciel et qu’on les interprète. On sait que ce n’est pas un mouton, que c’est juste un nuage, mais quand on attend un message du ciel et qu’on voit une épée, on la voit. La critique de sincérité On ne ment pas par accident. La notion de mensonge est très ouverte, car il y a différente raisons de mentir. Parfois une personne peut faire deux témoignages très différents. Si on interroge un GI après la bataille d’Omaha beach, il dira que c’est un bain de sang, 20 ans plus tard, il dira que c’était une bataille décisive. Même si quelqu’un s’accuse d’un crime, il faut prouver qu’il est coupable de ce crime. La journée de la Saint-Barthélemy, le 24 aout 1572, 30 000 protestants ont été massacré dans la journée par des catholiques en France, et surtout à Paris. Cela s’inscrit dans une situation où les guerres de religion et les problèmes de succession du trône étaient très liées. L’épisode est resté fameux et le pape de l’époque a fait chanter un Te deum pour célébrer le massacre des protestants. Charles IX s’est vanté d’être l’organisateur de cette journée, pour la postérité. La tentation est grande de se dire que pour une fois on a un massacre qui s’assume, sauf que ce n’est pas vrai. Il a trempé dans l’affaire mais ce n’est pas lui le grand organisateur, mais pour son image à l’époque, c’était une bonne action, un acte valeureux. Dans son contexte, son intérêt était de mentir dans ce sens-là. Même dans des cas de cette nature, il s’agit d’épuiser la connaissance du contexte pour donner à la connaissance du propos ou des acteurs pour donner ce label de sincérité ou de mensonge. 27 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 C’est le label de contexte qui est le plus important, et c’est ce qu’apporte l’histoire. La critique d’exactitude C’est savoir si le témoin se compte de bonne foi. Cela arrive tout le temps. Quand Kennedy a été assassiné, certains ont entendu deux coups de feu, d’autres trois. Même pour un fait de chez fait, il y avait des contradictions dans le témoignage : des gens se sont trompé. Les erreurs de bonne foi sont dénoncé à ce moment-ci de la critique d’exactitude. C’est la raison pour laquelle les meilleurs témoignages sont ceux qui sont rédigés immédiatement après l’objet dont ils témoignent. Si j’assiste à un accident, le récit que je fais une minute après l’événement sera plus détaillé que celui fait un mois après. La comparaison des témoignages Le contrôle des témoignages quand il y en a plusieurs et qu’ils se contredisent. La question de la comparaison des témoignages commence paradoxalement avec la question du témoin unique. Que faire quand il n’y a qu’un témoignage ? L’adage judiciaire dit testis unis, testis nullus. Cet adage n’est pas valable en histoire, car l’historien peut se retrancher ; il n’est pas valable car sinon il y a des pans entiers de l’histoire qui ne seraient pas connus. Le seul témoignage de la Guerre des Gaules, c’est César. Cela veut dire que tout se qu’on connait, et toutes les déclinaisons de l’imaginaire vient du texte de César. On ne sait pas passer à côté de lui pour découvrir la guerre des Gaules, et bien que ce soit le seul témoignage, on ne le met pas de côté. Il se trouve que César était d’une grande précision, d’un esprit aigu, et il y a énormément de descriptions importantes pour connaitre les gaulois et leur vie, même si c’est un récit écrit pour avoir un écho politique utile à son ascension. Comment sait-on qu’il est précis dans le regard sur les gaulois ? Le temps est parfois aussi l’allié des historiens, d’autres découvertes (les sources archéologiques) viennent aider à étoffer le récit de César, qui permettent de mieux valider son récit. Quand il n’y a qu’un témoignage, on le concerne avec prudence en misant sur le temps pour dégager de nouvelles sources d’informations. Quand on a plusieurs sources de témoignage, il y a plusieurs principes, plusieurs règles. La première est qu’il ne faut pas considérer les témoignages les plus nombreux comme les plus pertinents. Cela repose sur un principe latin qui dit non numerentur sed ponderentur, « ne pas les compter, mais les peser ». Ce n’est pas parce que 10 personnes disent blanc et 1 personne dit noir, que c’est blanc. Deuxièmement, les principes d’Ephore. Ephore a rédigé sur la notion de témoignage, et on peut retenir que plus un récit nous vient au bout d’une chaine d’intermédiaire et plus un récit est déformé. On en a fait un jeu : le téléphone sans fil. Pour ce qui est de la mémoire orale, on est dans quelque chose d’important. Plus un témoin est proche dans le temps des faits qu’il raconte, plus les détails qu’ils donnent sont crédibles ; c’est l’exemple de l’accident de voiture. La tentation de l’hypercritique L’hypercritique, c’est un doute systématique non constructif ; postule des systématiques qui semblent heureux mais qui ne sont pas de la critique historique. Par exemple : tous les documents anciens sont faux jusqu’à preuve du contraire. C’est un mode de pensée qui ne fonctionne pas et ne portera pas de fruit. Pour les documents, ils ne sont pas 28 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 faux jusqu’à preuve du contraire, et pas vrai non plus, mais ils doivent être approchés par le doute raisonnable et pas par le doute extrême. A la Renaissance on disait que plus un document avait l’air ancien et plus il était sûrement faux. L’hypercritique peut être instrumentalisée pour des fonctions idéologiques ou politiques. Prenons l’exemple des négationnistes, dans leurs articles, on sera frappé de la contexture (textes avec beaucoup de notes de bas de page). Si on analyse le récit, où le négationnisme se positionne dans l’hypercritique ? Dans l’analyse des sources. Les nazis fonctionnaient par métaphore : la solution finale. Dans les sources, ils utilisent des formules évocatrices, plutôt que précises, par exemple les S Wagen, qui sont les camions dont on a retourné le pot d’échappement dans la voiture pour les tuer par gaz. Cela va dans les récits des nazis eux-mêmes : dans le journal d’un médecin nazi, il évoque les « actions spéciales ». Pour les négationnistes, les « actions spéciales » sont « enlever les poux », alors que c’est des gazages. Le négationniste se contente de dire que ce n’est pas du gazage, l’historien doit retrouver la trace du convoi, et refaire le fil de l’histoire. Le drame c’est de passer pour un esprit critique, pour un acteur scientifique, alors qu’en réalité, on la torsionne cette réalité. L’argument du silence Lorsque nous ne disposons pas de sources, nous pouvons faire appel à l’argument du silence. C’est bien un argument : il postule qu’un événement ou un fait n’a pas eu lieu, parce qu’aucune source n’en parle. Mais il existe des événements pour lesquels les sources ont disparu, ainsi que des événements qui n’ont pas laissé de source. C’est d’ailleurs pour ça que les nazis ont tenté de faire exploser les crématoires des chambres à gaz : pour ne pas laisser de trace. L’argument du silence marche à certains moments : au XVIIIe siècle, on rencontre dans les écrits des philosophes des Lumières la rumeur de la papesse Jeanne, qui, quelques siècles plus tôt, aurait régné sur Rome en se faisant passer pour un homme. Dans ce cas, l’argument du silence est pertinent : c’est une rumeur inventée par les philosophes des Lumières dans leur lutte contre l’Église ; en remontant l’origine de la rumeur, on se rend compte qu’elle ne repose sur rien. Mais l’argument du silence a besoin de conditions pour être utilisé correctement : - - - Tout d’abord, il faut être sûr d’avoir vu toutes les sources concernées par un fait, et d’être sûr que toutes les sources de l’époque du fait ont été conservées. Cette dimension matérielle n’est pas toujours aisée à définir. Il faut être sûr que les contemporains d’un fait ont été au courant de ce fait : tous les faits d’un temps ne sont pas connus des contemporains, et là aussi, le temps libère les témoignages. Exemple : il n’y a que quelques années que nous avons pu vérifier que les expériences nucléaires dans le désert du Nevada au début de l’ère nucléaire avaient affecté l’environnement : cette dimension avait été enfouie dans les archives durant des décennies. Il faut que les contemporains d’un fait en aient eu conscience. Exemple : nous savons que la population européenne a augmenté au Moyen Âge grâce à la révolution agricole. Pourtant, les chroniqueurs de l’époque n’en parlent pas. Donc, selon l’argument du silence, la population n’a pas augmenté ? Non : les contemporains 29 Downloaded by À L’affût ([email protected]) lOMoARcPSD|18187235 n’avaient pas les moyens statistiques et démographiques de déterminer ces informations, ce que nous pouvons aujourd’hui faire. Il faut toujours faire attention aux sources de piège qu’offrent les témoignages. Par exemple, le port d’Anvers ne notait pas le nombre de passagers de 3e classe sur les bateaux, alors que les ports américains le faisaient. Doit-on en déduire que les Belges partis en Amérique se sont subitement multipliés durant la traversée ? Non. Autre source d’erreur : un individu peut donner un témoignage différent en fonction du contexte où il le donne. Dans ces cas, les différences entre les témoignages ne compromettent pas la fiabilité du témoin, c’est à l’historien de jauger l’influence du point de vue sur le témoignage. Imaginons que le 6 juin 1944 à Omaha Beach, un Américain pris sur le vif donnera un récit faisant peu de place à la bonté humaine : son récit sera celui d’un traumatisé. Ce même témoin, quarante ans plus tard, pourra redonner un témoignage où il pourra ajouter le fait que, peut-être, le recul lui a permis de mesurer qu’il n’a pas que vécu l’enfer : c’était aussi une journée dans un processus d’assaut de la pire tyrannie de l’histoire. Les degrés de certitude L’application de la critique ne sert pas à trouver la vérité en histoire, mais à dégager des certitudes. Toutes les disciplines scientifiques sont en quête de certitudes, mais toutes n’aboutissent pas aux mêmes types de certitudes, car elles parcourent des chemins différents pour aboutir à la connaissance. En sciences exactes Deux types de certitudes couvrent la gamme des sciences exactes : - Les certitudes hypothético-déductives sont les certitudes mathématiques, auxquelles on aboutit par déduction et démonstration. Leurs conclusions s’imposent à tous. Les certitudes des sciences exactes sont des certitudes expérimentales, obtenues par une expérience répétée dans des